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Le 27 mars à Nice en soutien à Yannis Youlountas et Jean-Jacques Rue

MOBILISATION DE SOUTIEN

aux solidaires par-delà les frontières,

Yannis Youlountas et Jean-Jacques Rue,

poursuivis par les identitaires de Defend Europe

LUNDI 26 ET MARDI 27 MARS 2018

ANTIBES ET NICE

Durant l’été 2017, une expédition raciste a tenté d’entraver le sauvetage en mer des migrants en mer Méditerranée par les ONG. Telle une milice fasciste, les principaux dirigeants identitaires européens ont affrété le « navire C-Star » contre les associations humanitaires et les personnes qui fuient la guerre et la misère, parmi lesquelles des enfants.

Heureusement, sur l’une et l’autre rive, des centaines de militants antiracistes et antifascistes se sont mis en réseau pour les en empêcher. Dès lors, la débâcle de l’expédition Defend Europe a été retentissante : première alerte en Egypte, blocage du bateau à Chypre, abandon du projet d’escale en Crète, manifestations en Sicile, nouvel abandon en Tunisie, panne au large de la Libye et, enfin, capitulation au large de Malte suivie de la fuite des chefs identitaires européens.

Quelques mois après cet échec total, Defend Europe contre-attaque en justice pour se venger.

Les chefs identitaires allemand, français et italien de Defend Europe poursuivent Yannis Youlountas, seul membre visible du réseau antifasciste Defend Mediterranea, opposé à l’action de Defend Europe, pour « diffamation » et « injures publiques », principalement pour l’utilisation du mot « nazi » dans plusieurs communiqués tels que : « Les nazillons toujours coincés sur leur bateau », « La croisière nazie s’amuse », « Un navire d’aide aux migrants envoyé au secours des nazillons en panne » ou encore « Décidément, le bateau nazi au pavillon mongol nous fait beaucoup rire ».

Ils poursuivent également Jean-Jacques Rue, journaliste satirique et ami de Yannis, pour avoir partagé et commenté, avec beaucoup de colère, de verve et non sans humour, l’une des publications de ce dernier.

Ils leur demandent à tous les deux des sommes colossales (plusieurs dizaines de milliers d’euros chacun) non seulement dans le but de gagner beaucoup d’argent, mais aussi de mettre en grandes difficultés ces deux militants aux revenus modestes. Jean-Jacques Rue risque même jusqu’à 3 ans de prison pour un soi-disant appel au meurtre, alors que c’est, au contraire, l’action de vouloir gêner les actions de sauvetage en mer qui est à l’évidence une mise en danger de la vie d’autrui.

Le procès aura lieu
le mardi 27 mars 2018 à 13h30 au Tribunal correctionnel de Nice.

Nous vous invitons à venir soutenir et rencontrer Yannis Youlountas et Jean-Jacques Rue durant trois moments de discussion, de partage, de convergence de luttes et de solidarité par-delà les frontières :

LUNDI 26 MARS À ANTIBES au cinéma Le Casino (avenue du 24 août)

18h30 Projection de Sur la route d’Exarcheia – Récit d’un convoi solidaire en Utopie de Eloïse Lebourg (57 minutes) qui raconte l’aide internationale apportée aux exilé.e.s bloqué.e.s en Grèce et au mouvement social grec à travers le regard de 4 enfants participant à un convoi venu de France, de Suisse et de Belgique.

19h30 Rencontre avec Yannis Youlountas, Jean-Jacques Rue et plusieurs personnages des films

20h30  Projection de L’Amour et la Révolution – Non, rien n’est fini en Grèce de Yannis Youlountas (1h17) qui raconte l’actualité des luttes et des solidarités en Grèce, notamment avec les exilé.e.s

21h50 repas partagé

MARDI 27 MARS À NICE devant le Palais de Justice

13h30 RASSEMBLEMENT DE SOUTIEN FACE A LA XENOPHOBIE

(avant et pendant le procès de Yannis et Jean-Jacques)

MARDI 27 MARS À NICE à la salle de FSGT (27, rue Smollet)

Accueil et rencontre, dès la fin du procès

19h30 Projection de Sur la route d’Exarcheia – Récit d’un convoi solidaire en Utopie de Eloïse Lebourg

20h30 débat  « Construction de la solidarité par-delà les frontières »

puis repas partagé et musique !

Comité de soutien de Yannis et Jean-Jacques

et

SOlidarité MIgrant.e.s COllectif 06 : Artisans du monde 06, ATTAC France, Citoyens solidaires 06, Défends Ta Citoyenneté !, FCPE, FSU 06, LDH section de Nice, Ligue des Droits de l’Homme Paca, Mouvement de la Paix, MRAP 06, Planning familial 06, RESF 06, Roya Citoyenne, Solidaires 06, Solidaires étudiant.e.s Nice, Syndicat des Avocats de France, Vallées solidaires 06

Réseau antifasciste DEFEND MEDITERRANEA

et d’autres collectifs, organisations et associations de France, de Grèce et d’ailleurs.
Liste en cours, nous contacter à l’adresse courriel ci-dessous (collectifs, organisations et associations uniquement).

 Contact comité de soutien de Yannis et Jean-Jacques : yetjj@youlountas.net ou 06 18 26 84 95

Pot commun « Solidarité avec Yannis et Jean-Jacques » : https://www.lepotcommun.fr/pot/hvfshv5n

L’UE et l’aide à la Turquie contre les réfugiés

L’Europe paye des équipements militaires à la Turquie pour refouler les réfugiés

Par John Hansen (Politiken), Emilie Ekeberg (Danwatch) et Sebnem Arsu (The Black Sea)

Mediapart et l’EIC révèlent que l’argent de l’Union européenne a permis à la Turquie de s’équiper en véhicules blindés afin d’empêcher le passage de réfugiés à sa frontière avec la Syrie. Cette opération pourrait avoir causé de nombreuses victimes parmi les Syriens tentant de fuir la guerre, alors que la prise d’Afrin par l’armée turque va pousser encore des milliers de personnes sur la route de l’exil

Enquête menée par Politiken et Danwatch avec Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC).– Quand les soldats turcs ont ouvert le feu, Ibrahim Khaled a pris sa mère par la main et s’est mis à courir. Il a entendu le cliquetis des armes à feu, entendu les cris des réfugiés frappés par les balles, et a été projeté à terre. Khaled ne s’est pas retourné. « J’ai senti que si je m’arrêtais là, je serais tué ou arrêté », dit-il.

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Pendant des heures, Khaled et sa mère ont couru dans la direction que le passeur leur avait indiquée. Ils ont marché à travers des champs d’oliviers, ont rampé sur des pierres jusqu’à atteindre un village turc. De la soixantaine de réfugiés qui avaient quitté le camp près de Darkush, dans la province syrienne d’Idlib, seule une poignée a traversé la frontière. Khaled ne sait pas ce qui est arrivé aux autres. Ils sont probablement morts ou de retour en Syrie, pense-t-il. « Nous avons eu de la chance. »Khaled est assis dans un appartement nouvellement construit en périphérie de Mersin, dans le sud-est de la Turquie, où lui et sa mère ont trouvé refuge après leur fuite à l’automne dernier. Il porte un jean déchiqueté et un pull qu’un voisin lui a donnés. Ses yeux sont fatigués, son front est plissé de rides. Khaled s’est longtemps posé la question de savoir s’il devait parler avec des journalistes des violences à la frontière turco-syrienne. Il a peur que les autorités turques ne se vengent sur lui. Dernièrement, il a accepté de nous accorder une interview à la condition que son nom soit changé. « Je veux que le monde sache ce qui nous arrive à nous, Syriens », dit-il.

Des réfugiés syriens qui attendent de passer en Turquie, près de la frontière, le 7 février 2016. © Reuters Des réfugiés syriens qui attendent de passer en Turquie, près de la frontière, le 7 février 2016. © Reuters

La guerre civile en Syrie entre dans sa huitième année. Plus de 350 000 personnes ont été tuées à ce jour, des millions ont été déplacées. Et bien qu’il n’y ait toujours pas de paix en vue, les pays voisins de la Syrie ont fermé les voies d’échappatoire. Le Liban, la Jordanie et la Turquie, qui accueillent ensemble plus de cinq millions de Syriens, refusent d’accepter davantage de demandeurs d’asile. La Turquie a construit sur sa frontière avec la Syrie un mur de trois mètres de haut et long de plusieurs centaines de kilomètres.

Khaled raconte que des soldats turcs ont ouvert arbitrairement le feu sur des réfugiés. Les détails de son témoignage sont difficiles à vérifier, mais ils sont cohérents et coïncident avec les déclarations de plus d’une douzaine de témoins avec lesquels le Spiegel s’est entretenu. L’ONG Human Rights Watch a révélé des cas similaires début février : des soldats turcs ont forcé des réfugiés à retourner en Syrie et ont tiré de manière indiscriminée, selon l’organisation.

Il y a précisément deux ans, le 18 mars 2016, l’Union européenne et Ankara concluaient un accord selon lequel les Européens allaient verser 3 milliards d’euros à la Turquie en échange du maintien des réfugiés sur son sol (en attendant un deuxième volet de 3 milliards d’euros). Les dirigeants européens ont prétendu que cet accord avait permis de contenir la « crise des réfugiés ». En réalité, la crise s’est simplement déplacée. À présent, les gens meurent moins fréquemment dans la mer Égée, où le nombre d’embarcations traversant vers la Grèce s’est réduit drastiquement une fois l’accord passé. Mais ils meurent sur la frontière turco-syrienne.

Officiellement, les milliards de l’Europe servent exclusivement à aider la Turquie à gérer les réfugiés sur son sol et à les empêcher d’entrer en Europe. C’est faux. Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC) révèlent que l’Union européenne a payé à la Turquie pour 83 millions d’euros de véhicules militaires et d’équipements de surveillance afin de traquer les réfugiés. Y compris à la frontière turco-syrienne, pourtant officiellement ouverte.

Les journalistes de l’EIC se sont plongés dans les centaines de contrats européens. L’un d’entre eux montre que l’Union européenne a financé à 75 % l’achat par la Turquie de 82 véhicules blindés Cobra II, dont le coût total est de 47,5 millions d’euros. Ces engins, équipés de périscopes, peuvent patrouiller le long du mur côté turc tout en localisant les réfugiés approchant de l’autre côté. Produits par Otokar, l’un des plus gros industriels turcs de l’armement, ces véhicules ont été livrés aux forces armées turques au printemps 2017.

Le Cobra II, de l'industriel turc Otokar. 82 de ces véhicules blindés ont été payés par l'UE, qui prétend pourtant ne pas financer d'équipements militaires à la Turquie. © Otokar Le Cobra II, de l’industriel turc Otokar. 82 de ces véhicules blindés ont été payés par l’UE, qui prétend pourtant ne pas financer d’équipements militaires à la Turquie. © Otokar

Ils font aujourd’hui partie de l’infrastructure de surveillance de ce qui va devenir bientôt le troisième mur le plus long du monde : 900 km de béton équipés de drones, de caméras thermiques, et de tours de tir télécommandées et automatisées de manière « intelligente ». Des haut-parleurs diffusent des messages, avertissant les gens, en turc et en arabe, de ne pas s’approcher davantage. De l’artillerie lourde ouvre le feu si ces avertissements sont ignorés. Les caméras thermiques sont capables, par temps clair, de repérer trois personnes debout d’une taille de 1,80 m à une distance de dix kilomètres. En d’autres termes, l’équipement financé par l’Union européenne aide à repérer des réfugiés qui essaient de traverser le mur frontalier et risquent d’être touchés par des tirs… et tués.

Le mur construit par Ankara maintient par ailleurs des centaines de milliers de réfugiés syriens coincés dans une zone de guerre. On estime que plus de 200 000 personnes ont été déplacées dans le nord de la Syrie depuis la mi-décembre, et il faut s’attendre à ce que la prise par l’armée turque, ces derniers jours, de la ville kurde d’Afrin provoque de nouveaux flux de réfugiés.

La Turquie assure que la frontière est toujours ouverte pour les demandeurs d’asile, ce qui est contredit par différentes sources turques et syriennes proches de la frontière. L’Institut international pour les études stratégiques (IISS) notait déjà en juin 2017 que la Turquie avait rendu « pratiquement impossible pour les réfugiés syriens le passage de la frontière légalement ». « La Turquie assure que sa politique de la “porte ouverte” est toujours en vigueur, mais dans la réalité, elle est presque fermée », estimait alors l’institut.

Depuis septembre dernier, 42 civils ont été tués alors qu’ils tentaient de passer de Syrie en Turquie, selon Rami Abdulrahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) confirme qu’il est devenu pratiquement impossible de traverser la frontière (excepté pour les personnes gravement blessées ou malades), alors que le nombre de réfugiés fuyant la Syrie est en hausse.

On assiste à une violation des droits humains, selon Thomas Gammeltoft-Hansen, directeur de recherche à l’Institut danois des droits de l’homme et du droit humanitaire Raoul-Wallenberg. « Si des balles mortelles sont tirées sur des réfugiés essayant de traverser la frontière, c’est une violation pure et simple des droits humains, rappelle-t-il. Si le mur frontalier enlève aux Syriens toute possibilité de demander l’asile, c’est une autre violation du droit international, en particulier du principe de non-refoulement. »

La fourniture de matériel à la Turquie par l’Union européenne pourrait rendre cette dernière complice de violation des droits humains à la frontière turco-syrienne. « S’ils savent que l’équipement est utilisé d’une façon qui viole les droits des réfugiés, les membres de l’UE sont par principe complices », ajoute Thomas Gammeltoft-Hansen.

309 millions d’euros côté français

Interrogée par l’EIC, la Commission européenne nous a répondu que « l’Union européenne ne fournit pas d’équipements militaires ou létaux à la Turquie ». Les Cobra II sont pourtant bien des engins militaires. La Commission ajoute que l’accord avec la Turquie prévoit que les véhicules soient « exclusivement affectés à la surveillance des frontières et que toute modification ou changement d’affectation des équipements requiert l’autorisation écrite de la commission ».

Sauf que Bruxelles n’a pas les moyens de contrôler ce que fait le régime autoritaire d’Erdogan de ses armes. Plusieurs experts des droits de l’homme craignent d’ailleurs que la Turquie n’utilise cet équipement financé par les fonds européens pour les opérations militaires menées actuellement dans les zones kurdes de Syrie, ou pour la répression visant sa propre population. Des photos de l’invasion par l’armée turque de la province kurde d’Afrin depuis fin janvier montrent que des véhicules Cobra II ont été utilisés. Mais au lieu de périscopes avec des caméras thermosensibles, ils ont été équipés d’armes.

Le caractère problématique des financements européens ne se limite pas à la frontière turco-syrienne. Pour aider la Turquie à surveiller sa portion de frontière terrestre avec la Grèce, l’Union européenne a financé des véhicules militaires plus monstrueux encore que les Cobra II, selon l’enquête de l’EIC.

En mai 2017, Aselsan, une société détenue à 84 % par l’armée turque, a remporté un contrat à hauteur de 30 millions d’euros avec l’Union européenne pour fournir à la Turquie 50 véhicules pour patrouiller à la frontière grecque, dont 20 sont dotés d’un blindage extrêmement épais afin de protéger les véhicules des mines et grenades. Selon les documents européens consultés par l’EIC, ces engins sont des contributions de l’Europe à « la prévention de l’immigration illégale, du trafic humain, des crimes de passage des frontières [« cross-border crimes »], et du système des passeurs ».

L’un des industriels qui a étudié l’appel d’offres s’est retrouvé perplexe devant la disproportion apparente entre l’objectif affiché et les spécifications techniques de ces véhicules, « clairement exagérées » pour des engins censés être utilisés à la frontière de la Turquie avec l’Union européenne. Mais l’UE a été ferme : le blindage lourd est absolument requis, dit-elle dans sa réponse, sans en expliquer les raisons.

Le monstrueux véhicule militaire turc Hizir, dont 50 exemplaires ont été commandés par l'UE pour traquer les réfugiés à la frontière gréco-turque. © Katmerciler Le monstrueux véhicule militaire turc Hizir, dont 50 exemplaires ont été commandés par l’UE pour traquer les réfugiés à la frontière gréco-turque. © Katmerciler

On comprend que Bruxelles soit très discret sur la question. Aselsan, qui a remporté l’appel d’offres, ne fournira en réalité que l’équipement électronique. Selon l’enquête de l’EIC, les véhicules sont des Hizir, d’impressionnants engins de guerre (notre photo ci-dessus) fabriqués par Katmerciler, un industriel appartenant à un ancien député de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan. Le président turc est un grand fan de l’Hizir, dont il a dévoilé le prototype en novembre 2016 lors d’un salon militaire, six mois avant que l’UE n’en finance 50 exemplaires.

L’appel d’offres de Bruxelles stipulait pourtant que les véhicules devaient avoir été mis sur le marché depuis un an. Ce n’est pourtant pas le cas des Hizir, dont les premiers exemplaires sont récemment sortis de l’usine, et qui sont toujours en cours de test avant leur livraison prochaine à l’armée turque.

Lorsque, en 2016, l’Union européenne a promis à Erdogan 3 milliards d’euros en échange de son accord pour reprendre tous les réfugiés syriens arrivant sur les îles grecques, il était pourtant statué que cet argent serait uniquement utilisé pour aider à l’accueil des plus de 3,5 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie.

Or sur ces 3 milliards d’euros qui ont été collectés auprès des États membres de l’UE (la quote-part de la France dans ce programme s’élève à 309 millions d’euros), une partie a été utilisée pour financer six bateaux de patrouille à destination des gardes-côtes turcs. Lesquels, selon plusieurs ONG opérant dans ces zones maritimes, arrêtent agressivement les réfugiés tentant de quitter la Turquie, mettant parfois les embarcations de réfugiés en danger.

« Juste après que l’accord avec la Turquie a été mis en place, il était évident que les gardes-côtes turcs faisaient tout pour arrêter les gens qui traversaient la mer, explique Ruben Neugebauer, porte-parole de Sea-Watch, l’une de ces organisations. Il y a différentes tactiques. Parfois nous voyons des bateaux turcs naviguer autour des canots pneumatiques, provoquant des vagues, les mettant en danger de telle sorte que parfois les réfugiés décident de rentrer par eux-mêmes. Parfois, ils chassent les bateaux et frappent même les gens à coups de bâton afin de les faire repartir. »

En réponse à cette interpellation, les gardes-côtes turcs ont publié une déclaration disant qu’ils étaient mandatés pour arrêter les bateaux de réfugiés avant qu’ils ne pénètrent dans les eaux européennes. Les bâtons, expliquent-ils, sont utilisés pour tenter d’endommager les moteurs et les hélices de façon à attacher les petites embarcations aux plus gros bateaux des gardes-côtes pour les tirer vers les côtes turques.

Entre la Turquie et la Grèce, mars 2016. © Enough is Enough TV
Entre la Turquie et la Grèce, août 2017. © Epoca Libera

Mais ce n’est pas le seul cas d’abus présumé commis à bord de ces bateaux financés par l’argent européen. L’ONG Lighthouse Relief a publié une déclaration commune avec le UNHCR pour exprimer sa préoccupation au sujet d’un incident survenu en novembre dernier, assurant que les gardes-côtes turcs avaient tiré en l’air et dans la mer, ce qui a provoqué le saut dans l’eau de plusieurs réfugiés.

Ces six bateaux de patrouille ont été commandés à un constructeur naval néerlandais, Damen, pour la somme de 18 millions d’euros – une somme qui vient pour partie du fonds danois d’aide au développement. Ils ont été livrés aux gardes-côtes turcs l’année dernière. Le dernier a été livré juste avant Noël. D’après la société navale, ces bateaux peuvent transporter jusqu’à 120 réfugiés et migrants en mer.

Ces fournitures d’équipement pour le contrôle des frontières à la Turquie font partie d’une tendance croissante au sein de l’Union européenne : « L’UE utilise de plus en plus le principe de la pleine concurrence et externalise le contrôle frontalier à des pays tiers au lieu d’effectuer son propre contrôle, fait valoir le chercheur danois Thomas Gammeltoft-Hansen. Vous financez le contrôle des frontières, mais vous ne voulez pas être là vous-mêmes car vous risquez de mettre en jeu votre responsabilité en termes de droits humains. » Une stratégie qui rappelle étrangement ce qui se passe aujourd’hui entre l’Italie et la Libye.

Un porte-parole de la Commission européenne a répondu par écrit aux questions de l’EIC en affirmant que l’Union européenne suivait « attentivement » la situation à la frontière turco-syrienne et qu’elle était consciente de l’existence de violences à la frontière, « mais n’a pas été capable d’obtenir de confirmation indépendante par ses sources ou par les autorités turques ». Sollicités depuis une semaine, l’ambassade turque à Copenhague et le gouvernement turc à Ankara n’ont pas donné suite aux sollicitations de l’EIC.

Mercredi 14 mars, l’Union européenne a donné son feu vert pour le versement du deuxième volet de l’aide promise à la Turquie. Trois nouveaux milliards d’euros vont être versés à Ankara.

Source Mediapart

CR Réunion du collectif du 22 mars 2018

Réunion du collectif « Citoyens contre l’austérité en Grèce et en Europe » du 22/03/2018

Présents :, Béatrice, Liliane, Georges, Christophe, Bernard, Mattheos, Max

Excusés : Marie-Claude, Christine, Lucienne

– Soirée du lundi 6 mars 2018 à la MDA de Grenoble : Sur la route d’Exarcheia
Une bonne soirée, environ 70 personnes présentes, le film et les interventions d’Éloïse et de Nicolas ont été d’une façon générale appréciés. De petits problèmes techniques ont cependant un peu gêné la projection. La soirée a été aussi l’occasion de faire connaître la lutte des travailleurs de VIOME et de vendre leurs produits. Étaient exposés aussi les panneaux explicatifs du Cadtm sur la situation en Grèce et la vente des confitures d’Isabelle a permis de récolter un peu d’argent pour les dispensaires.

– Convoi solidaire d’Anepos de mai 2018
Christophe a décidé d’y participer avec un fourgon, il prendra en charge les frais occasionnés par ce voyage solidaire.
Des points de collecte seront organisés :
– le lundi 23 avril à partir de 19h avant la projection du film l’Amour et la Révolution à Villard-Bonnot
– le mercredi 25 avril de 17h à 19h devant le MIN (marché de gros) 117 rue des Alliés à Grenoble
– le mercredi 2 mai même heure, même endroit le tri aura lieu après
Les marchandises pourront être stockées dans le garage de Christophe situé pas très loin du MIN.
Béatrice aura des cartons de déménagement, peut-être faudra-t-il aussi des cartons plus petits.
Max apporte du scotch
Information tous azimuts à faire sur ce convoi.

– L’Amour et la Révolution (Non rien n’est fini en Grèce) le dernier film de Yannis Youlountas : projection le 23 avril à l’espace Aragon à Villard-Bonnot, le film sera suivi d’un débat en présence de Yannis. Un tract sera fait avec l’affiche du film au recto et l’appel à apporter des fournitures pour le convoi solidaire ce jour là. Max fera une proposition de tract.
Le samedi 21 avril de 15 à 17h, place Félix Poulat nous informerons (avec barnum) la population grenobloise sur le film et le convoi. Georges fait la demande auprès de la mairie.

VIOME : une nouvelle commande groupée à priori à l’automne, à confirmer lors d’une prochaine réunion.

– Discussion sur l’opportunité de faire un travail sur l’austérité, la dette, en Grèce en Europe, le rôle de l’Union européenne … et le populariser. Pas mal de choses ont déjà été faites sur le sujet, peut-être voir aussi du côté d’Attac et du Cadtm ?

– Prochaine réunion du collectif

Lundi 16 avril 2018 de 17h à 19h salle 112 de la Maison des associations de Grenoble

Communiqué de SOS Méditerranée

COMMUNIQUE « SOS MEDITERRANEE préoccupée face à une nouvelle étape franchie dans la criminalisation de l’aide humanitaire en mer, exprime sa solidarité envers les sauveteurs d’Open Arms. »

Because of the meteo, The aquarius stay in Catane. The crew use this time for training.

Suite à la saisie d’Open Arms, un seul navire d’ONG reste actif en mer

Les ONG de recherche et de sauvetage travaillent dans un environnement dans lequel les ressources sont de plus en plus rares et le contexte sécuritaire complexe, face à l’une des crises humanitaires les plus tragiques aux portes de l’Europe. Pendant des mois, SOS MEDITERRANEE a travaillé aux côtés de ProActiva dans la zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales au large des côtes libyennes. Tout l’hiver, Open Arms et l’Aquarius ont été les seuls navires d’ONG à mener des opérations de recherche et de sauvetage en mer en continu, combinant leurs ressources à de multiples reprises afin de sauver des vies sous la coordination du Centre de coordination des secours en mer de Rome (IMRCC). A la suite de la saisie du navire Open Arms dimanche 18 mars, SOS MEDITERRANEE affrète désormais le seul navire dédié à la recherche et au sauvetage à patrouiller dans la zone SAR, ce qui n’est clairement pas suffisant par rapport aux besoins.

Augmentation des bateaux en détresse interceptés et ramenés en Libye 

Au cours des derniers mois, l’Aquarius a été de plus en plus souvent témoin d’interceptions de bateaux en détresse par les garde-côtes libyens dans les eaux internationales. Les rescapés sur l’Aquarius ont témoigné à plusieurs reprises du fait que les interceptions par les garde-côtes libyens augmentaient les risques de naufrage et de noyade. De plus, ces interceptions séparent des familles et ramènent les naufragés dans « l’enfer libyen » qu’ils tentaient justement de fuir.

Les garde-côtes libyens n’appartiennent pas à un centre de coordination des opérations de sauvetage maritime et aucune zone libyenne de recherche et de sauvetage n’a jamais été légalement établie par l’Organisation maritime internationale (IMO). De plus, en Libye, aucun port ne peut être considéré comme un port sûr (port of safety) comme l’exige le droit maritime international pour débarquer les personnes secourues.

SOS MEDITERRANEE appelle les Etats européens à garantir des activités de sauvetage en mer transparentes, légales, sûres et renforcées 

Depuis le début de sa mission en mer, SOS MEDITERRANEE n’a cessé de renouveler son appel à l’Union européenne pour fournir des ressources spécifiquement consacrées à la recherche et au sauvetage dans la zone. En attendant, SOS MEDITERRANEE fait face à des opérations de plus en plus complexes dans un contexte où le professionnalisme, la sécurité et la sûreté sont d’une importance majeure. À plusieurs reprises au cours des dernières semaines, la confusion dans la coordination des sauvetages dans la zone SAR a sérieusement mis en péril la sécurité des personnes en détresse et des équipes de recherche et de sauvetage.

« La saisie d’Open Arms et les enquêtes criminelles lancées à l’encontre de ProActiva Open Arms constituent des développements très préoccupants pour les activités de sauvetage en Méditerranée centrale. SOS MEDITERRANEE, préoccupée face à une nouvelle étape franchie dans la criminalisation de l’aide humanitaire en mer, exprime sa solidarité envers les sauveteurs d’Open Arms. Aujourd’hui, l’Aquarius est le seul navire de sauvetage présent en Méditerranée centrale. Jusqu’à quand ? », a déclaré Francis VALLAT, président de SOS MEDITERRANEE France.
Photo : Yann LEVY / SOS MEDITERRANEE

http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/CP-Openarms-21-03-2017

Le désastre néolibéral de la protection sociale et sanitaire

Grèce 2018 : Le désastre néolibéral de la protection sociale et sanitaire par Emmanuel (Manolis) Kosadinos, Médecin franco-grec, syndicaliste.

La prétendue amélioration de la situation sociale et sanitaire en Grèce est une fiction du gouvernement grec, des institutions européennes et des médias dominants. La poursuite de l’application des recettes néolibérales mène à la faillite de l’État social et à la pérennisation de la précarité. Emmanuel Kosadinos nous dresse un bilan de la situation dans ce laboratoire européen du néolibéralime et incite, l’ensemble des pays européens, à en tirer les leçons.

Rappel historique des dernières années

Les 23 et 24 octobre 2017 s’est tenu à Paris le Colloque « Une protection sociale pour tous les peuples » organisé par la Fondation Gabriel Péri. Dans le contexte français, marqué par le débat sur le financement de la protection sociale et de la Santé, par l’écho déjà lointain des programmes électoraux, mais surtout par le spectre de contraction de la protection sociale solidaire, la présentation de la situation actuelle en Grèce, qualifiée de laboratoire européen du néolibéralisme, acquiert un intérêt particulier.

La protection sociale a été la cible de la Troïka (UE, FMI, BCE) dès l’imposition des mémorandums à la Grèce (2010), pour y appliquer les recettes néolibérales.

Au principe de solidarité sociale, exprimé par l’adage « de chacun-e selon ses moyens à chacun-e selon ses besoins », les néolibéraux opposent ceux d’un système inégalitaire de prestations, attribuées en fonction des cotisations versées par des assurés individuels, « de chacun-e selon sa capacité à cotiser à chacun-e selon sa contribution financière à la caisse d’assurance », garantissant seulement une protection minimale, permettant l’accès des individus au marché concurrentiel, désamorçant la contestation sociale.

Ainsi, les organismes de protection sociale devront présenter des bilans équilibrés, voire excédentaires. Le niveau des prestations (retraites, allocations, couverture santé) devra s’adapter à une loi comptable implacable et devenir fluctuant, aléatoire, tributaire de la situation du marché. La « redistribution » néolibérale se fait entre les assuré-e-s en exonérant les revenus du capital.

Par l’application de ces principes, les retraité-e-s grec-que-s ont perdu, entre 2010 et 2015, près de 30 % de leurs revenus ; l’âge de départ à la retraite est passé de 60 à 67 ans ; les allocations chômage ont baissé de 25 % (avec 90 % de chômeurs non indemnisés). Le restant à charge pour l’achat de médicaments a nettement augmenté ; de nombreux médicaments ont été déremboursés ; près de 30 % des citoyen-ne-s ont perdu leur couverture sanitaire. Les dépenses allouées aux hôpitaux publics ont baissé de 40 %.

En janvier 2015, le parti SYRIZA a gagné la majorité aux élections législatives sur la base d’un programme qui annonçait le renversement de l’austérité et le rétablissement des droits des salarié-e-s et de la protection sociale. Après 6 mois de négociations avec les créanciers et l’UE, et malgré la condamnation des politiques d’austérité par 61,3 % des élect-eur-rice-s grec-que-s lors du référendum de juillet 2015, les dirigeants du gouvernement grec ont signé un 3e mémorandum d’austérité ratifié en procédure accélérée par le Parlement, en août 2015. Ce virage politique des dirigeants de SYRIZA a produit la scission du parti et la démobilisation de la majorité de ses militants.

D’août 2015 à ce jour, de nouvelles mesures d’austérité sont imposées au peuple grec par le gouvernement de SYRIZA-ANEL.

Les retraites ont été davantage abaissées et l’âge de départ relevé. Les salaires minimaux et les allocations chômage gelés. L’imposition des foyers modestes a été intensifiée et le marché du travail dérégulé. Les saisies des résidences principales des foyers surendettés ont démarré malgré une résistance citoyenne large et déterminée.

La nouvelle réforme de la protection sociale a réitéré la baisse des prestations et la hausse des cotisations, par les « lois-guillotines » 4336/2015 et 4387/2016. Mentionnons aussi la privatisation des infrastructures du pays et la vente scandaleuse des banques grecques à un prix dérisoire.

La faible reprise de la croissance et la baisse du chômage, affichées aujourd’hui par le gouvernement comme des réussites, sont à prendre avec des pincettes, car obtenues par la précarisation de 60 % des salarié-e-s et par des artifices de recensement.

La cagnotte percée des organismes grecs d’assurance sociale

La « solvabilité » du système grec d’assurance sociale a toujours été à l’ordre du jour des gouvernements grecs successifs. Depuis 2010, il fait aussi l’objet d’injonctions de la part des « institutions » (UE, BCE, FMI) de la Troïka. Mais, ce qui menace le système des assurances sociales n’est pas la générosité des politiques sociales en Grèce, une fiction de Droite, mais le néolibéralisme et le pillage des réserves des caisses par les gouvernements. Ce pillage, à l’œuvre depuis les années 1950, c’est amplifié à l’époque de la Troïka et des mémorandums.

En allégeant l’imposition et les cotisations du patronat, en réduisant ainsi les recettes sociales, en prélevant sur les réserves des caisses d’assurances (retraites, santé, chômage) pour les allouer aux besoins du gouvernement, notamment au remboursement de la dette publique, les derniers gouvernements grecs néolibéraux, de Droite ou « de Gauche », poussent inexorablement le système d’assurance sociale vers la faillite. Le point culminant du pillage organisé fut le « PSI » (Private Sector Involvment), manœuvre comptable organisée conjointement par le gouvernement grec et la Troïka, en 2012, dans le but de réduire nominalement la dette de l’État grec. Lors de cette opération, les réserves des caisses d’assurance, converties en titres de dette d’État, ont été dévaluées de 50 %, selon la règle appliquée aux titres détenus par les créanciers privés. Avant cela, sous un gouvernement de Droite, l’implication des caisses dans des activités de spéculation financière avait occasionné d’importantes pertes et le soupçon légitime de corruption du monde politique.

Compte tenu de ces antécédents, les projets gouvernementaux pour la constitution d’un Fonds de sécurité des assurances sociales, d’une « tirelire » censée suppléer aux caisses en déficit, suscitent la méfiance et la crainte d’un renforcement du virage austéritaire du gouvernement SYRIZA, d’autant plus que le financement de cette « tirelire » reste sujet flou. Une proposition pour son financement par des recettes issues des privatisations a été sèchement refusée par les créanciers. Ce Fonds, sous l’acronyme AKAGE, mis en place en 2008 par le gouvernement de Droite de Karamanlis, a déjà subi une ponction par la loi 4335/2015 du gouvernement SYRIZA. Ses seules recettes réelles proviendraient de la TVA et elles ne pourraient être supérieures à 3 milliards sur un horizon de plusieurs années, alors que les pertes des caisses résultant du PSI en 2012 sont de 14 à 20 milliards d’euros.

Le projet du gouvernement SYRIZA, repris à ses prédécesseurs, d’indexer l’augmentation des retraites sur la croissance, ne garantit pas la viabilité du système, mais surtout n’apporte aucun soulagement aux retraité-e-s grec-que-s. Leurs revenus ont subi ces dernières années une diminution moyenne de 30 % et il faudrait des décennies pour que cette perte soit compensée par les revalorisations promises.

Les péripéties du système grec d’assurance sociale démontrent que ni le mode de financement ni le mode de gestion des caisses d’assurance ne sont des conditions suffisantes pour garantir la pérennité et le caractère redistributif d’un système de protection sociale.

Il faut que la part de richesses allouées à la protection sociale, notamment celles créées par la cotisation, bénéficie de protections strictes inscrites dans la Constitution. Cette discussion est de grande actualité, notamment en France, où le débat autour du financement de la Sécurité sociale et du PLFSS est au cœur des luttes sociales et politiques.

Budget social au rabais

Le budget social 2018, déposé le 21 octobre 2017 par la majorité SYRIZA au Parlement grec s’inscrit dans le sillage de toutes les précédentes contre-réformes.

Il diminue davantage les retraites et augmente l’âge de départ, réduit à néant l’Allocation de Solidarité aux Retraités (EKAS), diminue les prestations sociales et augmente les cotisations des salarié-e-s et retraité-e-s.

Le financement public alloué aux caisses d’assurance, à l’Organisme national d’Offre de Services de Santé (EOPYY) et aux hôpitaux est encore diminué de 638 millions pour 2018. Les transferts budgétaires de l’État vers les caisses, EOPYY, les hôpitaux et l’Organisme pour l’Emploi (OAED) passent de 17,911 milliards d’euros à 17,273 milliards d’euros (- 3,56 %).

En même temps, le « budget social » affiche un excédent de 1,929 milliards d’euros, contre 1,560 milliards l’année 2017, c’est-à-dire 369 millions supplémentaires à faire payer aux salarié-e-s et retraité-e-s en cotisations et diminutions du remboursement des soins.

Rappelons que déjà dans le budget 2017, la réduction des retraites et autres prestations sociales avait dépassé de 1,076 milliard celle prévue par le mémorandum.

Selon le budget (anti)social 2018, l’Organisme grec pour l’emploi (OAED) devrait afficher des excédents budgétaires de 586 millions. Ceci est choquant compte tenu du fait que seuls 10 % des chômeurs sont indemnisés et que les allocations chômage stagnent depuis 2012, année où elles avaient été bien diminuées.

En revanche, l’austérité du budget social ne touche pas les entreprises qui verront leurs subventions augmentées, 450 millions d’euros contre 350 en 2017, pour inciter à l’embauche selon la vieille recette néolibérale, prouvée inefficace partout, notamment en France.

La Santé des Grecs en danger…

Malgré les déclarations du gouvernement grec d’une amélioration, depuis trois ans, de la situation sanitaire du pays, et malgré l’autorisation légale d’accès aux soins aux personnes non assurées, de sérieux problèmes persistent et risquent de s’aggraver.

De nouvelles coupes du financement de la Santé publique sont inscrites dans le budget de l’État. Le financement d’EOPYY par l’État, déjà réduit en 2017 de 200 millions (- 38 %) par rapport à 2016, sera encore réduit, en 2018, de 214 millions d’euros.

En raison de l’augmentation des cotisations santé imposée aux retraité-e-s, il est prévu qu’EOPYY présente un excédent de 333 millions en 2018. Le financement de cet Organisme par l’État (100 millions seulement) sera utilisé « pour les soins de santé des citoyens non assurés ». Cette dépense indispensable sera donc financée majoritairement par les cotisations des salarié-e-s et retraité-e-s, la subvention de l’État n’étant que subsidiaire. En 2017, les cotisations représentaient 82,3 % du budget d’EOPYY, contre 79,2 % en 2016, une diminution nette de la part de l’État au financement de la Santé. Cette politique, dans la continuité des gouvernements précédents, vise des excédents pour les caisses d’assurance, que l’opposition populaire qualifie d’ensanglantés.

Le budget des hôpitaux publics et du Réseau de Soins primaires (PEDY) diminue encore de 363 millions en 2018. Cette coupe se rajoute à celle de – 22,8 % en 2015, maintenue en 2016, et de 7 millions en 2017.

L’autorisation d’accès aux soins aux personnes non assurées est une avancée importante dans la direction d’une politique humaniste de Santé. Il faudrait cependant rappeler le retard de neuf mois de sa mise en application, contrairement aux mesures du mémorandum mises en place par procédures express. L’accès ne concerne pas l’achat de médicaments en pharmacie ni les personnes sans documents administratifs. Pour que ce droit soit effectif et pérenne, il faudrait qu’EOPYY dispose de crédits en mesure, ce qui n’est pas le cas. Des pénuries se font sentir même dans les hôpitaux universitaires (Attiko, Laïko) lorsqu’il s’agit de traitements pour les pathologies lourdes.

Autre projet phare du gouvernement SYRIZA, la réforme des Soins primaires de santé a bien mal démarré, à cause du caractère non pérenne de son financement et de la précarité des contrats qui sont proposés aux soignants. C’est une précarité qui s’étend d’ailleurs dans toute la fonction publique : près de 20 % dans le système de santé, et de 50 % dans l’éducation. Avec des conséquences évidentes pour la qualité et la continuité des services…

Nous n’avons pas de données officielles sur la répercussion de cette situation pour les trois dernières années : mortalité et morbidité somatique et psychique, taux de suicide, rapport patients/soignants. Mais, selon le Dispensaire Social d’Elliniko, la mortalité des nourrissons serait passée entre 2015 et 2016 de 4 à 4,2/1000.

La situation sanitaire actuelle en Grèce appelle toujours à la solidarité citoyenne, Grecque et internationale, pour alléger les souffrances des plus démunis. Nous sommes loin d’une normalité. Les décès et infirmités des personnes n’ayant pu accéder aux soins dont ils ont eu besoin sont une accusation adressée à ceux qui imposent les politiques néolibérales (l’Union européenne et les instances créancières) et à ceux qui les exécutent (les gouvernements grecs).

vidéo de l’intervention de Manolis Kosadinos http://silogora.org/wp-content/uploads/2018/03/E.Kosadinos.mp4?_=1

 
 
 

 

Maraude dans le Briançonnais : Résistance

Et pourtant c’est bien en France

Samedi 10/03/18, Montgenèvre (dans le briançonnais) aux alentour 21h.

Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver.

Au pied de l’obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux  enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête.

Nous sommes 2 maraudeurs à les trouver, à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre. Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’ emmener au plus vite à l’hôpital.

Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4 km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là…c’est l’urgence. J’ accélère à tout berzingue. C’est la panique à bord.
Lancé à 90km/h, j’ arrive à l’entrée de Briançon…et là, barrage de douane. Il est 22h. « Bon sang, c’est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez nous vos papiers ? Ou est ce que vous avez trouvé ces migrants? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »…

Un truc devenu habituel dans le briançonnais.  Je le presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus ! Une douanière me lance tout d’abord « comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ?» puis elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquence je suis incapable de juger l’urgence ou non de la situation. Cela m’exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d’évaluer une situation d’urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d’une heure à arriver. On est à 500 mètres de l’hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent  sur la banquette arrière. J’en peux plus. Un situation absurde de plus.

Il est 23h passés, les pompiers sont là…ils emmènent après plus d’une heure de supplice la maman à l’hosto. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variés, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre.

C’est à ce moment-là qu’on m’explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs.
Le père et les deux petits sont quant à eux expulsés vers l’Italie. Pendant ce temps-là , le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C’est un petit garçon, naît par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l’hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunit. La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexe et confirme l’incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières. Quand à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder…toutes les nuits.
Signé : Un maraudeur en infraction.

Résister La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Résister

Au pays grec le soleil revient. Printemps. Fánis, depuis son café dans le Péloponnèse, il commente à sa manière la dernière décision de la Justice, annoncée très tard dans la nuit du 10 au 11 mars… au sujet d’un match de football entre l’Olympique du Pirée et le PAOK de Thessalonique, match qui ne s’était jamais achevé pour cause d’affrontements entre supporteurs. “Ils ont donné raison à PAOK car c’est l’équipe de Savvídis, l’homme fort des Russes. La Grèce est fichue, c’est le foutoir, quel gouvernement ? On en rigole même jusqu’en Afrique…”.

Dimanche de la Croix au Café. Péloponnèse, 11 mars 2018

Fánis s’est également rappelé de la fête du jour, et il a aussitôt allumé le poste de télévision de son bistrot pour le brancher sur la messe diffusée en direct depuis la deuxième chaîne publique de l’ERT. Car cette si belle journée du 11 mars, marque également le troisième dimanche du Carême, consacré comme on sait à la Croix. Et il est de tradition que de vénérer la Croix au milieu du Carême, tandis qu’en Occident chrétien, cette même messe intervient au 4ème dimanche au lieu du 3ème en Orient.

“Nécrosés par nos passions, nous avons besoin de ce soutien essentiel de la Sainte Croix pour aller jusqu’au bout du Carême, et autant parfaire notre purification. Et ce n’est pas dans la douleur mais dans la joie et dans la victoire que nous célébrons alors notre Sainte Croix qui vient ainsi nous soutenir en ce moment précis”, entend-on depuis le poste de la télévision.

Marché aux puces. Athènes, mars 2018

En Orient, cette tradition trouve son origine historique très loin, qui, comme tous les offices particuliers du Carême, n’a pas forcément de rapport avec le Carême: on commémorait, d’après une version des faits, le transfert au 6ème siècle, à Constantinople depuis Apamée en Syrie d’une importante relique issue de la Sainte Croix. Apamée, actuellement Qal`at al-Madhīq, est un site archéologique situé près de l’Oronte, à 55 km au nord-ouest de Hama.

Fánis et ses clients ignorent peut-être l’origine théologique et historique des faits ainsi que le sort d’Apamée l’Antique, sauf que la culture grecque et Orthodoxe y est toujours présente dans les esprits… en plus, diffusée comme elle est en direct sur la deuxième chaîne publique de l’ERT, entre deux coupes de café et un match de foot où il y a forcément à redire. Pays réel !

Printemps grec. Athènes, mars 2018
Printemps grec. Touristes à Athènes, mars 2018
On scrute les nouvelles. Athènes, mars 2018

Fánis enfin, ne doit plus tellement se rappeler du grand Philosophe stoïcien grec, Posidonios d’Apamée au 1er siècle av. J.-C., resté fidèle au principe fondamental du stoïcisme: seule la vertu est un bien. Célèbre philosophe dont la grandeur réside autant dans son savoir encyclopédique et dans les vastes enquêtes ethnologiques, géographiques et historiques qu’il a entreprises: études sur l’océan, sur les météores, sur la grandeur du Soleil ; rédaction de l’Histoire de Pompée, continuation de l’Histoire de Polybe. Vieilles histoires peut-être.

En notre temps, au pays des… Crisanthropes le soleil revient et le Printemps avec. Les touristes visitent l’Agora grecque et romaine, tandis que les Grecs scrutent les journaux. Car les événements comme on sait se succèdent. D’abord, quelques heures seulement après la décision de Justice au sujet de l’équipe de PAOK, la nouvelle est tombée, celle de l’interruption du match du soir lorsque le même Ivan Savvídis, Président de l’équipe de PAOK de Thessalonique a pénétré… très visiblement armée sur la pelouse du stade… pour protester devant une décision de l’arbitre. Le match a été aussitôt suspendu jusqu’à nouvel ordre, et le lendemain, c’est tout le championnat grec qui est interrompu, suite à une décision gouvernementale qui fait ainsi la ‘Une’ de toute la presse.

Ce dernier épisode… athlétique grec est alors déjà commenté jusque dans les colonnes de la presse internationale: “Le choc du championnat grec entre le PAOK Salonique et l’AEK Athènes s’est conclu dans le chaos dimanche 11 mars, les joueurs de l’AEK refusant de terminer la rencontre après l’envahissement du terrain par des dirigeants du PAOK, dont le président qui portait à la ceinture ce qui ressemble à un pistolet, selon des photos de l’Agence France-Presse”, peut-on lire par exemple sur le site du quotidien “Le Monde”.

L’affaire Savvídis. Medias internationaux, le 12 mars 2018
Savvídis et son… pistolet. Quotidien “Le Monde”, le 12 mars 2018

Depuis ces faits avérés, Ivan Savvídis est recherché, et il restera introuvable, le temps que le la procédure de flagrant délit ne s’appliquera plus. Les Grecs scrutent donc leurs les journaux et cette dernière affaire du ballon supposé rond, aura pourtant et très largement effacé de l’actualité cette autre nouvelle du rassemblement de la veille, lequel avait été organisé à Orestiada, ville située près de la frontière avec la Turquie, rassemblement en soutien aux deux militaires grecs incarcérés en Turquie.

Car il serait désormais évident, que les deux militaires grecs incarcérés en Turquie depuis déjà près de deux semaines, ils auraient été en toute évidence capturés par l’armée turque, et plus précisément par la gendarmerie, considérée comme un corps de Prétoriens du régime d’Erdogan, sans peut-être avoir pénétré en territoire turc. Les reportages dans la presse grecque de ce dernier temps deviennent de plus en plus précis, et c’est dans le cadre de l’enquête en cours qu’une équipe de militaires des États-Unis se sont rendus sur place sur la frontière, reportage de la presse grecque à l’instar du journal “Ethnos” du 11 mars. En tout cas, une telle mise en scène relève, comme autant elle révèle de la planification géopolitique côté turc, c’est évident.

Rassemblement à Orestiada le 11 mars, presse grecque

En somme, nous nous trouvons déjà dans une forme et de culture de guerre, et cette dernière affaire rappelle d’ailleurs d’autres précédents historiques, lorsque par exemple l’Allemagne d’Hitler fabriquait des “incidents” sur ses frontières avant de prétexter la “nécessité absolue et justifiée” de son agressivité qui en découlait. On dirait même, que cette capture des militaires grecs participe à la guerre asymétrique et psychologique que la Turquie d’Erdogan mène, il faut dire, de manière bien habile contre la Grèce… “cinquième colonne comprise”, aux dires de Fánis et des clients de son bistrot qui commentent décidément tout !

Cinquième colonne ou pas, ces derniers jours, nous avons vu apparaître dans Athènes certains tracts au message… clair: “Mort à la Grèce, pour que nous, nous puissions vivre, au Diable la famille et au Diable la Patrie”. Et dans un… nouvel ordre d’idées, en somme proches, on y découvre sur ce mêmes murs d’Athènes, cet autre message inévitablement méta-moderne… à propos de l’usage de notre “corps notre choix”.

Il y a même lieu de remarquer que le message en question se combine en six langues, sauf qu’il fait totalement et visiblement volontairement l’impasse sur la… langue du pays. Pourtant à Athènes on parle… encore le grec ! C’est bien connu, la mondialisation c’est l’amour des autres patries, tout comme l’adulation de toute altérité réelle ou supposée telle, et en même temps, la haine, ou sinon le rejet de l’identité.

Dans un tel monde… on disposerait peut-être de notre corps… ainsi notre seul et ultime choix, mais certainement pas de notre pays, ni de notre régime politique, et encore moins des droits et des devoirs. Et tous ces “libres corps” du lendemain des humains, découvriront peut-être un jour, qu’ils ne seront même plus jugés indispensables pour demeurer vivants, ni pour produire et encore moins pour consommer, le tout, et j’espère me tromper, face à un métanthropisme galopant comme autant face à son “humanité” augmentée… réservée aux “élus”.

“Mort à la Grèce…” Athènes, mars 2018
Le choix… du corps. Athènes, mars 2018
Le… choix du corps. Paris, février 2018
Le même choix du corps… déchiré. Paris février 2018

Incidemment, toute cette dichotomie et comme par hasard, elle laisse la porte ouverte aux tenants du discours diamétralement opposé, lequel incite à n’accepter en l’adulant que tout ce qui relève de sa propre identité, haïssant toutes les autres. Le système tient et tiendra ainsi bon lorsqu’il suggère qu’entre le nihilisme apatride et celui des néonazis, aucune autre position n’est alors possible. Pauvres peuples, et ainsi futur unique des… fortunés.

Les frontières ne seraient donc plus, ni pour les marchandises, ni pour les flux financiers, ni entre les êtres, les cultures, les sexes, voire même entre les espèces. Une affiche publicitaire, pédophile et zoophile à la fois, ainsi aperçue car d’abord autorisée à figurer dans les couloirs du métro parisien, a tout de même heurté le bon sens, et autant cette… mesure qui pour certains philosophes, anciens comme contemporains, c’est la meilleure des choses.

L’hybris et la démesure visiblement dominent de Paris à Athènes, sauf que le sentiment identitaire par exemple celui des Grecs est toujours tangible, représentant en réalité plus du 80% de la population à travers les mentalités, en dépit des cercles des marionnettes qui gouvernent comme de leur magma athénocentrique en somme concis. Pauvres philosophes, entre autres d’Apamée. Car aussi par les temps qui courent, et à vol d’oiseau, rappelons qu’entre Apamée et Athènes il y a moins de 1.200 km, tandis qu’entre Athènes et Paris il y a le double de distance.

Héraclite. Athènes, mars 2018
Bientôt nouveau bistrot. Athènes, mars 2018
Immeuble à vendre. Athènes, mars 2018

Sous le soleil alors, c’est à Athènes que l’œuvre d’Héraclite est en ce moment revisitée à travers un spectacle du même nom. Au même moment, la déferlante des plateformes dites communautaires payantes de location et de réservation de logements, conjuguée à huit années de Troïkanisme réellement existant, bouleversent de manière violente la situation de l’immobilier sur place. Car jamais autant de biens immobiliers n’avaient ainsi changé de mains à Athènes… depuis la précédente Occupation allemande, celle des années 1940.

Des… investisseurs petits, moyens et grands, surtout étrangers, achètent dans Athènes parfois par lots de cent appartements, et en même temps, la Troïka élargie a insisté pour que les saisies des biens des Grecs puissent se concrétiser de manière électronique et automatique. Dans le même ordre d’idées, le “gouvernement” des Tsiprosaures annonce ainsi plus d’un million de saisies de biens immobiliers et autres, rien que pour 2018.

Il faut dire qu’a propos des dernières liquidations et ventes aux enchères après saisie de biens immobiliers, encore effectuées de manière “physique”, c’est-à-dire en salle d’audience, le Syndicat des Officiers de la Police vient de lancer une attaque inhabituelle car très violente, vis-à-vis du gouvernement. Son communiqué avait été motivé par le fait que de nombreux policiers avaient été blessés lors des ventes aux enchères de ce type, surtout à Athènes devenant ainsi la cible visible et facile pour les citoyens concernés et paupérisés.

Les policiers y concluent même de la manière suivante: “Puisqu’ils ne nous respectent pas, le temps est arrivé où il va falloir nous craindre. Car au fait, ce sont bien les politiques mémorandaires qui se dissimulent derrière nos propres boucliers, et voilà que nous ne voulons plus défendre de tels procédures, lesquelles conduisent à la spoliation des biens des citoyens (…) Nous avertissons les politiques que ce mouvement au sein de la Police, au demeurant massif, annulera de fait cette attitude qui consiste à faire peser les effets de la responsabilité de telles politiques sur nos seules épaules, et enfin une fois de plus, nous rappelons que nous sommes non seulement considérés tels, mais nous faisons partie intégrante de la société réelle”, le reportage est du quotidien “Kathimeriní” du 12 mars 2018.

Au sujet de la Troïka. Athènes, mars 2018
Défaitisme imposé. Athènes, mars 2018

En attendant les prochaines ventes ou saisies dans l’immobilier athénien, la bistroïsation du centre-ville se poursuit, car comme prévu… il y a à boire et à manger mais certainement pas pour tout le monde.

De la défaite de la société et des droits notamment des travailleurs, à celle du pays il n’y aurait qu’un pas, ainsi, devant un certain défaitisme savamment imposé par les médias, Fánis se dit par exemple prêt à fermer définitivement son établissement, lequel ne se trouve d’ailleurs pas dans le grand Athènes. “Mon bistrot tourne plutôt bien, sauf que plus du 75% de mon chiffre d’affaires part en impôts et en cotisations. Je n’ai plus envie de continuer ainsi, en encore moins d’engraisser la clique des politiciens et de leur clientèle, à qui les miettes sont comme on sait distribuées… Carême ou pas d’ailleurs”.

Fánis retrouve désormais alors souvent son ancien métier, dans la mécanique à bord de navires de la marine marchande. Ses deux fils y travaillent d’ailleurs, ils sont respectivement capitaine et second, et comme les liens professionnels sont évidents, Fánis préfère travailler par intermittence et surtout d’être rémunéré comme il dit bien et “de manière nette”, plutôt que “de servir la caste des profiteurs”. Ceux, habitants du pays réel recherchent et parfois finissent par trouver, ces solutions de survie comme autant de rejet, sauf que ce n’est guère possible pour tout le monde.

Dans les vieux cafés. Athènes, mars 2018
Dans les épiceries. Athènes, mars 2018
Animal adespote mais nourri. Athènes, mars 2018

Dans les authentiques vieux cafés, on scrute ainsi parfois le néant, tout comme on peut refaire ce monde défait, entre patrons et employés aux épiceries athéniennes alors plus fines que jamais. Jamais un effondrement possible, exogène comme endogène n’a été autant évoqué qu’en ce moment, et elle est bien loin cette situation de l’été 2015 où certains mensonges de Tsipras pouvaient encore être prononcés publiquement.

Les clients au bistrot de Fánis, se disent aussi que craignant le pire, ou peut-être parce que déjà bien informé par l’Ambassade des États-Unis, Koulis Mitsotakis, chef à la si vieillarde Nouvelle Démocratie, se tient très visiblement à l’écart de l’actualité, on dirait qu’il ne presse guère trop pour arriver aux “affaires” en ce moment.

De la sardine. Athènes, mars 2018
Boisson chaude à base d’orchidée. Athènes, mars 2018
Animal adespote. Athènes, mars 2018

Entre Orient et Occident, on vend parfois à Athènes de ce breuvage chaud à base d’orchidée, le Salep, comme d’ailleurs on le vend autant en Turquie, et ailleurs en Orient finalement proche. Les Athéniens iront autant acheter leurs sardines abordables, comme ils vont nourrir si possible “leurs” animaux adespotes, sans maître, car peut-être au pays grec, le soleil revient toujours paraît-il.

Dans le même ordre d’idées et de pratiques, résister, c’est autant chanter et danser, et les Grecs, à l’instar de bien d’autres peuples, ils ont de la sorte pratiqué durant ces autres années de guerre entre 1940 et 1949, guerre civile comprise, et ils ne sont pas prêts à y renoncer en ce moment pour cause de Troïka, de mondialisation ou encore parce que la géopolitique environnante redevient-elle alors menaçante.

Pendant qu’à Thessalonique le match s’interrompait, dans une autre taverne que le bistrot de Fánis, ceux du Péloponnèse et d’Athènes réunis faisaient la fête, troisième dimanche du Carême d’ailleurs ou pas.

Il est également à noter que les jeunes par exemple n’ont pas perdu le sens de la tradition musicale du pays. Tout n’est donc pas perdu car les Grecs chantent, dansent et en rient même de la mort comme du destin, si l’on croit par exemple les paroles du chant traditionnel et populaire.

Musique traditionnelle et populaire. Péloponnèse, mars 2018
Mets de Carême. Péloponnèse, mars 2018
Péloponnèse, mars 2018

Le Carême sera certes long, et la Résurrection peut-être éphémère. Fánis, depuis son café du Péloponnèse, ou même depuis les entrailles d’un pétrolier amarré dans un port du Japon, interprètera encore et toujours à sa manière les nouvelles du pays.

Printemps grec dans toute sa plénitude, car Manólis, entrepreneur qui résiste à la fermeture de son entreprise était même monté sur une table de la taverne pour danser. Victime d’un accident vasculaire cérébral durant l’été 2017, il est “revenu du silence et de Charon”, comme il le dit lui-même.

Animal adespote. Athènes, mars 2018
En pilaf et en 2018
Pilaf… social. Athènes, mars 2018

Fánis, Manólis et leurs clients respectifs, ignorent peut-être encore, l’origine théologique et historique des faits liés au transfert à Constantinople au 6ème siècle ainsi que le sort d’Apamée l’Antique, mais ils n’ignorent plus tellement, cette plasticité… holistique de l’Hybris actuelle.

Ainsi en Grèce, la musique traditionnelle et populaire n’est pas morte, la danse non plus. Après tout, seule la vertu est un bien.

Au pays réel grec le soleil revient. Printemps. Chez Greek Crisis, Hermès, dit le Trismégiste, grandit et il danse aussi à sa manière. Continuation peut-être de l’Histoire de Polybe et autres vieilles légendes.

Hermès de Greek Crisis. Athènes, mars 2018

* Photo de couverture: Résister. Péloponnèse, mars 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

E.Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 7e partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

La première capitulation de Varoufakis-Tsipras fin février 2015

Partie 7 14 mars par Eric Toussaint

« J’ai signé le courrier et je l’ai envoyé aux créanciers, passablement écœuré.
C’était un fruit des ténèbres, et je reconnais qu’il m’appartient.
 »
— Varoufakis

Avertissement : La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances [1]. En contrepoint du récit de Varoufakis, j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Lire les précédents articles de la série :

1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

6. Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

Du 21 au 24 février 2015 à Athènes : Varoufakis boit le calice jusqu’à la lie

Varoufakis rend compte des réactions contradictoires que suscite la signature de l’accord funeste du 20 février 2015 avec l’Eurogroupe : Jeffrey Sachs le félicite tandis qu’il est durement critiqué par Manólis Glézos, flambeau de la Résistance et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, ainsi que par le célèbre compositeur Míkis Theodorákis, deux héros de son enfance pour reprendre ses termes [2]. Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’est excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015 [3].

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Manolis Glezos

Varoufakis explique qu’à partir du 21 février, il s’attelle à rédiger les propositions de réformes à « intégrer au MoU » et à soumettre à l’Eurogroupe le 23 février. Varoufakis n’hésite donc pas à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’essayer d’amender le mémorandum en cours, alors qu’à l’époque, Tsipras et lui déclaraient à la population qu’il s’agissait d’un nouvel accord « transitoire » en soutenant que la Grèce s’était libérée de la prison du mémorandum et de la Troïka, rebaptisée « les institutions ».

Varoufakis écrit : « Le lundi soir, le texte serait envoyé à Christine Lagarde, Mario Draghi et Pierre Moscovici qui auraient la matinée du lendemain pour l’examiner avant la téléconférence de l’Eurogroupe du mardi après-midi. Ils seraient trois à évaluer les mesures avant de donner leur feu vert ou leur veto, sans que les ministres aient leur mot à dire » (p. 283). À l’époque, Varoufakis affirmait haut et fort en public que la Troïka n’existait plus et que la Grèce avait retrouvé la liberté. Pourtant il reconnaît ici-même qu’il a accepté de soumettre à Lagarde (FMI), Draghi (BCE) et Moscovici (Commission européenne) les propositions que le gouvernement grec comptait envoyer ensuite officiellement à l’Eurogroupe.

Dans l’intention de l’insérer dans le 2e mémorandum (MoU) remanié, Varoufakis rédige un texte sur les réponses à apporter à la crise humanitaire, qui n’était pourtant pas mentionnée dans le communiqué du 20 février 2015 puisque la Troïka refuse qu’on parle de crise humanitaire en Grèce. Ces propositions de Varoufakis seront rejetées deux jours plus tard. Ensuite, il s’est attelé à enlever du mémorandum en cours des éléments qui portaient atteinte aux droits fondamentaux. « En échange, j’ai conservé telles quelles de nombreuses « mesures antérieures » du MoU. Certaines étaient atroces, d’autres mauvaises, quelques-unes bonnes. C’était ce qu’on appelle un compromis » (p. 284).

Varoufakis avait demandé à George Chouliarakis, le Président du Conseil des économistes, homme de confiance du vice-premier ministre Dragasakis, de rester à Bruxelles après le 20 février en lui confiant la tâche de préparer avec la Commission européenne le travail à soumettre à la Troïka pour le 23 février.

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George Chouraliakis avec en arrière plan Euclide Tsakalotos

Le dimanche 22 février, Chouliarakis est de retour à Athènes et Varoufakis lui demande si le texte qu’il a envoyé la veille à Bruxelles convenait à Declan Costello [représentant de la Commission au sein de la Troika en Grèce depuis mai 2014], chargé par la Commission de suivre l’application de l’accord du 20 février.

Chouliarakis lui répond que Costello a réagi positivement au projet de Varoufakis, mais qu’il faut le reformuler afin que cela corresponde au style de la Troïka. Varoufakis accepte et Chouliarakis revient quelques heures plus tard avec le document retravaillé. Varoufakis n’apprécie pas le texte et écrit : « Le style était clairement celui de la troïka, en revanche mes ajouts étaient soit absents soit très édulcorés » (p. 284). Ils modifient le document ensemble et l’envoient le dimanche à 21 heures à Costello pour approbation.

Costello refuse deux éléments précis du texte. Il rejette l’idée d’un moratoire sur la saisie des résidences principales pour les foyers incapables de payer les dettes hypothécaires. Varoufakis accepte de supprimer ce « moratoire ». Costello refuse aussi que Varoufakis annonce la création d’une banque publique de développement. Varoufakis y consent. Il écrit : « Nouvelle concession de ma part, mais je me suis promis d’y revenir à partir du mois d’avril suivant » (p. 286).

Le lundi 23 février en matinée, Varoufakis consulte le cabinet de guerre et Lafazanis, ministre de la reconstruction. « L’opposition la plus virulente venait de la Plateforme de gauche. Les négociations avec nos bailleurs de fonds étaient biaisées, disaient-ils, et la reformulation de ma liste dans le style de la Troïka était proche de la trahison » (p. 286).

Finalement, après avoir de nouveau consulté par courrier électronique les représentants de la Troïka et avoir obtenu leur feu vert, Varoufakis envoie officiellement, un peu après minuit, la liste qu’il s’était engagé à soumettre à l’Eurogroupe avant la moitié de la nuit [4].

Dès le mardi matin 24 février, les médias ont affirmé que le retard était la preuve que Varoufakis était incompétent. Varoufakis commente : « Une accusation à laquelle je ne pouvais pas répondre sans dire que j’avais secrètement négocié avec les créanciers avant de soumettre officiellement ma liste » (p. 286).

Le pire était à venir : quelques heures plus tard, la presse grecque révélait le contenu du document envoyé par Varoufakis à l’Eurogroupe et annonçait que ce document avait été écrit par Declan Costello de la Commission européenne, ce qui était largement vrai. Comme le reconnaît Varoufakis : « Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai pris mon ordinateur portable, ouvert ma liste de réformes, cliqué sur « Dossier », puis sur « Propriétés », et j’ai vu qu’à côté d’« Auteur » apparaissait « Costello Declan (ECFIN) [Affaires économiques et financières] », et juste en dessous, après « Entreprise », deux mots couronnant mon humiliation : « Commission européenne » » (p. 287). [5]

Varoufakis poursuit son récit et dit que toute honte bue, il se rend à la réunion du Conseil des Ministres. Il affirme qu’après deux heures de discussion, il a obtenu le feu vert des ministres pour poursuivre les négociations sur la base du texte qu’il avait envoyé la veille à l’Eurogroupe. Varoufakis ne donne aucun détail sur la discussion qui a eu lieu lors de cette réunion ni sur les personnes qui étaient présentes.

Heureusement, d’autres sources sont disponibles pour se faire une idée correcte des discussions qui ont eu lieu lors de ce Conseil des Ministres restreint. Voici un extrait d’un article rédigé par une journaliste bien informée du quotidien grec Kathimerini : « Dans les sommets gouvernementaux, les frictions internes se sont exprimées lors de la réunion du Conseil Gouvernemental d’hier, où le ministre de la Reconstruction productive, de l’environnement et de l’énergie, Panagiotis Lafazanis, a exprimé de fortes réserves à l’égard des engagements pris par le gouvernement avec une liste des réformes envoyées aux partenaires et a demandé des clarifications, principalement au sujet des privatisations, qui concernant son ministère, mais aussi en référence à l’engagement pris de poursuivre l’harmonisation du marché de l’électricité et du gaz naturel avec les normes du marché et la législation de l’UE. Mme Nadia Valavani [6] a soulevé la question de la mise en œuvre rapide du règlement des arriérés de dette. De la part d’autres ministres, cependant, on percevait des murmures de désapprobation quant au fait qu’ils n’avaient pas vu le texte dans sa forme finale avant qu’il ne soit envoyé. » [7]

Ensuite se déroule l’Eurogroupe auquel Varoufakis participe par téléphone. Le représentant de la Commission déclare tout de go que la liste de mesures envoyée par Varoufakis « ne saurait remplacer le MoU, qui constitue la base légale du plan ». Mario Draghi répète la même chose, de même que Christine Lagarde.

Varoufakis affirme qu’à ce moment-là, il aurait dû mettre fin à la négociation et proposer à Tsipras de mettre en marche les mesures unilatérales qu’il lui avait proposées ainsi qu’à Papas et Dragasakis, à commencer par une décote des titres grecs détenus par la BCE et le lancement d’un système de paiement parallèle [8].

« Malheureusement, j’ai opté pour la méthode douce » et il déclare par téléphone à l’Eurogroupe : « Nous insisterons pour […] que l’examen de cette liste se poursuive en sachant que la liste de réformes de notre gouvernement est le point de départ. »

Varoufakis est largement muet à propos de l’important débat au sein du groupe parlementaire de Syriza

Le 25 février en soirée et jusque tard dans la nuit, a lieu une réunion de crise du groupe parlementaire de Syriza. Dans son livre, Varoufakis n’y fait allusion que dans une seule ligne très vague sans citer de date : « Une poignée de députés Syriza continuaient de rouspéter, mais l’humeur était à l’effervescence » (p. 303) [9]. Pour en savoir plus, il faut lire une note de bas de page qui indique notamment que « Lors d’une réunion particulièrement houleuse du groupe parlementaire, j’ai passé une bonne heure à expliquer pourquoi la prolongation était nécessaire, assumant toute la responsabilité de l’affaire, sans qu’Alexis, Pappas ni Dragasakis ne disent un mot » (Note 1, p. 516).

En fait lors de cette réunion des parlementaires de Syriza, environ un tiers de ceux-ci s’est opposé à l’accord du 20 février. Parmi eux : la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopulou et tous les ministres et vice-ministre membres de la plate-forme de gauche (P. Lafazanis, N. Chountis, D. Stratoulis, C. Ysichos) ainsi que Nadia Valavani, vice-ministre des finances et Thodoris Dritsas, vice-ministre des affaires maritimes [10].

Il est clair que Varoufakis minimise l’importante opposition qui s’est exprimée très tôt à l’intérieur du groupe parlementaire de Syriza et parmi les membres du gouvernement, sans parler du comité central de Syriza (lors d’un vote qui est intervenu plus tard, lors du comité central qui s’est tenu les 28 février et 1er mars 2015, 41 % des membres du Comité central se sont opposés à l’accord du 20 février). En se basant sur le récit de Varoufakis et sur d’autres sources, il est également évident que le groupe parlementaire et les ministres du gouvernement qui ne faisaient pas partie du cabinet de guerre recevaient des informations incomplètes sur la négociation. Ce qui est avéré, c’est que ni le conseil gouvernemental, ni les parlementaires, ni les instances de Syriza n’étaient tenus au courant des décisions en amont. Dans le meilleur des cas Tsipras en faisait un compte-rendu biaisé après coup.

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Manifestation à Athènes en février 2015

Le 27 février à Athènes, Varoufakis fait acte d’allégeance à la Commission européenne, au FMI et à la BCE

Après avoir relaté le déroulement de l’Eurogroupe du 24 février lors duquel il a présenté ses mesures à mettre en place dans le cadre du mémorandum plutôt que d’enclencher des mesures unilatérales, Varoufakis ajoute dans son récit : « Les erreurs sont comme les crimes, elles en engendrent d’autres. La décision de ne pas débrancher la téléconférence du 24 février a été amplifiée par une erreur encore plus grave, commise quelques jours plus tard. »

Par l’intermédiaire du bureau du président de l’Eurogroupe, le 25 février, Varoufakis est sommé par la Commission européenne, le FMI et la BCE de faire acte d’allégeance. La Troïka veut que le gouvernement grec envoie une lettre officielle pour confirmer l’accord que Varoufakis a donné la veille lors de la conférence de l’Eurogroupe. Après de nombreuses hésitations, il accepte de signer la lettre pro-forma que la Troïka a préparée.
« Accepter la lettre des créanciers sans corrections, pour une demande aussi essentielle, signifiait que la prolongation nous serait accordée non pas suivant nos termes, mais suivant ceux de la Troïka. »
Varoufakis reconnaît l’extrême gravité de la décision à prendre. Signer la lettre pro-forma revient à prolonger le mémorandum en cours et à le faire selon les termes dictés et imposés par la Troïka.

Varoufakis admet que la lettre était tellement inacceptable que Tsipras considérait qu’il était impensable de la signer et de la communiquer au parlement.
Varoufakis lui dit : « – Tu es sûr que tu ne peux pas arriver au Parlement, dire ce qu’il en est, obtenir le vote qui m’autoriserait à signer et tourner la page ? »

Varoufakis précise : « Découragé, épuisé, Alexis s’est retourné vers Sagias qui avait l’air aussi exténué et lui a conseillé de ne pas y aller. »

Varoufakis se propose pour faire le sale boulot : « – Dans ce cas-là, Alexis, je prends sur moi la responsabilité. Je signe ce maudit courrier sans l’aval du Parlement, je l’envoie aux bailleurs de fonds et je passe à autre chose. »

Varoufakis précise que le 27 février au petit matin : « J’ai signé le courrier et je l’ai envoyé aux créanciers, passablement écœuré. C’était un fruit des ténèbres, et je reconnais qu’il m’appartient. »

Le 27 février, Varoufakis maintient Chouliarakis à son poste

Selon Varoufakis, suite au double jeu de Chouliarakis (qui ne s’était pas contenté de concocter un document avec Declan Costello de la Commission européenne, mais avait également omis de transmettre le 21 février à Varoufakis un important message provenant de l’Eurogroupe [11]), Tsipras, le 26 février, lui conseille de s’en débarrasser. Varoufakis refuse. Ensuite, à partir du lendemain, Tsipras change de position et s’accommode de Chouliarakis.

Reprenons brièvement le récit de Varourafkis.

Varoufakis raconte que le 27 février 2015, il va au palais Maximou en fin de matinée pour expliquer à Tsipras ce qu’il compte faire avec Chouliarakis : « Je pensais promouvoir Chouliarakis au poste de Secrétaire général de l’administration fiscale, plus prestigieux que celui de Président du Conseil des économistes, vacant et moins dangereux en terme de nuisance » (p. 300).
Sans aucun enthousiasme, Tsipras accepte cette proposition et Varoufakis s’en va en informer Chouliarakis.

Celui-ci refuse la proposition en faisant carrément du chantage : « – La décision te revient, Yánis. Mais sache que si tu me retires la présidence du Conseil des économistes, je n’accepterai ni la direction du fisc ni la moindre affectation dans ce gouvernement. Je préfère aller à la Banque de Grèce, Stournaras m’a réservé un poste. »

Varoufakis commente : « même dans mes pires cauchemars, je n’aurais jamais pu imaginer sa réponse. (…) Il avait levé le masque. Avec un cynisme et une impudence inouïs. Car il venait de m’avouer qu’il préférait travailler directement pour la troïka plutôt que de couper les liens privilégiés avec ses représentants dans mon ministère. Qui plus est, il reconnaissait être de mèche avec le gouverneur de la Banque centrale qui avait déclenché une panique bancaire pour nous couper l’herbe sous le pied. J’étais atterré » (p. 301).

Varoufakis, dépité, retourne voir Tsipras pour lui rendre compte de la réaction de Chouliarakis et, à son grand étonnement, Tsipras décide de ne rien faire.

Le commentaire que fait Varoufakis à propos de ces évènements d’une gravité extrême indique clairement son inconséquence. Il se reproche de ne pas avoir mis fin à la téléconférence avec l’Eurogoupe le 24 février tout en affirmant qu’il a fait cette erreur parce qu’il était persuadé que Tsipras était capable d’adopter au bon moment une attitude radicale face à la Troïka. Ensuite, il déclare qu’il a perdu cette illusion le 27 février : « Si j’avais perçu le gouffre avant la téléconférence du 24 février, j’aurais coupé avec la Troïka le jour-même. Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que j’étais convaincu qu’Alexis était capable de déclencher la rupture plus tard, et d’un commun accord. J’ai perdu cette illusion-là quand je l’ai vu excuser Chouliarakis qui menaçait de passer dans le camp ennemi » (p. 302). Il ajoute : « J’aurais dû affronter Alexis en lui reprochant de reculer – en public, s’il le fallait. »

Mais il n’en a rien fait. Comme nous le verrons, Varoufakis a accepté recul après recul et jusqu’au 6 juillet 2015 n’a jamais rendu public ses désaccords et ses propositions alternatives.

Mon témoignage sur les évènements de janvier-février 2015 et la période qui les a précédés

Comme je l’ai indiqué dans la partie 3 de cette série, j’ai été directement impliqué dans le soutien au lancement de l’initiative d’audit citoyen de la dette grecque dès la fin de l’année 2010 [12]. Je me suis rendu à 8 reprises à Athènes entre 2011 et 2014 afin de participer à des activités sur la problématique de la dette grecque et le rejet des politiques dictées par la Troïka. Il s’agissait de développer aussi la solidarité internationale avec la résistance du peuple grec. J’ai étudié en profondeur la problématique de l’endettement de la Grèce et cela a donné lieu à la publication d’articles et d’interviews.

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Alexis Tsipras et Éric Toussaint en octobre 2012 à Athènes

Au cours de mes missions en Grèce, j’ai fait la connaissance d’Alexis Tsipras, principal dirigeant de Syriza et des dirigeants de la gauche de Syriza, en particulier Costas Ysichos qui est devenu en janvier 2015 vice-ministre de la Défense et Antonis Ntavanelos qui animait le courant DEA à l’intérieur de Syriza (il fait partie aujourd’hui de l’Unité populaire). J’ai eu de nombreux contacts, des discussions et des collaborations étroites avec des camarades de différentes organisations membres de la coalition d’extrême gauche non parlementaire Antarsya, en particulier Leonidas Vatikiotis du NAR (organisation membre d’Antarsya) et Spyros Marchetos. Je connaissais certains d’entre eux depuis la fin des années 1990 et surtout depuis le début des années 2000, lorsqu’une forte délégation grecque avait participé à la mobilisation contre le G8 à Gênes en juillet 2001. Les relations avec les camarades grecs étaient régulières dans le cadre de réseaux comme le Forum social européen qui bénéficiait d’une forte participation grecque entre 2002 et 2006 [13], de même que dans le réseau des Marches européennes contre le chômage. Plusieurs dirigeants de Syriza (Tsipras, Tsakalotos, Valavani,…) et d’Antarsya (Yanis Felikis et Tassos Anastassiadis d’OKDE, Antarsya mais aussi des dirigeants du SEK, organisation liée au SWP britannique) étaient très actifs dans les réseaux européens, de même que Giorgos Mitralias qui avait participé aux débuts de Syriza et qui était actif dans le réseau des Marches européennes notamment. A partir de 2011, la collaboration du CADTM a été également forte avec Sofia Sakorafa, députée Syriza, ex-Pasok, et avec George Katrougalos, juriste, ex-KKE (le PC grec), devenu plus tard vice-ministre dans le gouvernement Tsipras et aujourd’hui secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. J’étais en contact très régulier avec Costas Lapavitsas depuis la fin 2010. Costas est devenu député de Syriza en janvier 2015. J’entretenais depuis 2011 des contacts réguliers avec Yanis Tolios, économiste très lié à Panagiotis Lafazanis, car il s’était impliqué dans l’audit citoyen de la dette. J’avais également eu une longue entrevue en octobre 2012 avec Manolis Glézos. Je l’admirais pour sa trajectoire rebelle sans faille depuis qu’il avait arraché le drapeau nazi de l’Acropole le 30 mai 1941. J’avais également une collaboration épisodique avec l’Institut Nikos Poulantzas lié au courant majoritaire dans Syriza, très eurocommuniste. J’avais rencontré, lors de ma rencontre avec Tsipras en octobre 2012, John Millios qui a été un des responsables économiques de Syriza jusqu’à la fin de l’année 2014. Je connaissais une petite dizaine de jeunes qui avaient entre 20 et 30 ans en 2011 – 2015 et qui s’étaient mobilisés très fortement dans l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Enfin, j’avais des contacts avec des syndicalistes grecs, la plupart membres de Syriza ou d’Antarsya.

Au cours des contacts qui ont précédé l’élection de janvier 2015, j’étais devenu très critique à l’égard de l’orientation adoptée par Alexis Tsipras. Le moment clé a été la rencontre avec Tsipras en octobre 2012 dans son bureau au parlement grec. Dès le début de notre conversation qui a duré une heure, je me suis rendu compte qu’il avait réellement abandonné l’orientation qu’il avait portée lors des deux campagnes électorales de mai et de juin 2012. Lors de notre conversation d’octobre 2012, en tant que CADTM, je lui ai proposé de renforcer la campagne pour délégitimer les créanciers de la dette grecque, pour soutenir l’audit citoyen de la dette et s’appuyer sur ces résultats quand Syriza arriverait au gouvernement. J’ai bien compris qu’il souhaitait adopter au sujet de la dette publique, une attitude en retrait par rapport à ce qu’il avait défendu en mai-juin 2012 devant les électeurs et électrices grecs.

Lorsque j’ai rencontré Alexis Tsipras pour la deuxième fois en tout petit comité, c’était en octobre 2013 en compagnie de la députée Syriza, Sofia Sakorafa, très impliquée dans l’audit citoyen de la dette grecque et ayant collaboré de plus en plus activement avec le CADTM au point de se déplacer en octobre 2011 au Brésil pour participer à une réunion internationale du CADTM. La conversation avec Tsipras en octobre 2013 a duré un peu plus d’une heure et m’a renforcé dans la conviction que celui-ci voulait éviter un affrontement avec les créanciers. Il pensait, sans le dire ouvertement, que l’orientation qu’il avait défendue lui-même en mai-juin 2012 était trop radicale, et donc que la position du CADTM a fortiori était aussi trop radicale. Il considérait qu’il était possible par des arguments « pro-UE » de convaincre les créanciers de concéder une très importante réduction de dette à la Grèce.

De mon côté, mon analyse de la Grèce et de la zone euro avait évolué. Je suis devenu convaincu à partir de l’été 2013 que la sortie de la zone euro était une option sérieuse à envisager pour les pays de la périphérie européenne, notamment la Grèce [14]. Mais je n’ai pas abordé cette question dans la discussion avec Tsipras, parce que l’objet de notre rencontre était de préparer une grande conférence européenne sur la dette et sur les alternatives aux politiques néolibérales.

À l’issue de la réunion d’octobre 2013 avec Tsipras, s’est renforcée en moi la conviction que l’orientation que Tsipras avait adoptée allait conduire à un échec pour le peuple grec si des forces radicales en Grèce dans et hors de Syriza ne se mobilisaient pas pour maintenir le cap annoncé en mai-juin 2012 et préparer un plan B face au plan A de Tsipras. Et bien sûr, cela dépendait de ce qui se passerait en Grèce au sein de la gauche politique et sociale. Ce qui serait décisif, ce serait l’existence d’une pression populaire.

Du côté de la gauche politique et sociale, il y avait de quoi être inquiet : la direction de Syriza autour de Tsipras avait pris un virage qui visait à éviter l’affrontement avec les autorités européennes et avec le grand capital grec, elle abandonnait la perspective de l’audit de la dette et de la suspension du paiement pendant sa réalisation [15]. La gauche de Syriza était pour la suspension du paiement sans être très favorable à l’audit. L’extrême gauche extra parlementaire, Antarsya notamment, était en majorité opposée à l’audit de la dette en considérant que le peuple était déjà convaincu de la nécessité de la répudiation/annulation de toute la dette. Selon la majorité d’Antarsya, l’audit ne servirait qu’à légitimer une dette qui était illégitime. Le KKE traitait les partisans de l’audit d’agents de l’impérialisme. Les anarchistes n’avaient aucun intérêt pour l’audit de la dette.

Lors de deux conférences européennes tenues à Bruxelles et auxquelles Tsipras, Tsakalotos, Millios et moi avons été invités en mars et en avril 2014, j’ai défendu la nécessité d’un plan B. J’ai également déclaré en octobre 2014 dans un organe de presse important à Athènes, Le Journal des Rédacteurs, proche de Syriza [16] que les propositions de Syriza se heurteraient à l’opposition de l’Union européenne et qu’il fallait qu’un gouvernement Syriza soit prêt à poser des actes unilatéraux et radicaux. Voir un extrait de l’interview dans l’encadré.

Entretien avec Éric Toussaint réalisé par Tassos Tsakiroglou (journaliste au quotidien grec Le Journal des Rédacteurs)

Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ?

C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de celui causé par l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953 [17]. Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime et j’ai soutenu en ce sens la candidature de Tsipras pour la présidence de la Commission européenne [18], mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale.
 
En Grèce, SYRIZA est en tête de tous les sondages et plusieurs de ses dirigeants affirment que la négociation de la dette se fera dans le cadre de la zone euro et qu’elle ne sera pas le résultat d’une action unilatérale. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Oui, je connais la position officielle de Syriza. Personnellement, j’essaie de montrer que l’on peut appliquer un autre type de politique, car il est évident que la plupart des gouvernements de la zone euro et la BCE n’accepteront pas d’effectuer une réduction importante de la dette grecque. Ainsi, malgré la volonté exprimée par Syriza de négocier, je pense qu’il est impossible de convaincre l’ensemble de ces acteurs. Pour cela, il faut être plus radical, parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité. Il s’agit d’être radical, à l’instar de l’Islande après 2008, de l’Équateur en 2007-2009 ou de l’Argentine entre 2001 et 2005.

Par la suite, ces gouvernements ont fait une série d’erreurs et ont abandonné la position radicale qu’avait adoptée leur pays, c’est pour cette raison qu’ils rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés, comme c’est le cas de l’Argentine. (…)

Vous avez dit que la réduction drastique de la dette publique est nécessaire, mais non suffisante pour que les pays de l’UE sortent de la crise, il sera ainsi nécessaire d’appliquer d’autres mesures importantes dans divers secteurs. Quelles sont-elles, brièvement ?

Tout d’abord, il faut nationaliser – je préfère le terme socialiser – les banques. Je pense que les banques en Grèce et dans d’autres pays devraient être transférées au secteur public et fonctionner dans le strict respect des règles et des intérêts fixés par le peuple. En outre, il s’agit de contrôler les mouvements de capitaux, surtout les transferts importants réalisés par les grandes institutions financières. Je ne parle pas des transferts de 1 000 ou 2 000 euros, sinon des transferts plus importants qui requerront l’approbation préalable des autorités de contrôle sous peine de très fortes amendes et du retrait de la licence bancaire aux banques qui passeraient outre ce contrôle. Celui-ci sera effectué à bonnes fins. Il s’agira de protéger les simples citoyens qui pourront continuer à effectuer des transferts bancaires internationaux dans des limites raisonnables. Il faut également une réforme fiscale radicale : diminuer fortement les impôts et taxes payés par la majorité de la population et augmenter fortement et progressivement les taxes et impôts sur les plus riches et les grandes entreprises privées nationales et étrangères.
 
Et la Grèce ?

Il s’agit de faire ce que disait SYRIZA lors des élections en 2012. Si Syriza forme un gouvernement, il faut abolir les lois injustes qui ont été imposées par la Troïka (notamment celles qui ont détruit les conventions collectives et la négociation collective entre les employeurs et les travailleurs). Les autres mesures nécessaires sont les suivantes : la mise en place d’une réforme fiscale radicale en faveur de la justice sociale et de la redistribution des richesses, l’abrogation d’une partie des taxes imposées aux pauvres et la taxation des plus riches, la réalisation d’un audit et la suspension du paiement de la dette pour ensuite répudier la partie identifiée comme illégitime, odieuse, insoutenable et/ou illégale ; la socialisation des banques et l’application d’un contrôle sur les mouvements de capitaux.

Voir la version originale en grec publiée le 20 octobre 2014.

Lorsque des élections anticipées ont été convoquée fin décembre 2014 pour le 25 janvier, le CADTM a publié un communiqué de presse qui prend bien la mesure des menaces que faisaient peser les autorités européennes sur le peuple grec :
« Le CADTM n’a pas le moindre doute sur les intentions véritables de ceux qui ont fait de la Grèce le laboratoire européen de leurs politiques néolibérales les plus extrêmes et des Grecs des véritables cobayes de leur thérapie économique, sociale et politique de choc. On doit s’attendre à une escalade de leur offensive car ils ne peuvent pas se permettre que SYRIZA réussisse et fasse des émules en Europe ! Ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent car ils sont bien conscients que ce qui est en jeu aux prochaines élections grecques est le succès ou l’échec de la guerre sociale qu’ils mènent contre l’écrasante majorité des populations de toute l’Europe ! C’est d’ailleurs parce que l’enjeu est si important qu’on doit s’attendre à ce que « ceux d’en haut » d’Europe et de Grèce ne respectent pas le verdict des urnes, qui devrait couronner, pour la première fois de l’histoire, la victoire de la gauche grecque. Sans aucun doute, ils vont par la suite essayer d’asphyxier le gouvernement de gauche sorti des urnes, parce que son éventuel succès serait sûrement interprété comme un formidable encouragement à la résistance par les travailleurs et les peuples d’Europe. » [19]

Dès le 2 janvier 2015, j’ai été contacté par Georges Caravelis qui s’est présenté à moi comme un émissaire de la direction de Syriza qui souhaitait connaître mes propositions en ce qui concerne la dette grecque. Immédiatement j’ai pris contact avec le député européen Syriza, Nikos Chountis, qui m’a confirmé qu’effectivement Caravelis avait bien la mission de recueillir mon opinion. Nous avons eu plusieurs échanges et Caravelis était convaincu de la nécessité de mettre en place une commission d’audit de la dette le plus tôt possible après l’élection et la mise en place d’un gouvernement Syriza. Sur la base de nos échanges, Caravelis m’a fait parvenir les notes qu’il avait adressées à la direction de Syriza par l’intermédiaire de Chountis. Je n’ai pas eu de réponse de la part de la direction de Syriza avant les élections.

Quatre jours avant les élections du 25 janvier 2015, j’ai publié une opinion dans les quotidiens Le Monde et Le Soir, qui sont des quotidiens de référence à Paris et à Bruxelles. L’article était intitulé « Pour un véritable audit de la dette grecque ».

Il posait la question : « Mais que se passerait-il si Syriza, une fois au gouvernement, décidait de prendre à la lettre l’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne, qui prévoit qu’« un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité » ? (Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro »).

L’actuel gouvernement grec d’Antonis Samaras s’est bien gardé d’appliquer cette disposition du règlement. Mais à l’issue d’une victoire électorale, Syriza pourrait prendre au mot l’Union européenne en constituant une commission d’audit de la dette (avec participation citoyenne) chargée d’analyser le processus d’endettement excessif et d’identifier les dettes illégales, illégitimes, odieuses… ».

Dans la suite de cette tribune, j’expliquais que la dette réclamée à la Grèce pourrait être identifiée comme illégitime et odieuse. Cette tribune visait à la fois à contribuer modestement à convaincre l’opinion publique du caractère illégitime des dettes réclamées à la Grèce et à montrer aux futures autorités de la Grèce qu’elles pourraient retourner contre la Commission européenne une disposition d’un de ses règlements que nous dénonçons.

Cette opinion a été reproduite à Athènes par le quotidien conservateur Kathimerini qui posait la question : Que fera un gouvernement Syriza ?
Pendant la campagne électorale, j’ai donné une conférence à Bruxelles en soutien au peuple grec en compagnie de Manolis Glézos, député européen Syriza. J’ai participé également à des débats notamment avec Frédéric Lordon et Serge Halimi.

Après la victoire électorale de Syriza le 25 janvier et la formation du gouvernement le 27 janvier, j’ai appris que plusieurs de mes connaissances étaient devenues membres du gouvernement Syriza-ANEL.

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George Katrougalos

Je me suis rendu à Athènes le 13 février 2015 après avoir participé à plusieurs conférences en Europe en soutien au peuple grec ainsi qu’à des débats polémiques comme celui diffusé par France 2 le 30 janvier 2015 au cours duquel j’ai eu des échanges très houleux avec des personnalités de droite, dont le journaliste Arnaud Leparmentier du quotidien Le Monde.

Le 13 février, j’ai eu réunion avec George Katrougalos, avec lequel le CADTM avait développé une collaboration depuis qu’il s’était engagé en 2011 en tant que juriste dans le combat pour la suspension du paiement de la dette grecque et son audit. Katrougalos, après avoir été élu député européen Syriza en mai 2014, était devenu vice-ministre des réformes institutionnelles. Je lui ai dit que j’espérais qu’il aiderait à la mise en place d’une commission d’audit et à l’adoption d’une attitude ferme sur la question du non-paiement de la dette. Il m’a répondu qu’il suivrait Tsipras de manière disciplinée. Cela n’augurait rien de bon. Le lendemain, j’avais rendez-vous au ministère des Finances avec Nadia Valavani, vice-ministre des Finances. Varoufakis était absent car en négociation à Bruxelles. Est-ce que tu te rappelles que Varoufakis a refusé en 2011 de soutenir l’audit citoyen de la dette ? Dès que nous nous sommes vus, elle m’a rappelé chaleureusement que nous avions été ensemble dans le lancement de l’audit citoyen de la dette en 2011. Elle a ajouté : « Est-ce que tu te rappelles que Varoufakis a refusé en 2011 de soutenir l’audit citoyen de la dette ? » et elle a indiqué qu’elle ne lui faisait pas confiance en termes d’orientation politique. Ensuite, elle m’a expliqué le plan qu’elle voulait mettre en place afin de trouver une solution en faveur des deux millions de contribuables grecs qui avaient une dette à l’égard de l’État inférieure à 2000 euros. Elle voulait aussi prendre des mesures pour s’attaquer aux riches qui fraudaient le fisc. Le 15 février, j’ai eu réunion avec Rania Antonopoulos qui m’avait contacté vers le 23 janvier par e-mail pour me dire qu’elle était d’accord avec le contenu de ma tribune dans Le Monde en ce qui concerne la dette de la Grèce et la nécessité d’un audit. Entre temps, elle était devenue vice-ministre en charge de la lutte pour la création de 300 000 emplois. Elle m’a expliqué le combat qu’elle souhaitait mener afin de mettre fin à une politique qui rendait les chômeurs responsables de leur situation. Le 15 février, j’ai participé à une manifestation Place Syntagma de protestation contre l’Eurogroupe et en soutien aux engagements du gouvernement de Tsipras. 20 000 manifestants exprimaient leur espoir de voir les choses changer.

Le lundi 16 février, j’ai été reçu par la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. La réunion a été très positive. La présidente du parlement grec a affirmé qu’elle souhaitait favoriser un travail d’audit de la dette grecque afin d’identifier les dettes illégitimes, illégales, odieuses… Elle a décidé de rendre publique cette rencontre. L’information a été reprise par de nombreux sites [20]. Voir l’encadré sur le témoignage de Zoé Konstantopoulou à propos de notre collaboration pour la mise en place d’une commission d’audit de la dette.

En début de soirée, j’ai rencontré pendant une heure le vice-ministre de la défense, Costas Ysichos. Nous avons discuté des pourparlers en cours au niveau européen et de la question de la dette. Costas Ysichos était le dirigeant de la Plate-forme de la gauche de Syriza qui était le plus proche des positions du CADTM : combiner l’audit de la dette à un acte unilatéral de suspension de paiement.

Le 17 février, suite à l’écho donné par Zoé Konstanpoulou à notre rencontre, Nikos Chountis, vice-ministre des relations avec les institutions européennes, a souhaité me voir. En tant que membre de la gauche de Syriza, il me manifestait sa sympathie pour les propositions du CADTM, mais en tant que membre du gouvernement il me disait que l’orientation de Tsipras était différente. Il m’a demandé si je serais disposé à collaborer avec le gouvernement au cas où celui-ci prendrait une orientation plus radicale sur la dette. Pour rappel, les contacts que j’avais eus avec Caravelis dès le 2 janvier 2015 avaient été demandés par Nikos Chountis mais n’avaient pas abouti positivement.

Le témoignage de Zoé Konstantopoulou concernant la collaboration pour la mise en place de la commission d’audit

Le vif souvenir que j’avais d’Éric Toussaint, que je n’avais pas rencontré personnellement, remontait au grand festival de la jeunesse de Syriza, en octobre 2012, alors que le parti était devenu premier parti d’opposition, alors que l’avenir était ouvert devant lui. Éric avait prononcé un discours enflammé et avait été porté aux nues.

Lui-même ne s’en souvient pas du tout, comme il me l’a révélé plus tard, car il était particulièrement abattu : il avait constaté, ce jour-là, que Tsipras commençait déjà à faire marche arrière sur ses engagements concernant l’audit et l’annulation de la dette, chose que la majorité d’entre nous, qui n’avons pas participé à la trahison qui allait venir, avons beaucoup tardé à réaliser, malheureusement.

Dans mon discours d’ouverture en tant que Présidente du Parlement, le 6 février 2015, immédiatement après mon élection, j’avais annoncé que le Parlement allait contribuer activement à l’audit et à l’annulation de la dette.
À la première réunion du groupe parlementaire après cette séance, le député des écologistes avait demandé, très angoissé, s’il « était permis de dire des choses pareilles en pleine négociation, alors que le Premier ministre et le ministre des finances n’utilisent absolument pas ces termes. » Je lui ai alors répondu que c’était le programme sur la base duquel nous avions été élus et que nous devions non seulement le dire, mais aussi le faire. Personne n’osa me contredire. Toutefois, il était déjà clair que le Gouvernement lui-même n’entreprendrait aucune initiative concernant un audit ou une annulation de la dette et que le groupe parlementaire restait impuissant face aux développements.

Il apparut très vite qu’une telle initiative devait s’appuyer sur des personnes disposant des connaissances nécessaires mais également ayant déjà une expérience analogue dans le domaine de l’audit de la dette et du rejet des dettes odieuses et illégales. Éric Toussaint était de toute évidence la figure emblématique de cette lutte qui soutenait avec ferveur, par ses interventions publiques et ses visites en Grèce, que la dette devait être auditée et que, dans la mesure où elle s’avérait odieuse, illégale, illégitime et/ou non viable, elle devait être annulée. Une position parfaitement en phase avec le droit international, la protection internationale des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

Notre première rencontre le 16 février 2015 ne dura pas longtemps. Je connaissais son expérience précieuse et sa contribution à l’audit de la dette et, notamment, sa participation à la Commission d’audit de la dette de l’Équateur. Il était clair pour moi qu’il s’agissait d’une personne qui, depuis des décennies, avait contribué avec désintéressement à révéler le mécanisme de soumission des peuples par le biais de la dette et à lutter pour libérer les peuples et les citoyens du joug de la dette illégitime. Je voulais qu’il me parle de son expérience et tout ce qu’il me dit fut effectivement particulièrement éclairant.

Je lui demandais alors s’il était disposé à entreprendre l’audit de la dette grecque pour le compte du Parlement hellénique et s’il pouvait rester en Grèce pour que nous nous rencontrions une semaine plus tard pour discuter des modalités de cet audit. Il me répondit par l’affirmative aux deux questions. J’ai demandé que soit immédiatement publié un bulletin de presse du Parlement concernant ma rencontre avec Eric Toussaint, afin de lancer le message : nous avançons vers la réalisation de nos engagements.

Les jours qui suivirent furent denses et dramatiques. Élection du Président de la République, le 18 février 2015. Communication de l’accord du 20 février 2015. En apprenant par les médias le contenu de cet accord le 20 février, je sentis la terre se dérober sous mes pieds : il contenait la reconnaissance de la dette et l’engagement de la responsabilité de son remboursement ! Je demandais à voir Tsipras immédiatement. Je le vis le lendemain, le 21 février, dans son bureau au Parlement, immédiatement après la réunion du Conseil. Flambouraris attendait dehors, entrant et ressortant constamment et faisant pression pour qu’ils partent à Égine.

Je dis à Tsipras que cet accord était un mémorandum et que nous devions nous en dégager au plus tôt. Qu’il fallait immédiatement révoquer la formulation concernant la dette, par le biais de communications officielles par tous les acteurs. Qu’il fallait suivre une stratégie précise. Réaliser un audit de la dette. Agir concernant les dettes allemandes à l’égard de la Grèce suite à l’invasion et à l’occupation nazie au cours de la seconde guerre mondiale. Ouverture de l’affaire Siemens et de toutes les affaires de corruption. Tsipras s’efforçait de me convaincre que l’accord n’était pas un mémorandum. Il prétendait que la reconnaissance de la dette ne portait que sur les paiements qui seraient effectués au cours des 4 mois à venir et, en même, temps, il marquait avec embarras son accord avec mes suggestions.

J’étais présente lorsqu’il expliqua à Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, que « ce que nous avons obtenu n’est pas blanc, n’est pas noir, nous avons réussi le gris. »

Je quittais cette rencontre après avoir annoncé à Tsipras que j’entamerai immédiatement l’audit de la dette au Parlement et constituerai la Commission pour les dettes allemandes, après avoir obtenu son consentement.

Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau Éric. Il était morose et préoccupé.

Je commençais à parler avec lui de la commission qu’il fallait mettre sur pied pour mener l’audit de la dette. Je lui dis que je pensais à une commission conforme à une disposition spéciale du règlement du Parlement qui permettait au Président de l’Assemblée de constituer des commissions composées de personnes extraparlementaires et dont l’objet portait sur des affaires n’ayant pas trait aux affaires courantes du Parlement. Je lui expliquais que j’envisageais cette commission comme une commission internationale et nationale, composée de scientifiques et de citoyens, dont le mandat serait clairement de déchiffrer les conditions dans lesquelles la dette publique grecque avait été créée et gonflée et d’élaborer l’argumentaire permettant de dénoncer toute partie de la dette qui serait jugée illégale, odieuse et non remboursable. Il était positif, mais réservé.

« Je vois que quelque chose te préoccupe. Je veux que nous parlions de manière directe », lui dis-je.

« Zoé, je suis très angoissé. Quelle est ta position à propos de l’accord du 20 février ? »

« Éric, je considère que cet accord est un véritable camouflet. Je l’ai dit au Premier ministre et je l’ai informé sur mon intention d’entreprendre les initiatives nécessaires pour renverser cet accord, et il m’a donné son consentement. La Commission d’audit de la dette dont je te propose d’entreprendre la coordination scientifique est une initiative cruciale dans ce sens. »

Il me regardait toujours d’un air scrutateur.

« Quant à ce qui te préoccupe, d’après ce que je comprends, voilà ce que j’ai à te dire : j’ai prévenu formellement le Premier ministre de ne pas présenter cet accord au Parlement. » Je répétais la même chose à la réunion du Groupe parlementaire, dans les jours suivants. Lors du vote qui s’est tenu au sein du groupe, le 25 février, je votais NON au texte de l’accord, ce qui mit le feu aux poudres et fit immédiatement de moi une cible. « Ce que j’ai à te dire c’est que si, malgré tout, cet accord était présenté au Parlement, moi je ne le voterai pas. »

Son visage s’éclaira, il semblait soulagé. Je voyais qu’il était encore préoccupé par l’évolution globale, mais il était important pour lui de savoir qu’il pouvait compter sur notre entente. Bien plus tard, il me confirma qu’il s’était agi d’un moment déterminant car il avait compris que la personne qui lui demandait de s’engager et de s’impliquer dans cette lutte frontale contre les mécanismes de soumission entendait bien aller au bout de ce qu’elle disait.

C’est ainsi que tout a commencé.

« Je veux que tu assumes le poste de Coordinateur scientifique de la Commission et que tu me dises ce que tu attends de moi », lui dis-je.

« C’est toi qui doit présider la Commission et ses travaux, pour garantir que tout sera réalisé sans obstacles », me dit-il.

C’est ainsi qu’est née la première et unique commission institutionnelle d’audit de la dette sur le sol européen à ce jour.

Tout simplement.

Par des gens de parole.

Source : Zoé Konstantopoulou, « Grèce : La lutte contre la dette odieuse et illégitime »

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Alexis Tsipras, Éric Tousaint et Zoe Konstantopoulou au Parlement grec pour le lancement de la commission pour la vérité sur la dette grecque

Conclusion

Varoufakis présente de manière déformée les débats qui ont eu lieu au niveau des autorités publiques de la Grèce et de Syriza en février 2015. Il cantonne les débats sur les options à prendre à ce qui se passait dans le petit cercle dont s’était entouré Tsipras et auquel il participait. Il présente de manière caricaturale l’opposition aux choix qui ont été faits par ce petit cercle en parlant d’ « une poignée de députés Syriza (qui) continuaient de rouspéter » alors que l’opposition à l’intérieur du groupe parlementaire Syriza et au sein du gouvernement représentait environ un tiers. Celle qui s’est exprimée dans le comité central de Syriza atteignait 41 %. De plus, comme Tsipras et lui présentaient les concessions qu’ils faisaient de manière biaisée, une partie des députés et des ministres, bien qu’ayant des doutes, soutenait l’orientation suivie sans enthousiasme et avec l’espoir que Tsipras, qui bénéficiait totalement de leur confiance, conduirait le gouvernement et la négociation à bon port.

Je soutiens, avec d’autres, alors comme aujourd’hui, qu’une orientation très différente de celle adoptée par Varoufakis et le petit cercle autour de Tsipras aurait dû être mise en pratique. Pour appliquer le programme de Thessalonique, le gouvernement Tsipras aurait dû prendre les initiatives et les mesures suivantes :

  • rendre publiques les 5 ou les 10 priorités du gouvernement dans la négociation, notamment en matière de dettes en dénonçant très clairement le caractère illégitime de la dette réclamée par la Troïka ;
  • établir les contacts avec les mouvements sociaux, pousser en tant que gouvernement ou en tant que Syriza à la création de comités de solidarité dans un maximum de pays, parallèlement à la négociation avec les créanciers, en vue de développer un vaste mouvement de solidarité ;
  • refuser la diplomatie secrète ;
  • développer des canaux internationaux de communication pour franchir la barrière des médias dominants ;
  • utiliser la disposition du règlement européen 472 portant sur l’audit de la dette [21], lancer l’audit avec participation citoyenne et suspendre le paiement de la dette à commencer par celle à l’égard du FMI. Rappelons que Tsipras dans sa présentation du programme de Thessalonique avait déclaré : « Nous demandons le recours immédiat au verdict populaire et un mandat de négociation qui vise à l’effacement de la plus grande partie de la dette nominale pour assurer sa viabilité. Ce qui a été fait pour l’Allemagne en 1953 [22] doit se faire pour la Grèce en 2014. Nous revendiquons :
  • Une “clause de croissance” pour le remboursement de la dette.
  • Un moratoire – suspension des paiements – afin de préserver la croissance.
    • L’indépendance des programmes d’investissements publics vis-à-vis des limitations qu’impose le pacte de stabilité et de croissance » [23] ;
  • mettre fin au mémorandum conformément à l’engagement pris auprès du peuple grec lors de l’élection du 25 janvier. Pour rappel, Tsipras avait déclaré « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction  » [24] ;
  • établir un contrôle sur les mouvements de capitaux ;
  • adopter une loi sur les banques pour assurer le contrôle des pouvoir publics sur celles-ci. Tsipras avait annoncé le 13 septembre 2014 à Thessalonique : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées » [25] ;
  • adopter une loi annulant les dettes privées à l’égard de l’Etat, par exemple celles en dessous de 3000 euros. Cette mesure aurait d’un seul coup amélioré la situation de 3,3 millions de contribuables (dont 357.000 PME) qui devaient moins de 3 000€ (pénalités comprises) [26] ;
  • réduire de manière radicale la TVA sur les biens et services de première nécessité ;
  • revenir sur la réduction des retraites et du salaire minimum légal ;
  • mettre en œuvre le plan d’urgence contre la crise humanitaire prévu dans le programme de Thessalonique ;
  • mettre en place un système de paiement parallèle/complémentaire ;
  • remplacer Stournaras à la tête de la banque centrale par une personne compétente et de confiance ;
  • se préparer aux nouvelles représailles des autorités européennes et donc à une possible sortie de la zone euro.

Remerciements : Je remercie pour leur relecture attentive Alexis Cukier, Marie-Laure Coulmin-Koutsaftis, Nathan Legrand, Stathis Kouvelakis, Brigitte Ponet et Patrick Saurin. L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

La signification de l’accord du 20 février et l’action de Varoufakis a fait l’objet d’un échange en 2016 sur le blog de Médiapart entre Yanis Varoufakis, Alexis Cukier et Patrick Saurin :

Notes

[1Les trois premiers paragraphes de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent

[2Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 10, p. 282

[5Voir également Zero Hedge, “The Reason Why The Eurogroup Rushed To Approve The Greek Reform Package ?”, publié le 24 février 2015

[6Nadia Valavani, membre de la gauche de Syziza, était vice ministre de Varoufakis et s’opposait aux concessions faites à la troïka à propos des dettes fiscales des contribuables à l’égard de l’État. Elle ne souhaitait pas modifier dans un sens restrictif son projet de loi pour le règlement des arriérés de taxes à l’égard de l’État, en supprimant notamment les mesures d’effacement d’une partie des dettes initialement prévues.

[7Dora Antoniou, « L’accord provoque des remous dans Syriza« , 25 février 2015 http://www.kathimerini.gr/804911/article/epikairothta/politikh/h-symfwnia-prokalei-kradasmoys-ston-syriza Concernant les critiques de Nadia Valavani et le durcissement du projet sur le règlement des arriérés de dettes, voir »« Κούρεμα » στη ρύθμιση των 100 δόσεων » (« Haircut au projet de loi sur les 100 mensualités »), 25 février 2015, http://www.kathimerini.gr/804896/article/oikonomia/ellhnikh-oikonomia/koyrema-sth-ry8mish-twn-100-dosewn

[8Pour rappel Varoufakis affirme dans son livre qu’il avait obtenu l’accord du cabinet de guerre pour signaler trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités le gouvernement répondrait par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de renfermer le gouvernement dans le mémorandum et lui refuser une restructuration de la dette, celui-ci répondrait par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux, le gouvernement répondrait par la décote unilatérale des titres grecs détenus par la BCE depuis 2010-2012 et par la mise en place d’un système de paiement parallèle. Le problème c’est que jamais cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015. Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

[9Cette histoire d’une « poignée de députés qui rouspète » est la version officielle que certains médias (To Vima notamment, mais pas Kathimerini) avaient repris. Tous avaient noté toutefois que la réunion s’était déroulée dans une « ambiance dramatique ».

[10Un vote indicatif à main levée avait eu lieu vers la fin de la réunion, à une heure très avancée. A ce moment environ 120 députés étaient dans la salle et environ quarante ont voté « contre » ou voté « blanc », ce qui en Grèce est très proche d’un vote « contre ». Les six ministres en question ont voté « blanc ».
Voir le résumé de cette réunion publié le 26 février 2015 sur le site grec de presse alternative « ThePressProject » dans un article rédigé par Vasiliki Siouti : « Il semble que le gouvernement Syriza a du mal à obtenir du soutien pour l’accord signé entre Varoufakis et l’Eurogroupe. Lors d’une réunion du groupe parlementaire de Syriza qui a duré douze heures, le mercredi 25 février, les parlementaires ont critiqué l’accord signé entre le gouvernement grec et l’Eurogroupe. La réunion s’est terminée sur un vote consultatif quant à l’approbation ou non de l’accord. Panagiotis Lafazanis, dirigeant de la Plateforme de gauche et ministre de la reconstruction productive, de l’environnement et de l’énergie, a demandé le décompte des votes, mais cette demande a été rejetée. Quoi qu’il en soit, alors qu’environ trente parlementaires avaient quitté la salle au moment du vote, un tiers des députés présents a rejeté l’accord soit par un vote contre, soit par un vote blanc. Tous les députés de la Plateforme de gauche, ainsi que plusieurs autres – Zoe Konstantopoulou, présidente du parlement, Nina Kasimati, et d’autres – ont voté contre ou blanc. Les ministres Panagiotis Lafazanis, Nikos Chountis, Dimitris Stratoulis, Costas Isichos, Nadia Valavani et Thodoris Dritsas ont voté blanc. Parmi les parlementaires qui ont voté blanc, plusieurs ont exprimé leur désapprobation à l’égard des manœuvres de Varoufakis. Pour se forger une opinion, les parlementaires se sont principalement basés sur les informations transmises par Varoufakis et le premier ministre Tsipras, n’ayant pas été informés exhaustivement de ce qui avait été convenu à l’Eurogroupe. » La traduction en anglais de cet article qui vaut la peine d’être lu intégralement a été publiée le 28 février 2015 sur le site http://www.newleftproject.org/index.php/site/article_comments/syriza_mps_revolt_against_the_agreement

[11Les détails concernant le deuxième casus belli avec Chouliarakis sont exposés par Varoufakis au chapitre 10, p. 294-295. Selon Varoufakis, Tsipras lui a déclaré à propos de Chouliarakis : « Vire-le illico ! » (p. 296).

[12Pour un bilan du travail du CADTM envers la Grèce, voir Eric Toussaint, L’action du CADTM en solidarité avec le peuple grec (2009 – 2016)

[13En mai 2006 a eu lieu à Athènes la dernière grande réunion européenne du Forum Social européen. Des dizaines de milliers de militants et militantes venus de toute l’Europe y ont participé. Le FSE a ensuite décliné fortement pour des raisons tout à fait étrangères à ce qui se passait en Grèce.

[14Voir Eric Toussaint, Une alternative pour la Grèce

[15J’ai expliqué la génèse de l’audit citoyen en Grèce dans la partie 3. Dans cette partie, j’ai également expliqué comment cette initiative qui avait démarré en 2011 a influencé très fortement le programme de Syriza de 2012 notamment grâce à l’écho que la revendication de l’audit combinée avec la suspension de paiement de la dette et l’exigence d’une annulation de la majeure partie de la dette avait rencontré dans la population grecque lors du mouvement d’occupation des places de juin – juillet 2011.

[17Voir l’article : Eric Toussaint, « L’annulation de la dette allemande en 1953 versus le traitement réservé au Tiers Monde et à la Grèce », publié le 11 août 2014

[18En 2014, lors de la désignation du nouveau président de la Commission européenne, le groupe parlementaire de la gauche unitaire avait présenté la candidature d’Alexis Tsipras contre celle de Jean-Claude Juncker (soutenu par le Parti Populaire européen et le groupe socialiste européen) et celle d’un candidat libéral.

[19Voir Bas les pattes devant la Grèce qui lutte et résiste ! publié le 31 décembre 2014.

[20Συνάντηση Κωνσταντοπούλου με ειδικό περί της διαγραφής χρεών κρατώνΠολιτική | ΓενικάΜε τον Eric Toussaint συναντήθηκε η πρόεδρος της βουλής. Ο κ. Toussaint έχει μακρά εμπειρία σε ζητήματα επονείδιστου και παράνομου χρέους.
Source

[21L’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne, qui prévoit qu’« un Etat membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité » ? (Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro »). Voir : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2013.140.01.0001.01.FRA

[22Lors de la Conférence de Londres, le 27 février 1953, la République fédérale allemande obtenait, avec le consentement de vingt et un de ses créanciers (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, etc.), une réduction de sa dette de 62,6 %. Voir : Eric Toussaint, « L’annulation de la dette allemande en 1953 versus le traitement réservé au Tiers Monde et à la Grèce ».

[23Extraits du programme de Thessalonique, présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014)

[24Extraits du programme de Thessalonique, présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014)

[25op. cit.

Auteur.e

Eric Toussaint

docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

14 députés européens condamnent les violences policières

14 députés de Gauche au Parlement européen condamnent l’agression des membres de l’Unité Populaire (Laïki Enotita) par la police grecque

Communiqué de presse de députés de Gauche au Parlement européen

Des députés de Gauche au Parlement européen condamnent l’agression par les forces grecques de l’ordre, et les blessures subies, des membres de l’Unité Populaire (Laïki Enotita) et du mouvement citoyen grec contre la saisie et la mise aux enchères des résidences principales.

Un message de solidarité et de soutien à la lutte du peuple grec pour la dignité, adressé par 14 députés du groupe parlementaire de la Gauche au Parlement européen (GUE / NGL).

14 députés du groupe parlementaire de la Gauche au Parlement européen (GUE / NGL) condamnent dans leur communiqué, les agressions violentes et les blessures subies par des militants du mouvement citoyen grec contre la saisie et la mise aux enchères des résidences principales et des membres de l’Unité Populaire (Laïki Enotita)

Concrètement, les députés européens de la Gauche condamnent «la violence exercée par les autorités grecques à l’encontre d’activistes qui se battaient pour l’annulation des mises aux enchères électroniques des résidences principales»  et se déclarent solidaires et en « soutien  total aux mobilisations et luttes du peuple grec pour sa dignité, ses logements, pour ses droits fondamentaux ».

Suit la déclaration des députés du groupe parlementaire de la Gauche au Parlement européen (GUE / NGL).

« Nous condamnons la violence exercée par les autorités grecques contre des militants et des titulaires qui luttaient pour annuler la vente aux enchères électronique de leur résidence principale.

La brutalité policière sans précédent a conduit plusieurs manifestants, y compris des membres de l’Unité Populaire (Laïki Enotita), à être hospitalisés. Ceci est honteux nous le dénonçons.

Nous déclarons notre solidarité et notre soutien  total aux mobilisations et luttes du peuple grec pour sa dignité, ses logements, pour ses droits fondamentaux. »

Nikos Chountis, Unité Populaire – Laïki Enotita, Grèce

Sabine Losing, Die Linke, Allemagne

Sofia Sakorafa, eurodéputée indépendante, Grèce

Néoklis Sylikiotis, AKEL, Chypre

Marina Albiol, Izquierda Unida, Espagne

Joao Ferreira, Partido Comunista Português, Portugal

Joao Pimenta Lopez, Partido Comunista Português, Portugal

Miguel Viegas, Partido Comunista Português, Portugal

Lidia Maria Senra Rodriguez, Alternativa galega de esquerda en Europa, Espagne

Luke Ming Flanagan, eurodéputé indépendant, Irlande

Stefan Eck, eurodéputé indépendant, Allemagne

Younous Omarjee, France Insoumise, France

Eleonora Forenza, Partito della Rifondazione Comunista, Italie

Ángela Vallina, Izquierda Unida, Espagne

Rassemblement devant le tribunal à Athènes en solidarité avec les trois membres d’ UNITÉ POPULAIRE

Le jeudi 15 mars, jour où les activistes contre les saisies des résidences principales ont été conduits devant le procureur, un rassemblement important en solidarité avec eux a eu lieu devant le tribunal d’Athènes. Parmi les trois personnes  deux sont membres dUnité Populaire et elles ont été arbitrairement arrêtées le 14/03 pendant le rassemblement contre les ventes aux enchères des résidences principales. Le procureur avait requis le jugement en comparaison immédiate avec des accusations «d’outrage envers les dépositaires de l’autorité et de la force publique et rébellion» mais le jugement a été remporté pour le vendredi 30 mars, car le dossier à charge était quasiment vide. Cette inculpation a toutes les caractéristiques d’un procès politique monté de toutes pièces. L’état policier que le gouvernement Tsipras impose pour étouffer la contestation sociale nous rappelle des périodes les plus sombres de l’histoire grecque.
Dans le rassemblement participaient lUnité Populaire (Laiki Enotita), ANTARSYA, « Cap sur la liberté » et plusieurs organisations du mouvement social.

Que faire des banques pour un vrai changement

Que faire des banques pour un vrai changement, quelques exemples historiques

12 mars par Eric Toussaint

Ce qu’un gouvernement fait ou ne fait pas avec les banques a des conséquences fondamentales sur le cours de l’histoire d’un pays.

La Commune de Paris commet l’erreur de ne pas prendre le contrôle de la Banque de France

Le siège de la Banque de France, ses principales réserves et son organe dirigeant étaient situés sur le territoire de la Commune de Paris. À tort, la direction de la Commune de Paris [1] a renoncé à en prendre le contrôle alors que cela aurait été tout à fait nécessaire.

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Extrait de la bande dessinée de Tardi « Le Cri du Peuple » (4 tomes, Casterman)

En 1876, Prosper-Olivier Lissagaray, un intellectuel militant qui a participé au combat des Communards, dénonce, dans son Histoire de la Commune de 1871, l’attitude de la direction de la Commune qui « resta en extase devant la caisse de la haute bourgeoisie qu’elle avait sous la main. », en se référant à la Banque de France. Il précise : « Toutes les insurrections sérieuses ont débuté par saisir le nerf de l’ennemi, la caisse. La Commune est la seule qui ait refusé. » [2].

La seule exigence de la Commune à l’égard de la Banque de France était d’obtenir les avances financières qui lui permettaient de maintenir l’équilibre budgétaire sans devoir interrompre le paiement de la solde des gardes nationaux (la Garde nationale de Paris était une milice citoyenne chargée du maintien de l’ordre et de la défense militaire). « À ce titre, pendant les 72 jours de son existence, la Commune reçoit 16,7 millions de francs : les 9,4 millions d’avoirs que la Ville avait en compte et 7,3 millions réellement prêtés par la Banque. Au même moment, les Versaillais reçoivent 315 millions de francs du réseau des 74 succursales de la Banque de France », soit près de 20 fois plus [3].

Karl Marx de son côté, dans une correspondance à propos de la Commune de Paris en 1881, dix ans après son écrasement, partage l’avis de Lissagaray. Il considère que la Commune a eu le tort de ne pas se saisir de la Banque de France : « À elle seule, la réquisition de la Banque de France eût mis un terme aux rodomontades versaillaises. » Il précise à propos de la réquisition de la Banque : « Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût (…) pu obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple – seul objectif réalisable à l’époque ». [4]

Comme l’écrivait Lissagaray : « la Commune ne voyait pas les vrais otages qu’elle avait sous la main : la Banque, l’Enregistrement et les Domaines, la Caisse des dépôts et consignations, etc. » [5]

En 1891, Friedrich Engels allait dans le même sens : « Le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s’arrêta devant les portes de la Banque de France. Ce fut d’ailleurs une lourde faute politique. La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait toute la bourgeoisie française faisant pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune. »

En conclusion, la Commune de Paris en 1871 a laissé la Banque de France financer ses ennemis, à savoir le gouvernement conservateur de Thiers installé à Versailles et l’armée à son service [6].

La révolution russe, la nationalisation des banques et l’annulation de la dette des paysans russes en 1917

Parmi les premières mesures prises par le gouvernement des soviets, après la révolution d’octobre 1917, figure la nationalisation des banques. Cette nationalisation a notamment permis l’annulation des dettes des paysans à l’égard de celles-ci. Un tiers du capital des banques était détenu par des capitalistes étrangers, principalement français et allemands. Sept banques avaient une position dominante et ont été expropriées en priorité. Toutes les actions bancaires furent annulées [7]. Le transfert des banques privées au secteur public alla de pair avec la répudiation des dettes étrangères considérées comme illégitimes et odieuses [8]. La combinaison de l’expropriation des banques et de la répudiation des dettes constitua une avancée fondamentale du pouvoir révolutionnaire.

Le président F. Roosevelt prend en 1933 une mesure forte à l’égard des banques états-uniennes

Aux États-Unis, en mars 1933, éclate une crise bancaire majeure qui fait suite à l’onde de choc du krach de Wall Street d’octobre 1929. Le président Franklin Roosevelt, fraîchement élu, ferme les banques pendant une semaine en mars 1933 [9] et fait adopter la même année la loi bancaire (Banking Act connu aussi comme le Glass Steagall Act) qui impose la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires.

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La signature du Glass Steagal Act

Le gouvernement de Franklin D. Roosevelt a donc réduit la liberté totale dont jouissaient les milieux financiers et bancaires. Dans la foulée et sous la pression des mobilisations populaires en Europe pendant et après la Libération, les gouvernements du vieux continent ont imposé une limite à la liberté de manœuvre du capital. Conséquence : au cours des trente années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le nombre de crises bancaires a été minime. C’est ce que montrent deux économistes néolibéraux nord-américains, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, dans un livre publié en 2009 et intitulé Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière. Kenneth Rogoff a été économiste en chef du FMI et Carmen Reinhart, professeur d’université, a été conseillère du FMI et économiste en chef membre du conseil consultatif de la Banque mondiale. Selon ces deux économistes qui sont tout sauf favorables à une remise en cause du capitalisme, le faible nombre de crises bancaires s’explique principalement « par la répression des marchés financiers intérieurs (à des degrés divers), puis par un recours massif aux contrôles des capitaux pendant bien des années après la seconde guerre mondiale » [10].

Effectivement, pendant les « trente glorieuses », les gouvernements de la majorité des pays les plus industrialisés ont appliqué des politiques réglementant les mouvements des capitaux sortant ou entrant dans leur pays. Ils ont également obligé les banques à adopter un comportement prudent et ont fait passer dans le secteur public une partie du secteur financier. Selon Reinhart et Rogoff, afin d’éviter le risque de faillites bancaires, les gouvernements ont imposé « aux banques un niveau élevé de réserves obligatoires, sans parler d’autres dispositifs comme le crédit dirigé ou l’obligation faite aux caisses de retraite ou aux banques commerciales de détenir un certain niveau d’emprunts d’État. ».

France : A la Libération le gouvernement nationalise la Banque de France et d’autres banques

En France, les nationalisations des banques au lendemain de la seconde guerre mondiale doivent « être replacées dans le contexte de la Résistance avec « un mouvement venu d’en bas » (…) la Libération a donné lieu à la mise en place de comités ouvriers de gestion dans certaines entreprises, de comités d’usine à l’origine de « socialisations spontanées »  ». Comme le rappelle Patrick Saurin, le 2 décembre 1945, la Banque de France et quatre banques de dépôts sont nationalisées. L’année suivante, le 25 avril 1946, c’est au tour de certaines sociétés d’assurance d’être nationalisées.

Benjamin Lemoine écrit à juste titre dans son livre L’ordre de la dette : « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et pendant plus d’une vingtaine d’année, l’appareil d’État, via le circuit du Trésor, glanait des ressources financières en masse suffisante pour, la plupart du temps, échapper à la pression des créanciers. Il maîtrisait l’activité des banques et de la finance et arrimait ses propres instruments de trésorerie à ces réglementations. De même, son financement était coordonné avec des politiques nationales déterminant la quantité de monnaie et orientant les crédits affectés à l’économie » [11].

Cette politique a permis à la France de se financer durant près de 40 ans sans dépendre du bon vouloir des marchés financiers, dominé par les banques privées et d’autres sociétés financières. Cela a également permis d’éviter les crises bancaires.

1959 : dès la première année de la révolution cubaine, le gouvernement met le Che à la présidence de la Banque centrale de Cuba

Billet de banque cubain portant la signature de Che Guevara

Mettre un des principaux dirigeants révolutionnaires à la tête de la banque centrale indiquait très clairement l’importance que représentait le contrôle de la politique monétaire et financière du pays pour la consolidation de la victoire du peuple cubain sur le régime dictatorial de Batista. Les révolutionnaires cubains voulaient éviter de répéter l’erreur de la Commune de Paris. La maîtrise de la banque a aidé à la réalisation d’une série de profondes réformes sociales qui, soutenues par de puissantes mobilisations populaires, ont marqué positivement les débuts de la révolution cubaine [12].

France, 1982 : nationalisation des banques

Le plan de nationalisation figurait au « programme commun de gouvernement » signé le 27 juin 1972 entre le Parti socialiste (PS), le Parti communiste et les Radicaux de gauche. Il est repris parmi les « 110 propositions » du candidat Mitterrand en 1980-81 (21e proposition). La loi de nationalisation du 13 février 1982 a été votée pendant le premier septennat du président François Mitterrand et promulguée par le gouvernement Mauroy. Trente-neuf banques sont nationalisées ainsi que des sociétés industrielles et financières (voir la liste. Cette vague de nationalisations a été suivie rapidement par un virage à droite de Mitterrand et de son gouvernement. La loi bancaire du 24 janvier 1984 inaugurera un nouveau système bancaire, bâti sur le modèle de la banque universelle qui mit fin à la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires et ouvrant pleinement la voie à la déréglementation. En 1986, les banques étaient à nouveau privatisées [13].

Crise de 2008 en Europe et aux États-Unis

À partir de 2008, suite à la crise des banques privées qui a éclaté en 2007-2008, plusieurs États, et non des moindres, ont procédé à la nationalisation de très grandes banques privées afin d’éviter la faillite et pour aider les grands actionnaires. De grandes banques comme Royal Bank of Scotland (GB), Hypo Real Estate (Allemagne), ABN-Amro aux Pays-Bas, Fortis, Dexia (devenue Belfius) en Belgique, Bankia en Espagne, Banco Espirito Santo au Portugal… ont été nationalisées. Dans aucun des cas, les pouvoirs publics n’ont réorienté dans un sens utile à la population les activités des entités nationalisées. Souvent, ils n’exercent même pas le pouvoir dans ces institutions, laissant les représentants du privé les diriger. Aucune de ces banques n’a été transformée en un instrument permettant de financer des investissements de l’État. Les frais de la nationalisation ont été mis à charge des finances publiques et ont augmenté la dette publique. La phase prochaine telle que voulue par les gouvernements au service du capital consistera à reprivatiser ces banques car leurs finances ont été assainies et elles redeviennent attirantes pour le secteur privé. Le CADTM et d’autres organisations avaient mis en avant une toute autre manière de répondre à la crise bancaire : le refus de sauver les banquiers responsables de la crise, l’expropriation des banques sans indemnisation des grands actionnaires et leur transfert vers le secteur public sous contrôle citoyen.

Grèce 2015

Dès la mise en place du gouvernement Tsipras, il aurait fallu agir sur les banques. Alors que la BCE prenait l’initiative d’aiguiser la crise bancaire grecque, il fallait agir à ce niveau et appliquer le programme de Thessalonique, sur la base duquel le gouvernement Syriza a été élu le 25 janvier 2015, qui annonçait : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées. Cela signifie qu’il prend les décisions concernant leur administration. » Il faut savoir que l’État grec, via le Fonds hellénique de stabilité financière, était en 2015 l’actionnaire principal des quatre principales banques du pays qui représentaient plus de 85 % de tout le secteur bancaire grec. Le problème, c’est que, malgré les nombreuses recapitalisations des banques grecques qui s’étaient succédées depuis octobre 2008, l’État n’avait aucun poids réel dans les décisions des banques car les actions qu’il détenait ne donnaient pas droit au vote, faute d’une décision politique en ce sens par les gouvernements précédents. Il fallait dès lors que le parlement, conformément aux engagements de Syriza, transforme les actions dites préférentielles (qui ne donnent pas de droit de vote) détenues par les pouvoirs publics en actions ordinaires donnant le droit au vote. Ensuite, de manière parfaitement normale et légale, l’État aurait pu exercer ses responsabilités et apporter une solution à la crise bancaire.

Enfin il fallait encore prendre trois mesures importantes. Primo, pour faire face à la crise bancaire et financière aiguisée par l’attitude de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) depuis décembre 2014 criant à la faillite des banques et par la décision de la BCE du 4 février 2015, le gouvernement aurait dû décréter un contrôle des mouvements de capitaux afin de mettre fin à leur fuite vers l’étranger. Secundo, il fallait remplacer Stournaras à la tête de la banque centrale grecque. Tertio, le gouvernement aurait dû mettre en place un système de paiement parallèle.

La décision de Tsipras et de Varoufakis de ne pas toucher aux banques et de ne pas suspendre le paiement de la dette a eu des conséquences funestes pour le peuple grec. Une occasion historique a été perdue. Il faut éviter que cela se reproduise.

Notes

[1Période insurrectionnelle de l’histoire de Paris qui dura un peu plus de deux mois, du 18 mars 1871 à la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871. Refusant la capitulation de la bourgeoisie française devant l’armée allemande qui a atteint Versailles, le peuple parisien proclame la Commune de Paris, appuyée sur la Garde nationale. Des mesures sociales radicales sont prises, en particulier sous l’impulsion populaire. Il s’agit d’une des premières révolutions prolétariennes de l’histoire.

[2Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, La Découverte / Poche, 2000

[3Georges Beisson, « La Commune et la Banque de France », Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 http://www.commune1871.org/?La-Commune-et-la-Banque-de-France

[4Lettre du 22 février 1881 de Karl Marx à F. Domela Nieuwenhuis,
https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/commune/kmfecom12.htm

[5Prosper-Olivier Lissagaray, op. cit.

[6Les représentants des grandes banques d’affaires parisiennes qui dirigeaient la Banque de France fêteront la défaite de la Commune, en accordant aux actionnaires un dividende de 300 francs par action, contre 80 francs en 1870.

[7Edward H. Carr, La révolution bolchevique, Tome 2. L’ordre économique, Éditions de Minuit, Paris, 1974, chapitre 16, p. 146.

[8Nathan Legrand et Éric Toussaint, « Il y a cent ans, la répudiation de la dette russe ». Voir pour une présentation plus détaillée de la répudiation des dettes : Éric Toussaint, « Centenaire de la révolution russe et de la répudiation des dettes ».

[9Isaac Joshua, Une trajectoire du Capital, Paris, Syllepse, 2006, p.19.

[10Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson, Paris, 2010. Edition originale en 2009 par Princeton University Press.

[11Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, La découverte, Paris, 2016, p. 18.

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