Repères d’histoire économique et sociale
L’accès au droit au logement est un axe central de lutte des mouvements citoyens, surtout en période de crise économique et sociale où ce droit est menacé. Pour accéder à ce droit, des ménages appartenant aux classes populaires ont fait le choix de l’acquisition d’un bien contre crédit bancaire. Ceci est davantage fréquent dans des pays où les locataires sont moins protégés, où le coût de la construction est relativement faible, où les liens familiaux sont sacralisés, où le taux élevé d’inflation garantissait une part décroissante des remboursements par rapport aux revenus du foyer. La plupart de ces facteurs, voire tous, sont présents, ou le furent, dans les pays de l’Europe du Sud, dont la Grèce, pays où la bataille pour les résidences principales est aujourd’hui au centre de la lutte sociale et politique.
Du côté des banques: l’octroi facile de crédits, prenant souvent l’allure d’un véritable « pousse à l’endettement », fut une opération juteuse ouvrant sur un marché quasi illimité d’investissements et sur l’anticipation de profits conséquents. Pour l’économie ce fut un moteur de croissance rapide, mais au détriment d’un développement harmonieux et durable, accordant au bâtiment une part disproportionnée de l’activité industrielle. Cette distorsion structurelle de l’économie grecque, présente dès le début des années 1970, avant même la chute de la dictature des colonels, a été fustigée par la Gauche, y compris social-démocrate (PASOK), comme la marque même de l’absence de planification d’un capitalisme grec improductif. Chose étrange (ou pas tant que ça) ni l’accès du PASOK au gouvernement, ni l’intégration par la Grèce de l’Union Européenne n’ont inversé cette tendance mais l’ont au contraire amplifiée. D’ailleurs, de telles tendances ont bien marqué le développement économique des autres pays du Sud de l’UE.
Pour les dirigeants grecs, dictateurs ou élus, de Droite ou de Gauche, le surinvestissement dans l’activité du bâtiment a été la voie facile pour le développement du pays et l’augmentation des revenus, sans passer par les difficultés de la planification et de l’intervention active de l’État. Pendant une première période (1970 – 1990) l’activité de construction a pris la forme « artisanale » d’un « capitalisme populaire » d’un genre particulier, favorisant l’épanouissement des classes moyennes et la hausse des revenus de la classe ouvrière du bâtiment, l’instauration d’une relative paix sociale.
Pendant une deuxième période (1990 – 2010) l’activité du bâtiment a davantage profité à des capitaux de plus en plus importants, voire orientés vers l’exportation, en synergie croissante avec le capital international. La classe ouvrière du bâtiment a été recomposée, la main d’œuvre d’origine étrangère constituant une part grandissante, travaillant sans couverture sociale et dans des conditions de sécurité déplorables. Le point d’orgue funeste de cette phase c’est le bilan de 37 morts d’accidents du travail lors de l’achèvement des travaux pour les Jeux Olympiques de 2004.
En parallèle, les bas taux de crédit garantis par l’adhésion de la Grèce à la zone euro ont propulsé l’endettement privé (toutefois inférieur à celui en Espagne ou en Italie) et ont davantage permis à une partie des classes populaires d’accéder à la propriété de leurs logements et accessoirement à d’autres biens de consommation. De nouveaux quartiers habitables ont émergé à la périphérie des villes grecques pour loger les nouvelles classes populaires, essentiellement salariées du secteur tertiaire. Le résultat positif c’est que, vers la fin de cette période, 80% des ménages habitaient dans des logements dont ils étaient propriétaires avec des superficies moyennes supérieures à celles en Europe du Nord. Cependant, même avant le déclenchement de la crise économique, la situation de plusieurs de ces ménages était particulièrement tendue car la part des remboursements exigés par les banques grecques « généreuses » laissait peu de marges pour finir les mois et les travaux de construction. Nombre de ménages ont du se satisfaire d’habitations inachevées pour y loger leur vie de famille. À noter que cette situation correspondait à une période où le chômage était encore autour des 10% et la croissance flirtait avec les 4%.
Or, si le capitalisme grec s’est pendant un temps senti droit dans des bottes en béton armé, il s’est avéré qu’il n’avait que des jambes en argile et une laisse au cou, celle de sa dépendance aux capitaux de l’Union Européenne et à ses banques. Pas la peine ici de refaire l’histoire de la crise grecque et de la mise du pays sous protectorat de la Commission européenne et du FMI. Tout cela a déjà été suffisamment médiatisé. Juste rappeler le taux de chômage autour de 25% de ces dernières années et un taux de décroissance de 10% par an en moyenne. Pendant ce temps les banques grecques ont bénéficié de la part des gouvernements grecs successifs et sous les auspices des « instances européennes », notamment par le biais de recapitalisations, de subventions cumulées d’une hauteur d’environ 240 milliards d’euros, 1,2 fois le PIB annuel, pour être finalement bradées par le gouvernement SYRIZA-ANEL, actuellement au pouvoir, contre une bouchée de pain à des investisseurs étrangers obscurs.
Il est facile d’imaginer dans un tel contexte la détresse et la colère des classes populaires et moyennes grecques, dont les revenus ont baissé les dernières années de 30% , et les menaces qui pèsent sur leur survie, notamment sur leur droit de se loger , car ni les remboursements, ni les taux d’intérêt, ni les prix des biens de consommation, ni l’imposition n’ont baissé de manière significative. Cette situation rend impossible pour une grande partie des ménages le remboursement des crédits empruntés.
Une société surendettée et saisie
Le surendettement des ménages grecs, notamment ceux à revenus modestes, est un fléau social sans précédent. Et la question globale de la dette privée grecque est une bombe économique et sociale dont nous sommes spectateurs de la projection au ralenti du film de son explosion.
Aujourd’hui il est estimé qu’autour de 1,5 millions de contribuables grecs sont dans l’incapacité de régler leurs dettes, soit plus de 24% de l’ensemble. Il s’agit de dettes envers les banques pour prêts immobiliers et de consommation, mais aussi envers le guichet public, impôts et caisses d’assurances, et de particuliers à particuliers.
L’examen des données officielles sur la dette privée grecque nous révèle qu’environ 4,4 millions de contribuables (près de 70% de l’ensemble) ne sont pas à jour de leurs dettes.
Parmi eux, quasiment tous ont des dettes envers le guichet public (impôts et cotisations) alors que 2,7 millions (35% des contribuables) ne sont pas à jour pour des dettes envers les banques.
- 420.000 ont des dettes en suspension de paiement pour des prêts immobiliers (7%)
- 350.000 (6%) ont des dettes pour des prêts professionnels
- 1,7 millions (27%) pour des prêts à la consommation.
L’ensemble de ces dettes appelées « dettes rouges » contractées par des particuliers, des professionnels et des entreprises (petites, moyennes, grandes) correspond à la somme de 200 milliards d’euros, supérieure au PIB annuel.
Il est important de noter que la grande majorité (80%) des prêts immobiliers «rouges » concerne des sommes de 10.000 à 100.000 euros, alors que près de 90% des dettes envers le guichet public concerne des sommes inférieures à 20.000 euros, parfois même des sommes dérisoires.
En termes de répartition du volume de la dette privée l’image s’inverse. En fait, 0,2% des débiteurs du guichet public pas à jour de leurs dettes doivent près de 80% de l’ardoise totale, soit 73 milliards ! En ce qui concerne les dettes envers les banques (environ 110 milliards) l’ascension de la courbe est moins brusque, mais la tendance est la même, les dettes des grandes et moyennes entreprises constituant près de 40% de cette dette !
À l’inspection de ces données on observe que la dette privée grecque, au-delà du fait qu’elle est le résultat de la récession de l’économie, n’est pas une situation homogène, à l’égard de causes plus spécifiques, de ses conséquences sociales et économiques et des actions nécessaires pour la traiter.
On peut séparer deux groupes de débiteurs : des débiteurs trop démunis pour régler leurs dettes et des débiteurs puissants sur les plans social et économique capables de se dégager des conséquences du surendettement par la faillite, les arrangements politiques, la délocalisation et la fuite des capitaux.
Sur la liste des plus gros débiteurs de l’État figure en première place (10% de la dette totale) une société de courtage débitrice d’une énorme amende (et des intérêts) imposée suite à une condamnation pour escroquerie dans une affaire de spéculation financière avec le patrimoine des caisses d’assurance sociale.
En deuxième place on retrouve « Olympic Air SA » héritière de la compagnie publique « Olympic Airlines » privatisée en 2009.
La compagnie publique grecque des chemins de fer (OSE) avec ses filiales occupait jadis la première place sur la liste des gros débiteurs de l’État (taxes, cotisations sociales, amendes imposées par la Commission européenne pour non respect de la concurrence) mais sa dette a été effacée par ordonnance du gouvernement SYRIZA en 2018 à la suite de la vente de sa filiale de transport passagers (TRAINOSE) à «Ferrovie dello Stato Italiane» compagnie italienne publique à statut de SA.
Il devient évident que le traitement de la dette grecque « privée » est une question politique à l’égard de la répartition de sa charge parmi les classes sociales, parmi l’État, les « particuliers » et les banques, et les actions pour son recouvrement ou son effacement. Ce constat se situe à l’opposé de la vision néolibérale qui traite la question de la dette par des opérations strictement comptables et juridiquement formalistes dont la finalité ultime est la réduction maximale du service public et le transfert des richesses vers la finance et la spéculation au détriment des classes populaires et des travailleur-euse-s.
Le soulagement des foyers populaires et des petites entreprises surendettés était une des mesures phares annoncées dans le programme politique sur lequel SYRIZA a mené et gagné les élections de 2015, programme dit « de Thessalonique ». Parmi les dispositifs annoncés pour réaliser objectif, que SYRIZA à l’époque jugeait pragmatique, il y avait la création d’un réseau de commissions sous contrôle citoyen, censées procéder à l’étalement des dettes, leur effacement ou leur rachat par une agence publique ad hoc. Figurait aussi dans ce programme l’interdiction du rachat des prêts par des tiers spéculateurs, dits « fonds vautours ».
Depuis le début de l’application en Grèce des mémorandums de plus en plus de foyers modestes, de travailleurs indépendants et de très petites entreprises se sont trouvés face au risque de saisie de leurs habitations et de leurs comptes.
Une grande partie des familles saisies pourrait se retrouver dans la rue. Avec des salaires et retraites réduits parfois jusqu’à 50%, ou parfois sans aucun revenu à cause du chômage, il devient pour elles très compliqué de retrouver un appartement à louer malgré une forte baisse des loyers. Ceci d’autant plus qu’après la vente aux enchères de l’habitation saisie il pourrait rester des sommes importantes à rembourser.
Pour confronter cette situation, le gouvernement du PASOK de Georges Papandréou avait promulgué en août 2010 une loi de dérogation des saisies des habitations principales des débiteurs en difficulté financière, dite « loi Katselis » du nom de la ministre de l’époque. Cette loi accordait le sursis d’un an à ces personnes et autorisait dans certains cas les tribunaux de procéder à des renégociations des dettes envers les banques, voire à leur effacement. La loi Katselis a été prorogée plusieurs fois pendant les premières années de la crise. La Troïka a exigé la modification de la loi dans un sens restrictif, ceci étant resté un point en suspens dans les négociations avec le gouvernement grec. De ce fait, la prorogation de la loi Katselis c’est arrêtée en décembre 2014, un mois et demi avant l’accès de SYRIZA au gouvernement. La loi Katselis avait toutefois été critiquée comme insuffisante par SYRIZA lorsqu’il était dans l’opposition.
L’inversion politique et sociale de SYRIZA
Le 15 janvier 2015, dix jours avant la tenue des élections anticipées, le quotidien de SYRIZA titrait en gros à la Une « Aucune habitation aux mains des banquiers » (!)
Mais comme la plupart des mesures proposées par le programme « de Thessalonique », celles annoncées pour la crise de la dette privée sont passées aux oubliettes, mémorandum et Troïka obligent. Varoufakis avait déjà dit que « le programme de SYRIZA ne valait même pas le prix du papier sur lequel il était écrit ». Sa nomination au poste clé de Ministre des Finances aurait dû rendre plus méfiants les militants. En effet, dès la signature de l’accord du 20 février 2015, le gouvernement grec s’engageait à ne mettre en place « aucune mesure susceptible de menacer la stabilité du système financier et du crédit », selon les critères de la BCE bien entendu. Cette clause faisait directement référence aux mesures annoncées par SYRIZA avant les élections, pour renégociation des dettes privées.
Le 21 mars 2015 alors que la négociation était en cours, le gouvernement grec a promulgué, suite à l’initiative de la ministre Valavanis du courant de Gauche, une loi autorisant l’étalement du remboursement des dettes envers le guichet public, par le dispositif dit « des 100 tranches » qui, bien que relativement timide, a permis de soulager plusieurs débiteurs modestes et à l’État encaisser des recettes dues. La question des dettes envers les banques est cependant restée en souffrance, véritable épée de Damoclès au-dessus des têtes des foyers populaires.
Pire que ça, après la capitulation de juillet 2015, le 3e mémorandum et ses lois d’application ont légiféré, sous les recommandations des créanciers internationaux de la Grèce (BCE, FMI, Commission Européenne), la priorité au remboursement des banques en cas de faillite d’une entreprise. Cette priorité s’exerce au détriment de l’État, des caisses d’assurance et des particuliers, dont les salariés aux salaires dus. Pour valider cette mesure il a fallu réformer en un clin d’œil le Code Civil grec. Quand la Troïka ordonne et que Tsipras s’exécute, la régularité juridique passe au second plan.
En faisant fi de toute évidence, le gouvernement SYRIZA-ANEL n’a cessé de clamer sous tous les tons que, malgré sa capitulation (« compromis honorable » en novlangue syrizéenne) et son ralliement au camp des banquiers, les habitations principales des ménages modestes resteraient protégées des saisies. Cette désinformation a été relayée par ses alliés au sein des directions des partis du Parti de la Gauche Européenne (PGE), acculés par le besoin de sauver les apparences suite à cette terrible défaite.
La supposée protection des habitations principales des foyers modestes est celle de la « loi Katselis » mais bien rabotée suivant les recommandations des créanciers (BCE, FMI, Commission Européenne), par l’ajout de conditions à remplir par les débiteurs pour pouvoir en bénéficier. Il s’agit de clauses de revenus du foyer et de valeur du bien hypothéqué. Il faut qu’une partie de la dette soit due aux banques et que le débiteur n’ait pas exercé d’activité à caractère commercial pendant l’année qui précède sa demande de bénéficier de la protection de la loi. Il est important de citer que la dérogation à la saisie de l’habitation principale qui pourrait être accordée a seulement un caractère de sursis car les effets de la loi prennent fin le 31 décembre 2018. Le nouveau format de la loi, dont SYRIZA fait mine de s’enorgueillir, promulgué en tant qu’article de la loi d’application du 3e mémorandum en août 2015 et portant le nom « loi Katselis-Stathakis » (du nom du ministre actuel) est restrictif pour une grande partie des débiteurs modestes qui vivent toujours sous la menace de saisie de leurs logements.
Précisément, la loi protège les habitations principales d’une valeur inférieure à 180.000 euros, bonifiée par le nombre des membres du foyer. À noter que la valeur ainsi déterminée est la «valeur fiscale» fixée par le gouvernement, bien supérieure en temps de crise à la valeur du bien sur le marché.
Les revenus du débiteur susceptible de bénéficier de la protection de la loi ne doivent dépasser de 70% le montant des «frais raisonnables de vie». Ce montant est aujourd’hui fixé par le gouvernement grec à 680 euros mensuels pour une personne seule, ce qui indique que le niveau des revenus du débiteur ne doit dépasser les 1150 euros mensuels, dont 470 euros obligatoirement alloués au remboursement de sa dette. Ces sommes sont indexées sur le nombre des membres du foyer. Selon des sources proches du gouvernement la loi actuelle protégerait les habitations principales de 60% des ménages surendettés. En admettant même que cette estimation serait réaliste, la loi laisserait à découvert 168.000 foyers, dont la précarisation est susceptible de déclencher une nouvelle crise sociale majeure.
Pour dorer la pilule, le gouvernement SYRIZA-ANEL précise que des allègements plus larges pourraient être accordés par négociations directes «de bonne foi», entre les débiteurs et les banques. Voilà encore un gouvernement « de gauche » qui délègue la politique sociale aux banquiers !
Un autre retournement du gouvernement SYRIZA concerne l’interdiction aux banques de revendre des emprunts problématiques aux « sociétés de gestion de dettes» ou fonds-vautours. L’activité de ces sociétés (grecques, européennes ou en provenance de pays tiers) est désormais officialisée par la loi du 16 décembre 2015. Ces sociétés ont le plein droit de racheter aux banques des prêts à prix jusqu’à 3% de leur valeur nominale de les revendre sous forme de paquets de titres ou d’exiger leur remboursement par des moyens d’intimidation et de harcèlement dont elles ont le savoir-faire. Les banques obtiennent aussi le droit de vendre aussi des prêts qui sont à jour dans des paquets mixtes. Les critiques de cette loi réclament la possibilité de rachat des prêts à une valeur raisonnablement inférieure à la nominale (pas moins de 50%) pour débiteurs eux-mêmes, mais le ministre Stathakis de SYRIZA rétorque qu’une telle disposition serait «un encouragement indirect à la fraude et à la mauvaise foi».
Concernant les saisies de logements à venir, le gouvernement SYRIZA soutient que leur mise en œuvre en masse « favorisera la reprise de l’économie grecque et la consommation car, si les banques se débarrassent des prêts problématiques elles pourront recommencer à prêter de l’argent » pour démarrer un nouveau cycle infernal identique au précédent, en ayant entre temps ponctionné des richesses aux classes populaires et moyennes.
Luttes pour la défense du logement des familles modestes
Les saisies et les ventes aux enchères s’intensifient aujourd’hui par le gouvernement Tsipras, coaché par la Troïka, s’efforçant de sauver les banques, une fois de plus en équilibre instable en Grèce. L’implémentation des mesures est « sous haute supervision » par le biais d’évaluations régulières de l’économie et de la politique grecques, dont la passation réussie est la condition pour le déblocage des tranches du financement à l’Etat grec. Pour les néolibéraux, la stabilisation en Grèce du système bancaire passe par l’expropriation et la précarisation des classes populaires et moyennes.
Notons que, même lorsque les débiteurs saisis sont des personnes fortunées, les conséquences se reportent directement sur les classes travailleuses, dans le cas locaux de production, la saisie marquant son arrêt. Ainsi, on ne s’étonne pas de voir le Parti Communiste de Grèce (KKE), qui ne s’est jamais positionné comme représentant des classes moyennes, ni comme partisan des mouvements citoyens horizontaux, rejoindre le mouvement populaire de lutte contre les saisies et les mises aux enchères.
Dans le contexte catastrophique de la Grèce actuelle, la défense du logement des familles modestes passe par des luttes massives et polymorphes d’obstruction au travail de l’administration, des notaires et de la justice lors de procédures de saisie, d’expropriation et de mise aux enchères. Le mouvement populaire grec, dans ses diverses tendances, s’y est déployé depuis le début de la crise, car le fléau des expropriations était déjà à l’œuvre. Le grippage de la mécanique des expropriations est cependant une éventualité réaliste, compte tenu de l’énorme volume d’affaires.
Les mobilisations massives devant et dans les tribunaux organisées par des collectifs citoyens ont été soutenues très activement par Unité Populaire, ANTARSYA, KKE et d’autres formations de Gauche Radicale. Je profite pour faire un clin d’œil aux camarades français présents lors de certaines de ces mobilisations. Elles ont réussi d’empêcher les tribunaux de tenir audience et de rendre les décisions des mises aux enchères, faisant trainer les saisies de report en report. La répression policière violente déployée par le gouvernement SYRIZA, a davantage attisé la combativité les militants plutôt que de décourager le mouvement. Des dizaines d’audiences ont été empêchées.
Le gouvernement de SYRIZA, cavalier du jeu d’échecs néolibéral, avance en biais pour se préserver de la chute de popularité, mission impossible ! Ainsi, cette mécanique infernale que la Droite avait échoué de mettre en place, est pleinement déployée aujourd’hui, deux ans et demi après la capitulation de juillet 2015. La cerise sur le gâteau sera le démarrage des saisies électroniques par l’administration publique le 1er mai 2018, une manière très ironique de SYRIZA de célébrer la fête des travailleurs !
Afin de contourner cette résistance populaire le gouvernement SYRIZA implémente la mise aux enchères par voie électronique des biens saisis, notamment des logements des familles modestes. Ce dispositif avait initialement rencontré l’opposition des notaires grecs, surtout des petites villes de province, refusant de se connecter à la plateforme. Par la « loi-valise » d’application du mémorandum de janvier 2018, SYRIZA rend obligatoire et exclusif, à partir du 21/02/18, le recours à la voie électronique avec la possibilité de délocaliser la procédure en cas de situation locale compliquée. L’objectif est d’effectuer des mises aux enchères par centaines, et par milliers si possible. Il n’empêche que l’étude du notaire, certes moins repérable que la salle d’audience du Tribunal d’Instance, est un lieu physique, possible lieu de rendez-vous du mouvement populaire qui s’est déjà manifesté activement depuis l’application du nouveau dispositif.
La poursuite et intensification de la répression des militant-e-s reste donc un recours nécessaire au gouvernement SYRIZA qui veut mener le projet néolibéral jusqu’au bout et à tout prix. Un amendement de loi a donc été déposé, arguant dans le rapport préalable que les actions d’obstruction aux mises aux enchères « nuisent à l’intérêt budgétaire suprême de l’État, à la stabilité du système financier et à l’approvisionnement des banques en liquidités » (!) Il devient donc possible de poursuivre d’office ces militant-e-s et de les juger en comparution immédiate. L’entrave donc aux mises aux enchères est considérée comme un délit spécifique, sui generis. Auprès de l’opinion publique grecque, les dispositifs légaux d’exception ont très mauvaise presse, faisant écho au droit de la dictature des colonels et des suites de la guerre civile.
Le tableau se complète par l’usage immodéré de la force brute et vile : faux témoignages, matraquages, gazages, traumatismes infligés aux militant-e-s-qui manifestent.
Selon les propos des porte-paroles de la formation de Gauche radicale « Unité Populaire » :
« Ni les intimidations, ni la violence, ni la désinformation massive, ni les lois sui generis n’arriveront à faire fléchir le mouvement de résistance des citoyen-ne-s grec-que-s face aux saisies et mises aux enchères des logements. Le recours du gouvernement SYRIZA aux plateformes électroniques pour désamorcer concrètement la contestation fera émerger de nouvelles formes efficaces de combat, notamment par l’essaimage du mouvement dans les quartiers populaires… »
La bataille pour les habitations principales des classes populaires pourrait devenir aujourd’hui un point de convergence des forces qui combattent l’austérité en Grèce.