Voyage en Grèce : à Thessalonique, on travaille sans patron

De    Pierre-Louis  6 juillet 2022

C’est l’été, le début des grandes vacances. Alors cette semaine dans l’Actu des Luttes, on s’envole pour la Grèce. Direction Thessalonique au nord-est du pays. La-bas, on plonge au cœur d’une autre manière de travailler. Rencontre avec ces grec·ques qui choisissent de s’organiser et de lutter pour réaliser un vieux rêve du monde ouvrier : l’autogestion. Le salariat sans le patronat c’est possible, ils et elles le font. Et pour vous le raconter, on vous emmène avec nous au bord de la mer Égée.

C’est le début du printemps, le temps idéal pour un freddo-espresso, dont raffole les grec·ques. Nous arrivons au café Mr Jones aux alentours de 11h15. Mr Jones est une coopérative. C’est un café, tout ce qu’il existe de plus classique. A une exception près : tous·tes les salarié·es perçoivent le même salaire et se répartissent équitablement le temps de travail. Bref, le salariat mais sans patron. Thassos, avec qui j’ai discuté de mon projet d’article la veille, me salue, souriant. Alex, son compagnon de travail va répondre à mes questions. Une clope, une caisse à transporter, un verre brisé et nous nous installons en terrasse sur un air de jazz.

Le café Mr Jones à Thessalonique en Grèce. Dessin : Sophie Imren

« C’est le meilleur travail que j’ai jamais eu »

Alex, barman, a déjà soufflé sa 42ème bougie. Cela fait maintenant plusieurs années qu’il travaille ici et ça lui plaît bien. « Je pense que c’est une manière naturelle pour les gens de travailler ». Hormis financièrement, pour lui, rien avoir avec le salariat d’avant. « La manière dont on se sent et dont on travaille est tellement meilleure. On n’a pas un gérant qui nous dit quoi faire, on tient réellement à l’endroit et on est de très bons ami·es, on a lié nos vies ensemble. »

Le même son de cloche retentit, à quelques rues de là, au café-librairie État ingouvernable. « C’est le meilleur travail que j’ai jamais eu. Les conditions de travail sont incomparables. Juste le fait que maintenant je puisse m’asseoir, te parler et que ça soit parfaitement ok, que je n’ai aucun compte à rendre à quiconque, c’est quelque chose que je n’ai jamais vécu avant, » nous confie Christos, libraire. Attablé avec nous autour d’un café, Christos enchaîne les aller-retours avec les clients pour nous répondre.

S’il n’a jamais été aussi épanoui au travail, son quotidien n’est pas pour autant de tout repos. « Je dois dire que j’ai donné beaucoup plus de temps et d’efforts ici que dans n’importe quel job. » A l’ouverture de la librairie, après la crise, l’équipe a travaillé plus que jamais pour maintenir le bateau à flot. « On a définitivement travaillé dur dans les premières années, nos salaires étaient très bas, on avait beaucoup de difficultés. Beaucoup d’entre nous avaient -et ont toujours- un deuxième job. »

La librairie autogérée « État ingouvernable » à Thessalonique en Grèce. Dessin : Sophie Imren

« Dans le collectif, on a le socialisme »

Certes Christos ne vit pas dans un rêve mais « au moins dans le collectif, on a le socialisme » nous dit-il. Si l’entreprise collective est une libération pour elles et eux, « tu peux pas avoir le socialisme seulement dans une bulle. On a tous les problèmes que le capitalisme peut apporter aux gens« , concède le libraire, lucide sur le chemin restant encore à parcourir. Pour lui, leur démarche peut être un exemple de « comment gérer une librairie sans patron« , rien de plus.

Ce modèle ne peut pas être une réponse globale au système capitaliste. En effet, si ils et elles éditent des livres, en vendent, et se paient, ce n’est pas suffisant. Pourtant, une autre forme de coopérative semble plus prometteuse à ses yeux : « le coopératisme après la reprise des moyens de productions, c’est autre chose. Comme l’usine Viome, où le syndicat a repris l’usine, changé puis redémarré la production, et où ils en vivent. C’est genre 100 fois plus important pour le mouvement social que des petites coopératives qu’on doit créer pour survivre. »

Sur ses conseils, nous grimpons dans le bus 2K, direction la périphérie de la ville. Notre destination : Viome, la fameuse usine autogérée par ses ouvrier·res. Nous sonnons au portail. La porte métallique s’ouvre grinçante de toute sa ferraille. Yanis, nouvellement arrivé dans la coopérative nous accueille. Il nous conduit dans une petite salle de réunion faisant office de salle de repos. Dès notre arrivée, café et tsípouro nous sont offerts en guise de bienvenue.

Makis, ouvrier et pilier de la lutte accepte de répondre à nos questions. Lui aussi l’atteste, depuis que le parton est parti, tout a changé pour le mieux. Le point central de sa réflexion c’est sans aucun doute ce qu’il nomme le « contrôle ouvrier ». « A l’époque on n’avait pas notre mot à dire sur le produit. On n’avait pas la main sur ce qu’on produisait. On nous disait seulement, vous lancerez ça. Point final. Et on devait obéir. Aujourd’hui notre job commence dès qu’arrive la commande et on s’y met tous. Ou alors on crée un nouveau produit et on discute tous ensemble de comment on va le développer et le produire et on va jusqu’au bout du processus de création. C’est un processus complètement différent« .

Chez Viome, les « sujets de la révolution » s’organisent

Lorsque l’usine est reprise, l’assemblée des salarié·es décide changer la production, conscients du rôle qu’ils et elles avaient à jouer en temps que producteurs et productrices. « Nous nos produits, nous nous battons toujours pour qu’ils répondent à ces deux impératifs. Nos produits, sont tous vegan et bio-dispersibles à 100 %. »

La lutte des travailleurs et travailleuses de Viome inspire au-delà des frontières : « En 2016 comme je vous disais, on a organisé ici un congrès sur l’économie mondiale. Il a rassemblé des gens de tous les pays. Il y avait des jeunes allemands, qui en découvrant le modèle que nous proposons, s’en sont inspirés pour lancer un magasin de distribution. C’était quatre ou cinq groupes séparés, et c’est ça le meilleur, ils ont fusionné en un ici. Des anarchistes, des gens d’autres tendances de gauche, qui se sont rencontré·es ici. Et ils ont lancé un magasin de distribution de produits à Berlin. Eux par exemple se sont inspirés d’une proposition que nous avions fait ici au nom de Viome pendant le congrès, » nous révèle l’ouvrier.

Interview avec Makis, salarié de l’usine autogérée Viome près de Thessalonique en Grèce. Dessin : Sophie Imren

La lutte, pourtant, continue. Pour Makis, le lien avec les salarié·es du monde entier est primordial. « Les sujets d’une révolution, ce sont d’abord les salarié·es eux-mêmes. C’est ce pour quoi nous nous battons. Récemment, nous avons rédigé une lettre ouverte à destination de tout les salariés d’Europe. Elle parle de comment changer les mentalités sur le type de produits qu’ils utilisent et sur l’esprit dans lequel ils ont été produits« .

Merci à Drenia pour la traduction en direct à Viome, et à Lydia Papandreou pour la traduction à Paris. Voix de traduction : Martin Bodrero, Antoine Laurent-Atthalin et Marie Rabin.

Un épisode de l’Actu des Luttes réalisé et présenté par Pierre-Louis Colin. Coordination éditoriale : Martin Bodrero.  Dessin de Une : Sophie Imren. Identité sonore Actu des Luttes : Etienne Gratianette (musique/création) et Elin Casse, Antoine Atthalin, Romane Salahun (voix)

source : radioparleur.net/2022/07/06/voyage-en-grece-viome-thessalonique-autogestion/

rédaction

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