Grèce : retour sur le parcours du militant assassiné Zacharías « Zak « Kostópoulos
Le 21 septembre 2018, l’activiste grec Zak Zakaropoulos était lynché en plein cœur d’Athènes. Sa mort tragique et le procès de ses meurtriers ont suscité une très vive émotion et unis les drag queens grecques pour demander justice.
La vidéo était devenue virale. Elle est insupportable. On y voit l’indicible. Un homme qui essaie de fuir d’une bijouterie. Passe au travers de la vitrine avec des hommes qui lui donnent de violents coups de pieds sur la tête quand il essaie de sortir. Il s’extirpe de cette vitrine, trébuche sur le trottoir, tombe à terre. Il est poursuivi par deux hommes, sortis eux par la porte de cette même bijouterie, le frapper à terre à coups de poings, de pieds, dans une rue piétonnière à deux pas de la place la plus populaire d’Athènes, la place Omonia.
Puis on voit clairement quatre policiers appelés en renfort le lyncher, « pour le désarmer » diront-ils plus tard, et lui passer les menottes bien qu’à terre et inconscient.
En plein centre ville, en plein jour, devant des dizaines de témoins qui ne sont pas intervenus. Certains ont participé à l’hallali, d’autres ont filmé la scène avec leur téléphone portable, c’est tout.
Zacharías “Zak” Kostópoulos mourra dans l’ambulance qui le transportait à l’hôpital. Sa mort sera officiellement constatée par les médecins à l’hôpital. Il n’a pas été possible de le ranimer car il était menotté. Il avait 33 ans. C’était le 21 septembre 2018.
Zacharias a été assassiné une seconde fois par les média grecs qui l’ont présenté comme un « voleur, une petite frappe, un drogué qui voulait attaquer cette bijouterie » et l’attaque aurait mal tourné.
Les commerçants « menacés » par Zak n’auraient rien fait d’autre que « de se défendre ».
Le président du syndicat des policiers a quant à lui déclaré sur une radio, que ses hommes étaient tous les jours « en danger » face à ces « drogués » et ces « malades ». « On a peur quand on rentre le soir chez nous de ramener des maladies à nos femmes et nos enfants ». Authentique.
L’autopsie a déterminé que Zacharias est mort d’un infarctus. Cette même autopsie a démenti la version selon laquelle, Zak Kostópoulos ou ‘Zak/ Zackie-Oh !’ de son nom d’artiste drag queen, était sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool comme l’ont déclaré les policiers, les deux commerçants et les médias.
Huit mois de procès
Il a fallu attendre trois ans pour que s’ouvre en octobre 2021 le procès des six hommes impliqués dans ce meurtre, dont ces policiers accusés d’avoir « infligé des blessures mortelles sans l’intention de donner la mort » et non pour homicide comme le demandait la partie civile.
Dans l’enquête préliminaire le procureur, avait opté pour la « négligence ». Les assassins de Zak l’avait tué par “négligence”. Là aussi, authentique.
Au bout de près de huit mois de procès, au cours duquel il a été très difficile pour la presse d’assister aux audiences, les policiers ont été innocentés, ils patrouillent à nouveau dans la rue. Les deux commerçants ont été, eux, condamnés chacun à dix ans de prison ferme. La peine maximale d’après le nouveau code civil.
L’un d’eux, âgé de 77 ans, purgera sa peine chez lui en raison de son âge alors même que plus d’un septuagénaire croupit dans les geôles du pays.
Pour la Ligue des Droits de l’Homme, « ce n’est pas la première fois que l’implication plus ou moins grande de la police dans des incidents violents s’accompagne de son acquittement pénal ou disciplinaire ».
L’ONG fait référence aux fameuses EDE, enquêtes internes de la police, qui n’aboutissent pratiquement jamais à une quelconque condamnation et qui par conséquent ne sont jamais prises en compte par la justice. Pour Anastasia Tsoukala, criminologue, « les policiers sont toujours couverts quoi qu’ils fassent car aucun gouvernement ne veut s’affronter à eux. La police grecque est un État dans l’État ».
Amnesty International, qui avait adopté le cas de Zak Kostópoulos, ne dit pas autre chose. Pour l’ONG ce verdict prouve que « les victimes de recours excessif à la force sont privées de justice ».
Lorsque le procès tardait à s’ouvrir, Amnesty International a diffusé dans le monde entier une pétition pour demander l’accélération de la procédure judiciaire. Le ministère grec de la Justice du gouvernement conservateur a toujours refusé de recevoir la délégation d’Amnesty qui lui demandait une rencontre.
Pour Amnesty International et la ligue des Droits de l’Homme, les policiers ont « fait preuve d’une extrême cruauté ». Amnesty a qualifié l’agression de « sexiste et homophobe » tout en « déplorant la stigmatisation des toxicomanes ».
Les deux organisations ont souligné que de telles pratiques « sont incompatibles avec la fonction démocratique de la police dans un état de droit ».
De son coté, l’ONG Forensic Architecture a reconstitué le déroulement de l’assassinat et l’implication – déterminante – des policiers ne ferait aucun doute. Grande première, cette reconstitution à partir des vidéos de surveillance du quartier a été présentée à la fondation Onassis qui a financé par ailleurs la publication d’un livre sur la vie de Zak.
Chaque célébration à sa mémoire est une fête
Son enterrement a donné lieu à une sorte de fête pailletée comme il aurait aimé. La communauté LGBTQ+ était là, car Zak était un grand défenseur de la cause LGBTI+, les drag queens avec leur plus beaux costumes, Zak aurait apprécié. « On a fait ce que nous pensions être le mieux », avait à l’époque déclaré Alexis, membre actif ce la communauté, « le noir et les pleurs ne sont pas pour Zackie Oh ! ».
De fait, chaque manifestation en sa mémoire est une fête, pleine de couleurs, avec des chants, des paillettes, des costumes et beaucoup d’humour et d’amour. Signe de ralliement et slogan de ces manifs « Afto, afto afto einai sosto klotsies me dodekaponto na valete mialo ! » Traduction libre : « un coup de pied avec un talon aiguille de 12 cm c’est ce qu’il vous faut pour vous mettre du plomb dans la tête »… En grec ça rime.
Zacharías “Zak” Kostópoulos, brun ténébreux au sourire en coin et séropositif, était une icône, au sens propre du terme du mouvement LGBTQ+. Président d’OLKE pendant un temps, l’une des plus anciennes associations LGBTI+. C’est d’une voix très douce, qu’il s’adressait à ceux, celles qu’il voulait convaincre : « Vous devriez vous battre contre la stigmatisation » disait-il sans relâche, « ne vous laissez pas détruire, vous ne devez avoir honte de rien. Vous trouverez des personnes qui vous soutiendront et vous aimeront pour qui vous êtes. Tu vis avec le VIH, mais tu es toujours la même personne : tu es un être humain. Aime, c’est tout. »
Ouvertement gay, drag queen, Zacharías Kostópoulos était aussi le porte parole décomplexé des séropos. Il se battait avec un humour au vitriol pour les droits de la communauté LGBT+ du pays.
Il a été l’un des premiers à tirer la sonnette l’alarme sur sa récupération par les partis politiques ou les grandes marques qui, ces derniers temps, se battent en Grèce pour sponsoriser la semaine des Fiertés.
Avec une insolence qui nous fait cruellement défaut, il faisait bouger les choses, dans le bon sens, c’est indéniable.
« J’aime me produire devant un public hétéro, de bon père et mère de famille qui pouffent lorsque j’arrive sur scène mais qui applaudissent et viennent me féliciter en coulisse après le spectacle ».
Pourtant, dans un entretien, Zak avait déclaré avoir « en horreur les bons pères de famille, car c’est eux qui tirent la société grecque vers le bas et pavent la route du fascisme rampant de la société grecque ».
De fait, antifasciste convaincu, il était de toutes les manifestations, et n’en loupait pas une pour souligner la dérive vers l’extrême droite de la société grecque. Magda Fyssa, la mère de Pavlos Fyssas, ce rappeur assassiné par un cadre du parti néo nazi grec Aube Dorée, était présente dans le tribunal à l’annonce du verdict qui a innocenté les policiers. Elle a explosé en même temps que la mère de Zak, son frère et tous ses amis présents.
« Assassins ! » ont crié les deux mères, « vous tuez nos enfants une seconde fois ».
Lorsqu’on revoit ses anciens entretiens, on se demande si Zak ne sentait pas que sa mort serait aussi violente. « Athènes est difficile si vous êtes comme moi » avait-il déclaré. « J’ai été frappé, attaqué à plusieurs reprises par les bons pères de famille, des hommes qui se sentaient et se donnaient le droit de me courser, mais même avec mes talons de 12 cm je cours vite ».
Le jour de sa mort, on ne lui a pas donné la chance de pouvoir courir vite.
Régulièrement des activistes de la communauté changent la plaque de la rue où il a été assassiné qui devient “rue Zack Zackie Oh !”. Une communauté que par sa mort Zack a pu unir, un exploit. Ainsi pour la première fois organisées en association les drag queens et les personnes queer du pays se sont réunies pour demander justice pour Zak.
La famille de Zacharías Kostópoulos est décidée à faire appel du verdict. Le chemin sera long et difficile pour y parvenir mais elle sera soutenue.
Cerise sur le gâteau l’avocat des policiers, Athanasios Plevris, qui vient de l’extrême droite la plus dure et la plus raciste dans le pays, était député conservateur au moment des faits. Aujourd’hui il est ministre de la Santé. Peut-être que dans un prochain remaniement ministériel il sera ministre de la Justice…
En Grèce la justice est aveugle mais surtout de parti pris. Là aussi. Zak risque de faire bouger les choses.