Quand monte le soleil La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Il évoque notamment les résultats des élections municipales et régionales.

Quand monte le soleil

 

Le pays a voté. Deuxième tour des élections régionales et municipales, dimanche 2 juin. De l’abstention plutôt victorieuse, elle se situe entre 50% et 60%, voilà pour les premières impressions. Sinon, réussite dite écrasante de la Nouvelle Démocratie, comme on l’a répété depuis à travers les médias. La carte des régions, douze sur treize, elle s’affiche en bleu, couleur du parti de la Nouvelle Démocratie et des Mitsotákis, voilà pour l’écran plat des nouvelles, fumée comprise. La Grèce tourne alors sa page entachée sous SYRIZA, tout en faisant du sur place dans le même chapitre. Seuls nos touristes… admirent-ils peut-être ce qui reste des apparences et des réalités.

Touristes en Golfe Saronique. Juin 2019

Sur le papier peint des illusions et des médias, “ce fut un grand moment de Démocratie”, “une gifle pour SYRIZA autant que l’approbation générale pour ce qui est du programme de la Nouvelle Démocratie”. Cependant et déjà, la récente loi électorale que SYRIZA a imposé au paysage des élections Municipales et Régionales, oblige à la proportionnelle intégrale, ce qui donne un résultat alors inédit. Pour les Maires et pour les Présidents de Région surtout élus au deuxième tour, et qui ne disposent pas de la majorité absolue, il va falloir composer avec les élus des autres listes, ce qui modère un peu le sens absolu de la victoire de la Nouvelle Démocratie.

Et au pays réel on fait finalement ses décomptes, telle la voisine Anna, rencontrée devant l’immeuble. “Cela… va très mal, pas de vacances cet été, et c’est la première fois. Nous nous enfonçons lentement mais sûrement, notre seule préoccupation, la survie, maintenant que la politique est morte voire, elle est même mortifère. Nous ne sommes pas allés voter et nous représentons la moitié du pays. Le résultat d’ailleurs est à la hauteur du non-choix. Les gens auront élu Mitsotákis, une nouvelle catastrophe qui s’ajoutera à tants d’autres.”

“Et c’est ainsi qu’entre voisins nous nous perdons de vue, chacun de nous immergé comme il est dans ses soucis quotidiens. Oui, j’ai vu ces visages des Syrizístes et de Tsípras et de Doúrou -Présidente SYRIZA de la Région Attique, battus – à la télévision. Ils n’ont pas l’air de digérer leur défaite. Ils se sont accrochés au pot de miel et voilà qu’ils sont en train de chuter. Mais sinon et surtout pour nous, rien ne changera.”

Lourde défaite de Tsípras. Presse grecque du 3 juin

 

Tsípras et Doúrou après les résultats. Presse grecque – ‘IN’ du 3 juin

 

Tsípras parle aux siens après les résultats. Presse grecque – ‘IN’, juin 2019

Pour Státhis Stavrópoulos, dessinateur de presse et analyste issu de SYRIZA mais SYRIZA d’il y a plus de dix ans maintenant, il n’y a pas photo. “Chez les Syrizístes ce qui fait vraiment peur, c’est leur arrogance, leur suffisance, tout comme l’absurdité dont ils sont les porteurs à l’instar de Nikos Pappás, ministre et ami personnel de Tsípras, lorsqu’il déclare qu’il n’a pas perçu l’écrasement de SYRIZA, ‘car le parti a perdu tout juste deux régions’. Sauf qu’elles étaient les seules que SYRIZA contrôlait. Ils ont perdu le Nord et le Sud avec dans toute la Grèce, sauf qu’ils ne le comprennent pas pourquoi. Toutes les explications de cette surdité seront-ils alors acceptées !”

“Cette démonstration de stupidité doit avoir une explication, ce n’est pas possible ! Seule la question de notre existence reste plutôt inexplicable. Cependant, notre existence est sujette à de nombreuses explications. Néanmoins, dans le cas de SYRIZA, la science semble éprouver des difficultés pour expliquer son hybridation celle aussi des cadres de ce parti, ce n’est guère possible. Cependant, et pour rester sérieux, les élections législatives sont déjà annoncées. Et de quoi parle-t-on chez les politiques et à travers les médias ? Parlons-nous de la dette ? Parlons-nous de la menace turque en mer Égée, à Chypre et en Thrace ? Quel est le problème dramatique enfin, pour ainsi l’exclure du débat ? Le problème de la démographie ? Celui des migrants ? Quoi d’autre ?”

“Tout ce que les partis politiques comme la Nouvelle Démocratie, SYRIZA et KINAL-PASOK font semblant de discuter, et en réalité ils ne publient que des annonces, c’est de savoir comment gérer les conséquences des mémorandums, autrement-dit, du style de vie et des règles sous l’Occupation. Ces partis tiennent d’ailleurs le même langage néolibéral et pourtant, leurs mesures néolibérales qu’ils ont prises ont échoué, provoquant le malheur du peuple, la destruction de l’économie et faisant peser de graves menaces sur la nation.”

Soirée électorale en berne, candidat SYRIZA aux municipales. Athènes, le 2 juin 2019
Garde Présidentielle Evzone. Athènes, juin 2019
Immobilier… aux mains des investisseurs. Athènes, juin 2019

“Ce sera également le même problème lors de la prochaine législature. La pomme de la dispute est bien pourrie. Et l’on traitera des arrangements dans le cadre des clientélismes, des comités d’initiés comme dans celui des ruses. Les politiques useront et abuseront ainsi d’une rhétorique sur l’insignifiant, bien de niveau provincial disons de l’entre-deux-guerres. Et pendant ce temps, les frontières se déplacent d’un pays à l’autre dans notre région, il y des populations en mouvement, des bouleversements sociaux au vers le pire, puis tant de nuages arrivés depuis l’Occident. D’ailleurs, les dix années d’Occupation sous la Troïka ont transformé les mécanismes de déclin en institutions. Nous sommes habitués de la corde qui nous étouffe, autant que des salopards qui la resserrent”, “To Pontíki” du 5 juin 2019.

Ces derniers jours et pendant que l’Assemblée vient d’arrêter ses travaux ce vendredi 7 juin, elle sera dissoute lundi prochain d’après la presse, SYRIZA se met à faire voter lois, réformes et autres faveurs, alors qu’il admet sa défaite. Du jamais vu même dans le cadre de la démocratie d’opérette habituelle, en Grèce comme ailleurs. C’est une parodie visant le Parlement écrit-elle-même la presse mainstream, et elle a raison, quotidien Kathimeriní. Dans la métastase des régimes méta-démocratiques actuels, SYRIZA a été… nommé on dirait par les Oligarques mondiaux pour finir alors encore plus bas qu’avec les autres marionnettes. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement Tsípras vient d’annoncer dans la foulée, la requête à l’encontre de l’Allemagne au sujet des réparations de guerre, autant celle de 1940 que de 1914, puis, l’embauche de dix mille enseignants dans la fonction publique, c’est sauve qui peut en une semaine, presse de la semaine.

SYRIZA fait donc voter en ce moment lois et amendements en faveur des agents de l’État, tout comme il fait adopter un nouveau Code Pénal, très controversé. Enfin, certains députés Syrizístes s’insurgent même contre leurs ministres lorsque leurs amendements sont jugés excessifs, comme par exemple celui modifiant la hauteur légale des combles aménagés pour l’île de Céphalonie, presse de la semaine. La Présidente Syrizíste de l’Assemblée Tasia Christodoulopoúlou vient de faire muter sa fille de la Poste, au personnel de l’Assemblée. Et elle le reconnait, “avoir bénéficié du pouvoir et des réseaux, et je ne recherche pas d’alibi”, précise-t-elle, presse grecque du 7 juin.

Pendant ce temps, le pays poursuit-il comme il peut, suspendu à la… fin de l’histoire. Anciens ateliers qui se transforment en hôtels, jeunes femmes faisant de leur beauté une supposée carrière, des événements photographiques annoncés comme dignes du temps qui est le nôtre, justement sur la méta-Polis, la Cité, la ville d’après, toute une obsession civilisationnelle sur le monde d’après, rien que le monde d’après.

Transformation en hôtel. Athènes, juin 2019
Un certain… modélisme. Athènes, juin 2019
Méta-Polis. Athènes, juin 2019

Maria, employée municipale du côté du Péloponnèse des bourgades, nous raconte-elle alors sa condition humaine. Fatiguée des élections, elle n’a voté “rien que pour faire partir les affreux Syrizístes”, puis, pour la liste aux municipales où figurait alors le nom de son cousin, “lettré et dynamique” nous dit-elle. “Sinon, tout est cuit, je ne peux pas dire que je suis en train de vivre avec mes 750€ mensuels. Je vois les touristes et les vacanciers arriver, puis repartir. Je ne voyage jamais, je m’occupe également de ma très vieille mère, la famille manque cruellement de moyens, il n’y a pas que moi. Ce n’est plus une vie, c’est… un parking jusqu’à notre mort. Parfois, ces politiciens survolent notre parking… en OVNI, et c’est tout. Leurs salades ne nous intéressent donc plus.”

Péloponnèse mythique aux cafés branchés, à Nauplie ou encore jusqu’à Athènes. Cafés grecs aux fresques parfois inhabituelles, celle par exemple rappelant l’apogée de l’Empire romain d’Orient, dit généralement Byzance. Au pays étendu tel un corps sans tête, déjà politique, on sait tant attendre son heure, ou sinon son siècle. Nos matous quant à eux, ils attendront devant les tavernes et autres établissements à crêpes ou à pizzas cette saison touristique, voire, la suivante.

Quant à la voisine Anna, elle estime que “près de 50% des Grecs ne participent plus au cirque politique, ils ne votent plus et ils attendent peut-être leur heure. C’est comme une casserole en train de chauffer mais lentement. Explosera-t-elle, et alors dans combien de temps ?”.

Byzance sur un mur. Athènes, juin 2019

 

Pays couché. Athènes, juin 2019
En attendant la saison. Athènes, juin 2019

Quittons donc et enfin un peu, les Syrizístes, les Mitsotákis comme tous les autres. Songeons plutôt aux espaces Égéens, aux ouvertures aux quatre vents, comme le faisait souvent notre poète Odysséas Elýtis (1911 – 1996), lequel a reçu le prix Nobel de littérature en 1979.

“Devant la crête de l’île de Sérifos, quand monte le soleil, les canons de toutes les grandes théories du monde échouent dans leur mise à feu. L’intelligence est vaincue par quelques vagues et une poignée de pierres – chose étrange peut-être, et pourtant capable d’amener l’homme à ses véritables dimensions. En effet, qu’est-ce qui, sinon, lui serait plus utile pour vivre ? S’il aime commencer de travers, c’est qu’il ne veut pas entendre. Sans qu’il en prenne conscience, la mer Égée dit et redit sans cesse, depuis des milliers d’années, par la bouche du clapotis de ses vagues, sur l’immense étendue de ses côtes: voilà qui tu es !”

Songeons plutôt au clair soleil, à l’azur profond… aux nouvelles portées de l’année. Nous aussi, admirons-nous parfois ce qui reste des apparences et des réalités. Rien que pour amener l’homme à ses véritables dimensions.

La portée de l’année. Péloponnèse, juin 2019

* Photo de couverture: Garde Présidentielle Evzone. Athènes, juin 2019

rédaction

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