Un camarade de Sud PTT poursuivi en Grèce pour avoir tenté de sauver sa belle famille syrienne à fuir le régime et Daesh. Voir la lettre qu’il a écrite à E Macron et la pétition
Monsieur le Président de la République
Monsieur Emmanuel MACRON
Monsieur le Président,
Je m’appelle Stéphan Pélissier. Je suis père de deux petites filles, Julia et Mila, 4 ans et 12 mois. Je suis marié à Mouzayan Alkhatib, d’origine syrienne, que tout le monde appelle Zéna. Ma femme est installée en France depuis 10 ans. Elle a obtenu deux Master en droit à la faculté de Lorraine, a entamé une thèse et prépare le concours d’avocat. Elle est actuellement experte judiciaire près la cour d’appel de Paris mention traduction et interprétariat en Arabe/Français.
Mes beaux parents, Seif et Wafaa, ainsi que leurs enfants, vivaient à Damas, dans des conditions très difficiles depuis le début du conflit en 2011, ce que vous pouvez imaginer.
Fin 2014-2015, nous avons avec fait mon épouse une demande de visa sous statut de réfugié en leur nom devant l’ambassade de France à Beyrouth. Un simple mail des services du consulat nous ont informés que leur demande était rejetée sans aucune motivation (voir pièce jointe).
Au début du mois d’août 2015, face à l’avancée de Daech et la menace de voir son fils Anas de 17 ans enrôler de force dans l’armée de Bachar Al Assad, n’en pouvant plus, mon beau-père décide de quitter la Syrie avec sa famille en abandonnant une vie entière : deux appartements, voiture, statut (il était maire d’arrondissement et ancien ingénieur en électronique). Ils quittent la Syrie le 6 août avec les économies d’une vie, environ 15000 dollars.
C’est d’abord le Liban puis la Turquie. Là, la recherche d’un passeur pendant 10 jours entre doutes, peur et arnaques. Finalement, une nuit, après 5 heures de marche dans une forêt, après que ma belle mère se soit cassée le bras dans une chute sur des rochers, ils embarquent à bord d’un canot pneumatique de 8 mètres. Mon beau frère Anas compte par réflexe les passagers. Ils sont 64.
Au bout de plusieurs minutes de traversée, l’eau commence à s’infiltrer dans le bateau. C’est la panique. Il y a des femmes et des enfants à bord (même un bébé). Plusieurs ne savent pas nager, c’est la nuit noire. Finalement, des gardes côtes grecs qui patrouillaient dans le secteur viendront les sauver et les déposer sur l’île de Samos. Mes beaux parents, Mon beau frère, ma belle sœur Mayada et un cousin à eux parviendront à Athènes deux jours plus tard.
Après une nuit épouvantable avec mon épouse, nous avons enfin des nouvelles de mon beau père qui nous annonce qu’il envisage de prendre un autre bateau avec un passeur mais cette fois-ci pour l’Italie.
Et c’est là que nous décidons d’intervenir avec mon épouse, inquiets de les voir réitérer une traversée à haut risque beaucoup plus longue cette fois, alors qu’ils ont failli périr noyé.
Je décide d’aller en voiture depuis Albi (Tarn) jusqu’à Ancone (Italie) puis j’embarque avec ma voiture pour Patras (Grèce), pour empêcher ma belle famille de prendre un autre bateau et les ramener avec moi.
Le lendemain à Patras, nous achetons des billets de bateau pour Ancone (Italie). Nous serons finalement contrôlés et arêtes au checkpoint avant d’embarquer. Après une nuit en prison, mes beaux parents et leurs enfants seront jugés, condamnés et relâchés puisque c’est la première fois qu’ils sont arrêtés.
Quant à moi, je suis pris pour un passeur. Heureusement, ma femme avait eu la présence d’esprit lors de mon départ de me donner notre livret de famille sur lequel figurent les noms de ses parents. En le comparant avec le permis de conduire de mon beau père et la photocopie de son passeport, les services de police eurent la preuve qu’il s’agissait de ma famille. Pourtant, malgré ma bonne foi, je fais l’objet d’une procédure spéciale devant le Procureur et le Juge : je dois payer une caution pour sortir, ma voiture est confisquée et on me dit que je dois attendre mon procès dans quelques mois.
Près de deux ans et demi après les faits, j’apprends via un mail d’une avocate grecque que mon procès est fixé le 9 novembre 2017.
Je suis donc poursuivi pour avoir tenté de sauver mon beau père, ma belle mère, mon beau frère et ma belle sœur. Poursuivi comme un vulgaire passeur, poursuivi comme un criminel, par un état européen.
J’ai prouvé pourtant aux autorités grecques le lien de parenté.
Je suis d’autant plus scandalisé que l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier n’est pas poursuivi lorsqu’il s’agit de membres de la famille, même lorsque les faits se déroulent hors de France dans un pays européen ou appartenant à Schengen. L’article L. 622-1 et 4 du code de l’entrée du séjour des étrangers et droit d’asile, modifié par la loi du 31/12/2012 stipule :
« Art 622-1 : toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera puni d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 30.000 euros.
Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu’il se trouvait sur le territoire d’un Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.
Art 622-4 : Ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles 622-1 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait :
-des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint ;
–detoute personne physique lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement, de soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci. »
En conséquence, je suis très surpris que les poursuites n’aient pas été abandonnées au vu de ce qui précède. C’est l’incompréhension pour moi et ma famille, qui pensions que le pire était derrière nous.
Mon attitude n’a pas été préméditée et a été simplement guidée par un état de nécessité (principe général de droit pénal) qui consistait à sauver ma belle famille d’une mort quasi-certaine s’ils traversaient la mer adriatique. Ce principe a aussi vocation à s’appliquer ici.
Je précise à ce stade les éléments complémentaires suivants :
- Tous les membres de ma belle famille ont obtenu le statut de réfugié par le gouvernement français fin 2016
- L’autre sœur de ma femme a obtenu la nationalité française
- Il n’y a donc pas de risque de récidive
- Mon casier judiciaire est vierge.
Vous êtes donc mon seul recours, ma seule voie.
Je sollicite de votre part une intervention diplomatique pour faire valoir la spécificité et l’humanité de ma situation.
Je vous remercie par avance pour l’intérêt que vous porterez à ma requête.
Je reste à votre disposition pour toutes précisions, entretien, ou documents complémentaires.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées.
Stéphan Pélissier