Le 11 février 1951, Ambroise Croizat décédait
Il y a 69 ans jour pour jour, Ambroise Croizat, le père de notre régime général de la sécurité sociale décédait. Il laisse derrière lui un héritage révolutionnaire qu’il faut défendre et qu’il faut continuer. Comme lui, il ne faut pas défendre des droits mais se battre pour de nouveaux droits. Merci Monsieur Ambroise Croizat !
Qui connaît encore Ambroise Croizat ?
Une expérience malheureusement triste à réaliser est de se rendre dans la rue afin de demander aux passants qui est Ambroise Croizat, la majorité ne pourront pas vous répondre. Comment est-ce possible ? Pourquoi cet homme est-il oublié des livres d’histoire ? Des références politiques ? Pourquoi son œuvre n’est-elle pas étudiée ? Pourquoi sa mémoire n’est-elle pas honorée ? Parce qu’il est communiste ? Parce qu’il a mis en place une institution anticapitaliste de gestion communiste ? Parce qu’il a combattu politiquement De Gaulle ? C’est pourtant l’homme qui permet aux soignants, aux parents, aux chômeurs, aux accidentés du travail, aux malades, d’avoir un salaire (allocation) pour vivre en dehors de l’économie de marché. C’est pourtant l’homme qui a reçu un des plus grands hommages de toute l’histoire française : 1 million de personnes se sont déplacées sous une pluie torrentielle. Un hommage digne de celui de Victor Hugo. Si ce n’est pour ce dernier homme cité, jamais autant de personnes ne se sont déplacées pour rendre un tel hommage, alors pourquoi Ambroise est-il tombé dans l’oubli ?
Ambroise Croizat, qui êtes-vous ?
Avant de vous parler de son œuvre politique, laissez-moi vous présenter rapidement l’homme. Ambroise est né le 28 janvier 1901, il est fils d’ouvrier et d’employée. Comme beaucoup d’enfants de son époque, il travaille à l’usine à l’âge de 13 ans dans la métallurgie. En 1920, le Parti Communiste se crée en France et Ambroise s’y inscrit dés son ouverture. Il devient un militant convaincu du projet communiste et deviendra l’un des dirigeants des Jeunesses communistes entre 1920 et 1928. Il sera membre du bureau de la Fédération de la Jeunesse jusqu’à son décès. C’est en 1936 qu’il devient secrétaire général de la Fédération Unique de métallurgiste CGT, qui regroupe à l’époque 20 % de l’effectif du syndicat. Cette même année, il participera activement aux conquêtes sociales et aux négociations qui amèneront les congés payés, la semaine de 40 heures et la loi dont il est l’auteur sur les conventions collectives.
Mais la deuxième guerre mondiale approche et les communistes sont arrêtés et condamnés à la prison pour leur neutralité politique dans le conflit mondial. Ambroise est condamné à 5 ans de prison et après avoir transité dans 14 prisons les fers aux pieds, il finira emprisonné à Alger. L’Algérie est libéré très tôt par l’intervention américaine, et c’est pendant ces années de résistance à Alger avec d’autres camarades que va mûrir l’idée d’un système de protection sociale novateur et révolutionnaire. A la Libération, il devient ministre du Travail de 1945 à 1947 et pendant ces 2 ans, il construira cette institution qui rend la France si unique dans le monde entier.
L’œuvre d’Ambroise Croizat
Les ordonnances de 45 créent le Régime Général de la Sécurité Sociale. Il permet de socialiser une partie de la richesse produite annuellement (PIB), soit environ 20 % (480 milliards d’euros), afin d’être distribuée aux soignants, aux malades, aux chômeurs, aux retraités, aux parents.
Selon Bernard Friot, le Régime Général n’est pas un organisme de solidarité entre les actifs et les inactifs comme on le répète souvent sur tous les plateaux de télévision. Selon lui, le but de ce mensonge est de dénaturer la subversion politique engagée d’Ambroise Croizat. D’abord le Régime Général n’est pas qu’une institution de solidarité de ceux qui travaillent vers ceux qui ne travaillent pas ou plus. Le Régime est révolutionnaire car il crée une valeur économique alternative à la valeur capitaliste. Il socialise 500 milliards notamment par la cotisation pour les répartir vers différentes caisses qui elles, donneront un salaire aux soignants, aux retraités, aux parents… C’est à dire que ces personnes ont un salaire qui reconnaît un travail sans être sur le marché de l’emploi ! Les capitalistes n’ont aucune prise sur cette richesse.
Selon Friot, une retraite n’est pas le droit d’avoir une pension qui reconnaît que l’on a travaillé auparavant, mais c’est le droit d’avoir un salaire qui reconnait une production de valeur d’usage sans être sur le marché du travail. Idem pour les familles, les allocations familiales étaient appelées « sur-salaire » et constituées jusqu’à 50 % des revenus des ménages en 1945. C’est la reconnaissance du travail d’éducation des parents sans qu’ils le fassent sur le marché capitaliste de l’emploi.
Croizat sort donc le salaire de l’emploi, c’est à dire qu’il considère que les cotisations versées ne sont pas des aides, mais bel et bien du salaire et invente donc une autre reconnaissance du travail. Il ne suffit pas d’avoir un emploi pour avoir le droit à un salaire. Pourquoi si j’élève mon enfant, on me dit que je ne travaille pas alors que si c’est une auxiliaire qui le fait, cela devient du travail ? On se rend compte que la définition du travail capitaliste, ce n’est pas ce que l’on fait, mais c’est dans l’institution dans laquelle on le fait. Croizat change cette définition en reconnaissant le travail quotidien en dehors du marché de l’emploi. La révolution de Croizat, c’est qu’il change le sens du travail. Ambroise a ouvert la voie de l’émancipation du modèle capitaliste.
Cette théorie de Friot sur la subversion du Régime Général est ambitieuse car on ne peut savoir si la volonté de Croizat s’inscrivait dans cette dynamique réflective. Du moins, Croizat s’est battu, tel un résistant contre les forces capitalistes non pour faire du ‘’social’’ comme aujourd’hui, mais bel et bien pour repousser au plus loin qu’il le pouvait la violence de la prédation capitaliste.
Une deuxième chose à laquelle Friot n’est pas d’accord est cette affirmation : « le patronat a accepté le régime général car il était décrédibilisé par son collaborationnisme nazi ». Ainsi Ambroise Croizat a baigné dans un consensus entre le capital et le travail. Or ceci est totalement faux ! Le patronat n’était pas à genoux, il était omniprésent dans tous les partis du gouvernement de 1945 (Gaullistes, le SFIO, le MRP… ). Ainsi ils se sont tous accordés sur la continuité de l’interdiction des augmentations de salaire. Mais le PC gagne les élections législatives de 1945 avec 26 % des voix. Avec 5 ministres communistes au pouvoir dont Croizat et 5 millions d’adhérents à la CGT, le patronat tremble et organise la pénurie avec les députés non communistes par l’interdiction de hausse des salaires avec l’augmentation des prix. C’est pourquoi le pouvoir d’achat en 1947 est inférieur à celui de 1944. La classe dominante attend que les ouvriers se retournent contre la CGT et le PC, beaucoup trop puissant en termes de militants et de puissance idéologique. Mais l’intelligence de Croizat est prodigieuse. Il va contourner l’interdiction de valorisation salariale en… doublant les allocations familiales, puis il introduit les 50 % pour les heures supplémentaires. Il supprime également la décote de 10 % sur les salaires féminins. Avant Croizat, une femme pour le même poste qu’un homme avec la même qualification perdait automatiquement 10 % de salaire. Croizat engendre une victoire de plus face au patronat collaborateur nazi et à tous les politiques qui le soutient !
Puis en décembre 1946, les ministres communistes sont éliminés et Croizat partira en mai 47. C’est la fin de la participation communiste au gouvernement. Pour ce qui est de l’affaiblissement de la puissance de la CGT, c’est la CIA qui va s’en charger en organisant la scission de la CGT en 1947 avec l’aide du syndicaliste américain Irving Brown, pour créer Force ouvrière, afin de lutter contre les communistes et surtout pour soumettre la population au Plan Marshall.
En conclusion, entre 1945 et 1947, 5 ministres communistes ont été suffisants pour révolutionner notre système social et de santé sur un mode de gestion communiste avec un salaire à vie, la copropriété d’usage, le financement par l’investissement et tout cela avec une gestion ouvrière. Ceci sans parler de la fonction publique qui détache le salaire du poste de travail et qui en fait un salaire à vie, détaché de toute dynamique de marché. Entre 1947 et 1967, le Régime était géré par 3/4 de salariés et 1/4 de patrons. De Gaulle qui a toujours été contre le programme social du Conseil National de la Résistance et du Régime Général de la sécurité sociale, détruira la démocratie sociale du Régime Général notamment en 1967 en confiant sa gestion au patronat.
Ambroise Croizat décédera en 1950 rongé par un cancer des poumons. Militant dans l’âme, ses derniers mots à l’assemblée seront « Jamais nous ne tolérerons que soit mis en péril un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès ».
Et aujourd’hui ?
Depuis les années 80, les gouvernements successifs essaient de casser morceau par morceau la construction d’Ambroise Croizat, que ce soit l’UMP/LR ou le PS ou LREM. Depuis sa création, on dénombre au moins une centaine d’attaques contre le Régime Général. L’expression « trou de la sécu », un autre argument fallacieux de la contestation politique bourgeoise, date de 1947 !
Ambroise Croizat, que l’on appelait le ministre des travailleurs, était également le ministre de la subversion, de la fraternité populaire, du courage politique. Il faut défendre ce qu’il a construit avec ses camarades de la CGT. Croizat est celui qui permet encore aujourd’hui aux chômeurs, aux parents, aux malades, aux soignants, aux retraités de pouvoir vivre par la cotisation. La cotisation aujourd’hui détruite par les réformateurs de droite comme de gauche par le blocage du taux de cotisation, par la CSG, les exonérations, les fraudes.
Merci Ambroise, merci ceux qui ont continué son combat. A nous maintenant de continuer la lutte non pas pour défendre nos droits, mais pour conquérir du droit !
Le combat d’Ambroise n’a eu qu’un seul but, celui de :
« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain… La sécurité sociale est la seule création de richesse sans capital. La seule qui ne va pas dans la poche des actionnaires mais est directement investie pour le bien-être de nos citoyens. Faire appel au budget des contribuables pour la financer serait subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières. Ce que nous refusons. »
Ambroise Croizat
Mettre un ouvrier au pouvoir politique, c’est conquérir des droits bien différents que les technocrates de l’ENA. Voici ci-dessous les différentes implications d’Ambroise Croizat dont il est soit l’initiateur, soit ayant participer activement à la réussite de la conquête du droit :
– Mise en place du Régime Général de la Sécurité Sociale
– La généralisation des retraites
– Augmentation des allocations familiales
– Négociation aux Conventions Collectives
– Négociation aux congés payés
– Les comités d’entreprise, la formation professionnelle
– La médecine du travail
– Le statut des mineurs, des électriciens et gaziers
– La prévention dans l’entreprise
– La reconnaissance des maladies professionnelles
– Amélioration du Code du Travail
– La caisse d’intempérie du bâtiment
– Réglementation sur les heures supplémentaires
– Le Statut des mineurs
– Donner un salaire sans être sur le marché de l’emploi (détachement du salaire de l’emploi) « Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais
Ambroise Croizat
Source https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/110220/le-11-fevrier-1951-ambroise-croizat-decedait