Le Premier ministre veut affaiblir coûte que coûte la Nouvelle Démocratie.
Analyse d’ Angélique Kourounis Correspondante à Athènes
Alexis Tsipras jouerait-il aux apprentis sorciers avec le parti néonazi grec Aube Dorée dans le but de limiter la casse lors des prochaines élections ?
La question peut surprendre mais au regard des événements de ces six derniers mois elle mérite d’être posée. Tout a commencé en septembre dernier,lorsque la télévision nationale, la fameuse ERT, retransmit en direct et pour la première fois la cérémonie de Nuremberg, version locale, d’Aube Dorée. Autrement dit la cérémonie qui commémore la bataille des Thermopyles, l’un des plus célèbres faits d’armes de l’Antiquité lors duquel le roi Leonidas et ses 300 Spartiates ont tenu tête à la grande armée perse du roi Xerxès. Aube Dorée commémore cette date chaque année avec une mise en scène virile, pleine de drapeaux et d’uniformes noirs où tous les noms des spartiates morts en héros sont lus. Soit presque trois heures de discours haineux, nationalistes, éclairés au flambeau, au pied de la statue de Leonidas à quelque 200 kilomètres d’Athènes. Rien n’obligeait ERT à une telle retransmission, in extenso de surcroît, puisque sa seule obligation visàvis du Parlement est de retransmettre les déclarations des partis sur une question donnée. Même le Gouvernement conservateur d’Antonis Samaras dont le conseiller personnel Panagiotis Baltakos était très proche d’Aube Dorée n’avait osé le faire.
Aube Dorée mis en avant
Puis ce fut la déclaration du fondateur d’Aube Dorée, Nikos Michaloliakos, qui a endossé, en novembre dernier, la responsabilité politique des attaques contre les réfugiés à l’île de Chios. Tout comme lorsqu’il a revendiqué, le 17 septembre 2015, la responsabilité politique de l’assassinat durappeur antifasciste Pavlos Fyssas, aucune conséquence politique ou juridique n’a suivi. Le 5 décembre c’est le ministre de la justice Paraskevopoulos qui soulève un tollé en déclarant“que l’on doit essayer d’inclure AubeDorée dans le débat démocratique plutôt que de l’affronter constamment” . Certes, il a été remercié,mais depuis cette sortie, Aube Dorée se sent pousser des ailes.
Ainsi, alors que durant toute la crise migratoire de l’année dernière, Aube Dorée s’était plutôt montrée discrète, le 12 décembre, Yiannis Lagos, député inculpé dans le procès d’Aube Dorée qui se déroule depuis 130 jours, fit irruption avec ses sbires dans les locaux de l’association des journalistes lors d’une discussion sur la question migratoire, menaçant et insultant les journalistes présents. Quelques semaines plus tard, le 18 janvier 2017, il est passé à la vitesse supérieure en frappant professeurs et parents d’élèves dans une réunion scolaire ou l’on discutait surcomment accueillir 20 petits ré fugiés. Si on ajoute à tout cela les différentes visites officielles conjointes de députés du Syriza aux côtés de leurs collègues d’Aube Dorée, on ne peut que s’interroger sur les raisons de ce comportement. D’autant que lorsque le Syriza était dans l’opposition, il n’hésitait pas à s’affronter dans les rues avec Aube Dorée.
“Le ministre de la justice est un bon professeur mais pas un politicien. Il a été mal compris” tente d’expliquer Ilias Nikolacopoulos, analyste politique. “D’ailleurs, il a été remercié. Le Syriza s’en est éloigné.”Même son de cloche chez Thanos Dokos, politologue marqué à droite pour qui une alliance entre Syriza et une Aube Dorée démocratisée relève “de la sciencefiction”.
En fait, il semble qu’Alexis Tsipras, conscient qu’il risque fort de perdre les prochaines élections, tente de limiter la victoire de son adversaire conservateur donné gagnant dans tous les sondages par plus de 35 % des voix.
Un jeu dangereux
La logique qu’il applique est la logique de Mitterrand en 85 : les voix qui vont au Front National sont autant de voix qui n’iront pas au RPR. Ici en Grèce, les voix qui iront à Aube Dorée sont autant de voix qui n’iront pas à la Nouvelle Démocratie. D’où la nécessité de donner une plus grande visibilité à ce parti qui reste la troisième force politique du pays depuis 5 ans,donc la seule capable de couper les ailes aux conservateurs. Pour preuve, la nouvelle retransmission en direct de ERT le 1erfévrier, de la manifestation d’Aube Dorée en commémoration des événements d’Imia en 96, lorsque la Grèce et la Turquie ont frôlé l’affrontement militaire. Avec un bonus: une longue interview, en direct, le lendemain, du “Führer” Michaloliakos comme il aime lui-même se faire appeler.
Le seul problème, c’est que dans le scénario mitterrandien de 1985, il n’y avait pas l’extrême droite en embuscade dans la majorité des pays européens, il n’y avait pas la crise financière qui sévissait un peu partout et il n’y avait pas non plus la crise migratoire qui sévit actuellement. Le calcul politicien d’Alexis Tsipras est tactiquement compréhensible, mais il est hautement risqué et pas que pour la Grèce.