Le tourisme grec entraîne l’économie dans sa chute

Par Fabien Perrier

En Grèce, après trois mois de fermeture due au confinement, les acteurs du tourisme tentent un redémarrage, mais les premiers signaux sont inquiétants.

« Dans le monde, la première victime du coronavirus est le tourisme et nous ne devons en aucun cas sous-estimer la magnitude de la crise économique que nous vivons. C’est la plus grande crise financière en 70 ans. » Phrase choc, déclaration cash : ainsi s’est exprimé le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis devant les professionnels du secteur, le 25 juin lors de l’assemblée générale de la Confédération grecque du tourisme (SETE).

Dix jours auparavant, il ouvrait la saison touristique dans le pays après trois mois de mise à l’arrêt pour cause de pandémie. Avec un espoir : que l’image de bonne gestion du Covid-19 – qui n’a fait « que » 191 morts pour 10,8 millions d’habitants – rassure des touristes désireux de soleil et de mer et les amène en Grèce. Car pour l’économie, le secteur touristique est vital : il pèse 25,7 % du PIB. La Grèce pourra-t-elle tirer son épingle du jeu cet été ?

Dépendance au tourisme

Ce pari, le gouvernement l’a fait très tôt pour éviter « le media bashing qui, au début des années 2010 avait nui au tourisme », selon Hécate Vergopoulos, enseignante-chercheuse au GRIPIC et auteure d’un livre sur le sujet1. Le Premier ministre déclare ainsi dès le 23 mars le confinement général. Bars, tavernes, lieux de spectacle, hôtels sont fermés, les vols suspendus. L’économie tourne au ralenti dans un pays fermé, pourtant très dépendant du tourisme.

Le nombre de voyageurs venus dans ce petit bout d’Europe en 2019 en donne la mesure : 34 millions d’après les données de la Banque de Grèce ! Le secteur génère directement 21,5 milliards d’euros (11,7 % du PIB). En incluant les revenus indirects, cette part grimpe à 25,7 % du PIB, voire à 30,9 %, selon le multiplicateur retenu. C’est bien au-delà de la moyenne européenne2.

Ce poids du tourisme résulte d’un double phénomène : d’une part, le développement du secteur touristique ; de l’autre, les changements de la structure économique grecque en faveur des services. « Jusqu’à la fin des années 1970, le tourisme était essentiellement intérieur, très sélectif sur le plan des voyageurs extérieurs. Dans les années 1980, les infrastructures hôtelières ont commencé à se développer ; en moyenne, 5 millions de touristes venaient en Grèce. De luxe, le tourisme a entamé une mue vers un tourisme de masse qui a explosé dans les années 1990 », retrace Savas Robolis, professeur émérite d’économie à l’université Panteion d’Athènes3.

Parallèlement, la structure économique du pays a changé. Dans les années 1970, la construction était la locomotive d’une économie dominée par l’agriculture et le secteur industriel. Au fil des décennies, la Grèce se transforme en une économie de services, les secteurs agricoles et industriels s’effondrent. Le développement du tourisme est déconnecté de la production intérieure et se fait en important les produits manufacturés nécessaires.

Ce déséquilibre est renforcé après la crise économique de 2008 à 2018. Les politiques d’austérité appliquées mènent à un effondrement du PIB de 25 %… Quand la croissance repart, c’est d’abord grâce au tourisme. En 2019, ce secteur croît de 12,1 %, contre 2,2 % pour le PIB total. Conséquence : la part du tourisme est hypertrophiée dans l’économie du pays, renforçant ses fragilités en cas de choc.

Crise attendue

Ces dernières apparaissent au grand jour avec la crise du Covid-19. Le 15 juin, après trois mois de léthargie, les hôtels rouvrent ; les vols internationaux vers Athènes et Thessalonique reprennent. Au 1er juillet, les aéroports régionaux, notamment sur les îles, accueillent à nouveau des vols internationaux. Mais les carnets de réservations des hôtels restent vides… et, faute de remplissage, de nombreux vols sont annulés à la dernière minute.

Ainsi, un professionnel du secteur confie : « Plus le temps avance, plus le pessimisme gagne. » Car les bonnes statistiques sanitaires et « l’authenticité grecque », qui selon Hécate Vergopoulos attirent traditionnellement les touristes, ne suffisent pas à capter la clientèle.

Directeur de recherche pour la SETE, Aris Ikkos décrypte : « Il est aujourd’hui impossible de faire une estimation précise de l’impact du Covid sur le tourisme. Nous n’avons qu’une certitude : la chute sera très importante. » En effet, la Grèce table sur 5 millions de touristes en 2020, soit le niveau des années 1980. Le secteur hôtelier devrait perdre 4,5 milliards d’euros et 65 % des hôteliers grecs risquent la faillite, prévient la Chambre hellénique des hôteliers. Pour le ministère des Finances, la perte de PIB pour 2020 serait comprise entre 10 % et 13 %.

Or, « le tourisme a été le secteur le plus résilient durant la récession, atténuant le chômage », analyse le cabinet E&Y, qui vient de publier une étude sur l’impact du Covid. Actuellement, un salarié sur cinq, soit 700 000 personnes, vit du tourisme. Mais, selon les prévisions du président du syndicat panhellénique de la restauration et du tourisme, Giorgos Chotzoglou : « Comme des centaines d’hôtels et de restaurants resteront fermés, des milliers d’emplois sont menacés. » Il craint même que deux tiers des actifs du secteur ne trouvent aucun emploi cet été.

Certes, « le gouvernement a accordé une indemnité de 400 euros par mois », concède-t-il. Elle a été versée aux salariés du secteur privés d’emplois à cause du Covid-19. « Mais qui peut vivre avec 9 euros par jour ? » Enfin, il pointe un autre problème : « Les saisonniers ne perçoivent une indemnité chômage l’hiver que s’ils ont cotisé l’été. Comment vont-ils faire désormais ? »

L’inquiétude est légitime. Fin juin, sur l’île de Rhodes, une fillette sous-alimentée s’est évanouie dans une boulangerie. Sa mère, employée à la saison dans un hôtel de Rhodes, élève seule ses deux enfants, et a confié ne pas avoir travaillé depuis « août dernier ». Or, l’hôtel qui l’emploie restera clos cette saison. Deux jours plus tard, un homme de 74 ans a été hospitalisé, à Volos, en Grèce continentale. Il s’était écroulé, affamé. Après le Covid, la Grèce est face à des défis économiques qui réveillent des démons encore présents dans les esprits. Ils s’appellent « mémorandum », ces accords de prêts à la Grèce avec, comme corollaires, des mesures d’austérité et la paupérisation.

  • 1. Hécate Vergopoulos, L’indécence touristique – Comment voyager en Grèce à l’heure de la crise ? Paris, Editions L’Harmattan, 2017.
  • 2. Le Conseil mondial des voyages et du tourisme estime à 20,8 % le poids du tourisme dans le PIB en 2019. En Europe, la moyenne est de 9,1 %. En France, il représente 8,5 %, en Italie, 13 % et en Espagne, 14,3 %.
  • 3. Savas Robolis est également auteur d’un livre qui retrace l’histoire économique du pays ainsi que son évolution : Savas Robolis, Vassilis Betsis, L’Odyssée de l’économie grecque (Οδύσσεια της ελληνικής οικονομίας), Athènes, Editions A. Livani, 2018.

Source https://www.alternatives-economiques.fr/tourisme-grec-entraine-leconomie-chute/00093344

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