Grèce : La liberté des médias en crise

L’UE devrait agir pour défendre la démocratie et l’état de droit

Plusieurs journaux grecs et internationaux accrochés à l’extérieur d’un kiosque à journaux dans le centre d'Athènes, en Grèce, le 24 mars 2022.
Plusieurs journaux grecs et internationaux accrochés à l’extérieur d’un kiosque à journaux dans le centre d’Athènes, en Grèce, le 24 mars 2022.  © 2022 Nikolas Kokovlis/NurPhoto via AP
  • Les contraintes omniprésentes et délibérées qui pèsent sur le journalisme en Grèce créent un environnement où l’information critique est étouffée, et l’autocensure devient la norme.
  • Les journalistes sont exposés à la surveillance de l’État, au harcèlement et à l’intimidation de la part d’acteurs pro-gouvernementaux, ainsi qu’à des poursuites judiciaires abusives de la part de politiciens ; ces pratiques menacent la démocratie et l’état de droit.
  • La Commission européenne et l’UE dans son ensemble devraient suivre la situation de près et veiller à ce que de véritables progrès soient réalisés en matière de liberté des médias en Grèce, et à ce que les valeurs démocratiques fondamentales soient respectées.

(Athènes, 8 mai 2025) – La Grèce traverse une crise de la liberté des médias en raison d’agissements et d’échecs du gouvernement grec qui menacent la démocratie et l’état de droit, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 101 pages, intitulé «From Bad to Worse : The Deterioration of Media Freedom in Greece » («De mal en pis : La détérioration de la liberté des médias en Grèce »), documente l’environnement hostile pour les médias et les journalistes indépendants depuis l’entrée en fonction du gouvernement du parti Nouvelle Démocratie en juillet 2019 ; le harcèlement, l’intimidation, la surveillance et les poursuites judiciaires abusives à leur encontre contribuent à l’autocensure et à l’affaiblissement de la liberté des médias. Human Rights Watch a également constaté le recours à des fonds publics pour influencer la couverture d’événements, ainsi que les pressions éditoriales qui sont exercées sur les médias publics, qui contribuent à exacerber encore ce climat. Ces conditions portent atteinte à la liberté d’expression et au droit du public à l’information.

« Les contraintes omniprésentes et délibérées qui pèsent sur le journalisme en Grèce créent un environnement où les reportages critiques sont entravés et où l’autocensure devient la norme », a déclaré Hugh Williamson, Directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « L’UE devrait reconnaître qu’il s’agit d’une menace sérieuse pour les valeurs démocratiques et l’état de droit, et faire pression sur Athènes pour que le gouvernement change de cap ».

L’étude s’appuie sur des entretiens avec 26 journalistes issus de divers médias, ainsi qu’avec des universitaires, des juristes et des experts des médias. Human Rights Watch a mené des entretiens avec des journalistes travaillant dans la presse écrite, les médias en ligne, la télévision et la radio, pour des organismes publics, privés et indépendants, ainsi qu’avec des correspondants étrangers et des pigistes. Peu de journalistes ont accepté d’être identifiés par crainte de représailles. Nous avons également analysé plusieurs rapports et d’autres documents, et consulté les parties prenantes intéressées.

Le paysage médiatique grec est caractérisé par une forte concentration des médias, où quelques individus puissants contrôlent un grand nombre d’organes de presse. Plusieurs d’entre eux ont des liens avec le parti au pouvoir.

Vingt-deux journalistes ont décrit un environnement de plus en plus hostile à leur travail, tandis que six ont rapporté des cas spécifiques de harcèlement de la part de hauts fonctionnaires en rapport avec leurs activités.

Une correspondante étrangère indépendante a déclaré : « J’envisage désormais de quitter le pays. Pour de vrai. Je ne vois tout simplement pas l’intérêt de m’infliger un tel niveau d’anxiété. Les sujets que nous traitons sont importants, mais le niveau de violence semble s’être aggravé ».

Une journaliste avec plus de 25 ans d’expérience dans une grande chaîne de télévision privée grecque a déclaré : « Ce que vous racontez à la télévision est tellement contrôlé que vous n’avez aucune liberté. Le contrôle est effectué par ceux qui sont haut placés…. Tout est contrôlé. Ce que vous allez dire, comment vous allez le dire ».

En 2022, le gouvernement a été fortement soupçonné d’avoir utilisé le logiciel espion Predator pour cibler entre autres des journalistes, provoquant un scandale majeur en matière de surveillance. Sept des journalistes interrogés ont indiqué avoir des preuves ou de forts soupçons d’une surveillance de l’État, que ce soit par des moyens « traditionnels » comme les écoutes téléphoniques, ou en étant ciblés par des logiciels espions à usage commercial. Cette situation pose de graves questions en matière de respect de la vie privée et de liberté d’expression, et risque d’entraver le travail journalistique, car les sources comme les journalistes craignent pour leur sécurité.

Stavros Malichudis, un journaliste indépendant qui a découvert en 2021 que les services de renseignement grecs l’avaient espionné, a déclaré : « Pendant plusieurs mois, j’ai eu peur. J’avais peur de rencontrer des gens, mes sources, et de les exposer. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me détacher de ce qui s’était passé et recommencer à faire mon travail de journaliste ».

Human Rights Watch a également constaté que le gouvernement avait exercé une influence indue sur les médias publics tels que l’ERT et l’Agence de presse Athènes-Macédoine (AMNA), et porté atteinte à leur indépendance. Le gouvernement a également utilisé les fonds publicitaires de l’État pour favoriser les médias pro-gouvernementaux.

Une autre source de préoccupation est la banalisation de l’utilisation du système juridique contre les journalistes, principalement par le biais de poursuites abusives connues sous le nom de procédures-bâillon (procédures SLAPP : « Strategic Lawsuits Against Public Participation », soit « poursuites stratégiques contre la participation publique »). Les poursuites en diffamation intentées par Grigoris Dimitriadis, neveu du Premier ministre grec et ancien haut fonctionnaire, contre des journalistes qui avaient parlé du scandale de la surveillance, illustrent cette tendance.

En outre, alors que de récents amendements ont décriminalisé la « simple diffamation » (soit la diffusion d’un fait, même s’il est vrai, qui peut être offensant), les lois prévoient toujours une responsabilité pénale pour « insultes » et « diffamation calomnieuse ».

Human Rights Watch a également constaté que le gouvernement et d’autres autorités s’efforçaient de faire obstacle à l’obligation de rendre des comptes. Ces efforts consistent notamment à invoquer la sécurité nationale pour empêcher la divulgation d’informations liées au scandale de la surveillance, à enquêter sur les lanceurs d’alerte et à se montrer réticent à divulguer des détails sur la distribution aux médias de fonds publics destinés à la publicité.

La question de la liberté des médias en Grèce suscite de plus en plus d’inquiétudes au niveau international ; dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), où la Grèce est classée systématiquement vers le bas de la liste des États membres de l’Union européenne. En février 2024, le Parlement européen a adopté une résolution faisant part de vives inquiétudes concernant la liberté des médias et l’état de droit en Grèce. Les rapports de la Commission européenne sur l’état de droit ont également fait part de ses préoccupations concernant la liberté des médias en Grèce, bien que jusqu’à présent, ces rapports n’aient pas reconnu la gravité de la suppression de la liberté de la presse et sa nature systémique dans ce pays.

Human Rights Watch a partagé les résultats de ses recherches avec le gouvernement, les autorités et les médias concernés. Leurs réponses sont récapitulées dans le rapport et peuvent être consultées en ligne dans leur intégralité (en anglais). Bien que le gouvernement ait fait part de certaines initiatives visant à améliorer la liberté des médias, il n’est pas certain que ces mesures se traduisent par des changements significatifs. De manière générale, la réponse du gouvernement défend largement le statu quo et minimise la gravité des problèmes documentés par Human Rights Watch.

En réponse aux critiques sur le bilan de son gouvernement en matière de droits humains, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a ainsi rejeté la résolution du Parlement européen, affirmant que l’état de droit dans le pays est « plus fort que jamais » et que « la Grèce, ces dernières années, a souvent été au centre de calomnies ».

La Grèce a des obligations internationales claires en matière de respect de la liberté des médias et de l’état de droit, ces principes étant inscrits dans sa propre constitution ainsi que dans les valeurs fondamentales de l’Union européenne qui figurent dans les traités de l’UE. L’Union européenne a la responsabilité de veiller à ce que la Grèce, en tant qu’État membre, respecte ces engagements et mette fin aux atteintes à la liberté des médias.

« La réponse dédaigneuse du gouvernement grec aux critiques légitimes du Parlement européen suggère qu’une action plus forte de la part de la Commission européenne est nécessaire », a conclu Hugh Williamson. « La Commission et l’UE dans son ensemble devraient notamment suivre la situation avec attention, et veiller à ce que de véritables progrès soient réalisés en matière de liberté des médias en Grèce et à ce que les valeurs démocratiques fondamentales soient respectées. »

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Source Human Rights Watch

rédaction

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