par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis Cadtm
CC – Flickr – Joanna
Nous n’entrerons pas dans le détail des mesures qui vont accabler le peuple grec dans les années à venir, et même rétroactivement puisque les réductions sur les retraites et l’augmentation des cotisations de santé pour les retraites ont été appliquées à partir du 1er juin 2015, par des retenues supplémentaires sur les retraites correspondant à l’augmentation des cotisations sociales. Un rapide examen des mesures énumérées dans le troisième mémorandum et déjà adoptées permet de rendre compte de l’ampleur du désastre.
Ce n’est pas un mémorandum n°3, c’est un nouveau traité de Versailles. – Yanis Varoufakis.
Il faut d’abord souligner le fait que le droit anglais qui avait été imposé lors de la signature du deuxième mémorandum a été remplacé par un droit « communautaire » et que c’est le droit du Mécanisme européen de stabilité (MES) qui entre en vigueur. Ceci ne manque pas d’être inquiétant, en effet, il n’y a pas d’exemple jusqu’à maintenant de l’application sur des populations de ce droit communautaire, qui ne trouve pas son origine dans le droit coutumier (ensemble de pratiques communément admises comme « justes » par l’usage au fil des siècles ou la « sagesse des nations ») contrairement aux droits nationaux et international.
La dette publique grecque de 370 milliards, déjà insoutenable en juillet 2015 s’est vue abondée d’encore 86 milliards « d’aide », avec pour objectif tout à fait irréaliste de dégager un excédent primaire |1| de 3,5% en 2018, accompagné d’un retour à la croissance, avec une récession supposée reculer puis se transformer en croissance (croissance exigée de 3,1% en 2018.) Ainsi, ce pays à l’économie exténuée, dont le PIB a reculé de 30%, doit réaliser grâce à de nouvelles dettes à la fois un excédent primaire et un retour à la croissance.
La Grèce doit réaliser grâce à de nouvelles dettes à la fois un excédent primaire et un retour à la croissance.
Pour ce faire, on impose de nouvelles réductions dans les dépenses publiques, déjà complètement en recul, ce qui a provoqué en partie la récession.
Avec la signature en août 2015 du troisième mémorandum, la Grèce a perdu le peu de souveraineté qui lui restait après le passage des deux premiers. Toute proposition de loi doit être visée au préalable et approuvée par les créanciers avant d’être soumise au vote du parlement. Les quelques lois adoptées par le premier gouvernement Syriza-ANEL lors du premier semestre 2015 doivent être annulées « parce qu’elles ne sont pas dans l’esprit des précédents programmes ». Les modifications du corps législatif touchent la structure même de l’État grec.
De manière caractéristique, à partir du 13 juillet 2015, et pour obéir aux termes du mémorandum, le gouvernement grec a dû adopter en procédure accélérée toute une série de lois réclamées en vain depuis longtemps par les créanciers, et que les précédents gouvernements – de droite ou d’union nationale – avaient refusé de faire adopter, puisqu’elles étaient contraires au code pénal grec. Qu’à cela ne tienne : parmi les prérequis pour les 86 milliards d’euros que conditionne ce 3e mémorandum, la première attaque aux droits de l’Homme a déjà eu lieu sous forme du passage en force en août 2015 (par procédure d’urgence à l’Assemblée, malgré les vives protestations de la Présidente de l’époque, Zoé Konstantopoulou) d’une « révision du Code Pénal ». Entraînant une grève de protestation du barreau grec de septembre 2015 à septembre 2016, elle avait déjà été refusée l’année d’avant par 93% des avocats. En effet, le nouveau Code Pénal facilite les procédures de liquidation par les établissements de crédit privés pour se rembourser ; en cas de faillite d’une entreprise, il donne désormais aux banques la priorité avant l’État (caisses d’assurance) et avant les travailleurs. Cette même disposition facilite l’accélération des mises aux enchères d’habitations principales hypothéquées pour des emprunts en rouge ou encore, pour dettes excessives auprès de l’État grec.
Or, depuis le 1er janvier 2017, le service des impôts est devenu une « agence des recettes autonome » répondant directement aux créanciers étrangers, dont les décisions ont valeur de décret ministériel et dont le personnel devra être agréé par les créanciers, donc directement lié aux « institutions ». Cette agence récupère la majorité des compétences du ministère du budget et de l’économie : politique fiscale, gestion des ressources, moyens fiscaux et instruments d’investigation, émission et application des mesures fiscales, douanières et budgétaires, mais aussi « l’élaboration et la mise en place des mesures de protection de la santé publique, de l’environnement, des intérêts des consommateurs, son soutien au bon fonctionnement du marché, à la compétitivité de l’industrie chimique (sic) et le soutien aux services juridiques, policiers et autres autorités, … l’élaboration et la gestion du budget de l’État… |2| ». En fait, tous les domaines normalement gérés par un État souverain selon les conventions internationales en vigueur à la fin du XXe siècle. Cette agence disposera aussi, selon le nouveau Code Pénal, des compétences pour mettre en vente les habitations principales des débiteurs en suspension de paiement. Outre les biens publics, ce sont désormais les biens privés grecs qui sont dans le collimateur des créanciers.
Le service des impôts est devenu une « agence des recettes autonome » répondant directement aux créanciers étrangers
L’augmentation de la TVA d’un point, la portant à 24% en juin 2016, est restée relativement inaperçue dans la presse internationale.
Les « réformes structurelles » réclamées par le troisième mémorandum relèvent de l’acharnement de vautours sur l’économie du pays, déjà moribonde, alors même que, de l’avis de l’OCDE et du FMI, la Grèce a déjà appliqué de très importantes réformes structurelles, « réformes du marché du travail », « réformes de la protection sociale » (lire : destruction), plus que n’importe où dans le monde occidental, avec pour résultat une baisse de 30% de son PIB en 6 ans.
Les nouvelles « réformes du marché du travail » prévoient une destruction accrue de la législation du travail, une attaque ciblée sur les syndicats par la réduction des fonctions et des droits des syndicalistes, la réduction du droit de grève, la suppression des conventions collectives, la facilitation des licenciements collectifs. Autre mesure adoptée en procédure d’urgence (par une loi de 7500 pages votée en une nuit par la majorité parlementaire Syriza-ANEL) : l’imposition de nouvelles baisses des retraites et des salaires (la sixième depuis 2010). La baisse des retraites les plus faibles, désormais réduite de 380 € à 310 €, la modification du système des retraites qui est passé d’un système par répartition à un système par capitalisation, ont été adoptées en mai 2016. D’après le rapport |3| de l’expert des Nations unies, J. P. Bohoslavsky cité par Éric Toussaint |4|, « Un point nodal de ce troisième mémorandum est la réduction des dépenses de sécurité sociale pour un montant équivalent à 1,5 % du PIB par an. »
D’après Romaric Godin, « pour rembourser la BCE en juillet 2016, la Grèce a dû accepter un nouveau plan d’austérité de 5,5 milliards d’euros avec des augmentations d’impôts, de cotisations et de TVA, une douloureuse réforme des retraites et une abdication de sa souveraineté budgétaire par l’acceptation de mesures « automatiques » de baisse des dépenses pour atteindre ces objectifs. Cette nouvelle ponction va encore peser lourd sur une économie dont le PIB trimestriel en volume a reculé de 1,5 % sur un an entre janvier et mars 2016 après trois trimestres consécutifs de baisse. Son niveau, toujours en volume, n’a jamais été si bas depuis le quatrième trimestre 2002, voici donc plus de treize ans. En regard du pic du troisième trimestre 2008, le PIB trimestriel affiche un recul de 30 %. |5| »
Enfin, malgré le célèbre « combat de lion » d’Alexis Tsipras lors de la nuit du 13 juillet 2015, les créanciers ont obtenu la création, adoptée en avril 2016, d’un nouveau « super » fonds de privatisations pour « accélérer les cessions d’actifs publics et doper leur exploitation ». Remplaçant le TAIPED, ce fonds de droit privé, dénommé Société de Participations Publiques a été créé pour 99 ans, est contrôlé par les créanciers étrangers et chargé de privatiser tous les actifs et biens publics de l’État grec. Comme le TAIPED, ce fonds est formé sur le modèle de la Treuhand, l’agence créée par Schäuble pour brader tous les actifs et propriétés de l’ancienne RDA, qui dépendaient entièrement du secteur public. Une première liste fait état de plus de 11 000 actifs de l’État grec passés sous contrôle de ce nouveau fonds. Le but est de les mettre aux enchères pour récupérer jusqu’à 50 milliards d’euros, dont 50% pour la recapitalisation des banques grecques, 25% pour « réduire le ratio dette/PIB » (?) et 25% pour des « réinvestissements » (non précisés) dans le développement du pays.
Le « sécateur » (koftis), permet d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou par le parlement grec
Ces privatisations auront pour résultat direct de profondes modifications des paysages et du territoire grec lui-même, puisque ce sont des montagnes et des réserves naturelles entières qui sont appelées à disparaître, (gisements de marbre, extraction des minerais ou énergie solaire), au mépris de toute étude d’impact écologique, tandis que les quelques plaines agricoles, comme la plaine de Lassithie en Crète, sont menacées de désertification par de grands projets d’exploitation d’énergie solaire, qui menacent de surcroît les réserves naturelles en eau de la grande île (réserves elles-mêmes mises à l’encan).
Par exemple, la compagnie nationale de chemin de fer TRAINOSE a été vendue en juin 2016 pour 45 millions d’euros, quand bien même les nouveaux propriétaires (la compagnie nationale italienne) devraient pouvoir revendiquer plus de 200 millions d’euros de subventions de fonctionnement dans les trois ans à venir.
Malgré les dénégations du gouvernement Tsipras, les services municipaux de l’eau d’Athènes et de Thessalonique, qui desservent à eux deux plus de 80% de la population grecque, doivent être mis en vente par le Super Fonds de privatisation, après que 40 millions de bénéfices aient été distribués aux actionnaires, dont 4 millions d’euros à J. Paulson, au lieu de servir une politique sociale pourtant cruciale. À ce titre, la présence de conseillers français issus de l’ambassade de France en Grèce au conseil d’administration du Super Fonds de privatisation devrait favoriser le bon placement des sociétés françaises lors des mises aux enchères (avec ce fameux « savoir-faire en matière de partenariat public-privé » tant vanté par François Hollande lors de sa visite de VRP à Athènes en octobre 2015.)
Enfin, le « sécateur » (koftis), voté en mai 2016, permet désormais d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou un vote préalable du parlement grec, en cas de non-respect de l’objectif d’un excédent primaire (hors service de la dette) de 3,5% en 2018 : « La pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions. |6| »
« Pour éviter d’avoir recours à ce mécanisme-sécateur, le gouvernement grec devra de toutes façons poursuivre la baisse de ses dépenses. Toute richesse grecque sera donc ponctionnée tant qu’il faudra rembourser la dette. |7| »
Toute richesse grecque sera donc ponctionnée tant qu’il faudra rembourser la dette
Tassos Yiannitsis, ancien conseiller du Premier ministre PASOK Costas Simitis et ministre du Travail du gouvernement nommé de Papademos |8|, qu’à ce titre on ne saurait accuser d’être anti-mémorandaire, avait déjà conclu l’étude menée avec Stavros Zografakis en mars 2015 par les mots suivants :
« Les analyses de cette étude combinent les données sur le chômage et les revenus et recourent à un “indice de désespoir” qui reflète la pression ressentie par les foyers touchés par les chutes de salaire et le chômage. Les conclusions suggèrent que la paupérisation a frappé de larges pans de la société grecque, que les politiques d’austérité ont eu des effets très divers en fonction des groupes sociaux et que, de ce fait, les valeurs moyennes dissimulent des nuances dans les inégalités en fonction des sous-groupes particuliers, le fait que pendant la crise il y a eu des gagnants et des perdants dans toutes les catégories de revenus et que finalement, de nombreuses variables macro-économiques ou indicateurs sociaux ont été le résultat d’une approche inefficace dans la gestion de la crise et d’un manque de souplesse idéologique associé à des intérêts politiques bien établis, rendant difficile et douloureuse toute sortie de crise. Les conclusions de ce rapport devraient être réexaminées à la lumière de la sévère dépression économique causée par la politique imposée par la troïka. |9| »
Surtout, comme le souligne Romaric Godin dans un article indigné de La Tribune du 15 juillet 2015, « On l’a souvent oublié sous la montagne de propos moralisateurs qui se sont déversés sur ce débat, mais le problème de la dette grecque n’est pas son stock nominal, qui a reculé par rapport à 2011, notamment après la restructuration de la dette privée en 2012 (le « PSI »), c’est son rapport à la richesse nationale grecque qui s’est effondré plus rapidement. Les créanciers estiment que cette baisse s’explique par un « manque de réformes. » C’est une position intenable au regard de la trajectoire des finances publiques grecques qui se sont redressées très rapidement, le pays dégageant même un excédent primaire structurel record. La réalité, c’est que ce sont ces « réformes » (en réalité des coupes aveugles) qui ont réduit le PIB et rendu la dette insoutenable. Une preuve suffira : toutes les projections d’impact de la consolidation budgétaire sur la croissance depuis 2010 ont été des erreurs grossières. Bref, c’est la logique à l’œuvre en zone euro qui a échoué. Raison de plus, pour les dirigeants européens, de la poursuivre en l’intensifiant. |10| »
Pour un paysage plus détaillé de « La Grèce des memoranda », cf. Les Grecs contre l’austérité. Il était une fois la crise de la dette.
Éd. Le Temps des Cerises, Novembre 2015, Paris.
Notes
|1| Excédent primaire : excédent des recettes totales de l’État grec sur ses dépenses, hors service de la dette.
|2| Loi N.4389 (ΦΕΚ Α’ 94/27-05-2016) « Επείγουσες διατάξεις για την εφαρμογή της συμφωνίας δημοσιονομικών στόχων και διαρθρωτικών μεταρρυθμίσεων και άλλες διατάξεις. »
|3| A/HRC/31/60/Add.2 (« Rapport de l’Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels » / on the effects of foreign debt and other related international financial obligations of States on the full enjoyment of human rights, particularly economic, social and cultural rights -Mission to Greece, 29/02/2016.)
|4| in http://cadtm.org/L-expert-des-Nations-Unies-sur-la
|5| http://www.latribune.fr/economie/un…
|6| Extrait du IIIe Memorandum of Understanding (MoU) paru dans L’Humanité du 16/07/2015, »Yanis Varoufakis met en lumière les appétits des liquidateurs de la Grèce« .
|7| Romaric Godin in http://www.latribune.fr/economie/un…
|8| Lucas Papademos est un ancien président de la Banque nationale de Grèce et ancien vice-président de la BCE. En novembre 2011, pour évincer Papandréou, il est nommé premier ministre de la Grèce par la Troïka et chargé de former un gouvernement « d’union ».
|9| Tassos Yiannitsis, Stavros Zografakis : « Note de présentation », in Greece : solidarity and adjustment in times of crisis, Institut für Makroökonomie und Konjunkturforschung Macroeconomic Policy Institute.