France : La rigueur budgétaire est à l’ordre du jour

La rigueur budgétaire est à l’ordre du jour un article de Romaric Godin publié le 27 juin 2017 dans Mediapart 

Bruno Le Maire a annoncé des « économies très concrètes » dès 2017. Une volonté de sabrer dans les dépenses malgré les coûts macroéconomiques, qui a pour ambition de restaurer la « confiance » de l’Allemagne. La conversion du gouvernement aux orientations de la droite se confirme.

Ces deux axes n’ont rien d’étonnant : ils sont les deux arguments que souhaite apporter Emmanuel Macron à Angela Merkel pour la convaincre – et convaincre l’opinion publique allemande – d’avancer sur davantage d’intégration dans la zone euro. C’est la conséquence logique de la stratégie du nouveau président : d’abord « réformer » la France avant de réformer la zone euro.

L’objectif de faire passer dès cette année le déficit public sous les 3 % du PIB est donc érigé en priorité de l’action gouvernementale. Bruno Le Maire affirme ne pas faire des « 3 % un totem, mais un symbole ». Ce qui revient en réalité à en faire un… totem. Et pour atteindre cet objectif, tout semble devoir être mis en œuvre. « L’intérêt national impose de prendre des décisions difficiles pour repasser sous la barre des 3 % de déficit public », indique Bruno Le Maire, qui promet des « décisions très concrètes d’économies ». Une position confirmée lundi 26 juin au journal de 20 heures de TF1 où il a annoncé des « propositions qui concerneront tous les secteurs de la dépense publique ».

Autrement dit, l’austérité budgétaire sera au menu du second semestre de 2017 et sans doute encore de l’année 2018. Là encore, rien d’étonnant : Bruno Le Maire, défenseur, pendant les primaires de la droite, d’un extrémisme budgétaire, à l’image de nombre de ses concurrents, a été nommé à Bercy pour rallier une partie de la droite après la présidentielle. Autrement dit, le choix du ministre est politique mais aussi économique. Du reste, sur TF1, il a repris les discours de la primaire de la droite parlant d’une France « droguée à la dépense publique ».

La Cour des comptes rendra public, jeudi 29 juin, son rapport sur les finances publiques, qui déterminera une grande partie du budget 2018. L’institution de la rue Cambon devrait confirmer le « dérapage » budgétaire pour 2017, ce qui donnera lieu à des mesures immédiates et sans doute très dures car, comme on l’a vu, le budget n’a pas vocation à gérer une situation française, mais à envoyer un message à Bruxelles et à Berlin. Un déficit public de 3,2 % du PIB en fin d’année dans le cadre budgétaire actuel est parfois évoqué, ce qui supposerait de trouver cinq à six milliards d’euros d’économies, soit un quart de point de PIB. Ces décisions devraient être prises, selon Bruno Le Maire, dès cet été.

Ces décisions passeront-elles par une loi de finances rectificative, un « collectif budgétaire » ? Quelques indices laissent penser que le gouvernement ne fera pas ce choix. Ainsi, une ordonnance a été prévue à la loi d’habilitation pour suspendre le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu en 2018. Or cette décision aurait normalement dû faire l’objet d’un projet de loi de finances rectificative, preuve que l’on ne souhaite pas entrer a priori dans cette logique. Cela pourrait signifier que l’exécutif ne veut pas entrer dans des mesures de recettes pour régler le problème de 2017. L’effort sera donc porté par des mesures de réduction des dépenses, ce que Bruno Le Maire a implicitement confirmé au Figaro, qui a repris son antienne contre « l’addiction de la France aux dépenses publiques ».

Comme le gouvernement ne souhaite pas modifier l’objectif budgétaire inscrit dans la loi de finances 2017 (qui est de 2,8 % du PIB pour le déficit public) et qu’il ne souhaite pas passer par des hausses d’impôts, il peut avoir recours aux méthodes de pilotage des dépenses, telles la mise en réserve de certains crédits ou les « décrets d’annulation », qui permettent de réduire les crédits prévus de 1,5 %. Il n’est cependant pas certain que ces moyens suffisent. Mais Bruno Le Maire annonce dans Le Figaro qu’il ne veut pas « colmater des brèches ». Lundi sur TF1, il annonce un effort qui concernera tous les secteurs de l’État. Dans ce cas, si le gouvernement souhaite couper dans la dépense de façon durable et forte – et cela impliquera nécessairement une réduction des transferts sociaux –, il lui faudra en passer par un collectif budgétaire. Ce qui est certain désormais, c’est que l’heure est à la rigueur budgétaire.

Et ce mouvement devrait se poursuivre en 2018. Là encore, il faudra attendre, jeudi, l’audit de la Cour des comptes pour estimer les grands choix du prochain budget. Mais une deuxième année sous les 3 % du PIB de déficit public permettrait à la France de sortir en 2019 de la procédure de déficit excessif. Le gouvernement peut penser que ce serait une preuve du changement de politique suffisante pour convaincre Berlin. Il y aura donc, pour le premier budget du quinquennat, une volonté de serrer encore les boulons. C’est pourquoi Bruno Le Maire a annoncé dans Le Figaro que la transformation du CICE en baisse permanente de cotisations, transformation qui suppose un double coût annuel de 20 milliards d’euros puisque le CICE est un crédit d’impôt versé avec un décalage, est reportée, sans doute au moins à 2019.

Le ministre a également annoncé des cessions de participation de l’État dans des secteurs « non stratégiques ». Cela pourrait permettre de réduire le déficit, mais n’empêchera pas de couper dans les dépenses, ce qui semble être une priorité du locataire de Bercy. De fait, Bruxelles a tendance à saluer davantage les baisses de déficit fondées sur des baisses de dépenses. Dans ces conditions, il sera intéressant de suivre les arbitrages du futur budget au regard des objectifs fixés par le président de la République durant la campagne électorale, notamment en matière d’investissement public. C’est en effet ce poste qui a été le plus sacrifié, jusqu’ici, sur l’autel de la consolidation budgétaire.

L’austérité budgétaire pour rétablir la « crédibilité » de la France en Europe. Ce pari repose sur l’idée que la croissance résistera à ce nouveau tour de vis budgétaire centré sur les dépenses. Or une telle politique aura nécessairement des conséquences négatives sur la croissance. Le déni de cette évidence par le ministre de l’économie, sa volonté de réduire à tout prix la dépense publique sont autant de signes inquiétants d’une certaine inconscience à cet égard. D’autant que l’on sait que les réformes du marché du travail ont, dans un premier temps du moins, des effets négatifs pour la croissance.

La question, centrale pour l’exécutif, consiste donc à évaluer la solidité de l’accélération actuelle de la croissance française et sa capacité à absorber un choc budgétaire. La note de conjoncture de l’Insee publiée la semaine dernière permet d’en douter. La croissance y passerait bien de 1,1 % à 1,6 %, mais elle n’est pas soutenue par un mouvement solide : la demande intérieure ralentit et le commerce extérieur affiche toujours une contribution négative, certes moins forte qu’en 2016.

L’autre question que devra se poser le gouvernement est celle des bénéfices attendus de cette politique. Il n’est pas certain que Berlin se contente d’un retour sous les 3 % du PIB du déficit public avant de se lancer dans une forme de mutualisation des ressources au sein de la zone euro. La question centrale que pose un budget européen ou un parlement de la zone euro, par exemple, est bien le risque qu’une telle évolution fera prendre aux contribuables allemands. Pour réduire ce risque, Berlin – surtout si les libéraux du FDP rejoignent la coalition gouvernementale en septembre prochain – pourrait exiger davantage, notamment un désendettement, qui suppose un recul du déficit primaire et du déficit structurel.

Bruxelles devrait, de toute façon, demander à Paris encore des efforts après 2019, notamment pour ramener le déficit structurel en 2020 à 0,5 % du PIB et engager, conformément au pacte budgétaire, une politique de désendettement. L’Italie, quoique sous les 3 % du PIB de déficit depuis 2012, reste sous la pression constante de la Commission en raison de sa dette publique encore élevée. Il pourrait en être de même pour la France. Le chemin pour convaincre Berlin est donc encore long.

Le risque de cette politique est évident : obsédée par la consolidation budgétaire, la France pourrait courir après des objectifs d’autant plus difficiles à atteindre qu’ils affaiblissent une croissance déjà fragile et faible. Le cercle vicieux de l’austérité ne saurait être écarté pour la France.

https://www.mediapart.fr/journal/economie/270617/la-rigueur-budgetaire-est-lordre-du-jour

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