Grèce : après la perte de leur logement, des réfugiés retournent vivre dans des camps
En Grèce, la fin d’un programme d’aide oblige de nombreux demandeurs d’asile à quitter leurs appartements pour retourner dans des camps de réfugiés. Athènes défend les conditions de vie dans ces camps. Les ONG restent sceptiques.
Rana est âgée de 20 ans et vit dans un camp de réfugiés en Grèce métropolitaine. Elle ne veut pas donner son vrai nom, ni sa localisation exacte, car elle craint que ces informations pourraient avoir des conséquences négatives sur sa demande d’asile.
Rana et sa famille ont fui l’Afghanistan en 2018 et sont arrivés en Grèce par la Turquie. Son père souffre d’une maladie cardiaque et son frère d’épilepsie. Ils sont considérés comme particulièrement vulnérables. La famille avait ainsi pu accéder à un appartement dans le cadre du programme d’aide d’urgence à l’intégration et au logement ESTIA.
Ce programme, financé par l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Union européenne (UE), a été mis en place en 2015 pour financer des logements pour les demandeurs d’asile les plus vulnérables. L’objectif affiché était de faciliter leur intégration dans la société.
En décembre dernier, le gouvernement grec a toutefois commencé à mettre fin progressivement au programme ESTIA. Rana et sa famille ont par conséquent dû retourner dans un camp de réfugiés.
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« J’avais l’habitude d’aller à l’école en Grèce avec ma sœur », explique-t-elle, en sanglots. « Quand nous sommes arrivés dans le camp, on nous a dit qu’il n’y avait pas de place pour nous à l’école ». Rana s’est vue proposer une place dans une école dans une ville voisine, mais l’établissement est bien trop éloigné du camp pour pouvoir s’y rendre tous les jours.
La famille avait pourtant commencé à se construire une nouvelle vie en ville. « Lorsque nous sommes arrivés au camp, notre conteneur était complètement vide. Il n’y avait même pas de matelas », se souvient Rana. La famille a dormi sur le sol pendant deux jours, avant de retourner dans leur ancien appartement y pour récupérer des matelas.
C’était il y a deux mois. Depuis, leurs noms ne figurent même plus sur la liste des personnes ayant droit à des repas gratuits. « Ils nous donnent ce qui reste quand tout le monde dans le camp a reçu sa ration », raconte Rana. La famille pu entre-temps se procurer une cuisinière pour se faire à manger.
Changement de situation en Afghanistan
La demande d’asile de la famille a déjà été rejetée à deux reprises avant que les talibans ne reprennent le pouvoir à Kaboul en août 2021. L’Afghanistan n’est plus considéré comme un pays sûr par de nombreux Etats, leur demande de protection est actuellement réexaminée. Mais Rana craint d’être expulsée vers la Turquie, le pays par lequel elle est arrivée en Grèce. En effet, l’Union européenne et Athènes considèrent toutes deux la Turquie comme un pays tiers sûr.
Pression psychologique
L’incertitude et l’attente constituent un poids psychologique énorme pour les migrants. Le programme ESTIA ambitionnait de créer des conditions de vie dignes pour atténuer ces souffrances. Quelque 20 000 places de logements étaient prévues.
Au moment d’annoncer la fin programmée de l’ESTIA, il y a un an, le ministère grec des Migrations affirmait que 12 648 personnes se trouvaient dans des appartements financés par le programme mais que que, depuis, nombre d’entre elles auraient reçu un réponse à leur demande d’asile.
En réponse à une enquête de Deutsche Welle, le ministère a assuré qu’au final, moins de 500 personnes ont dû quitter leurs appartements.
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Les experts estiment toutefois que l’isolement est utilisé comme moyen de dissuasion. Pour l’avocate Christina Svana, la fin d’ESTIA est une erreur puisque de nombreux demandeurs d’asile sont toujours dans le besoin. Elle travaille pour FENIX, une ONG qui fournit notamment des conseils juridiques aux réfugiés.
Christina Svana a été inondée d’appels de migrants désespérés : « Nous avons vu à quel point la mise en œuvre de cette décision (la fin du programme ESTIA) a été difficile. Dans de nombreux cas, les gens n’ont été prévenus qu’un ou deux jours avant de devoir partir. »
Pour Christina Svana, la fin d’ESTIA s’inscrit dans la politique du gouvernement grec visant à dissuader les demandeurs d’asile : « Depuis que le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir en 2019, nous avons assisté à un déclin spectaculaire des avantages ou des droits accordés aux réfugiés. Des centres fermés ont été érigés sur les îles et des camps entourés de murs et sous surveillance permanente ont été construits sur le continent. » Selon l’avocate, l’État grec est déterminé à maintenir les réfugiés à l’écart du reste de la société.
Une décision politique ?
Ines Avelas, responsable du plaidoyer et de la stratégie à FENIX, dénonce des motivations politiques.
Elle explique que l’ONG a reçu la confirmation par Bruxelles que les autorités grecques ont décidé de mettre fin au programme en raison de la « baisse significative des arrivées et de l’utilisation réduite de la capacité des centres d’accueil ». Pourtant, le financement du Fonds européen pour l’asile, la migration et l’intégration (AMIF) est garanti à la Grèce jusqu’en 2027.
« La fin du programme était une décision du gouvernement grec et il n’y avait aucune raison budgétaire à cela », conclut Ines Avelas.
Le gouvernement grec rejette cette affirmation. Au-delà du fonds AMIF, « aucun autre moyen n’a été mis à disposition », explique le ministère grec de Migration.
De son côté, la Commission européenne note que « en fin de compte, c’est à la Grèce de choisir l’accueil qu’elle offre et comment comment elle utilise les fonds mis à sa disposition dans le cadre des obligations de la base juridique des directives et règlements de l’UE. »
Seuls les demandeurs d’asile sont concernés
Athènes assure que les personnes concernées ont reçu une alternative dans des logements « pleinement conformes aux exigences juridiques internationales et européennes » et que ces infrastructures offrent aux résidents « la sécurité, la nourriture et des conditions de vie appropriées. »
Le ministère grec de la Migration tient également à préciser que « la plupart des demandeurs d’asile ont été informés du résultat de leur demande avant la fin du programme. En cas de résultat négatif, ces personnes ont été expulsées. En cas de résultat positif, elles se sont vues proposer un logement et une aide financière dans le cadre du programme d’intégration HELIOS. »
HELIOS est un programme destiné aux personnes ayant déjà obtenu l’asile en Grèce. Il est également financé par l’UE. Lefteris Papagiannakis, du Conseil grec pour les réfugiés, souligne que le programme offre une aide d’un an à ceux qui cherchent un emploi et un logement. « Le problème, c’est qu’il faut disposer d’un logement pour pouvoir bénéficier du programme », note-il, ajoutant que les choses se compliquent lorsque l’aide prend fin au bout d’un an.
De nombreuses personnes ayant obtenu l’asile se sont ainsi retrouvées à la rue ou ont dû retourner dans les camps de réfugiés. Pour Lefteris Papagiannakis, la Grèce ne prend pas l’intégration au sérieux : « Ce gouvernement est hostile aux réfugiés et aux migrants ».
Auteur : Florian Schmitz