Falsifications des statistiques grecques- procès Georgiou

Grèce  : le procès Georgiou ou l’affaire de la falsification des statistiques grecques pour justifier l’intervention de la Troïka   17 août par Constantin Kaïmakis

CC – Flickr – Ken Teegardin

Un procès sans fin

Ce n’est pas moins de 4 ans d’instruction judiciaire, deux procès initiaux et une réouverture du dossier que vient de clore la condamnation d’Andréas Georgiou. En effet, le 1er août 2017, le Tribunal correctionnel d’Athènes a condamné cet ancien Directeur de l’office des statistiques grecques (Elstat) à deux ans de prison avec sursis pour «  manquement au devoir  ». Voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1 août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission européenne) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. |1| »

Comme l’écrit Éric Toussaint : « Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. » « Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17). |2| »

Le travail d’expertise de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque

La Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques. La trentaine d’experts qui ont travaillé à ce remarquable travail de vérité font notamment état de l’évolution et de l’histoire de la dette grecque. Ils démontrent avec minutie comment Papandréou a dramatisé la situation de la dette et du déficit pour justifier une intervention étrangère qui apporterait suffisamment de fonds pour répondre à la situation des banques. C’est là qu’interviennent les faux chiffres et les méthodes douteuses d’A. Georgiou à Elstat. Georgiou a créé de toutes pièces les éléments qui ont permis de «  gonfler  » artificiellement les chiffres du déficit et de la dette publique grecs. Les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ont décrit ces falsifications :
- les falsifications concernant les obligations des hôpitaux publics qui ont ainsi permis d’augmenter une première fois le déficit ;
- les falsifications portant sur 17 entreprises grecques et sur les organismes publics comme les services de l’électricité, le téléphone et les télécoms, le rail, la télévision publique etc, qui ont permis d’augmenter à nouveau le déficit ;
- enfin les fameux swaps de Goldman Sachs (contrats d’échanges de taux d’intérêts) qui sont venus gonfler rétroactivement les chiffres de la dette à compter de 2009.

Ainsi la falsification des statistiques est directement liée à la dramatisation de la situation budgétaire et de la dette publique. Cela a été fait pour que l’opinion publique en Grèce, en Europe et au niveau international soient convaincue de la nécessité d’un « plan de sauvetage » de l’économie grecque en 2010, avec toutes les conditions strictes et conséquences sociales imposées à la population du pays. Les parlements des pays européens ont voté pour le « sauvetage » de la Grèce en s’appuyant sur ces statistiques falsifiées.

Sous prétexte de fournir une aide à la Grèce, dans le cadre de la solidarité, on a en fait masqué la socialisation des pertes bancaires.

Tant par son style que ses méthodes, Andréas Georgiou a été mis en cause, notamment par son administration. Les chiffres sont contestés, et pour les vérifier on va créer un conseil d’administration de sept membres. Les relations entre Georgiou et ce conseil sont difficiles voire inexistantes : il ne les réunit pas et ne les informe pas. Ce CA va être dissous, et ses membres remerciés. Deux d’entre eux décident de témoigner devant la commission pour la vérité contre leur ancien chef ; c’est le cas notamment de Zoé Georgantou, universitaire reconnue. Elle estime qu’Andreas Georgiou aurait gonflé les chiffres du déficit à dessein en y incluant par exemple les dettes des hôpitaux publics.

Un soutien inconditionnel de la Commission européenne

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales, a affirmé que «  les données sur la dette grecque pour la période de 2010 à 2015 ont été fiables et communiquées avec exactitude  ». Dans cette situation, la justice grecque avait estimé en décembre 2016 qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour envoyer Georgiou devant le tribunal… Mais un courageux procureur de la Cour suprême, Xeni Dimitriou a demandé le réexamen de l’affaire. A l’issue d’un nouveau procès, Georgiou a donc été condamné le 1er août 2017. Ses avocats et lui-même ont fait savoir qu’ils feraient appel.

La porte-parole de la Commission européenne, Mme Annika Breidthardt, a renouvelé son soutien total à Georgiou en déclarant que cette décision n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et a réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’Elstat au cours de la période 2010-2015 et au-delà ». Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, dans une interview au Financial Times a déclaré que « l’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres est un pilier important du fonctionnement de l’euro et un des éléments qui construisent la confiance entre les pays-membres de la zone euro ». Il en est de même de toute la nomenclature européenne qui clame son soutien à Georgiou via les Moscovici, Mario Draghi et autres… La pression des autorités européennes est constante soit de façon formelle soit via les médias européens. Et le prochain Eurogroupe de septembre 2017 envisage même d’en parler.

Rappelons que le gouvernement d’Alexis Tsipras a déjà plié devant les exigences des dirigeants européens dans une autre affaire. Voici ce qu’écrivait Maria Malagardis du quotidien français Libération à propos de l’abandon de poursuites contre trois experts techniques de Taiped, l’organisme mis en place pour gérer les privatisations http://www.cadtm.org/La-justice-ou-l-argent-L-etrange). Trois experts étrangers faisaient en effet, jusqu’à très récemment, l’objet de poursuites pénales :

« En cause : la manière dont a été gérée en 2014 la vente de 28 biens immobiliers concernant un grand nombre de ministères et d’installations publiques. Prix total de la transaction au profit de deux opérateurs privés (Eurobank Property et Ethniki Pangaea) : 261 millions d’euros.
Afin d’éviter le déménagement des nombreux services concernés, il avait été prévu que les nouveaux propriétaires loueraient ces bâtiments à ceux qui les occupent. Pendant vingt ans. A l’issue de cette période, l’État grec pourrait racheter ces propriétés, au prix courant du marché.

Sauf qu’un groupe d’avocats du Pirée va contester cette transaction et montrer comment le prix total de vente déjà sous-évalué, selon eux, se révélait de surcroît nettement inférieur au total des loyers encaissés au cours de la période concernée (580 millions d’euros). L’État grec était donc perdant, ont-ils estimé, conclusion reprise par le parquet dans un réquisitoire de 200 pages.

De surcroît, les heureux acquéreurs ont bénéficié d’une clause supplémentaire qui prévoit que le rachat éventuel par l’État grec serait exempté de toute taxe ou impôt. Autant de pertes supplémentaires pour le Trésor.

À l’issue de l’instruction préliminaire, des poursuites ont donc été engagées. Notamment contre un Espagnol, une Italienne et un Slovaque, tous conseillers auprès de Taiped à l’époque des faits. Rappelons que Taiped ne rend de comptes ni au Parlement grec, ni au gouvernement, sur la manière dont il gère les privatisations. Un vrai modèle de transparence donc.

Mais après l’annonce des poursuites, les membres de l’Eurogroupe, ont exigé et obtenu en 2016 l’impunité des membres de Taiped. Restait à éteindre l’action en justice.

Dès le 15 juin à Luxembourg, au moment où se finalisait l’accord pour les 8,5 milliards d’euros, le ministre des Finances espagnol, Luis de Guindos avait tapé du poing sur la table, en menaçant de bloquer l’aide si les poursuites n’étaient pas abandonnées. Visiblement, les représentants grecs ont dû donner ce jour-là quelques garanties sur leurs capacités à bloquer l’action de la justice, puisque l’argent fut débloqué. D’ailleurs, moins de deux semaines plus tard, la Cour suprême grecque, sollicitée par les avocats des trois experts, annulait purement et simplement les poursuites. »

Les ingérences des créanciers de la Grèce dans les affaires de justice a amené l’Union des juges et des procureurs de Grèce à vivement réagir dans un communiqué : « Les autorités judiciaires grecques et les lois grecques doivent traiter sur un pied d’égalité tous les citoyens indépendamment des relations spéciales que ces derniers pourraient avoir avec des services relevant de la Commission européenne. L’interprétation correcte et l’application des lois sont confiées par la Constitution aux institutions judiciaires dont le jugement ne doit pas être influencé par des tendances politiques, des pressions ou des incitations ». Et de conclure : « L’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres peut certes constituer un pilier important de l’union économique et monétaire selon la Commission, mais l’indépendance et la liberté de jugement des juges et des procureurs d’un pays sont la pierre angulaire du régime démocratique ».

À noter que, depuis début août 2017, Elstat a supprimé la parution des données flash sur le PIB grec… La raison ? Les données ne seraient pas fiables… tiens donc !

Pour terminer sur une note positive qui s’ajoute à celle de la condamnation de Georgiou, en juillet 2017, un ex-ministre socialiste a été condamné vendredi par un tribunal d’Athènes à huit ans de prison avec sursis pour « blanchiment d’argent » provenant de pots-de-vin versés par l’entreprise allemande Siemens pour la signature en 1997 d’un contrat avec la société grecque de télécommunications OTE |3|.

Notes

rédaction

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