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Placer les biens et services de santé en dehors des lois du marché

Par Eliane Mandine

Quand sur son ordinateur on tape coronavirus dans PubMed (base de données scientifiques), la réponse se chiffre en milliers d’articles : le sujet est extrêmement actif dans le monde scientifique. Et pour cause, depuis le début du XXIème siècle,  plusieurs épidémies dues à des coronavirus ont sévi dans le monde.

La première en 2002-2003, le SARS-CoV (Severe acute respiratory syndrome-related coronavirus), sévère et moyennement contagieuse, a été jugulée après quelques mois, après avoir  touché 8096 personnes dans 29 pays, provoquant  774 décès (mortalité 9.6 %).

La deuxième en 2012, le MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome coronavirus), présentant un syndrome clinique similaire au SRAS en plus sévère, mais avec une  transmission interhumaine limitée, est restée localisée au Moyen-Orient, touchant 1413 personnes et provoquant 502 décès (mortalité 35%).

Celle que nous subissons actuellement, le COVID-19, plus  contagieuse, est cause d’une pandémie qui ne se caractérisera pas seulement par une rapide propagation et un certain taux de mortalité dans le monde, mais aussi par les effets collatéraux dévastateurs pour les populations consécutifs à la crise économique et sociale.

Les coronavirus constituent une famille de virus dont certains peuvent infecter les humains, entraînant le plus souvent des symptômes bénins de type rhume.

De nombreuses équipes scientifiques, parmi lesquelles beaucoup de chinoises, ont cherché à caractériser ces virus et tenté de comprendre leur soudaine émergence au sein de la population humaine.

Ces équipes s’accordent à dire que le réservoir de ces virus est la chauve-souris du genre Rhinolophus et qu’ils se transmettent à l’homme via un hôte intermédiaire. Pour le SRAS ce serait un  petit mammifère, la civette palmiste (Paguma larvata), pour le MERS, le dromadaire, et l’hypothèse avancée pour le COVID-19 est le pangolin (mammifère, fourmilier écailleux), dont la chair est très prisée en Asie.

Pourquoi soudainement se propagent-ils chez l’homme ? Notre mode de vie, la modification de l’environnement par l’industrialisation à outrance, les déforestations, ont conduit au réchauffement climatique et à la baisse de la biodiversité. Les écosystèmes sont modifiés,  les  habitats des animaux réduits, situations qui favorisent des contacts entre espèces et exposent  de plus en plus à de nouveaux pathogènes potentiels.

Après les deux premiers épisodes infectieux, de nombreux scientifiques ont alerté sur l’émergence à venir chez l’homme de nouveaux virus pathogènes et potentiellement contagieux. Ils ont proposé la mise en place d’un système international de surveillance pour une détection précoce de la pathologie, et décider des mesures à prendre, à l’instar du GISRS (Global Influenza Surveillance and Response System) pour la grippe, mis en place par l’OMS il y a 65 ans. Sur la base d’un engagement des États membres envers un modèle mondial de santé publique, ce dispositif mondial de surveillance, de préparation et de riposte pour la grippe saisonnière, pandémique et zoonotique, fonctionne au travers de collaborations internationales efficaces, de partage des connaissances et des données sur le virus. Cela ressemble à la construction d’un commun intellectuel justifié par des raisons de santé publique. Ce commun n’est pas totalement préservé des échanges marchands : les données biologiques collectées sont transférées à l’industrie qui développe et commercialise les vaccins et les kits de détection, et qui en contrepartie reverse au GISR une partie des bénéfices afin d’assurer la pérennité du système.

La France, en 2013, s’est dotée d’un système comparable au GISRS avec le consortium appelé REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), sous l’égide de l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence, afin de préparer et  coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes. Son rôle en période de crise épidémique est, outre les aspects de soins, de logistiques, de sécurité et de géopolitiques, de définir les priorités scientifiques, d’assurer l’information des autorités et du grand public.

L’épidémie de SRAS a vite été oubliée. Les épisodes MERS- Zika- Chikungunya et Ebola n’ont pas marqué les esprits, parce qu’ayant été contenus et géographiquement localisés, et surtout sévissant principalement dans des pays à faible revenu (Zika en Amérique centrale et Amérique du Sud,  Ebola en République Démocratique du Congo). Le manque de solvabilité de ces populations est objectivement ce qui a freiné le développement de nouvelles thérapeutiques. La conclusion glaçante est : quand il n’y a pas de marché, il n’y a pas de recherche… Les entreprises préfèrent concentrer leurs investissements sur les produits les plus lucratifs.

L’Europe s’est dégagée de ces grands projets d’anticipation, et  en France les projets de recherches pour mettre au point de nouveaux antiviraux à large spectre n’ont pas été retenus[1]. Quant aux actions conduites par le consortium REACTing depuis sa création, on cherche quelles elles ont pu être. C’est ce que dénoncent  les deux courriers de mise en garde quant aux grandes lacunes dans la constitution d’une indispensable «  première ligne de défense » face aux virus émergents, qui après 2014 ont été envoyés à la commission de l’UE par Bruno Canard (CNRS) et 3 de ses collègues belges et néerlandais, spécialistes de la structure moléculaire du coronavirus[2]

Les risques liés aux épidémies sont connus de longue date, mais quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Et jusqu’à présent les épidémies ne sévissaient que dans les pays de Sud.

Stratégie et moyens logistiques

Au lieu de mettre en œuvre les moyens logistiques d’une stratégie, il  a fallu adapter notre stratégie à nos faibles moyens logistiques.

Ainsi, 20 ans après l’épidémie de SRAS, face à l’émergence de cette pandémie due au COVID-19, nous sommes démunis, totalement dépourvus de stratégie pour la combattre,  sans  traitement à proposer aux malades, ni  test de dépistage disponible, qui aurait permis de contrôler la dissémination de la maladie. La seule stratégie possible, pour ralentir le COVID-19, a été de mettre en quarantaine toute la population, avec tous les effets économiques et sociaux désastreux qui s’ensuivent.

La crise économique mondiale que provoque le coronavirus, virus planétaire, est l’aboutissement de nos choix de société. Le tout privé au détriment du public, accompagné d’une stratégie de délocalisation des industries essentielles, ont conduit à une situation catastrophique, dans les hôpitaux débordés par l’afflux des  malades, à la poste, dans l’incapacité d’assurer un service journalier, dans l’enseignement avec l’option du tout numérique sans tenir compte des zones blanches et des familles sans ordinateur.

Les universités et les laboratoires de recherche n’échappent pas à cet effondrement. Bien que moins visibles que les personnels de la santé, les chercheurs dénoncent depuis des décennies le manque de financement, le frein que représente l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui oblige à consacrer toujours plus de temps à rédiger des propositions de projets qu’à la recherche proprement dite, et à attendre d’une instance dont les membres sont dans le conflit d’intérêt quasi permanent qu’elle donne son feu vert pour pouvoir travailler[3]. La colère des chercheurs s’est amplifiée avec le mouvement  des Facs et Labos en Lutte qui s’élèvent contre la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche), la phase ultime d’une mise à mort de l’indépendance de la recherche fondamentale.

L’orientation de la recherche en fonction du rendement et du meilleur retour sur investissement, a conduit, comme annoncé par les chercheurs, à une perte d’indépendance technologique de la France. Ce qu’illustre parfaitement l’impossibilité de l’Hexagone à procéder à un dépistage massif de la population, les tests de dépistage n’étant pas produits en France. Lorsque BioMérieux relève le défi, c’est pour constater que les réactifs, fabriqués aux Etats-Unis et en Chine, ne sont pas disponibles en quantité suffisante. BioMérieux a par ailleurs développé des tests automatisés, fabriqués aux Etats-Unis et destinés dans un premier temps au seul marché américain. Pour être disponibles à l’international, et donc en France, ils feront l’objet d’une demande d’autorisation d’utilisation en urgence (EUA-Emergency Use Authorization) auprès de la Food and Drug Administration américaine. Les organisations de médecins et de laboratoires d’analyses prennent soudain conscience de ces pénuries[4] et du fait que la France est à la traîne derrière les Etats-Unis. N’est-il pas un peu tard pour s’insurger ?

Une société située en Bretagne, NG Biotech, épargne à la France de se retrouver en queue de peloton du développement technologique, grâce à la commercialisation prochaine d’un kit de détection des anticorps contre le COVID-19, indiquant que l’individu a été en contact avec le virus. Il faudra des tests en masse pour sortir du confinement, d’autant plus que jusqu’alors nous ne disposons ni  de traitement, ni de vaccin. Dans l’immédiat cette biotech, faute d’une capacité suffisante, ne pourra pas fournir un nombre suffisant de kits de détection. La reprise du cours normal de la vie risque d’en être retardée.

La recherche de profits immédiats est également cause de l’impréparation en matière de vaccins. La production d’un vaccin contre les virus de la famille des coronavirus est techniquement difficile, donc demande du temps, ce qui a découragé les investissements et entraîné du retard. Le temps perdu pour la préparation des outils ne se rattrapera pas : le temps nécessaire au développement, à la validation et à la production à grande échelle d’un vaccin n’est pas compressible. L’urgente nécessité d’un traitement prophylactique anti-COVID-19 ne justifie pas de transiger avec la qualité du produit délivré, en s’affranchissant en partie des normes de sécurité pour aller plus vite par exemple. L’efficacité et l’innocuité du vaccin doivent être démontrées avant son administration à l’ensemble de la population.

Quant aux traitements, la communauté médicale ne peut faire mieux que de se mobiliser autour de l’usage de médicaments existants, les antiviraux ciblant d’autres virus (HIV, Ebola), ou des molécules utilisées pour d’autres indications, tels les antipaludéens chloroquine ou hydroxy-chloroquine, sur la base de résultats encourageants in vitro ou dans des études cliniques réalisées en urgence, pour faire face à l’épidémie de SRAS.

Le financement en leur temps des travaux de Bruno Canard, et des autres équipes travaillant sur les coronavirus était un moyen d’être en possession de molécules spécifiques de cette famille de virus, et d’être en mesure de sélectionner rapidement un traitement efficace contre le COVID-19. Au lieu de nous trouver aujourd’hui réduits à solliciter dans l’urgence tous les chercheurs pour lancer de multiples projets. Les résultats de la recherche ne se décrètent pas, aucun appel à projet ne permet de répondre à un état d’urgence sanitaire. C’est pourtant ce que choisit de faire l’Etat qui persiste dans sa logique délétère de mise en concurrence des équipes travaillant sur le  COVID-19 lorsqu’il publie un « appel à projets avec un processus accéléré de sélection et d’évaluation » au lieu de toutes les financer massivement. Le processus d’évaluation et de sélection est certes accéléré, mais seulement quatre projets correspondants aux quatre priorités identifiées par l’OMS seront retenus pour un budget de 3 millions d’euros. Quant à Institut Pasteur, il en est à lancer une collecte auprès du public pour couvrir le financement de ses propres projets.

            Derrière la crise sanitaire, les enjeux financiers

Dans le cas du COVID19, les entreprises qui pourront concevoir les tests de dépistage (viraux ou sérologiques), les traitements et/ou les vaccins, disposeront d’une formidable rente de marché

Allons-nous assister, comme pour l’épidémie de SRAS, à une bataille pour s’assurer des droits de propriété intellectuelle (PI) ?

A l’époque un certain nombre d’organismes avaient  déposé des demandes de  brevet sur la séquence génomique du SRAS. L’université de Hong Kong (HKU), en partenariat avec la société Versitech, le CDC (Center for Disease Control and Prevention) aux Etats-Unis, le BCCA (the British Columbia Cancer Agency) au Canada et CoroNovative, une spin off  du centre médical Érasme aux Pays-Bas, se sont disputés l’exclusivité du génome viral. Ces nombreuses demandes de droit de PI pouvant nuire au développement de produits destinés à combattre le SRAS, tels que des vaccins, la raison a prévalu et il a été proposé de placer ces droits dans une communauté de brevets pour qu’ils soient exploités sur une base non exclusive[5]. C’est une grande première qui mérite d’être soulignée. Il faut préciser que, ce virus ne paraissant plus actif, l’intérêt pour le SRAS était retombé.

De même pour l’épidémie MERS-CoV, l’OMS est intervenue pour que les brevets déposés ne puissent pas ralentir le développement d’un vaccin ou autres produits destinés à vaincre la maladie[6]. Des recherches sont toujours en cours pour développer des traitements contre ce pathogène. Cependant le faible nombre de patients à inclure dans les essais cliniques freine leur validation.

Dans la lutte contre le COVID-19,  il est trop tôt pour connaître les demandes de brevets. Sont en course une soixantaine de candidats vaccins dans le monde, élaborés par des start-up, des groupes pharmaceutiques et des centres de recherche. Un délai de 12 à 18 mois, selon les approches choisies, est estimé pour pouvoir les fournir.

Les Etats-Unis et la Chine rivalisent âprement pour obtenir le marché, une bataille que la Chine estime ne pas pouvoir se permettre de perdre. Dans ces deux pays, des essais cliniques ont déjà débuté. On peut craindre, avec cette précipitation qui ressemble plus à une course au profit qu’à une volonté de servir les intérêts de la santé publique, que des manquements au respect de l’éthique des expérimentations sur les êtres humains, tel que le consentement éclairé, ne soient à déplorer.

D’autre part, de nombreux essais cliniques sont en cours partout dans le monde pour identifier un médicament actif. En Europe, une étude multicentrique,  Discovery, coordonnée par l’INSERM a été lancée pour évaluer 3 molécules (Remdesiv[7], Lopinavir/ritonavir[8] , hydroxychlorine[9]), en association ou non avec Interferon Beta-1A[10].

Ces molécules ne sont pas nouvelles, les droits de PI ne devraient pas se poser. Cependant il n’est pas rare que les entreprises pharmaceutiques demandent des brevets supplémentaires pour un nouvel usage médical (brevets de deuxième application thérapeutique) de composés existants. Ainsi Gilead, qui possède des brevets primaires pour le Remdesivir dans plus de 70 pays, n’a pas hésité à essayer de renforcer ses droits exclusifs, qui courent jusqu’en 2031, en demandant à l’Agence américaine du médicament la classification du Remdesivir comme médicament orphelin. Gilead a dû renoncer sous  la pression des ONG et des critiques publiques. Selon la Bank of America, Gilead pourrait empocher jusqu’à 2,5 milliards de dollars grâce à son antiviral si une activité anti COVI619 était démontrée. L’utilisation de l’hydroxy-chloroquine, initialement un anti paludéen, pour traiter le COVID-19, est hors AMM, on peut se demander, au cas où l’étude clinique confirme l’efficacité de cette molécule, quelle sera la position de Sanofi quant à la demande de brevet supplémentaire. La même interrogation s’applique à Merck pour l’Interferon Beta-1A.

Le laboratoire Abbvie a renoncé à faire valoir ses droits (qui courent encore dans certaines zones géographiques) sur cette combinaison Lopinavir/ritonavir (Kaletra), par ailleurs génériquée par le laboratoire Mylan.

D’autres essais thérapeutiques (Chine, Etats-Unis, France) concernent l’évaluation de traitements modulant l’inflammation tels que les anticorps monoclonaux anti-récepteur de l’interleukine-6 (IL-6), le Tocilizumab de Roche (Actemra©) et le Sarilumab de Sanofi/Regeneron (Kevzara®), administrés en dose unique pour inhiber l’IL-6, médiateur majeur de la réaction hyper inflammatoire liée au COVID-19. Actuellement ces deux  produits,  issus des biotechnologies, sont utilisés dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Si leur activité contre le COVID-19 est démontrée, les firmes détentrices des brevets, Roche et Sanofi/Regeneron, oseront-elles augmenter leur prix de vente, comme cela s’est vu avec l’Avastin, passé de 10 à 100 €, soit une hausse de 1000 %, lorsque son usage a été étendu à la dégénérescence maculaire ? Ces traitements seront-ils alors accessibles à tous les patients ?

Le coronavirus tue, mais pour les  grands groupes pharmaceutiques il se présente comme une manne providentielle. Ainsi les actions du laboratoire pharmaceutique Gilead grimpaient de 20 % après l’annonce des essais cliniques du Remdesivir contre le Covid-19, et celles d’Inovio Pharmaceuticals gonflaient de 200 % à la suite de l’annonce d’un vaccin expérimental. Sous les auspices de la gratuité et de dons[11], et de l’urgence sanitaire, des réseaux se tissent à l’échelle internationale, des plateformes de partage de connaissances se créent, les collaborations se multiplient, des alliances stratégiques se développent. Mais en toile de fond c’est la loi du marché qui s’applique. Les enjeux financiers sont trop importants pour ne pas s’assurer de la plus grande efficacité, de la puissance suffisante pour se donner les chances maximales de remporter ce gigantesque marché. Les entreprises cherchent à tirer le meilleur parti de la nouvelle situation.

            Se rassembler pour des jours meilleurs

La dévastation du monde par le coronavirus révèle que les politiques d’austérité de ces dernières décennies ont privé l’Etat de ses ressources essentielles et conduit à l’érosion du secteur public. Celui-ci n’est plus en mesure d’assurer la santé des citoyens lorsqu’il se met au service des financiers, pour lesquels la finalité est d’arriver en tête de la compétition économique mondiale, pour gonfler toujours plus la rémunération des actionnaires et faire monter le cours en bourse. La crise sanitaire actuelle montre cruellement notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en flux tendu, qui empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, kits de diagnostic, médicaments indispensables, etc.

Le coronavirus s’éteindra. Il y aura alors urgence à faire face à la misère engendrée. Il faudra que ce soit avec une pensée radicalement nouvelle, débarrassée de l’idéologie de la valeur et de l’exigence de la valorisation.

Il est temps d’exiger une approche qualitativement différente, fondée sur les communs du savoir et une collaboration non-compétitive. Ce qui nécessite  de (re)construire des services publics forts, santé, climat, économie, éducation, culture doivent être dotés de financements publics pérennes, à la hauteur des grandes missions qu’appelle à satisfaire le bien commun, en France et dans le monde. Il faut des structures collectives puissantes, pour une meilleure appropriation publique et citoyenne des secteurs essentiels à la vie humaine.

Il est temps de placer les biens et service de santé en dehors des lois du marché, de sortir la recherche, la production de médicaments, l’hôpital, la santé, des logiques capitalistes et de lutter contre la dérive néolibérale du capitalisme mondialisé et financiarisé.

Il est temps d’investir massivement dans la recherche, de donner aux chercheurs les moyens d’explorations scientifiques à long terme, d’encourager les collaborations et le partage des connaissances, d’empêcher la prédation des résultats à des fins d’intérêts  privés en refondant les droits de Propriété intellectuelle (PI).

Il est temps de relocaliser les productions de principes actifs, des médicaments, des matériels sanitaires pour être en mesure de répondre aux besoins de santé de la population.

Il est temps de repenser nos modes de vie, de repenser le travail, sa division, sa rémunération, son sens, de repenser notre répartition collective des ressources, de rendre la fiscalité plus juste et redistributive, pour satisfaire les  besoins sociaux, environnementaux et sanitaires du plus grand nombre.

Il est temps de considérer comme des enjeux vitaux pour l’avenir de l’humanité, le maintien de la biodiversité, un modèle de production respectueux de l’environnement, une agriculture relocalisée (circuits courts), la fin de l’élevage intensif, des énergies renouvelables.

Il est temps de se rassembler, dans une entraide et une solidarité mondiale, pour bâtir des jours meilleurs.

14-04-20

[1] « Arrêt des financements des recherches sur les anti-coronavirus large spectre  de l’équipe B. Canard ». Entretien réalisé par Nadège Dubessay, L’Humanité, 19/03/2020.

[2] Témoignage de Bruno Canard, chercheur au CNRS sur des Coronavirus – Facebook.

[3] Voir « Recherche et finance, une dangereuse liaison », E. Mandine et T. Bodin, ContreTemps n°42, juillet 2019.

[4] « Dépistage du coronavirus : biologistes et médecins dénoncent des pénuries de matériel », Le Généraliste, Amandine Le Blanc 25/03/2020.

[5] James H.M. Simon et al. Bulletin of the World Health Organization,  september 2005, 83 (9)

[6] « Coronavirus : un brevet provoque la colère de l’OMS », Les Echos, 23/05/2013.

[7] Remdesiv de Gilead.

[8] Lopinavir/ritonavir : Kaletra de Abbvie.

[9] hydroxychlorine de Sanofi.

[10] Interferon Beta-1A de Merck.

[11] Dons de chloroquine par Sanofi, Bayer, Novartis ; publié le 23/03/2020 N. Viudez-Industrie-Pharma. Merck a récemment fait don de boîtes d’interférons bêta-1a à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) en vue de son utilisation dans un essai clinique.

Source http://medicament-bien-commun.org/placer-les-biens-et-services-de-sante-en-dehors-des-lois-du-marche

L’appel : se fédérer

 

L’APPEL

Nous sommes nombreuses, nous sommes nombreux : nous sommes tant et tant à penser et éprouver que ce système a fait son temps. Mais nos voix sont dispersées, nos appels cloisonnés, nos pratiques émiettées. Au point que quelquefois nous doutons de nos forces, nous succombons à la détresse de l’impuissance. Certes, parfois cette diffraction a du bon, loin des centralisations et, évidemment, loin des alignements. Il n’empêche : nous avons besoin de nous fédérer. Sans doute plus que jamais au moment où une crise économique, sociale et politique commence de verser sa violence sans faux-semblant : gigantesque et brutale. Si « nous sommes en guerre », c’est bien en guerre sociale. D’ores et déjà les attaques s’abattent, implacables : le chantage à l’emploi, la mise en cause des libertés et des droits, les mensonges et la violence d’État, les intimidations, la répression policière, en particulier dans les quartiers populaires, la surveillance généralisée, la condescendance de classe, les discriminations racistes, les pires indignités faites aux pauvres, aux plus fragiles, aux exilé-es. Pour une partie croissante de la population, les conditions de logement, de santé, d’alimentation, parfois tout simplement de subsistance, sont catastrophiques. Il est plus que temps de retourner le stigmate contre tous les mauvais classements. Ce qui est « extrême », ce sont bien les inégalités vertigineuses, que la crise creuse encore davantage. Ce qui est « extrême », c’est cette violence. Dans ce système, nos vies vaudront toujours moins que leurs profits.

Nous n’avons plus peur des mots pour désigner la réalité de ce qui opprime nos sociétés. Pendant des décennies, « capitalisme » était devenu un mot tabou, renvoyé à une injonction sans alternative, aussi évident que l’air respiré – un air lui-même de plus en plus infecté. Nous mesurons désormais que le capitalocène est bien une ère, destructrice et mortifère, une ère d’atteintes mortelles faites à la Terre et au vivant. L’enjeu ne se loge pas seulement dans un néolibéralisme qu’il faudrait combattre tout en revenant à un capitalisme plus « acceptable », « vert », « social » ou « réformé ». Féroce, le capitalisme ne peut pas être maîtrisé, amendé ou bonifié. Tel un vampire ou un trou noir, il peut tout aspirer. Il n’a pas de morale ; il ne connaît que l’égoïsme et l’autorité ; il n’a pas d’autre principe que celui du profit. Cette logique dévoratrice est cynique et meurtrière, comme l’est tout productivisme effréné. Se fédérer, c’est répondre à cette logique par le collectif, en faire la démonstration par le nombre et assumer une opposition au capitalisme, sans imaginer un seul instant qu’on pourrait passer avec lui des compromis.

Mais nous ne sommes pas seulement, et pas d’abord, des « anti ». Si nous n’avons pas de projet clé en mains, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à théoriser, penser mais aussi pratiquer des alternatives crédibles et tangibles pour des vies humaines. Nous avons besoin de les mettre en commun. C’est là d’ailleurs ce qui unit ces expériences et ces espérances : les biens communs fondés non sur la possession mais sur l’usage, la justice sociale et l’égale dignité. Les communs sont des ressources et des biens, des actions collectives et des formes de vie. Ils permettent d’aspirer à une vie bonne, en changeant les critères de référence : non plus le marché mais le partage, non plus la concurrence mais la solidarité, non plus la compétition mais le commun. Ces propositions sont solides. Elles offrent de concevoir un monde différent, débarrassé de la course au profit, du temps rentable et des rapports marchands. Il est plus que jamais nécessaire et précieux de les partager, les discuter et les diffuser.

Nous savons encore que cela ne suffira pas : nous avons conscience que la puissance du capital ne laissera jamais s’organiser paisiblement une force collective qui lui est contraire. Nous connaissons la nécessité de l’affrontement. Il est d’autant plus impérieux de nous organiser, de tisser des liens et des solidarités tout aussi bien locales qu’internationales, et de faire de l’auto-organisation comme de l’autonomie de nos actions un principe actif, une patiente et tenace collecte de forces. Cela suppose de populariser toutes les formes de démocratie vraie : brigades de solidarité telles qu’elles se sont multipliées dans les quartiers populaires, assemblées, coopératives intégrales, comités d’action et de décision sur nos lieux de travail et de vie, zones à défendre, communes libres et communaux, communautés critiques, socialisation des moyens de production, des services et des biens… Aujourd’hui les personnels soignants appellent à un mouvement populaire. La perspective est aussi puissante qu’élémentaire : celles et ceux qui travaillent quotidiennement à soigner sont les mieux à même d’établir, avec les collectifs d’usagers et les malades, les besoins quant à la santé publique, sans les managers et experts autoproclamés. L’idée est généralisable. Nous avons légitimité et capacité à décider de nos vies – à décider de ce dont nous avons besoin : l’auto-organisation comme manière de prendre nos affaires en mains. Et la fédération comme contre-pouvoir.

Nous n’avons pas le fétichisme du passé. Mais nous nous souvenons de ce qu’étaient les Fédérés, celles et ceux qui ont voulu, vraiment, changer la vie, lui donner sens et force sous la Commune de Paris. Leurs mouvements, leurs cultures, leurs convictions étaient divers, républicains, marxistes, libertaires et parfois tout cela à la fois. Mais leur courage était le même – et leur « salut commun ». Comme elles et comme eux, nous avons des divergences. Mais comme elles et comme eux, face à l’urgence et à sa gravité, nous pouvons les dépasser, ne pas reconduire d’éternels clivages et faire commune. Une coopérative d’élaborations, d’initiatives et d’actions donnerait plus de puissance à nos pratiques mises en partage. Coordination informelle ou force structurée ? Ce sera à nous d’en décider. Face au discours dominant, aussi insidieux que tentaculaire, nous avons besoin de nous allier, sinon pour le faire taire, du moins pour le contrer. Besoin de nous fédérer pour mettre en pratique une alternative concrète et qui donne à espérer.

Dès que nous aurons rassemblé de premières forces, nous organiserons une rencontre dont nous déciderons évidemment ensemble les modalités.

Pour rejoindre cet appel : appelsefederer@riseup.net

Site internet : http://sefederer.mystrikingly.com/

Signatures collectives :

Aggiornamento histoire-géo, ACU (Association des communistes unitaires), Association De(s)générations, CAPJPO-Europalestine, Cerises la coopérative, Changer de Cap, Collectif des révolutionnaires, Collectif Droit à la Belle Ville, Collect’IF paille, EcoRev’, Émancipation collective, Ensemble!-PACG 05, Fédération des syndicats SUD-Rail, Gilets jaunes de Belleville, Gilets jaunes enseignement recherche, Gilets jaunes de Plaine Commune, Jardins Communs, Jarez Solidarités, La Suite du monde, Le Paria, Les infiltrés, On prend les champs, PEPS (Pour une écologie populaire et sociale), Questions de classe(s), Reporters en Colère, Réseau pour l’Autogestion, les Alternatives, l’Altermondialisme, l’Ecologie, le Féminisme, Réseau salariat Essonne, Réseau salariat Pays de Loire, SUD éducation Loiret, SUD éducation Paris, Union prolétarienne ML, Union syndicale Solidaires, Union syndicale SUD Industrie, Unité Communiste de Lyon, Union communiste libertaire

Signatures individuelles ( voir le site)

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Nous sommes infirmière, cheminot, charpentier, monteuse, postier, ingénieur, paysan, professeur, ébéniste, travailleur précaire, assistant sociale, animatrice, éducateur, écrivain public, poète, enseignant, universitaire, cinéaste, retraité, interprète, photographe, journaliste, intermittent du spectacle, technicien dans l’aéronautique, astrophysicien, travailleur sous contrat de l’État, directeur de théâtre, metteuse en scène, anthropologue, ouvrier dans la conception mécanique, éditeur, organisateur de communautés, plasticienne, psychiatre, documentaliste, formatrice, conseillère syndicale, comédienne, responsable d’association, psychanalyste, designer, pasteur et théologien, cadre associatif, enseignant-chercheur, environnementaliste, professeure des écoles, statisticien, pilote de ligne, graphiste, informaticienne, médecin, formateur, conseillère syndicale, producteur de films, artiste précaire, linguiste, travailleur social, essayiste, ingénieur de recherche, contractuel, philosophe, téléconseiller, socioéconomiste, architecte, chef de projet multimédias, étudiante, compositeur, psychologue, pédagogue, gestionnaire de contrats, réalisatrice radio, coopérateur, kinésithérapeute…

Nous habitons Aix-en-Provence (13), Albertville (73), Ambert (63), Amiens (80), Angers (49), Apt (84), Argenteuil (95), Arradon (56), Aubervilliers (93), Auterive (31), Auxerre (89), Avignon (84), Bagnères de Bigorre (65), Batukau (Bali), Bègles (33), Berlin (Allemagne), Besançon (25), Blois (41), Bruxelles (Belgique), Calvisson (30), Cayenne (97), Cergy (95), Chambéry (73), Chartres-de-Bretagne (35), Chatres-sur-Cher (41), Clamart (92), Clichy (92), Cossé le Vivien (53), Cotonou (Bénin), Courtry (77), Créteil (94), Diois (26), Dourgne (81), Fontaine (38), Fontenay-aux-Roses (92), Forcé (53), Gaillac-Toulza (31), Gap (05), Garrevaques (81), Genève (Suisse), Gennevilliers (92), Grabels (34), Ivry-sur-Seine (94), La Barque (13), La Bâtie-Neuve (05), L’Aigle (61), La Roche sur Yon (85), Le Havre (76), Le Perreux (94), Le Plessis Robinson (92), Les Lilas (93), Les Matelles (34), Les Ulis (91), L’Île Saint-Denis (93), Liouville (55), Lyon (69), Marseille (13), Martigues (13), Metz (57), Montpellier (34), Montréal (Canada), Montreuil (93), Mordelles (35), Nancy (54), Nantes (44), Orléans (45), Paris (75), Piémont Cévenol (30/34), Poitiers (86), Pontoise (95), Rennes (35), Roanne (42), Rouen (76), Rouillé (86), Saint Affrique (12), St Barthélémy d’Anjou (49), Saint-Cosme-en-Vairais (72), Saint-Denis (93), Saint-Denis-de-la-Réunion (97), Saint-Étienne (42), Saint-Étienne du Rouvray (76), Saint-Pierre-du-Perray (91), Sanary-sur-Mer (83), Senlis (60), Strasbourg (67), Thionville (57), Toulouse (31), Tours (37), Trappes (78), Trets (13), Valence (26), Vanves (92), Veynes (05), Villejuif (94), Villeneuve-Saint-Georges (94), Viry-Chatillon (91), Vitry-sur-Seine (94), Xermaménil (54), Yutz (57)…

Nous nous engageons dans des associations, collectifs, organisations et syndicats divers : parmi bien d’autres, Agir pour l’Environnement, Alternatives et Autogestion, AMAP Court-circuit, Amnesty International, Association des Communistes Unitaires, Atelier Constituant des Bâtisseurs Jaunes, ATTAC, L’aventure citoyenne, Bas les masques, Belleville en Commun, Big Bang, Bloquons Blanquer, Cerises la coopérative, CGT, Collectif contre les Grands Projets Inutiles, Collectif Gilets jaunes enseignement recherche, Collectif d’Échanges Citoyens du Pays d’Aix, Collect’IF Paille, Collectif Lettres Vives, Collectif universitaire contre les violences policières, Collectifs AESH, Commune Thomas Münzer du Mouvement du Christianisme social, Comité National de Résistance et de Reconquête, Comité Place des Fêtes, DécidonsParis, DionyCoop, Ecorev’ – Revue critique d’écologie politique, Éducation populaire & transformation sociale, Ensemble!, Europe solidaire sans frontière, Extinction Rébellion, Faire commune, Fondation Copernic, France Amérique Latine, France Insoumise, ICEM-Pédagogie Freinet, Ifaw, Gilets jaunes enseignement recherche, Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (GRESEA), Le Monde d’Après, mes Mouvement de la Paix MRAP, Nature&Progrès, Ni guerres ni état de guerre, Nouveau Parti Anticapitaliste NPA, PEPS, Pontoise à Gauche Vraiment, Questions de classe(s), REC –Reporters en colère, Réseau féministe RUPTURES, Réseau salariat, SNESUP-FSU, SNJ-CGT, SNUipp-FSU, Solidaires étudiant-e-s, Sous-marins jaunes, SOS Villages d’Enfants, Stop nucléaire, Les stylos rouges, SUD Aérien, SUD Éducation, SUD Industrie, SUD PTT, SUD Rail, S’unir à Saint-Pierre Décidons tous de notre ville, Union communiste libertaire, Union syndicale Solidaires, Unité Communiste Lyon, Union juive française pour la paix, Union pacifiste, Zone de solidarité populaire ZSP 18e… (et tout cela n’est pas exhaustif

ET APRES ?

Nous voulons former un mouvement qui puisse populariser, diffuser, médiatiser les perspectives et les enjeux de notre appel : faire qu’il deviennent l’appel de chacune et chacun. Dès que nous aurons rassemblé de nouvelles forces, nous organiserons une rencontre dont nous déciderons ensemble les modalités.

Il y a parmi nous beaucoup de talents, de savoirs et de savoir-faire : leur partage et leur mise en commun constitueront « une force qui va ». Une priorité sera de créer un « vrai » site internet où nous pourrons mettre, outre l’appel, des premiers textes qui nous seront proposés ou que nous élaborerons collectivement : de tous formats, textes théoriques, récits d’expériences, témoignages, mais aussi des créations artistiques (films, poèmes compositions musicales, créations plastiques…). Nous pourrons aussi y déposer des photos, des vidéos, des porte-folios, des dessins, réaliser des podcasts, des émissions, rassembler des informations pour une newsletter sur des initiatives et des actions.

Les idées ne nous manqueront pas. « Se fédérer » (appellation provisoire puisque nous aurons à imaginer un nom pour cette coopérative/ rassemblement) entend bien en effet n’être ni une tribune, ni un énième appel : mais une force dans laquelle chacune et chacun pourra prendre sa place et participer à sa mesure.

D’ores et déjà, nous vous proposons de commencer à réfléchir aux thématiques qui vous tiennent à cœur (outre bien sûr les enjeux transversaux qui nous préoccupent) pour d’éventuels groupes/ateliers dans lesquels vous souhaiteriez vous engager. Les possibilités sont nombreuses et nous en dresserons toutes et tous ensemble un panorama. Exemple: alimentation, énergie, écologie, art, travail, coopératives, violences policières, féminismes, antiracisme, consommation, logement… (sans aucun ordre hiérarchique évidemment et sans exhaustivité).

N’hésitez pas à nous faire part de vos idées et propositions : appelsefederer@riseup.net. Nous avons constitué une petite équipe technique d’animation évolutive et ouverte à qui le souhaite (là aussi, faites-nous signe si vous souhaitez y prendre part).

Si vous avez des compétences particulières (vidéos, création et animation de site, traduction – d’ores et déjà l’appel a été traduit en anglais et en italien), elles seront les bienvenues !

Source http://sefederer.mystrikingly.com/

 

L’entretien Cédric Herrou

Dans l’émission « Air libre » en accès libre de Médiapart : l’exécutif attendu au tournant par les soignants, la crise vue des États-Unis, l’entretien avec Cédric Herrou depuis la vallée de la Roya, et les oiseaux de Vanessa Wagner.

L’entretien avec Cédric Herou, agriculteur et activiste dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) à la 36 : 56

Un Conseil national de la nouvelle résistance

Le pari du Conseil national de la nouvelle résistance

Face à l’incompétence du gouvernement, à la tentation de l’autoritarisme et la mise en œuvre de la stratégie du choc, une vingtaine de personnalités ont suscité la création d’une structure nouvelle pour mener le combat du monde d’après.

Faire revivre « Les Jours heureux ». C’est l’objectif que se fixent une vingtaine de personnalités « en dehors des partis et des syndicats (mais pas contre eux) ». Ils sont philosophes, sociologues, juristes, économistes, médecins (1), et viennent de constituer le Conseil national de la nouvelle résistance (CNNR) « pour mener le combat du jour d’après (…) en [se] plaçant sous la tutelle de l’histoire, des luttes sociales et écologiques contemporaines ». Leur « ambition » affichée « est d’offrir un point de ralliement à toutes celles et ceux, (individus, collectifs, mouvements, partis ou syndicats) qui pensent que « les Jours heureux » ne sont pas une formule vide de sens mais le véritable horizon d’un programme politique ».

Ce nouveau Conseil national de la résistance n’aurait sans doute pas pris cette appellation si Emmanuel Macron, dans son adresse solennelle à la Nation, le 13 avril, n’avait pas promis qu’après la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 « nous retrouverons les jours heureux ». Cette allusion transparente au titre – Les Jours heureux – du programme politique et social publié clandestinement par le Conseil national de la Résistance au mois de mars 1944, avait suscité autant de colère que d’indignation chez tous ceux qui, depuis plus d’une décennie, maintiennent le souvenir des idéaux et réalisations de ce programme contre les attaques du néolibéralisme dont le chef de l’État et son clan sont de fervents exécutants (Voir la chronique de Sébastien Fontenelle du 22 avril).

Il n’est donc pas surprenant de retrouver au secrétariat de ce CNNR, le réalisateur Gilles Perret dont le film « Les Jours heureux », sorti en 2013, a grandement contribué à entretenir la mémoire du projet de société issu de la résistance (Voir ici et ). Ou le comédien Samuel Churrin qui avait appelé à la création d’un nouveau Conseil national de la résistance dans une tribune publiée sur Politis.fr le mois dernier. Encore moins de trouver à la co-présidence d’honneur de ce CNNR deux résistants : Anne Beaumanoir et Claude Alphandéry.

Une action en deux temps

Déterminés à agir « face à l’incompétence [du] gouvernement, à la tentation chaque jour plus grande de l’autoritarisme [et] à la mise en œuvre d’une stratégie du choc », le CNNR entend « dans un premier temps (…) énoncer les principes selon lesquels notre société devra désormais être gouvernée » et envisage « de sommer les responsables politiques de prendre des engagements vis-à-vis d’eux ». Il annonce une publication du résultat de ses premiers travaux le 27 mai, à l’occasion de la journée nationale de la Résistance.

« Dans un deuxième temps, à partir de ces principes, il s’agira de nourrir le plus largement possible ce programme des idées et des propositions de chacun afin qu’il soit opérationnel au plus vite. »

Cette initiative, annoncée dans un texte et une vidéo, se distingue des traditionnels appels unitaires de personnalités politiques, syndicales et associatives, dont la dernière variante publiée sur notre site et plusieurs autres médias invite à construire l’avenir au cœur de la crise. C’est louable. Elle n’en est pas moins un pari encore un peu flou. Un peu fou aussi. Les co-fondateurs de ce CNNR en ont sûrement conscience, eux qui revendiquent cette phrase de Bertolt Brecht : « Ceux qui se battent peuvent perdre, ceux qui ne se battent pas ont déjà perdu. »


(1) Le premier Conseil National de la Nouvelle Résistance (CNNR) est composé de 10 femmes et de 10 hommes : Anne Beaumanoir (co-présidente d’honneur), Juste et résistante ; Claude Alphandéry, (co-président d’honneur), résistant ; Dominique Méda, professeure de sociologie ; Dominique Bourg, philosophe, professeur honoraire à l’Université de Lausanne ; Samuel Churin, comédien (coordination des intermittents et des précaires) ; Danièle Linhart, sociologue du travail ; Sabrina Ali Benali, médecin et militante ; Pablo Servigne, auteur et conférencier spécialiste des questions de transition écologique ; Olivier Favereau, professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris- Nanterre ; Yannick Kergoat, monteur-réalisateur ; Jean-Marie Harribey, économiste, maître de conférence, membre des Économistes atterrés ; Anne Eydoux, maîtresse de conférence au Cnam, membre des Économistes atterrés ; Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Pauline Londeix, ex vice-présidente d’Act Up-Paris, co-fondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; Antoine Comte, avocat à Paris ; Véronique Decker, enseignante et directrice d’école, syndicaliste et militante pédagogique ; Fatima Ouassak, politologue, porte-parole du syndicat Front de Mères ; Anne-Claire Rafflegeau, infirmière et porte-parole du collectif inter-urgences ; Clotilde Bato, présidente de Notre Affaire à Tous, déléguée générale chez SOL Alternatives Agroécologiques et solidaires ; Benoît Piédallu, membre de La Quadrature du Net.

Son secrétariat, moins paritaire, est composé de : Gérard Mordillat (cinéaste, romancier), Gilles Perret (réalisateur, co-fondateur de Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui), Denis Robert (journaliste, écrivain), Florent Massot (éditeur), Katell Gouëllo (Le Média TV), Bertrand Rothé (agrégé d’économie, professeur d’université).

Source https://www.politis.fr/articles/2020/05/le-pari-du-conseil-national-de-la-nouvelle-resistance-41888/

Sortie de crise: 3 scénarios

Covid-19 et sortie de crise : trois scénarios pour explorer le champ des possibles publié sur Contretemps

Dans cet article, Alain Bihr cherche à penser la situation socio-politique qui pourrait succéder à la crise sanitaire. Il formule et développe trois scénarios possibles, qui dessine des futurs très différents : la perpétuation et l’approfondissement du néolibéralisme et de ses contradictions ; un tournant néo-social démocrate ; l’ouverture de brèches en vue d’une rupture révolutionnaire.

***

La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 présente un caractère doublement global : elle est à la fois mondiale et multidimensionnelle (non seulement sanitaire mais aussi économique, sociale, politique, idéologique, psychique, etc.). A ce double titre, elle déstabilise gravement le pouvoir capitaliste dans ses différentes composantes, en le mettant au défi de se renouveler, en inventant et développant de nouvelles modalités au-delà de la réinstauration des anciennes mises à mal.

Du même coup, cette crise constitue aussi un défi lancé à toutes les forces anticapitalistes, lui aussi double. Défensivement, il doit anticiper sur la mise en œuvre de ces nouvelles modalités de domination capitaliste tout en cherchant, offensivement, à tirer profit de l’affaiblissement conjoncturel du pouvoir capitaliste pour faire évoluer le rapport de force en sa faveur, voire ouvrir des brèches susceptibles de s’élargir sur des perspectives révolutionnaires.

Les lignes qui suivent n’ont d’autre ambition que d’exposer quelques thèses concernant l’un et l’autre de ces deux aspects de la crise et de contribuer ainsi à la discussion qui s’est déjà amorcée à ce sujet dans les rangs anticapitalistes[1]

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1. C’est au niveau de ses instances gouvernementales que le pouvoir capitaliste s’est trouvé déstabilisé de la manière la plus évidente par la pandémie et la crise sanitaire qui s’en est suivie. Le déni d’abord[2], la procrastination ensuite, les demi-mesures pour continuer, transformant une nécessité créée de toutes pièces (car dictée par l’état déplorable d’un appareil sanitaire affaibli par des décennies de restrictions budgétaires, ordonnées aux politiques néolibérales, en dépit des alertes et mobilisations des personnels soignants) en une vertu mensongère (le dépistage systématique serait inutile, les masques de protection ne serviraient à rien, etc.) et, enfin, un amateurisme ubuesque dans leur exécution, qui ferait rire en d’autres circonstances, ont gravement compromis le crédit de l’immense majorité des gouvernants. Et ce, même lorsque l’imbécillité ignare (comme dans le cas d’un Donald Trump, d’un Andrés Manuel Lopez Obrador ou d’un Jair Bolsonaro) ou le cynisme néodarwiniste inspirant la thèse de l’immunité de groupe (comme dans le cas d’un Boris Johnson, d’un Mark Rutte[3] ou d’un Stefan Löfven[4]) n’y ont pas rajouté une couche d’ignominie criminelle.

Il est désormais évident pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les conséquences que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que leur redoublement même finit par trahir. C’est à six reprises, pas moins, que, lors de son allocution du 16 mars, Emmanuel Macron a répété que « nous sommes en guerre ». Le recours à cette métaphore abusive devrait nous alerter. C’est le moment de se souvenir qu’« on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse », selon un bon mot de Georges Clémenceau, un fin connaisseur dans cette triple matière. Et, comme Clausewitz nous l’a appris, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens : en l’occurrence, en cherchant à aggraver la panique engendrée par la pandémie, il s’agit de provoquer le réflexe d’unité nationale, voire d’« Union sacrée », propre à regrouper le peuple apeuré autour du chef des armées et de son État, en dénonçant par avance toute critique comme une haute trahison.

Ont cependant fait exception les gouvernements de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hongkong et de Singapour qui ont, d’emblée, mis en œuvre la seule stratégie efficace de lutte contre la diffusion du Covid-19 à base de dépistage de tous les cas suspects, de confinement et traitement des seules personnes infectées et de celles qui les ont approchées et qui ont pu être identifiées, de port obligatoire de masques et de tracking dans l’espace public pour toutes les autres[5]. Encore fallait-il disposer du matériel, du personnel et des infrastructures appropriés à ces fins (sans compter une bonne dose de discipline collective), qui faisaient précisément défaut dans les cas précédemment mentionnés, pour les raisons que l’on sait.

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2. C’est cependant bien plus profondément que dans les seules sphères gouvernementales que le pouvoir capitaliste se trouve aujourd’hui ébranlé. Ce sont en fait les bases mêmes de la production capitaliste qui se trouvent mises en cause, tant ses exigences les plus immédiates et les formes qu’elles ont prises durant ces dernières décennies que la dynamique proprement infernale dans laquelle elle a entraîné l’humanité et la planète entières.

En premier lieu, il faut se rappeler qu’il n’y a de capital qu’à la condition qu’il y ait du travail vivant à exploiter. Valeur en procès, le capital ne peut conserver et accroître sa valeur, ce qui est son but propre indéfiniment poursuivi dans un cycle aussi ininterrompu que possible, qu’à la condition qu’il trouve sur le marché une force de travail humaine qu’il puisse s’approprier et exploiter. Si cette force fait défaut, c’est son existence même qui est menacée.

Or la pandémie de Covid-19 confronte le capital au risque d’un pareil défaut. Ce défaut est d’ores et déjà effectif, sous la forme de la désertion d’une partie des travailleurs, faisant valoir leur droit de retrait, faute que les directions capitalistes des entreprises ne soient pas plus capables que les gouvernements de leur assurer les protections sanitaires indispensables sur leurs lieux de travail (chantiers, ateliers, entrepôts, magasins, bureaux, etc.) ; sous la forme aussi du chômage technique entraîné par la désorganisation de la production, tant vers l’amont (du côté des fournisseurs ou des sous-traitants) que vers l’aval (du côté des distributeurs) ; sous la forme enfin de la désertion des consommateurs finaux… qui se trouvent être massivement des travailleurs salariés. Et ces effets d’interruption, de ralentissement et de désorganisation de la production seront d’autant plus graves et dommageables pour le capital que la pandémie durera. Si cette dernière devait se prolonger, s’amplifier et récidiver, comme cela est fortement probable lors de la levée du confinement, la crise de valorisation du capital (correspondant en fait à une dévalorisation relative ou même absolue d’une bonne partie de ce dernier) prendrait une dimension catastrophique, amplifiant du même coup la déconfiture du capital financier dans sa composante fictive (les marchés boursiers), amorcée en fait avant la crise sanitaire et que celle-ci n’aura fait que précipiter et amplifier. Mais ce défaut de travail vivant pourrait prendre des formes encore plus catastrophiques si la pandémie devait finalement entraîner une mortalité de masse, en privant le capital de main-d’œuvre et en y rééquilibrant en faveur du travail un rapport de force sur le marché du travail que le chômage déséquilibre actuellement en faveur du capital. Et ce sans considérer, pour l’instant, les inévitables explosions sociales qui accompagneraient un pareil scénario catastrophe. D’où finalement le choix contraint du confinement, faute des moyens qui auraient permis l’option sud-est asiatique (coréenne, taïwanaise, etc.), quoi qu’il doive en coûter immédiatement au capital.

De tout cela, les directions capitalistes (gouvernementales et patronales) ont plus ou moins conscience. D’où leurs pressions répétées sur les travailleurs pour qu’ils continuent de travailler, en dépit des risques de contamination qu’elles leur font ainsi courir, en dépit de leur droit au retrait et des avis favorables donnés en ce sens par les inspections du travail ou même des tribunaux[6] ; pressions modulées cependant selon qu’il s’agit de cadres (incités à pratiquer le télétravail) ou de prolétaires (ouvriers et employés) qui sont sommés de continuer à se présenter à leur poste tous les jours, modulations dont le caractère de classe n’échappera à personne. D’où aussi leur injonction contradictoire : « Restez tous chez vous ! » mais « Continuez à aller travailler autant que possible ! » alors même que les éléments de protection les plus élémentaires (distances de sécurité, gants et masques, gels hydroalcooliques) font défaut ou sont impossibles à assurer sur les lieux de travail. D’où enfin et surtout leur impatience à sortir du confinement qui se heurte cependant à la difficulté de réunir les conditions matérielles (tests de dépistage, port de gants et de masques) et sociales (réorganisation en conséquence d’un appareil sanitaire au bord de l’effondrement) de l’opération, pour qu’elle ne risque pas de virer au fiasco en relançant la pandémie[7].

Par ailleurs, cette pandémie met en œuvre une contradiction majeure à l’œuvre dans l’actuelle phase de la « mondialisation » capitaliste, en fragilisant du coup le pouvoir capitaliste à un autre niveau encore. Contrairement à ce que la vulgate néolibérale renforcée par de nombreuses études académiques laisse entendre depuis des décennies, la « globalisation » n’a nullement rendu caduques et inutiles les États, y compris dans leur forme et dimension nationales (les États-nations). Certes, le procès immédiat de reproduction du capital, unité de son procès de production et de son procès de circulation, s’est « mondialisé » : en témoignent la « mondialisation » de la circulation des marchandises et des capitaux tout comme la « mondialisation » des « chaînes de valeur » (la segmentation des procès de production entre des lieux dispersés, en l’occurrence situés dans différents États, en faisant appel à des forces de travail inégalement qualifiées et productives et inégalement rémunérées), en donnant ainsi une dimension planétaire à « l’usine fluide, flexible, diffuse et nomade » qu’affectionnent les entreprises transnationales. Mais il n’en a pas été ainsi, ou alors à un bien moindre niveau, de la production et reproduction de l’ensemble des conditions sociales générales du procès immédiat de reproduction du capital, dont les États restent les maîtres d’ouvrage et même, en bonne partie, les maîtres d’œuvre. Par exemple, via l’appareil familial (la famille nucléaire, sa division inégalitaire du travail entre sexes et ses tutelles étatiques), l’appareil scolaire, l’appareil sanitaire, l’appareil policier et judiciaire, etc., la reproduction de la force sociale de travail (dont nous avons vu qu’elle est indispensable à la valorisation du capital) reste toujours et encore l’affaire des États-nations, tant dans leurs instances centrales que dans leurs instances décentralisées (régions, métropoles, communes, etc.). C’est ce qui justifie de parler non pas de « mondialisation » ou de « globalisation » mais plus justement de transnationalisation du capitalisme[8].

Cette division du travail reproductif du capital, qui semble fonctionnelle et qui l’est dans le cours ordinaire de la reproduction, manifeste au contraire dans les conditions actuelles la contradiction potentielle sur laquelle elle repose : celle entre un espace de reproduction immédiate du capital aux dimensions planétaires tandis que les appareils assurant la (re)production de ses conditions sociales générales restent dimensionnés et normés à l’échelle nationale. D’une part, si un virus apparu courant novembre sur quelques marchés locaux de la Chine centrale autour de Wuhan a pu donner naissance à une pandémie planétaire en à peine quelques semaines, c’est bien évidemment à l’extension et à l’intensification de la circulation des marchandises et des hommes, inhérentes à la « mondialisation » du procès de reproduction immédiat du capital, qu’on le doit et à son noyau qu’est le modèle de « l’usine diffuse et nomade », dont les réseaux couvrent la planète entière[9]; tandis que ce phénomène pathologique mondial est censé être jugulé par des États-nations agissant en ordre dispersé et chacun pour leur compte propre, érigeant en priorité la défense de l’état sanitaire de leur population respective, conduisant à transformer un monde la veille encore ouvert aux quatre vents de la « mondialisation » (pourvu qu’on ne soit pas un migrant « économique », un requérant d’asile ou un réfugié « climatique ») en une mosaïque d’États qui se ferment les uns aux autres, en ré-érigeant des barrières à leurs frontières et en réaffirmant manu militari le principe de leur souveraineté territoriale[10]. D’autre part, dans ces conditions, non seulement les appareils sanitaires nationaux sont privés de coopération entre eux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se contentant de jouer le rôle de lanceur d’alertes répétées et d’émetteur de recommandations de bonnes pratiques, mais ils vont rapidement être mis en concurrence dès lors qu’ils vont s’adresser tous en même temps aux seules industries capables de leur fournir médicaments, équipements et appareils sanitaires pour lutter contre le Covid-19. Concurrence d’autant plus aiguë et féroce que, enfin, la « mondialisation » du capital aura opéré aussi au sein de ces industries, conduisant à les délocaliser et concentrer dans certains « États émergents » (la Chine et l’Inde notamment), en privant du coup nombre d’États (y compris en Europe) de toutes ressources de cet ordre sur leur propre territoire, réalisant à ce moment-là combien ce processus, par ailleurs encouragé par les politiques néolibérales de restrictions budgétaires, les a rendus dépendants et a précarisé leur sécurité sanitaire.

En troisième lieu, la crise actuelle met en question le modèle de développement inhérent au mode capitaliste de production dans la mesure où, du fait notamment de son productivisme et de son caractère globalement incontrôlable, de son hubris en somme, il ne peut que détruire l’écosystème planétaire. Car, comme lors d’autres pathologies antérieures, plus ou moins sévères, notamment le VIH/sida (apparu en 1981), le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui a sévi entre novembre 2002 et juillet 2003 (déjà occasionné par un coronavirus), la grippe aviaire en 2004 due au virus H5N1, la grippe A (due au virus H1N1) en 2009, la grippe aviaire A (due au virus H7N9) apparue en 2013, le Covid-19 semble bien avoir mis en jeu une transmission entre espaces animales et espèce humaine, mettant en cause les conditions sanitaires de certains élevages (surtout en Asie mais aussi en Europe : cf. l’épisode d’encéphalopathie spongiforme bovine responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob) et surtout les empiétements destructeurs sur certains milieux forestiers tropicaux et autres biotopes naturels, du fait de la pression exercée sur eux par l’agriculture et notamment l’élevage, l’industrie extractive, la concentration et la diffusion urbaines, l’extension des réseaux de transports routiers, le développement du tourisme de masse, la création de parcs animaliers, etc. Ces empiétements favorisent la virulence de certains microbes (bactéries, virus, parasites) et leur transmission d’espèces animales, sur lesquelles elles peuvent être bénignes, à l’espèce humaine, sur laquelle ils sont ou deviennent pathogènes, d’autant plus que cette transmission s’accompagne souvent de leur mutation : le lentivirus du macaque est ainsi devenu le VIH[11]. Sans compter que les risques de morbidité du Covid-19 se trouvent visiblement accrus par toute une série de maux engendrés et/ou véhiculés par la « civilisation » capitaliste (sédentarité, surpoids et obésité liés à la malbouffe, pollution atmosphérique, résistance bactérienne aux antibiotiques du fait de la surconsommation de ces derniers, etc.) Dans ces conditions, la récurrence accélérée au cours des dernières décennies de ce type de pathologies, pouvant prendre un caractère pandémique, s’explique et fait craindre que la pandémie actuelle ne soit qu’un signe avant-coureur de ce qui nous attend si nous ne mettons pas fin à cette course à l’abîme dans laquelle le capitalisme nous a engagés.

*

3. A l’heure qu’il est, il est évidemment difficile et, pour partie, aventureux de tenter de prévoir ce qui va se passer une fois que la pandémie actuelle aura été jugulée – si elle peut l’être. Car tout dépendra de l’état démographique, économique, social, politique, psychique, etc., des formations sociales qu’elle aura affectées. État qui variera d’abord en fonction de la durée de celle-ci et de l’efficacité des stratégies socio-sanitaires mises en œuvre pour la juguler. Cet exercice de prospective est néanmoins nécessaire si nous ne voulons pas subir une nouvelle fois les événements.

Tout exercice de ce genre conduit à distinguer différents scénarios. En présupposant que le rapport de force entre capital et travail constituera le facteur clé de ce qui se produira alors et même d’ici là, il est possible de distinguer trois scénarios, entre lesquels des combinaisons partielles ne sont évidemment pas exclues. Ces scénarios doivent se comprendre comme des situations stylisées, en fonction desquelles il doit être possible d’interpréter les événements en cours et ceux qui sont susceptibles de se produire dans les prochains mois mais que, inversement, ces événements doivent conduire à préciser et infléchir au fur et à mesure de leur avènement. Ils ne fourniront donc des clefs d’intelligibilité qu’à cette condition d’en faire usage avec souplesse.

***

Scénario 1 : la reprise et la poursuite du business as usual néolibéral.

Il présuppose que le rapport de force entre capital et travail restera ce qu’il a été globalement ces dernières décennies, c’est-à-dire fondamentalement favorable au capital. Et c’est clairement dans cette optique que se sont placés les gouvernements actuels, en mettant déjà en place les moyens nécessaires à cette fin.

Relayant ou anticipant même la demande des entrepreneurs capitalistes, leur priorité est la relance de « l’économie », entendons le procès de production et de circulation du capital, permettant le redémarrage de la valorisation et l’accumulation de ce dernier à grande échelle. Cela suppose de contraindre les travailleurs à reprendre au plus vite et le plus massivement possible le chemin vers leurs lieux d’exploitation ; et les pressions en ce sens, qui n’ont pas cessé depuis le début de la pandémie, augmenteront au fur et à mesure où celle-ci régressera. Elles opéreront par le biais de la cessation de l’indemnisation du chômage technique, mise en place pour permettre précisément à « l’économie » de redémarrer au plus vite après le « trou d’air » qu’elle connaît actuellement, et de la menace du licenciement pour les récalcitrants.

Pour autant, cette relance ne pourra pas être un pur et simple retour au statu quo ante. D’une part, en dépit des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises (via le report ou même l’annulation partielle des impôts et cotisations sociales et la prise en charge du chômage partiel) et de l’ouverture de larges possibilités d’emprunts, garantis pour certains par l’État[12], il faut prévoir la faillite de nombreuses entreprises, et pas seulement parmi les PME qui sont les plus exposées, et une passe difficile pour de nombreuses autres, du fait de la désorganisation des relations interentreprises (en amont et en aval de chacune) que ces faillites vont entraîner. Cela va se traduire par une concentration et centralisation accrues du capital dans tous les secteurs et branches, dont l’emprise sur « l’économie » va donc s’accroître, mais aussi par une hausse de leur taux de profit, du fait de la disparition d’une partie du capital en fonction, actuellement en état de suraccumulation. Cependant que les perspectives d’investissement vont être obérées par la dévalorisation de leur capital que les investisseurs institutionnels viennent d’enregistrer en bourse, qui va les rendre à la fois plus frileux et plus exigeants en termes de garantie de retour sur investissement. Avec pour résultante globale une augmentation du chômage, que ne palliera pas entièrement le redémarrage de la consommation (productive et improductive) qui suivra la fin du confinement, et qui viendra déséquilibrer un peu plus encore le rapport de force sur le marché du travail en faveur du capital.

D’autre part, celles des entreprises qui parviendront à s’en sortir, et pour s’en sortir précisément, chercheront à accroître l’exploitation du travail, en jouant principalement sur sa durée et son intensité, la hausse des gains de productivité ralentissant régulièrement depuis quelques décennies[13]. A cette fin, elles pourront évidemment profiter de la hausse du chômage pour activer un peu plus encore le chantage au licenciement ; mais elles pourront aussi bénéficier de l’appui des gouvernements sous la forme d’un durcissement des conditions légales d’emploi, de travail et de rémunération. En France par exemple, elles pourront s’appuyer sur l’ensemble des mesures dérogatoires à ce qu’il reste du Code de travail qui ont été adoptées dans le cadre de la loi instituant « l’état d’urgence sanitaire » qu’il suffira de proroger en « état d’urgence économique ». Rappelons que ces dérogations concernent

« la facilitation du recours à l’activité partielle ; la possibilité d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance, ou d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié ; l’autorisation donnée aux entreprises particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ; à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités des versements au titre de l’intéressement ou de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat pourront être modifiées »[14].

Et signalons qu’à ce jour (15 avril) le décret devant préciser les secteurs dans lesquels ces dérogations ne devaient pas s’appliquer n’est toujours pas paru.

Enfin, la crise économique qui aura accompagné la crise sanitaire n’aura pas mis à mal seulement la trésorerie des entreprises : elle aura également brutalement dégradé l’état des finances publiques, du fait tant du gonflement des dépenses occasionnées par les plans de soutien à « l’économie »[15] que de la contraction des recettes fiscales liées à la panne d’une partie de cette même « économie » (notamment du côté de l’impôt sur le capital et des impôts indirects taxant la consommation)[16], en provoquant un surcroît de déficit public[17], couvert comme d’habitude par recours à l’emprunt. D’où d’ores et déjà une brusque hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics auparavant orientés à la baisse, même nuls dans certains cas, que les principales banques centrales ont tenté de prévenir et limiter par une nouvelle vague de quantitative easing[18]. D’où aussi la relance de projets d’eurobonds (surnommés en l’occurrence covibonds) : d’émissions de titres de crédit par l’ensemble des États de l’Union, par le biais de la BCE, revenant donc à mutualiser ce surcroît de dettes publiques pour venir en aide aux États membres les plus affectés par la pandémie dont les conditions d’emprunts sur les marchés financiers sont aussi les moins favorables (Italie, Espagne, Portugal) ; ce qu’ont refusé, pour l’instant, comme à l’ordinaire l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande, faisant prévaloir leur souveraineté nationale sur une opération qui aurait représenté un pas en avant sur la voie de la constitution d’un État fédéral européen[19].

Dans la perspective de ce premier scénario, cette dégradation des finances publiques aurait pour conséquence à peu près certaine le redoublement de la politique austéritaire précédemment pratiquée par les gouvernements, impliquant aussi bien une hausse des impôts et des cotisations sociales portant sur le travail et la consommation finale qu’une baisse des dépenses publiques, partant des coupes claires dans les budgets affectés à la couverture des besoins sociaux les plus élémentaires : logement, transport, éducation et même santé. Car la crise que nous subissons actuellement du fait de décennies de sous-investissement public sanitaire pourrait ne pas infléchir les orientations antérieures en la matière, si l’on en juge par exemple par l’étude que vient de remettre la Caisse des dépôts et consignations, laquelle envisage de s’en remettre à des partenariats public-privé pour pallier le défaut d’investissements publics dans les hôpitaux[20]. Ou si l’on s’en remet aux déclarations du directeur de l’Agence régional de santé de la Région Grand Est, selon lesquelles une fois la pandémie passée il y aura lieu de poursuivre le plan d’économies prévu pour l’hôpital de Nancy en y supprimant 598 emplois et 174 lits[21] ! Même orientation aberrante en Suisse où, en pleine crise du Covid-19, le Conseil fédéral planifie une diminution des recettes des hôpitaux de cinq à six cents millions de francs au minimum[22].

Et, pour boucler le tout, afin de prévenir tout mouvement social qui s’opposerait à un pareil rétablissement de l’état et de la dynamique catastrophique antérieurs, impliquant de passer la crise sanitaire et ses conséquences sociales par pertes et profits et de blanchir les gouvernants en place de toute responsabilité en la matière, ces derniers pourraient toujours compter sur le maintien voire le durcissement du régime de restriction des libertés publiques mis en place pour faire face à la pandémie, dont le Syndicat de la magistrature s’est lui-même ému en France[23]. Et ils sauraient à coup sûr tirer parti du nouveau seuil de surveillance généralisée que le confinement aura permis de franchir, à coups de surveillance des espaces publics par drones et capteurs de chaleur et des déplacements individuels par tracking des téléphones portables. « Big Brother » deviendrait un compagnon aussi intrusif qu’inévitable dès lors que l’on sortirait de chez soi. S’ils devaient y parvenir, il parachèverait du même coup des évolutions amorcées à l’occasion de la lutte contre cet autre ennemi invisible, l’ainsi dénommé « terrorisme », qui aura inauguré une restriction chronique des libertés publiques et la marche vers un pouvoir panoptique de surveillance, de contrôle et de répression.

Enfin, ils pourraient également compter sur les effets persistants de l’état psychique créé par cette pandémie et les mesures de confinement qui ont été imposées pour y faire face : l’autodiscipline dans l’acceptation de l’état d’exception comme forme normale du gouvernement ; l’attitude de méfiance envers les autres comme envers soi-même comme sources possibles de menace (facteur d’infection), s’exprimant à travers leur mise à distance, les « gestes barrières », le port de gants et de masques ; plus profondément, enfin, une perte de confiance dans le monde. Pour ne rien dire du traumatisme subi par ceux et celles qui auront perdu l’un-e des leurs, sans avoir même pu se recueillir auprès de leur dépouille, rite pourtant nécessaire à tout travail de deuil. Autant d’éléments peu propices au développement de mobilisations collectives.

En somme, ce premier scénario répéterait la séquence que l’on a vu jouer à l’issue de la crise financière de 2007-2009, dite crise des subprime, en pire. Alors, la remise en cause des dogmes néolibéraux par la crise aura été l’occasion pour les gouvernants de réaffirmer autoritairement ces dogmes, en tirant argument de ce que la crise n’aurait pas résulté de leur application mais, au contraire, des insuffisances de cette même application, qu’il convenait par conséquent de poursuivre et redoubler[24]. Fidèles à la « stratégie du choc » (Naomi Klein) qui leur a toujours réussi jusqu’à présent, il ne fait guère de doute que « nos » gouvernants vont tenter de profiter du choc économique, financier, social, psychologique de la crise (sanitaire) actuelle pour prolonger et redoubler la mise en œuvre de ces politiques, en cherchant ainsi à masquer et faire oublier la lourde responsabilité de ces dernières et d’eux-mêmes qui les ont administrées dans le déclenchement et la gestion calamiteuse de cette crise.

Les faiblesses d’un pareil scénario sont cependant multiples. Outre qu’il n’est pas assuré que les gouvernants parviennent à maîtriser si facilement les mouvements sociaux que sa mise en œuvre ne manquerait pas de produire, sauf à faire prendre une allure dictatoriale à leur mode de gouvernement (comme c’est déjà le cas en Hongrie), il fait surtout l’impasse sur les deux derniers des défis lancés par l’actuelle pandémie au pouvoir capitaliste précédemment mentionnés. Il ne remédierait en rien à la contradiction inhérente à la transnationalisation du capital que j’ai pointée, qui fait reposer en définitive sur les épaules des seuls États-nations la (re)production des conditions générales de ce rapport social, alors même qu’il se déploie quotidiennement au-delà de leurs frontières et de leur espace de souveraineté. Quant au fait que la pandémie actuelle se présente vraisemblablement comme un simple développement particulier, mais particulièrement aigu, de la catastrophe écologique planétaire dans laquelle le mode capitaliste de production a engagé l’humanité tout entière, la poursuite des politiques néolibérales en aurait d’autant moins cure qu’elles sont par définition totalement aveugles aux « externalités négatives » du procès capitaliste de production[25]. Autrement dit, la réalisation d’un pareil scénario ouvrirait grandes les portes à la réédition à court ou moyen terme de pareilles crises, y compris à plus vastes échelles encore.

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Scénario 2 : un tournant néo-social-démocrate

La gestion calamiteuse de la crise sanitaire par les gouvernants, qui risque de se prolonger voire de s’aggraver au moment de la levée des confinements, les mesures austéritaires qu’ils pourraient être amenés à prendre pour relancer « l’économie », les tentatives de reprise et de prolongement du programme de « réformes » néolibérales qui leur a servi d’agenda avant la présente crise, tout cela peut aussi bien provoquer, par réaction, des mouvements sociaux leur demandant des comptes quant à leur responsabilité dans cette affaire et leur imposant des inflexions par rapport aux orientations antérieures. Ces mouvements trouveraient facilement à s’alimenter au discrédit de ces mêmes gouvernants, né du spectacle de leur impéritie, de la colère et des frustrations engendrées par le confinement, de la volonté de trouver des responsables et des coupables à ce fiasco de grande ampleur, discrédit qui pourrait rejaillir sur l’ensemble des politiques néolibérales antérieures dont le caractère néfaste et proprement criminel même a été démontré à grande échelle par la crise sanitaire engendrée par le délabrement du service public de santé, dont ces politiques sont directement responsables.

Il ne fait pas de doute que les personnels de santé seraient en première ligne de pareils mouvements, tout particulièrement ceux des hôpitaux publics, qui tout au long de l’année dernière n’ont cessé de dénoncer la casse de l’appareil sanitaire en obtenant pour seules réponses au mieux le mépris des irresponsables qui leur tiennent lieu de supérieurs, quand ce n’est pas les gaz lacrymogènes et la matraque, et qui, au péril de leur vie, auront été en première ligne dans la lutte contre la pandémie. Ils seraient, espérons-le, appuyés par tous ceux et celles qui auront été sauvés par leurs soins, accompagnés de leurs proches ; mais aussi de tous ceux et celles dont l’un-e des leurs est mort-e dans des conditions indignes, alors qu’une autre politique de santé publique aurait pu les sauver ; et, plus largement, de tous ceux et celles qui auraient pris conscience à cette occasion de la nécessité de se mobiliser pour faire cesser pareille casse. Et ils et elles seraient certainement relayés par tous les chercheurs qui auront vu leurs recherches sur les virus littéralement sabordées sous l’effet des restrictions budgétaires[26].

On peut également espérer que le confinement aura rendu insupportable à un grand nombre l’insuffisance, quantitative et qualitative, du logement social et, plus largement, leurs conditions de logement, notamment en milieu urbain, tout en leur faisant prendre conscience de la nécessité d’engager un plan massif de construction et de rénovation. Sans même vouloir évoquer les conditions misérables et indignes dans lesquelles auront été confinées, en France mais sans doute aussi ailleurs, les personnes incarcérées[27], celles maintenues dans les centres de rétention administrative[28] ainsi que celles internées pour raison psychiatrique[29], que le confinement aura particulièrement éprouvées, elles aussi bien que leurs proches et soutiens.

Il est évidemment difficile de prévoir sur quelles perspectives politiques globales pourraient déboucher de pareils mouvements sociaux, s’ils devaient se produire. Quoi qu’il en soit, ils conduiraient à une inflexion du rapport de force entre capital et travail. L’ampleur et la durée de cette inflexion dépendraient évidemment du degré de leur radicalité et, partant, de leur orientation dominante.

Cela conduit à envisager un deuxième scénario qui déboucherait sur un nouveau compromis entre capital et travail du même ordre que celui qui avait soldé, dans les années 1930 et 1940, la crise structurelle que le capitalisme avait traversée à l’époque et les luttes sociales et politiques, nationales et internationales, qui l’avaient accompagnée – compromis ordinairement qualifié de fordiste ou de social-démocrate. Destinée à remettre le capitalisme en selle tout en en infléchissant notoirement le fonctionnement, la réalisation d’un tel scénario supposerait que les différents défis lancés par la crise actuelle, précédemment détaillés, soient relevés d’une manière ou d’une autre. Dans cette mesure même, elle supposerait de combiner des inflexions majeures selon trois axes différents.

En premier lieu, une rupture nette avec les politiques néolibérales. Parmi les points de rupture majeurs, il conviendrait, d’une part, de procéder à un partage de la valeur ajoutée plus favorable au travail par des créations d’emplois et par une hausse généralisée et substantielle des salaires réels, davantage d’ailleurs du salaire indirect que du salaire direct. D’autre part, en rapport avec le point précédent, il faudrait procéder une augmentation de la dépense publique en faveur de la protection sociale, des services publics (en priorité l’éducation et la santé) et des équipements collectifs (notamment du logement social). Enfin, et en conséquence des deux points précédents, s’imposerait une inflexion sérieuse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), impliquant notamment une baisse de la fiscalité directe (CSG : contribution sociale généralisée) et indirecte (TVA et autres taxes sur la consommation) pesant sur les salaires et une hausse de la fiscalité pesant sur les entreprises (impôt sur les sociétés), sur les hauts revenus (via la réintroduction de tranches supérieures d’imposition sur le revenu) et les gros patrimoines, visant tant leur possession (par réintroduction et augmentation de l’impôt sur la fortune) que leur transmission[30].

L’inflexion du rapport de force entre capital et travail passerait, en deuxième lieu, par une « démondialisation » partielle du procès immédiat de reproduction du capital. Cela supposerait, pour commencer, de définir un champ de souveraineté économique national[31], autrement dit un ensemble de secteurs ou de branches dont le contrôle par l’État est considéré comme stratégique du point de vue de la sécurité de sa population ; un tel champ devrait inclure, a minima, outre l’agroalimentaire, le logement social, le sanitaire[32], l’éducatif et la recherche scientifique. Cela pourrait impliquer, par conséquent, la (re)nationalisation des entreprises placées en position de monopole ou d’oligopole dans chacun des secteurs ou branches précédents (au premier chef desquelles les industries pharmaceutiques) ; plus largement, la subordination étroite de l’ensemble des entreprises opérant dans ces secteurs et branches à des règles, propres à assurer une telle souveraineté, en ce qui concerne leurs décisions d’investissement ou de désinvestissement, de recherche et de développement, d’allocation de leurs profits. Et, pour compléter le tableau, il ne faudrait pas oublier de taxer l’ensemble des entreprises transnationales de telle manière à limiter drastiquement leurs opérations d’optimisation et de fraude fiscale, en les imposant en due proportion des opérations qu’elles réalisent sur le sol national.

En troisième lieu, en s’inspirant des projets de Green New Deal[33], il s’agirait de mettre en œuvre un plan massif d’investissements publics en faveur de la lutte contre la catastrophe écologique, en ciblant en premier lieu le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité, impliquant notamment : des aides au développement des énergies renouvelables, l’isolement thermique des bâtiments, privés et publics, le développement des transports publics, notamment dans les espaces ruraux et périurbains, la reconversion de l’agriculture vers le bio et les circuits courts, etc.

Se pose alors une première question : celle des conditions de possibilité subjectives d’un pareil scénario, autrement dit celle de savoir quelles forces sociales et politiques seraient susceptibles de prendre en charge un pareil projet et programme réformiste et, le cas échéant, comment elles seraient en mesure de faire bloc à cette fin. Pour l’instant, aucun mouvement social ni aucune formation politique constituée, à capacité gouvernementale, ne défendent un tel programme. On ne trouve rien de tel du côté de ce qu’il reste des partis soi-disant socialistes, social-démocrates ou travaillistes, qui pourraient pourtant utilement se renouveler à cette occasion, englués et dilués qu’ils restent dans leur ralliement antérieur, honteux ou tapageur, au néolibéralisme[34]. Pas davantage ne trouve-t-on quelque chose de cet ordre du côté des formations écologistes. Europe Écologie Les Verts en restent pour l’instant à dénoncer les causes immédiates de la crise sanitaire[35] et réduisent le Green New Deal à « une fiscalité plus redistributive : à situation exceptionnelle impôt exceptionnel, en particulier pour les grandes fortunes et les assurances qui engrangent des profits indus pendant le confinement »[36].

Même les propositions soumises par la Convention citoyenne pour le climat s’avèrent minimales[37]. Après avoir noté très justement que « la perte de biodiversité, la destruction des milieux naturels, sont des témoins de la crise écologique, mais sont aussi pointés comme des facteurs importants de la crise sanitaire d’aujourd’hui » et que « la multiplication des échanges internationaux et nos modes de vie globalisés sont à l’origine de la propagation rapide de l’épidémie », elle se contente de souhaiter que « la sortie de crise qui s’organise sous l’impulsion des pouvoirs publics ne soit pas réalisée au détriment du climat, de l’humain et de la biodiversité », elle se contente en tant que préconisations de suggérer que « des grands travaux soient lancés pour réduire la dépendance de la France aux importations, favoriser l’emploi en France et réduire les émissions de gaz à effet de serre » et de rappeler « qu’il est nécessaire de relocaliser les activités des secteurs stratégiques pour assurer notre sécurité alimentaire, sanitaire et énergétique » ainsi que « l’importance des solidarités internationales pour une action efficace ». Bref de bonnes intentions sans plan plus précis pour les exécuter.

Tout juste perçoit-on pour l’instant quelques voix reprenant les propositions précédentes. Des voix dispersées qui sont loin encore de constituer un chœur. Il faudrait donc compter sur la mobilisation collective précédemment envisagée pour leur permettre de s’amplifier et de s’unifier.

D’ores et déjà, certaines organisations syndicales se sont placées dans une telle perspective réformiste. La CGT, par exemple, a adressé au président de la République une lettre ouverte dans laquelle elle lui demande d’infléchir l’ensemble de sa politique antérieure en lui soumettant les propositions suivantes :

« Relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, permettant d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux et de reprendre le contrôle sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale des activités.

Réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques.

Établissement de soutiens financiers massifs vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes…

Une remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive »[38].

Et il n’est pas même exclu que, du côté des gouvernants, de pareilles propositions soient entendues et reprises pour partie. C’est Emmanuel Macron qui, après s’être lamenté du « pognon de dingue » que coûteraient les minima sociaux et avoir affirmé haut et fort sa volonté d’y mettre bon ordre par la responsabilisation des assurés sociaux[39], découvre brusquement que

« la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe »[40].

Et, même brusque révélation du caractère néfaste des politiques néolibérales outre-Rhin chez sa collègue Angela Merkel :

« “Bien que ce marché [celui des masques de protection] soit actuellement situé en Asie, il est important que nous tirions de cette pandémie l’expérience que nous avons également besoin d’une certaine souveraineté, ou au moins d’un pilier pour effectuer notre propre production ”, en Allemagne ou en Europe, a-t-elle défendu »[41].

Certes, on sait d’expérience ce que valent ces déclarations faites dans le feu du désarroi par des dirigeants qui se sont rendus coupables de ce à quoi ils promettent de remédier, avant de revenir à leurs anciennes amours et pratiques à peine la crise passée. Mais il n’en est pas moins significatif que les « premiers de cordée » du néolibéralisme pur et dur au niveau européen se soient laissé aller à de pareils propos.

Mais cette perspective réformiste soulève encore une seconde question : celle de ses conditions de possibilité objectives, soit celle des obstacles et limites auxquelles sa réalisation se heurterait dans l’état actuel du mode capitaliste de production. Deux de ces limites sautent immédiatement aux yeux. D’une part, le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée en faveur du salaire et au détriment du profit, assorti d’une augmentation des prélèvements obligatoires pour financer tant la remise à niveau des équipements collectifs et des services publics que le plan massif d’investissements publics en faveur de Green New Deal, des mesures qui se recoupent et se chevauchent pour partie certes, ne se heurteraient pas moins à la baisse tendancielle des gains de productivité précédemment signalée. Autrement dit, les gains de productivité ne seraient sans doute plus suffisants pour financer à la fois la valorisation du capital (via les profits), la hausse des salaires réels et la hausse des dépenses publiques en faveur d’un vaste programme d’investissement à but social et écologique. En somme, il existe une sorte de triangle d’incompatibilité entre ces trois objectifs.

D’autre part, si un Green New Deal est en mesure d’atténuer les effets écologiquement désastreux de la poursuite d’une accumulation du capital débridée, de freiner par conséquent la dynamique de la catastrophe écologique globale engendrée par cette dernière, il est parfaitement incapable de résoudre la contradiction entre la nécessaire reproduction élargie du capital (son accumulation), qui ne connaît pas de limite, et les limites de l’écosystème planétaire. Pour le dire autrement et plus simplement, il peut y avoir des capitaux verts mais pas de capitalisme vert[42]. Sous ce rapport aussi, le capitalisme a sans doute atteint ses limites et le réformisme avec lui. Et, s’il devait se produire, le tournant néo-social-démocrate aurait de ce fait toute chance de nous engager dans une impasse à moyen terme.

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Scénario 3: ouvrir des brèches en vue d’une rupture révolutionnaire

On est dès lors en droit d’imaginer un troisième scénario, bien qu’il semble a priori plus improbable encore que le précédent. Il part de l’hypothèse selon laquelle plus une crise du mode de production capitaliste est profonde, plus elle manifeste ses contradictions insurmontables et ses limites indépassables, plus elle crée les conditions à l’ouverture de brèches par lesquelles peuvent s’engouffrer les forces sociales et politiques œuvrant à une rupture révolutionnaire, qui trouvent leur base naturelle dans le salariat d’exécution (ouvriers et employés, tous secteurs et branches confondus) qui définit aujourd’hui le prolétariat.

Or c’est bien un pareil processus qui est d’ores et déjà actuellement engagé, au cœur de cette crise, fût-ce de manière encore embryonnaire mais significative. Donnons-en quelques exemples. Contre les pressions redoublées des gouvernants et des employeurs et leur double langage, ce sont les travailleurs et travailleuses qui, par leur retrait spontané, leurs débrayages ou même par des grèves, ont imposé l’arrêt de la production ou sa poursuite à la seule condition du respect de normes de sécurité (distance, port de gants et de masques, désinfection des locaux, etc.), dans le simple but de préserver leur santé et leur vie[43]. Ce qu’ils et elles ont ainsi clairement affirmé, c’est qu’ils-elles sont les seuls maîtres en dernière instance du procès de production : que ce sont eux-elles qui produisent toute la richesse sociale et qui sont aussi en capacité de faire cesser cette production. Vérité foncière que toute l’idéologie dominante dans ses différentes facettes occulte sans cesse en temps ordinaire.

S’est aussi imposée dès lors, dans la pratique même mais aussi dans la conscience réflexive qui l’a accompagnée, la nécessité de distinguer entre les activités productives strictement nécessaires à la poursuite de la vie sociale (santé, alimentation, services de base : eau, gaz, électricité, etc.), et qu’il a fallu poursuivre sous certaines conditions de sécurité, et celles qui sont superflues voire nuisibles, dont on peut se passer ou qu’il est même souhaitable de mettre à l’arrêt (la production automobile, l’industrie militaire, les chantiers navals – liste non exhaustive). Même si elle n’est pas facile à opérer, tant les activités productives sont imbriquées les unes dans les autres dans tout appareil de production socialisé[44], et précisément parce qu’elle n’est pas facile à opérer, cette distinction soulève la question de ce que, dans un processus de transition socialiste, il conviendrait de maintenir de l’appareil de production existant, au moins dans un premier temps et en le transformant, et de ce qu’il conviendrait d’abandonner immédiatement ou de reconvertir profondément, dans le cadre d’une planification de la production en fonction de la nécessité et de l’urgence de satisfaire les besoins sociaux les plus fondamentaux. De telles reconversions ont d’ailleurs d’ores et déjà commencé : on a vu des entreprises textiles se lancer dans la confection de masques chirurgicaux, des parfumeries dans la production de gel hydroalcoolique, des entreprises automobiles dans la mise au point d’appareils d’assistance respiratoire, etc.[45]

Sous la pression de la nécessité mais aussi sous l’effet de la solidarité entre « ceux-celles d’en bas » conscients de l’incurie et de l’indifférence de « ceux-celles d’en haut », on a vu se mettre en place et se développer, un peu partout, au niveau local, des pratiques et des réseaux d’entraide pour faire face aux difficultés et problèmes résultants du développement de la pandémie et des mesures de confinement, notamment en faveur des plus démunis d’entre ces expropriés que sont par définition les prolétaires : travailleurs précaires et chômeurs, femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales, personnes âgées isolées, mal logés et SDF, étrangers sans papier, réfugiés, etc. Selon le cas et les lieux, il s’est agi de la préparation de paniers repas ; de collectes de nourriture, de produits de protection et d’hygiène ou de vêtements, de livres, de DVD, etc. ; de soins à domicile ; de lutte contre la solitude et l’isolement ; de mises en place de structures d’aide scolaire à destination des enfants confinés et privés de scolarité ; de réquisitions de chambres d’hôtel ; d’interventions en préfecture pour y obtenir des régularisations, etc. Ces actions ont eu d’autant plus de consistance qu’elles ont pu s’appuyer sur des collectifs ou des réseaux préexistants, tels les Amap[46] dont l’utilité s’est illustrée en ces temps où le ravitaillement en grandes surfaces est devenu problématique. L’importance de ces pratiques et réseaux ne se mesure pas seulement à leurs effets immédiats en termes de solidarité concrète mais encore en ce qu’ils sont autant d’occasions de mettre en évidence et en accusation les défauts actuels des appareils de protection sociale et plus largement des pouvoirs publics, conséquences de leur étranglement financier par les politiques néolibérales mais aussi de leur structure bureaucratique traditionnelle. Surtout, en tant qu’éléments d’auto-organisation populaire, ils constituent autant de préfigurations de cette autogestion généralisée que serait une société libérée de toute structure d’exploitation et de domination ; et c’est à ce titre qu’ils méritent de figurer ici[47].

Enfin, en cette période où « l’économie » est en bonne partie en panne, où les marchandises et l’argent circulent avec peine, où la survie dépend moins des échanges marchands que de la solidarité interpersonnelle ou associative et de la distribution de la manne étatique, on a vu (ré)apparaître partout la gratuité. Aiguillonnés par la peur de perdre le contact avec leurs clients cloués chez eux, les éditeurs se sont mis à proposer gratuitement une (toute petite) partie de leur fonds ; différents producteurs de cinéma et différentes plates-formes de vidéos à la demande en ont fait autant ; etc. Pour intéressée et temporaire que soit cette gratuité, elle n’en indique pas moins ce que devrait être l’accès à la culture dans une société libérée de l’emprise de la propriété privée et du marché : un service public et gratuit à la portée immédiate de tout un chacun.

Au titre des autres bénéfices paradoxaux de la panne actuelle de l’économie capitaliste, il faut signaler la chute spectaculaire des différentes formes de pollution que celle-ci engendre dans son cours ordinaire. Baisse de la pollution atmosphérique un peu partout dans le monde : en Chine[48], en Europe[49], en Inde[50]. Baisse sensible de la pollution sonore liée à la circulation automobile, qui permet d’étendre à nouveau le souffle du vent dans les frondaisons et les chants d’oiseau. Baisse de la pollution publicitaire sur les ondes. Quasi-disparition de la pollution de la communication téléphonique du fait de la fermeture des centres d’appels. Autant de manifestations in vivo que l’on vit mieux sans le capitalisme, dont seules les mesures de confinement qu’il continue à nous imposer nous empêchent de profiter pleinement.

Bref, de multiples manières, la crise actuelle ouvre des brèches dans le système des rapports, des pratiques et des représentations par lesquels s’exerce ordinairement la domination du capital, avec son inévitable lot de nuisances, qui laissent clairement apercevoir qu’un autre monde est possible et qu’il est même nécessaire et souhaitable, dès lors que cette domination fait faillite, comme c’est en bonne partie le cas actuellement. Ce sont précisément ces brèches que, dans la perspective de ce troisième scénario, il va falloir chercher à élargir à la faveur des luttes en cours et qui vont s’exacerber dès lors que les directions capitalistes, gouvernementales et patronales, chercheront à revenir au statu quo ante.

Ces luttes vont avoir pour premier enjeu les conditions dans lesquelles va s’opérer la reprise de la production. Alors que le coronavirus responsable de la pandémie n’aura pas été totalement éradiqué et en l’absence de tout vaccin, les travailleurs et travailleuses vont devoir se battre pour imposer que cette reprise se fasse aux conditions qu’ils sont parvenus à imposer jusqu’à présent : distinction entre les activités socialement nécessaires et le reste ; sécurisation des espaces de travail (chantiers, ateliers, bureaux) avec strict respect des normes de sécurité (distance, port de gants et de masques, désinfection des locaux, etc.) ; mesures qu’il faudra étendre plus largement à l’ensemble de la population, qu’elle soit active ou non. Ils vont de même devoir se battre contre les tentatives d’aggraver leur exploitation en augmentant la durée et l’intensité de leur travail pour permettre au capital d’effacer une partie des pertes (des manques à gagner, de la baisse des profits et des taux de profit) qu’il aura enregistré durant la crise, moyennant la suspension ou même la suppression des dispositifs du Code du travail à ce sujet : dans une situation où le chômage aura augmenté du fait de la faillite d’un grand nombre d’entreprises, le mot d’ordre « travailler tou-te-s pour travailler moins tout en travaillant autrement » sera plus que jamais à l’ordre du jour. Autrement dit, s’il faut se retrousser les manches pour regagner le terrain perdu, que cela se fasse sous forme d’embauches massives, permettant une diminution du temps de travail pour chacun-e, et non pas sous celle d’un surcroît d’exploitation des seuls salarié-e-s en emploi. Dans le même ordre d’idées, il va leur falloir imposer que les revenus des actionnaires (dividendes) et ceux des managers (leurs sursalaires) soient rognés ou même abolis pour faire face aux difficultés des entreprises et mis à profit pour relancer les investissements. Enfin, pour pallier la vague de faillites et de licenciements collectifs qui résultera presque à coup sûr de l’arrêt prolongé de la production, les travailleur-euse-s devront se mobiliser pour imposer la socialisation, sous leur contrôle, des entreprises dont la production sera considérée comme socialement nécessaire, rendant du même coup la distinction précédente d’autant plus opératoire.

En second lieu, il n’est pas question d’oublier les enseignements de la présente crise. Au contraire, il s’agira d’en tirer les conséquences et quant à la réorganisation nécessaire de l’appareil de production et quant aux orientations des dépenses publiques. La priorité est de reconstituer un appareil sanitaire impliquant notamment : l’annulation de la dette des hôpitaux publics ; l’arrêt des subventions aux cliniques privées et l’interdiction des dépassements d’honoraires en médecine de ville ; un plan pluriannuel d’embauche de personnels soignants, de réouverture de services et d’établissements, de dotations budgétaires pour la recherche, libérée de toute tutelle et dépendance capitaliste ; une nationalisation des grands groupes pharmaceutiques comme plus largement de toutes les entreprises produisant du matériel médical ; le tout sous le contrôle des travailleurs du secteur et de leurs organisations syndicales, en association avec la population qui est directement concernée par le sujet, en sa double qualité de contribuable et de bénéficiaire potentiel de ce service public[51]. Objectifs qu’il faudra imposer par des mobilisations collectives prolongées : grèves, manifestations, occupations, interpellations de responsables politiques, boycotts, etc.

Mais c’est plus largement en faveur d’un investissement massif dans l’ensemble des équipements collectifs et services publics assurant la satisfaction des besoins sociaux les plus fondamentaux : en plus de la santé, le logement, l’éducation, la recherche scientifique, là encore en les plaçant sous le contrôle des salariés de ces secteurs et de leurs organisations syndicales.

En troisième lieu, il faut profiter de ce que la suspension durable de « l’économie » a mis en évidence que la société ne nécessitait, pour satisfaire ses besoins essentiels, qu’un nombre restreint d’entreprises, d’équipements collectifs et de services publics, mais aussi un pilotage de l’ensemble par l’État, en contradiction complète des dogmes néolibéraux, pour exiger la reconversion en conséquence de l’ensemble de l’appareil productif, mais cette fois-ci sous contrôle des travailleurs et de leurs organisations syndicales. Et, pour piloter cette reconversion, l’expropriation des banques privées, des compagnies d’assurances et des fonds d’investissement, sans indemnisation de leurs actionnaires, et leur fusion en un organisme public d’investissement, sous contrôle de ses salariés et, plus largement, de l’ensemble des citoyens conviés à un débat sur les orientations prioritaires à donner aux investissements en question[52].

En dernier lieu enfin, il va falloir se battre pour imposer une annulation pure et simple de l’ensemble des dettes publiques, doublée d’une réforme des prélèvements obligatoires de manière à taxer le capital, les hauts revenus et les grandes fortunes. Car les dettes publiques procèdent purement et simplement de l’accumulation des arriérés d’impôts et de cotisations non exigés de la part d’entreprises et de ménages qui auraient pourtant eu les capacités contributives et partant l’obligation de les acquitter, puisqu’ils ont trouvé les moyens de se faire les créanciers des États avec l’argent que ceux-ci ne leur ont pas demandé[53].

Il n’échappera à personne qu’un certain nombre d’axes de lutte selon lesquels devrait se développer ce scénario de rupture recoupent certains des objectifs du scénario précédent, d’orientation réformiste. C’est que, radicalisés, les objectifs de ce dernier peuvent conduire à ouvrir des brèches dans le système existant et ne pas seulement contribuer à sa reconduction sous de nouvelles formes. C’est bien pourquoi j’indiquais plus haut que l’issue des mobilisations collectives qui vont se dessiner dans les prochains mois est incertaine et dépendra essentiellement de leur degré de radicalité.

D’emblée cependant, deux éléments distinguent ce scénario de rupture du précédent. C’est, d’une part, l’importance primordiale qu’il demande d’accorder aux initiatives prises par la base (« les gens », les travailleurs, leurs organisations) dans le but de promouvoir de nouvelles pratiques et structures d’émancipation. C’est, d’autre part, l’objectif qu’il vise d’imposer des mesures de « contrôle populaire » sur la production (sa finalité et ses modalités : que doit-on continuer à produire ? que faut-il maintenir ? que faut-il abandonner ? que faut-il réquisitionner ? à quelles conditions ?) pour imposer sa réorganisation dans le cadre d’une planification démocratique orientée en fonction de la définition des besoins sociaux.

***

En conclusion, il s’agit de ne pas laisser se perdre ce que cette crise nous aura appris : la nécessité et l’urgence de sortir du capitalisme… et la possibilité d’y parvenir. Nécessité et urgence qui s’alimentent tout simplement au constat que, au stade actuel de son développement, le capitalisme est voué de plus en plus à n’engendrer que la mort : la mort biologique qu’enregistre la sinistre comptabilité de la croissance quotidienne des victimes de la pandémie actuelle, en attendant que, demain, l’aggravation de la catastrophe écologique ne nous confronte à bien pire encore ; mais aussi la mort sociale à laquelle sont condamnés les rescapé-e-s par le confinement et la suspension (pour combien de temps encore ?) des libertés individuelles et collectives, à laquelle ils se soumettent en espérant que la Grande Faucheuse ne les rattrapera pas, contraint-e-s en attendant pour certain-e-s de vivre comme des rats ; quand ce n’est pas la mort psychique pour ceux et celles qui ne trouvent pas en eux et elles les ressources permettant de faire face à ce type d’épreuve et qui sombrent dans la dépression ou recourent au suicide.

Depuis un siècle, combien de fois n’a-t-on pas répété la formule d’Engels reprise par Rosa Luxembourg : socialisme ou barbarie ? Il est temps de prendre conscience que l’alternative est aujourd’hui beaucoup plus radicale : elle est tout simplement entre le communisme et la mort.

Alain Bihr, 15 avril 2020.

Notes

[1] Merci à Roland Pfefferkorn et Yannis Thanassekos de m’avoir permis, par leurs suggestions et remarques, d’améliorer la version primitive du texte que je leur avais soumise.

[2] Le pompon en la matière revient incontestablement aux autorités de la République populaire de Chine, épicentre de la pandémie, qui en ont nié l’existence, alors qu’elle n’en était encore qu’à l’état d’épidémie, du 17 novembre 2019 (date à laquelle un premier cas est signalé à Wuhan en Chine centrale) jusqu’au 20 janvier 2020, allant même jusqu’à arrêter début janvier pour « propagation de fausses nouvelles » le Dr Li Wenliang qui avait lancé l’alerte et qui décèdera victime du coronavirus le 7 février. Cf. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/06/il-ne-faut-pas-diffuser-cette-information-au-public-l-echec-du-systeme-de-detection-chinois_6035704_3210.html mis en ligne le 6 avril 2020.

[3] Actuel Premier ministre libéral-conservateur des Pays-Bas.

[4] Actuel Premier ministre social-démocrate de la Suède.

[5] Au 15 avril 2020, Taïwan n’a ainsi enregistré que six morts sur une population de quelque vingt-quatre millions d’habitants. A la même date, la Corée du Sud compte deux cent vingt-deux morts pour quelque cinquante-et-un millions d’habitants.

[6] On trouvera un panel d’exemples pris dans de nombreux pays de telles pressions dans « Éphéméride sociale d’une épidémie », Covid-19 Un virus très politique, pages 37-81, https://www.syllepse.net/syllepse_images/articles/un-virus-tre–s-politique.pdf, 2e édition mise en ligne le 6 avril 2020.

[7] Ces injonctions contradictoires et la recherche de leur difficile (voire impossible) solution sont même au cœur de toute une réflexion d’économistes anxieusement penchés au chevet de l’économie capitaliste en berne ; cf. Michel Husson, « Sur l’inanité de la science économique officielle: de l’arbitrage entre activité économique et risques sanitaires », http://alencontre.org/economie/sur-linanite-de-la-science-economique-officielle-de-larbitrage-entre-activite-economique-et-risques-sanitaires.html mis en ligne le 14 avril 2020.

[8] Cf. « Introduction générale au devenir-monde du capitalisme », La préhistoire du capital, Lausanne, Page 2, 2006, pages 9-90, disponible en ligne http://classiques.uqac.ca/contemporains/bihr_alain/prehistoire_du_capital_t1/Prehistoire_du_capital_t1_Page2.pdf

[9] Cf. Kim Moody, « How “just-in-time” capitalism spread Covid-19. Trade roads, transmission, and international solidarity », https://spectrejournal.com/how-just-in-time-capitalism-spread-covid-19/, mis en ligne le 8 avril 2020.

[10] Y compris au sein de l’Union européenne, au sein de laquelle l’intégration des États-nations en un bloc continental d’États s’est avancée le plus loin, au point de servir d’exemple (sinon de modèle) à d’autres tentatives du même ordre : le Mercosur en Amérique latine, la CDEAO (la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) ou encore l’Anase (Association des nations de l’Asie du Sud-est). Il suffit de voir comment l’Italie a été abandonnée à son sort (pendant des semaines, elle a reçu plus d’aide de la Chine, de la Russie et même de Cuba que des autres États membres de l’UE !) et les querelles de chiffonniers qui opposent aujourd’hui les États européens pour l’acquisition du matériel de base, par exemple les masques : cf. https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/requisition-et-indignation-partagee-la-guerre-des-masques-entre-la-suede-et-la-france_2122374.html mis en ligne le 1er avril 2020.

[11] Cf. Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020 ; et Serge Morand, « Alors que la biodiversité s’éteint progressivement, les maladies infectieuses et parasitaires continuent d’augmenter », http://alencontre.org/societe/covid-19-et-biodiversite-alors-que-la-biodiversite-seteint-progressivement-les-maladies-infectieuses-et-parasitaires-continuent-daugmenter.html mis en ligne le 18 mars 2020.

[12] En France, la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a porté cette garantie à la hauteur de 300 Mds €.

[13] Cf. Michel Husson, « Le grand bluff de la robotisation », http://alencontre.org/societe/le-grand-bluff-de-la-robotisation.html mis en ligne le 10 juin 2016 : repris dans http://hussonet.free.fr/robobluff.pdf.

[14] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/22/coronavirus-ce-que-contient-le-projet-de-loi-urgence_6034040_823448.html mis en ligne le 23 mars 2020.

[15] En France : les 45 Mds € d’aides économiques et sociales sous forme de reports d’impôts et de cotisation sociales, de fonds de soutien au PME, de prise en charge partiel du régime de chômage technique, de maintien des indemnités de chômage échues en mars, etc., annoncés le 17 mars ont été portés à 100 Mds € le 9 avril.

[16] En France, la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a chiffré cette baisse à quelque 10,7 Mds €.

[17] En France, selon la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars, le déficit budgétaire passerait ainsi en 2020 de 2,2% à 3,9% du Pib. Mais, dès le 10 avril, le déficit prévu est chiffré à 7,6 % du Pib (du jamais vu !), ce qui porterait la dette publique à 112 % du Pib : https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/exclusif-coronavirus-gerald-darmanin-et-bruno-le-maire-e-plan-durgence-revise-a-100-milliards-deuros-1193765 mis en ligne le 9 avril. Mais la vertueuse Allemagne ne fait pas mieux : le Bundestag a voté une rallonge budgétaire de 156 Mds €, représentant une hausse du budget fédéral de 43 % et portant le déficit budgétaire prévisible sur l’année à 4,3 % du Pib, pulvérisant du même coup le dogme de l’équilibre budgétaire pratiqué depuis cinq ans ; cf. https://www.lesechos.fr/monde/europe/coronavirus-feu-vert-a-une-hausse-de-plus-de-40-du-budget-allemand-1189875 mis en ligne le 28 mars 2020.

[18] Le quantitive easing (assouplissement quantitatif) consiste en des opérations d’achat massif d’obligations (titres de crédit) d’États sur le marché boursier, ce qui a pour effet de faire baisser les taux auxquels les États peuvent accéder à de nouveaux prêts. La Banque centrale européenne (BCE) a ainsi annoncé qu’elle s’apprête à racheter des titres de dettes publiques pour un montant de 750 Mds € et la Fed (la Banque centrale états-unienne) pour un montant de 1500 Mds $. Ce n’est en somme qu’une nouvelle forme de la vieille pratique consistant à « faire fonctionner la planche à billets » : à émettre de la monnaie sans contrepartie de production de valeur, avec des risques évidents d’inflation.

[19] Seule a été envisagée la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité (MES) dont l’activation est subordonnée à la mise en œuvre de politiques d’austérité budgétaire, alors que c’est tout le contraire qui devrait être à l’ordre du jour. Cf. Marco Parodi, « Le virus de l’Union européenne et le faux vaccin du comte Dracula », http://alencontre.org/europe/le-virus-de-lunion-europeenne-et-le-faux-vaccin-du-conte-draghula-1.html mis en ligne le 10 avril 2020.

[20] Cf. Laurent Mauduit et Martine Orange, « Hôpital public : la note explosive de la Caisse des dépôts », Médiapart, 1er avril 2020.

[21] Cf. https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/plan-economies-hopital-nancy-directeur-ars-grand-est-persiste-signe-je-fais-mon-boulot-1811946.html mis en ligne le 5 avril 2020. Ce directeur a été limogé le 8 mars.

[22] Cf. http://alencontre.org/suisse/suisse-covid-19-et-hopitaux-encore-un-effort-pour-garrotter-les-hopitaux-et-epuiser-les-soignant%c2%b7e%c2%b7s.html mis en ligne le 7 avril 2020.

[23] Cf. « Nos observations sur l’état d’urgence sanitaire », http://www.syndicat-magistrature.org/IMG/pdf/note_e_tat_d_urgence_sanitaire.pdf mis en ligne le 23 mars 2020.

[24] Cf. à ce sujet l’article « Crise » dans La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Page 2 & Syllepse, Lausanne & Paris, 2017.

[25] Une externalité négative est une nuisance ou dommage produit par un agent économique et dont celui-ci n’a pas à assumer le coût.

[26] Cf. Bruno Canard, « En délaissant la recherche fondamentale, on a perdu beaucoup de temps », L’Humanité, 19 mars 2020.

[27] Cf. https://oip.org/covid19-en-prison-lessentiel/ mis en ligne le 9 avril 2020.

[28] Cf. https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actualites/2020/03/covid-19-face-aux-risques-de-contamination-le-defenseur-des-droits-demande-la mis en ligne le 23 mars 2020.

[29] Cf. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-psychiatrie-victime-collaterale-du-covid-19-1191330 mis en ligne le 2 avril 2020.

[30] Les exemples précédents sont empruntés au cas français. Mais les mêmes orientations peuvent se décliner dans les différents États en fonction des spécificités de leur système de prélèvements obligatoires.

[31] Ou continental, dans le cas de la formation d’un bloc d’États continental reprenant à son compte les orientations ici déclinées, par exemple dans le cadre de l’Union européenne.

[32] Car il n’est pas normal qu’un État (la France ou n’importe quel autre) soit devenu dépendant pour son approvisionnement en médicaments et en matériels de première nécessité de chaînes transnationales que son appareil sanitaire ne contrôle plus, avec pour conséquence de fréquentes pénuries, perceptibles bien avant l’actuelle pandémie. Cf. http://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20200306-coronavirus-approvisionnement-m%C3%A9dicaments-remise-cause mis en ligne le 6 mars 2020.

[33] Cf. Alain Lipietz, Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, La Découverte, 2012 ; Naomi Klein, Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique, Acte Sud, 2015 ; Naomi Klein, Plan B pour la planète ; le New Deal vert, Acte Sud, 2019. Pour une approche critique de cette thématique, cf. John Bellamy Foster, « Écologie. En feu, cette fois-ci », https://alencontre.org/ecologie/ecologie-en-feu-cette-fois-ci.html mis en ligne le 19 décembre 2019.

[34] Symptomatiquement, les deux candidats à l’investiture démocrate pour les prochaines élections présidentielles aux États -Unis qui se référaient sérieusement au Green New Deal, Bennie Sanders et Elizabeth Warren, ont été éliminés de la course.

[35] https://eelv.fr/le-covid-19-nous-impose-de-modifier-profondement-notre-rapport-au-vivant/ mis en ligne le 11 avril 2020.

[36] https://eelv.fr/audition-par-le-premier-ministre-la-transition-ecologique-dans-la-justice-sociale-voila-le-chemin-a-suivre-pour-la-sortie-de-crise/ mis en ligne le 11 avril 2020.

[37] La contribution de la Convention Citoyenne pour le Climat au plan de sortie de crise, https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2020/04/Contribution-de-la-CCC-au-plan-de-sortie-de-crise-1.pdf mis en ligne le 9 avril 2020.

[38] Cf. https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/lettre-ouverte-de-philippe-martinez-au-president-de-la mis en ligne le 7 avril 2020.

[39] https://www.youtube.com/watch?v=rKkUkUFbqmE

[40] Allocution du 12 mars 2020.

[41] http://www.leparisien.fr/international/coronavirus-angela-merkel-appelle-l-europe-a-produire-ses-propres-masques-06-04-2020-8295051.php mis en ligne le 6 avril 2020.

[42] Cf. Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, La Découverte, 2012 ; et l’article « Capitalisme vert » dans La novlangue néolibérale, op.cit.

[43] Pour de nombreux exemples de tels mouvements un peu partout dans le monde, cf. là encore « Éphéméride sociale d’une épidémie », op.cit.

[44] Ce qu’est l’appareil de production capitaliste en dépit du fait qu’il repose sur la propriété privée des moyens de production. Ce double caractère, propriété privée + production sociale, fait d’ailleurs partie des contradictions fondamentales du procès immédiat de reproduction du capital.

[45] Il est vrai que la plupart de ces reconversions, pas toutes cependant, se sont produites à l’initiative des directions capitalistes, tant il est vrai que la valorisation du capital est indépendante de la nature des marchandises produites. Il n’est pas moins vrai qu’elles n’ont pu avoir lieu sans le savoir et le savoir-faire des travailleurs et travailleuses de la base, augurant ainsi de la capacité de pareilles reconversions sous leur direction.

[46] Les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) regroupent des petits producteurs agricoles et des consommateurs dans des circuits de distribution courts, dans le but de préserver et de développer une agriculture socialement équitablement et écologiquement saine et durable.

[47] Cf. l’appel « Covid-Entraide » reproduit dans Covid-19 un virus très politique, op. cit., pages 100-101.

[48] « Les satellites ont déjà mesuré les changements en Chine, où le suivi de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) a monté que les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 30 % en février 2020 » http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-22-millions-de-personnes-pourraient-mourir-aux-etats-unis-si-le-coronavirus-nest-pas-maitrise.html mis en ligne le 19 mars 2020.

[49] Cf. « Coronavirus : L’effet du confinement (et son impact sur la pollution en Europe) se voit aussi depuis l’espace » https://www.20minutes.fr/planete/2752615-20200401-coranavirus-effet-confinement-impact-pollution-europe-voit-aussi-depuis-espace mis en ligne le 1er avril 2020.

[50] Cf. « Coronavirus en Inde : L’Himalaya vu à 200 kilomètres de distance grâce… à la baisse de la pollution » https://www.20minutes.fr/planete/2758103-20200409-coronavirus-inde-himalaya-vu-200-kilometres-distance-grace-baisse-pollution mis en ligne le 9 avril 2020.

[51] Pour un inventaire plus détaillé, cf. « Pour une socialisation de l’appareil sanitaire », https://alencontre.org/europe/france/covid-19-pour-une-socialisation-de-lappareil-sanitaire.html mis en ligne le 18 mars 2020.

[52] Cf. des propositions plus détaillées dans Sam Gindin, « Perspectives socialistes : le coronavirus et la présente crise », http://alencontre.org/laune/etats-unis-et-au-dela-perspectives-socialistes-le-coronavirus-et-la-presente-crise.html mise en ligne le 13 avril 2020.

[53] Cf. à ce sujet l’article « Dette publique » dans La novlangue néolibérale, op.cit. C’est également la position défendue par François Chesnais : « l’occasion historique s’ouvre de faire pas seulement de la suspension du paiement des dettes publiques, mais de leur annulation, une revendication commune aux pays industriels avancés impérialistes et aux pays à statut économique colonial et semi-colonial. Il était inévitable que le poids des dettes publiques des pays avancés donne lieu, avec l’aggravation de la crise, à la question de leur légitimité et la nécessité de leur annulation/répudiation » http://alencontre.org/laune/letat-de-leconomie-mondiale-au-debut-de-la-grande-recession-covid-19-reperes-historiques-analyses-et-illustrations.html mis en ligne le 12 avril 2020.

Source https://www.contretemps.eu/covid-19-sorties-crise/

GRÈCE : le 1er mai dans la rue

« Les Unions Départementales, les Fédérations, les syndicats de Grèce qui se rallient au PAME organiseront des célébrations pour le 1er mai dans toutes les villes du pays malgré les interdictions et la quarantaine », a déclaré le PAME, ajoutant : « Des événements sont en cours de préparation dans toutes les grandes villes de Grèce, comme à Athènes, à Thessalonique, etc., mais aussi dans des quartiers plus petits ».

Le PAME, syndicat affilié à la FSM et qui a récemment organisé plusieurs démonstrations de force dans la rue, choisit donc clairement la désobéissance aux injonctions patronales et gouvernementales.

« Les manifestations du PAME pour le 1er mai auront bien lieu et les travailleurs lèveront les drapeaux de la bataille, avec des chansons, des prises de parole et un esprit combatif, tout en respectant strictement les mesures de protection de la santé, avec des gants et des masques, ainsi que les distances nécessaires. », affirme également le syndicat de classe, démontrant en pratique la voie à suivre pour l’ensemble des organisations syndicales en Europe et dans le monde.
#MasquésPasMuselés #CerveauxNonConfinés
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Source https://www.facebook.com/La-Grèce-en-résistance-485903964798525/


Quelques photos https://flic.kr/s/aHsmMUTesj

Vidéos

panoramique du rassemblement https://youtu.be/2T1GCS3Ec3Y

rassemblement  et chants https://www.youtube.com/watch?v=t9JwJMND96g
https://www.youtube.com/watch?v=3zqifeBZdEk&feature=share    

53 ans après le coup d’État des colonels grecs. Hommage à Periclès Korovessis

Manifestation en Grèce devant l’École polytechnique : des étudiants brandissent des pancartes et crient des slogans le 19 novembre 1973 (révolte contre la dictature des colonels) Neg:A80423 —

 par

Après Manolis Glezos, parti le 30 mars, la gauche grecque a perdu avec Periclès Korovessis, qui s’est éteint le 11 avril, « une deuxième de ses boussoles tout à la fois morales et politiques » (comme le dit plus bas Stathis Kouvélakis). Contretemps lui rend hommage en publiant un texte de Bernard Dreano, qui revient sur sa rencontre au début des années 1970 et sa relation au long cours avec celui qui fut notamment une figure de la lutte contre la dictature des colonels.

Dans les deux textes ci-dessous, Stathis Kouvélakis et Antonis Ntavanellos restituent le contexte historique et politique dans lequel cette dictature s’est installée et le rôle qu’a joué Périclès Korovessis dans la résistance démocratique puis dans la reconstruction de la gauche grecque. Nous proposons enfin, pour conclure cet hommage, un texte de Périclès Korovessis lui-même datant de septembre 2015, dans lequel il analysait les logiques de la capitulation de Tsipras seulement quelques semaines auparavant.

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La Grèce comme laboratoire de la contre-révolution

Il y a très exactement cinquante-trois ans, le 21 avril 1967, des chars s’élançaient dans les rues d’Athènes et d’autres villes grecques et prenaient le contrôle des points stratégiques du pays. Le coup d’État « des colonels » – c’étaient en effet des officiers de rang intermédiaires qui en avait pris la direction – accouchera d’une dictature militaire qui durera un peu plus de sept ans et s’effondrera face à la tragédie de Chypre en juillet 1974 – un coup d’État d’extrême-droite, manigancé depuis Athènes, qui se soldera par un fiasco sanglant et offrira à l’armée turque le prétexte dont elle rêvait pour intervenir et occuper 40% de l’île. Avec le recul, on peut dire que, plutôt qu’une rupture, la dictature des colonels était l’aboutissement d’une longue séquence contre-révolutionnaire dont les racines plongent dans les années de la guerre civile qui a déchiré le pays entre 1944 et 1949 et s’est soldée par l’écrasement des forces de la gauche communiste.

Une contre-révolution implacable

Le coup d’État à proprement parler n’avait en effet rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les rumeurs bruissaient depuis un bon moment à propos de la préparation d’une action de l’armée destinée à empêcher les élections prévues pour le mois de mai 1967, et dont le résultat prédit d’avance confirmerait la défaite de la droite anticommuniste et monarchiste qui gouvernait quasiment sans interruption le pays depuis la fin de la guerre civile. En réalité, même s’il a pris de court le personnel politique traditionnel, le coup d’État était l’ultime spasme de l’édifice de terreur et de répression qui s’était érigé dans la foulée de la victoire militaire du camp bourgeois, bénéficiant de l’appui illimité des britanniques, puis des États-Unis, au cours de la « décennie révolutionnaire » 1940. Malgré sa bestialité, la répression mise en œuvre par le régime des colonels n’était qu’une reprise atténuée de la violence contre-révolutionnaire extrême qui s’était abattue sur la gauche communiste à partir de 1944 : exécutions en masse (qui se poursuivront même après la fin de la guerre civile), exactions systématiques perpétrées par des milices (anciennement collaborationnistes) dans les villes et, davantage encore, dans les campagnes, déportations et emprisonnement qui briseront tout une génération (près de 70 mille déportés pour le seul bagne de Makronissos, dont l’évocation du seul nom suffit à distiller l’horreur), mise hors la loi du parti communiste et des organisations (suspectées d’être) liées à lui (interdiction qui durera jusqu’en septembre 1974), régime de discrimination institutionnalisée à l’encontre des citoyens en défaut de « convictions nationales ». Pendant des décennies, la non-obtention du fameux « certificat de civisme (or il suffisait qu’un membre de la famille proche ait participé aux organisations de résistance dirigée par les communistes pour se le voir refuser) signifiait que l’accès à la fonction publique, aux études universitaires, et même au permis de conduire, était barré.

Rappelons également que c’est en Grèce, sous la houlette des conseillers britanniques et (surtout) étatsuniens de l’armée monarchiste, que furent expérimentées pour la première fois à grande échelle les techniques « contre-insurrectionnelles » qui se généraliseront par la suite en Asie, en Afrique et en Amérique latine : actions coordonnées de l’armée régulière et des milices chargées du (plus) « sale boulot », évacuation planifiée des campagnes de leur population pour « vider l’eau du bocal » et couper les partisans de leur base logistique, techniques de torture de masse déjà appliquées dans les colonies, usage de bombes incendiaires de nouveau type (napalm) dans des environnements non-urbains, rafles d’enfants dans les zones de conflit et placement dans des institutions de formatage idéologique, création de lieux de déportation pouvant accueillir des dizaines de milliers de détenus dans des zones difficilement accessibles du territoires (les îles les plus arides étaient toutes désignées à cet usage). Entre 1947 et le milieu des années 1950, la Grèce offre un cas d’univers carcéral et, surtout, concentrationnaire unique par son ampleur et sa brutalité en Europe occidentale.

Vers le coup d’État

Malgré l’écrasement de la guerre civile, ce régime de répression féroce est rapidement confronté à une résistance acharnée. En 1958, neuf ans à peine après que la chute des derniers bastions des partisans de l’Armée Démocratique, la Gauche Grecque Démocratique (EDA), forme d’existence légale de la gauche communiste, devient avec près de 25% des voix la principale force d’opposition et se place en tête à Athènes et dans la plupart des villes du pays. Il faudra un recours à la fraude massive dans les urnes et un redoublement de la répression pour permettre à la droite monarchiste de garder le pouvoir. L’assassinat en mai 1963 du député de l’EDA, et figure de proue du mouvement pacifiste grec, Grigoris Lambrakis, immortalisé par le roman Z de Vassilis Vassilikos, adapté au cinéma par Costa Gavras, s’inscrit dans ce contexte d’extrême tension. Et pourtant, aux élections qui suivent de peu l’assassinat de Lambrakis, la droite est largement battue dans les urnes. Georges Papandréou, un politicien bourgeois au passé anticommuniste, devient premier ministre à la tête d’un parti hétéroclite, l’Union du Centre, qui compte dans ses rangs à la fois des notables conservateurs et une aile gauche socialisante dirigée par son fils (et futur fondateur du PASOK) Andréas Papandreou. Il vide les prisons des derniers détenus politiques et s’engage dans une démocratisation contrôlée mais réelle de la vie politique qui redonne confiance aux mobilisations ouvrières, paysannes et estudiantines. Étouffée depuis des décennies par la répression et une censure tatillonne, la vie culturelle explose. C’en est décidément trop pour le « triangle », selon l’expression de l’époque, où se concentrait le vrai pouvoir : l’armée, pilier d’un régime fondé sur la victoire militaire de 1949, la monarchie, véritable centre politique du camp bourgeois bien plus que le personnel politique parlementaire, et l’ambassade étatsunienne, dont l’approbation constitue un préalable à toute décision politique. Georges Papandréou est renversé en juillet 1965 par un coup d’État parlementaire fomenté par le « triangle », qui s’appuie sur une minorité de députés centristes qui font défection (les « apostats » selon l’expression consacrée, avec à leur tête l’ancien premier ministre Konstantinos Mitsotakis, et père de l’actuel, Kyriakos Mitsotakis) contre espèces sonnantes et trébuchantes.

La riposte populaire ne tarde guère. Tout au long du mois de juillet 1965 un véritable soulèvement populaire déferle dans les rues d’Athènes et des grandes villes du pays. A sa tête, la jeunesse étudiante, les secteurs combatifs du mouvement ouvrier (en particulier les ouvriers du bâtiment), la base sociale de la gauche et de l’ensemble des forces démocratiques. Le grand romancier Stratis Tsirkas a dépeint de façon inoubliable ce moment dans son récit au titre évocateur Le printemps perdu[1]. On a pu parler, à juste titre, de « mai 68 » par anticipation. C’est malheureusement vrai aussi pour son issue : privé de perspectives politiques, confronté à la pusillanimité légaliste de la gauche et de Georges Papandréou, le mouvement s’éteint et se résigne à la perspective de nouvelles élections, finalement fixées pour mai 1967. Un raz-de-marée anti-droite était attendu avec certitude. Mais le « triangle » du pouvoir réel était déterminé à annuler leur tenue.

Traquer la résistance

Largement attendu, le coup d’État surprend toutefois les forces de la gauche dans un état d’impréparation totale, malgré leur longue expérience de la clandestinité et de la répression. Il faut dire aussi que les plans de riposte envisagés (lieux de repli, manifestations, mise en place de planques) ont d’emblée été neutralisés par la mise en œuvre d’une nouvelle technique de contre-insurrection. Pour paralyser préventivement toute tentative de résistance populaire, les militants et, surtout, les cadres sont arrêtés au petit matin, rassemblés dans des stades et acheminés vers des lieux de déportation. Dans le cas grec cette tâche était grandement facilitée par le fait que, suite aux décennies de répression, la totalité des militants (et même des simples sympathisants) de la gauche étaient repérés grâce au système de fichage policier de l’ensemble de la population mis en place dès les années 1940 et soigneusement entretenu par un système de strict quadrillage policier s’appuyant sur une armée d’informateurs peuplant chaque recoin de la vie sociale.

Ainsi, au matin du 21 avril 1967 des milliers de militants se trouvent pris dans le gigantesque coup de filet, la plupart du temps en pyjama. Pour la plupart, ils reprennent le chemin déjà familier du bagne et de la prison, avec la rage de ne même pas avoir été en mesure d’agir. Certains réussissent pourtant à s’échapper et passent, ou repassent, dans la clandestinité. Dans les semaines qui suivent le coup d’État sont ainsi créées les premières organisations de résistance. Les principales seront, du côté de la gauche communiste, le Front Patriotique (PAM) et, parmi les jeunes, l’organisation « Rigas Féréos » (du nom du fervent patriote républicain assassiné par les Ottomans en 1797), et du côté de l’aile gauche des centristes, la Défense Démocratique, puis le Mouvement Panhellénique de Libération (PAK), animé de l’étranger par Andréas Papandréou. De nombreux autres noyaux de résistance se créent, couvrant une très large part du spectre politique, de l’extrême-gauche encore balbutiante à la droite libérale, y compris au sein des forces armées, par des officiers certes conservateurs, voire monarchistes, mais opposés au coup d’État.

L’action de ces réseaux sera essentiellement symbolique : lâchage de tracts, presse clandestine, attentats à la bombe visant des cibles matérielles, souvent liées à la présence étatsunienne. Exception à cette règle, Alekos Panagoulis, agissant quasiment en solitaire, échouera dans son attentat contre le dirigeant du régime, Georgios Papadopoulos, le 13 août 1968. Ces noyaux de résistance ne résisteront pas longtemps à la traque de la police, leurs militants et leur appuis logistiques étant, nous l’avons vu, pour la quasi-totalité déjà repérés par la police. Leur démantèlement s’opère entre 1967 et 1969, entraînant des milliers d’arrestations et de condamnations à de lourdes peines de déportation et de prison par les tribunaux militaires, en général précédées par des séjours dans les locaux de la sécurité et/ou de la police militaire où se déchaîne la sauvagerie des tortionnaires.

Malgré son échec sur le plan opérationnel, cette première phase de la résistance intérieure est toutefois décisive pour ce qui suivra. D’un point de vue moral, elle permet, dans un contexte qui n’offre guère de possibilités concrètes d’action de masse, de montrer que des forces existent qui rendent visible l’opposition largement majoritaire de la population au régime. Au niveau proprement politique, c’est dans cette constellation mouvante que se posent pour la première fois un questionnement stratégique, en particulier au sein de la gauche communiste, sur les raisons qui ont conduit à l’impuissance face à une menace imminent et prévisible. Ce questionnement se combine aux soubresauts de la déstalinisation, qu’exacerbe l’intervention des armées du pacte de Varsovie contre le « printemps de Prague », et conduit à la scission du Parti Communiste Grec (KKE) en 1968 entre une aile entièrement alignée sur l’URSS et une partie qui s’engage dans la voie de ce qu’on appellera par la suite l’« eurocommunisme ». Enfin, au niveau international, l’existence de cette résistance intérieure permet au mouvement international de solidarité de déployer sa campagne de dénonciation du régime et de ses protecteurs étatsuniens, épaulée par la nombreuse diaspora grecque, dont les rangs grossissent par la venue de toutes celles et ceux, directement ou non en prise avec la répression, pour qui la vie est devenue impossible dans un pays devenu une vaste prison à ciel ouvert.

Korovessis, acteur d’une nouvelle période

Le texte qui suit, et celui de Bernard Dreano, portent sur un acteur important de cette période, Périclès Korovessis, décédé le 11 avril dernier à Athènes. Après Manolis Glezos, parti le 30 mars, la gauche grecque a perdu une deuxième de ses boussoles tout à la fois morales et politiques[2]. Son rôle, à ce tournant des années 1960-1970, se situe en effet au croisement des trois plans que nous venons d’évoquer. Jeune comédien militant dans les rangs de l’EDA, Korovessis prend activement part à la constitution des premiers noyaux de résistance, affiliés au Front Patriotique, et se jette dans une clandestinité inédite pour lui et quasiment désespérée, qui prendra fin au bout de cinq mois. Cette expérience le conduira à s’engager avec non moins de force dans les remises en cause qui affectent la gauche communiste et l’amèneront par la suite à explorer les voies du nouveau radicalisme qui se déploie sous le signe de la révolte mondiale des années 68. Arrêté en octobre 1967 et sauvagement torturé, il parvient à s’échapper à l’étranger et se transforme en accusateur implacable du régime. Son ouvrage Oi Anthropofylakes [Les gardiens d’humains] provoque un choc dans l’opinion publique internationale. Il est rapidement traduit dans une dizaine de langues, et tout d’abord en français[3]. Son témoignage bouleversant, aux côtés de celui d’une autre militante du Front Patriotique, l’actrice Kitty Arseni, auprès du conseil de l’Europe joue un rôle décisif dans l’expulsion de la Grèce de cet organisme, en décembre 1969. Son action stimule l’élan mondial de solidarité avec la résistance intérieure, qui remporte sa première victoire politique. Malgré l’appui obstiné de son protecteur étatsunien, le régime ne parviendra jamais à se remettre de ce camouflet.

Après une brève éclipse, les forces de la résistance se réorganiseront à partir de 1971-1972, en reprenant pied dans la jeunesse étudiante, puis en opérant la jonction avec la jeunesse ouvrière qui se met en mouvement à partir du printemps 1973. Dans cette effervescence émergeait également un nouveau paysage politique dans la gauche, marqué par le radicalisme impétueux de cette période. Se dessinait la voie qui allait conduire au soulèvement de novembre 1973, et qui, malgré la sanglante répression qui le brisa, allait sonner la fin du régime. La chape de plomb des trois décennies contre-révolutionnaires s’était enfin fracturée.

De retour en Grèce, Korovessis ne cessera d’explorer des voies nouvelles dans le combat pour l’émancipation à sa façon intensément singulière, le plus souvent en tant que « franc-tireur », par moments dans les formes de la politique organisée, dans les rangs de l’extrême-gauche, puis, entre 2004 et 2009, de Syriza. Le portrait qu’en dressent les textes d’Antonis Ntavanelos et de Bernard Dreano restitue la vitalité et la richesse de sa personnalité. Nous y avons ajouté (ci-dessous) la traduction de l’une de ses chroniques hebdomadaires qu’il a tenues pendant de longues années dans la presse de gauche grecque, celle où avec lucidité et hauteur il analyse « à chaud » les raisons qui ont conduit à la honteuse capitulation d’Alexis Tsipras et de son gouvernement face à Troïka en juillet 2015. Elle se termine en annonçant des années de « chaos et de catastrophe ». Il ne s’est pas trompé, même si cette catastrophe s’est déroulée sur un mode muet, dans une société brisée et privée de ses repères fondamentaux. Même dans ces conditions, Korovessis est resté debout jusqu’au dernier souffle, l’aiguille de sa boussole toujours orientée vers le combat pour la révolution et l’émancipation humaine.

Stathis Kouvélakis Paris, le 21 avril 2020.

Periclès Korovessis, résistant et persistant

Beaucoup a été et sera écrit, fort heureusement, sur la mort de Periclès Korovessis. La plupart se focaliseront, peut-être à juste titre, sur son ouvrage La filière. Bien que le livre ait marqué ma jeunesse (mon exemplaire est un « collector », imprimé à Londres pendant la dictature des colonels), et je n’ai rien à ajouter à ce sujet. Périclès était l’un de ceux qui ont franchi le pas en passant de l’action légale de la gauche d’avant le coup d’Etat du 21 avril 1967 à l’action illégale de la première phase de la résistance contre la dictature. Il analyse les risques et dangers de cette étape dans La filière.

L’action de ce cercle minoritaire de cadres au cours des premières et très difficiles années de la dictature fut très important pour la vie de celles et ceux qui se sont par la suite engagé.e.s dans les rangs de la résistance et de la gauche. Mais Périclès ne s’est pourtant jamais reposé sur ses « lauriers » de résistant. Il fit partie de ceux qui ont franchi une autre étape audacieuse : celle qui conduisit de la résistance contre la dictature, mais dans la continuité de la gauche communiste grecque, vers la recherche d’une « nouvelle gauche », la gauche révolutionnaire qui surgissait de l’élan régénérant du 68 mondial.

Il a ainsi fait participé à la direction du Groupe Socialiste Révolutionnaire (ESO), actif parmi les réfugiés et émigrés grecs en Europe occidentale[4]. Avec le groupe des « Bolcheviks » et d’une partie de la Lutte Socialiste Révolutionnaire (SEP), il fonde le Mouvement Révolutionnaire Léniniste Grec (ELEK) au cours des années qui ont suivi la chute de la dictature[5]. Le Périclès de cette époque (bien qu’il ait été plus tard dénoncé par certains médias comme « le chef du groupe 17 Novembre ») avait tranché le dilemme entre Guevara et Lénine. Son « léninisme » comportait cependant de nombreuses références « spontanéistes », un radicalisme maoïste antistalinien, avec des emprunts venant du trotskysme et des références à la révolution permanente. Ce « mixte », j’en suis conscient, est difficile à comprendre aujourd’hui, mais des organisations de ce type, comme Révolution! en France ou Avanguardia Operaia en Italie, jouissaient d’une influence et d’un prestige importants dans les années 1970.

La crise de la gauche révolutionnaire au cours des éprouvantes années 1980 n’a pas conduit Périclès à se replier dans le cocon de la vie privée. Tout en suivant, à sa façon totalement originale, les développements politiques, il était prêt à des changements autocritiques. Il a maintenu son orientation vers le mouvement mondial, mettant tous ses espoirs dans ce facteur, et œuvré pour une intervention unitaire de la gauche, pour qu’elle devienne efficace sans jamais renoncer au radicalisme de son noyau programmatique.

Il a choisi de faire partie des premières tentatives unitaires de la gauche radicale, y compris avec le KKE, en étant candidat, et élu, dans la municipalité d’Athènes en 1997 sur la liste de Léon Avdis. Ce n’est pas un hasard si Périclès a activement participé au difficile lancement de Syriza dans la foulée des grandes actions du Forum Social Grec.

Pour Périclès, cette orientation unitaire, nécessaire à la concentration des forces, ne signifiait pas démission ou autocensure quant au contenu radical de la politique. En tant que membre du comité central de Syriza, il n’a pas hésité, après les élections de 2009, à rappeler publiquement les lourdes responsabilités des principaux dirigeants de Synaspismos dans les événements de 1989 et du gouvernement Tzanetakis[6]. Dans le conflit interne qui a ébranlé Syriza à l’occasion des élections régionales de 2010, qui sont à l’origine de la première tentative d’« ouverture » à la socialdémocratie engagée par le groupe dirigeant autour de Tsipras, Périclès n’a pas hésité à prendre position avec ceux qui ont formé les listes du Front pour le renversement et la solidarité. Au cours de cette confrontation, Korovessis a tiré des conclusions sévères sur le groupe dirigeant alors émergeant au sein de Syriza et en particulier sur Alexis Tsipras. Il n’est jamais revenu depuis sur ces positions. La suite a démontré que les conclusions auxquelles il était parvenu se sont largement confirmées.

Périclès était un excellent exemple de la qualité des militants issus des générations des années 1960 et 1970. Avec leurs bons et leurs mauvais côtés, leurs grandes qualités et leurs faiblesses. Face aux grands défis et aux batailles à venir, de tels combattants nous manqueront.

Antonis Ntavanelos Athènes, le 13 mars 2020 – traduction Stathis Kouvélakis.

Le coup d’État invisible – Un texte de Periclès Korovessis

Chronique publiée dans Efymerida Syntakton du 12 septembre 2015 – traduction Stathis Kouvélakis.

Il était une fois, dans les temps anciens de la lointaine Chine, un sage enseignant, peintre de profession, qui peignait une colombe si parfaite que chaque matin ses élèves allaient à l’école pour voir si elle avait volé. La tâche des étudiants était de copier cette colombe aussi fidèlement que possible. Les élèves sont à leur tour devenus des enseignants, ils ont formé de nouveaux enseignants et le sujet enseigné a toujours été la colombe parfaite du fondateur de l’école. Un beau jour, un jeune étudiant a regardé par la fenêtre et a vu une vraie colombe. Il en a été ébloui et s’est rendu compte que le volatile était complètement différent de ce qu’ils peignaient. Et il a dessiné sa propre colombe. La conséquence fut qu’on lui a refusé son diplôme.

Depuis ce temps, de nombreux siècles se sont écoulés dans le fleuve de l’histoire et le même phénomène est réapparu. Quiconque a vu une autre réalité que celle qui était permise l’a payé de sa personne. Aujourd’hui, en Europe, on ne coupe pas la tête. Mais on se débarrasse des idées alternatives et on fait en sorte qu’elles ne puissent atteindre leur but.

Il existe toutefois de nombreux foyers de Lumières et de résistance, ainsi que divers réseaux de toutes sortes, qui font un travail précieux. Mais ils ne touchent pas l’électeur-consommateur moyen, qui suit généralement ses penchants obsessionnels et pense que sa propre colombe est la bonne. Si nous examinons la mobilité de l’électorat, en dehors du noyau dur de chaque parti, nous verrons qu’il vote en fonction de l’offre proposée, tout comme dans les supermarchés. Nous l’avons vu avec [le PASOK d’] Andreas Papandréou et, sous sa forme renouvelée, avec Alexis Tsipras.

Le concept de « peuple souverain » signifie en fait que le peuple dispose du pouvoir de choisir des oligarques, mais rien pour lui-même. En substance, les élections sont un phénomène messianique. Vous choisissez le Messie, puis vous rentrez chez vous et attendez le miracle qui ne vient jamais. Vous devenez croyant, mais pas citoyen. En d’autres termes, vous choisissez votre non-existence et la considérez comme constituant votre personnalité, par le truchement du Messie.

Alors de quelle politique parlons-nous quand tout le pouvoir est dans des partis de ce type ? Les anciens camarades de Tsipras l’ont accusé de trahison. C’est une lourde accusation. Mais elle est objectivement juste. Tsipras a fait exactement le contraire du programme de Syriza et, grâce à un coup d’État parlementaire, il a fait passer un accord [le 3e mémorandum signé en juillet 2015 et approuvé au parlement grec en août 2015] qui place la Grèce sous la tutelle de la Troïka.

J’ai de mon côté une approche différente du phénomène. Dans cette chronique, à un moment insoupçonné, j’ai constaté que Syriza était une social-démocratie de droite, avec une aile forte de gauche, avec une structure centrée sur le leader qui n’avait pas besoin d’un parti et d’organisations, mais de marionnettes, de propagandistes et de mécanismes de soutien. Ses cadres dirigeants ont donc quitté le parti pour s’installer dans l’appareil d’État.

La social-démocratie de droite cherchait à retrouver sa famille, qui n’était rien d’autre que l’ancien système politique, en déroute depuis des années, et à lui redonner vie. Mais elle devait d’abord passer des examens pour gagner l’approbation vrais centres de pouvoir. Tsipras s’en est donc allé portant des cadeaux et a promis à Schäuble de geler le programme de Thessalonique[7]. Il a également expliqué à Mme Merkel que la demande d’indemnisation des dommages de guerre causés par l’Allemagne était purement morale. Et, évidemment, il attendait quelque chose en retour, peut-être une saucisse de Francfort, pour montrer que nous avons également gagné quelque chose et pour le présenter aux indigènes comme un triomphe de la diplomatie grecque.

Varoufakis a admis par la suite que le seul but de ces « négociations » était d’humilier la délégation grecque. Et, dans cette voie, il est entendu que sans accepter un mémorandum, vous ne pouvez pas être premier ministre. De plus, c’était une bonne occasion pour Tsipras de mener Syriza à la scission, afin de se débarrasser de sa gênante aile gauche. Son autre atout était que sa popularité en tant que leader était élevée et que grâce à un nouveau scrutin, mené dans la précipitation, il pourrait même gagner une majorité absolue au parlement.

Tout montre qu’aucun parti ne peut gagner une telle majorité[8]. Et divers scénarios sont envisagés. Il s’agit en substance de créer un « extrême centre », tel que celui qui gouverne dans la plupart des pays de l’Union européenne. L’accord signé par la Grèce le 12 juillet 2015, selon Tariq Ali, deviendra aussi détesté que le 21 avril 1967. Nous ne l’avons pas encore vu mis en œuvre. Ce qui nous attend c’est la catastrophe et chaos.

Illustration : Les étudiants de Polytechnique manifestent contre la dictature des colonels en novembre 1973. Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA.

Notes

[1] Traduction française : Stratis Tsirkas, Le printemps perdu, Paris, Seuil, 1982.

[2] Sur Manolis Glezos cf. sur ce site le texte d’hommage de Panagiotis Sotiris contretemps.eu/manolis-glezos-present/

[3] Traduction française : Periclès Korovessis, La filière. Témoignage sur la torture, Paris, Seuil, 1969.

[4] Organisation de gauche, constituée principalement d’étudiants mais aussi de travailleurs de la diaspora, qui s’est formée en 1969, principalement à Londres, mais aussi dans d’autres villes d’Europe occidentale, autour des revues Mami (« accoucheuse » en référence aux formulations de Marx et d’Engels sur la violence comme accoucheuse de l’histoire) et Révolution. Rejetant la stratégie « étapiste » du parti communiste orthodoxe KKE, elle proclamait le caractère socialiste de la révolution en Grèce. Parmi ses principaux dirigeants figuraient Georges Votsis, Periclès Korovessis, Panos Garganas, Maria Stylou et d’autres. Une partie de ESO, animée notamment par Garganas, Stylou et Antonis Ntavanelos, créera en 1972 l’Organisation Révolution Socialiste (OSE), affiliée au courant international IST (dirigé par le SWP britannique) et qui deviendra en 1997 le Parti Socialiste Ouvrier (SEK), toujours actif (NdT).

[5] SEP fut une organisation trotskisante fondée dans la clandestinité, en Grèce, en 1970. Elle s’est implantée principalement parmi les jeunes travailleurs et a pris une part active au soulèvement contre la dictature de novembre 1973. Elle s’est dissoute au début de 1975 et plusieurs de ses membres ont participé à la fondation de ELEK, tandis que d’autres ont rejoint OSE. Les « Bolcheviks », organisation de type « mao-spontex », fut fondée en 1972 et participa à la création de ELEK en 1975, organisation dont Korovessis fut l’une des principales figures et qui s’est dissoute en 1977 (NdT).

[6] A cette époque, la Coalition de la gauche et du progrès (Synaspismos tis Aristeras kai tis proodou) était une simple coalition électorale formée au printemps 1989 par le parti communiste grec (KKE) et l’aile droite issue de l’eurocommunisme (Gauche grecque – EAR). A l’issue des élections de 1989, elle s’est alliée à la droite (Nouvelle Démocratie – ND) pour constituer un gouvernement commun (avec à sa tête Tzanis Tzanetakis, un dirigeant de ND) chargé de juger les dirigeants du PASOK (parti socialiste), y compris Andréas Papandréou, accusés d’être mêlés à des scandales. Cette coalition contre-nature a été sanctionnée par l’électorat au cours des scrutins qui ont suivi (Synaspismos passant de 13,5% en 1989 à 10,2% en 1990) et conduit à son éclatement, au cours d’une période où le KKE subit de plein fouet le choc de l’effondrement de l’URSS. En 1991, la majorité du KKE se retire de Synaspismos, qui devient un parti distinct. Il sera par la suite la principale composante de Syriza, fondé en 2004 (NdT).

[7] C’est le programme anti-austérité et anti-Troïka grâce auquel Syriza avait remporté les élections de janvier 2015 (NdT).

[8] En effet, bien qu’arrivant en tête du scrutin, Syriza n’arrive pas à former de majorité absolue. Il reconduira son alliance avec le petit parti de la droite souverainiste ANEL et bénéficiera en cours de la mandature de l’apport de députés issus de formations « centristes » (NdT).

VioMe Financement participatif pour un groupe électrogène

Message des VioMe

Bonjour camarades,

Notre campagne de crowdfunding a été lancée et vous pouvez y accéder ici

Nous demandons l’aide du mouvement mondial pour rétablir le courant ou acquérir un générateur, afin que nous puissions continuer la production sans obstacles et aussi nous aider à devenir plus indépendants. Nous appelons donc tous les syndicats, collectifs, camarades grecs, européens et mondiaux à aider à obtenir un générateur avec une capacité de biodiesel.

Aussi, nous vous invitons le mercredi 29/04 à participer à la Journée de Solidarité à Viome # power2viome

Voir l’article https://www.grece-austerite.ovh/29-avril-journee-de-solidarite-avec-les-viome/

Merci beaucoup mes amis! Restez en sécurité et continuez à résister!

Un autre avenir après le Covid-19

Déclaration des Attac d’Europe – Un autre avenir après le Covid-19

Le réseau des Attac d’Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions dans le cadre de la crise multiple liée au Covid-19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ? Comment rendre possible le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.

Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques. Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires.

La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir.

Le réseau des Attac d’Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise politique et économique qu’elle a déclenchée.

En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien

1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous

Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit.

2. Une recherche publique de qualité

La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent être alloués.

En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie

3. Respect absolu du droit du travail

À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.

4. Respect absolu des droits fondamentaux

La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).

5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise

Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire.
Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.

En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables

6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes / intermittent·e·s du spectacle

La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies. Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale. Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital.

7. Réquisition immédiate de tous les logements vides

Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.

8. Protection des personnes exposées à la violence domestique

Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.

9. Soutien aux jeunes

Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de confinement.

10. Permis de séjour pour les sans-papiers

Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).

En ce qui concerne la justice fiscale

11. Un système fiscal équitable

La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus riches et des sociétés transnationales.

12. Taxation des bénéfices et de la fortune

Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon, Netflix…). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela concerne aussi ces entreprises.

13. Interdiction de distribuer des dividendes

Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise.

En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe

14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro

Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.

15. Contrôle des flux de capitaux

La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.

16. Démantèlement et socialisation des grandes banques

Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces banques qui sont ’trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire européen.

En ce qui concerne la solidarité internationale

17. Une réaction coordonnée au niveau européen

La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être répartis entre voisins. La solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.

18. La solidarité internationale avant tout

Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes.

En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies

19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique

Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les efforts fournis par la population.

20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition

La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.

21. La relocalisation solidaire de la production

La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments. L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des maladies.
C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne.

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/declaration-des-attac-d-europe-un-autre-avenir-apres-le-covid-19#En-ce-qui-concerne-les-services-publics-qui-sont-la-richesse-de-ceux-qui-nbsp

On continue à soutenir les VioMe !! Signez la pétition

Dans cet article du 6 avril 2020  nous indiquions que le collectif avait adressé une lettre à l’ambassadeur de Grèce en France et au Ministre des finances grec pour demander le rétablissement de l’électricité pour la fabrique autogérée des VioMe de Thessalonique  . https://www.grece-austerite.ovh/lettre-du-collectif-a-lambassadeur-de-grece-et-au-ministre-des-finances-grec-en-soutien-aux-viome/

Les VioMe remercient le collectif pour sa solidarité et son soutien.

Ils sont toujours sans électricité et continuent à fonctionner grâce à des générateurs empruntés à des camarades solidaires en Grèce.

Les témoignages de soutien leur donnent le courage de continuer le combat.

Ils font de leur mieux pour récupérer l’électricité et poursuivre la production qui est non seulement un besoin pour eux pour la société, mais aussi une lutte politique contre le système.

Il faut continuer à signer et diffuser la pétition  https://tinyurl.com/wj67hdw

Le texte en français de la pétition http://www.viome.org/2020/04/viome-restera-dans-les-mains-des.html

pour signer : ονομα  = prénom      Επώνυμα = Nom

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