Cette année, le 1er Mai tombant dans les jours fériés de Pâques, le gouvernement l’avait généreusement repoussé au mardi 4 mai, qui faisait suite à un lundi férié. Ce grand pont ne pouvait bien sûr pas favoriser la mobilisation, et c’est bien ce que souhaitait la droite ultralibérale de Mitsotakis.
Alors, même si la direction de GSEE, la Confédération (unique) du secteur privé, liée à ce qui reste du Pasok, a organisé ce jour-là de très maigres rassemblements, EKA (Union locale d’Athènes), ADEDY (fédération – unique – du secteur public), la gauche et toutes ses composantes avaient décidé d’appeler à la grève et de fêter le 1er Mai… le 6 mai. La raison principale : l’importance de commencer une véritable mobilisation contre un projet fait sur mesure pour combler SEV, l’organisation du patronat.
Attaque sur le temps de travail
Ce projet, concocté à un moment où, avec le confinement, les manifestations étaient souvent interdites et/ou violemment réprimées, s’attaque au temps de travail. Alors que celui-ci est, en Grèce, le plus élevé en Europe, le projet est de flexibiliser au maximum : si la référence pourrait rester en théorie une moyenne journalière de 8 heures, ce ne serait plus dans le cadre de 40 heures ni de cinq jours hebdomadaires. Les heures sup ne disparaitraient pas pour autant, leur rémunération serait diminuée de 50 %, et il est même prévu que leur plafond passe de 96 h/an (industrie) et 120 h/an (services) à 150 voire 180 h/an ! Pour certains secteurs, le dimanche deviendrait un jour ouvrable comme un autre.
Mais comme existent encore quelques conventions collectives, certes bien moins protectrices qu’avant les mémorandums, l’une des clés du projet est donc la « convention individuelle », que la droite au pouvoir, spécialiste en propagande, vante comme un hymne à la liberté, le ministre du Travail, le cynique Hadjizakis, expliquant qu’ainsi les travailleurEs pourraient se libérer pour la cueillette des olives… Pour aider à « choisir » la convention individuelle, le projet comprend évidemment un volet répressif : les menaces contre le syndicalisme et le droit de grève avec, entre autres interdictions et obligations, dans cette période de pressions patronales sur les syndiquéEs, que les sections syndicales déposent au ministère du Travail les éléments d’identification de leurs membres ! On le voit, ce projet est une attaque massive contre ce qu’il reste de droits aux travailleurEs, il est la traduction d’un rapport de l’ultralibéral Pissaridis sur les axes économiques pour la Grèce du 21e siècle.
Une première mobilisation encourageante
C’est donc face à ce projet mortifère que les organisations du mouvement ouvrier ont appelé à faire grève et à manifester le 6 mai, sans illusion sur le fait que, dans des conditions encore difficiles, ce ne serait pas un raz-de-marée. Mais à Athènes, ce sont 10 000 à 15 000 travailleurEs et jeunes au total qui ont manifesté, même si c’est en trois rassemblements : d’un côté le KKE (PC) et son bras syndical PAME, d’un autre EKA et ADEDY avec Syriza – en cortège un peu fourni, une première depuis 2015 ! – et une partie de la gauche anticapitaliste, l’autre partie formant un troisième pôle avec les syndicats de base, NAR, Synantissi… Et on a compté aussi des milliers de manifestantEs dans le reste du pays, première réponse déterminée à un gouvernement qui multiplie les cadeaux au patronat et s’apprête à offrir ensuite au privé la gestion d’une partie des retraites.
Alors que le géant français TOTAL et son homologue états-unien EXXON-MOBIL amplifient leurs recherches autour de l’île, avec l’appui des autorités grecques :
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NON AUX FORAGES PÉTROLIERS EN CRÈTE !
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Ces jours-ci, nous voyons arriver les premiers touristes sur les plages de Crète. Par conséquent, les actions se multiplient pour les associer au refus du cauchemar qui se prépare : des plateformes pétrolières au large de l’île : en particulier au Sud et à l’Ouest, non loin de Gavdos (point le plus au sud de l’Europe) et de Elafonissi (l’une des plus belles plages de Grèce).
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Hier, la section d’Héraklion de l’initiative crétoise contre les forages sous-marins s’était donné rendez-vous à Matala et dans d’autres sites magnifiques du sud de l’île pour tracter, afficher, échanger et mobiliser.
Le travail de ce collectif est énorme depuis des mois, en parallèle avec d’autres luttes et actions solidaires. Plusieurs de nos compagnons et camarades sont présents sur bien des terrains : dans les montagnes, sur les côtes, dans les villes et au cœur des villages, auprès des précaires, aux côtés des migrants et de toutes celles et ceux qui sombrent dans d’énormes difficultés en ce moment.
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Voici le hastag à utiliser si vous voulez bien relayez l’info : #ΗΚρήτηΛέειΟΧΙστιςΕξορύξεις
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Après les gigantesques parcs éoliens installés n’importe où sans concertation, puis la tentative de construire un nouvel aéroport international en pleine nature à Kastelli, cette nouvelle offensive contre l’écosystème de l’île est d’autant plus absurde que les principales ressources économiques de la Crète sont précisément le tourisme et l’agriculture. Ces saccages à répétition sont une infamie de la part du pouvoir athénien et de ses partenaires aux mallettes bien remplies. Le capitalisme n’est qu’une mafia dont la principale arme est l’État à son service.
Merci de votre soutien et au plaisir de vous accueillir sur cette île hospitalière et paradisiaque, mais plus que jamais en danger face aux géants du capitalisme et aux états qui sont leurs paillassons.
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Avec nous, refusez le saccage de la Crète, comme partout ailleurs.
Importantes manifestations contre le projet de loi sur le travail supprimant la journée de travail de 8 heures, le paiement des heures supplémentaires.
Portant des masques et des banderoles, les manifestants ont commencé à affluer dans le centre-ville d’Athènes jeudi matin, les manifestations pour la fête du travail ayant été déplacées du 1er mai (samedi de Pâques) au 6 mai. La principale revendication des manifestants cette année est le retrait du nouveau projet de loi sur le travail qui supprimera la journée de travail de 8 heures ainsi que le paiement des heures supplémentaires.
Le syndicat du secteur public ADEDY, le Centre du travail d’Athènes et le syndicat du parti communiste, PAME, ont appelé à cette grève.
Les participants sont également des syndicats et des associations de travailleurs qui ont été économiquement frappés, notamment par les mesures de lutte contre la pandémie.
Les syndicats se disent « déterminés à résister aux plans du gouvernement pour le retour à des conditions de travail moyenâgeuses ».
Les hôpitaux travaillent avec du personnel d’urgence, le personnel s’étant joint à la grève.
La grève a entraîné des perturbations dans les transports, les syndicats du métro, des tramways et des trolleybus ayant rejoint la grève de 24 heures et les navetteurs se rendant au travail avec des véhicules privés.
Grève de 24 heures
Lignes 2 et 3 du métro ainsi que la ligne 1 (train urbain ISAP)
Ferries et navires
Arrêt de travail de 4 heures
Contrôleurs aériens entre 11 heures et 15 heures jeudi.
Quatre vols internationaux et 14 vols intérieurs d’Aegean et Olympic Air ont été annulés, tandis que les heures de départ et d’arrivée de neuf autres vols internationaux et de 20 vols intérieurs ont été modifiées.
AFP
Quelque 6000 personnes ont défilé lors de plusieurs manifestations à Athènes, a indiqué une source policière. Des manifestations se tenaient aussi dans d’autres grandes villes du pays.
Il s’agit de la deuxième grève en Grèce cette semaine. Mardi, de nombreux employés des transports publics ont participé à une grève générale à l’appel de la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE) pour la célébration de la fête du travail.
Le ministre du Travail, Costis Hatzidakis, a déclaré que les nouvelles règles permettent au personnel de négocier avec la direction la possibilité de travailler plus d’heures pendant une partie de l’année, et de prendre ensuite plus de congés.
Pour les partis d’opposition, la réforme constitue au contraire un « retour en arrière douloureux » en matière de droit du travail – et les critiques affirment qu’elle officialise l’exploitation des heures supplémentaires par des patrons sans scrupules, qui se pratique déjà depuis des années.
« Les heures supplémentaires non rémunérées sont un problème central du marché du travail grec (…et) les mécanismes d’inspection du travail ont été démantelés« , a déclaré Nassos Iliopoulos, porte-parole du principal parti d’opposition, Syriza, sur Skai TV.
Il a également souligné que, dans le cadre du nouveau système, les travailleurs négocieront sans négociation collective, et seront donc à la merci des employeurs.
« C’est une proposition pour une main-d’œuvre flexible et mal payée, une proposition du passé« , a-t-il déclaré.
Les syndicats s’opposent également aux changements prévus par la loi concernant le vote des grèves, le gouvernement cherchant à permettre à leurs membres de voter à distance.
Vous trouverez ci-dessous l’appel à mobilisation pour soutenir les solidaires de Briançon poursuivis pour délit de solidarité.
Les procès auront lieu :
– le 22 avril au Tribunal de Gap en première instance pour deux maraudeurs interpellés le 19 novembre alors qu’ils étaient en train de porter secours à une famille afghane sur le territoire français .
– le 27 mai à la Cour d’Appel de Grenoble pour les 3+4 de Briançon suite à la manifestation antifasciste du 22 avril 2018 (en réponse à l’occupation du col de l’Echelle par le groupement « Génération Identitaire »)
Eva Betavatzi25 mars 2021Grèce : une démocratie en perdition (1re partie)2021-03-27T19:48:19+00:00
Depuis quelques semaines, les rues d’Athènes, de Thessalonique, et de plusieurs autres villes de Grèce grondent de colère face aux mesures du gouvernement de droite, aux déclarations des dirigeants politiques, à la manipulation médiatique et aux violences policières. La grève de la faim du détenu Dimitris Koufontinas, ancien dirigeant du groupe « 17 Novembre » a également permis de révéler le visage répressif du gouvernement et alimenté les protestations de la rue. Confronté à l’échec patent de sa gestion de la crise sanitaire et à l’effondrement d’une économie dépendante de la mono-industrie du tourisme, le pouvoir poursuit sa fuite en avant autoritaire.
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Une contestation qui s’amplifie
Usant et abusant de la force, la police est en première ligne pour faire régner la terreur, allant même jusqu’à menacer de mort des manifestant.e.s[1]. Elle bénéficie du soutien indéfectible du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis, qui a augmenté le budget qui lui est destiné de plusieurs millions. Parmi les nombreuses mesures liberticides de Mitsotakis figure la création d’une nouvelle unité chargée de surveiller les campus et de se livrer à la chasse aux groupes militants de gauche et anarchistes. Des millions d’euros lui seront consacrés, qui ne seront pas investis dans le système de santé, dans l’éducation, dans l’aide à l’accès au logement, ou dans l’aide aux ménages en difficulté, aux personnes âgées, à celles qui sont vulnérables, ou encore aux personnes demandeuses d’asile. L’argent public coule également à flot pour l’armée et le renforcement de la marine militaire, face à un conflit latent avec la Turquie autour des gisements gaziers en mer Égée et en Méditerranée orientale. De l’argent encore est généreusement alloué à des médias (20 millions inéquitablement distribués pour diffuser des messages sur le coronavirus) contrôlés par le premier ministre lui-même lequel ne s’est pas privé, dès le début de son mandat, de centraliser le contrôle de la presse autour de sa propre fonction. Les mensonges ainsi relayés sont de plus en plus énormes : l’information est systématiquement tronquée dans le but de masquer l’autoritarisme du gouvernement et les scandales à répétition qui touchent le cercle proche de Mitsotakis, dont celui qui met en cause l’ancien directeur du Théâtre national grec de pédophilie, un protégé du gouvernement.
Impunité, violence, corruption, état d’exception permanent, la démocratie ne cesse de s’effriter en Grèce. Le 8 mars, une famille assise sur un banc de la place centrale de Nea Smyrni, une banlieue de classes moyennes d’Athènes, a été interpellée par des policiers car, dans le cadre des mesures de confinement, il est interdit de s’asseoir dans l’espace public. Un jeune homme s’est interposé pour protester contre cette apparente absurdité. Les policiers l’ont violemment frappé à coups de matraque en acier, dont l’usage par la police est pourtant interdit. L’incident n’est pas anecdotique, il révèle l’ampleur de la crise politique que traverse le pays. De nombreuses manifestations sont organisées malgré l’interdiction des rassemblements, pour dénoncer l’autoritarisme, les mesures sanitaires répressives, les abus policiers, l’intransigeance à l’égard du gréviste de la faim Dimitris Koufontinas (et la loi contre les mouvements organisés dans les Universités, etc). Après les urnes en 2015, face à la Troïka, et les bancs des tribunaux, où s’est tenu jusqu’en octobre 2020 le procès d’Aube Dorée, la rue est devenue aujourd’hui le seul lieu de combat pour une démocratie en perdition.
Une police universitaire pour mater les campus
En février, le parlement grec votait une loi qui vise à instaurer une unité de police « spéciale » destinée à surveiller les campus universitaires. La Grèce devient ainsi le seul (ou le premier ?) pays européen à se doter d’une telle police universitaire : pas moins de 1030 policiers, équipés de matraques et de sprays anti-agression. La présentation du projet de loi, un mois auparavant, avait suscité la colère des étudiant.e.s, soutenus par l’ensemble de la gauche et par une grande partie de l’opinion choquée par le souvenir ravivé des jours sombres de la dictature des colonels. Des mobilisations importantes ont eu lieu dans toute la Grèce, et se sont poursuivies pendant plusieurs semaines. Elles ont été violemment réprimées. Outre l’usage systématique de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes, les policiers ont violemment frappés les étudiant.e.s, même celles et ceux qui étaient menotté.e.s. Les journalistes, les enseignant.e.s et les parents, n’ont pas échappé aux coups de matraque.
Sous prétexte de répondre à un « besoin sécuritaire », la loi pour les Universités (dite loi Éducation) du gouvernement cache une volonté d’écraser les mouvements de contestation qui s’organisent sur les campus. Pour ceux et celles qui se souviennent de l’insurrection étudiante et populaire de novembre 1973 contre la dictature des colonels, au cours de laquelle un char militaire avait littéralement défoncé l’enceinte de l’Ecole Polytechnique d’Athènes , marquant une répression qui a fait des dizaines de morts, la nouvelle loi pour les Universités apparait comme une menace évidente pour la démocratie. Le souvenir du 17 novembre 1973, une date qui a marqué le début de la fin de la junte militaire, a conduit, quelques années plus tard, à l’interdiction pour les forces de l’ordre d’entrer dans les campus. Cette garantie des libertés au sein des campus, appellée en grec « l’asile universitaire », fut instaurée en 1982 par le premier gouvernement socialiste d’Andréas Papandréou. Supprimée une première fois en 2011, par un PASOK désormais converti au néolibéralisme musclé, rétablie par Syriza en 2017, elle est de nouveau abrogée par Mitsotakis et une majorité au parlement en août 2019,.
Pour rajouter à la provocation, le budget annuel prévu pour cette unité spéciale représente la première année de sa constituion plus de la moitié de celui alloué à l’enseignement supérieur dans son ensemble : 20 millions d’euros pour la police universitaire, auxquels il faut ajouter 30 millions pour son équipement, contre 91,6 millions d’euros pour l‘enseignement supérieur.[2]. Malgré l’opposition d’un grand nombre d’universitaires, et même de la fédération nationale de la police[3], et les mobilisations qui ont eu lieu durant plusieurs semaines dans le pays pour exiger l’abandon du projet, le parlement a voté la loi le 11 février dernier.
Avant même la constitution de cette unité spéciale, les violences policières dans les campus universitaires ne se font pas attendre. Pour ne citer qu’un seul exemple, le 11 mars dernier, les étudiant.e.s de l’Université Aristote de Thessalonique ont été brutalement pris à partie lors de la fin, pourtant annoncée, d’une occupation des locaux de l’administration débutée deux semaines auparavant. La police a pénétré dans le campus quelques heures plus tôt, sans attendre la libération des lieux, et a attaqué au moment des prises de parole annonçant le départ des occupant.e.s[4].
La loi nouvellement adoptée vise également à modifier le système d’admission des étudiant.e.s et à réduire la durée des études, à quelques exceptions près, prévues pour celles et ceux qui doivent travailler pour payer leurs études et pour les personnes confrontées à des problèmes de santé. Un seuil d’admission plus strict sera également imposé. Il s’agit de limiter l’accès à l’enseignement supérieure public. Une grande partie des jeunes se retrouveront exlu.e.s ou privé.e.s d’accès au bénéfice d’établissements privés, à condition bien sûr de pouvoir payer les droits d’inscriptions. Répression accrue et renforcement des discriminations de classe, tels sont les deux volets de la politique gouvernementale à l’égard de l’enseignement supérieur.
La brutalité policière à son comble
L’incident de Nea Smyrni a révélé l’impunité d’une police qui se livre à des violences à l’encontre de la population.
Une vidéo diffusée largement sur les réseaux sociaux[5] – devenus une alternative essentielle à la désinformation des médias dominants aux mains d’oligarques proches du gouvernement – illustre l’ampleur du régime de terreur qui s’installe progressivement sous couvert du confinement strict pour cause de crise sanitaire. Cette fois, il ne s’agissait ni d’une manifestation, ni d’un rassemblement, ni d’une occupation de locaux, mais d’un jeune homme qui a voulu protester contre l’amende que des policiers étaient sur le point d’infliger à une famille assise sur un banc.
500 personnes se sont rassemblées le jour-même pour protester contre l’agression policière, elles ont été violemment dispersées. S’en sont suivi des dénonciations et des annonces molles de la part du Ministre de l’ordre public, Michalis Chrysochoides. Aristotelia Peloni, porte-parole de l’exécutif, a déclaré que le gouvernement « essaie (…) de sortir le pays de cette crise sanitaire sans précédent avec le moins de pertes possibles. Malheureusement, l’opposition exploite les tensions et enflamme le climat politique et social ».[6] À l’opposé de ces accusations, une fraction du syndicat de la police a déclaré que « les violences policières excessives et inutiles des derniers jours sont dues à des ordres venus d’en haut. »[7]
Deux jours plus tard, près 15.000 personnes se sont rassemblées dans ce quartier d’Athènes, réputé calme, dont la population est issue de la classe moyenne. Lors de ce rassemblement, un policier a été blessé, ainsi que des dizaines de manifestant.e.s. Les médias se sont immédiatement saisis de l’incident pour affirmer que les actes commis à l’encontre du policier étaient le fait de partisans de Syriza, ce qui s’est très vite avéré un mensonge grossier. Les arrestations effectuées quelques heures plus tard par la police elle-même ont révélé qu’il s’agissait vraisemblablement de hooligans de clubs de foot qui avaient annoncé préalablement leur participation au rassemblement sur les réseaux sociaux.
Les médias dominants ont relayé en boucle les images de l’agression du policier, en omettant délibérément de montrer les milliers d’images qui attestent de la brutalité policière et qui circulent quotidiennement sur la toile[8], les nombreuses arrestations qui s’ensuivent, et les violences et agressions sexuelles commises lors des gardes à vue. Cerise sur le gâteau, le premier ministre ne s’est pas privé d’affirmer lui aussi la responsabilité des membres de Syriza pour les violences survenues ce jour-là. L’acharnement contre l’opposition vient de tous les côtés.
La grève de la faim Dimitris Koufontinas
Si Dimitris Koufontinas n’avait pas annoncé, dimanche 14 mars, qu’il arrêtait la grève de la faim entamée depuis plus de deux mois pour dénoncer ses conditions de détentions injustes – et surtout illégales – sa mort aurait été de la responsabilité directe du Premier ministre lui-même.
Ancien membre du groupe 17 Novembre, âgé aujourd’hui de 63 ans, Koufontinas a reconnu sa participation dans plusieurs assassinats dont celui du beau-frère de l’actuel Premier ministre, Pavlos Bakoyiannis[9]. Après toutes ces années de prison, la loi prévoit pour tous les détenus des conditions d’incarcération moins strictes. Or, sa demande de transfert depuis la prison de haute sécurité où il a été placé par le gouvernement actuel vers la prison de Korydallos a été refusée jusqu’au vote d’une loi faite sur mesure pour son cas début mars, quelques mois après sa demande. Parmi les six partis représentés au Parlement grec, quatre se sont positionnés en faveur de la demande de transfert de Koufontinas. Ils ont été suivis par l’Association des juges et procureurs et de nombreuses organisations, personnalités, journalistes, médecins, artistes, universitaires, y compris au niveau international. Des mobilisations massives ont eu lieu en Grèce, qui ont rassemblé l’ensemble des mouvements de la gauche radicale (collectifs, syndicats, mouvements étudiants, etc …) ainsi que les groupes anarchistes.
Mais Mitsotakis n’a pas cédé à la pression populaire et déclaré qu’il ne cèderait pas au chantage du « terroriste ». D’un point de vue juridique, cette qualification est infondée, puisque la notion même n’a été introduite dans la loi grecque qu’en 2004, après son procès. Koufontinas a été ainsi privé de ses droits de manière totalement arbitraire, à la grande joie des médias dominants, de l’extrême-droite, des forces de l’ordre et de l’ambassade des États-Unis. L’« affaire Koufontinas » a révélé une fois de plus, mais de manière encore plus brutale, que les dirigeants grecs s’estiment au-dessus de leurs propres lois. La législation est modifiée après coup en fonction de ce qui les arrange , conduisant à un régime d’exception qui ne nécessite aucune justification légale ou politique -l’invocation du « terrorisme » ou du coronavirus semblent en effet suffire à la propagande médiatique. .
Placé dans l’unité de soins intensifs à l’hôpital de Lamia, le prisonnier a échappé à la mort, le 24 février, lorsque les autorités judiciaires ont ordonné son alimentation forcée au 48ième jour de grève de la faim. Cette mesure est considérée comme un acte de torture selon la législation internationales, à moins que le gréviste soit « capable de former un jugement rationnel et intact »[10]. Dans le cas de Koufontinas, elle a été ordonnée par le procureur du tribunal local de première instance, une décision prise sans concertation qui a montré que le pouvoir n’était pas disposé à céder, condamnant ainsi implicitement à mort le gréviste
C’est finalement la mobilisation populaire multiforme et le soutien international qui a incité Dimitris Koufontinas à annoncer l’arrêt de sa grève de la faim le 14 mars. Un appel des mouvements de gauche a également été lancé le 64ème jour de la grève, après l’épuisement de tous les recours légaux pour obtenir le transfert dans la prison de Korydallos, qui demandait à Koufontinas de se réalimenter tant que la mobilisation se poursuivait.
Une fuite en avant autoritaire qui se poursuit
Le bref aperçu des luttes qui ont (et qui continuent de) mobiliser des milliers de personnes en Grèce, et ailleurs dans le monde en solidarité, contre la création d’une police universitaire et les violences d’une police agissant en toute impunité, avec le soutien des médias et du gouvernement, marque le début d’une montée des luttes et des résistances sociales. Le mouvement pour la liberté et la dignité du peuple grec rejoint les combats des peuples de Belgique, de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Espagne, de Turquie, de Chypre et d’ailleurs, c’est pourquoi il est important de faire circuler l’information. La mobilisation de rue et la solidarité sont au centre de ce combat pour une démocratie en perdition. Les Grec.que.s ne sont pas dupes, ils et elles savent que derrière l’affaire Koufontinas se cachent les Etats-Unis, et que derrière la loi Éducation et les violences policières, on retrouve la mouvance néofasciste d’Aube Dorée. En octobre dernier, les mouvements antifascistes criaient « les nazis en prison », appelant le tribunal à condamner les membres d’Aube Dorée. Demain ils et elles appelleront les membres de Nouvelle Démocratie à les rejoindre.
Merci à Marina Kontara pour ses suggestions et sa relecture.
Notes
[1] Le chef de la brigade « Drasi » (Action) n°36 a été filmé en train de dire à ses subordonnés qu’ils pouvaient tuer des manifestants : https://www.youtube.com/watch?v=csD6-Juy5GI
[8] Un site internet nommé très ironiquement « memonomena peristatika » (incidents isolés), regroupe des images de violences policières afin de démontrer qu’il s’agit bien d’incidents systématiques et pas du tout « isolés » comme le prétendent les médias : https://memonomenaperistatika.gr/
[9] Sur le procès du groupe et le contexte historique, cf. Eleni Varikas , « Grèce : quand la procédure pénale écrit l’histoire », Vacarme, 2003, n° 23, p. 120-123. en libre accès sur cairn.info/revue-vacarme-2003-2-page-120.htm
« On ne retire aucun mot, on ne baisse pas d’un décibel »
Solidarité avec les artistes en lutte
Nous subissons une énorme attaque du capitalisme et de la soi-disant « démocratie » qui le sert. Cette attaque nous frappe sur les lieux de travail, elle a frappé les étudiants et frappe maintenant même le monde de l’art.
Dans notre pays, le pouvoir a abandonné les artistes au chômage. Au moment où tous les lieux de culture sont fermés, il préfèrent donner de l’argent aux flics, aux médias et aux grandes entreprises (Aegean, Entrepreneurs des péages) au lieu d’accorder une allocation aux artistes pour qu’ils puissent vivre. Mais que peut-on attendre d’un gouvernement qui cherche sa clientèle dans les églises plutôt que dans le théâtre.
Mais il n’en est pas resté là. Il a ensuite tenté de faire adopter une loi qui contrôlerait également l’Art, poursuivant toute personne qu’ils considéraient comme une menace. Si nous ne résistons pas, la Loi contre l’Art sera – sous une forme ou une autre – un fait accompli. Cela devient plus effrayant encore si l’on pense que d’armes supplémentaires sont données au Service (anti)-terroriste qui a emprisonné Irianna et Theofilou, fabriquant des preuves contre eux comme il sait si bien le faire.
Cette tentative de faire taire tous ceux qui résistent, s’étend à d’autres pays que la Grèce.
En Espagne, un artiste, le communiste catalan Pablo Hasel, est en prison pour avoir commis le « crime » d’insulter le roi. On dirait une actualité des années 1920, mais cela s’est produit juste avant-hier. Au XXIe siècle, il y a encore des rois, avec ou sans couronne. Quand on les défie véritablement, ils vous persécutent sous couvert d’une prétendue démocratie. Contre Hasel, l’Etat espagnol a avec lui tous les puissants, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. Activement ou avec leur silence consentant. Le roi, le gouvernement social-démocrate, l’Union européenne, les descendants de Franco.
Nous, en Grèce, en Turquie, en Catalogne, tout ce que nous avons, c’est nous-mêmes – la Solidarité internationale.
Nous, les travailleurs et travailleuses de SE VIOME, ressentons le besoin de soutenir les travailleurs de l’Art. Car pendant toutes ces années, des centaines de personnes sont venues dans notre usine pour montrer leur solidarité et dresser leurs partitions comme un bouclier contre la répression.
Les ouvriers de l’usine VIOME occupée envoient leur solidarité à Pablo Hasel et à tous les artistes qui se battent contre les rois, qu’ils aient des trônes ou de grandes entreprises.
Initiative des étudiant-e-s, travailleurs et travailleuses grecques à Paris
Cher.e.s tou.te.s
A l’occasion du « Marche pour une vraie Loi Climat » prévu pour le 28 mars, il convient de rappeler un crime environnemental toujours en cours dans le nord de la #Grèce . Nous partageons donc avec vous le texte de l’Initiative des étudiant-e-s, travailleurs et travailleuses grecques à Paris, concernant les mines de l’entreprise Eldorado en Chalcidique.
« Une lutte au nord de la Grèce, la lutte de Chalcidique »
Depuis les années 2000 l’entreprise canadienne Eldorado Gold Corporation s’est installée en Chalcidique avec l’appui d’hommes politiques peu scrupuleux, dans le but de faire de la Grèce le premier pays d’exploitation aurifère en Europe.
La Chalcidique est une région riche qui vit du tourisme, de l’agriculture, de la pêche. La mine d’or à ciel ouverte avec les mines souterraines qu’Eldorado installe signifierait avec la pollution la mort des ses forets, de sa mer, de l’économie régionale.
Des milliards de tonnes de déchets vont s’amonceler chaque jour dans la région dont 450 000 tonnes d’arsenic, capables de tuer toute la population de la terre.
La Nouvelle Démocratie, veut absolument ouvrir cette mine, elle a changé la loi pour la protection de l’environnement pour cela (mais aussi pour construire des complexes hôteliers près de la mer).
Depuis le début de la lutte contre l’entreprise et son projet mortifère, 500 personnes ont été attaquées en justice.
Retour sur la mobilisation pour Dimitris Koufontinas Michalis Lianos paru dans lundimatin#280, le 22 mars 2021
Comme nous l’avons évoqué dans nos éditions précédentes, la grève de la faim du militant Dimitris Koufontinas a suscité de très vifs débats et une forte mobilisation d’une partie de la société grecque. Nous avons demandé au sociologue Michalis Lianos de nous éclairer sur le rôle que joue encore aujourd’hui la possibilité ou du moins le symbole de la lutte armée en Grèce.
Le soutien important à Dimitris Koufontinas
La grève de la faim de Dimitris Koufontinas [1] rend visibles les lignes de faille politiques de la société grecque. Que le sort d’un homme coupable de 13 assassinats et d’une longue série d’actions violentes provoque d’importantes manifestations et suscite un débat médiatique et social massif peut apparaître incompréhensible en dehors de la Grèce. D’autant que ces manifestations surgissent à la suite d’une revendication ’’mineure”, à savoir le transfert d’une prison du centre du pays vers une prison d’Athènes.
Tout cela peut apparaître tout aussi surprenant que les t-shirts à l’effigie de Koufontinas qui se vendaient dans le centre-ville d’Athènes au moment du procès du groupe « 17 novembre » [2] en 2003 ; ou encore qu’après chaque action du groupe entre 1975 et 2002, la presse à grand tirage se ruait pour publier les communiqués du groupe, que les exemplaires s’arrachaient immédiatement, nécessitant parfois une seconde édition pour satisfaire la demande du public.
Le rapport qu’entretient la société grecque à la violence politique ne peut se comprendre qu’à la lumière de la guerre civile qui a suivi l’occupation allemande. Aucune pensée depuis, de gauche ou de droite, n’a échappé à sa surdétermination par ce conflit armé, profondément idéologique, dont les perdants n’ont cessé d’être persécutés qu’en 1974, après la chute de la dictature des colonels [3] . La perception même de la guerre civile en tant que conflit politique et non pas en tant que « guerre nationale contre des bandits », n’a commencé à émerger officiellement qu’en 1981, avec l’arrivée du PASOK [4] au pouvoir. Tous les baby-boomers grecs, dont Koufontinas, sont des enfants et des petits enfants de ces générations qui ont témoigné, participé ou souffert, directement ou indirectement, de la guerre civile. Exemple typique, Koufontinas lui-même, a milité au PASOK avant de comprendre que ce parti ne se consacrait pas aux idéaux désintéressés d’un communisme de plus en plus libertaire qui représentait l’esprit indomptable et altruiste des partisans.
Les résurgences de la résistance
Si la droite a indéniablement gagné sur tous les terrains, la gauche a gagné ce qui se nomme dans le débat politique grec « l’avantage moral », à savoir la quête des grands idéaux égalitaires et la volonté de tout sacrifier pour ne pas renoncer à cette quête. La lutte armée partisane et ses conséquences forment ainsi le lit idéologico-politique et émotionnel de tout le spectre de la gauche, du socialisme de rupture au communisme orthodoxe, de l’anarchisme aux mouvements libertaires les plus pacifistes. Autrement dit, toute la gauche grecque porte encore en elle la question de l’action – ou du moins, de la réaction – armée. Naturellement, le rapport à l’ordre est tout aussi traversé par cette question et l’État et ses appareils, notamment policiers et juridiques, sont ainsi considérés dans leur cadre historique comme des institutions de la répression politique.
Avec la fin du groupe 17 Novembre en 2002, on pouvait imaginer que la question de la lutte violente s’effacerait au sein de la gauche grecque. C’était une période pendant laquelle certaines couches sociales connaissaient une amélioration de leurs conditions de vie, favorisant aussi un endettement important des ménages. Cependant, la mort du jeune Alexis Grigoropoulos atteint par un tir de policier en 2008 a déclenché des troubles majeurs, portés cette fois par une nouvelle génération, ce qui a conduit à la constitution de nouveaux groupes d’action politique violente. Mais la tendance lourde semblait être bien orientée vers le passage à une nouvelle période de bien être, alimenté par des revenus satisfaisants et des prêts généreux, une époque qui aurait mis en sourdine l’histoire politique et aurait avancé vers une culture sociale-démocrate majoritaire. Tout cela fut rapidement réduit à néant par la crise financière de 2008 et la révélation d’une dette grecque colossale, constituée avec l’aide hautement rémunérée de Goldman Sachs. La classe politique fut alors perçue comme une classe profondément corrompue et les classes aisées comme des charognards ayant transformé les fonds publics en milliards dissimulés dans leurs comptes off-shore.
C’est à cette période cruciale que la société grecque replonge dans la continuité d’une posture de désenchantement et de résistance. On le voit parfaitement dans les évolutions électorales avec SYRIZA qui arrive au gouvernement alors qu’il n’obtenaient qu’environ 4 % des votes auparavant, l’effondrement abyssal du PASOK et l’émergence d’Aube Dorée qui sort de la marginalité électorale. On le remarque aussi par la posture universelle de victime, adoptée sans hésitation et avec la plus grande virulence par les supporteurs précédemment loyaux de deux grands partis de pouvoir. Ainsi, toutes les générations de la petite et moyenne bourgeoisie se sont trouvées dans une posture très critique des institutions de gouvernance, voire du système politico-économique européen et international. L’avènement de SYRIZA au gouvernement signifie pour la gauche grecque la première opportunité de surmonter ses traumas historiques. L’attente est immense. Pour les électeurs tactiques, il s’agit de revenir aux conditions confortables précédant la crise tout en évitant de payer la dette du pays, pour les électeurs historiques de gauche, l’enjeu est de résister au système capitaliste international et de prendre une voie alternative, loin de ses dictats. Les premiers seront déçus sur le plan pragmatique, les seconds meurtris sur le plan politique. C’est cette gauche historique qui forme actuellement le noyau dur d’une posture de résistance à tout ce qui est proposé ou imposé par le modèle hégémonique de la gouvernance sociale et économique.
La valeur de la lutte en soi
Le 17 Novembre était pour une partie considérable des grecs un rappel que les puissants n’étaient pas incontestables, car le groupe semblait se tenir à des actions ciblées [5] . Koufontinas s’est révélé être le bourreau principal du 17 Novembre, cela dès le début de son intégration, probablement en 1983. C’est ce qui lui a valu le sobriquet de farmakohéris (littéralement, « main empoisonnée »). En cavale pendant quelques semaines après l’arrestation de ses camarades, il s’est rendu à la police en déclarant qu’il assumait la responsabilité politique des actions du groupe. Cela a contribué à son image publique en tant qu’individu maître de ses choix et s’est confirmé par son comportement durant le procès, en tension avec d’autres membres de l’organisation ; aussi, par son attitude de protection paternaliste envers Savas Xiros, lourdement blessé par un explosif qu’ils tentaient d’installer ensemble, événement qui a précipité le démantèlement du 17 Novembre.
Koufontinas a débuté sa cinquième grève de la faim le 8 janvier 2021 et l’a arrêtée 66 jours plus tard, le 14 mars. Pendant ces 66 jours, de façon progressive, l’affaire a atteint une importance nationale sur laquelle se sont prononcés, en plus des ministres du gouvernement de droite concernés, les chef.fe.s des partis, le Défenseur des droits, les associations des droits de l’homme, le Syndicat des magistrats, le Barreau d’Athènes et une multitude d’artistes et d’intellectuel.le.s de gauche. Plus encore, ce sont tous les grecs qui se sont formés un avis quant à la légitimité de cette demande de transfert d’une prison à une autre.
Évidemment, il serait parfaitement illusoire de considérer que la mobilisation et l’émotion autour de cette affaire relèveraient d’une sensibilité des citoyens grecs aux droits des personnes incarcérées ou même aux droits de l’homme en général. Il y aurait malheureusement une myriade d’occasions pour exprimer une telle sensibilité, et à propos d’affaires bien plus graves qu’un transfert entre prisons. La revendication de Koufontinas en revanche a atteint la plus haute instance du pays, à savoir le Conseil d’État qui l’a rejetée.
La division de l’opinion publique sur l’affaire fut grosso modo tripartite. Pour la droite dure nationaliste Koufontinas est un simple voyou dont la mort, de n’importe quelle cause, serait juste et bienvenue. Pour la gauche non-réformiste, la question est présentée à la surface comme une question de droits de l’homme avec le fond historique que nous avons déjà évoquée. Pour le centre droite et centre gauche il s’agit de se focaliser sur le caractère inadmissible des actes de Koufontinas vues comme des atteintes terroristes à la démocratie et, par conséquent, sur la repentance de leur auteur. Ces deux dernières perspectives se sont affrontées, juridiquement et politiquement : quelqu’un qui n’a exprimé aucun remord pour ses actes, mérite-t-il la clémence du système pénal ? Cette dichotomie renouvelle exactement la ligne de faille historique autour de la lutte armée. Durant les décennies qui ont suivi la guerre civile, les prisonniers politiques pouvaient mettre fin à leur incarcération ou leur déportation en signant une « déclaration de repentance » désavouant leurs idéaux. Le faire, était considéré dans leur camp comme une trahison ; assumer leurs actions avec fierté était, a contrario, source d’estime.
Koufontinas ne se présente ni en assassin repenti ni même en révolutionnaire retraité. Il offre ainsi à la partie non-réformiste de la gauche un symbole de défiance indéfectible à partir d’une position indéniable de défaite. Dans un cadre où la défaite de cette gauche est omniprésente, où les conséquences du Covid se sont ajoutées à des longues années de chômage, de réduction des salaires et des retraites, de soumission aux recettes du FMI et de la BCE, de l’échec des ambitions du gouvernement de SYRIZA, ce geste de défi revêt une dimension rassurante. En effet, la seule idée qui permette aux vaincus de rester dignes, c’est qu’ils ne se rendent pas et continuent de lutter. La déclaration de Koufontinas à l’arrêt de sa grève de la faim ne dit pas autre chose : « La solidarité et le soutien [à son action…] ont montré l’existence de forces sociales vives résistant au pouvoir arbitraire, à la violence et à l’autocratie. Cela représente un nouvel espoir ».
Seules les métamorphoses des enjeux politiques en Grèce peuvent expliquer comment un homme ayant choisi l’action politique violente dispose aux yeux de la gauche de la crédibilité nécessaire pour accuser de violence ses adversaires. Derrière la posture de Koufontinas se trouve l’ombre de quatre-vingt ans de nobles espoirs déçus et de défaites successives.
[1] Cet article se fonde sur plusieurs éléments empiriques, dont la longue observation du procès du 17 Novembre pour le compte du Barreau d’Athènes en 2003 et aussi du mouvement des places en Grèce en 2011. Le titre rend hommage au travail de Robert Castel sur les métamorphoses de la question sociale en France.
[2] Le 17 novembre 1973 est la date de l’insurrection des étudiants contre la junte des colonels.
[3] C’est alors parfaitement interprétable que pour la une de son livre intitulé « je suis né le 17 novembre », Koufontinas choisit l’image reproduite ici des partisans de la guerre civile, combinée avec une image de l’insurrection du 17 novembre 1973 incluant les slogans « États-Unis dehors » et « Pouvoir au peuple ».
[4] « Mouvement Socialiste Panhellénique », parti ayant une trajectoire semblable à celle du Parti Socialiste français.
[5] Même si la liste des assassinats incluait deux chauffeurs de personnes ciblées et un policier tué à bout portant, peut-être par Koufontinas, lors d’un braquage de banque.
Crédit Photo De l’argent pour la santé, pas pour la répression et le terrorisme. Ef Syn
Les droits démocratiques violemment attaqués en Grèce comme au «sale vieux temps» ?
Ces dernières semaines, poussé par ses échecs chaque jour plus évidents (manque de soignantEs, dette croissante…) et par de très fortes mobilisations contre sa politique (éducation, santé, environnement…), le gouvernement « orbanisé » de Mitsotakis a accentué sa politique répressive, avec la volonté manifeste d’en faire un axe central.
La défense des droits démocratiques relève de l’urgence, même si les grosses manifestations qui ont rempli la semaine écoulée n’oublient pas pour autant les revendications sociales. Face à une droite dont l’inspiration actuelle renvoie à la période de la junte (1967-1974), pour ne pas dire de la guerre civile (1945-1949), la lutte contre l’État policier est une priorité.
Trois luttes pour les droits
– On assiste à des luttes étudiantes massives contre la loi de privatisation et de répression, avec 20 millions budgétés pour créer un corps de 1 000 policiers dans les facs ! La loi a été votée, mais manifs et occupations continuent. La police est intervenue violemment la semaine dernière à Salonique contre l’occupation de la présidence, déclenchant des manifs géantes, avec participation des enseignantEs. À Ioannina, la ministre de l’Éducation a carrément ordonné au président de la fac occupée d’appeler la police, ce qu’il a refusé ! Et partout dans le pays, on voit descendre des milliers de jeunes dans les rues, contre la répression et pour le droit aux études ;
– Mobilisations également, à l’appel d’organisations solidaires, en soutien aux droits du prisonnier politique Koufondinas qui après 65 jours, vient d’arrêter sa gréve de la faim ;
– En partie en conséquence des deux mobilisations précédentes, portée entre autres par l’Initiative des juristes et des avocats, la défense des droits démocratiques a pris cette semaine une très forte dimension, après que dimanche dernier, des habitantEs de Nea Smyrni, banlieue d’Athènes, se sont vu ordonner sans raison de quitter la place où jouaient leurs enfants, par des flics de Drasi, une unité de « voltigeurs » tristement célèbres pour leur violence… qui s’est ensuite déchaînée contre un jeune solidaire, battu et injurié (« On espère te voir crever, les gens comme toi et Koufondinas »…). Mais ce qui a suivi cet acte terroriste, ce n’est pas la peur, mais une immense colère populaire, qui a culminé le mercredi où plus de 10 000 habitantEs ont manifesté dans la ville, avec plus tard des flics déchaînés frappant et arrêtant sans motif, sous les huées des gens aux balcons. Et alors que s’accumulent les témoignages de violences policières (« Venez, on va les tuer »), de menaces de viols, et la dénonciation d’une politique de terreur (depuis novembre, 839 interpellations, 376 arrestations, rappelle le journal Ef Syn), le week-end dernier ce sont des milliers de manifestantEs qui se sont rassemblés dans de nombreuses villes.
Même pas peur
Impressionnant : dans les manifs, on voit avant tout des milliers de jeunes crier « Le terrorisme ne passera pas ». C’est le fruit des années de luttes contre les nazis armés et protégés par la police, mais aussi le refus déterminé de la droite au pouvoir, ce que confirment les sondages. Le gouvernement est bousculé, ses mensonges et sa manipulation des médias apparaissent de plus en plus, c’est un premier pas très important. La suite dépendra bien sûr des capacités d’agir en front uni, cela se dessine un peu ici ou là, mais déjà le succès des rassemblements du week-end dernier dans des banlieues ouvrières (Elefsina, Egaleo…) est un indice de l’ampleur de la colère de classe !