Publications par catégorie

Archives de catégorie Les réfugiés-migrants Les exilés

L’UE et l’aide à la Turquie contre les réfugiés

L’Europe paye des équipements militaires à la Turquie pour refouler les réfugiés

Par John Hansen (Politiken), Emilie Ekeberg (Danwatch) et Sebnem Arsu (The Black Sea)

Mediapart et l’EIC révèlent que l’argent de l’Union européenne a permis à la Turquie de s’équiper en véhicules blindés afin d’empêcher le passage de réfugiés à sa frontière avec la Syrie. Cette opération pourrait avoir causé de nombreuses victimes parmi les Syriens tentant de fuir la guerre, alors que la prise d’Afrin par l’armée turque va pousser encore des milliers de personnes sur la route de l’exil

Enquête menée par Politiken et Danwatch avec Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC).– Quand les soldats turcs ont ouvert le feu, Ibrahim Khaled a pris sa mère par la main et s’est mis à courir. Il a entendu le cliquetis des armes à feu, entendu les cris des réfugiés frappés par les balles, et a été projeté à terre. Khaled ne s’est pas retourné. « J’ai senti que si je m’arrêtais là, je serais tué ou arrêté », dit-il.

capture-d-ecran-2017-03-30-a-16-42-21

Pendant des heures, Khaled et sa mère ont couru dans la direction que le passeur leur avait indiquée. Ils ont marché à travers des champs d’oliviers, ont rampé sur des pierres jusqu’à atteindre un village turc. De la soixantaine de réfugiés qui avaient quitté le camp près de Darkush, dans la province syrienne d’Idlib, seule une poignée a traversé la frontière. Khaled ne sait pas ce qui est arrivé aux autres. Ils sont probablement morts ou de retour en Syrie, pense-t-il. « Nous avons eu de la chance. »Khaled est assis dans un appartement nouvellement construit en périphérie de Mersin, dans le sud-est de la Turquie, où lui et sa mère ont trouvé refuge après leur fuite à l’automne dernier. Il porte un jean déchiqueté et un pull qu’un voisin lui a donnés. Ses yeux sont fatigués, son front est plissé de rides. Khaled s’est longtemps posé la question de savoir s’il devait parler avec des journalistes des violences à la frontière turco-syrienne. Il a peur que les autorités turques ne se vengent sur lui. Dernièrement, il a accepté de nous accorder une interview à la condition que son nom soit changé. « Je veux que le monde sache ce qui nous arrive à nous, Syriens », dit-il.

Des réfugiés syriens qui attendent de passer en Turquie, près de la frontière, le 7 février 2016. © Reuters Des réfugiés syriens qui attendent de passer en Turquie, près de la frontière, le 7 février 2016. © Reuters

La guerre civile en Syrie entre dans sa huitième année. Plus de 350 000 personnes ont été tuées à ce jour, des millions ont été déplacées. Et bien qu’il n’y ait toujours pas de paix en vue, les pays voisins de la Syrie ont fermé les voies d’échappatoire. Le Liban, la Jordanie et la Turquie, qui accueillent ensemble plus de cinq millions de Syriens, refusent d’accepter davantage de demandeurs d’asile. La Turquie a construit sur sa frontière avec la Syrie un mur de trois mètres de haut et long de plusieurs centaines de kilomètres.

Khaled raconte que des soldats turcs ont ouvert arbitrairement le feu sur des réfugiés. Les détails de son témoignage sont difficiles à vérifier, mais ils sont cohérents et coïncident avec les déclarations de plus d’une douzaine de témoins avec lesquels le Spiegel s’est entretenu. L’ONG Human Rights Watch a révélé des cas similaires début février : des soldats turcs ont forcé des réfugiés à retourner en Syrie et ont tiré de manière indiscriminée, selon l’organisation.

Il y a précisément deux ans, le 18 mars 2016, l’Union européenne et Ankara concluaient un accord selon lequel les Européens allaient verser 3 milliards d’euros à la Turquie en échange du maintien des réfugiés sur son sol (en attendant un deuxième volet de 3 milliards d’euros). Les dirigeants européens ont prétendu que cet accord avait permis de contenir la « crise des réfugiés ». En réalité, la crise s’est simplement déplacée. À présent, les gens meurent moins fréquemment dans la mer Égée, où le nombre d’embarcations traversant vers la Grèce s’est réduit drastiquement une fois l’accord passé. Mais ils meurent sur la frontière turco-syrienne.

Officiellement, les milliards de l’Europe servent exclusivement à aider la Turquie à gérer les réfugiés sur son sol et à les empêcher d’entrer en Europe. C’est faux. Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC) révèlent que l’Union européenne a payé à la Turquie pour 83 millions d’euros de véhicules militaires et d’équipements de surveillance afin de traquer les réfugiés. Y compris à la frontière turco-syrienne, pourtant officiellement ouverte.

Les journalistes de l’EIC se sont plongés dans les centaines de contrats européens. L’un d’entre eux montre que l’Union européenne a financé à 75 % l’achat par la Turquie de 82 véhicules blindés Cobra II, dont le coût total est de 47,5 millions d’euros. Ces engins, équipés de périscopes, peuvent patrouiller le long du mur côté turc tout en localisant les réfugiés approchant de l’autre côté. Produits par Otokar, l’un des plus gros industriels turcs de l’armement, ces véhicules ont été livrés aux forces armées turques au printemps 2017.

Le Cobra II, de l'industriel turc Otokar. 82 de ces véhicules blindés ont été payés par l'UE, qui prétend pourtant ne pas financer d'équipements militaires à la Turquie. © Otokar Le Cobra II, de l’industriel turc Otokar. 82 de ces véhicules blindés ont été payés par l’UE, qui prétend pourtant ne pas financer d’équipements militaires à la Turquie. © Otokar

Ils font aujourd’hui partie de l’infrastructure de surveillance de ce qui va devenir bientôt le troisième mur le plus long du monde : 900 km de béton équipés de drones, de caméras thermiques, et de tours de tir télécommandées et automatisées de manière « intelligente ». Des haut-parleurs diffusent des messages, avertissant les gens, en turc et en arabe, de ne pas s’approcher davantage. De l’artillerie lourde ouvre le feu si ces avertissements sont ignorés. Les caméras thermiques sont capables, par temps clair, de repérer trois personnes debout d’une taille de 1,80 m à une distance de dix kilomètres. En d’autres termes, l’équipement financé par l’Union européenne aide à repérer des réfugiés qui essaient de traverser le mur frontalier et risquent d’être touchés par des tirs… et tués.

Le mur construit par Ankara maintient par ailleurs des centaines de milliers de réfugiés syriens coincés dans une zone de guerre. On estime que plus de 200 000 personnes ont été déplacées dans le nord de la Syrie depuis la mi-décembre, et il faut s’attendre à ce que la prise par l’armée turque, ces derniers jours, de la ville kurde d’Afrin provoque de nouveaux flux de réfugiés.

La Turquie assure que la frontière est toujours ouverte pour les demandeurs d’asile, ce qui est contredit par différentes sources turques et syriennes proches de la frontière. L’Institut international pour les études stratégiques (IISS) notait déjà en juin 2017 que la Turquie avait rendu « pratiquement impossible pour les réfugiés syriens le passage de la frontière légalement ». « La Turquie assure que sa politique de la “porte ouverte” est toujours en vigueur, mais dans la réalité, elle est presque fermée », estimait alors l’institut.

Depuis septembre dernier, 42 civils ont été tués alors qu’ils tentaient de passer de Syrie en Turquie, selon Rami Abdulrahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) confirme qu’il est devenu pratiquement impossible de traverser la frontière (excepté pour les personnes gravement blessées ou malades), alors que le nombre de réfugiés fuyant la Syrie est en hausse.

On assiste à une violation des droits humains, selon Thomas Gammeltoft-Hansen, directeur de recherche à l’Institut danois des droits de l’homme et du droit humanitaire Raoul-Wallenberg. « Si des balles mortelles sont tirées sur des réfugiés essayant de traverser la frontière, c’est une violation pure et simple des droits humains, rappelle-t-il. Si le mur frontalier enlève aux Syriens toute possibilité de demander l’asile, c’est une autre violation du droit international, en particulier du principe de non-refoulement. »

La fourniture de matériel à la Turquie par l’Union européenne pourrait rendre cette dernière complice de violation des droits humains à la frontière turco-syrienne. « S’ils savent que l’équipement est utilisé d’une façon qui viole les droits des réfugiés, les membres de l’UE sont par principe complices », ajoute Thomas Gammeltoft-Hansen.

309 millions d’euros côté français

Interrogée par l’EIC, la Commission européenne nous a répondu que « l’Union européenne ne fournit pas d’équipements militaires ou létaux à la Turquie ». Les Cobra II sont pourtant bien des engins militaires. La Commission ajoute que l’accord avec la Turquie prévoit que les véhicules soient « exclusivement affectés à la surveillance des frontières et que toute modification ou changement d’affectation des équipements requiert l’autorisation écrite de la commission ».

Sauf que Bruxelles n’a pas les moyens de contrôler ce que fait le régime autoritaire d’Erdogan de ses armes. Plusieurs experts des droits de l’homme craignent d’ailleurs que la Turquie n’utilise cet équipement financé par les fonds européens pour les opérations militaires menées actuellement dans les zones kurdes de Syrie, ou pour la répression visant sa propre population. Des photos de l’invasion par l’armée turque de la province kurde d’Afrin depuis fin janvier montrent que des véhicules Cobra II ont été utilisés. Mais au lieu de périscopes avec des caméras thermosensibles, ils ont été équipés d’armes.

Le caractère problématique des financements européens ne se limite pas à la frontière turco-syrienne. Pour aider la Turquie à surveiller sa portion de frontière terrestre avec la Grèce, l’Union européenne a financé des véhicules militaires plus monstrueux encore que les Cobra II, selon l’enquête de l’EIC.

En mai 2017, Aselsan, une société détenue à 84 % par l’armée turque, a remporté un contrat à hauteur de 30 millions d’euros avec l’Union européenne pour fournir à la Turquie 50 véhicules pour patrouiller à la frontière grecque, dont 20 sont dotés d’un blindage extrêmement épais afin de protéger les véhicules des mines et grenades. Selon les documents européens consultés par l’EIC, ces engins sont des contributions de l’Europe à « la prévention de l’immigration illégale, du trafic humain, des crimes de passage des frontières [« cross-border crimes »], et du système des passeurs ».

L’un des industriels qui a étudié l’appel d’offres s’est retrouvé perplexe devant la disproportion apparente entre l’objectif affiché et les spécifications techniques de ces véhicules, « clairement exagérées » pour des engins censés être utilisés à la frontière de la Turquie avec l’Union européenne. Mais l’UE a été ferme : le blindage lourd est absolument requis, dit-elle dans sa réponse, sans en expliquer les raisons.

Le monstrueux véhicule militaire turc Hizir, dont 50 exemplaires ont été commandés par l'UE pour traquer les réfugiés à la frontière gréco-turque. © Katmerciler Le monstrueux véhicule militaire turc Hizir, dont 50 exemplaires ont été commandés par l’UE pour traquer les réfugiés à la frontière gréco-turque. © Katmerciler

On comprend que Bruxelles soit très discret sur la question. Aselsan, qui a remporté l’appel d’offres, ne fournira en réalité que l’équipement électronique. Selon l’enquête de l’EIC, les véhicules sont des Hizir, d’impressionnants engins de guerre (notre photo ci-dessus) fabriqués par Katmerciler, un industriel appartenant à un ancien député de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan. Le président turc est un grand fan de l’Hizir, dont il a dévoilé le prototype en novembre 2016 lors d’un salon militaire, six mois avant que l’UE n’en finance 50 exemplaires.

L’appel d’offres de Bruxelles stipulait pourtant que les véhicules devaient avoir été mis sur le marché depuis un an. Ce n’est pourtant pas le cas des Hizir, dont les premiers exemplaires sont récemment sortis de l’usine, et qui sont toujours en cours de test avant leur livraison prochaine à l’armée turque.

Lorsque, en 2016, l’Union européenne a promis à Erdogan 3 milliards d’euros en échange de son accord pour reprendre tous les réfugiés syriens arrivant sur les îles grecques, il était pourtant statué que cet argent serait uniquement utilisé pour aider à l’accueil des plus de 3,5 millions de réfugiés syriens vivant en Turquie.

Or sur ces 3 milliards d’euros qui ont été collectés auprès des États membres de l’UE (la quote-part de la France dans ce programme s’élève à 309 millions d’euros), une partie a été utilisée pour financer six bateaux de patrouille à destination des gardes-côtes turcs. Lesquels, selon plusieurs ONG opérant dans ces zones maritimes, arrêtent agressivement les réfugiés tentant de quitter la Turquie, mettant parfois les embarcations de réfugiés en danger.

« Juste après que l’accord avec la Turquie a été mis en place, il était évident que les gardes-côtes turcs faisaient tout pour arrêter les gens qui traversaient la mer, explique Ruben Neugebauer, porte-parole de Sea-Watch, l’une de ces organisations. Il y a différentes tactiques. Parfois nous voyons des bateaux turcs naviguer autour des canots pneumatiques, provoquant des vagues, les mettant en danger de telle sorte que parfois les réfugiés décident de rentrer par eux-mêmes. Parfois, ils chassent les bateaux et frappent même les gens à coups de bâton afin de les faire repartir. »

En réponse à cette interpellation, les gardes-côtes turcs ont publié une déclaration disant qu’ils étaient mandatés pour arrêter les bateaux de réfugiés avant qu’ils ne pénètrent dans les eaux européennes. Les bâtons, expliquent-ils, sont utilisés pour tenter d’endommager les moteurs et les hélices de façon à attacher les petites embarcations aux plus gros bateaux des gardes-côtes pour les tirer vers les côtes turques.

Entre la Turquie et la Grèce, mars 2016. © Enough is Enough TV
Entre la Turquie et la Grèce, août 2017. © Epoca Libera

Mais ce n’est pas le seul cas d’abus présumé commis à bord de ces bateaux financés par l’argent européen. L’ONG Lighthouse Relief a publié une déclaration commune avec le UNHCR pour exprimer sa préoccupation au sujet d’un incident survenu en novembre dernier, assurant que les gardes-côtes turcs avaient tiré en l’air et dans la mer, ce qui a provoqué le saut dans l’eau de plusieurs réfugiés.

Ces six bateaux de patrouille ont été commandés à un constructeur naval néerlandais, Damen, pour la somme de 18 millions d’euros – une somme qui vient pour partie du fonds danois d’aide au développement. Ils ont été livrés aux gardes-côtes turcs l’année dernière. Le dernier a été livré juste avant Noël. D’après la société navale, ces bateaux peuvent transporter jusqu’à 120 réfugiés et migrants en mer.

Ces fournitures d’équipement pour le contrôle des frontières à la Turquie font partie d’une tendance croissante au sein de l’Union européenne : « L’UE utilise de plus en plus le principe de la pleine concurrence et externalise le contrôle frontalier à des pays tiers au lieu d’effectuer son propre contrôle, fait valoir le chercheur danois Thomas Gammeltoft-Hansen. Vous financez le contrôle des frontières, mais vous ne voulez pas être là vous-mêmes car vous risquez de mettre en jeu votre responsabilité en termes de droits humains. » Une stratégie qui rappelle étrangement ce qui se passe aujourd’hui entre l’Italie et la Libye.

Un porte-parole de la Commission européenne a répondu par écrit aux questions de l’EIC en affirmant que l’Union européenne suivait « attentivement » la situation à la frontière turco-syrienne et qu’elle était consciente de l’existence de violences à la frontière, « mais n’a pas été capable d’obtenir de confirmation indépendante par ses sources ou par les autorités turques ». Sollicités depuis une semaine, l’ambassade turque à Copenhague et le gouvernement turc à Ankara n’ont pas donné suite aux sollicitations de l’EIC.

Mercredi 14 mars, l’Union européenne a donné son feu vert pour le versement du deuxième volet de l’aide promise à la Turquie. Trois nouveaux milliards d’euros vont être versés à Ankara.

Source Mediapart

Communiqué de SOS Méditerranée

COMMUNIQUE « SOS MEDITERRANEE préoccupée face à une nouvelle étape franchie dans la criminalisation de l’aide humanitaire en mer, exprime sa solidarité envers les sauveteurs d’Open Arms. »

Because of the meteo, The aquarius stay in Catane. The crew use this time for training.

Suite à la saisie d’Open Arms, un seul navire d’ONG reste actif en mer

Les ONG de recherche et de sauvetage travaillent dans un environnement dans lequel les ressources sont de plus en plus rares et le contexte sécuritaire complexe, face à l’une des crises humanitaires les plus tragiques aux portes de l’Europe. Pendant des mois, SOS MEDITERRANEE a travaillé aux côtés de ProActiva dans la zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales au large des côtes libyennes. Tout l’hiver, Open Arms et l’Aquarius ont été les seuls navires d’ONG à mener des opérations de recherche et de sauvetage en mer en continu, combinant leurs ressources à de multiples reprises afin de sauver des vies sous la coordination du Centre de coordination des secours en mer de Rome (IMRCC). A la suite de la saisie du navire Open Arms dimanche 18 mars, SOS MEDITERRANEE affrète désormais le seul navire dédié à la recherche et au sauvetage à patrouiller dans la zone SAR, ce qui n’est clairement pas suffisant par rapport aux besoins.

Augmentation des bateaux en détresse interceptés et ramenés en Libye 

Au cours des derniers mois, l’Aquarius a été de plus en plus souvent témoin d’interceptions de bateaux en détresse par les garde-côtes libyens dans les eaux internationales. Les rescapés sur l’Aquarius ont témoigné à plusieurs reprises du fait que les interceptions par les garde-côtes libyens augmentaient les risques de naufrage et de noyade. De plus, ces interceptions séparent des familles et ramènent les naufragés dans « l’enfer libyen » qu’ils tentaient justement de fuir.

Les garde-côtes libyens n’appartiennent pas à un centre de coordination des opérations de sauvetage maritime et aucune zone libyenne de recherche et de sauvetage n’a jamais été légalement établie par l’Organisation maritime internationale (IMO). De plus, en Libye, aucun port ne peut être considéré comme un port sûr (port of safety) comme l’exige le droit maritime international pour débarquer les personnes secourues.

SOS MEDITERRANEE appelle les Etats européens à garantir des activités de sauvetage en mer transparentes, légales, sûres et renforcées 

Depuis le début de sa mission en mer, SOS MEDITERRANEE n’a cessé de renouveler son appel à l’Union européenne pour fournir des ressources spécifiquement consacrées à la recherche et au sauvetage dans la zone. En attendant, SOS MEDITERRANEE fait face à des opérations de plus en plus complexes dans un contexte où le professionnalisme, la sécurité et la sûreté sont d’une importance majeure. À plusieurs reprises au cours des dernières semaines, la confusion dans la coordination des sauvetages dans la zone SAR a sérieusement mis en péril la sécurité des personnes en détresse et des équipes de recherche et de sauvetage.

« La saisie d’Open Arms et les enquêtes criminelles lancées à l’encontre de ProActiva Open Arms constituent des développements très préoccupants pour les activités de sauvetage en Méditerranée centrale. SOS MEDITERRANEE, préoccupée face à une nouvelle étape franchie dans la criminalisation de l’aide humanitaire en mer, exprime sa solidarité envers les sauveteurs d’Open Arms. Aujourd’hui, l’Aquarius est le seul navire de sauvetage présent en Méditerranée centrale. Jusqu’à quand ? », a déclaré Francis VALLAT, président de SOS MEDITERRANEE France.
Photo : Yann LEVY / SOS MEDITERRANEE

http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/CP-Openarms-21-03-2017

Maraude dans le Briançonnais : Résistance

Et pourtant c’est bien en France

Samedi 10/03/18, Montgenèvre (dans le briançonnais) aux alentour 21h.

Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver.

Au pied de l’obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux  enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête.

Nous sommes 2 maraudeurs à les trouver, à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre. Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’ emmener au plus vite à l’hôpital.

Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4 km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là…c’est l’urgence. J’ accélère à tout berzingue. C’est la panique à bord.
Lancé à 90km/h, j’ arrive à l’entrée de Briançon…et là, barrage de douane. Il est 22h. « Bon sang, c’est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez nous vos papiers ? Ou est ce que vous avez trouvé ces migrants? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »…

Un truc devenu habituel dans le briançonnais.  Je le presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus ! Une douanière me lance tout d’abord « comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ?» puis elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquence je suis incapable de juger l’urgence ou non de la situation. Cela m’exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d’évaluer une situation d’urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d’une heure à arriver. On est à 500 mètres de l’hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent  sur la banquette arrière. J’en peux plus. Un situation absurde de plus.

Il est 23h passés, les pompiers sont là…ils emmènent après plus d’une heure de supplice la maman à l’hosto. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variés, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre.

C’est à ce moment-là qu’on m’explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs.
Le père et les deux petits sont quant à eux expulsés vers l’Italie. Pendant ce temps-là , le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C’est un petit garçon, naît par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l’hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunit. La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexe et confirme l’incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières. Quand à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder…toutes les nuits.
Signé : Un maraudeur en infraction.

Grèce : 13 000 migrants toujours bloqués sur des îles

Grèce : 13 000 migrants toujours bloqués sur des îles

Deux ans après la signature de l’accord entre l’UE et la Turquie, il faut permettre aux demandeurs d’asile de rejoindre le continent en toute sécurité.

(Athènes, le 6 mars 2018) – Des milliers de demandeurs d’asile sont coincés sur des îles de la mer Égée, dans des conditions déplorables et sans accès à une protection adéquate ni à des services de base, ont déclaré aujourd’hui neuf organisations humanitaires et de défense des droits humains dans le cadre de la campagne #OpenTheIslands. Le gouvernement grec devrait agir immédiatement pour mettre fin à la « politique de confinement » qui maintient les demandeurs d’asile dans ces conditions sur les îles, et les déplacer en toute sécurité vers le continent.

Près de deux ans après la signature, le 18 mars 2016, de l’accord entre l’UE et la Turquie, plus de 13 000 hommes, femmes et enfants sont pris au piège sur ces îles, selon les estimations du gouvernement grec.

« La politique de confinement a transformé les îles grecques, autrefois symboles d’espoir et de solidarité, en prisons à ciel ouvert, plaçant entre parenthèses pendant des mois les vies des réfugiés, victimes de nouvelles souffrances », a déclaré Gabriel Sakellaridis, directeur d’Amnesty International en Grèce. « Les autorités grecques, avec le soutien de l’UE, doivent immédiatement faire venir les réfugiés sur le continent, pour qu’ils y soient en sécurité. »

La politique de confinement de la Grèce, mise en place avec le soutien de la Commission européenne et d’autres États membres de l’Union européenne, vise à empêcher les demandeurs d’asile de quitter les îles pour la Grèce continentale. Le gouvernement grec soutient également que cette politique est nécessaire pour remplir son engagement dans le cadre de la déclaration relative aux migrations signée entre l’UE et la Turquie.

Aux termes de cette déclaration, acceptée en mars 2016 par les 28 États membres de l’UE, tous les nouveaux migrants qui, après l’entrée en vigueur de l’accord, traversent la Turquie pour rallier les îles grecques doivent être refoulés vers la Turquie.

Athènes et ses partenaires de l’UE devraient garantir la protection de tous les demandeurs d’asile en Grèce. Le gouvernement devrait rapidement proposer un hébergement sûr et un accès aux services de base dispensés sur le continent, et créer un système permettant aux personnes d’être rapidement transportés vers les lieux d’hébergement répondant à leurs besoins médicaux et de santé mentale.

Comme il l’avait promis début décembre 2017, le gouvernement grec a transféré à titre d’urgence plus de 7 000 demandeurs d’asile des îles vers le continent. Mais, avec plus de 5 000 nouveaux arrivants depuis cette date, le nombre d’abris de fortune inadaptés a également crû dans des camps déjà surpeuplés.

Les « hotspots » (centre d’enregistrement de migrants) des îles de Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos, où sont regroupés la plupart des demandeurs d’asile, comptent encore près de 10 000 personnes dans des sites dont la capacité d’accueil maximale est de 6 292. Ces chiffres vont probablement augmenter à mesure que les demandeurs d’asile seront plus nombreux à se risquer à la traversée au printemps et cet été, exacerbant la situation d’urgence humanitaire sur les îles.

Sur place, beaucoup de migrants sont contraints de dormir sur le sol ou dans des tentes inadaptées aux fortes précipitations et au froid. Femmes et enfants, déjà victimes de violences et d’exploitation dans leurs pays de provenance, sont confrontés à des risques accrus de violences et de harcèlement sexuels, en raison des tensions, de l’insécurité et de la surpopulation. Les services de base tels que les toilettes et les douches sont inaccessibles aux personnes atteintes de handicap.

« Les migrants fuyant la guerre ou les abus ne devraient pas se sentir en danger une fois arrivées sur les îles grecques », a déclaré Eva Cossé, chercheuse sur la Grèce au sein de Human Rights Watch. « Les autorités grecques et de l’UE devraient œuvrer à restaurer la dignité et l’humanité des personnes en quête de protection, et commencer par mettre fin à la politique de confinement, cause d’énormes souffrances. »

En raison des moyens limités dont disposent médecins et avocats dans les « hotspots », la grande majorité des migrants ne peuvent y obtenir les soins médicaux dont ils ont besoin et la représentation ou les conseils juridiques auxquels ils ont droit. La plupart des enfants ne sont pas scolarisés. La surpopulation, l’insalubrité, l’accès inadéquat aux services de base et l’incertitude quant à l’avenir ont exacerbé les tensions dans les hotspots.

D’après les professionnels de santé en Grèce à être intervenus auprès d’eux, la politique de confinement et ses conséquences ont exacerbé la détresse psychologique des demandeurs d’asile.

Les organisations participant à la campagne #OpentheIslands, qui a débuté le 1er décembre, demandent au Premier ministre grec, Alexis Tsípras, de mettre fin à la politique de confinement. Les autorités grecques devraient immédiatement transférer les demandeurs d’asile sur le continent, et veiller concrètement à ce qu’aucun d’entre eux ne soit abandonné à des conditions déplorables. D’autres dirigeants de l’UE devraient adopter une position claire pour mettre fin à la politique de confinement qui continue de piéger les demandeurs d’asile se trouvant sur les îles dans le cadre de l’accord de l’UE avec la Turquie pour renvoyer les migrants en provenance de ce pays.

« La situation dans les îles grecques est au seuil de la rupture, les personnes déplacées dans les îles grecques étant confrontées à une violation quotidienne de leurs droits humains et à des conditions humanitaires en deçà des normes tolérables », a déclaré Marta Welander, la directrice exécutive de Refugee Rights Europe. « Une action urgente est nécessaire de la part du gouvernement grec et de l’UE pour défendre les droits humains des milliers de personnes bloquées sur les îles. »

Organisations signataires de ce communiqué :

Amnesty International

Caritas Hellas

Comité espagnol d’aide aux réfugiés (CEAR)

Conseil grec des réfugiés (GCR)

Forum grec des réfugiés (GFR)

Human Rights Watch

Oxfam

source https://www.hrw.org/fr/news/2018/03/06/grece-13-000-migrants-toujours-bloques-sur-des-iles

 

Les refoulements illégaux à Evros

Les refoulements illégaux à Evros (frontière gréco-turque) non seulement continuent mais leur nombre ne cesse d’augmenter. 

Selon le nouveau rapport du Conseil grec pour les Réfugiés, cette pratique de refoulement à la frontière nord-est de la Grèce est sur le point de devenir systématique.  Personne n’y échappe : mineurs, femmes enceintes, demandeurs d’asile dont la demande est en cours de traitement et même des syriens ayant obtenu le statut des réfugiés  peuvent à tout moment se retrouver embarqués sur un zodiaque en route vers la côte turque du fleuve qui sépare les deux pays. Le Conseil Grec pour les réfugiés a recueilli des nouveaux témoignages de 18 réfugiés qui ont été victimes de plusieurs violations de leur droits ,allant des injures et de coups de matraques jusqu’à la  soustraction des documents administratifs et des téléphones portables, l’enlèvement et la détention arbitraire en vue d’un refoulement vers la Turquie, le tout perpétré par la police grecque en étroite collaboration avec de groupes armés cagoulés.

Ces dénonciations viennent confirmer de  rapports similaires antérieurs d’Amnesty International et de l’ONG allemande ProAsyl ; ils campent  un décor cauchemardesque d’anomie la plus complète à laquelle seraient soumis les demandeurs d’asile à la frontière d’Evros.  Dans le collimateur de ces opérations secrètes de la police grecque se trouve tout étranger avec ou sans papiers qui croise le chemin des forces de l’ordre. Un Syrien dont la demande d’asile est en cours de traitement a été arrêté au moment où il se rendrait à son travail, tandis qu’une femme algérienne, enceinte de huit mois, a été refoulé de force vers la Turquie, manquant ainsi son rendez-vous fixé avec l’office grec d’asile.

Source Efimerida tôn Syntaktôn

Ce rapport  est d’autant plus inquiétant qu’il est publié juste  une dizaine de jours après la noyade de plusieurs personnes de nationalité turque, dont deux garçons de 3 et 5 ans dans les eaux glacées d’Evros. Il s’agissait d’une famille d’enseignants licenciés et poursuivis par le régime d’Erdogan.

La police grecque enlève et refoule nuitamment à la frontière, les réfugiés se noient et l’Europe est saine et sauve…

Vicky Skoumbi

Le traitement par l’UE des réfugiés

Intervention d’Omar Slaouti, militant antiraciste, lors d’une rencontre le  3 février 2018 à la Cité Internationale des Arts de Paris sur le traitement par l’UE des réfugiés. (Intervention faite à partir de travaux de cartographes, migreurop…sur l’assassinat des réfugiés par l’UE).

Il traite de  » la dépossession des corps », « l’invisibilité » qui se traduit par 2 termes l’injonction à l’assimilation ou l’intégration  » qui cache l’idée qu’on ne peut pas être différent et en même temps égal ».

Il met l’accent sur les images de réfugiés ( sans leur donner la parole) véhiculées par certains médias qui sont là pour provoquer la peur de l’invasion, de l’envahissement.

Il revient sur le terme de  » crise »  » la crise des réfugiés  » est ce qu’on parle de « la crise des actionnaires » la  » crise des banquiers » « la crise des capitalistes » le mot « crise » rend responsables ceux qui sont cités… »on écarte tout le processus temporel qui est à l’origine de mouvements de population ».

Ceux qui migrent ne font pas que franchir des frontières géographiques ils franchisent la frontière symbolique de la dignité. Cette » frontière de la dignité qui sépare un nous : occidental plutôt blanc moderne et civilisé d’un eux : plutôt africain, latino américain, barbare, et loin de notre modernité ».

« Le racisme n’est pas du tout un problème de relation interindividuelle, le racisme est d’abord et seulement un rapport social de domination construit entre celles et ceux qui ont de part leur statut politique qui lui même construit se situe à un certain niveau de la hiérarchie de l’échelle qui a été construite.

Il développe sur les politiques qui affament : une instrumentalisation politique de la famine.

Sur la question des réfugiés : Il relativise le nombre et les pays d’accueil. 83 % des réfugiés à l’échelle mondiale vont se retrouver dans les pays limitrophes du pays qu’ils quittent. Ce sont les pays les plus pauvres ( une dizaine) qui accueillent le plus.

Durée de l’intervention 30mn. Vidéo de 60mn avec les questions de la salle.

Voir l’intervention complète https://www.facebook.com/parolesdhonneurtv/videos/1898631100194282/

Le tribunal permanent des peuples condamne l’UE et la France

Gus Masiah ( Économiste, Ingénieur, spécialiste de l’urbanisme, altermondialiste) était l’invité de Noël Mamere sur le Media ce mardi 6 février 18 .

Dans cet entretien de 16 mn il évoque le rôle mais aussi le poids du Tribunal permanent des peuples qui est un tribunal d’opinion saisi par des mouvements ou des associations . Fondé en 1979 par Lelio Basso

Le dernier en date s’est tenu les 4 et 5 janvier à Paris, au Centre International de Culture Populaire (CICP), pour une session consacrée aux violations des droits humains des personnes migrantes et réfugiées.

Il a rendu un jugement accablant sur l’UE et la France en les condamnant symboliquement de complicité de crime contre l’humanité au sujet du droit des exilés. (le terme d’exilés étant plus approprié que celui de migrants ou réfugiés).

voir l’entretien complet  https://www.lemediatv.fr/video/l-invite-de-noel-gus-massiah-060218-02072018-1137

Lire également sur le même sujet le billet de Benjamin joyeux https://blogs.mediapart.fr/benjamin-joyeux/blog/050118/les-politiques-migratoires-au-tribunal-des-peuples

L’État d’abjection

L’État d’abjection, par Jean-François Bayart, CNRS

Partagé avec l’aimable autorisation de l’auteur

L’État d’abjection

A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état d’abjection. La bouche mielleuse, nous parlons de l’impérieux devoir d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Érythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés africains de faire le sale travail de refoulement à notre place. Nous stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.

De même que l’état d’exception a institué l’État d’exception, par l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’État d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il repose. Auréolé de son commerce estudiantin avec Paul Ricoeur, le fringant Emmanuel Macron en sera le parfait fondé de pouvoir, dont le ministre de l’Intérieur, hagard et patibulaire, accomplira les basses œuvres. D’ores et déjà, il s’emploie à faire taire le malaise qui sourd dans les rangs de son parti. Un consensus honteux se met en place entre la plupart des formations représentées au Parlement, un consensus dont les mots puent le mensonge et l’hypocrisie. Dans la droite ligne d’un Manuel Valls affirmant qu’expliquer c’est excuser, le président de la République entend « se garder des faux bons sentiments » et enfourche le cheval du populisme en opposant les « intellectuels » au « peuple » : « Quand il y a des désaccords entre le peuple et les intellectuels, c’est qu’il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », a-t-il déclaré à Rome le 11 janvier. A quand les jurys populaires pour recruter ou évaluer les universitaires ?

Or, cette politique est dangereuse en même temps qu’elle est abjecte. Elle met en dissidence un nombre croissant de personnes. Les migrants eux-mêmes, bien sûr, qu’elle accule à une clandestinité publique. Mais aussi les militants associatifs ou les simples citoyens qui leur portent assistance, et que pourchassent les forces de l’ordre ou qu’incriminent les juges pour crimes d’humanité. Les organisations mafieuses d’Europe du Sud ou d’Afrique saharo-sahélienne prospèrent grâce à la rente artificielle que leur procure la prohibition de l’immigration, et elles développent un savoir-faire dans le franchissement illégal des frontières que les djihadistes n’ont pas manqué d’exploiter à leur tour. En Libye, voire dans le Sahel, elles tendent à se militariser, sur le modèle du Mexique, où les cartels tirent parti tout à la fois du convoyage des migrants et du trafic de narcotiques. Le blocage des routes sahariennes désorganise l’économie du nord du Niger, au risque d’y favoriser une reprise de la rébellion touarègue, laquelle se grefferait sur les mouvements djihadistes du Mali. La misère et l’exclusion sociale auxquelles on astreint les réfugiés ou les migrants dans nos villes constituent une menace pour la santé publique en les privant de suivi et de soins médicaux, alors même que ces populations en provenance des zones de guerre d’Irak, de Syrie et de Libye sont potentiellement porteuses de maladies graves et de formes de résistance aux antibiotiques qu’a engendrées leur exposition aux métaux lourds et à toutes sortes de pollution, dans les ruines des villes bombardées – l’une des conséquences des guerres de l’Occident que leurs thuriféraires néoconservateurs préfèrent passer sous silence, mais qui est la hantise des hôpitaux. Pis encore, la République, son administration, sa police, sa classe politique, perd son âme et son honneur.

Face à l’état d’abjection qui tourne au crime contre l’humanité et à la violation systémique des droits de l’Homme, et en attendant la saisine de la Cour pénale internationale, désormais inévitable à terme, le fonctionnaire doit faire valoir son devoir de désobéissance à des ordres anticonstitutionnels de nature à compromettre un intérêt public, et le citoyen son droit à la désobéissance civile. La complicité, même passive, n’est plus de mise. C’est en toute clarté intellectuelle qu’il convient de résister à la confusion morale qui entache notre politique migratoire depuis près de cinquante ans.

 Par Jean-François Bayart

Source http://movida.hypotheses.org/1943

Grèce : Pris au piège

Pour les réfugiés syriens ou irakiens, la Grèce constitue la principale porte d’entrée en Europe. L’accord conclu par l’Union européenne avec la Turquie en mars 2016, qui prévoit le renvoi des migrants sur le sol turc, n’a pas stoppé les traversées : 30 000 personnes l’an dernier, dont 40% d’enfants.

Une partie des arrivants clandestins s’entasse sur l’île de Lesbos. Une équipe du magazine « Avenue de l’Europe » a pu se rendre dans le camp de Moria, interdit aux journalistes comme aux associations de défense des droits de l’homme, et y tourner ce reportage en caméra cachée.

Le camp de Moria, une décharge à ciel ouvert

C’est une décharge à ciel ouvert que découvrent les journalistes. Installé sur les hauteurs de l’île, le « hot spot » est prévu pour 2 000 personnes et en accueille près de 5 000. Totalement insalubre, dangereux, il pousse certains migrants au suicide.

D’autres, au bout de l’espoir, n’ont plus qu’à tenter un retour au pays. Un nouveau business pour les passeurs, qui font payer la sortie d’Europe 1 500 euros par personne.

Un reportage de Frédérique Maillard et Salah Agrabi, diffusé dans « Avenue de l’Europe » le 24 janvier 2018.

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-grece-pris-au-piege_2565009.html

 25/1/18  Durée 14 mn 16

SOS Méditerranée : la plus longue journée au large de la Libye

COMMUNIQUE

  Mardi 16 janvier : la plus longue journée de l’hiver au large de la Libye  
505 personnes en sécurité sur l’Aquarius /1400 personnes secourues en une journée

« C’est une véritable flotte de sauvetage européenne qu’il faut mettre en place »

SOS MEDITERRANEE / Medicins sans frontieres; Search and Rescue Mission on the medieterranean Sea offshore the libyan coast; MV Aquarius; January 2018; Photo: Laurin Schmid/SOS MEDITERRANEE

Les équipes de l’Aquarius, affrété par SOS MEDITERRANEE et opéré en partenariat avec Médecins Sans Frontières (MSF), ont connu une journée particulièrement intense ce mardi 16 janvier : cinq opérations de sauvetage d’affilée ont permis de secourir 505 personnes qui sont désormais saines et sauves à bord. Selon les garde-côtes italiens, qui ont coordonné un total de 11 opérations de sauvetage en Méditerranée, 1400 personnes ont été secourues ce mardi au large de la Libye. SOS MEDITERRANEE renouvelle son appel au déploiement urgent d’un dispositif de sauvetage à la mesure de la crise humanitaire qui se déroule aux portes de l’Europe.

Après avoir navigué toute la nuit sur une mer très agitée, avec des vagues atteignant les 4 à 5 mètres, l’Aquarius était attendu jeudi matin dans le port de Catane pour le débarquement de 505 femmes, hommes et enfants de plus de 25 différentes nationalités secourues lundi et mardi au large de la Libye. Nombre d’entre eux souffrant de différentes pathologies et blessures liées aux conditions de détention et violences subies en Libye, étaient pris en charge dans la clinique de l’Aquarius par les équipes de Médecins Sans Frontières.

« Mardi, nous avons porté secours à cinq embarcations en détresse à nous seuls, en moins de 12 heures ! Tous les vaisseaux présents sur zone ont dû être appelés à la rescousse pour répondre aux appels à l’aide : l’Aquarius, mais aussi un bateau de la marine française et un cargo, le CPO Italy, qui est resté en vigilance active toute la journée autour des opérations de sauvetage. Avant-hier, pas moins de 1400 personnes ont été secourues au large des côtes libyennes. Les navires de sauvetage ont atteint les limites de leur capacité, des cargos sont déroutés vers le sud pour prêter assistance. C’est toute l’organisation du sauvetage en mer au large des côtes libyennes qui est dépassée par l’affluence des embarcations en détresse. Au vu des conditions météo favorables aux départs, cette situation extrêmement périlleuse risque de continuer dans les jours à venir, ce sont à nouveau des centaines ou des milliers de vie qui sont en jeu. Dès que les rescapés seront débarqués de l’Aquarius dans un port sûr, nous remettrons immédiatement le cap vers le sud pour retourner au plus vite dans la zone de sauvetage » a témoigné Klaus Merkle, le coordinateur des sauvetages de SOS MEDITERRANEE.

Retour sur une journée très chargée 

Dans la nuit de lundi à mardi 16 janvier, l’Aquarius a reçu l’instruction de chercher un canot en bois dans la zone de sauvetage à l’ouest de Tripoli, repéré aux alentours de 6h00 du matin à 15 milles nautiques des côtes libyennes. Les 121 personnes entassées à bord ont été secourues, tandis qu’au même moment une autre embarcation en bois était signalée aux sauveteurs de SOS MEDITERRANEE. Une fois le premier sauvetage terminé les canots de SOS MEDITERRANEE se sont immédiatement dirigés vers ce deuxième bateau en détresse à bord duquel se trouvaient 87 personnes.

Pendant ce deuxième sauvetage, un canot pneumatique gris était repéré à l’horizon. Après la distribution des gilets de sauvetage aux 109 personnes, en état de choc, une personne a glissé dans l’eau entraînant dans sa chute une dizaine de personnes à la mer, immédiatement récupérées par les équipes de sauveteurs.

Tandis que sur le pont de l’Aquarius les équipes distribuaient eau, nourriture et vêtements secs, et que l’équipe médicale prodiguait les premiers soins les plus urgents, les canots de sauvetage étaient dépêchés vers une quatrième embarcation en détresse – un bateau pneumatique vert – et retrouvaient à mi-course un cinquième petit bateau de plaisance, avec 15 personnes à bord, perdu dans les eaux internationales. Les passagers du canot pneumatique et du petit bateau de plaisance ont tous été secourus et accompagnés en sécurité à bord de l’Aquarius, qui est ensuite resté en stand-by pendant quelques heures dans la zone de sauvetage suivant les instructions du MRCC (Centre de coordination des sauvetages en mer, à Rome).

Une épave fantôme

La veille des cinq sauvetages, alors que l’Aquarius procédait à la recherche active d’une embarcation en détresse dans les eaux internationales à l’Est de Tripoli, les sauveteurs de SOS MEDITERRANEE ont repéré aux jumelles à 37 milles nautiques de la côte l’épave d’un bateau pneumatique vide, autour de laquelle flottaient des vêtements. Après avoir lancé un canot de sauvetage et poursuivi un examen attentif de la zone attenante, ils n’ont trouvé aucune trace des passagers du canot autour de l’épave dépourvue de moteur.

« Où sont les passagers de ce canot ? Que sont-ils devenus ? » s’est interrogé l’équipage de SOS MEDITERRANEE, alors que le MRCC de Rome – qui n’avait reçu aucun signalement de naufrage – instruisait l’Aquarius de poursuivre vers l’ouest pour le transbordement de 67 personnes secourues quelques heures plus tôt par le navire militaire espagnol Santa Maria.

« Tant que l’Europe n’y mettra pas les moyens, d’autres morts seront à déplorer ! »

Suite à cette journée particulièrement difficile en mer, Francis Vallat, le président de SOS MEDITERRANEE France, s’est alarmé des conséquences de l’absence de dispositif concerté pour le sauvetage en Méditerranée : « Il est impossible de couvrir l’intégralité de la zone de sauvetage avec les trois bateaux d’ONG qui restent sur zone. Les Etats européens peuvent éviter ces milliers de morts annoncées, c’est une question de volonté politique : tant que l’Europe n’y mettra pas les moyens, d’autres morts seront à déplorer ! Prétendre que les garde-côtes libyens peuvent assumer cette tâche est un leurre dans les conditions actuelles. Nous ne cessons de le répéter : c’est une véritable flotte de sauvetage européenne qu’il faut mettre en place, dans le respect absolu des conventions maritimes et du droit international. Face à l’absence de réponses adéquates, l’Aquarius continuera sa mission sans interruption pendant tout l’hiver et en 2018, pour la troisième année consécutive ».

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/sauvetages-18-01-2018

Pour soutenir SOS Méditerranée http://www.sosmediterranee.fr/

Translate »