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Préface au livre d’Eric Toussaint sur la dette grecque par Zoe Konstantopoulou

Grèce : La lutte contre la dette odieuse et illégitime

Préface au livre d’Eric Toussaint sur la dette grecque  par Zoe Konstantopoulou

Annonce de la présentation publique du livre d’Eric Toussaint le 11 juillet 2017 à Athènes

C’est avec une joie toute particulière et le sens de mon devoir historique que j’ai accepté d’écrire la préface au recueil d’articles d’Éric Toussaint qui est publié, en grec, en 2017, par RedProject.

Ma collaboration avec Éric Toussaint, depuis février 2015 et les premiers jours de mon mandat de Présidente du Parlement hellénique, jusqu’au moment où je rédige ces lignes, en juillet 2017, constitue pour moi un honneur particulier et une expérience précieuse.

En cette période historique où tout est extrêmement instable, où la démocratie et la volonté populaire exprimée lors du référendum du 5 juillet 2017 sont violemment bafouées, où les engagements politiques du Gouvernement sont enfreints avec cynisme et où toutes les garanties fondamentales de la liberté et de la prospérité du peuple sont remises en cause, en cette période historique où le régime des mémorandums et de la debtocratie sont imposés avec violence, Éric Toussaint est un modèle de cohérence, de travail infatigable et désintéressé au service d’idéaux, de principes et de valeurs supérieures liées à la défense de l’être humain et de notre dignité, à la récupération de la souveraineté et des droits du peuple grec. Il est un véritable allié du peuple grec dans sa lutte pour sa libération. Un allié qui ne se rend pas, ne baisse pas le drapeau, et se bat constamment pour révéler la vérité sur la Dette de la Grèce et pour l’émancipation des citoyens, avec pour armes l’information, le savoir, la désobéissance.

Ses articles, repris dans la présente édition, sont un échantillon petit mais caractéristique du long travail réalisé par Éric Toussaint sur l’histoire de la dette et des mécanismes ayant permis de l’imposer en Grèce. Une histoire qui remonte aux toutes premières années de la Guerre pour l’Indépendance il y a deux siècles. Il s’agit également d’un échantillon caractéristique des connaissances approfondies de l’histoire, de la politique et de l’expérience révolutionnaire d’autres pays et d’autres peuples (Amérique Latine, Monde Arabe et autres), qui ont été transformés en victimes par l’arme de soumission qu’est la dette mais qui ont aussi résisté à cette imposition. Dans ce livre, l’analyse historique est utilisée pour comprendre la réalité contemporaine et mettre en lumière les évènements qui déterminent les destins des peuples.

De manière active, en acte et en pratique, Éric Toussaint écrit et agit pour forger les conditions qui permettront d’éliminer le joug économico-politique des mémorandums et du système dette. Il transmet ses connaissances avec le talent qui caractérisent le vrai maître, celui qui vulgarise le savoir et s’adresse au citoyen en tant que participant à part entière à la lutte historique que sont appelées à mener les générations actuelles.

Grande est l’importance des articles et de l’ouvrage d’Éric Toussaint, car leur contenu-même constitue un savoir précieux et nécessaire aux citoyens pour qu’ils prennent conscience du point historique et politique à partir duquel ils doivent agir. Mais c’est dû aussi à la personne-même d’Éric Toussaint et à sa contribution décisive à la préparation de la lutte de notre peuple pour revendiquer sa liberté.

La valeur de cet ouvrage réside précisément dans son contenu vivant qui, peut à lui seul réveiller et provoquer une réaction contre l’ensemble du plan stratégique du Régime visant à instaurer la déception, le découragement et le renoncement à un peuple qui veut pourtant reconquérir sa propre histoire, sa vie et son avenir.

Valeur d’autant plus grande si l’on se rappelle que les articles publiés dans cet ouvrage ne sont qu’une petite partie des articles dont Éric Toussaint est l’auteur et de ses interventions publiques de ces dernières années, tant sur la dette de la Grèce que sur le Système-dette dans son ensemble. Mais encore, si l’on pense que cet homme voyage depuis des décennies dans le monde entier, en soutien aux peuples qui ont besoin de s’opposer et de résister à leurs tyrans économiques et politiques. Si l’on pense également au fait que, dès la fin de septembre 2015, non seulement il n’a pas abandonné les Grecs et la Grèce mais il a accepté de continuer à travailler pour l’audit de la Dette du pays. Il a poursuivi sa contribution à la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, transformée en association après avoir été la cible du gouvernement pro mémorandum de Tsipras II.

Dans les articles sélectionnés, Éric traite de manière systématique de l’Histoire en analysant le parcours du système de la dette, en Grèce, de la Guerre d’indépendance à ce jour. En consignant les évènements historiques contemporains et en les analysant. En mettant en avant les similitudes et les analogies criantes dans l’activité des créanciers en Grèce, depuis deux siècles, par le biais de la mise sous tutelle du pays par des puissances étrangères et de l’implication spéculative des banques et des banquiers. Et, enfin, en formulant des propositions et des solutions. Des solutions qui passent par les citoyens et les Gouvernements que les citoyens soutiendront pour mettre en œuvre des programmes politiques radicaux de libération sociale.

Ce qui n’est pas dit dans les articles sélectionnés, c’est le rôle d’Éric Toussaint lui-même dans la formation de l’Histoire, par le biais de son précieux travail en tant que Coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, pour le déchiffrement et la délégitimation de la dette imposée à notre peuple et notre pays.

C’est donc ce rôle historique d’Éric Toussaint, lors de notre collaboration, de février 2015 à ce jour et notamment dans la période critique de février à septembre 2015, que j’entreprendrai de mettre en avant dans les pages qui suivent.

J’estime que c’est là mon devoir.

Car Éric Toussaint n’est pas un observateur de l’histoire. Il est un transformateur actif de l’histoire.

En 2015, avec la formation de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique, nous avons engagé ensemble une bataille historique qui n’est pas encore achevée, qu’il est important de consigner et de poursuivre jusqu’à la fin.

Je parlerai donc ici de l’Histoire de la Commission du Parlement hellénique pour la Vérité sur la Dette publique et du rôle central d’Éric Toussaint. Je parlerai des conditions dans lesquelles a commencé cette entreprise historique de la première commission institutionnelle d’audit de la dette d’un État membre de l’Union européenne, à ce jour.

Cela permettra d’ajouter une pièce nécessaire à la mosaïque précieuse des articles de l’auteur, concernant l’auteur lui-même.

POUR L’HISTOIRE
MA RENCONTRE AVEC ÉRIC TOUSSAINT ET LA CRÉATION DE LA COMMISSION POUR LA VÉRITÉ SUR LA DETTE

En février 2015, le téléphone spécial du Président du Parlement a sonné : c’était un ministre du Gouvernement de l’époque.

« Zoé, Éric Toussaint est là. Nous étions en train de discuter et il voudrait te rendre visite pour discuter. »

« Dis-lui de venir à mon bureau, aujourd’hui. Je le cherchais, moi aussi. »

Le vif souvenir que j’avais d’Éric Toussaint, que je n’avais pas rencontré personnellement, remontait au grand festival de la jeunesse de Syriza, en octobre 2012, alors que le parti était devenu premier parti d’opposition, alors que l’avenir était ouvert devant lui. Éric avait prononcé un discours enflammé et avait été porté aux nues.

Lui-même ne s’en souvient pas du tout, comme il me l’a révélé plus tard, car il était particulièrement abattu : il avait constaté, ce jour-là, que Tsipras commençait déjà à faire marche arrière sur ses engagements concernant l’audit et l’annulation de la dette, chose que la majorité d’entre nous, qui n’avons pas participé à la trahison qui allait venir, avons beaucoup tardé à réaliser, malheureusement.

Dans mon discours d’ouverture en tant que Présidente du Parlement, le 6 février 2015, immédiatement après mon élection, j’avais annoncé que le Parlement allait contribuer activement à l’audit et à l’annulation de la dette.

À la première réunion du groupe parlementaire après cette séance, le député des écologistes avait demandé, très angoissé, s’il « était permis de dire des choses pareilles en pleine négociation, alors que le Premier ministre et le ministre des finances n’utilisent absolument pas ces termes. » Je lui ai alors répondu que c’était le programme sur la base duquel nous avions été élus et que nous devions non seulement le dire, mais aussi le faire. Personne n’osa me contredire. Toutefois, il était déjà clair que le Gouvernement lui-même n’entreprendrait aucune initiative concernant un audit ou une annulation de la dette et que le groupe parlementaire restait impuissant face aux développements.

Il apparut très vite qu’une telle initiative devait s’appuyer sur des personnes disposant des connaissances nécessaires mais également ayant déjà une expérience analogue dans le domaine de l’audit de la dette et du rejet des dettes odieuses et illégales. Éric Toussaint était de toute évidence la figure emblématique de cette lutte qui soutenait avec ferveur, par ses interventions publiques et ses visites en Grèce, que la dette devait être auditée et que, dans la mesure où elle s’avérait odieuse, illégale, illégitime et/ou non viable, elle devait être annulée. Une position parfaitement en phase avec le droit international, la protection internationale des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

16 février 2015, ma première rencontre avec Éric Toussaint

Notre première rencontre ne dura pas longtemps. Je connaissais son expérience précieuse et sa contribution à l’audit de la dette et, notamment, sa participation à la Commission d’audit de la dette de l’Équateur. Il était clair pour moi qu’il s’agissait d’une personne qui, depuis des décennies, avait contribué avec désintéressement à révéler le mécanisme de soumission des peuples par le biais de la dette et à lutter pour libérer les peuples et les citoyens du joug de la dette illégitime. Je voulais qu’il me parle de son expérience et tout ce qu’il me dit fut effectivement particulièrement éclairant.

Je lui demandai alors s’il était disposé à entreprendre l’audit de la dette grecque pour le compte du Parlement hellénique et s’il pouvait rester en Grèce pour que nous nous rencontrions une semaine plus tard pour discuter des modalités de cet audit. Il me répondit par l’affirmative aux deux questions. J’ai demandé que soit immédiatement publié un bulletin de presse du Parlement concernant ma rencontre avec Eric Toussaint, afin de lancer le message : nous avançons vers la réalisation de nos engagements.

Vers l’instauration de la Commission pour la Vérité sur la Dette publique

Les jours qui suivirent furent denses et dramatiques. Élection du Président de la République, le 18 février 2015. Communication de l’accord du 20 février 2015. En apprenant par les médias le contenu de cet accord le 20 février, je sentis la terre se dérober sous mes pieds : il contenait la reconnaissance de la dette et l’engagement de la responsabilité de son remboursement ! Je demandai à voir Tsipras immédiatement. Je le vis le lendemain, le 21 février, dans son bureau au Parlement, immédiatement après la réunion du Conseil. Flambouraris attendait dehors, entrant et ressortant constamment et faisant pression pour qu’ils partent à Égine.

Je dis à Tsipras que cet accord était un mémorandum et que nous devions nous en dégager au plus tôt. Qu’il fallait immédiatement révoquer la formulation concernant la dette, par le biais de communications officielles par tous les acteurs. Qu’il fallait suivre une stratégie précise. Réaliser un audit de la dette. Agir concernant les dettes allemandes à l’égard de la Grèce suite à l’invasion et à l’occupation nazie au cours de la seconde guerre mondiale. Ouverture de l’affaire Siemens et de toutes les affaires de corruption. Tsipras s’efforçait de me convaincre que l’accord n’était pas un mémorandum. Il prétendait que la reconnaissance de la dette ne portait que sur les paiements qui seraient effectués au cours des 4 mois à venir et, en même, temps, il marquait avec embarras son accord avec mes suggestions.

J’étais présente lorsqu’il expliqua à Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, que « ce que nous avons obtenu n’est pas blanc, n’est pas noir, nous avons réussi le gris. »

Je quittai cette rencontre après avoir annoncé à Tsipras que j’entamerai immédiatement l’audit de la dette au Parlement et constituerai la Commission pour les dettes allemandes, après avoir obtenu son consentement.

Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau Éric.

Il était morose et préoccupé.

Je commençai à parler avec lui de la commission qu’il fallait mettre sur pied pour mener l’audit de la dette. Je lui dis que je pensais à une commission conforme à une disposition spéciale du règlement du Parlement qui permettait au Président de l’Assemblée de constituer des commissions composées de personnes extraparlementaires et dont l’objet portait sur des affaires n’ayant pas trait aux affaires courantes du Parlement. Je lui expliquai que j’envisageais cette commission comme une commission internationale et nationale, composée de scientifiques et de citoyens, dont le mandat serait clairement de déchiffrer les conditions dans lesquelles la dette publique grecque avait été créée et gonflée et d’élaborer l’argumentaire permettant de dénoncer toute partie de la dette qui serait jugée illégale, odieuse et non remboursable. Il était positif, mais réservé.

« Je vois que quelque chose te préoccupe. Je veux que nous parlions de manière directe », lui dis-je.

« Zoé, je suis très angoissé. Quelle est ta position à propos de l’accord du 20 février ? »

« Éric, je considère que cet accord est un véritable camouflet. Je l’ai dit au Premier ministre et je l’ai informé sur mon intention d’entreprendre les initiatives nécessaires pour renverser cet accord, et il m’a donné son consentement. La Commission d’audit de la dette dont je te propose d’entreprendre la coordination scientifique est une initiative cruciale dans ce sens. »

Il me regardait toujours d’un air scrutateur.

« Quant à ce qui te préoccupe, d’après ce que je comprends, voilà ce que j’ai à te dire : j’ai prévenu formellement le Premier ministre de ne pas présenter cet accord au Parlement. » Je répétai la même chose à la réunion du Groupe parlementaire, dans les jours suivants. Lors du vote qui s’est tenu au sein du groupe, le 25 février, je votai NON au texte de l’accord, ce qui mit le feu aux poudres et fit immédiatement de moi une cible. « Ce que j’ai à te dire c’est que si, malgré tout, cet accord était présenté au Parlement, moi je ne le voterai pas. »

Son visage s’éclaira, il semblait soulagé. Je voyais qu’il était encore préoccupé par l’évolution globale, mais il était important pour lui de savoir qu’il pouvait compter sur notre entente. Bien plus tard, il me confirma qu’il s’était agi d’un moment déterminant car il avait compris que la personne qui lui demandait de s’engager et de s’impliquer dans cette lutte frontale contre les mécanismes de soumission entendait bien aller au bout de ce qu’elle disait.

C’est ainsi que tout a commencé.

« Je veux que tu assumes le poste de Coordinateur scientifique de la Commission et que tu me dises ce que tu attends de moi », lui dis-je.

« C’est toi qui doit présider la Commission et ses travaux, pour garantir que tout sera réalisé sans obstacles », me dit-il.

C’est ainsi qu’est née la première et unique commission institutionnelle d’audit de la dette sur le sol européen à ce jour.

Tout simplement.

Par des gens de parole.

Le passage à l’action

Le 17 mars 2015, lors d’une conférence de presse avec Éric Toussaint et Sofia Sakorafa, députée européenne que j’avais invitée pour qu’elle se charge de la liaison entre la Commission et le Parlement européen et les Parlements des États membres de l’Union, l’on annonça la constitution et la composition d’une commission spéciale du Parlement pour l’audit de la dette. La commission serait internationale, composée de scientifiques étrangers et Grecs, d’activistes, de membres de mouvements mais aussi de simples citoyens.

Et le 4 avril 2015 eut lieu la Réunion d’inauguration de la Commission pour la vérité sur la dette publique, au sein du Parlement, en accès libre pour les citoyens et en retransmission directe, dans toute la Grèce, via la chaîne télévisée du Parlement.

La Commission a réalisé des réunions ouvertes et des conférences de presse. Elle s’est penchée sur des dossiers pénaux liés aux mémorandums. Elle a ouvert des dossiers pénaux portant sur des affaires de corruption. Elle s’est déplacée dans des ministères, mais elle a aussi auditionné des témoins. Tout cela, dans une période de rebondissements quotidiens et au milieu d’un véritable bombardement de propagande et de dénigrement de la Commission par les médias qui en ciblaient les membres. Éric devint la cible de la presse à scandale qui commentait ses sandales, sa chemise verte, sa queue de cheval. Mais il ne se trouva personne pour contester ses compétences scientifiques de manière argumentée. Et, contrairement à la guerre que lui menaient les médias, les citoyens du pays l’accueillaient partout avec enthousiasme, en l’embrassant et en le remerciant pour ce qu’il faisait pour notre pays.

Les 17 et 18 juin 2015, lors d’une réunion publique, la Commission publia et présenta son rapport préalable, dans lequel elle documentait pourquoi la dette grecque est illégale, illégitime, odieuse et non viable. Elle y exposait et analysait de manière approfondie les raisons pour lesquelles cette dette qui est un levier et un instrument de chantage ne peut pas et ne doit pas être remboursée.

Ce rapport a été envoyé et officiellement remis au Président de la République, au Premier ministre, à tous les ministres et aux membres du Parlement. Il a été envoyé à tous les Présidents des Parlements de l’Union européenne. Il a été envoyé au Président du Parlement européen et à tous les eurodéputés.

Il n’a été utilisé par aucun acteur gouvernemental. Pas même au moment le plus critique des négociations, quelques jours plus tard. Pas même à l’heure de l’ultimatum. Pas même pendant la semaine avant le référendum. Pas même pendant la semaine après le référendum qui a abouti à la grande trahison du 13 juillet 2015, où Tsipras s’est rendu aux créanciers, en acceptant entièrement la dette illégale et en soumettant le pays aux termes de remboursement les plus dégradants, cristallisés dans les préalables au 3e mémorandum et dans le 3e mémorandum lui-même.

Les conclusions de la Commission pour la Vérité sur la Dette sont bien là. Et elles étayent pleinement le peuple grec dans sa lutte pour se libérer du joug de la dette.

Ces conclusions sont, de manière décisives, le résultat du désintéressement, des efforts infatigables, du dévouement d’Éric Toussaint dans son soutien essentiel à notre peuple. Elles sont dues au choix transparent des collaborateurs internationaux et des personnes irréprochables qui ont contribué à leur élaboration. Elles sont dues à la persévérance des membres qui voulaient que la Commission pour la Vérité remplisse sa mission, en dépit d’une propagande digne de Goebbels dont elle a été la cible dès sa constitution.

Pour éviter que cette Commission – ainsi que d’autres commissions cruciales – poursuive ses travaux, le Parlement a été dissout au mois d’août 2015.

Car il était impossible autrement de contourner l’existence d’un organe institutionnel du Parlement qui contestait et déconstruisait de façon documentée la dette par laquelle nous avons été soumis à l’esclavage. Ils ne voulaient pas non plus permettre une mise en relation avec le travail réalisé sur les dettes de l’Allemagne ou sur l’affaire Siemens et, en général, sur la corruption, grâce aux travaux de la Commission pour la Vérité sur la Dette. Il ne fallait pas que l’audit progresse au point qu’on puisse identifier et désigner ceux qui étaient à l’origine du surendettement du pays et ceux qui avaient profité de ce processus scandaleux.

Même après la dissolution de l’Assemblée et avant la prestation de serment du nouveau Parlement, la Commission a tenu sa réunion programmée, fin septembre 2015. Et elle a publié son 2e rapport, qui documente le caractère illégal de la nouvelle dette liée au 3e mémorandum.

Immédiatement après cette dernière réunion parlementaire de la Commission, notre action commune passa à un autre niveau. La Commission devint la cible privilégiée du nouveau régime. Ses conclusions furent retirées du site web du Parlement. Ensuite, on lui retira ses bureaux. On proclama la clôture de ses travaux. Les archives personnelles et les effets de ses membres furent saisis et l’accès aux conclusions restantes fut interdit.

Avec Éric, nous nous sommes lancés dans une course à l’information des citoyens et de la communauté internationale sur la véritable situation de la dette grecque, avec des discours en France, Espagne, Amérique, Belgique, Portugal, Allemagne, Danemark, France. En mars 2016, nous avons transformé la Commission pour la vérité en association, en en maintenant la composition initiale. En novembre 2016 à Athènes s’est tenue la première réunion internationale de la Commission pour la Vérité sur la Dette dans une salle comble du Barreau d’Athènes.

La question de la dette a été intégrée au programme de l’Initiative paneuropéenne « Plan B ». En même temps, Éric a transmis l’expérience de la Grèce aux collectivités locales d’Espagne, là où les élus étaient prêts à entreprendre des initiatives radicales du même genre.

La lutte continue.

En rédigeant cette préface, je souhaite et j’espère qu’il ne s’agit pas uniquement de la préface d’une édition mais le prologue des étapes à venir d’un parcours historique, difficile mais victorieux, vers la libération de notre peuple du Régime de la dette et des mémorandums.

Avec Éric pour compagnon de route, combattant sur la ligne du front.


Traduit du grec par Corinne Cooreman. Révision de la traduction par Marie-Laure Coulmin

Grèce : La justice légalise le retard de paiement des salaires

La justice grecque considère désormais que les retards de salaires ne sont pas des motifs de modification des contrats de travail article publié sur le blog de Constant Kaimakis

Nous avons souvent fait référence dans ces posts aux divers conflits qui opposent des salariés à leur employeur pour non paiement des salaires. La pratique du salaire payé en retard , parfois sur un long terme, est malheureusement très répandue chez les patrons du privé en Grèce puisque des dizaines de milliers d’employés sont concernés sur l’ensemble du territoire grec.

La justice grecque vient de prendre une décision qui modifie profondément la situation juridique des salariés non payés. En effet, la Cour suprême de Grèce dans un arrêté récent a décidé que le seul non-paiement des salaires dus à un employé, même sur une longue période, ne suffit pas à établir un changement défavorable dans les termes de son contrat de travail.Jusqu’ici cela permettait au salarié de faire valoir ses droits en arguant que cette modification de contrat équivalait à une rupture de contrat pour le forcer à démissionner et, dans ce cas , il obtenait ainsi une prime de licenciement .

Désormais la justice « légalise » ces pratiques douteuses et va rendre encore plus dure une situation du salariat grec en proie à une accélération des pratiques néolibérales ( Flexibilité, contractualisation, précarisation etc…) .

Attention, cela n’arrive pas qu’aux grecs… la Grèce servant souvent de laboratoire pour les politiques austéritaires et néolibérales de l’UE …

Des épaves brisées de voyages inachevés. La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque et notamment le phénomène des suicides en Grèce sous la crise.

Des épaves brisées de voyages inachevés

Juillet déjà. Le blog dans ses habits d’été ! Euphémismes. Les marionnettes politiques, et d’abord Alexis Tsipras (“Gauche”) et Kyriákos Mitsotakis (“Droite”) “se sont violement affrontés verbalement” au sein du “Parlement”, d’après la presse… dans l’indifférence très générale. Ou sinon, comme l’écrivait Yórgos Seféris, poète d’abord et diplomate ensuite: “Avec des désirs qui jouaient comme les grands poissons dans les mers qui soudain se retirent (…) Le petit état de Commagène ; qui s’est éteint comme la faible veilleuse.” (“Journal – B”, 1944).

En Golfe Argosaronique, la messe. Juillet 2017

Les contractuels au ramassage des ordures ont repris le travail mettant fin à leur grève. Seulement… Daniela Prelorenzou, employée au contrat précaire transformé en CDI il y a peu, âgée de 62 ans et mère d’un enfant handicapé ; elle a été littéralement et définitivement tuée à la tâche. Accident cardiaque sous peine d’un double service durant la même journée accablante. Ramasser les ordures d’Athènes sous les 44 degrés Celsius, c’était à la fin de la semaine dernière (presse grecque du 30 juin 2017) . Le blog… ainsi désemparé… et pourtant dans ses habits d’été, rend ainsi hommage à Daniela, comme à chaque Daniela ! Modernité, cruauté, mœurs relâchés. Été grec, dit celui des vacanciers

Et comme la vie (des autres) continue, en Golfe Argosaronique, comme partout ailleurs au pays, on célèbre parfois les Saints Patrons des lieux, la grande saison des fêtes et des panégyries débute donc pour ainsi rendre si possible l’été bien entier. Le soleil se lève brûlant, alors unique certitude.

En Golfe Argosaronique, la messe. Juillet 2017

La presse s’attardera également, juste pour un moment sur cet accident maritime (et… du travail), quand le vieux navire citerne approvisionnant l’île en eau potable depuis l’Attique, est entré en collision avec une petite embarcation de pêche. Les corps de deux frères, pêcheurs professionnels, Pandelís et Yórgos Bitros (âgés respectivement de 74 et de 62 ans, morts sur le coup) ont été aussitôt “repêchés” par l’équipage du navire citerne. “Des épaves brisées de voyages inachevés, des corps qui ne savent plus comment aimer” (Yorgos Seféris, “Légende”, 1933-1934, trad. Lévesque).

Les médias parlent ainsi de tragédie… avant de passer à d’autres sujets nautiques, entre autres, l’accostage du voilier de l’ex-Roi des Grecs Constantin au port chic de Porto-Heli dans le Péloponnèse, maritimité oblige sans doute.

On remarquera tout de même, que les médias, et cela depuis quelque temps, accordent assez souvent de leurs pages et reportages aux… apparitions de Constantin II de Grèce, le sixième et dernier roi des Hellènes du 6 mars 1964 au 1er juin 1973, date à laquelle il fut déposé (sans abdiquer) et la République proclamée en 1974 après referendum, faisant suite à la fin de la dictature des Colonels (juillet 1974).

Faute de mieux sans doute… sous sa dent, la presse ressort également ces belles photographies du temps et des êtres de jadis, à l’occasion de ce… 6 juillet par exemple, le quotidien “Kathimeriní”, publie cet instantané de Maria Callas, se baignant en mer d’Italie, c’était le 6 juillet 1958, une… éternité.

Daniela Prelorenzou… tuée à la tâche le 30 juin. Athènes (presse grecque) du 2 juillet 2017
Le bateau citerne à Égine. Athènes (presse grecque) du 5 juillet 2017
Le ferry à destination d’Égine. Le Pirée, juillet 2017

Étranges temps humains, âpres, en même temps étirables à souhait. Yórgos Seféris écrivait il y a déjà un moment dans son journal, que “même les cris des animaux ressemblent à des créatures sorties tout droit du grand silence. Les îles grecques sont comme des idées agréables qui se succèdent” (15 novembre 1939). Sauf que ce silence fondamental nous manque alors cruellement et que les îles grecques, ne sont plus que des idées agréables qui se succèdent.

Petits faits classés divers sous la domination des grands faits pervers, et de nouveau, notre petit monde des temporels s’enfonce dans la tourmente. L’histoire ne se répète pas, la sottise si.

“Moments tragiques. Depuis un an, les moments tragiques se succèdent et se répètent à un point tel, qu’il ne vaut plus la peine de les mentionner. C’est comme perdre son temps avec les choses inutiles. Cette guerre (guerre initiée sous couvert d’une situation de soi-disant temps de paix), est alors caractérisée par ceci: Une force du mal a trouvé moyen d’humilier, de broyer, et d’annihiler, tout un monde. Elle ainsi fait remonter à la surface toute cette piètre matière, intérieure chez les hommes, à savoir, l’égoïsme, la lâcheté, la bassesse, la malveillance, pour nous faire croire qu’il s’agit là… des aptitudes fondamentales des gens qui gouvernent ce monde.”

“Cette force du mal détient l’apparence d’une bête mécanique parfaite, tout à fait irresponsable, parce que l’homme et l’humanité n’interviennent pas dans son système.”

L’ex-Roi Constantin (à droite) à bord de son voilier à Porto-Heli (photo presse grecque). Péloponnèse, 6 juillet 2017
L’ex-Roi Constantin vers 1960 (photo presse grecque)
Maria Callas, le 6 juillet 1958 (photo presse grecque)

“Et c’est alors la punition. Ceux qui sont punis: une tourbe de faiblesses. Embourbés là-dedans sans même une ramure pour s’y tenir. Bourreaux et punis méritant ainsi leur sort. Ne parlons pas d’eux. Celui qui s’enfonce est alors la victime d’un accident, ou d’une maladie, d’une tuile qui lui tombe sur la tête, ne parlons pas de lui. Et celui qui veut demeurer digne, il se doit… si possible mourir, à la seule manière digne qui restera pour un homme juste. Rien d’autre. ‘The wrong man’. L’homme s’est trouvé par hasard dans un naufrage tragique. Cependant, l’horreur c’est de ne pas pouvoir mourir en compagnie d’un ami. Un malheur de plus. Voilà tout. (…)”

“Nous vivons à une époque de somnambulisme généralisé. La vie, c’est un rêve, disait jadis le doux-rêveur, celui qui se voulait en dehors au monde. La même chose peut se dire aujourd’hui de la part de tous ceux qu’y vivent très concrètement. La vie se compose de personnes qui rêvent. Et les coups acquiescés sont des coups survenus de la substance des rêves inconsistants. Gagnants comme perdants, ils ont de ces gestes stéréotypés, on dirait sans contenu.”

“Quand le moment du réveil arrivera pour nous, rien ne sera laissé en place. C’est si naturel. Sauf que le seul espoir c’est de voir venir ce moment. L’humanité trace de grands cercles composés de toutes les générations passées. Notre destin bien à nous a voulu que nous soyons très précisément sur cet arc, à travers sa trajectoire, en ce moment immergée dans les profondeurs de la nuit.” (Journal de Yórgos Seféris, 10 avril 1939)

Somnambulisme généralisé. Réclame. Athènes, juillet 2017
Somnambulisme généralisé. Affluence pour la finale du jeu… “Survivor”. Athènes, juillet 2017 (photo: internet grec)
Somnambulisme généralisé. Affluence pour la finale du jeu… “Survivor”. Athènes, juillet 2017 (photo: internet grec)

Nous vivons certainement à une époque de somnambulisme généralisé. Au moment où Daniela Prelorenzou, ou encore mes cousins Kóstas et Sotíris à l’image mortuaire de milliers d’autres Grecs n’ont pas survécu à la nouvelle situation du pays colonisé, une autre (?) partie de la population somnambule et se passionne pour le dit “grand jeu télévisuel Survivor” dont la “finale” avait été organisée dans un parc d’Athènes mercredi 5 juillet.

De “l’affluence fort remarquable” d’après une certaine presse , enfants si précocement nécrosées de tout esprit critique aux parents cliniquement morts de tout esprit tout court depuis longtemps. Gagnants comme surtout perdants, auront de ces gestes stéréotypés, sans contenu.

Sans contenu également et c’est bien dommage, ce monument récemment érigé à la mémoire des employés de la radiotélévision publique ERT, décédés durant les 18 mois de sa fermeture complète, infligée par le funeste gouvernement d’Antonis Samaras, monument érigé devant le bâtiment central de l’ERT dans le quartier athénien d’Agía Paraskeví.

Monument de l’ERT. Athènes, juillet 2017 (photo: presse grecque)

Les trépassés de l’ERT entreront certes de plein droit dans la mémoire des disparus de la dite “crise grecque”, sauf qu’ils ne sont pas les seuls, et que tous les autres, demeurent à l’heure actuelle volontairement oubliés par le funeste gouvernement d’Alexis Tsipras. Pis encore, contrairement aux aspirations (réelles ou pas) du temps de la lutte pour la réouverture de l’ERT, la radiotélévision publique rétablie à la SYRIZA, elle est hélas redevenue ce qu’elle a toujours été. Un lieu d’abord hyper népotiste, servant en exclusivité les intérêts essentiellement privés, du, ou des partis au pouvoir comme de leurs castes. Ensuite, ERT poursuit dans une manière d’aborder les sujets d’actualité sous le seul prisme de la propagande gouvernementale, de surcroît européiste donc pas de changement démocratique non plus. Maigre, très maigre consolation, son Troisième Programme radiophonique, culturel et musical, notre ultime caverne pour certains d’entre nous il faut dire.

C’est ainsi que les autres médias comme tous ceux… qui sont punis et qui ne sont pas de l’ERT, ont forcement ironisé à propos de l’événement. Il a été rappelé à juste titre qu’il y a tant d’autres morts (suicides, maladies, manque de soins, surmortalité liée au stress générée par les dérèglements austéritaires, en réalité dérèglements sociaux, économiques et symboliques imposés), morts ainsi volontairement oubliés par les Syrizistes, car morts gênants, n’appartenant visiblement pas à sa clientèle politique.

Quand le moment du réveil arrivera pour nous, rien ne sera laissé en place. C’est déjà bien naturel car le lien social en Grèce est suffisamment disloqué. Pour la très petite histoire, j’ai été contacté en 2014 par une commission scientifique naissante, syrizocompatible et bénévole ; dont le but aurait été d’étudier le phénomène des suicides en Grèce “sous la crise”, et plus amplement la mortalité qui lui serait liée.

Le suicide de Dimítris Christoúlas. Athènes, le 4 avril 2012 (photo Greek Crisis)
Œuvre du dessinateur Ornerákis. Arbre de Dimitri Christoúlas, avril 2013 (photo Greek Crisis)
Mémoire immédiate. Arbre de Dimitri Christoúlas. Athènes, avril 2012 (photo Greek Crisis)

Cette commission, devait entre autres fournir des analyses et des éléments annexes mais fort essentiels, à la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, dont les travaux avaient été coordonnés comme on sait à l’époque (2015) par Éric Toussaint. L’idée, était aussi que les conclusions des deux Commissions, puissent être conjointement défendables devant l’Assemblée des nations, au sein de l’ONU par exemple, pour ainsi prouver et faire condamner la forme et la pratique criminelles des dites “institutions” (Troïka), finance comprise, cette force du mal a l’apparence d’une bête mécanique parfaite, tout à fait irresponsable.

Il a été aussi question d’ériger un monument bien sobre et digne, devant l’arbre où le retraité pharmacien Dimítris Christoúlas s’est suicidé le 4 avril 2012, acte à caractère ouvertement politique revendiqué de manière bien évidente à travers son ultime lettre:

“Le gouvernement d’occupation de Tsolákoglou a littéralement anéanti tous mes moyens de subsistance, qui consistaient en une retraite digne, pour laquelle j’ai cotisé pendant 35 ans, (sans aucune contribution de l’État). Mon âge, ne me permet plus d’entreprendre une action individuelle plus radicale (même si je n’exclus pas que si un grec prenait une kalachnikov je n’aurais pas été le deuxième à suivre), je ne trouve plus d’autre solution qu’une mort digne, ou sinon, faire les poubelles pour me nourrir. Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir, prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Sýntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la Piazzale Loreto, à Milan”. Le général Geórgios Tsolákoglou, signataire de l’armistice avec les forces allemandes, fut le premier chef de gouvernement grec sous l’Occupation, nommé par les occupants d’alors (30/04/1941-02/12/1942). Son nom en Grèce est synonyme de “collaborateur”.

Éric Toussant devant l’arbre de Dimitri Christoúlas. Athènes, avril 2015 (photo Greek Crisis)
Les ferrys partiront toujours à destination des îles. Le Pirée, juillet 2017
Certaines boutiques en faillite du très vieux Pirée. Juillet 2017

La suite est presque connue. La Région d’Attique (administrée par la Syriziste Rena Doúrou depuis 2014), et ensuite le “gouvernement” SYRIZA/ANEL, ont tout fait, d’abord pour saboter et saborder l’affaire du monument sous l’arbre de Dimitri (témoignage direct entre autres de Katerina Thanopoúlou, Vice-présidente à la Région Attique entre 2014 et 2016, et démissionnaire de SYRIZA depuis l’été 2015).

La commission pour la vérité sur la dette publique grecque a été dissoute sous l’ordre de la Troïka, et notamment de Bruxelles comme de Berlin, suite à la trahison Tsipras (référendum et victoire du ‘NON’ du 5 juillet 2015), tandis que la commission suicide, n’a en réalité jamais vu le jour officiellement ni d’ailleurs très concrètement.

Aux yeux des Grecs, depuis 2015, Tsipras c’est aussi un Tsolákoglou, aussi peut-être parce nous vivons à une époque de somnambulisme généralisé. Sous cet angle, on comprend mieux ce rejet alors très inaccoutumé de la part des Grecs, sur cette affaire du monument dédié à la mémoire des pauvre morts de l’ERT, sauf que ceux de l’ERT… éternelle et toujours actuelle, feront encore semblant de ne rien comprendre.

Les voiliers trouveront toujours refuge dans les ports. Golfe Saronique, juillet 2017
Certains animaux adespotes mais adoptés parfois perdus et recherchés. Le Pirée, juillet 2017
Chattons nouveaux… et les filets des chalutiers. Golfe Saronique, juillet 2017

Le petit état de Commagène ; qui s’est éteint comme la faible veilleuse… la Grèce destination touristique… destinée, et au Pirée, les ferrys partiront toujours à destination des îles, tandis que certains animaux adespotes mais adoptés seront quelquefois perdus et ainsi désespérément recherchés.

Certaines boutiques du très vieux Pirée ont fait faillite, les voiliers trouveront toujours refuge dans les ports du Golfe Saronique et les chattons nouveaux, ils se cacheront dans les boutiques du Pirée en faillite, ou sinon, dans les filets des chalutiers aux capitaines Grecs et aux matelots Égyptiens, et cela depuis près de 30 ans.

Juillet déjà. Le blog dans ses habits d’été ! Nous admirerons dignement la seule et vraie aube dorée de l’Égée comme d’en face, à l’expression comme on sait usurpée par les nazillons devenus… homonymes.

En Golfe Saronique. Parfois… petite fréquentation. Juillet 2017

Nous vivons de toute évidence à une époque de somnambulisme généralisé, d’écœurement également. “Je ne suis plus l’actualité, c’est une vraie fosse septique, elle nous empoisonne le peu qu’il nous reste… de dignité… basta. C’est comme perdre son temps avec les choses inutiles”, témoigne alors mon ami Yórgos de l’île de Chios, joint au téléphone. Des épaves brisées de voyages inachevés, des pays qui ne savent plus comment aimer.

“La mer qui nous navra est vaste et insondée, elle déroule un calme infini” (Yorgos Seféris, “Légende”, 1933-1934, trad. Lévesque).

Chat nouveau dans une boutique du Pirée en faillite. Juillet 2017
* Photo de couverture: La seule vraie aube dorée. Golfe Saronique, juillet 2017

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

L’opération  » détruire les grecs » chapitre II : Chypre

L’opération « Détruire les grecs « . Chapitre II: Chypre Par Dimitris Konstantakopoulos ancien membre du comité central de Syriza.

Global Research, 03 juillet 2017

 Un coup d’État juridique et politique international se déroule de nos jours avec l’aide et la coopération de la Commission européenne contre un autre Etat de l’UE, après la Grèce la République de Chypre.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Juncker et Guterres tentent, par l’application des lignes directrices de la politique américaine et britannique, de détruire un deuxième membre de l’UE après la Grèce et de le transformer en une sorte de protectorat post-moderne. Ce qui est encore plus impressionnant, presque personne ne parle de cela dans les médias internationaux, ou, quand ils en parlent, ils reproduisent simplement le récit officiel.

Comme 82% de la population chypriote sont des Grecs par nationalité, ce coup devrait être considéré comme une continuation et une «radicalisation» du programme «Détruire les Grecs» mis en œuvre par l’UE et le FMI, sous la supervision de La Haute Finance en alliance avec l’Allemagne, depuis sept ans. De l’économie, ils passent maintenant à la géopolitique. Jusqu’à présent, ils ont usurpé la souveraineté grecque en matière de politique économique. Avec le coup d’Etat chypriote, ils tentent d’usurper la souveraineté «difficile» du peuple grec.

Je n’utilise pas le terme coup d’état comme un schéma rhétorique, je l’utilise stricto sensu .

Une conférence internationale a été convoquée à Genève, avec trois États étrangers (Grande-Bretagne, Turquie, Grèce) représentés avec des représentants des deux plus grands groupes nationaux de Chypre: les Grecs et les Turcs. La République de Chypre, un État membre de l’UE, n’est pas représentée officiellement dans cette conférence. Deux des trois États (la Grande-Bretagne et la Turquie) ont par le passé lancé des guerres très sanglantes contre les Chypriotes.

Le but de cette conférence est d’élaborer un nouveau «Traité pour une Chypre fédérale» et de décider du futur régime constitutionnel et international de cet état, sans tenir compte de ce que les citoyens de Chypre pensent à propos de cela. La raison pour laquelle ils ont convoqué une telle conférence est qu’ils ne sont pas en mesure de persuader les Chypriotes eux-mêmes d’organiser un référendum pour voter la solution proposée par les puissances occidentales au conflit ethnique de l’île, une solution équivalente au suicide de l’Etat chypriote et sa transformation en un protectorat !

Le gouvernement grec, qui agit de plus en plus comme représentant en Grèce de la Troïka et de l’Occident, non comme représentant du peuple grec, a accepté de participer à cette farce criminelle. Il en est de même avec le président de Chypre lui-même, qui est ouvertement, internationalement et publiquement menacé de diverses allégations criminelles, en particulier le scandale de Lebedev, aux mains de l’administration et des tribunaux américains.

Malheureusement pour le peuple grec en Grèce et à Chypre, sa classe politique et dirigeante a fait le plus grand progrès en Europe pour faire progresser l’agenda totalitaire des puissances étrangères qui cherchent à subjuguer et à détruire le peuple grec, ses états et leur démocratie.

Dans le nouvel «état» qu’ils veulent créer à Chypre, la règle de la majorité (la base de la démocratie) sera officiellement abolie, car les 18% de minorités auront un veto sur toutes les décisions essentielles, et les juges et les responsables étrangers prendront les décisions dans les contingences très probables où les Grecs et les Turcs ne sont pas d’accord.

Le nouvel État n’aura aucune armée ni sa propre police, mais sera sous le pouvoir d’une force de police internationale !

En fait, leur intention est de ramener Chypre au statut de colonie, c’est ce qu’elle était avant sa révolution de 1955 à 1959 et avant qu’elle ne soit indépendante en 1960 !!! Ils ont en gestation un monstre, une sorte d’état Frankenstein.

Ce coup d’État est une expression de plus de l’attaque mondiale contre la souveraineté populaire et nationale, contre l’État social et contre toutes les formes de démocratie.

C’est la même attaque qui est également organisée par des traités tels que TTIP, CETA, etc., qui visent à créer rien de moins qu’un ordre mondial totalitaire, détruisant toute possibilité existante de pouvoirs élus, au niveau local ou national, influant sur les décisions qui affectent les peuples..

Le néolibéralisme était initialement une proposition économique et politique. Il s’agit maintenant d’une proposition de changement de régime. Il est déjà clair que, depuis le Traité de Maastricht au moins, nous avons été témoins d’un coup d’Etat à multiples facettes en Occident, ce qui a miné les fondements mêmes de l’ordre politique occidental. Ils abolissent le principe de la souveraineté populaire en tant que tel, cherchant à le remplacer par un royaume de la finance, dont le pouvoir est incorporé dans diverses organisations internationales et leurs bureaucraties, y compris les institutions et les bureaucraties de l’UE et la plupart des «gouvernements nationaux». Ils ne déclarent pas ouvertement, mais ils procèdent par différents moyens, y compris TTIP, CETA et les autres traités de même nature.

Nous semblons vivre une gigantesque contre-révolution internationale, contre les résultats sociaux et politiques de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des peuples européens contre le nazisme et le fascisme et, en réalité, contre les principes mêmes des Lumières et des révolutions française et similaires (y compris la grecque de 1821 et la chypriote de 1955-59).

Nos nations sont en péril et nos États ont déjà été, plus ou moins, détournés par la mondialisation, c’est-à-dire par la dictature internationale du capital financier, ou du moins par une alliance politiquement et stratégiquement cohérente, en alliance avec le complexe militaire et industriel américain Et l’OTAN.

Le contenu du régime politique occidental, tel que nous l’avons connu depuis 1945, a déjà été largement aboli et sa forme juridique va maintenant progressivement changer pour refléter cette nouvelle réalité. L’un des moyens utilisés est celui des traités internationaux mentionnés précédemment. Un autre facteur pertinent est la manière dont l’Union européenne, le FMI et la BCE ont réagi à la crise bancaire de 2009, en la transformant en une crise de la dette et en l’utilisant comme un outil pour détruire la souveraineté populaire et nationale, en particulier en Europe du Sud.

Nulle part, cette expérience n’est allée aussi loin qu’en Grèce, qui est utilisée, en même temps, comme un exemple pour effrayer les autres Européens, comme bouc émissaire et comme champ d’expérimentation. Le programme de sauvetage imposé au pays a déjà conduit à une crise économique et sociale de proportions sans précédent, plus profonde que l’énorme crise de 1929 aux États-Unis ou la crise de la République de Weimar en 1929-1933.

La Grèce est maintenant le champ de bataille du nouveau totalitarisme financier comme entre 1936 et 1939, l’Espagne était le champ d’expérimentation des totalitarismes nazis et fascistes croissants.

Le programme appliqué à la Grèce n’est pas un programme classique de réformes néolibérales. C’est une erreur de décrire ce qui se passe en Grèce en utilisant des termes comme l’austérité. Il s’agit de l’assassinat d’une nation. Les créanciers ont déjà enlevé la souveraineté nationale et populaire grecque. Une troïka gère même les affaires quotidiennes de l’État et du gouvernement. Toute propriété publique grecque est enlevée. La population grecque se rétrécit car les jeunes n’ont pas d’enfants; Les jeunes ayant des qualifications spécialisées émigrent en grand nombre; La mortalité augmente chez les retraités en raison de l’effritement des systèmes de santé et de sécurité sociale. Les pensions grecques ont été réduites quinze fois dans les sept années du programme de «renflouement». La psychologie et le moral du peuple grec sont au plus bas, remarquablement semblable à la psychologie de M. K., l’accusé dans le procès par Franz Kafka.

Ce n’est pas seulement une expérience politique, économique, sociale mais en quelque sorte anthropologique. Ils veulent non seulement détruire la nation, la démocratie, l’état. Ils veulent détruire leur idée et l’idée même de la citoyenneté. Ils veulent conduire la Grèce à commettre une sorte de suicide collectif et ils ont jusqu’ici en grande partie réussi, spécialement depuis la trahison de SYRIZA, l’une des plus graves trahisons dans l’histoire du mouvement international de gauche.

Maintenant, avec le coup d’Etat de Chypre, cette attaque contre les Grecs prend de nouvelles formes sans précédent et même plus dangereuses.

Ce qui se passe en Grèce, ce qui se passe au Moyen-Orient, ce qui se passe avec le climat, tous sont des preuves que nous sommes confrontés à une offensive horrible, extrêmement radicale et impitoyable par les forces les plus dangereuses et les plus réactionnaires que l’humanité a jamais produites. Aucune illusion n’est permise. Mais la plupart d’entre nous ne donnent pas une réponse proportionnée à la situation. Nous condamnons souvent ces phénomènes, mais nous ne nous comportons pas comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour la civilisation humaine.

Il est important dans ces conditions de défendre chaque élément, partout, de la souveraineté populaire et nationale. Mais en même temps, nous devrions comprendre qu’une telle lutte ne peut finalement pas être gagnée au niveau local ou national, d’autant plus que nous vivons déjà, dans une large mesure, dans ce qui est objectivement un état, et cet état, que nous l’aimions ou non, c’est l’UE. Nos adversaires ont déjà un programme régional et mondial sophistiqué, mais nous essayons de les confronter dans le contexte étroit des réalités nationales de plus en plus sans importance.

Nous avons besoin de nouveaux sujets politiques qui tiennent compte du caractère radical de l’offensive que nous affrontons, consacrée dans nos réalités nationales, mais aussi, dans le même temps, dans la réalité internationale objective.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une conférence Zimmerwald B, un siècle après la première.

* Ce qui précède est d’une intervention à la Conférence sur une réponse démocratique aux Accords de libre-échange, organisée par la Fundación Galiza Semper et le Centre Maurits Coppieters à Coruna (Galiza).

La source originale de cet article est Defend Democracy Press

Copyright © Dimitris Konstantakopoulos , Defend Democracy Press , 2017

Lien pour l’article en anglais

http://www.defenddemocracy.press/the-destroy-greeks-operation-chapter-ii-cyprus/

The “Destroy Greeks” operation: Chapter II (Cyprus)

Grèce… cadre naturel ! La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque et notamment le scandale de l’annulation des poursuites contre des membres du TAIPED.

Grèce… cadre naturel !

 

Été brûlant. 45° à l’ombre. À Athènes et dans les villes importantes du pays, les déchets n’avaient été que partiellement collectés. Le “gouvernement” avait laissé entendre qu’il réquisitionnerait les agents (contractuels) et qu’il impliquerait aussi l’armée… dans cette bataille. Ailleurs, les initiatives privées et locales ont entre-temps, partiellement résolu le problème. Et pour le reste, en Golfe Argosaronique par exemple, le pays revêt ses (faux) habits d’été pour préserver son image présumée idyllique, surtout… devant son tourisme. Le cadre naturel y est certainement… sans la société. Été ainsi brûlant.

Été grec, Golfe Argosaronique, juin 2017

En Golfe Argosaronique (Golfe d’Athènes) où les ordures ont été généralement ramassées, les grandes flottilles estivales apparaissent déjà dans les ports comme dans les baies. Fait nouveau, les premiers Chinois, clients à bord des voiliers (et parfois skippers) attirent comme il se doit tous les regards. Inassouvis on dirait de la nouveauté technologique (à l’instar manifestement des autres terriens), ils passeront près d’une heure à tirer de leurs selfies. Il semblerait toutefois que le selfie cristallise particulièrement le mal-être en ce siècle inédit.

Au bistrot du port, le propriétaire de l’établissement observait les Chinois, à la fois impuissant et… radicalement stupéfait. Ils ont apporté de leurs voiliers, bouteilles de champagne et autres alcools à consommer… sur place au bistrot, après avoir toutefois commandé trois salades ! Sans doute parce que “La pratique est le seul critère pour tester la vérité”, d’après ce slogan (chinois) de 1978 annonçant la fin de la révolution culturelle, le bistrotier de l’Argosaronique devait s’y connaitre peut-être un peu.

Les plages finiront bien par être fréquentées, certains habitants et habitantes du pays iront pêcher tous les jours à la ligne faute de mieux, et l’été, la grande saison grecque, ira alors battre son plein comme d’habitude. Sous les 45° à l’ombre, et ce blog subira autant lors de sa composition, tout l’éblouissement de cette lumière et alors touffeur qui absorbent ainsi tout. Rien de bien nouveau pourtant.

Les selfies. Golfe Argosaronique, juin 2017
Les selfies ! Golfe Argosaronique, juin 2017
Les voiliers. Golfe Argosaronique, juin 2017

La presse aura entre-temps largement épilogué au sujet de cette grève des contractuels à la collecte des déchets. Ces derniers auront manifesté une dernière fois dans Athènes jeudi 29 juin, puis, la grève… intenable, a pris officiellement fin au soir du même jour (quotidien “Kathimeriní”) . Grève il faut dire déjà intenable car largement impopulaire, la société grecque se disloque et ainsi ses vues particulières alors dominent.

Il faut préciser que depuis tant de décennies, “l’entrée” comme on dit des contractuels dans les services municipaux (essentiellement à la collecte des déchets), avait constitué l’antichambre conduisant tout droit à l’embauche définitive. Les clientélismes politiques (Nouvelle Démocratie, PASOK et récemment SYRIZA) auront (presque) tout fait pour maintenir… la situation. Sauf que par ce “temps de crise” (en réalité sous le nouveau régime), et, au moment où une bonne moitié des employés du privé restent et demeureront durablement au chômage et que plus d’un demi million de jeunes Grecs ont émigré, les contractuels… des déchets n’ont guère la côte.

Particularismes, particularités dans leur gloire, face notamment à la puissance (sociale) collective… désamorcée. Et les “gérants”, géreront les affaires de “notre gouvernance” à leur seule et unique guise. Tout ne passe pourtant pas inaperçu, en dépit de la lassitude des âmes grecques. Ces derniers jours, une partie de la presse s’est tout de même sentie obligée de réagir face à l’annonce du montant du salaire annuel (270.000€) dont bénéfice Ourania Aikateriniari, PDG de la “Treuhand-II” “à la grecque”. Agence comme on sait fiduciaire ayant comme mission de brader les biens publics du pays, au profit des néo-colonisateurs appelés parfois “créanciers” (ou assimilés) dans la novlangue dominante (hebdomadaire “To Pontíki” du 29 juin) .

Pour la petite histoire, la PDG… exécutante, a déjà besogné (et certainement appris) auprès de la BNP Paribas, de l’Eurobank, de Deutsche Bank, de DEI (vice-PDG Régie d’Électricité en Grèce, entre 2010 et 2015, qu’elle privatisera d’ailleurs, d’après les prérogatives liées à son nouveau poste), elle a enfin aussi œuvré chez Ernst & Young . Été grec, alors baignades !

Contractuels manifestants. Athènes, le 29 juin 2017 (presse grecque)
Tsipras… roi des déchets. “Kathimeriní” du 29 juin 2017
Femme qui pêche. Golfe Argosaronique, juin 2017
Plage. Golfe Argosaronique, juin 2017

Dans les cafés, les anciens se racontent de leurs histoires forcement du passé, histoires personnelles présumées privées mais qui ne le sont pas en réalité. Ils évoqueront par exemple l’épopée de Georges l’Américain, l’homme était revenu au village vers 1970 des États-Unis où il avait émigré dans les années 1940. Il avait ramené une voiture très américaine, puis il s’est marié, retraité déjà “mais retraité du temps ancien, donc véritable retraité, et non pas comme aujourd’hui”.

Aux dires des vieillards, Georges aurait incontestablement bien vécu. Il aimait les fêtes, il dépensait sans trop compter dans les tavernes, il invitait facilement à boire et enfin, il a trouvé une femme-épouse du coin, évidemment beaucoup plus jeune que lui. Sauf que le lustre même de l’Amérique n’est guère eternel, et que Georges l’Américain n’est plus de ce monde depuis les années 1990, son épouse, toujours plus jeune que lui, elle vient de disparaître (sauf pour la mémoire locale) il y a seulement quelques années.

Et à l’image de l’Agora des vieillards comme des cafés, les medias grecs (dont largement internet), véhiculent cette nostalgie du passé supposé “entier”, à travers toute une myriade de documents, vidéos, textes et surtout photographies, issus de cette “autre Grèce disparue à jamais”.

La Grèce des années 1950-1960 (Internet grec, d’après les photos d’un visiteur Allemand)
La Grèce des années 1950-1960 (Internet grec, d’après les photos d’un visiteur Allemand)
Athènes, Agora Romaine, juin 2017

Ainsi, dans ce café du Péloponnèse, il a été aussi question entre vieillards, de la Guerre Civile (1944-1949), comme plus généralement de notre plus terrible décennie grecque, celle de la guerre (1940-1949). Dimítris, s’est mis alors à raconter: “J’y étais moi, dans les forces spéciales, nous avons combattu les communistes, et alors ? Depuis, je boite, blessé depuis à mon pied gauche, je traîne la patte, comme notre pays qui traîne alors sa patte depuis ces années-là. Les politiciens ; tous des traîtres, les Karamanlis comme tous les autres, seulement Papadópoulos avait tenté quelque chose mais il a été renversé par les Américains en 1973.”

Personne n’a voulu contredire, ouvertement en tout cas, cette thèse de Dimítris à propos de Papadópoulos, chef de la Junte des Colonels (1967-1974), effectivement “remplacé” par les Américains en novembre 1973, mettant à sa place Ioannídis, lequel leur était plus docile. Anéstis, le bistrotier, visiblement gêné, a coupé court à ce monologue pro-Papadópoulos: “Arrêtez les gars avec ces histoires. Je vais mettre de la musique”.

Et aussitôt, le… bruitage habituel repartit, puisant dans la playliste-déchetterie omniprésente il faut dire, grecque et internationale, d’une radio forcement privée. D’une dictature… à l’autre !

Athènes, sous l’ombre. Agora ancienne, juin 2017
Dans Athènes, sous-location, quartier de la Pláka. Juin 2017
Quartier de la Pláka, tôt le matin. Juin 2017

Dans Athènes, les touristes déambulent lorsque nos animaux adespotes iront trouver de l’ombre du côté des vielles pierres, sous les arbres de l’Agora. Été brûlant. 45° à l’ombre. Dans les quartiers de la capitale comme dans les villes importantes du pays, les déchets finiront par être collectés car les camions benne à ordures ménagères circulent de nouveau.

La colonie se porte alors si bien, la dite “Haute Cour de Justice”, dans sa délibération du 29 juin, elle vient d’annuler la procédure pénale visant neuf membres du TAIPED (“Treuhand” – I, structure imposée par les colonisateurs Troïkans en 2011), voilà pour la dernière des nouvelles (quotidien “Kathimeriní” du 30 juin) .

Parmi ces neufs… technocrates, explicitement accusés pour détournements de fonds et pour avoir fait perdre à l’État grec près de 580 millions d’euros suite à la vente de 28 biens immobiliers (publics appartenant à divers ministères), trois, sont les ressortissants des pays de l’Eurocontrol (un Espagnol, un Italien et un Slovène). Ainsi, suite au récent Eurogroupe ; ces pays, dont d’bord l’Espagne, ont menacé de bloquer l’attribution de la tranche (nommée “dose” pour la presse grecque) de près de huit milliards d’euros, destinés à la Grèce… et servant quasi-exclusivement, à réintégrer les caisses des dits créanciers (le remboursement eternel !).

La procédure visant donc ces neuf technocrates à la tête du TAIPED date de juillet 2015, et elle a été initiée et instruite par deux Procureurs luttant contre la corruption, Ioánna Sévi et Angelikí Triantafillou, ayant donné également suite à la plainte déposée par un bon nombre d’avocats inscrits au barreau du Pirée (médias grecs du 20 juillet 2015) .

Le Président de la Bulgarie visitant le musée de l’Acropole. Athènes, juin 2017
Athènes, juin 2017
Affiche: 100 ans depuis la Révolution de 1917 et le livre de Victor Serge. Athènes, juin 2017

Notons que le quotidien “Kathimeriní” daté du 30 juin, classe son reportage relatif à cette décision scandaleuse de la “Haute Cour de Justice” au sujet du TAIPED, dans sa rubrique “Économie”, et non pas “Politique”, ni même “Justice”. Preuve, s’il en est besoin, que l’économisme actuel fait bel et bien la force principale de ce totalitarisme métadémocratique galopant qui est le nôtre, en Grèce, comme hélas ailleurs.

Les pantins et autant escrocs du “gouvernement Tsipras” souriront ainsi encore devant les cameras, comme ils se contenteront à faire visiter le nouveau musée de l’Acropole au président de la Bulgarie voisine. Voitures blindées, officiels escortés, le tout, sous le regard innocent des touristes qui n’auront rien compris, ni même voulu saisir des évidences du pays réel tant visité, ni peut-être finalement de leur propre pays.

Été brûlant. 45° à l’ombre. Dans Athènes et dans le quartier de la Pláka on y découvre les nouvelles annonces pour ces sous-locations d’époque, au moment où l’uberisation Airbnbienne a déjà bouleversé les… “données structurelles” d’une économie déjà fort estropiée depuis… l’avènement de la Troïka (pour ne pas dire depuis la mise en place de la zone Euro).

Caïque de pêche ayant quitté son port. Péloponnèse, juin 2017

Ailleurs, les caïques quitteront encore leurs ports pour pêcher, au moment où les premiers Chinois, clients à bord des voiliers, tireront de leurs selfies.

Été grec, alors baignades ! À l’heure de la sieste, le bistrotier aura enfin coupé sa… musique comme il se doit. Surtout de l’eau, comme de l’amour pour nos animaux adespotes. Grèce… cadre naturel !

De l’eau et de l’amour. Péloponnèse, juin 2017
Photo de couverture: Réalités, Péloponnèse, juin 2017

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JC Juncker docteur Honoris Causa d’une université en Grèce mais jusqu’où iront-ils ?

Université de Thessalonique : Les étudiants protestent contre la nomination de JC Juncker comme Docteur Honoris Causa :

Les étudiants des organisations ΑΡΡΕΝ, ΕΑΑΚ et du groupe Lutte étudiante socialiste ont protesté devant le bâtiment administratif de l’Université Aristote de Thessalonique pour exprimer leur opposition à la cérémonie prévue le 13 juillet pour la proclamation du Commissaire européen Jean-Claude Juncker, comme docteur honoris causa de la Faculté de droit.

Ils ont accroché des banderoles à l’entrée du bâtiment du recteur, qui caractérisent comme « indésirable» le président de la Commission européenne ( « Les notes de service et leurs serviteurs n’ont pas leur place dans nos écoles. Juncker indésirable ! »), et ont demandé au recteur adjoint, Théodore Laopoulos, l’annulation de la nomination prévue.

M. Laopoulos a dit que cette décision de l’université serait maintenue, les étudiants ont exprimé leur intention de faire obstacle au déroulement de la cérémonie. Selon une annonce du recteur de l’université, Périclès Mitka, cette nomination de M. Juncker est « comme une reconnaissance concrète de sa contribution aux valeurs fondamentales de la culture politique et juridique européenne. »

VIDÉOS : https://youtu.be/yGZJr-kAUps  https://youtu.be/yxehr8edlAI https://youtu.be/QEEkEU7AUow

Chanson : C’est la Grèce

C’est la Grèce chanson en solidarité avec le peuple grec ( voir les paroles plus bas)

C’EST LA GRÈCE…

Je-voudrais-lui-dire-bravo, lui-rendre-hommage
Faire entendre sa colère et son courage.
L’aider à reprendre espoir, chasser sa peine,
Faire cesser cette mascarad’ européenne.

Personne ne lui fera courber l’échine
Notr’ soeur, fière et rebelle, qu’on assassine.
Suivons son exemple, relevons la tête
Chassons ces vautours qui s’ payent la bête.
Refrain
—————————————
C’est la Grèce que l’on matraque,
Que l’on poursuit, que l’on traque.
C’est la Grèce qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
C’est la Grèce qu’on emprisonne,
Que la troïka rançonne,
Qui nous donne envie de vivre,
Qui donne envie de la suivre
Jusqu’au bout, jusqu’au bout.

Oui , c’est le même sort qu’on nous réserve
C’est la même soupe que les banquiers nous servent.
De Madrid à Paris, la même galère
Unissons nos forces, battons-nous mes frères !

Soufflant du coeur d’Athènes, la révolte gronde
Tendue vers une vie solidaire et féconde
Un av’nir sans pouvoir, sans arrogance
Débarrassé des maîtres de la finance.

refrain

Fibres organiques : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Fibres organiques 

Large époque des déchets. Les contractuels municipaux du pays soi-disant plénier, affectés à la tâche du ramassage des ordures sont en grève depuis quelques jours. Ils estiment que leur mission répond à des besoins précis et durables. Ils devraient donc “être embauchés réellement et durablement”. Les poubelles débordent, et l’air devient irrespirable. Comme pour ce qui est de la politique et de l’économie diront alors certains.

Les poubelles à Athènes. Juin 2017

Dans cette urgence des… déchets, le “gouvernement” vient de promettre “une certaine solution pour la semaine prochaine”, à savoir, le prolongement de leurs contrats et une embauche supposée définitive sous condition dans le futur. Athènes suinte de son jus putréfié, 37 °C à l’ombre très exactement. Les habitants en ont vu certes bien d’autres et d’ailleurs en ce moment, ils préférèrent si possible fréquenter les plages proches que le centre-ville c’est évident.

Décrépitude toujours, et une bien curieuse affaire devrait en tout cas secouer l’opinion publique de la colonie et pourtant… D’après les médias du moment, le ministre de la Défense Panos Kamménos, se serait entretenu cette année à plusieurs reprises au téléphone avec Makis Yannoussakis, empoisonné car condamné à la perpétuité pour l’affaire d’un petit cargo, le “Noor One”, pris… à son bord avec plus de deux tonnes d’héroïne pure en juin 2014, par exemple reportage du quotidien “Kathimeriní” de cette semaine .

Depuis 2014, de nombreuses pièces du dossier de l’instruction auraient été “amalgamées” et ainsi fusionnées, alors que, quelques semaines seulement avant le procès, les officiers des garde-côtes qui ont découvert l’affaire ont été curieusement mutés (même provisoirement), et en même temps… la Présidente de la Cour jugeant l’affaire, elle s’est dessaisie du dossier, suite à des… douleurs musculaires soudaines. Et enfin, deux témoins importants et autant accusés, sont morts, tandis que d’autres témoins sont toujours placés sous protection policière.

Mariés… devant le bâtiment historique de l’Université. Athènes, juin 2017
Voleur de… faîtages. Athènes, juin 2017
Déchets non ramassés (détail). Université d’Athènes, juin 2017

La presse s’enflamme de nouveau, le ministre Kamménos “aurait intervenu auprès du condamné Yannoussakis pour que ce dernier dénonce dans cette affaire le rôle présumé qu’aurait joué l’armateur du Pirée Marinákis”, ce dernier vient d’ailleurs de porter plainte (complot, diffamation), visant également le ministre de la Défense (quotidien “Naftemborikí” du 23 juin) , tandis que le ministre n’a toujours pas démenti les faits présumés de… manière claire.

Sauf que les Grecs ne s’intéressent plus vraiment à cette affaire comme à tant d’autres. Les bassesses abyssales du “pouvoir politique” (en réalité du système politique) ont tout balayé, pas besoin d’en apprendre davantage, c’est alors visible à l’œil nu. La vie presse ! Ainsi, les mariés nouveaux iront toujours se faire photographier devant le bâtiment historique de l’Université d’Athènes (œuvre de l’architecte Danois Hans Christian Hansen entre 1839 et 1864), les détritus divers et variés ne seront pas ramassés, tandis que de voleurs de toitures… au grand jour, s’en servent, en grimpant par exemple sur ces bâtiments historiques rue Stadíou, ravagés par le feu au moment des émeutes de février 2012.

La grande vérité est en somme désormais connue des Grecs. Comme l’écrit très clairement Státhis Kouvelákis: “Dépossédé de tout contrôle sur sa politique budgétaire et monétaire, l’État grec se voit désormais privé de tout levier d’action, y compris ceux qui concernent des attributions régaliennes telles que la collecte de l’impôt. Les institutions représentatives, à commencer par le parlement, sont réduites à un décorum, dépossédées de la capacité de suivre l’exécution d’un budget dont les lignes échappent de toute façon à son contrôle. Cette destruction de la souveraineté étatique s’accompagne de la mise en place d’une variante particulièrement brutale d’accumulation par dépossession, pour utiliser le concept de David Harvey, basée sur le bradage du patrimoine public et le saccage des ressources naturelles et de l’environnement dont bénéficient à la fois des fractions prédatrices de capitaux nationaux et étrangers. Pour le dire de façon abrupte, la Grèce se transforme en néocolonie, la fonction de son gouvernement national, quelle que soit sa couleur, ne différant de celle d’un administrateur colonial, le simulacre de négociations auxquels se livrent les deux parties à l’occasion de cette interminable série de réunions de l’Eurogroupe et de sommets européens ne servant qu’à maquiller superficiellement cet état de fait” (Státhis Kouvelákis, L’Europe forteresse) .

Conscients… ainsi pleinement des réalités qui sont les nôtres, les… sans-rien, interpelleront durablement les passants et les passantes sous une chaleur accablante, tandis que nos visiteurs photographieront ces mêmes bâtiments de l’Université historique, ère autant des banalisations. Fort-heureusement, on représente parfois à Épidaure, comme en ce juin 2017, “Les Sept contre Thèbes”, troisième pièce de la trilogie thébaine d’Eschyle, tout donc ne serait jamais définitivement perdu dans la colonie, en dépit des bassesses amplement abyssales du “pouvoir politique”.

“Les Sept contre Thèbes” à Épidaure. Affiche, Athènes, juin 2017
Les… sans-rien, interpelleront les passantes. Athènes, juin 2017
Nos visiteurs photographiant. Athènes, juin 2017

On se souviendra d’ailleurs à l’occasion, du profond dégoût d’Eschyle à l’égard de l’hybris, démesure des hommes mettant en danger l’ordre et l’harmonie de la cité, car… lorsque les poubelles débordent, l’air devient par décidément irrespirable.

Et il était également question de l’hybris, lorsque mon ami Lákis Proguídis a débattu et conféré au soir du 19 juin avec Yórgos Karambelias (activiste, résistant contre la junte des Colonels et écrivain) dans un café littéraire d’Athènes. Le thème: Aléxandros Papadiamántis (1851-1911) le grand écrivain, le regard de l’Occident sur la Grèce, et aussi l’hybris (déjà) de la technoscience (en réalité de l’homme), d’après Papadiamandis comme d’après Lákis Proguídis.

Comme je l’écrivais déjà sur ce blog (25 mars 2017), Lákis Proguídis, lequel a consacré une bonne partie de sa vie à l’étude et à la diffusion de l’œuvre d’Aléxandros Papadiamántis (et il poursuit), s’y connait: “Il faut se ressourcer dans l’œuvre de Papadiamántis par les temps qui courent”, rappelant devant un public athénien averti, “Le Chant funèbre du phoque”, texte publié trois ans avant la mort du grand écrivain de l’île de Skiáthos. “L’entendrons-nous toujours ?”

Lákis Proguídis (à gauche) et Yórgos Karambelias en débat dans un café littéraire. Athènes, le 19 juin
Lákis Proguídis et Yórgos Karambelias en débat dans un café littéraire. Athènes, le 19 juin

L’homme de Papadiamántis encore dans sa plénitude, demeure une personne irréductible, ce qui ne sera plus le cas un siècle plus tard. “Et ce n’est pas n’importe quel siècle” – remarque Lákis Proguídis dans son essai (paru en grec aux éditions “Hestia”, Athènes, 2017) – “mais le XXe siècle, celui de l’obsolescence de l’homme. Oui, de son l’obsolescence, d’après la pensée philosophique de Günter Anders. Non pas de l’aliénation de l’homme dont parlait Marx au milieu du XIXe siècle, ni d’ailleurs de la ‘privatisation’ de l’homme (son auto-marchandisation) que Cornelius Castoriadis avait tant évoqué au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.”

Athènes sinon, aux yeux des visiteurs et aux besoins toujours précis et constamment durables. Les poubelles des rues déborderont pour encore quelques jours ou pour quelques heures, et quant aux autres… poubelles c’est plus compliqué. Sans hélas exagérer, le dit “Parlement” à Athènes prend à son tour la forme d’une poubelle qui déborde, par exemple à travers ce dessin de presse très réussi, publié par le quotidien “Kathimeriní”, exercice plus que symbolique de l’exacerbation des paradoxes du réel.

Paradoxes du réel toujours et encore, et le voisin Kóstas comme Eleni son épouse, vont enfin prendre leur café avec nous comme du temps de jadis. Ils méditent, ils se plongent dans la mesure du possible dans la connaissance hétérodoxe. Ils ont définitivement éteint leur télévision et ainsi ils quittent à leur tour le temps des illusions, faussetés politiques comprises. Le choc de la trahison Tsiprosaure durant l’été 2015 les avait tant bouleversé il faut dire. Enfermés chez-eux, ils avaient volontairement interrompu tout échange d’idées pour ne pas dire tout échange tout court. Et ce n’est que pratiquement deux ans après avoir fait le deuil de leurs illusions (comme de leur pays dans un sens), que Kóstas et Eleni, retrouvent alors leur élan, disons habituel.

Le… “Parlement” grec. Quotidien “Kathimeriní”, du 23 juin

“Nous ne nous faisons plus d’illusions quant au système politique. C’est un jeu théâtral, d’ailleurs incarné par ces comparses alors de la pire espèce. C’est une très longue lutte… œcuménique qui s’engage, et elle durera nous semble-t-il peut-être… près d’un siècle. Nous n’irons plus jamais voter et nous nous organisons déjà en cellules de veille comme de réveil… ontologiques. Voilà tout ce qu’il va falloir transmettre à nos enfants, et notre riposte… ou la leur, alors viendra. Elle sera violente, elle sera brutale, sauf qu’elle ne rappellera en rien les manières du passé.”

C’est alors ainsi que les Grecs (certains d’entre eux en tout cas) ne s’intéresseront plus visiblement aux affaires supposées courantes… et encore moins aux cargos mixtes du temps présent. Les bassesses abyssales du “pouvoir politique” (presse comprise) rendent même de plus en plus ridicule, ce cercle devenu vicieux et qui tourne en boucle, autophage et même autodestructeur, entre les “faits et gestes politiques” et le verbiage journalistique ambiant.

L’immeuble où avait vécu (aussi) le poète Yórgos Seféris. Athènes, juin 2017

Athènes, huit heures du matin devant l’immeuble où avait vécu Yórgos Seféris , notre (autre) grand poète. Enfin, un peu de calme !

“La mer, la danse immobile des montagnes. C’est bien la même chose que je retrouve dans l’ondulation de ces tuniques, comme de l’eau pétrifiée sur le torse et les flancs de ces fragments décapités. Ma vie entière, je le sais, ne me suffira pas pour exprimer ce que je cherche à dire depuis tant de jours: l’union de la nature avec un simple corps humain. (…) Chez Homère tout se tient, le monde entier est un tissu de fibres organiques,” (pages de son Journal – 1925-1971 – Mercure de France, 1988.

Athènes, à huit heures du matin, sous le regard énigmatique des seuls animaux adespotes. Fibres organiques !

Sous le regard énigmatique des seuls animaux adespotes. Athènes, juin 2017
* Photo de couverture: Fibres organiques… Athènes, juin 2017

mais aussi pour un voyage éthique pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

 

Entretien avec des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée en Grèce

Entretien avec des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée en Grèce

Cette interview a été réalisée fin mai 2017, il nous a paru important de recueillir la parole des camarades de l’Assemblée Antifasciste du Pirée dans le cadre d’échanges d’expériences sur l’antifascisme, afin de connaître leur analyse, de mieux comprendre la situation et aussi afin de renforcer des liens avec les camarades francophones.

L’histoire de l’antifascisme en Grèce remonte à la fin des années 30 avec l’opposition à la dictature fasciste de Metaxas puis aux années 40 avec la résistance contre les armées de l’État Italien fasciste et de l’État Allemand Nazi. La lutte contre le fascisme s’est poursuivie après la fin de la dictature en 1974, puis un tournant a été pris avec la montée spectaculaire du groupuscule Nazi Aube Dorée, autant dans la rue que dans les urnes, au moment de la crise financière, à la fin des années 2000.

Camarades bonsoir, pour démarrer pouvez vous nous présenter votre collectif, l’Assemblée Antifasciste du Pirée ? Quand a-t-elle été créée, dans quel contexte et avec quels buts ?

L’Assemblée Antifasciste du Pirée a été créée en Novembre 2013, après l’assassinat de Pavlos Fyssas (Killah P) par une section d’assaut de l’Aube Dorée (AD). Notre objectif était d’ouvrir la question de l’antifascisme au Pirée, un endroit assez sensible à cette période-là en raison de l’existence depuis des années d’un noyau organisé de l’Aube Dorée et à cause du caractère raciste et petit-bourgeois du Pireotis (habitant de Pirée) moyen.

Malgré le fait que nous nous organisions sur le sujet spécifique de la lutte antifasciste, nous le faisons autour de principes et pratiques anti-autoritaires. Nos réunions sont ouvertes (mais pas publiques) et sont basées sur l’auto-organisation. Au delà de l’antifascisme, notre AG s’implique aussi dans les luttes et activités concernant le travail, la solidarité aux migrant·e·s ainsi que l’expression et la création culturelle auto-organisées.

Parce que nous considérons que la question de l’antifascisme ne se limite pas à l’opposition physique aux groupes fascistes, mais qu’elle comprend aussi la limitation de leurs idéologies et de leurs idées sur la société (le racisme, l’homophobie, la misogynie, le militarisme), notre intervention dans la région du Pirée s’appuie aussi sur une activité de propagande avec des affiches, des tracts et des journaux de rue.

En même temps, nous avons organisé une série d’événements culturels (sportifs et musicaux) dans le quartier, visant au développement à la base de la contre-culture locale.

Le 18 septembre 2013 P. Fyssas a été assassiné par des fascistes de l’AD dans un quartier du Pirée. Suite à cela, l’État a poursuivi l’AD, l’accusant d’être une organisation criminelle, et une grande partie de ses dirigeants est rentrée en prison. À la fin, les dirigeants sont sortis de la prison et, actuellement, il y a le procès de cette organisation. Comment le mouvement anti-fasciste voit ce procès ?

D’abord, nous tenons à dire que selon nous, il n’y a pas de « mouvement anti-fasciste » unitaire. D’un côté, il y a l’anti-fascisme républicain qui défend simplement la démocratie et la constitution ; il rassemble l’ensemble de la gauche (gouvernementale ou pas) qui considère que le procès de l’AD est d’un intérêt anti-fasciste primordial et concentre ses forces là dessus.

De l’autre côté, et d’un point de vue anti-autoritaire, l’affrontement quotidien avec les fascistes et la fascisation sociale, et les idées qu’ils propagent, est la principale préoccupation. Bien que le milieu anti-autoritaire ne soit pas homogène et qu’il y ait des points de vue divergents ou même conflictuels, il s’agit du seul espace politique et social qui s’est opposé aux fascistes dans les rues et dans les quartiers ; cela face à la répression étatique bien plus dure et intense que celle qui a frappé les fascistes. En tant qu’Assemblée, nous faisons partie de ce milieu, et donc nous avons exprimé publiquement notre opposition concernant la désorientation que représentent le procès de l’AD et la démocratie bourgeoise.

Une partie du milieu anti-autoritaire s’est investie au procès en tant que témoin à un niveau immédiat, comme par exemple à propos des attaques de l’AD contre le local anti-autoritaire « Antipnia » en 2008 et contre le local social « Synergio » en 2012, en indiquant toutefois que l’antifascisme est un sujet d’affrontement social et non pas judiciaire.

À la fin, l’AD s’est restructurée bien qu’elle ne soit pas aussi forte qu’il y a quatre ans, comment vous l’expliquez ?

Bien que le procès semble « avoir mis sous pression » les fascistes, en fait, ils ont bénéficié de tout le temps nécessaire pour se restructurer. Après un certain temps, d’abord les dirigeants, puis ceux qui sont plus bas dans la hiérarchie, ont été libérés ; puis leurs noyaux locaux sont restés à peu près intacts, à l’exception notoire de l’organisation locale de Nikea (quartier du Pirée) qui a été directement ciblée pour l’assassinat de Fyssas. Leur groupe parlementaire participe régulièrement aux réunions du parlement, et leur représentation au niveau local (municipalités – régions) se poursuit normalement.

Au delà de la ville du Pirée, qu’en est-il de la présence fasciste dans la rue ?

Les attaques fascistes dans la rue sont limitées par rapport à la période précédente, mais elles ne se sont pas arrêtées. Récemment, il y a eu de nombreuses attaques contre les migrant·e·s à Aspropyrgos, une ville industrielle à l’ouest du département d’Attique, où les fascistes maintiennent leurs locaux et un noyau local actif. Au cours de l’année, il y a eu des attaques fascistes dans les centres étatiques « d’accueil » de réfugié·e·s, comme par exemple à l’île de Chios. Aussi, les fascistes se sont « intéressés » aux enfants de réfugié·e·s allant aux écoles autour des centres de détention, en créant des bagarres contre leur présence, comme par exemple à Ikonio de Perama (quartier du Pirée) et à Oreokastro (Thessalonique). Évidemment tout cela avec la complicité et le soutien de la police et des facho-habitants « indignés ».

Nous pensons que les fascistes conservent leurs forces jusqu’à la fin du procès, afin de faire renaître les sections d’assaut et continuent à attaquer les migrant·e·s et les militants.

En août 2016, le squat d’habitation de migrant·e·s « Notara 26 » a été la cible d’une attaque incendiaire, pouvez-vous nous dire quelques mots à propos des attaques de squats et de locaux militants ces derniers temps ?

Ces derniers temps, les attaques fascistes contres les lieux auto-organisés sont limitées. Cependant, il y a quelques temps, un groupuscule fasciste (lié à l’AD) avait lancé une série d’attaques incendiaires (échouées plus ou moins à chaque fois ) contre des lieux du mouvement (mais aussi de la gauche). C’est dans ce cadre là que le squat « Notara 26 » a été attaqué.

En général, nous voyons les attaques fascistes contre les squats comme l’autre côté de la répression étatique. Donc, là où un mandat du procureur ou du juge ne suffit pas, il y a une bombe incendiaire fasciste pour faire le boulot.

Étant donné que les gens qui soutiennent ou soutenaient Syriza, participaient à des initiatives et actions antifascistes, comment le mouvement antifasciste a été influencé par la montée de Syriza au pouvoir en janvier 2015 ?

La logique de la délégation fait partie de l’idéologie dominante dans les sociétés occidentales. En Grèce, le mouvement dans un sens large n’a pas réussi à briser cette logique. Avant 2012, tout le monde pensait que le fascisme ne concernait que 30 néonazis au crâne rasé. Ceux qui n’ont connu que les listes électorales au cours des cinq dernières années ont cru que la montée de la gauche au pouvoir signifierait la limitation de la présence fasciste.

De manière plus générale, les victoires électorales de Syriza ont réduit considérablement la présence des gens dans la rue ; au-delà de la déception et de l’indifférence, cela s’explique par « l’espoir » que les choses iraient mieux. Ainsi, le capital et l’État ont trouvé leur meilleur allié : la social-démocratie renouvelée qui fait refluer les mouvements.

Au début de 2016, des milliers de migrant·e·s sont arrivés au Pirée depuis les îles de la mer Égée, beaucoup sont restés vivre au port pendant des mois, quelle était la réaction de l’État ? Comment la solidarité s’est développée ?

La solidarité, bien qu’elle fut massive au début, n’a pas échappé aux réflexes de charité bourgeoise. Des milliers de personnes se sont souciés des estomacs vides des migrant·e·s. Mais presque personne ne semblait voir la question de façon plus globale, personne ne se souciait des droits des réfugié·e·s, de leur régularisation politique et de leur intégration sociale organisée à la base. Alors que beaucoup de gens ont soutenu matériellement les migrant·e·s, à la fin, le soutien politique est resté une affaire des quelques anti-autoritaires politisé·e·s qui ne pouvaient même pas se mettre d’accord entre eux sur des bases minimales.

Le gouvernement de gauche a réussi à intégrer dans ses propres projets le citoyen lambda qui voyait les migrant·e·s avec bienveillance. Alors que les gens de tous les jours étaient au port pour offrir leurs services aux réfugié·e·s, les gouvernants avaient déjà décidé d’évacuer le port et de transférer des réfugié·e·s dans des centres de transit. En même temps, il y avait une entreprise de promotion de la logique de distinction entre réfugié·e·s politiques et migrant·e·s ; de toute façon, cette logique, la société était prête à l’accepter. Ainsi, beaucoup de migrant·e·s ont été expulsé·e·s et beaucoup d’autres emprisonné·e·s dans des centres de rétention. L’implication des ONG était centrale. Les ONG qui se sont occupées des réfugié·e·s au port du Pirée sont les mêmes qui, plus tard, et avec l’armée grecque, ont transféré les migrant·e·s dans les centres d’ « accueil ». Aussi, beaucoup de gens pas politisés ont commencé à travailler pour l’intérêt des ONG.

La situation concernant les migrant·e·s et les réfugié·e·s, le port du Pirée, les ONG et l’implication de l’armée relèvent évidemment des questions que nous ne pouvons pas aborder de façon satisfaisante dans cette interview, car ce sont des sujets profonds qui ont occupé le débat public pendant longtemps…

On a vu qu’un de vos tracts concerne l’histoire de Sanaa Taleb . Quelles actions menez-vous dans le cadre du mouvement de solidarité aux migrant·e·s ? Que pouvez-vous nous dire de la situation dans les centres de rétention ?

Il nous est arrivé, en commun avec d’autres groupes, de participer à des mobilisations contre les centres de rétention comme celui de « Amygdaleza » et de « Ellinikon » (où Sanaa Taleb était enfermée). En décembre 2015, avec d’autres groupes des quartiers ouest d’Athènes et du Pirée, nous avons co-organisé une manifestation de solidarité aux migrant·e·s, se terminant au port du Pirée .

La situation dans les centres de détention est la même depuis des années : les gens y sont entassés, sans recevoir les soins de base, ils et elles sont à la merci des matons, en attendant leur expulsion. Alors qu’avant les élections, la gauche s’était engagée à les fermer, non seulement elle ne les a pas fermés mais elle en a créé des nouveaux.

Vous voudriez rajouter quelque chose ?

Salutations à tous les camarades du mouvement en France, qui nous donnent du souffle depuis un an à travers leurs luttes. L’émergence de mouvements combatifs dans les pays d’Europe centrale, contre l’extrême droite et ses idées, contre la restructuration du travail et l’État d’Urgence, est le seul véritable obstacle à l’attaque totale du Capital et de l’État sur la classe ouvrière.

P.-S.

Traduit localement par un·e camarade pour le Pressoir, et féminisé par l’équipe.

https://lepressoir-info.org/spip.php?article914&utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook

Les Grecs plongés malgré eux dans la jungle des salaires

Les Grecs plongés malgré eux dans la jungle des salaires Reportage Angélique Kourounis
Correspondante à Athènes

Avant, la surprise c’était de savoir combien  nous allions toucher en fin de mois, mainte­nant c’est sous quelle forme on va être payé… si on est payé.”Maria Fotiadou, 42 ans, fonctionnaire, préfère rire de sa si­ tuation. Un rire rauque, amer, mais un rire tout de même car après des années de luttes syndicales acharnées, après des centaines et des centaines de manifestations, et une quantité incalculable de gazlacrymogènes inhalés, sans vraiment remporter de victoire, “ne serait-­ce qu’une seule” sur l’austérité, elle s’est dit que le rire, c’est encore ce qui la pré­serve “le mieux” de la dépression ou même de la folie.

Tous les mois, elle va sur son ordinateur pour dé­couvrir quel va être son salaire de professeur d’histoire. “Toutes les nouvelles augmentations d’impôts,toutes les nouvelles taxes sont rétroactives et retenues sur mon salaire. Idem pour chaque jour de grève. Cela fait six mois que je n’ai pas touché le même montant”, nous dit-­elle le nez sur son écran. “Comment voulez­-vous que je puisse m’organiser ? C’est impossible !”
Ce mois-­ci, elle va toucher la totalité de ses 980 euros mensuels. Maria souffle, la colonie de vacances de la petite va pouvoir être payée. Mais la grande inconnue c’est combien va toucher son mari. Pavlos, 44 ans, employé dans le privé, est payé généralement avec deux à trois semaines de retard et encore pas en totalité mais par tranche.“C’est comme les prêts des créanciers au pays. C’est quand ils veulent, comme ils veulent, s’ils veulent et on n’a rien à dire”, relève cyniquement Pavlos. Pourtant il s’estime heureux. “Moi, le patron m’aime bien et il est content de mon travail alors j’ai plus de chance que les autres qui sont payés avec jusqu’à trois mois de
retard”, marmonne-­t­-il. Pavlos ne rit pas du tout. Il est aigri. Le mois dernier, il s’est retrouvé avec 200 euros en moins sur son salaire de 600 euros.
Coupons de supermarchés
“Au début, j’ai été me plaindre à la comptabilité, mais après j’ai vu que j’avais des coupons de supermarché pour compléter. Je n’ai pas compris. Personne ne m’avait prévenu. Donc je suis payé, en cash, au noir, alors contre qui se plaindre et pourquoi ? C’est ça ou la porte.” La porte, il ne la prendra pas. Il est resté trois ans au chômage. Il est prêt à tout pour ne pas s’y retrouver. “Même à travailler pour être payé tous les six mois si nécessaire”, avoue-­t-il.
De toute façon, entreprendre une action contre son employeur relève de l’impossible. “La situation est telle que même les inspecteurs du travail déconseillent d’engager des actions”, explique Christos Sabountzakis, avocat spécialisé dans le droit du travail.
Un million de salariés impayés ?

Les chiffres, quand ils sont là, parlent d’eux-­mêmes. Selon le ministère du Travail, 400000 salariés grecs environ étaient dans la situation de Pavlos en 2013.
Aujourd’hui, “ils sont certainement plus nombreux mais on n’a pas de statistiques sur la question”, relève un fonctionnaire qui préfère garder l’anonymat. Le quotidien libéral “Kathimerini” n’hésite par pour sa part à parler de “un million de salariés impayés dans le pays”. Régulièrement des salariés défilent dans les rues ou manifestent devant le ministère du Travail pour exiger leur salaire en retard. Les derniers en date sont les femmes de ménage des établissements scolaires de la région de l’Attique. Elles attendent depuis le mois de décembre leurs 300 euros mensuels. Peu avant, c’était l’ensemble du secteur médical qui manifestait pour protester contre les heures supplémentaires non payées et le manque de personnel. A Thessalonique, dans le nord, ce sont les salariés de la société des bus de la ville qui attendent d’être payés depuis plusieurs mois. Selon leur syndicat: “Les dividendes aux actionnaires ont bien été versés mais pas les salaires en retard”.
Un salaire sur deux payé avec du retard

“Une entreprise sur deux ne paie pas ses salariés à temps”, confirme Savas Rombollis de l’Institut du Droit du Travail. “Les secteurs les plus touchés sont”, selon ce chercheur, “le tourisme, où le travail au noir règne en maître, la restauration, le nettoyage, l’hôtellerie et la sécurité”.
Justement, Hector, 20 ans, commence sa vie d’actif dans la restauration. Il est premier cuisinier. Il ne rechigne pas à la tâche et était très fier d’annoncer à ses parents qu’il avait décroché un poste dans une taverne connue de Crète. Son salaire? Quatre euros de l’heure imposables “mais déclarés”, précise-t­-il. Plutôt correct pour un premier travail dans la Grèce de la crise, sauf qu’il est déclaré pour quatre heures par semaine alors qu’il en travaille huit à dix heures tous les jours de la semaine non­stop sans repos pour toute la saison. Il trouve cela “normal” et, comme Pavlos, s’estime heureux car il est payé “rubis sur l’ongle, tous les lundis” et que chaque heure supplémentaire, “même les demi-­heures ou le quart d’heure supplémentaires sont réglés sans discuter”. Évidemment, il a dû accepter au préalable de travailler gratuitement pour sa semaine d’essais.

Pour Ourania Filocatopoulou, professeur de droit à l’université Pantion d’Athènes, cet état d’esprit est peut-­être ce qu’il y a de pire dans cette crise. “La  jungle du salariat est telle que les nouveaux arrivés sur le marché sont satisfaits du minimum. S’ils sont payés tous les mois ça suffit. Peu importe le salaire, peu importent les conditions de travail. C’est ça, l’exil ou le chô­mage.”

La loi du plus fort

Un chômage qui selon le chercheur Savas Rombollis, reste le plus haut de l’euro­zone : “24,4 % officiellement mais 29 % dans les faits, et qui touche 52 % des jeunes”. Du coup, avec les salaires ce sont les conditions de travail qui se détériorent et ce dans tous les domaines. Cela va des tenues de protection des forces antiémeutes, des pompiers ou des éboueurs qui sont pour la plus grande partie à la charge des fonctionnaires, aux coursiers privés qui sont tenus eux de fournir la moto, le casque, l’essence, l’assurance et payer l’entretien de leur moto pour un salaire de 4,80€ de l’heure.
Côté employeurs, on justifie cette jungle par un quotidien très inédit. “Il n’y a plus de liquidités sur le marché”, explique Vassilis Korkidis, président de la fédération des PME de l’Attique. “Le contrôle des capitaux toujours en vigueur défavorise les entreprises grecques face aux étrangères établies dans le pays. La consommation a chuté de 60% dans certains secteurs. On ne peut pas faire des miracles” et cet homme plutôt marqué à droite d’enfoncer le clou. “Depuis le début de la crise plus de 350000 commerces ont mis la clé sous la porte. Avec les nouvelles lois qui obligent les entreprises et les professions libérales à payer en avance leur TVA d’une année sur l’autre, cela va empirer.” De plus, en Grèce, 98,5 % des entreprises ont moins de 50 salariés. “Ces PME qui sont la colonne vertébrale de l’économie ne peuvent plus faire face aux problèmes de trésorerie, soutient Vassilis Korkidis. Alors, elles innovent. Je ne les défends pas, tient -­il à préciser, je vous explique la situation.”

Une situation qui, régulièrement, frise l’illégalité. Ainsi, Natalia, 38 ans, graphiste, s’est vu priée d’amener des notes de frais d’essence, de restaurant et d’entretien de sa voiture à hauteur de 400 euros par mois, soit la moitié de son salaire pour toucher à ce titre une partie de son salaire en remboursement de frais. “Tous les mois, c’est la
course aux notes de frais. Je tape tous mes amis, je m’arrange avec la famille mais c’est de plus en plus difficile car tout le monde a besoin de ces justificatifs pour les impôts”, nous confie-­t-­elle.

Moins de quatre euros par semaine
Dans le monde de l’art et la culture la situation est simplement grotesque. Jason, jeune acteur prometteur de 25 ans, était très fier l’année dernière de jouer dans “un vrai théâtre avec une loge et des acteurs connus” une pièce également connue : “LouLou”.
Mais il a vite déchanté au moment de la paie : 3,80€ pour une semaine de représentations. Par contrat, il touchait 2,5 % des entrées une fois les frais de fonctionnement déduits et les autres acteurs payés. “J’étais le dernier arrivé, explique-t­-il, donc le dernier payé avec ce qui restait.” Cette année, il est monté en grade et fait partie d’une troupe. Il gagne 20 euros par représentation mais là aussi, tout comme l’année dernière, les répétitions, soit six mois de travail, ne sont pas payées. Lui non plus, tout comme Natalia, Pavlos ou Hector ne va pas monter au créneau car il redoute une réputation “d’emmerdeur”. “Si, dans le milieu, je passe pour celui qui exige ses droits, plus personne ne me fera travailler. Alors, je préfère baisser la tête et me débrouiller autrement. Je gagne peu mais au moins je fais ce qui me plaît”, se console­-t-il.

Amalia, 38 ans, n’a même pas ça pour se consoler. Après quatre ans de chômage, elle a trouvé un boulot de caissière dans une échoppe touristique de souvlakia (kebabs locaux). Dé­clarée, elle touche 32 euros par journée de huit heures. Mais on l’a déjà prévenue : les jours où le client se fera rare, elle sera payée en partie avec les invendus de la journée. A prendre ou à laisser. Elle a pris.
Dans un pays en récession depuis huit ans, elle a appris à ne plus faire la fine bouche mais surtout elle veut trouver de l’argent pour aider son fils à partir trouver fortune ailleurs. Depuis le début de la crise, 450000 jeunes ont quitté la Grèce… définitivement.

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