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D’une guerre à l’autre La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Dans cette rubrique il évoque notamment la menace de guerre de la Turquie à la Grèce.

D’une guerre à l’autre

Ce Printemps grec prochain peut s’avérer fort mouvementé. L’affaiblissement du pays, son affaissement multiple, moral, social, économique et culturel, conduisant tout droit… vers la menace de sa diminution territoriale par la guerre, telle est l’idée la plus rependue en ce moment et pour cause. L’inquiétude du “petit peuple” est grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive.

Le temps de la protestation souriante. Athènes, 2011

Le “gouvernement” avait comme on sait préparé (avec l’aval des États-Unis ?) le scandale dit “Novartis” (mettant en cause les politiciens Nouvelle Démocratie et PASOK), pour le faire éclater très exactement au lendemain du grand rassemblement populaire d’Athènes début février, le tout, dans un imbroglio de vraies comme de fausses nouvelles, d’après son (seul) calendrier politicien. Il est bien loin le temps de la protestation souriante des premières années troïkannes, comme il est bien loin le temps où par exemple, Éric Toussaint et son réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, étaient reçus à Athènes en héros par les cercles Syrizistes d’Athènes.

La marionnette Tsipras s’accroche à son pseudopouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel il aurait été préparé par les élites mondialisatrices, au demeurant, plusieurs années avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes. D’où d’ailleurs cette précipitation dans le calendrier, à la fois mémorandaire (en interne) et géopolitique (en externe).

L’inquiétude du “petit peuple” ne pet être que grande, devant cette historicité fort finissante ainsi déployée, d’autant plus que les incidents entre les forces armées grecques et turques se multiplient en Mer Égée, et que la rhétorique des dirigeants de la Turquie fait part désormais très ouvertement de sa non-reconnaissance des frontières entre les deux pays.

Déjà, la dite “crise de la dette”, n’est qu’une forme de guerre d’anéantissement faite contre les sociétés, les peuples, les pays, les économies réelles (et l’euro incarne de la sorte le rôle d’une arme à destruction massive au profit d’un seul pays l’Allemagne), tout cela, je l’avais signalé dès 2011 sur ce… triste blog. Donc et en quelque sorte… ce ne serait logiquement que d’une guerre à l’autre.

Éric Toussaint à Athènes en mai 2011
Protestation populaire des premières années de mémorandum. Athènes, 2011
Manifestants syndicalistes sous le regard du sans-abri. Le Pirée, 2013
Sur la dette grecque. Athènes, 2011

L’incident le plus grave s’est produit le 12 février, lorsqu’un navire de guerre turc (long de 90 mètres) a volontairement heurté un patrouilleur de la Garde-côte grecque (long de 58 mètres) près de l’îlot d’Imia (Mer Égée orientale) . Cet îlot, tout comme, tant d’autres îles grecques de la Mer Égée, est ouvertement et très officiellement revendiqué par la Turquie. “L’Occupation économique par la Troïka depuis 2010 aux effets funestes et connus, puis, ce gouvernement SYRIZA/ANEL qui brade une souveraineté déjà en lambeaux, et voilà qu’au bout du processus, il peut y avoir même une guerre, depuis que l’agressivité de la Turquie actuelle de déchaîne comme nous le constatons, d’épisode en épisode”.

“Pays – car il faut aussi le rappeler – dont l’armée occupe illégalement près du 40% du territoire de la République de Chypre (invasion de juillet 1974), pays qui vient de violer l’intégrité territoriale de la Syrie voisine (2018), et qui a également envahi (2016) le territoire de l’Irak, pays enfin, dont les dirigeants (le Président Erdogan le premier), remettent très pompeusement en cause les traités internationaux, dont celui signé à Lausanne en 1923, fixant entre autres, les frontières entre la Turquie et ses voisins.” (Radio 90.1 FM, matin du 16 février)

Ces pratiques pirates de la Turquie actuelle (pour tout dire, pratiques des dirigeants de ce pays), ne passent pas inaperçues, y compris par la presse internationale. Et d’après ce que les médias grecs rapportent de l’incident du 12 février lequel fait suite à bien d’autres (presse grecque) , le navire de guerre turc fonçait intentionnellement sur le milieu de la coque (en aluminium) du bateau grec dans le but de le couler ou sinon, de provoquer victimes et dégâts matériels (donc un acte de guerre), et ce n’est que parce le commandant grec s’est aperçu des intentions précises du commandant turc et il a ainsi pu réagir littéralement à la dernière seconde, que le navire grec n’a été finalement heurté qu’à sa poupe.

Patrouilleur de la Garde côtière grecque, heurté par un navire de guerre turc. Mer Égée, 12/13 février 2018 (presse grecque)
Patrouilleur grec Gavdos, heurté par un navire de guerre turc. Mer Égée, 12/13 février 2018 (presse grecque)
La classe politique grecque… et la situation actuelle. “Kathimeriní”, 14 juillet 2018

Les dirigeants politiques et militaires de la Turquie du moment avaient d’ailleurs (et) au préalable suffisamment communiqué via la presse, au sujet de la (supposée) “capacité des forces armées turques à mener simultanément la guerre sur deux fronts, à savoir la Syrie et la Grèce en mer Égée” (8/9 février 2018). Au même moment ces derniers jours, près d’Évros, fleuve qui marque les frontières terrestres entre les deux pays depuis le Traité de Lausanne, l’Armée turque y a dépêché ses blindés, en exercices officiellement baptisés “entrainement à l’invasion et occupation d’un territoire étranger” (presse grecque du 16 février 2018).

Fouilles sur l’île de Kéros. Mer Égée, février 2018 (presse grecque)
Fouilles sur l’île de Kéros. Mer Égée, février 2018 (presse grecque)
Fouilles dans les Cyclades, années 1950. Exposition, Musée Byzantin 2018

Mer Égée, Crète et Chypre… aux multiples beautés et richesses archéologiques, aux paysages poétiques… et aux hydrocarbures réellement existants et avérés (pétrole et gaz naturel). Ceci expliquant en partie cela, tout comme (toujours en février 2018), cette autre affaire, où à Chypre, Ankara bloque un navire italien d’exploration gazière. “Le géant italien de l’énergie ENI a indiqué à l’agence de presse chypriote qu’un de ses bateaux avait reçu l’ordre vendredi par des navires turcs de s’arrêter en raison ‘d’activités militaires’ dans ce secteur.” (RFI, le 12 février).

La situation n’est donc pas à prendre à la légère, et aux frontières de la Grèce… il n’y a ni la Belgique, ni le Danemark. Comme le fait remarquer sur son blog l’analyste en géopolitique Dimitris Konstantakópoulos, “les États-Unis sont à présent représentées en Grèce par l’ambassadeur Geoffrey Pyatt, mondialement connu pour son mandat précédent à Kiev. Durant son mandat, les événements en Ukraine ont été les suivants: une révolte, un coup d’État, une guerre civile, un avion civil abattu, ainsi que la plus grande crise des trente dernières années dans les relations russo-occidentales.”

“En ce moment, M. Pyatt se rend à Ankara pour négocier l’avenir de la Grèce et de Chypre accompagnant Rex Tillerson secrétaire d’État des États-Unis de l’administration du président Donald Trump, dans ses pourparlers avec M. Erdogan. La présence d’Athènes et de Nicosie était évidemment jugée inutile dans ces discussions. Ces deux autres capitales seront informées rétrospectivement de ce qu’elles doivent tout juste savoir… et quant à nous, nous subirons les suites.”

“Erdogan, Tillerson et Pyatt mettront tout sur le tapis pour déterminer ce qu’ils donneront de la Grèce et de Chypre à la Turquie afin que le Sultan (Erdogan) puisse donner son accord, ce qui d’ailleurs n’est pas certain. Dans l’éventualité d’un accord entre la Turquie, l’Occident et Israël, nous ici, nous paierons une partie de la facture, et à défaut d’accord, il ne peut pas être exclu qu’une… belle guerre gréco-turque puisse par la suite être organisée.” (Dimitris Konstantakópoulos, “Grèce: tout droit vers le précipice”, 15 février 2018).

Mentalités et représentations. Années sous la Troïka. Athènes, 2010-2018
Et au bout c’est la Junte. Athènes, années sous la Troïka, 2010-2018
‘Urne électorale’. Athènes, année sous la Troïka, 2010-2018
‘Dictature’, roman de fiction politique. Athènes, éditions Aparsis, février 2018

L’expérience grecque ainsi que l’analyse qui est celle de ce blog depuis ses débuts (2011), c’est que l’austérité (euphémisme en toute évidence qui cache une réalité beaucoup plus apocalyptique), la prise du contrôle total des finances du pays (et des pays), des institutions, des mentalités (mécanique sociale), l’annulation (dans les faits) de la Constitution, la marionnettisation surpassant le ridicule de la classe politique (en réalité apolitique), la fin des droits sociaux, ce n’est qu’une palier dans cette guerre asymétrique que les pays, nations et sociétés subissent… au risque de disparaître même entièrement… en succombant, à défaut de résister.

Et lorsque cette mainmise sur les ressources, sur les cultures, sur les populations, sur les mentalités atteint le niveau visé (par certains pays supposés grands et pas la dite élite mondialisatrice pour qui les petits gens ne sont que “de la vermine”, c’est bien connu), eh bien, il ne restera que le chaos provoqué comme provoquant. Plus évidemment la guerre tout court… faite par d’autres moyens. D’où à notre avis, le handicap (en réalité assumé) des analyses (supposées marxisantes) que la gauche à la SYRIZA adopte ici ou là, histoire tout naturellement de (mal) dissimuler son appartenance consubstantiel (mais bientôt cosmétique) au méta-monde de l’hybris, comme de la piraterie généralisée, qui est le “nôtre”.

Les Grecs l’ont si bien compris qu’ils ne manifesteront plus jamais nous semble-t-il, à l’appel des partis de gauche ou des syndicats. Désormais, ce sont les questions identitaires, celles liées à l’ultime existence ainsi acculée, qui véhiculent, véhiculeront et canaliseront l’immense douleur des années troïkannes, ce que les grands rassemblements à propos de la question Macédonienne ont déjà prouvé à Thessalonique et surtout à Athènes.

Apprendre l’autodéfense. Athènes, années de Troïka, 2010-2018
Monument du Soldat Inconnu. Athènes
Monument… du Citoyen Inconnu. Athènes, 2014

Inutile de dire combien et comment une déflagration gréco-turque en Égée (même de courte durée), en Thrace ou à Chypre, pourrait devenir ce catalyseur qui balaiera, non seulement le “gouvernement” SYRIZA/ANEL, mais peut-être bien, l’ensemble du régime politique grec. Un peu comme l’invasion turque à Chypre et la courte guerre gréco-turque en 1974, ont balayé le régime de l’autre junte, celle des Colonels.

Il n’y aura pas de retour en arrière dans ce processus qui est le nôtre actuellement, et nous irons très probablement jusqu’au bout. Les Grecs n’ont même plus d’illusions quant à l’état du monde, quant au simulacre de la démocratie, ou quant aux enjeux géopolitiques dans cette région du monde. Tsipras et les siens sont désormais haïs (et non seulement politiquement rejetés) par plus du 70% de la population. La situation à Athènes… étant sans cesse observée, les Ambassades à Athènes devraient autant le savoir.

Enfin, ce que les Grecs savent (si ce n’est que par intuition), ce que Tsipras (visiblement davantage que Samaras), après avoir paraphé tant de mémoranda coloniaux, il aurait en même temps, donné son accord à un agenda géopolitique dissimulé, au détriment des intérêts, voire, de l’intégrité territoriale du pays. Pour une “majorité” réelle (et non pas forcément électorale) se basant sur près du 10% des Grecs (et encore), tout cela ne passe absolument pas, d’où ce qualificatif lequel revient ainsi sans cesse en ce moment en Grèce pour designer les Syrizistes: “Traîtres”.

Protestation aux premiers temps du mémorandum. Athènes 2011
Repas festif et solidaire aux premiers temps du mémorandum. Athènes, 2012
La situation à Athènes… sans cesse observée! Janvier 2018
Passerelle de commande d’un navire. Le Pirée, années 2000

Antiquité tardive (finale ?) dans un sens. Époque alors charnière, suffisamment perceptible par exemple depuis Athènes… mais pas vraiment à Paris nous semble-t-il. Où en sommes-nous ? (la question est autant celle si nettement formulée par Emmanuel Todd).

Peut-être que c’est le moment de la mutation en cours, et cependant mutation inachevée, aux réactions ainsi prévisibles (ou même moins prévisibles). On se souviendra peut-être d’André-Jean Festugière (1898-1982) comme de son œuvre, philosophe et dominicain français, philologue, spécialiste du néoplatonisme, notamment de Proclus, auquel on doit la traduction et l’édition des écrits attribués à Hermès Trismégiste.

Mimi et Hermès (dit Trismégiste) de ‘Greek Crisis’. Athènes, 2018

Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain. Un choc… ainsi gobé:

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme ?”

“Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées. Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils.”

Friche industrielle et… nouveautés. Attique (Lávrion), 2018
Grèce rurale. Crète, 2012
Albert Einstein à bord de son voilier (source Internet)

“Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Il fut un temps, Albert Einstein naviguait à bord de son voilier, temps peut-être bien lointain. Depuis la passerelle de commande du navire Grèce, c’est visiblement le brouillard, sauf que ceux “d’en bas”, hommes et alors femmes n’étant plus encadrés, soutenus, comme ils l’étaient dans leurs petites patries où tout le monde se connaissait de père en fils, y distinguent du moins la supercherie, tout comme (partiellement certes) l’hybris.

Printemps grec prochain, peut-être fort mouvementé. Sauf aux yeux des chats de ‘Greek Crisis’, encadrés, soutenus, comme ils le demeurent dans leur petite patrie.

Mimi de ‘Greek Crisis’ à Athènes
* Photo de couverture: Grèce rurale… autonome. Années de ‘crise’. 2010-2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Yannis Youlountas et son nouveau film bientôt à Grenoble

 » L’amour et la révolution  » c’est le titre du 3eme film de Yannis Youlountas qui sort en salle le 25 février. Le collectif de Grenoble communiquera prochainement sur le lieu de la projection-débat en présence du réalisateur : date envisagée 23 avril.

Une mention figure sous le titre du film  » Non rien n’est fini en Grèce » interrogé à ce sujet Yannis Youlountas a donné un entretien à lundimatin  que l’on retranscrit ici .

Après Ne vivons plus comme des esclaves et Je lutte donc je suis, le réalisateur franco-grec Yannis Youlountas revient avec un nouveau long métrage : L’amour et la révolution. Vous pouvez voir la (longue) bande annonce qui suit ainsi que ses réponses aux quelques questions que nous lui avons envoyées.

La bande annonce ( longue) se trouve ici https://www.youtube.com/watch?v=4LHHR9LBga4&feature=share

lundimatin : Bonjour Yannis. Tu viens de terminer ton prochain film « L’amour et la révolution ». Sur l’affiche, on peut lire le sous-titre « Non, rien n’est fini en Grèce ». Qu’est-ce qui n’est « pas fini » selon toi ?

Yannis Youlountas : Ce sous-titre est notre réponse aux médias occidentaux qui, en Europe, laissent croire que tout est fini en Grèce. Cette désinformation intervient de deux façons. Tout d’abord un silence impressionnant, par rapport aux années précédentes, signifiant qu’il ne se passe plus grand-chose et que la situation s’est améliorée. Ensuite, quand la Grèce est brièvement évoquée, il ne s’agit que de chiffres incomplets et de déclarations mensongères. Les agences de presse parlent de croissance. Mais quelle croissance ? La croissance pour qui ? La croissance de quoi ? Avec la chute de moitié du coût de la main d’œuvre et des infrastructures, la Grèce est devenue un paradis pour les capitalistes, mais un enfer pour la plupart de ceux qui y vivent. Tsipras et les dirigeants européens claironnent depuis leurs salons feutrés que le plus dur est passé, alors qu’il ne fait que commencer. La situation sociale et écologique est dramatique, mais au milieu des ruines, des initiatives montrent que rien n’est terminé. Par exemple, depuis deux ans et demi, le mouvement social a accueilli de façon formidable, dans de nombreux squats, des dizaines de milliers de réfugiés et migrants qui ont ainsi pu échapper aux camps que l’Etat grec a mis en place ; des camps indignes conçus, pour la plupart, par des technocrates français envoyés par Bernard Cazeneuve début 2016. Et puis il y a les nouvelles résistances, mais là encore, motus en occident.

lundimatin : Dans la (longue) bande annonce que tu viens de mettre en ligne, une grande importance est donnée au groupe Rouvikonas. Peux-tu nous en parler un peu plus, étant donné que leurs actions semblent avoir une grande résonance en Grèce, mais restent fortement méconnues ici ?

Yannis Youlountas : Le groupe Rouvikonas est né il y a trois ans. Son nom signifie Rubicon en français, ce fleuve romain qui représentait la limite à ne pas dépasser. C’est une organisation politique anarchiste qui se définit comme une « opposition dans la rue » à l’action du gouvernement et de l’Etat. Une opposition directe qui frappe par surprise, mais sans jamais faire de victimes, tous les lieux où s’organise la destruction des conquis sociaux et du bien commun. Par exemple, Rouvikonas a détruit les locaux de Tirésias, organisme au service des banques qui avait conçu un grand fichier des personnes surendettées, ou encore le bureau du Taiped chargé de la privatisation du bien commun, ainsi que beaucoup d’autres temples de la bureaucratie au service du durcissement du capitalisme. Ces derniers mois, Rouvikonas a multiplié sabotages, occupations, y compris au sommet du pouvoir, blocages d’événements, par exemple les négociations avec la troïka. Rouvikonas défend aussi les victimes de la violence des patrons en organisant des représailles et soutient parallèlement des actions de solidarité indépendantes du pouvoir et des ONG. La plupart des membres de Rouvikonas sont des ouvriers, des étudiants, des chômeurs, hommes et femmes, qui ont simplement choisi avec courage et persévérance de ne pas laisser faire, quoi qu’il en coûte. Ils sont de plus en plus nombreux. Yorgos, l’un des fondateurs, qui intervient dans « L’amour et la révolution » est, à lui seul, sous le coup de 40 procès et risque plusieurs années de prison. Notre film comme les précédents a pour but, entre autres, de soutenir ces luttes à la fois en les faisant connaître, mais aussi de les aider à payer les amendes et les cautions. Nous ne sommes pas des reporters venus filmer à la sauvette pour faire du fric sur le dos de ceux qui résistent. Nous sommes des membres du mouvement social que nous connaissons bien et au service duquel nous agissons, d’Est en Ouest et d’Ouest en Est. Le cinéma est une arme. Une arme pour riposter, donner à voir et à penser autre chose, susciter l’envie d’agir en suggérant de multiples formes. C’est une arme contre la résignation, à condition de ne pas nous enfermer dans l’uniformité et le sectarisme, car il y a plein de façon d’agir. C’est aussi un moyen de soutenir nos prisonniers politiques, ainsi que nos principales initiatives solidaires autogérées : squats de réfugiés et de migrants, cuisines sociales, structures autogérées de santé, automédias. Fin 2013, nos compagnons d’Exarcheia ont commencé à utiliser l’expression « film solidaire ». Une expression qui nous plait bien et qu’on a conservée depuis.

 

Lundimatin : Le quartier d’Exarcheia est connu pour être le foyer contestataire et subversif historique d’Athènes. Tu sembles dire qu’il serait en « danger », qu’entends-tu par là ?

Yannis Youlountas : En effet, le pouvoir en Grèce et en Europe veut en finir avec Exarcheia, comme avec toutes les zones de résistance et d’expérimentation. En plus, ce quartier d’Athènes que la police peine à pénétrer sert de base à la plupart des groupes révolutionnaires qui le harcèlent, visibles ou invisibles, dont le plus connu est Rouvikonas. En Grèce, la propagande médiatique contre Exarcheia est énorme. Souvent ridicule. Parfois abominable. Par exemple, il est dit qu’Exarcheia est l’épicentre de la drogue à Athènes, alors que nos compagnons font la chasse aux dealers de drogues dures qui sont, à l’inverse, protégés par les flics à l’ouest du quartier, de façon très visible. L’État et la mafia ont tout intérêt à répandre l’aliénation et l’illusion dans les rangs de ceux qui leur résistent. Bref, c’est tout le contraire de ce que raconte la télé. L’épée de Damoclès au-dessus du quartier est double. La stratégie des conseillers de Tsipras est de gentrifier progressivement Exarcheia : projet d’une station de métro, grands travaux, aménagements, mais aussi achats de nombreux logements par des hommes d’affaires chinois invités de la dernière foire économique de Thessalonique (consacrée aux relations Grèce-Chine) pour les transformer en Airbnb, et par conséquent hausse des loyers… Pendant ce temps, le chef de la droite, Kiriakos Mitsotakis, promet solennellement de « nettoyer Exarcheia dès [son] premier mois », sitôt la future alternance passée, en évoquant un immense déploiement de forces de police, une opération quasi-militaire. Même si on prend sa menace au sérieux, la première des réponses a été une tornade de caricatures et de parodies satiriques. Bref, un grand éclat de rire dans le quartier et bien au-delà en Grèce.

 

Lundimatin : Après les émeutes massives de 2008, les mouvements sociaux quasi continus et l’effondrement économique du pays, de nombreux observateurs extérieurs s’attendaient à de possibles grands bouleversements politiques. Certains mettaient leurs espoirs dans Tsipras pendant que d’autres voyaient dans son élection une impasse inéluctable dans la politique classique. Trois ans plus tard, qu’en est-il ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de doute possible : l’élection de Tsipras a été une catastrophe. Après six mois d’agitation stérile aux côtés du pitre Varoufakis, la « capitulation » de Tsipras a assommé une grande partie de la population. Un choc qui a provoqué une immense résignation, une sorte de dépression, d’apathie profonde durant de longs mois pendant lesquels la plupart des pires lois sont passées comme une lettre à la Poste, sans résistance ou très peu. Même l’aile de gauche de Syriza qui a fait sécession a été laminée par le TINA de Tsipras et ses larmes de crocodile à la télé grecque. Dans le mouvement social, avant son arrivée au pouvoir, les avis à ce sujet étaient partagés. Malgré nos divergences fondamentales, certains se disaient naïvement qu’il limiterait un peu la casse en attendant mieux, d’autres ne croyaient pas du tout à une amélioration mais pensaient que l’arrivée de son parti aux affaires ferait tomber les masques et ouvrirait un boulevard aux composantes révolutionnaires. Mais la plupart craignaient ce qui allait finalement arriver : l’anesthésie quasi-totale du mouvement social durant plus d’un an, d’abord devant le spectacle de la bataille, puis celui de la défaite. Depuis, nous avons pris acte et essayons d’activer la résistance et les solidarités sous de nombreuses formes. L’Etat ayant abandonné la plupart de ses prérogatives sociales pour ne garder que les plus répressives, nous proposons l’autogestion et l’auto-organisation parmi les moyens non seulement de survivre, mais aussi d’expérimenter un autre futur.

Lundimatin : Ton film met en lumière des pratiques d’auto-organisation et de lutte très diverses, de l’aide aux migrants à la lutte contre la construction d’un aéroport, d’actions offensives et symboliques contre les lieux de pouvoir aux manifestations émeutières. Comment tout cela s’articule ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de recette miracle ni de vérité absolue. A chacun d’essayer, d’inventer, d’expérimenter là où il se trouve, avec ceux qui l’entourent. La lutte contre le projet d’un nouvel aéroport à Kastelli, en Crète, n’est pas exactement la même que celle que j’ai pu voir à Notre-Dame-des-Landes. Par exemple, il n’y a pas à proprement parler de ZAD, d’occupation effective des terrains concernés (600 hectares sur lesquels 200 000 oliviers seraient coupés). Les gens qui résistent vivent dans la ville principale et les villages alentours, ils cultivent les terres qu’ils refusent de céder, organisent des concerts et des débats, et sabotent autant que possible les conférences des bureaucrates envoyés pour convaincre les habitants. L’abandon du projet d’aéroport en France a été une immense joie pour eux, car ils suivaient depuis longtemps la lutte exemplaire de Notre-Dame-des-Landes ; même si, on le sait, rien n’est fini, notamment pour l’avenir de la ZAD. Autre différence : en Grèce, le mouvement social se divise beaucoup moins sur la question de la violence. Les émeutes sont rarement décriées dans nos rangs. La diversité des formes d’actions est plutôt admise comme légitime, respectable et même nécessaire. D’autant plus que la violence subie, politique, économique et sociale, provoque une immense colère un peu partout. Tout le monde ne descend pas dans la rue dans le but de brûler une banque, mais peu râlent quand ils assistent à cela. De toutes façons, nos compagnons émeutiers ne sont pas là pour discuter sur le macadam : ils ne veulent plus de ce monde, de ses banques, de ses boutiques de luxe arrogantes ; ni des symboles du pouvoir ni des valets casqués qui le servent. Ils font ce qu’ils jugent bon de faire, sans que personne ne les gêne. Quant aux migrants, lors de leur arrivée massive en 2015, nous avons rapidement perçu cette nouvelle épreuve comme un défi : celui de montrer concrètement de quoi nous étions capables. Le mouvement social a rapidement ouvert un grand nombre de nouveaux squats, à commencer par le Notara 26 à Exarcheia dès le mois de septembre 2015, pour accueillir ces visiteurs et les inviter à s’organiser eux-mêmes avec le soutien des « solidaires ». C’est depuis une expérience formidable d’émancipation individuelle et sociale. Ce mélange de population est une grande richesse à Exarcheia et ailleurs en Grèce. Il permet d’échanger, de multiplier les initiatives et de propager l’idée de changer la vie bien au-delà des convaincus, des férus de politique et d’Histoire, parmi les premiers opprimés du capitalisme : les migrants de la guerre et de la misère.

 

Lundimatin : C’est une impression lointaine et donc peut-être erronée, mais il semble que la situation grecque soit étrangement « gelée ». D’un côté il y a un gouvernement réduit à une impuissance évidente, de l’autre des forces subversives nombreuses et bien organisées, mais restreintes à un état « minoritaire ». A quoi ressemble, selon toi, l’avenir à moyen terme du pays ?

Yannis Youlountas : Le monde n’a jamais changé du fait d’une majorité. De plus, il faut souvent bien peu de choses pour que tout bascule très vite. Le plus souvent quand on ne l’attend pas. En Grèce, nous assistons à une véritable gestation depuis neuf ans, bientôt dix. Nous sommes passés par toutes les étapes. Des étapes très formatrices : des émeutes qui ont fait trembler le pouvoir mais n’ont pas réussi à le faire tomber, des grèves générales répétées mais sans lendemain, des occupations et des assemblées sur des places qui ont attiré beaucoup de monde mais qui tournaient un peu en rond, des lieux autogérés qui proposaient des alternatives alléchantes mais sans vraiment gêner le système économique dominant, des tentatives syndicales et électorales qui ont échoué lamentablement, des démonstrations d’ouverture et d’accueil par-delà les frontières mais sans parvenir à obtenir des papiers pour tranquilliser nos amis migrants, des actions de sabotage et de blocage qui ont montré que le pouvoir est un géant aux pieds d’argile et que sa puissance n’est bâtie que sur du vent et des simulacres, mais beaucoup n’ont pas osé faire de même par peur des conséquences juridiques. La leçon de cette période exceptionnelle est sans doute qu’une seule façon d’agir ne suffit pas, que la diversité est notre richesse, que le respect mutuel parmi ceux qui luttent devrait nous accompagner partout et qu’on ne sait pas d’où viendra la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Mais une chose est certaine, c’est que pour sortir de l’impasse mortifère, changer profondément la société et sauver la vie, nous n’avons pas d’autre choix que l’amour et la révolution.

 

Pour se tenir au courant de la sortie et de la diffusion du film, consultez www.lamouretlarevolution.net

 

Instantanés helléniques La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Instantanés helléniques

À Athènes, et plus généralement au sud de la Grèce, c’est le moment des premières floraisons. Temps doux, bourgeons du moment, autant que cette autre… renaissance naturelle, celle des rassemblements contestataires massifs face au pouvoir en place. C’est vrai que la ville d’Athènes n’avait pas connu un tel rassemblement populaire comme celui qui s’est tenu dimanche dernier et qui a rassemblé près de 600.000 personnes, depuis bien longtemps. Printemps des… peuples ?

Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

Ce rassemblement, faisant suite à celui de Thessalonique, comme je le soulignais dans mon article sur ce blog du 28 janvier dernier, cristallise dans la forme déjà, l’opposition à la réouverture des négociations entre la Grèce et la Macédoine slave, et surtout à l’utilisation par cette dernière du nom historique de “Macédoine”. Autrement-dit, l’ex-République Yougoslave de Macédoine, et c’est au sujet de sa désignation définitive officielle (et ainsi enfin acceptée par les deux pays).

Sur l’histoire complexe de l’affaire macédonienne, les lecteurs du blog peuvent également lire l’analyse complète et argumentée (sur le site de LVSL) de mon ami historien et écrivain Olivier Delorme, publiée ce même jour (7 février 2018).

Dans les faits, il s’agit d’un très grand rassemblement populaire, dont les composantes patriotique et identitaire, dominaient essentiellement, ce fut autant et surtout une manière de défendre une certaine (et ultime ?) dignité piétinée depuis les années des mémoranda, et surtout depuis la trahison SYRIZA.

Peuple alors pathétique et plutôt de droite (comme autant celui de l’Église Orthodoxe), car la gauche ne mobilise plus comme on sait depuis 2015. Le tout, lorsque l’orateur principal du rassemblement était Míkis Theodorakis, mondialement connu pour ses engagements (non exhaustifs) à gauche, ancien élu communiste… mais également sporadique élu du parti de la Nouvelle Démocratie (droite), et même ministre (certes un peu cosmétique) au gouvernement de Konstantinos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie) dans les années 1990. Ceci n’explique certainement pas cela, sauf que ces autres engagements de l’homme politique (plus que du compositeur) méritent le rappel des faits.

Míkis Theodorákis. Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

La société grecque étant acculée, par conséquent, elle ne raisonnera (et résonnera) désormais qu’en termes identitaires, les enquêtes et autres sondages d’opinion démontrent que pour plus de 70% des personnes interrogées, “les organisateurs du rassemblement ont raison dans leurs positions soutenues”, et par ailleurs, les institutions auxquelles les Grecs font davantage confiance sont d’abord l’Armée et en ensuite l’Église, tandis que les partis, les syndicats, l’Assemblée nationale, les élus, arrivent très loin derrière.

D’après les reportages du moment (radio 90.1 FM du 6 février 2018 entre autres), la présence masculine dimanche dernier à Athènes, frôlait les deux tiers des participants, tandis que la même proportion lors du mouvement dit des Places et/ou des Indignés de 2011, avait été différente et plus équilibrée: une présence à 55% masculine et à 45% féminine. De même, le public plus proche de l’âge mûr (voire très mûr) dimanche dernier avait été majoritaire, voilà pour certaines données déjà mesurables.

Voilà donc pour la sociologie et ainsi démographie de ce 4 février 2018 à Athènes. Masculinité, militaires actifs et à la retraite très visiblement représentés, élus de la Nouvelle Démocratie également (pourtant par ailleurs mémorandistes), puis, des orateurs aux propos forts, tel le constitutionnaliste Yórgos Kasimatis pour qui: “Il y a une décision politique qui consiste à offrir notre identité à des étrangers. Ce nom (Macédoine) après la deuxième guerre mondiale, avait été offert tel une friandise au peuple de Skopje par Tito, ceci, pour que la Yougoslavie puisse un jour… revendiquer en son sein l’ensemble de la Macédoine (géographique). Aujourd’hui, toute la Grèce se retrouve présente ici pour ce rassemblement. Même ceux qui ne peuvent pas agir en notre sens, ils sont pourtant d’accord avec nous. C’est enfin aujourd’hui la première fois que l’article 120 de notre Constitution enfin s’applique-t-il.”

Article 120 de la Constitution grecque : “Le respect de la Constitution et des lois qui y sont conformes, ainsi que le dévouement à la patrie et à la République constituent un devoir fondamental de tous les Hellènes. L’usurpation, de quelque manière que ce soit, de la souveraineté populaire et des pouvoirs qui en découlent est poursuivie dès le rétablissement du pouvoir légitime, à partir duquel commence à courir la prescription de ce crime. L’observation de la Constitution est confiée au patriotisme des Hellènes, qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens à quiconque entreprendrait son abolition par la violence.”, (note de ‘Greek Crisis’).

Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs et réservistes, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

“C’est notre réponse du ‘NON’, lorsqu’en face, nous avons des gouvernements qui disent ‘OUI’ à l’esclavage et cela dure depuis 2010. Aujourd’hui, le peuple grec prend le contrôle de sa souveraineté. La Grèce est ici présente et entière pour ne pas céder la moindre terre grecque aux étrangers. Car l’ensemble du pays est en ce moment sous le point d’être vendu, cédée. (Si l’on accepte la réalité de la Macédoine géographique pour les voisins Slaves) alors la Turquie devrait s’appeler l’Ionie et la Sicile la Grande Grèce. Et il n’y a pas un seul spécialiste des relations internationales pour nous apporter le moindre exemple d’un pays dont le nom n’a aucun rapport avec l’histoire de son peuple. Aujourd’hui, les Européens sont alors devenus aveugles.”

“Les noms mixtes concoctés de la sorte, abolissent la vieille Macédoine, abolissent l’identité de la Grèce. Donc, nous nous opposons au moindre usage mot Macédoine de quelque façon que ce soit par le pays voisin. Qui ne voit-il pas enfin la boulimie expansive des grandes puissances qui exigent alors la contraction de la Grèce ?” (Kasimatis, le 4 février 2018 à Athènes) .

La veille du rassemblement, un slogan revendiqué comme anarchiste, avait été apposé sur une façade de la maison de Míkis Theodorakis: “Ton histoire commence à la montagne des résistants (de gauche en 1941-1944), pour finir dans la gadoue nationale de la Place de la Constitution.” “J’ai toujours combattu toute forme de fascisme, et en ce moment, le fascisme le plus dangereux est gauchisant car venu des Syriziste”, a-t-il répondu Theodorakis depuis la Place de la Constitution le lendemain. Non sans une certaine… moquerie, le député (néonazi) de l’Aube Dorée Ilías Kassidiáris a ainsi twitté: “Míkis (Theodorakis) a débuté (sa vie politique) au sein de l’EON, organisation de la jeunesse du régime du Général Metaxás (1936-1941), pour ainsi la boucler ici même sur la Place de la Constitution, aux côtés des patriotes et des nationalistes. Toutes ses autres positions politiques intermédiaires peuvent être effacées”, “Quotidien des Rédacteurs” du 4 février 2018 .

La maison de Míkis Theodorakis taguée. Le 4 février 2018 (presse grecque)
“Président ‘Macédonien’, Je renomme mon chien d’Alexandre en Alexis”. Quotidien “Kathimeriní”, 2018
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

L’Aube Dorée croit sans doute reboire du petit lait (comme… du petit peuple), sauf que c’est très probablement d’un lait alors caillé qu’il s’agit. Un grand vide politique identitaire serait pourtant en gestation en vue d’accoucher (ou pas) à… une nouvelle souris (de droite cette fois-ci), à la manière de la souris SYRIZA à gauche… au résultat ainsi acquis on dirait.

Cela dit, ce regain populaire (visiblement) organisé (et/ou récupéré) n’est pas tout à fait spontané, telle est mon intuition disons ethnographique d’après mon vécu de tant d’années (déjà) mémorandaires, métapolitiques et para-démocratiques. C’est tout de même curieux qu’aucun grand rassemblement n’ait pu s’organiser, si ce n’est que pour alerter de la gestation géopolitique teratomorphique pour ce qui est de Chypre par exemple, et cela depuis plus d’un an, comme les lecteurs assidus de ce blog peuvent peut-être se souvenir car j’avais évoqué cette question en janvier 2017.

Je ne possède pas… (toutes !) les qualités de l’oracle de Delphes, sauf que je respire suffisamment l’air du temps (mauvais), pour savoir que très probablement le vide politique laissé depuis la trahison SYRIZA, un vide souverainiste existe bel et bien, de droite (si l’on se base sur la classification du siècle qui est déjà bien derrière nous), et que ce vide ne peut pas ne pas être en quelque sorte “travaillé” par les tenants du vrai pouvoir. Ce qui n’exclurait pas un certain et potentiel “accident” dans l’événementialité supposée acquise… tout comme requise, comme parfois lorsque les peuples montent sur le devant de la scène… pour aussitôt s’éclipser (ou se faire trahir par la suite).

En tout état de cause, ce qui est ressenti à travers les convulsions de la société grecque, c’est comme une forme de “culture de guerre” à visage à peine couvert. La notion (toute proportion gardée pour ce qui est du cas grec) appartient aux historiens de la Grande Guerre, dont Stéphane Audoin-Rouzeau (il était mon directeur de Thèse en Histoire), s’agissant d’un ensemble de représentations, de pratiques, d’attitudes, de productions littéraires et artistiques qui a servi de cadre à l’investissement des populations européennes dans un conflit.

Musée de la Guerre. Athènes, janvier 2018
Trière, navire de guerre antique représenté sur poterie. Musée Byzantin, Athènes, janvier 2018
Surveillance du territoire et Garde Evzone. Athènes, janvier 2018

Cette culture de guerre larvée, elle est d’abord et principalement tournée vers l’intérieur (face au personnel politique, face à d’autres catégories de la population). Ensuite, exprimée vers l’extérieur par la primauté entre autres d’un discours identitaire, surtout défensif devant l’occupation troïkanne que la Grèce connait depuis 2010 (accentuée depuis SYRIZA/ANEL), devant aussi ce qui est considéré comme de l’usurpation de l’identité et de la culture helléniques (par les voisins de la Macédoine slave), et autant face à une menace explicitement formulée de la part de la Turquie sous le régime Erdogan. Situation en somme déjà assez complexe et potentiellement explosive, comme également l’admet l’éditorialiste de “Kathimeriní” du 6 février 2018 (pourtant grand quotidien systémique), évoquant “un courant puissant et incontrôlable.”

Tout le monde admettra (lorsqu’on discute sérieusement) que la Grèce aura tout intérêt à que l’État voisin de la Macédoine slave puisse se maintenir, tiraillé comme il est, entre la Bulgarie et l’Albanie, sauf qu’en plus (ou que d’emblée), la programmation actuelle géopolitique OTANesque dans les Balkans, prime sur tout le reste et que cette… programmation, ne serait pas forcément compatible avec les intérêts des peuples, ni (toujours) avec la coexistence, espérons-le pacifique entre eux.

Fouilles à Délos. Exposition, Musée Byzantin, 2017-2018
Exposition sur l’histoire des fouilles dans les Cyclades. Musée Byzantin, Athènes, 2017-2018
Poisson… Chrétien. Musée Byzantin. Athènes, 2018

Le grand rassemblement du 4 février à Athènes a enfin déjà, et autant matérialisé cette énorme rupture entre une large partie de la population (deux tiers je dirais) et le système politique, pour ne pas dire le régime politique tout simplement. C’est également une manière que de signifier de manière comptable et palpable dans la rue, toute l’étendue du divorce ainsi forcé (et non pas à l’amiable) prononcé en 2015, entre le peuple grec et la Gauche, l’ensemble de la Gauche d’ailleurs, et non pas seulement SYRIZA. Je l’avais souligné tôt, dès juillet/août 2015, et c’est ainsi.

En l’état actuel des choses, à travers la presse et les espaces Internet des partis et mouvements de gauche en Grèce, le grand rassemblement du 4 février est tout de même synonyme de choc. Et toute une campagne de dénigrement réunissant les Syrizistes et les autres formations de la gauche en Grèce, tirent à… boulets rouges sur Míkis Theodorakis, lequel n’est pas non plus certes un intouchable, loin de là.

Cependant, mon ami Dimitris Belandís, ancien au Comité Central SYRIZA jusqu’à l’été 2015, remet un peu de sens dans ce débat par un texte qu’il publie sur sa page Facebook , estimant “qu’il ne faut pas perdre de vue, que derrière la déconstruction si agressive de la figure de Theodorakis, c’est en réalité l’ultime déconstruction des symboles et des luttes des années 1940 à nos jours, en passant alors sous silence, l’incontestable et bien réelle crise existentielle de la gauche”.

Instantanés Cycladiques, exposition. Athènes, de novembre 2017 à février 2018
Travaux. Athènes, janvier 2018
Vue athénienne. Janvier 2018
Offre… du moment. Athènes, janvier 2018

Comme souvent dans l’histoire, nous nous contenterions… de l’offre du moment, comme des rares travaux de voirie à Athènes, faute de mieux. Instantanés ainsi helléniques !

Un supposé énorme scandale vient d’éclater à la seule initiative du “gouvernement”, comme par hasard trois jours après le rassemblement du 4 février. L’affaire ainsi nommée Novartis, met en cause un certain nombre d’hommes politiques du PASOK et de la Nouvelle Démocratie “pour corruption passive, liée à l’attribution du marché des produits vaccinaux en Grèce, cela au profit de la firme Novartis” entre 2006 et 2015.

L’enquête déjà transmise au “Parlement” est ouverte par le Parquet, et parmi les présumés coupables (et sous le coup d’inculpation), on y découvre alors Samaras (ex-Premier ministre Nouvelle Démocratie/PASOK lequel contre-attaque en portant plainte à son tour), Stournáras (de la Banque de Grèce, comme… de la banque tout court), Venizélos le Pasokien, Avramópoulos (Commissaire actuel à l’immigration à Bruxelles), Pikramménos (président du Conseil d’État en 2009 et ex-Premier ministre technique au moment des élections de 2012), et bien d’autres, (presse grecque du moment à l’instar du quotidien “Kathimeriní”) .

Très jeune petit… peuple. Chypre vers 1950, photo du poète Yórgos Séféris (exposition, Athènes, janvier 2018)

Le… dit petit peuple en rigole, du pompiste du coin à la coiffeuse de quartier à Athènes, on sait que cette affaire (vraie ou pas peu importe), s’inscrit bien dans la ligne politicarde du “gouvernement” SYRIZA/ANEL, à travers notamment son (ultime ?) tentative pour demeurer au pouvoir, si possible jusqu’aux élections législatives de l’automne 2019. Le tout, lorsque ce gouvernement qui embauche massivement des contractuels… clients politiques dans la large fonction publique en ce moment (sans visiblement de réaction de la part de Bruxelles), est un gouvernement très largement haï (et non plus seulement rejeté politiquement) par les deux tiers de la population.

La question (ou sinon… l’autre question) serait également de savoir dans quelle mesure le cercle dirigeant (et atlantiste) de SYRIZA, bénéficie ou pas de l’aval des États-Unis dans cette mise en cause de telles personnalités politiques, très européistes et germano-compatibles avérées (Samaras, Pikramménos, Avramópoulos entre autres). Nous n’avons pas de réponse (pour le moment).

Le monde de jadis. Cyclades en exposition, Musée Byzantin, Athènes, nov. 2017 – févr. 2018
Humains et animaux représentés. 6ème siècle avant notre chronologie. Musée Byzantin, 2018
L’archéologue et son chat… cycladique. Exposition, musée Byzantin, Athènes, 2018
Exposition. Musée Byzantin, Athènes, 2018

Athènes, ses premières floraisons en son temps (métrologique) bien doux. Plongée ainsi historique et possible… à Délos et dans les Cyclades plus généralement, grâce à la belle exposition qui se tient au Musée Byzantin (jusqu’au 28 février), une autre manière (personnelle) pour ainsi prendre de la nécessaire distance (tout comme un éloignement très temporaire d’Athènes, les raisons sont familiales).

Mimi de ‘Greek Crisis’. Athènes, janvier 2018

Délos, obscure et glorieuse, toujours entre humains et animaux, dont les chats des archéologues de jadis. Comme ceux de ‘Greek Crisis’ pour les archéologues du futur, Mimi qui se fatigue parfois, et Hermès (dit le Trismégiste)… infatigable.

Renaissance naturelle, instantanés helléniques !

Hermès de ‘Greek Crisis’. Athènes, février 2018
* Photo de couverture: Rassemblement à Athènes le 4 février 2018 (presse grecque)

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Grèce. La droitisation de SYRIZA: un gouffre social, moral et idéologique

Publié par Alencontre le 1 – février – 2018

Par Antonis Ntavanellos

Le 15 janvier 2018 a été soumis au Parlement grec, et par la suite adopté par la majorité de SYRIZA-ANEL [Grecs indépendants], le projet de «loi-valise», par lequel le gouvernement Tsipras assure le «bon» déroulement de la 3e évaluation de la situation économique grecque par les créanciers. Ainsi, ce gouvernement suit sa route vers la fin formelle du programme du 3e mémorandum (signée le 14 août , annoncée pour août 2018.

D’ici à cette date le gouvernement doit encore éviter deux récifs. D’une part, les «stress tests» (tests de résistance bancaire) des banques grecques [Banque nationale de Grèce, Piraeus Bank, Alpha Bank et Eurobank], où il espère que les créanciers et la Commission européenne accepteront l’application de critères moins stricts, afin d’éviter le scénario d’une nouvelle recapitalisation des banques qui ferait exploser la vision optimiste de l’économie grecque actuellement diffusée. D’autre part, la stratégie de communication de Tsipras qui, malgré tous les problèmes, est déjà en train de préparer les prochaines élections. Il a encore en perspective la 4e évaluation (au printemps 2018), qui débouchera sur de nouvelles mesures d’austérité supplémentaires.

A condition que le gouvernement arrive à surmonter ces risques, il pourrait espérer obtenir une promesse favorable à des mesures «d’allégement» de la dette grecque, principalement un plus grand étalement dans le temps des indispensables remboursements. Dans tous les cas, les créanciers, pour l’instant, déclarent que le débat sur la dette sera officiellement ouvert après août 2018.

Il convient de noter que la fin formelle du 3e mémorandum ne signifie pas la fin des politiques mémorandaires brutales. Comme il a été explicitement convenu lors de la signature par Tsipras du 3e mémorandum, la totalité des lois, règles et règlements, associés au mémorandum, l’ensemble des contre-réformes néolibérales des huit dernières années, resteront en vigueur, au même titre que la mise sous «surveillance» de l’économie grecque jusqu’en… 2060 (c’est-à-dire jusqu’à ce que soient remboursés au moins les 75% de la dette) !

Le projet de «loi-valise»

Les dispositions mises en place lors de la 3e évaluation comportaient plusieurs mesures brutales:

• L’article le plus controversé dans cette loi est celui qui autorise les banques et les administrations publiques de procéder par voie électronique à la mise aux enchères des domiciles des familles populaires qui sont dans l’incapacité de régler leurs dettes. Le gouvernement a déjà essayé de procéder à des ventes aux enchères en grand nombre. Mais il a rencontré une résistance importante, entre autres par des mobilisations (au sein desquelles l’Unité Populaire – LAE – a tenu le premier rôle) qui ont empêché les tribunaux de tenir audience et de rendre les décisions de mises aux enchères. Le gouvernement a tenté la répression, et il a lamentablement échoué, provoquant la présence encore plus nombreuse des manifestant·e·s devant et à l’intérieur des tribunaux. Aussi, l’apparition du Parti communiste grec (KKE) dans ces actions, qu’il a rejointes avec beaucoup de retard, a aidé à affermir la conviction que nous pouvions arrêter les décisions gouvernementales sur cette question, cruciale pour les banques et les créanciers. Le gouvernement tentera d’éviter cet affrontement en organisant dès à présent des ventes aux enchères électroniques, dans des centaines d’études de notaires de tout le pays. Mais le programme de vente aux enchères concerne un tel grand nombre de cas qu’existe l’espoir réaliste que le mouvement de résistance se déplacera vers les quartiers pour y livrer la bataille afin de mettre un cran d’arrêt aux expulsions.

• Un emblématique tournant réactionnaire a été également la modification radicale de la loi qui régissait le droit de grève. Cette loi a été conquise de hautes luttes ouvrières pendant la période ayant suivi la chute de la dictature [1974]. Aujourd’hui, un gouvernement, dont seul le nom renvoie au terme de gauche, a décidé que pour qu’une grève soit déclarée, 50% +1 des travailleurs d’une entreprise ou d’une branche doivent être présents et approuver la décision d’entrer en grève. Une telle réglementation fut pendant des décennies le souhait des cadres dirigeants capitalistes les plus extrémistes, un souhait qui semblait jusqu’à présent irréalisable.

Incontestablement, la «loi-valise» contient bien d’autres mesures critiques, telles que des coupes majeures dans les allocations familiales et les retraites, ainsi que des modalités facilitant encore plus les privatisations au sein des «secteurs stratégiques» comme ceux de l’électricité ou de l’eau.

La grève

Cette politique gouvernementale a été systématiquement aidée par la direction des bureaucraties syndicales des secteurs public et privé qui, sous la houlette d’une coalition de cadres du PASOK, de Nouvelle Démocratie et de SYRIZA, ont tout fait pour faire obstacle au démarrage et à l’organisation de sérieuses mobilisations. Ainsi les grandes confédérations se sont abstenues de décider la grève en laissant sans protection et appui les travailleurs et travailleuses qui avaient l’intention de s’engager dans de telles luttes.

Tout le poids est retombé sur les épaules des syndicats de base où la gauche est une force motrice. Mais, encore à ce niveau, l’attitude du KKE proposant une seule journée de grève au moment du vote de la «loi-valise», sans mobilisations préalables, réduisait l’importance de cette grève, la transformant en action symbolique «pour l’honneur». Tenant compte de toutes ces données et de notre expérience, nous estimons que la participation à la grève était plus grande que prévu, mais largement insuffisante à l’aune de ce qui aurait fallu pour arrêter l’offensive gouvernementale.

La grève s’est étendue en particulier dans les transports publics (près de 100%) et dans le secteur de la navigation. Néanmoins, cette grève dans transports faisait obstacle à la possibilité de se rendre sur les places où étaient appelées les manifestations. Ainsi, les rassemblements se sont essentiellement appuyés sur les militants déterminés de la gauche politique.

Une fois de plus l’expérience de l’après 2015 a été confirmée en Grèce: les gens sont indignés et en colère, mais pour l’heure cela ne se traduit pas dans une action directe de masse, car pèse sur eux la déception durable provoquée par la défaite de 2015, et le manque d’une alternative politique convaincante pour le renversement de la brutale austérité.

La droitisation

Tsipras, en capitalisant sur la déception populaire et ouvrière, opère donc un déplacement rapide de sa base sociale et se tourne vers les classes dominantes.

SYRIZA a déjà organisé autour d’elle une alliance avec le cercle de capitalistes qu’elle appelait avant 2015 «la face obscure de l’entrepreneuriat». Des capitalistes qui ont construit des fortunes sur divers trafics, sur le jeu, sur le blanchiment d’argent, sur leur présence forte dans le football et qui, toujours, dépendent des bonnes relations avec les gouvernements respectifs.

SYRIZA étend ses relations en direction des «familles» les plus traditionnelles de la bourgeoisie, mettant ainsi à profit ses relations avec les banques et une instrumentalisation particulière des privatisations. C’est-à-dire qu’elle prend soin, tout en attirant des investissements étrangers, d’assurer une place et un rôle des capitalistes autochtones en tant que «partenaires locaux» des fonds internationaux et des transnationales, prétendant ainsi résister, face aux forces supérieures des «marchés internationaux», à «la déshellénisation des entreprises».

Mais principalement, la direction de SYRIZA met en avant sur tous les tons l’argument de la stabilité. C’est-à-dire l’affirmation que le gouvernement SYRIZA-ANEL a appliqué à vive allure les dispositions mémorandaires, tout en réduisant sensiblement les réactions populaires et des masses laborieuses, en installant dans le pays un climat de «paix sociale» pour la première fois depuis des années.

L’ambition de servir les intérêts de la classe dominante dans son ensemble se prolonge, sans que ce soit un hasard, jusqu’au soutien à des velléités les plus inflexibles du nationalisme grec dans la région.

Le gouvernement, avec pour figures de proue les ministres de la Défense Panos Kammenos (Anel) et des Affaires étrangères Nikos Kotzias (SYRIZA), a poursuivi sans problème la politique de la droite à propos du Moyen-Orient et de la Méditerranée Orientale: le soutien ouvert aux Etats-Unis, l’intensification de la présence de l’OTAN en mer Egée, le renforcement de «l’axe» avec l’Etat d’Israël et avec la dictature de Sissi, avec pour but l’isolement de la Turquie d’Erdogan, instable et ambivalente. Le gain serait la participation au partage du pétrole et du gaz en Méditerranée orientale et du sud-est, et le renforcement du centre de gravité grec au niveau des développements et des perspectives à Chypre.

Récemment la diplomatie grecque se tourne vers l’ouest des Balkans. Elle se réjouit de prétendre résoudre le différend avec la République de Macédoine au sujet du «nom», sur la base des termes dictés par l’Etat grec.

Avec le plein soutien des Etats-Unis, de l’UE et de l’OTAN, les «négociateurs» grecs exigent un nouveau nom pour le pays voisin, un «nom composé» (il semblerait celui de «Nova Makedonja») qui remplacerait celui de «République de Macédoine», pour tous les usages (erga omnes: à l’intérieur du pays et à l’échelle internationale, dans le langage officiel comme au quotidien), qui serait écrit en alphabet cyrillique (?) et utilisé à l’international tel quel sans pouvoir être traduit ni conjugué.

Le changement de l’appellation de l’Etat voisin devrait se reporter obligatoirement sur la qualification de sa langue et celle de la citoyenneté. Cette violation absurde du droit démocratique à l’autodétermination vise seulement à garantir l’usage grec exclusif du terme Macédoine.

Cet «arrangement» a pour vrai objectif l’intégration immédiate de la République de Macédoine à l’OTAN (probablement lors du prochain sommet, de juillet 2018) et le démarrage du processus de son intégration dans l’UE.

La véritable négociation s’est faite entre les grandes puissances occidentales et l’Etat grec, au sujet des contreparties suffisantes pour la levée du veto à l’intégration de la Macédoine à l’OTAN, émis par le gouvernement Karamanlis pendant le sommet de Bucarest, en 2008.

C’est pour cela qu’aujourd’hui l’OTAN et l’UE exercent une pression implacable sur le gouvernement de Zoran Zaev (en utilisant même l’influence des partis albanais qui se soucient peu de l’autodétermination «macédonienne»), afin qu’il accepte les conditions de la Grèce, en indiquant au gouvernement de Skopje qu’«il n’y a pas d’alternative».

En suivant cette politique, et par l’affirmation que l’extension de l’OTAN dans les Balkans renforcera la paix (!) et la démocratie (!!) dans la région, le gouvernement Tsipras s’efforce d’inclure dans son bilan une «réussite nationale», par la résolution, sur la base de la ligne des Etats-Unis, d’un problème qui stagnait pendant des décennies [1].

Ces mouvements tactiques font pression sur la direction de Nouvelle Démocratie, incarnée par Mitsotakis. En ayant conscience des bénéfices attendus par le capitalisme grec, Kyriakos Mitsotakis garde une «attitude responsable». Mais l’aile droite du parti et l’extrême droite nationaliste au-delà de Nouvelle Démocratie réagissent au plan idéologique, en organisant des rassemblements nationalistes [21 janvier à Thessalonique, avec 100’000 manifestants selon la police], en collaboration avec l’Eglise. Mais même ceux-là prennent soin de ne pas trop hausser le ton: d’une part, pour ne pas saborder par des provocations la politique du gouvernement, d’autre part, pour ne pas réduire les perspectives d’une victoire électorale de Nouvelle Démocratie.

Il s’agit d’une véritable incursion de Tsipras dans le projet politique de la droite. A travers celle-ci SYRIZA tente de suppléer à la perte de son influence parmi les couches populaires et laborieuses, ou de les réduire. Toutefois, tout porte à croire que cette tactique n’a pas de résultats spectaculaires, ou pas encore. Selon les déclarations d’un analyste critique radical, Tsipras est sur le chemin d’une bataille politique et électorale où il fera le constat que la faiblesse de la résistance des classes populaires est une chose, mais leur assentiment, fût-il seulement électoral, est tout autre chose.

Ce dont il y a toujours besoin en politique grecque, du point de vue des intérêts des travailleurs, c’est la création d’un pôle massif de la gauche radicale, qui servirait d’appui aux secteurs importants qui soutenaient SYRIZA, aujourd’hui déçus par sa politique et par son déplacement accéléré vers la droite. (Janvier 2018. Traduction par Manolis Kosadinos)

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[1] Selon Jaklina Naumovski dans Le Courrier des Balkans, «le mercredi 24 janvier, en marge du sommet de Davos, sept ans après la dernière rencontre à ce niveau, les chefs de gouvernement macédonien et grec, Zoran Zaev et Alexis Tsipras, se sont retrouvés pour poursuivre le dialogue autour du conflit du nom de la Macédoine, montrant ainsi un nouveau signe de détente dans les relations entre les deux pays. Cette rencontre qui intervient à peine trois jours après la manifestation massive de Thessalonique, et à quelques jours de la visite dans les deux capitales du médiateur des Nations unies, Matthew Nimetz, qui doit faire part de ses nouvelles propositions pour résoudre le principal litige diplomatique entre les deux pays… Alexis Tsipras a confirmé son intention de soutenir son voisin du nord dans le processus d’intégration euro-atlantique. Ainsi, parmi les mesures allant dans ce sens, il a annoncé l’ouverture du poste frontière Markova noga à Prespa. Il a également précisé son engagement à « soutenir les procédures suspendues par son gouvernement, plus précisément la candidature de son voisin à l’Initiative Adriatique-Ionienne (ESS) et faire en sorte que la deuxième phase de l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE soit ratifiée par le Parlement grec ». Ils ont conclu que les réunions continueraient dans les semaines à venir, notamment au niveau des ministères des affaires étrangères. Une rencontre saluée unanimement par les représentants de l’UE.»

La manifestation de Thessalonique est certes significative. Elle a reçu, selon des informations de la presse, le soutien de celui qui veut racheter le port de cette ville et qui a des liens avec Poutine: Ivan Savidis, plus russe que grec. Il est aussi le propriétaire de l’équipe de football PAOK Salonique, un des trois plus importants clubs de Grèce, et cultive les rapports avec l’Eglise orthodoxe. En outre, il a opéré de nombreux rachats d’immeubles et d’hôtels, ainsi que de firmes dans les secteurs du tabac et du sucre. Tout cela n’empêche pas – au contraire, pourrait-on dire – qu’il entretienne une relation avec Tsipras. Le projet politique pourrait être de constituer une droite dure au nord – qui ne se mélange pas avec la figure criminalisée d’Aube dorée – et qui fasse obstacle, lors des prochaines élections, à une percée victorieuse de la Nouvelle Démocratie de Mitsotakis. Tsipras est «capable de tout»!

Une des personnalités de premier plan de cette manifestation était le militaire à la retraite, nationaliste affirmé: Frangos Frangoulis (ou Fragos Fragoulis selon la translitération). Il a occupé des postes importants dans l’armée, dans les troupes spéciales, et dans l’état-major et les services de renseignement et fut général en chef des armées. Il occupa le poste de ministre de la Défense, brièvement, dans le gouvernement de transition de P. Pikramenos (mai-juin 2012). Mise en perspective historique, cette manifestation est toutefois loin d’avoir eu l’ampleur de celle de 1992.

Une autre manifestation se prépare, pour le dimanche 4 février à Athènes, et dans ce cas la Nouvelle Démocratie veut faire la démonstration de sa capacité d’opposition à Tsipras, tout en laissant entendre qu’elle ne veut pas faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN. Aube dorée sera présente, dans les marges. L’Eglise orthodoxe participe à l’opération. Comble de la confusion politique Mikis Théodorakis sera l’un des principaux orateurs. Manolis Glezos, invité, a refusé. (Rédaction A l’Encontre)

source https://alencontre.org/laune/grece-la-droitisation-de-syriza-est-un-gouffre-ideologique-et-moral-sans-fond.html

Ne touchez pas au droit de grève Athènes 15/1/2018

Manifestation devant un tribunal pour empêcher une vente aux enchères de logements

Rencontre entre Zoran Zaev et Alexis Tsipras, le 24 janvier 2018

Macédoine …et légumes La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Macédoine… et légumes

C’est l’hiver, certes doux, et… c’est le pays où les habitants meurent à petit feu. Cette semaine, l’actualité a encore tourné autour du pot cassé, sans répondre, même partiellement, aux flagrantes apories humaines réellement existantes. Plus de deux cent mille personnes (près de cent mille d’après le comptage de la police), se sont rassemblées à Thessalonique pour s’opposer à la réouverture des négociations entre la Grèce et la Macédoine slave, surtout à l’utilisation par cette dernière du nom historique de “Macédoine”. Autrement-dit, l’ex-République Yougoslave de Macédoine, au sujet de sa désignation définitive officielle (et ainsi enfin acceptée par les deux pays). Macédoine… et alors légumes !

Le rassemblement de Thessalonique, le 21 janvier 2018 (presse grecque)

Cette histoire est suffisamment vieille, le ridicule des gouvernements de Skopje ne tue heureusement personne lorsque ces voisins Slaves s’autoproclament officiellement héritiers d’Alexandre le Grand et de son dynastie Macédonienne d’alors, et du côté grec, on admet difficilement, voire pas du tout, que d’autres voisins peuplant une partie de la Macédoine géographique (dont la plus grande partie forme la région homonyme du nord de la Grèce), puissent enfin s’autodésigner de la sorte (“Macédoniens”).

Dans les faits, la Macédoine slave est pour la plupart des autres pays la Macédoine tout court, et il suffirait d’ôter de sa Constitution ces alinéas directement irrédentistes “quant à la libération de l’ensemble de la Macédoine”, puis côté grec, rechercher le compromis sans forcément la compromission, pour enfin avancer. Car sinon, les liens commerciaux et même touristiques entre les deux pays sont plus que bonnes aux dires de tous.

Et pourtant l’affaire est pourtant un peu plus compliqué (ou alors plus simple, c’est selon). Car l’initiative des négociations actuelles entre les deux pays pour un contentieux ayant occupé déjà le devant des deux scènes politiques respectives au début des années 1990, revient en réalité aux États-Unis (et dans une moindre mesure à l’U.E.). D’après la géopolitique actuelle, la Macédoine Slave devrait trouver enfin son nom définitif car face à la Russie, le temps long (tout comme les urgences) politiques des États-Unis, devraient conduire ces… autres pays restants dans les Balkans, dans le très exact giron de l’OTAN. Tout simplement.

Pierre Moscovici et Alexis Tsipras à Davos cette semaine (presse grecque)
“Alexandre le Grand peut-il vivre avec 400€ par mois ?” (Hebdomadaire “To Pontíki”, le 25 janvier 2018)
“Thucydide dramatique” (réflexion théâtralisée, Athènes, janvier 2018)

“Thucydide dramatique – Le théâtre de la Guerre”, c’est alors le titre qui en dit long (et juste) sur l’actualité humaine depuis… plus de deux millénaires, et c’est une forme de réflexion théâtralisée que les Athéniens ont pu découvrir également en cette fin janvier 2018. Hasard du calendrier ? Peut-être.

En attendant, on peut accessoirement et encore découvrir ces photographies publiées par la presse depuis Davos, pour ce qui est du visage… déjà on dirait métanthropisé, d’un certain Alexis Tsipras posant aux côtés de Pierre Moscovici. “Rappelons que Davos est le lieu où se déroule la Montagne magique de Thomas Mann, qui nous offrait de belles discussions entre dionysiaques et apolliniens – ces derniers ayant bien sûr perdu la joute. Ce livre ouvrait les thèmes de la mondialisation à l’époque où Edmond Husserl évoquait l’Europe et ses sempiternelles crises de la culture.’”

“Le développement forcé et forcené de l’informatique depuis deux générations a abouti à la création d’un État postmoderne renforcé, plus totalitaire et espionnant que jamais ; et à l’émergence d’une surclasse de manipulateurs de symboles, un nouveau clergé planétaire dont les riches et les plus puissants se réunissent en Suisse pour voir comment contrôler et soumettre le troupeau de viande – pour parler comme William Gibson – qui inquiète par son nombre et sa consommation, l’élite écolo et friquée de la planète perdue. J’avais marqué la distinction dans mon livre sur internet entre les techno-serfs et les techno-lords que le monde virtuel, le monde de la richesse et de l’apparence recréait sur un fond de mysticisme techno et de féodalisme retrouvé.”, souligne par ailleurs et par les temps qui courent Nicolas Bonnal .

Presse du moment. Athènes, janvier 2018
Place de la Constitution. Athènes, janvier 2018
Chouettes. Exposition sur Yórgos Séféris, Athènes, janvier 2018

Le grand rassemblement de Thessalonique fut patriotique… folklorique, pathétique et pour tout dire hétéroclite. Les députés du parti de Kamménos… le patriote mémorandaire y étaient présents, et parmi eux, l’ex-ministre adjoint de l’Éducation ex-Nationale très fraîchement démissionnaire, Kóstas Zouráris, ancien de mai ’68 à Paris, et entre autres ex-universitaire suffisamment baladin, lequel avait été pris à partie par la foule, pour finalement être sauvé du passage à tabac in extremis par la police

Le rassemblement de Thessalonique, préfigurant celui organisé à Athènes pour le 2 février prochain, a avant tout, réuni tous ceux qui ne se reconnaissent plus aux partis (et surtout aux partis de gauche), autrement-dit, l’immense majorité des Grecs en ce moment. Il a ainsi et d’emblée cristallisé toute la haine comme le ressentiment vis-à-vis de cette fin de l’histoire politique du pays, celui que SYRIZA a décidément accompli avec tant… d’enthousiasme en 2015. Plus que la question Macédonienne (pratiquement… réglée dans un sens), c’est un avertissement fort, adressé aux pseudo-dirigeants. Rien de très constructif certes, et pourtant une volonté claire à ne plus poursuivre dans la voie de l’humiliation et de la mise à mort du pays et de son peuple dans sa majorité (culture et histoire comprises).

Ceux de l’Aube Dorée y étaient évidemment et bruyamment présents, sauf qu’ils ne tirent, et ne tireront plus me semble-t-il vraiment bénéfice de ce type de manifestations et de situations. D’abord, aux yeux des Grecs les néonazis de l’Aube Dorée n’ont pas la propriété de la défense du pays, et ensuite, depuis l’escroquerie SYRIZA, on se dit qu’il va falloir rester vigilent “rien que parce que les Aubedoriens peuvent être un leurre posé et imposé par certaines puissances étrangères”, telle semble être en tout cas, la doxa populaire du moment, et dans un sens c’est mieux ainsi.

Athènes et l’Acropole. Janvier 2018
Quartiers d’Athènes. Janvier 2018
Prémisses du Printemps. Athènes, janvier 2018

Il n’y a d’ailleurs pas si longtemps, c’était en décembre 2017, dans le cadre du procès des Aubedoriens, que l’historien Dimitris Koussoúris avait été appelé à la barre du Tribunal pour témoigner de la tentative d’assassinat dont il avait été victime en 1998, à une époque où le groupuscule Aubedorien était encore pratiquent inconnu du grand public.

Comme le rappelle la géopolitologue Béatrice Giblin dans son ouvrage “L’extrême droite en Europe” (2014), l’incident le plus grave eut lieu à Athènes le 16 juin 1998. “À la sortie du palais de justice, un groupe de ses militants attaque et blesse sérieusement trois hommes d’un groupe de la gauche extraparlementaire, dont l’un, l’étudiant Dimitris Koussoúris, échappa à la mort de justesse. Antónios Androutsópoulos, dit Périandros, considéré à l’époque comme le numéro deux de l’Aube Dorée, est identifié comme l’un des agresseurs, mais il s’enfuit et restera en cavale jusqu’en 2005, année où il se rend volontairement aux autorités. Si l’Aube Dorée a toujours nié son implication dans cet événement ainsi que l’appartenance de Périandros au parti, les preuves sont accablantes: en 2006, Androutsópoulos est condamné à vingt et un an de prison.”

Dimitris Koussoúris avait été un de mes étudiants de DEA, dans le cadre d’un séminaire complémentaire à l’époque sous ma responsabilité, au Centre d’Études Byzantines Néo-helléniques et Sud-Est Européennes à Paris (EHESS), et nous étions au début des années 2000. Il m’avait tout raconté Dimitri, et comme ces événements étaient encore récents, il fuyait la Grèce, une certaine… Grèce en tout cas. Je l’ai rencontré ensuite plusieurs années après, il y a quelques mois à Athènes, où il était de passage car ayant perdu son poste (vacataire) à l’Université de Crète lorsque tous ces postes ont été supprimés pour cause… d’austérité, il travaille actuellement en Autriche… fuyant ainsi de nouveau une Grèce alors incertaine.

C’est ainsi l’hiver, certes (presque) doux au pays, les amandiers fleurissent, nos animaux adespotes s’installent au soleil, belles prémisses du Printemps, sauf que c’est au pays où les habitants meurent pourtant à petit feu.

Quartier d’Athènes. Janvier 2018
Soleil à Athènes, janvier 2018
Nos animaux adespotes au soleil. Athènes, janvier 2018

Sauf que le soleil à lui seul n’a jamais fait (toute) l’affaire. Devant le ras-le-bol généralisé, tout le monde sent qu’il y a place en Grèce pour un mouvement conservateur, souverainiste, populaire, et de droite, ce que la Nouvelle Démocratie de Kyriákos Mitsotakis n’est certainement pas, et ce que l’Aube Dorée aux globules néonazis prétend l’être sans convaincre.

La doxa grecque du moment croit attendre… l’homme fort, le militaire, voire, le dictateur qui mettra fin déjà aux humiliations, car “pour ce qui est de la crise c’est fichu”, comme ont dit alors très largement en Grèce. Sinon, les Grecs se détachent de la politique, des nouvelles et ne s’occupent progressivement que de leurs affaires supposées privées comme surtout de survie, une réalité qui désormais fait plutôt référence aux… particularités populaires sous les régimes communistes des pays de l’Est entre autres.

Dimitris Koussoúris au tribunal (procès de l’Aube Dorée). Athènes, décembre 2017 (presse grecque)

En tout cas, un des orateurs très apprécié du public à Thessalonique lors du rassemblement, fut le général à la retraite Frangos Frangoulis , un… patriote ayant publiquement pris position en faveur du ‘OUI’ au referendum de juillet 2015, comme il a été également Ministre de la Défense au cabinet dit “technique” (de transition) au moment des élections de 2012, du… très germanophile Panagiótis Pikramménos.

On prête alors au général Frangoulis des ambitions politiques, et si cela se confirme, nous verrons peut-être une nouvelle canalisation (et récupération systémique ?) de l’expression politique du ras-le-bol, à droite cette fois-ci, après avoir vécu le piège très préparé de SYRIZA à gauche. Peut-être. Cela-dit, depuis le grand rassemblement de Thessalonique, on observe ce paysage des… légumes politiques grecs se mettre en ébullition… alors gare à la soupe !

Fort heureusement pour notre moral, une exposition sur le poète Yórgos (Georges) Séféris, sur sa vie, via ses photos, puis les œuvres d’art autour de son œuvre s’est tenue jusqu’au 21 de ce janvier à Athènes, sous le titre (tiré d’une expression du poète): “Quand la lumière dance, je parle justement”.

“Quand la lumière dance, je parle justement”. Yórgos Seféris, exposition, Athènes, janvier 2018
Le Prix Nobel en 1963 de Yórgos Seféris, exposition, Athènes, janvier 2018
Retour en Asie Mineure (Turquie), Urla, bourg de son enfance. Photo de Séféris (1950)

Une immersion bien nécessaire en ces temps sombres, Georges Seféris et sa poésie à travers la peinture et la photographie, l’exposition présentait aussi au public des manuscrits du poète, des objets personnels, le Prix Nobel qui lui a été accordé en 1963, ainsi que des objets peints par lui-même. Sans oublier les presque 60 photos en noir et blanc, que le poète a prises tout au long de la sa vie et pendant ses voyages en Grèce et à l’étranger. Scènes de la vie quotidienne, paysages de l’Asie mineure, de Chypre, de Póros, et aussi ces portraits des proches, de sa femmes Maro, du peintre Yannis Tsaroúchis, ou encore de l’écrivain Henry Miller. L’autre siècle.

Clichés d’avant, temps d’après, comme pour cette photo de la bourgade d’Urla près de Smyrne (Izmir), petit port de l’enfance du poète. La maison familiale qui s’y trouve toujours et qui porte son nom… est désormais transformée en hôtel . Manière de faire exister peut-être, face à l’oubli.

Yorgos Séféris et sa femme Maro. Exposition, Athènes, janvier 2018
L’écrivain Henry Miller à Hydra. Photo de Yorgos Séféris, exposition à Athènes, janvier 2018

Et en sortant de l’exposition… la Grèce, la Macédoine… et leurs légumes politiques décidément trop cuits. La bonne question avait pourtant été posée sous forme de boutade par l’hebdomadaire politique et satyrique “To Pontíki” daté du 25 janvier 2018: “Alexandre le Grand peut-il vivre avec 400€ par mois ?”. Et c’est un peu comme pour le nœud gordien dans un sens.

Quotidien grec, déliquescences. Le voisin, pourtant médecin qui n’accompagne pas son voisin seul, à bord de l’ambulance lors d’un malaise, puis, toujours d’après le reportage de “To Pontíki” , cet homme qui a subi un malaise et qui s’effondre dans une rame du métro d’Athènes, et voilà que seulement deux personnes à bord du wagon (plein) qui se sont penchées sur son cas. Tous les autres, Grecs comme migrants laissant ainsi éclater… leur colère grognassant. “Dégagez-le enfin… le connard, il nous gêne, on a autre chose à faire que de perdre notre temps.” Le corps… encore animé a finalement été récupéré par une ambulance six stations de métro plus loin, le tout, devant un corps social visiblement inanimé.

La Grèce n’est plus la même, pour ne pas dire la Grèce n’est plus. La destruction du lien, de cette “filia” à minimum nécessaire pour que société et communauté subsistent autant que faire se peut entre les humains d’après Aristote, a manifestement été broyée en huit ans de mémorandum… voilà le beau résultat.

Peinture décorative de Yorgos Séféris. Exposition, Athènes, janvier 2018
Ruines. Photo de Yorgos Séféris, exposition, Athènes, janvier 2018
Exposition Yórgos Seféris. Athènes, janvier 2018

Alexis Tsipras, (encore) depuis à Davos cette semaine, vient de répéter combien et comment le moment de la sortie du pays de la surveillance troïkanne serait alors proche, puisque d’après les médias ERT (service… public), “Tsipras a eu une réunion avec le commissaire des Finances Pierre Moscovici, qui a indiqué que la Grèce a passé dans une nouvelle phase de consolidation de la confiance et la fiabilité” .

La très… bonne blague. Comme le fait remarquer à très juste titre François Leclerc sur le blog de Paul Jorion , à ce propos: “Abusifs, les commentaires fleurissent sur le thème que les indicateurs reviennent au vert en Grèce, dans la perspective de la fin de son troisième plan de sauvetage fin août prochain. C’est un peu vite oublier qu’un grec sur cinq est officiellement au chômage, et qu’au troisième trimestre 2017 – dernières données disponibles – la consommation a baissé de 1% sur un an et l’investissement de 8,5%. Rien qui augure d’un démarrage en fanfare, même avec ces indices qui demanderaient eux aussi un sérieux coup de propre à l’heure du Big data, une fois leurs biais corrigés!” (…)

“La Grèce serait donc sortie de la crise, mais comment qualifier une situation où plus de 35% des grecs sont sous le seuil de pauvreté, où la moitié d’entre eux vivent d’une pension de retraite – la leur ou celle de leurs parents – où sept jeunes sur dix âgés de 18 à 35 ans rêvent de partir à l’étranger? Quel avenir peuvent-ils attendre d’un pays dont le montant de la dette publique correspond à 178% du PIB, et où la croissance devra prioritairement financer son remboursement, à moins qu’une nouvelle crise de la dette ne le mette à nouveau à terre ? La vérité toute simple est qu’un tel pays ne peut pas prétendre au développement mais tout juste assurer la survie de ses habitants, et ce pour très longtemps.”

La maison rouge (île de Póros) où Séféris avait séjourné. Póros, 2017
La maison rouge (île de Póros) où Séféris avait séjourné. Exposition, Athènes, janvier 2018
Kichlée (La Grive), bateau et autant poème de Séféris. Exposition, Athènes, janvier 2018

Mon ami de Paris Lákis Proguídis et les siens de la revue “L’Atelier du Roman” (… laquelle n’a plus d’éditeur) reproduisent dans leur dernier numéro cette réflexion, toujours d’actualité, extraite du Journal (1961) du grand écrivain Witold Gombrowicz , temps qui est donc le nôtre… Macédoine ou pas !

“Quand j’étais jeune, au moins, on se moquait encore du professeur, grand-père éthéré qui perdait son chapeau. Aujourd’hui, personne ne rit plus, on se prend à se crisper, à se recroqueviller, à se sentir mal à l’aise à la vue des bonshommes assemblés, les spécialistes, qui s’attaquent à notre peau, transforment nos gènes, s’immiscent dans nos rêves, modifient le cosmos, enfoncent leurs petites aiguilles dans nos centres nerveux, tripotent nos organes internes, intimes, auxquels personne ne devrait toucher !”

L’ancre sur l’île de Póros. Georges Seféris, exposition, Athènes, janvier 2018

“Ces manipulations impudiques, ce sans-gêne ignoble, cette cochonnerie qui s’annonce, ne nous effraient pas encore assez, mais bientôt nous nous mettrons à hurler en voyant notre amie, notre bienfaitrice, la Science, se déchaîner de plus en plus et devenir un taureau qui nous encorne, une force plus imprévisible que tout ce à quoi nous avons eu affaire jusqu’à présent. La lumière croissante se muera en ténèbres et nous nous retrouverons dans une nuit nouvelle, la pire de toutes.”

C’est l’hiver, certes doux, et c’est le pays où les habitants meurent à petit feu… sous le regard philosophe des animaux adespotes des lieux, en dépit on dirait de l’émergence de cette surclasse de manipulateurs de symboles. Quand la lumière dance, peut-on encore parler justement ?

(Le blog remercie ses ami(e)s pour leur soutien pour sa campagne exceptionnelle de décembre 2018 – janvier 2018, surtout par les temps qui courent, preuve, s’il en faut, que la lumière danse !)

Animal adespote. Athènes, janvier 2018
* Photo de couverture: Photo de Georges Seféris. Exposition, Athènes, janvier 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Grèce : limitation du droit de grève

Mouvement de contestation en Grèce contre le projet de Tsipras de limiter le droit de grève

En Grèce, le projet du gouvernement de limiter le droit de grève a provoqué vendredi dernier un mouvement de contestation important. A Athènes la journée a été marquée par de gigantesques embouteillages, provoqués par les blocages des transports publics, des trains et des bateaux ainsi que par un ralentissement du fonctionnement des hôpitaux.

Pablo Morao lundi 15 janvier

Crédits photo : Aris Messinis/AFP

Les nouvelles réformes du gouvernement n’ont pas plu aux travailleurs et ils l’ont fait savoir en exerçant, vendredi dernier, leur droit acquis de haute lutte : la grève. Un droit que le gouvernement entend réduire. Alors que jusqu’ici, les syndicats pouvaient lancer une grève s’ils disposaient du soutien de 20% de leurs membres, le gouvernement entend passer ce taux à 50%, durcissant de fait la possibilité de journées d’action.

A l’appel des principaux syndicats, 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Athènes. Particulièrement suivie dans les transports publics, la grève a provoqué des embouteillages monstres autour de la capitale grecque. Les dockers se sont également mobilisés en bloquant les bateaux, tandis que les hôpitaux fonctionnaient au ralenti.

Cette mesure portée par le gouvernement de Syriza fait partie des 140 « actions prioritaires » imposées par la Troïka, des mesures dont la mise en place constitue la condition de l’obtention d’aides financières et d’étalement de la dette. Depuis qu’il a capitulé devant la Troika et les créanciers, le gouvernement de Tsipras a mis en place scrupuleusement ce programme concocté par le FMI, la BCE, le Mécanisme Européen de Stabilité et la Commission Européenne. En parallèle de cette politique, la droite de Nouvelle Démocratie continue sa progression dans les sondages.

Imposée par les créanciers, la remise en cause du droit de grève illustre de manière particulièrement criante 3 années de trahisons. Par-delà toutes les souffrances qu’il aura et continue de causer, le gouvernement Tsipras aura au moins eu le mérite de démontrer les limites inhérentes à tout projet de « gauche » qui ne pose pas comme horizon la rupture avec l’ordre capitaliste, quand bien même il serait soutenu par des mobilisations et par un peuple qui avait exprimé clairement, lors du référendum de juillet 2015, son refus des plans austéritaires de la Troika.

Dès lors, la grève constitue l’ultime moyen de lutte d’un peuple qui souffre et que ses dirigeants ont choisi de sacrifier sur l’autel de l’austérité. La limitation de ce droit apparaît comme un moyen de faire taire les travailleurs. Une mesure paradoxale car cela fait bien longtemps que le gouvernement est sourd à toutes leurs revendications

http://www.revolutionpermanente.fr/Grece-les-travailleurs-en-greve-pour-le-droit-de-greve

Fosse sceptique La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Fosse sceptique

Semaine mouvementée. La… terre a même fini par bouger. Au soir du lundi 15 janvier, le texte dit “des prérequis” au mémorandum intermédiaire était adopté au “Parlement”. Nos manifestants affligés avaient alors quitté la place de la Constitution depuis un moment déjà, lorsque peu avant 22h30, un séisme qualifié de modéré d’une magnitude de 4,4 a été fortement ressenti dans la capitale. Chez “Greek Crisis”, Mimi s’est mise à miauler, tandis que le jeune Hermès s’est aussitôt réfugié sous le canapé, preuve s’il en fallait… que la terre ne ment pas !

La place a retrouvé sa… normalité. Athènes, janvier 2018

La grande place historique et centrale d’Athènes a pu retrouver… toute sa normalité en ces temps décidément hors normes (démocratiques entre autres), retrouver ses passants, ses quelques touristes hivernaux, surtout ses animaux adespotes et néanmoins nourris par les policiers qu’y stationnent de manière permanente.

Le texte long de 1.531 pages, a été… adopté au pays des adaptés, et cela même par une majorité désormais renforcée il faut le signaler. Aux 153 (très… chers) élus SYRIZA et ANEL (le petit parti de droite, allié des Syrizistes), s’est jointe une certaine Théodora Megalooikonomou , ex-parlementaire du parti dit de l’Union des Centristes de Vassilis Leventis, petite formation politique ayant fait sont entrée au “Parlement” en 2015 et dont le chef serait, aux dires de nombreux observateurs, une personnalité mentalement (et relativement) déséquilibrée.

L’épisode… Megaloéconomiste (Megalooikonomou) est suffisamment révélateur des funèbres réalités politiques actuelles. D’abord, il faut préciser que l’Union des Centristes de Leventis ne sera plus présente au “Parlement”, d’après les sondages en tout cas. Ensuite, Théodora Megalooikonomou, marchande de métaux précieux et bijoutière au Pirée comme sa famille, avait été parmi les rares financeurs du petit parti de Leventis durant plusieurs années (presse grecque, janvier 2018), et qu’aux temps des difficultés économiques, ce dernier en guise de retour, il lui avait offert la première place éligible sur la liste des candidats que son parti présenta aux élections législatives de 2015.

Vendeur de billets de loterie. Place de la Constitution, janvier 2018
Le train… heureux et vide. Athènes, place de la Constitution, janvier 2018
Rares touristes. Place de la Constitution. Janvier 2018

L’élue du Pirée, considérant que le parti de Vassilis Leventis ne replissait plus son rôle… de (futur) propulseur vers le “Parlement”, elle a aussitôt mis son cap ailleurs. Interviewée sur son choix tout nouveau et Syriziste, Théodora Megalooikonomou a même déclaré ceci:

“Je choisi désormais d’appartenir à la majorité SYRIZA car je trouve que ce que fait Alexis Tsipras est bon. Ainsi, je voudrais contribuer à son œuvre. J’ai pris la décision d’intégrer SYRIZA plutôt que la Nouvelle Démocratie de Kyriákos Mitsotakis, car ayant attentivement écouté les deux chefs politiques, j’ai remarqué que lorsque Kyriákos Mitsotakis nous disait que finalement, ‘un plus un égale trois’, Alexis Tsipras expliquait qu’alors ‘un plus un égale deux’. Donc je ne pouvais pas faire autrement que de me ranger derrière Alexis Tsipras” (citée de mémoire, Radio 90,1 FM, matinée du 17/01/2018), tandis que dans une interviewe accordée à un journal plutôt “people” en novembre 2017 , Théodora Megalooikonomou déclarait… qu’elle “souhaite s’inscrire dans une école de journalisme pour apprendre à s’exprimer et à rédiger des articles en autonomie”.

Démocraties d’opérette, politiciens marionnettes… et notamment commerce. Déjà en son temps (306 avant J.-C), Épicure dont la pensée fut entre autres une réaction évidente à la désagrégation de la ville-État dans laquelle l’homme-citoyen avait trouvé traditionnellement la possibilité de se réaliser et de satisfaire ses aspirations, le grand philosophe donc, faisait alors remarquer que la seule raison pour laquelle les hommes entrent en politique, c’est leur désir d’obtenir, richesses, pouvoir et gloire. Alexis Tsipras a, non seulement remercié publiquement la… bijoutière du Pirée, mais il l’a également aussitôt officiellement invité au palais du Premier ministre .

Les soldats Evzones gardent toujours les lieux. Place de la Constitution, Athènes, janvier 2018
Le… retour aux sources de l’Orthodoxie. Presse grecque, Athènes, janvier 2018
Les animaux adespotes des lieux. Devant le “Parlement”, Athènes, janvier 2018

Tel un fantôme pour tout dire authentique, le dernier manifestant solitaire posant devant le “Parlement” et devant les journalistes, il était porteur du message tant de fois répété: “Peuple réveille-toi, ils nous paupérisent les uns après les autres et nos enfants avec, de manière pseudo-démocratique”. Il s’est éclipsé à la tombée de la nuit, aussitôt après le vote des “élus”, comme celui de Théodora Megalooikonomou.

Les soldats Evzones gardent ainsi les lieux, et en synchronie, une certaine presse suggère… le retour aux sources de l’Orthodoxie. En attendant, seuls les animaux adespotes du secteur semblent encore pouvoir nous surveiller… offrant ainsi la possibilité d’un regard sur nos affaires humaines comme “politiques” que l’on qualifierait aujourd’hui d’épicurien.

Peut-être aussi, pour nous rappeler cette ultime réponse de l’oracle de Delphes, donnée au tragique empereur Julien: “Le temple est en ruine. – Phébus ne parle plus. Les lauriers sont flétris. – Et les flots de la source à jamais sont taris.” Et c’était le dernier oracle rendu à Julien, dit l’Apostat, en 362 après J.-C.

Jardins d’Athènes, et Jardin d’Épicure. Six longues secondes de bruit et alors le tremblement de terre qui s’est produit à une profondeur de seulement cinq kilomètres et son épicentre a été localisé à 24 kilomètres au nord-est de la capitale, non loin de Marathon, lieu encore historique et symbolique. Les spécialistes auront précisé que la zone de l’épicentre du séisme se caractérisait par de “petites failles qui n’ont pas la capacité de déclencher quelque chose de plus important”. Notre terre bouge, notre histoire alors se remue. Nous voilà rassurés !

Les nouveaux assistés devant la résidence du Premier ministre. Presse grecque, janvier 2018
“Ne touchez pas au droit de grève”. Athènes, le 15 janvier 2018 (presse grecque)
Devant le “Parlement”. Athènes, le 15 janvier 2018 (presse grecque)
Les Institutions (Troïka). Presse grecque (janvier 2018)

Les Syrisocrates actuels mettent en ce moment en place certains types d’allocations (au demeurant fort dérisoires), sauf que pour que les paupérisés de l’Hellade au chômage sans indemnités puissent les percevoir, ils ne doivent plus posséder grand chose en biens (immobiliers et autres). Autrement-dit, ils doivent brader leurs biens (et ainsi détruire irrémédiablement leur identité sociale, symbolique et économique), avant d’espérer… en l’arrivée improbable de l’aumône du nouvel ordre lorsque par exemple de très nombreux députés Syrizistes possèdent chacun… plusieurs dizaines de biens immobiliers.

C’est alors un volet essentiel, consubstantiel même à la mutation imposée aux sociétés occidentales (en plus de la destruction du travail, des salaires et des droits des travailleurs), besogne politique rémunérée pour la quelle la dite “gauche radicale” et Alexis Tsipras (probablement propulsé à la tête de SYRIZA pour cette raison en 2008) auront si bien accepté et incarné le rôle. Il y a de quoi lever les yeux vers les cieux, et remercier autant toute l’équipe de l’Ambassade de France à Athènes pour ses vœux de bonne année. Nous en avons grandement besoin.

L’équipe de l’Ambassade de France à Athènes, vœux de bonne année. Athènes, janvier 2018
Il y a de quoi lever les yeux vers les cieux. Athènes, temps de crise

Le “gouvernement” prépare en ce moment la liste des prochaines privatisations pour ce qui est des grands ports du pays, après ceux d’Athènes (Pirée) et de Thessalonique, l’heure viendra pour les deux portes d’entrée en Grèce depuis l’Adriatique, Patras et Igoumenítsa, et ensuite au menu, il aura Mykonos, Corfou et Héracleion en Crète. C’est aussi cela les 1.531 pages approuvées sans être lues par la bijoutière du Pirée… devenue à l’occasion la dernière perle de SYRIZA.

Enfin, notons que la nouvelle de la privatisation de nouveaux ports grecs, tient d’abord d’un reportage de la Deutsche Presse-Agentur GmbH, Agence de Presse allemande… en Métropole, communication par la suite reproduite par les médias grecs. Il y a de quoi complimenter parfois (et sans aucun esprit d’ironie) les journalistes Allemands pour leur travail. .

En attendant sans doute des jours meilleurs, (et) cette fois-ci à Thessalonique justement, 68 regards de chaussée et autres plaques d’égout ont été subtilisées en une seule nuit, “c’est inuit et c’est fort inquiétant” annoncent-on depuis la Municipalité . Place de la Constitution (à Athènes), les promeneurs curieux peuvent alors découvrir sur une façade le message suivant: “Du vent, du vent, pour que ce choléra de politiciens s’en aille. Quelle Démocratie ?”

“Du vent, du vent, pour que ce choléra de politiciens s’en aille. Quelle Démocratie ?”. Athènes, janvier 2018
Scepticisme. Place de la Constitution, Athènes, janvier 2018
L’arbre où le pharmacien retraité Dimitri Christoúlas s’est suicidé en 2012. Athènes, janvier 2018
Tri… parallèle des déchets, travail effectué par les migrants. Athènes, janvier 2018

La paupérisation, la criminalisation de l’économie, la trahison de toute la classe politique, la Grèce, enfin entre fosse septique (comme sceptique) et le tout-à-l’égout. En somme, tel est le dernier… des progrès comme des “progressistes” à la SYRIZA, et c’est peut-être en son sein que désormais Théodora Megalooikonomou finirait par apprendre à s’exprimer et à rédiger des articles en autonomie.

Il y a de quoi en rire, cela étant dit, l’alphabétisation même des marionnettes politiciens ne constituerait plus un prérequis nécessaire à l’exercice de leur… fonction. En 2016, Alexis Tsipras l’inculte suffisant, en vol à bord d’un avion entre Paris et Strasbourg avait ainsi déclaré… qu’il venait de quitter le sol français (considérant que Strasbourg… c’est une ville allemande) .

Semaine mouvementée, la… terre qui bouge, les travaux du tramway à Athènes, le film sur Marie Calas, l’ouvrage en sa mémoire, sa disparition, les condoléances de son médecin parisien, puis celles de Rapanakis, alors capitaine du vraquier Artemision II, le navire appartenant à l’époque à la grande cantatrice. Ses cendres sont (ou ce que l’on pense être comme telles) ont été dispersées en 1980 entre le Golfe Saronique et la mer Égée. Naviguer… toujours naviguer.

Artemision II dans les années 1970 (presse grecque)
Télégramme du capitaine Rapanakis en 1977. Athènes, janvier 2018
Les condoléances du médecin de Maria Calas à Paris (1977). Athènes, janvier 2018
Travaux du tramway. Athènes, janvier 2018

Chanter, écrire, témoigner, naviguer. Le poète Séféris l’avait déjà superbement noté en 1963 à sa manière:

“Qu’est-ce qui a le plus compté dans ma vie ? Ma réponse spontanée est: d’écrire une phrase ou même un mot juste. Ce qui rachèterait pour moi la souffrance de vivre. Mais ce n’est pas si simple car, ainsi formulée, cette affirmation peut donner naissance à bien de malentendus, à commencer par l’accusation d’esthétisme et d’indifférence à l’action ou à la vie. Or ce n’est absolument pas le cas car je veux ainsi exprimer ma position morale: un mot est le résultat d’une vie intense, d’un grand travail et d’une relation profonde avec les hommes.” (Séféris, note inédite, 1963, “Essais, Hellénisme et Création”, Mercure de France, 1987).

Fosse… sceptique, funèbres réalités politiques actuelles et pourtant séisme, alors qualifié de modéré d’une magnitude de 4,4. Chez “Greek Crisis”, Mimi qui s’est mise à miauler, le jeune Hermès se refugiant sous le canapé.

Mimi et Hermès de Greek Crisis. Athènes, janvier 2018
* Photo de couverture: “Peuple réveille-toi…”. Place de la Constitution, Athènes, le 15 janvier 2018, (presse grecque)

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Grèce : émigration des médecins

« Hémorragie dans la santé : En 10 ans, 12 408 médecins grecs sont partis travailler en Europe

Depuis 10 ans on assiste à une véritable hémorragie dans le secteur de la santé en Grèce avec 12 408 médecins qui ont émigré à l’étranger. Le Président de l’Association des Médecins d’Athènes ( ISA) ne décolère pas : « L’Angleterre, l’Allemagne, Chypre, la Suède, les Emirats Arabes Unis, la France… les accueille, alors que nous les avons formés…nous sommes la « matrice » des ressources médicales pour d’autres pays ! ».

Il dénonce cette fuite dans le domaine vital de la science médicale avec le départ de milliers de médecins, principalement des spécialistes, dans divers pays européens et autres à la recherche d’un emploi qu’ ils ne trouvent pas chez eux.

Si jusqu’en 2009 cet exode concernait principalement de jeunes médecins diplômés, il s’agit depuis 2010 du départ de médecins spécialistes, des médecins qui ont étudié et ont acquis une spécialité grâce à l’investissement du système éducatif et du système de santé en Grèce. Au cours des six dernières années , le nombre de médecins spécialistes fuyant la Grèce a plus que doublé le nombre de médecins non qualifiés.

En 2017, ont demandé et obtenu les certificats nécessaires auprès de l’ISA, 1293 médecins, dont 923 spécialistes et 370 sans spécialité médicale. En 2016 , étaient partis 862 qualifiés et 306 non qualifiés. En 2015 , les départs étaient encore plus importants avec 356 médecins qualifiés et 1165 non qualifiés. En 2014 , on a enregistré une « fuite » au total de 1 380 médecins, dont 1.006 de scientifiques qualifiés. En 2013 , ont quitté 1 488 médecins, avec 1086 d’entre eux qualifiés. 2012 , a été enregistrée comme l’année « noire » de la dernière décennie pour la « fuite » des ressources médicales : ont quitté la Grèce 1 808 médecins avec 1 166 médecins qualifiés.

 » Le chômage, l’ incertitude et le manque de méritocratie poussent le personnel le plus qualifié dans le pays pour chercher sa fortune à l’ étranger. La Grèce s’est maintenant transformée en une matrice d’exportation d’un potentiel médical , mais qui bénéficient à d’ autres pays « , a déclaré le président de l’ ISA, M. George Patoulis.

Selon M.Patoulis la « saignée » des scientifiques n’est pas traitée: « Aucun responsable n’ a traité la fuite des cerveaux. En particulier en ce qui concerne les médecins , la situation est très déprimante. Je crois que si la politique de santé ne change pas, la « saignée » s’intensifiera. On ouvre des postes pour les unités sanitaires locales (Tommy) et on propose des salaires de 1200 euros.

Quelle est l’incitation donnée à un médecin qualifié pour rester en Grèce lorsque vous pouvez demander une position autre rémunération et d’ autres dynamiques en Europe? « Demande M. Patoulis.

De plus ce phénomène de départs des médecins grecs à l’ étranger s’accentue avec le départ à la retraite des médecins du système national de santé (NHS). Selon la Fédération nationale des médecins hospitaliers Association (POEDIN), la nécessité pour les médecins spécialisés dans les hôpitaux du NHS dépasse les 6000 postes. Au ministère de la Santé les données actuelles comptabilisent 7271 médecins du NHS et 2.000 autres médecins auxiliaires .

« Cette inflation de jeunes médecins et la politique de santé inexistante au niveau du gouvernement ont provoqué une situation suffocante pour le monde médical. Dans quel autre pays voit on une situation perverse et paradoxale: un système de santé en effondrement basé sur du personnel âgé , et les jeunes médecins à la recherche d’ un emploi à l’ étranger? Qui, quand et comment transmettre les connaissances dans les hôpitaux grecs aux jeunes médecins ? « note profondément préoccupé M. Patoulis.

CK

Vivre avec la pension des parents

LA MOITÉ DES GRECS VIVENT GRACE AUX PENSIONS DES PARENTS !

Édifiant, le reportage que vient de publier le journal américain Wall Street Journal qui a interviewé de nombreux jeunes forcés de retourner à la maison familiale pour joindre les deux bouts et qui vivent grâce aux pensions des parents retraités.

Ainsi témoigne, Lumbi Nychas, âgé de 33 ans qui il y a 2 ans est revenu dans sa chambre d’enfant, après sa faillite de ses ventes de bijoux. Quelques mois plus tard, il rentra chez lui ainsi que sa sœur, avec son mari et leur fille. Aujourd’hui, tout repose en grande partie sur la pension de leur père âgé de 67 ans.

Comme le décrit le WSJ, le système de retraite en Grèce est devenu un réseau social de facto pour les citoyens les plus vulnérables du pays, avec des millions de personnes âgées qui utilisent leur pension de retraité pour fournir ce qui est nécessaire à leurs familles.

Cette vaste dépendance des pensions explique la douleur ressentie par les Grecs alors que le gouvernement se prépare à présenter une nouvelle série de coupes dans les retraites en 2018 et 2019. Les retraités devraient voir leur pension réduite d’un cinquième, jusqu’à la treizième réduction qui s’applique dès le début du protocole d’accord en 2010.

« Étant donné que la société grecque repose en grande partie sur le paiement des pensions, les dépenses consacrées aux retraites sont plus importantes que les autres formes de dépenses sociales qui pourraient être utilisées pour lutter contre les fléaux de l’Europe, tels que la pauvreté, les taux de natalité, l’inégalité des revenus et l’imprévisibilité de la main-d’œuvre pour l’économie d’aujourd’hui « , a indiqué le journal.

Il poursuit: « Les pensions en Grèce représentent désormais 17,4% du produit intérieur brut, selon les derniers chiffres du ministère grec du Travail, le taux le plus élevé en Europe. En dépit de coupes successives, les dépenses de retraite en pourcentage du PIB ont atteint leur point culminant de la crise, alors que l’économie du pays a diminué de plus d’un quart « .

« Dans les années 1950 et 1960, plus de la moitié des Grecs qui recevaient des pensions n’avaient pas cotisé. Jusqu’en 2011, les coiffeurs, les mannequins et les diffuseurs de recettes de télévision d’Etat occupaient des «emplois lourds et insalubres», pour lesquels une année de cotisation produisait les mêmes avantages que trois années payées par un comptable ou un détaillant » poursuite le Wall Street Journal.

Comme il le souligne, l’abandon de telles exagérations crée le sentiment que les Grecs plus âgés, peut-être sans leur propre responsabilité, ont souffert de l’avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Avec le stress d’attirer les électeurs, les gouvernements ont favorisé la retraite anticipée.

« Avec l’effondrement de l’économie grecque et le chômage à 21%, les retraités constituent la principale source de revenus pour la moitié des habitants du pays », note la publication.

Il poursuit: « En 2016, la Grèce a octroyé 30 milliards d’euros en pensions, mais moins de 1 milliard d’euros de prestations de chômage, qui n’indemnise que un grec sur trois au chômage… Le pays dépense moins de 2% du PIB pour soutenir les familles, le logement et la lutte contre la pauvreté ».

Et comme le conclut le Wall Street Journal, tout ceci rend particulièrement douloureux les réductions de pensions exigées par les créanciers internationaux en Grèce, en particulier après de nombreuses coupes précédentes.

CK

La mesure humaine La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Dans cette rubrique il évoque Lávrion et ses mines qui devinrent aussi un des principaux centres des luttes sociales et politiques en Grèce, dont la révolte du 7 avril 1896 et réagit à l’approbation de l’aménagement de l’ancien aéroport d’Ellinikon.

La mesure humaine

 

À Athènes, l’année 2018 celle de la météo, a bien commencé avec des températures (disons) saisonnières qui ont atteint 15 °C par endroits. Les mieux pourvus, et ceux ayant pu se permettre une si rare exception qui toujours confirme la règle, se sont rués sur les plages comme sur les tavernes de la Riviera d’Attique. Au même moment, le “gouvernement” aura encore “légiféré”, essentiellement par décrets entre le 1er et le 2 janvier, pour… le meilleur des méta-mondes. Ah… la bonne année !

Bords de mer en Attique. 1er janvier 2018

Encore heureux, nous ne connaissons pas pour l’instant cette ère “prometteuse” lorsque les… avatars iront se ruer par milliers sur les exosquelettes ou sur les… bio-conservateurs (encore) réellement existants, rien que parce que ces derniers auront tout simplement voulu faire si possible preuve d’héliotropisme. Ainsi, l’époque qui est la nôtre, elle roule déjà sur l’herbe, celle que nos futures chèvres… numérisées ne mangeront plus. Autrement-dit, de… blabla-car à blabla-corps, ce ne serait finalement qu’une affaire de chemin à parcourir.

Fuyant donc les tavernes des bords de mer (et pour cause), votre humble chroniquer et toute sa crise avec, ont plutôt préféré pour cette première journée de l’année calendaire rendre hommage au… Chaos, comme autant rendre hommage au passé des humains, à leurs lieux d’une certaine mémoire, s’agissant des mines de Lávrion, vestiges allant de l’antiquité au 19e siècle. C’est un beau coin que je fais parfois visiter à mes participants aux programmes Greece Terra Incognita guère loin du Cap Sounion et du célèbre Temple de Poséidon.

Et c’est dans cette partie de l’Attique, qu’on y découvre aussi ce fameux gouffre, un effondrement géologique tel un trou béant que les locaux font semblant d’attribuer parfois à une météorite… que personne n’a certainement jamais vu. Ce… trou, se nomme paraît-il “Chaos” depuis l’Antiquité. Oui, en cette première journée de 2018 nous avons visité… Chaos, pour ensuite rendre aussi hommage à l’Homme !

Lávrion et en face ; les îles de Makrónissos et de Kéa. Janvier 2018
Taverne des bord de mer. En Attique, le 1er janvier 2018
Passé industriel et minier. Lávrion, janvier 2018
Chaos. En Attique, janvier 2018

Et comme le fait remarquer (par mail) à très juste titre mon ami (ami aussi du blog, il tient aussi son propre blog) Jean-François: “C’est bien d’avoir revisité le site du Chaos: en prévision du prochain effondrement qui nous contraindra à remettre en question l’échange marchand, le lieu devrait reprendre une bonne charge symbolique et devrait devenir l’omphalos (nombril) du monde ! Au vu des images, je doute fort que la théorie du météore soit la bonne. Je pense plus à l’effondrement de la voûte au-dessus d’une poche soudain vidée de ce qui la remplissait – eau ou gaz.”

“C’est comme pour le capitalisme qui ne disparaîtra pas à cause d’une météorite de contestations, de grèves ou de partis politiques, mais à cause de sa base théorique, laquelle induit mécaniquement de grosses bulles, ontologiquement ‘éclatantes’ !!!”. Alors… méditons sur Chaos, comme sur tout le reste (ou le restant) !

Les pauvres et les moins… pauvres Grecs, n’aiment décidément pas vraiment marcher. Contrairement aux bords de mer, nos vestiges industriels puis notre… Chaos, n’ont pas été à l’honneur en ce 1er janvier. Nous y avons rencontré seulement quatre heureux Allemands, retraités et (quasi) habitants de la colonie. Le bon sens alors pratique !

Lávrion, alors bourgade connue depuis l’Antiquité classique pour l’exploitation des mines d’argent ayant pu permettre à Athènes de battre monnaie et surtout d’armer sa flotte durant l’époque classique (Guerres médiques et Guerre du Péloponnèse), revient dans l’actualité au XIXe siècle lorsqu’une société franco-italienne décida de relancer l’activité minière.

Depuis l’Antiquité. Lávrion, janvier 2018
Passé et présent. Lávrion, janvier 2018
Musée des mines… comme des luttes. Lávrion, janvier 2018

La localité qui se créa autour de cette activité prit alors le nom “les Usines” en français (en grec “Ergastiria”, de la Compagnie française (plutôt franco-italienne) des mines de Lávrion, “Roux – Serpieri – Fressynet CIE”, omniprésente en son temps. Les mines furent d’ailleurs la cause d’un sérieux différend diplomatique entre les deux pays (France et Grèce) entre 1871-1872, où d’ailleurs Jules Ferry avait été nommé au poste d’Ambassadeur à Athènes pour mieux suivre l’affaire.

Le Parlement hellénique avait voté une loi stipulant expressément que les minerais anciens ne faisaient pas partie de la concession (française). Reprises par une compagnie grecque, les mines firent également l’objet de la première bulle spéculative de la Grèce contemporaine par la (nouvelle) Compagnie Française des Mines du Lávrion.

Cette Compagnie Française des Mines du Lávrion introduisit d’ailleurs en Grèce, la dite “organisation scientifique du travail”, en l’occurrence le système Bedaux système qui pourrait se résumer en… “Travailler mieux ou gagner moins”. Et aussi pour rappel en cette première journée ensoleillée de 2018, Lávrion et ses mines devinrent aussi un des principaux centres des luttes sociales et politiques en Grèce, dont la révolte du 7 avril 1896. C’est le nom de la petite rue… forcement en pente, bien en face du musée des mines… comme des luttes.

Cette grande grève avait duré 18 jours, une première à l’époque. Les principales revendications des travailleurs en ce supposé lointain 1896, (les mines où ils travaillaient était propriété de la deuxième société minière franco/italienne), ont été essentiellement: la suppression des sous-traitants… au versement des salaires alors intermédiaires entre les employés et les patrons, le paiement donc des travailleurs désormais directement par l’entreprise, l’augmentation de leur paye journalière à 3,5 drachmes (au lieu de 2,5), et la mise en place d’un hôpital ou du moins d’une pharmacie près des mines pour enfin cesser le transfert des blessés vers l’hôpital de Thorikon sur la côte (5 à 10 km depuis les mines).

Car bien souvent, ces ouvriers (définitivement) infortunés mouraient lors de ce transfert en charrette. Les grévistes, réclamaient également un moyen de transfert adapté pour les blessés et les malades, et enfin, la possibilité… d’habiter une varie maison, car jusque-là, ils vécurent dans les cavernes des environs ou dans de nombreuses cabanes de fortune.

Passé industriel et manufacturier. Lávrion, janvier 2018
Traces… humaines. Lávrion, janvier 2018

Il y a plusieurs années, ceux ayant directement vécu cette grève ont livré leur témoignage, tel l’ancien ouvrier Vougioukas, et ils ont décrit plus précisément ces événements historiques:

“Il y avait une tension terrible durant cette première grande grève. Il faut noter que Serpieri – alors directeur général de l’entreprise – avait été déguisé et habillé femme ou en prêtre pour quitter les lieux ! Le gouvernement avait aussitôt dépêché sur place les ‘CRS’ de l’époque, puis un navire de guerre dans la baie, pour y enfermer les grévistes arrêtés. La tension était énorme. Une pierre avait été balancée par un gréviste sur un gendarme, et le conflit avait éclaté. Les gendarmes ont ouvert le feu et quatre ouvriers ont été touchés. La bourgade s’est aussitôt transformée en champ de bataille” (enquête du quotidien communiste “Rizospástis” 24/08/2008) .

Notons qu’en décembre 1896, le procès des 15 grévistes a finalement eu lieu, et ils ont été acquittés, ils retrouvèrent ainsi leurs postes sans conditions préalables. Suite à cette grève, un détachement militaire avait été définitivement et durablement installé près des mines, afin… de anticiper les révoltes des travailleurs.

Anciennes maisons ouvrières et bâtiments de la compagnie. Lávrion, janvier 2018
Ruines et symbolismes rajoutés. Lávrion, janvier 2018
Rue du 7 avril 1896. Lávrion, janvier 2018

Longtemps après, les révoltes ont plutôt cessé, tout comme le travail d’ailleurs. Pourtant, les avatars (déjà) politiques, en précurseurs des… futurs robotonymes se ruent sans vergogne aucune, sur les endosquelettes ou sur les… bio-conservateurs et autres travailleurs (encore) réellement existants.

Début 2018, et les mieux pourvus se sont rués sur les plages comme sur les tavernes de la Riviera d’Attique, tandis que l’escroc politique Alexis Tsipras et les siens (sous forme de commissions dites “d’experts”) décideront alors en comité restreint (clos) et sans la presse (la nouvelle vient de tomber), du sort architectural de l’ancien aéroport d’Ellinikón (ou Hellenikó, également sur la Rivier d’Athènes). Il s’agit bien de ce site dont le “gouvernement de la gauche radicale” a ainsi finalisé la vente aux “promoteurs”. Il fut un temps pas si lointain, où Tsipras se faisaient photographier avec ceux qui luttaient contre cette vente (en réalité, il a été bradé). Tsipras, dernier arriviste de l’ultime gauche dans ce pays, ira ainsi jusqu’au bout de l‘hybris.

On sait que la société privée grecque ‘Lamda Development’, soutenue par le groupe multinational ‘Global Investment’, le groupe chinois ‘Fosun’ et une société d’Abou Dhabi, a emporté le… morceau moyennant donc 915 millions d’euros. Elle devient le propriétaire de l’ancien aéroport sur une zone côtière de 3,5 kilomètres de longueur et une marina, pour lancer son… méga-projet immobilier sur le site de l’ancien aéroport, avec la construction de nombreuses résidences de toute taille et des parcs d’activités, voir d’ailleurs à ce propos les articles… dithyrambiques dans la presse plus autorisée que jamais . Pauvres journalistes, incroyables avatars !

Ce qui s’y joue, tient autant de l’autorisation accordée aux “promoteurs” pour y bâtir toute une série d’immeubles très élevés, et même l’autre dictature, celle des Colonels (1967-1974) avait pourtant renoncé à un projet analogue sous la pression collective comme culturelle (colères certes sourdes). En réalité, le POS régissant la construction à Athènes, interdit ce type d’immeubles bien grands, c’est-à-dire plus hauts que l’Acropole, et cette règle est autant et d’abord morale, d’où l’énormité dans la transgression ainsi commise par… la bande à Tsipras.

Mineurs de Lávrion du temps de jadis (presse grecque)
Mineurs de Lávrion du temps de jadis (presse grecque)
Tsipras, magnifique menteur… contre la privatisation d’Ellinikón. Temps… de jadis (Internet grec)
Vision… cauchemardesque d’Ellinikón. “Quotidien des Rédacteurs”, janvier 2018

D’ailleurs à ce sujet, même au “Quotidien des Rédacteurs” (pourtant journal pro-SYRIZA), on ne peut qu’exprimer de l’indignation devant ce nouveau crime d’Alexis Tsipras (et du “gouvernement” SYRIZA/ANEL):

“Ces… esprits ‘instruits’ du gouvernement veulent ainsi autoriser la construction d’une barrière de bâtiments imposants, une miniature (peut-être une copie) de Dubaï, de tout ce toc, alors réalisé aux limites de l’hybris, (autant) au moyen d’arrangements avec et au sein du para-État gouvernemental. Et pourtant en face, elle se trouve la population locale et les citoyens démocrates qui se révoltent, de même que la plupart des scientifiques cohérents d’esprit : archéologues, architectes, voire les artistes.” (“Quotidien des Rédacteurs” du 3 janvier 2018) .

L’Aéroport international d’Ellinikón était comme on se souvient, cet aéroport historique qui desservait la ville d’Athènes, avant d’être remplacé en 2001 par Elefthérios-Venizélos (aéroport actuel) dont ses promoteurs de l’Allemand Hochtief qui détenait encore 40 % des parts en 2013, ont expressément exigé la fermeture. Pourtant, le bon sens exprimé même publiquement à l’époque avait argumenté en faveur du maintient du site comme deuxième aéroport (à l’instar de Roissy après Orly et après Le Bourget en France). Et comme en 2017, le nombre de visiteurs du pays avoisine les 30 millions par an, voilà que le nouvel aéroport de la capitale n’est guère loin d’être saturé.

Dans ce même… (Nouvel) ordre d’idées, la Tsiprostructure actuelle, prépare une autre bien étrange loi, rendant possibles les juridictions de proximité. Le projet de loi avait été lancé pour rester soi-disant consultable, entre… le 28 décembre et le 3 janvier 2018, comme par hasard. Juridictions de proximité, pourquoi pas dans un sens ?

Sauf que contrairement par exemple, au cas analogue français, là où le juge de proximité, sauf exception, n’est pas magistrat de formation mais recruté dans la société civile, cependant parmi des praticiens du droit et selon des critères légaux (entre autres, il faut soit avoir exercé une profession judiciaire pendant au moins 4 ans, soit avoir une expérience d’au moins 25 ans dans un service juridique d’entreprise ou d’administration), en Grèce, pour ce même recrutement un simple diplôme universitaire (de n’importe quelle discipline) satisferait les exigences liées à cette mission.

De nombreux juges ont aussitôt argumenté à travers la presse pour dénoncer cette “privatisation de la justice” , et très officiellement l’Union des Magistrats laisse exprimer toute son inquiétude, à l’instar des avocats du… pauvre pays, s’exprimant également de la même manière .

2018, Quotidien des Rédacteurs, janvier 2018
Le… ‘Diable de Phalère’. Presse grecque, janvier 2018
Musique populaire et extase. Temps de jadis (presse grecque – janvier 2018)

L’année 2018, celle de la météo a certes bien commencé à Athènes. Fuyant donc les tavernes des bords de mer (et pour cause), votre humble chroniquer et toute sa crise avec, ont plutôt préféré pour cette première journée de l’année calendaire rendre hommage au… Chaos. Au même moment, la presse aime parfois publier certaines photos issues des transes comme des extases de la musique populaire et de son temps, forcément de jadis, histoire de rendre hommage à, Dieux sait, quelles originalités, constitutives de ce dont on a le plus besoin, une référence exacte dans le passé, comme à définir en quelque sorte, une unité de mesure humaine, surtout et d’abord face à l’hybris. Et ce n’est pas gagné…

L’année 2018 sera peut-être le moment où il va falloir apprendre ou réapprendre à nager… en toutes circonstances, planétaires ou comme on dit depuis la novlangue des mondialisateurs, circonstances “locales”. Il fut un temps… de mesure humaine, où nos poètes étaient encore parmi nous, ils caressaient même parfois leurs chats, peut-être aussi, pour ne pas vraiment caresser les oreilles du public.

Le poète Odysséas Elytis et son chat. (Internet grec)
Premières fleurs. Lávrion, janvier 2018
Nager… en toutes circonstances. Hermès de ‘Greek Crisis’, janvier 2018

Oui, ce n’est pas gagné… Au moment des premières fleures en ce 2018 et non loin de l’ancien aéroport d’Athènes, la Municipalité de Phalère vient de financer et d’installé peu avant la fin de l’année dernière, cette sculpture disons d’époque, et il faut dire fort controversée, étant donné que de bien nombreux habitants (à l’instar d’une partie de l’Église locale), estiment qu’elle représenterait… en réalité le diable.

Ah… la bonne année diabolique 2018, de… diablabla-car à diablabla-corps, ce ne serait finalement qu’une affaire de chemin à parcourir, et c’est sans doute aussi pour cette raison que nous avons ainsi visité Chaos fuyant les tavernes des bords de mer.

2018 et votre blog ‘Greek Crisis’ poursuit sa route contre vents et marées, il faut alors l’admettre, de plus en plus souvent… surveillé de près. Puis, lorsqu’on aura légiféré sur les… fausses informations en ligne, il finirait comme l’autre poète de la mer l’avait alors prédit, connaissant le même sort que “ces navires rayés du contrôle des flottes”. Ah… la si bonne année !

Votre blog ‘Greek Crisis’… surveillé de près. Athènes, janvier 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

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