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La Grèce sous Kyriakos Mitsotakis. Une crise prolongée sans issue en vue

Kyriakos Mitsotakis

Par Antonis Ntavanellos

Le journal To Vima (propriété de l’oligarque Evangelos Marinakis) – principal journal du centre politique qui donne traditionnellement le ton du débat dans les cercles de l’establishment grec – a conclu son éditorial du dimanche 5 octobre par une sombre prédiction d’une «crise politique prolongée, avec tout ce que cela implique…». Le même jour, le journal Kathimerini, principal quotidien du centre droit traditionnel (propriété de l’armateur Giannis Alafouzos), qui déclarait encore récemment sa conviction que «Mitsotakis n’avait pas de rival», a désormais inversé son jugement: «Le prochain adversaire de Mitsotakis… n’aura pas de rival.»

Les prévisions défavorables pour l’avenir de Kyriakos Mitsotakis [premier ministre depuis 2019], le leader de l’aile ultra-néolibérale qui dirige le parti Nouvelle Démocratie, sont évidentes dans les sondages d’opinion. Selon tous les sondages, Nouvelle Démocratie recueille actuellement moins de 25% des voix parmi ceux qui ont l’intention de voter. Un tel résultat exclut toute perspective pour la droite de former un gouvernement reposant sur un seul parti. Mais ce n’est pas tout. Vingt-cinq pour cent est le seuil fixé par la loi électorale pour que le parti en tête reçoive un «bonus» de 50 sièges supplémentaires au parlement, une disposition qui a été instituée pour renforcer les perspectives de stabilité gouvernementale. Cela soulève la possibilité sérieuse qu’après les prochaines élections, Nouvelle Démocratie se retrouve avec une petite fraction parlementaire, devenant ainsi le premier à perdre les avantages que la loi électorale accorde au parti en tête. Dans un tel scénario, une coalition entre Mitsotakis et le PASOK social-démocrate ou l’extrême droite nationaliste ne suffirait plus pour former un gouvernement. Une coalition tripartite plus large serait nécessaire et, compte tenu de la situation politique actuelle, si un gouvernement de coalition bipartite est particulièrement difficile, un gouvernement tripartite semble impossible.

Si les sondages d’opinion se confirment lors des élections (prévues pour 2027, mais qui pourraient avoir lieu en 2026), le capitalisme grec se dirige vers une crise de «gouvernabilité» avec des risques importants dans le contexte économique et géopolitique conflictuel de la période. Et sans solution alternative visible, du moins pour l’instant.

En fait, toutes les prévisions politiques reposent sur des sables mouvants. Lors des élections postérieures à 2019, dans la société grecque traditionnellement politisée, l’abstention a atteint des niveaux historiques. Environ 50% des électeurs inscrits ont refusé de se rendre aux urnes, les taux d’abstention étant plus élevés principalement dans les zones ouvrières. Parmi les 50% restants qui ont voté et ont l’intention de voter à nouveau, la majorité déclare dans tous les sondages que le critère décisif pour leur vote sera la lutte contre l’inflation et l’effondrement de l’État social. Pour ne laisser aucun doute sur la manière dont les évolutions sociales se reflètent dans l’arène politique, l’ancien Premier ministre Antonis Samaras [juin 2012-janvier 2015], représentant de l’aile droite dure, aujourd’hui exclu de Nouvelle Démocratie, a récemment déclaré que sous la direction de Mitsotakis, la droite grecque «a perdu 1,3 million d’électeurs depuis 2019, et cette perte est définitive». Si Antonis Samaras met finalement sa menace à exécution et crée un nouveau parti politique, situé entre Nouvelle Démocratie et l’extrême droite nationaliste et religieuse, les perspectives de Mitsotakis subiront un coup supplémentaire.

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La question sociale/de classe est à l’origine du déclin rapide actuel du parti néolibéral Nouvelle Démocratie, qui était arrivé au pouvoir triomphalement après la crise et la défaite de SYRIZA en 2019 et avait réaffirmé sa force après l’effondrement de SYRIZA en 2023 (suite à la défaite électorale qui a contraint Alexis Tsipras à démissionner).

Dans un pays où les salaires et les retraites sont restés pratiquement «gelés» pendant une décennie, l’inflation s’est avérée être un fléau pour les revenus réels de ceux qui vivent de leur travail. En 2025, l’inflation s’élevait à 2,6%, tandis que les prévisions pour 2026 sont de 2,2%. Cependant, l’inflation réelle sur les biens de consommation courante pour le gros de la population a grimpé en flèche. Les syndicats estiment que les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 13% par an ces dernières années! Le coût du logement (loyer, électricité, eau, télécommunications, etc.) est devenu totalement inabordable. Selon les estimations des syndicats, et conformément à notre expérience courante, un salaire ou une pension mensuelle moyenne ne suffit qu’à une famille de trois personnes pour vivre au seuil de pauvreté pendant 20 jours par mois. Un exemple révélateur de ce processus d’appauvrissement est qu’au cours de l’été 2025 50% de la population locale n’avait pas les moyens de s’offrir ne serait-ce que quelques jours de vacances.

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Malgré son déclin, Mitsotakis fait face à cette situation avec un engagement absolu en faveur des contre-réformes néolibérales.

Après le vol des réserves des fonds de sécurité sociale, qui ont été utilisées pour rembourser une partie de la dette après 2012, la classe ouvrière grecque dispose désormais de l’un des pires systèmes de sécurité sociale d’Europe. L’âge de la retraite est déjà fixé à 67 ans, et une pension complète nécessite 40 ans de vie active. La pension moyenne n’est que de 841 euros, la plus basse de la zone euro, tandis que la pension minimale, dont vivent 18% des retraité·e·s, est de 470 euros! Cinquante-cinq pour cent des retraités vivent avec une pension inférieure à 700 euros par mois. Et pourtant, en 2026, une réforme encore plus défavorable de ce système misérable est prévue. L’âge limite sera porté à 69 ans, tandis que le niveau actuel des pensions devra être réduit (!) de peut-être jusqu’à 30% (!!). Au-delà de la tendance générale à la réduction, les plans du gouvernement prévoient d’utiliser les ressources des fonds de la sécurité sociale pour financer… des programmes d’armement! Je ne sais pas si le gouvernement survivra lorsque ces changements réactionnaires seront officiellement introduits, mais cela donnera certainement lieu à une bataille sociale et politique majeure.

En Grèce, la durée moyenne du temps de travail des salariés est la plus élevée d’Europe. Elle atteint 1886 heures par an, soit 316 heures de plus que la moyenne de 1570 heures des États membres de l’UE.

Selon les statistiques officielles, 21% de la main-d’œuvre travaille plus de 45 heures par semaine. Et cela selon les statistiques officielles, alors que tout le monde sait qu’après l’affaiblissement délibéré de tous les mécanismes de contrôle et d’inspection sur le marché du travail, la situation réelle est bien pire. La preuve irréfutable en est la recrudescence des «accidents» mortels sur le lieu de travail: jusqu’en 2019, leur nombre variait entre 25 et 30 par an, alors que dans les premiers mois de 2025, 131 travailleurs ont perdu la vie dans des «accidents» du travail. Dans ce contexte désastreux, le gouvernement organise une réforme qui rendra tous les aspects du temps de travail extrêmement flexibles. Le projet de loi proposé par le brutal ministre du Travail, Niki Kerameos, légalise une journée de travail pouvant aller jusqu’à 13 heures (!!!) pour un seul employeur, établit des «contrats» d’un ou deux jours, permet l’embauche ou le licenciement ainsi que la modification des horaires de travail sur simple SMS de l’employeur, prévoit la fragmentation des congés annuels obligatoires en plusieurs parties, en fonction des besoins de l’entreprise, etc. [Le parlement a approuvé la loi pour l’introduction des 13 heures le 14 octobre par une majorité de 158 sur 300 députés.]

L’ampleur du défi a été ressentie par les membres du mouvement syndical. La pression exercée sur l’alliance bureaucratique entre le PASOK et les syndicalistes de droite – qui contrôle la Confédération générale des travailleurs du secteur privé (GSEE) – a contraint la GSEE à déclarer, après un certain temps, une grève nationale de 24 heures le 1er octobre, puis une autre le 13 octobre. La méthode de l’appareil bureaucratique syndical est bien connue: il déclare une grève pour faire baisser la pression interne de la base, sans rien faire pour l’organiser efficacement. Néanmoins, l’importance de ces grèves ne peut être sous-estimée. Le temps de travail devient un terrain de bataille avec le gouvernement, et les sections les plus radicales du mouvement syndical, qui sont plus fortes à la base, ont la possibilité – et l’obligation! – d’organiser les prochaines étapes.

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Les scandales politiques ont été un autre facteur majeur de l’affaiblissement politique du gouvernement Mitsotakis. Il y a trois ans, la scène politique a été secouée par des révélations concernant un mécanisme illégal de surveillance et d’écoute téléphonique qui enregistrait secrètement les communications et la vie privée des opposants et des «amis» de Kyriakos Mitsotakis.

L’entourage du Premier ministre a utilisé les services secrets nationaux et collaboré avec une société composée d’anciens membres des services secrets israéliens (qui commercialisent un logiciel espion illégal baptisé «Predator») afin de surveiller le leader du PASOK Nikos Androulakis [depuis 2021], les responsables parlementaires de SYRIZA, plusieurs ministres de Nouvelle Démocratie, les dirigeants de l’armée, de nombreux diplomates, des hommes d’affaires connus, ainsi que des milliers de citoyens dont les noms restent inconnus. Les dirigeants de Nouvelle Démocratie ont payé un prix politique considérable, mais ont finalement réussi à contrôler les révélations et à protéger le réseau qui dirigeait la surveillance.

Il n’en a pas été de même avec le dernier scandale en date à l’OPEKEPE (l’agence qui distribue les subventions européennes aux agriculteurs et aux éleveurs). Malgré les efforts du gouvernement pour dissimuler la vérité, il a finalement été révélé que les fonds d’aide européens, au lieu d’atteindre les agriculteurs et les éleveurs, ont fini entre les mains des responsables du parti Nouvelle Démocratie, qui les ont utilisés (au-delà du financement de leur train de vie luxueux) pour mettre en place un mécanisme d’achat massif de votes dans les zones rurales. L’implication du Parquet européen [1] dans cette affaire risque d’entraîner la suspension, voire la suppression des subventions européennes, ce qui aurait un impact direct sur les relations du parti au pouvoir avec une grande partie des agriculteurs. Et ces révélations ont, jusqu’à présent, «brûlé» deux ministres de premier plan: Lefteris Avgenakis, ancien ministre de l’Agriculture (et «homme d’influence» important dans la circonscription électorale cruciale de Crète) et son successeur au ministère de l’Agriculture, Makis Voridis (étoile montante de l’extrême droite qui est toutefois allié à Kyriakos Mitsotakis).

Plus que tout, Mitsotakis a payé le prix du scandale entourant la tentative du gouvernement de dissimuler sa responsabilité dans le crime de Tempé [accident ferroviaire ayant provoqué la mort de nombreux étudiants]. Les parents et les proches des 57 personnes qui ont péri dans la collision injustifiable et absurde de deux trains à Tempé se sont organisés collectivement et ont rejeté les tentatives visant à clore l’affaire rapidement et sans heurts. Leurs appels à protester ont donné lieu à des manifestations empreintes de colère et d’une ampleur considérable à l’échelle nationale. Récemment, la grève de la faim de Panos Routsi, un livreur albanais, père d’un des jeunes tués à Tempé, a suscité un énorme soutien populaire, des gens se rassemblant chaque jour devant sa tente installée devant le bâtiment du Parlement, sur la place Syntagma. Cette lutte a contraint le gouvernement à un recul embarrassant: l’exhumation des corps et une enquête médico-légale approfondie sur les causes de leur mort ont été ordonnées. L’enquête porte sur l’affirmation des proches selon laquelle, au-delà de la responsabilité pénale de la collision entre les deux trains, il existe également une grave responsabilité dans le transport illégal de produits chimiques et de carburant dans l’un des wagons, qui a provoqué la grave explosion qui a augmenté le nombre de décès parmi les passagers. Si cette allégation est confirmée (révélant le lien entre la société privée Hellenic Trains et le gouvernement avec les principaux réseaux de contrebande de carburant à Athènes), cela pourrait probablement porter un coup fatal à Mitsotakis. [Selon un récent sondage, demandé par Palapolitika Radio, 9 Grecs sur 10 pensent que la corruption a augmenté (67,4%) ou est au même niveau (23,2%) sous le gouvernement de Nouvelle Démocratie. – KTC, 16 octobre 2025]

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Pour contrer tout cela, le gouvernement Mitsotakis avait deux «atouts» principaux à faire valoir.

Premièrement, il avait assuré une croissance rapide du capitalisme grec, atteignant une croissance du PIB supérieure à la moyenne européenne (selon les données de l’OCDE, 2% de croissance en 2025 et une prévision de 2,1% en 2026). Il est vrai que les banques, bénéficiant de l’accord conclu avec les créanciers en 2018 (un accord faussement qualifié de sortie des «mémorandums» d’austérité), ont retrouvé leur rentabilité et distribuent à nouveau de généreux dividendes à leurs actionnaires. Il est vrai que, profitant de la hausse incontrôlée des prix, de nombreuses entreprises ont retrouvé une rentabilité élevée dans des secteurs spécifiques (raffineries, alimentation, énergie, logistique, santé privée, etc.). Il est vrai que les armateurs grecs, dans un contexte d’instabilité géopolitique, ont confirmé leur position de leader dans la concurrence maritime internationale. Et il est exact que les entreprises «traditionnelles» comme les nouvelles «start-ups» ont profité du passage à une «économie de guerre» pour faire de grands progrès (principalement en tant que fournisseurs de grandes multinationales) dans le domaine des armes et des technologies connexes. Cependant, tout cela est lié à l’augmentation sans précédent des inégalités sociales. La promesse du gouvernement selon laquelle la croissance finirait par profiter aux couches les plus défavorisées de la société s’est avérée être une vaste fraude politique.

Deuxièmement, Mitsotakis s’est appuyé sur sa promesse de conduire à une «mise à niveau géopolitique» du capitalisme grec par rapport à son concurrent direct en Méditerranée orientale, à savoir la Turquie. D’énormes ressources ont été allouées à cette fin. Le programme d’armement de l’État grec avait pris des proportions importantes bien avant que Trump n’exige une augmentation des dépenses militaires de tous les États membres de l’OTAN. En consolidant l’axe diplomatique et militaire avec l’État d’Israël (les fondements d’un tel accord avaient été établis sous Tsipras), Mitsotakis a fait de l’État grec le plus fervent partisan de Netanyahou dans la région. Cherchant à exploiter les failles créées dans les relations américano-turques par la politique étrangère plus «non alignée» et «multidimensionnelle» d’Erdogan, Mitsotakis a promu un renforcement sans précédent des relations gréco-états-uniennes et une expansion significative de la présence de l’OTAN en Grèce. Le port de Souda en Crète est désormais devenu la base la plus importante de l’OTAN en Méditerranée, le port d’Alexandroupolis est devenu la «porte d’entrée» du corridor terrestre stratégique de l’OTAN vers la mer Noire et l’Ukraine, tandis que dans de nombreuses régions du pays (Thessalie, Péloponnèse, etc.), de nouvelles installations de l’OTAN ont vu le jour ou d’anciennes ont été agrandies dans le cadre d’activités opaques et secrètes. Le mouvement de masse de solidarité avec la Palestine, exigeant la rupture immédiate des relations étroites avec l’État d’Israël, a naturellement ciblé tous ces paramètres d’identification profonde à l’impérialisme euro-atlantique.

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Cependant, on ne peut pas jouer indéfiniment avec les dures réalités de la géographie et des données démographiques. En raison de sa situation géographique et de sa taille, l’importance de la Turquie pour les impérialistes euro-atlantiques reste considérable. Les efforts déployés par Trump et les dirigeants européens pour réintégrer plus fermement Erdogan dans le camp politique de l’OTAN laissent en suspens la stratégie concurrentielle des gouvernements grecs de ces dernières années. Les voix des principaux «experts» de l’État grec, qui affirment publiquement que le moment est venu d’adopter une politique de «compréhension» avec la Turquie, alertent Mitsotakis sur un nouveau casse-tête politique. En effet, ni son parti ni ses alliés ne sont prêts pour un tel changement, si et quand les développements internationaux le rendront nécessaire.

Tout cela signifie que le gouvernement réactionnaire et néolibéral à l’extrême dirigé par Kyriakos Mitsotakis est désormais un gouvernement instable et faible.

Personne ne pense qu’il soit encore sûr de parier que «Mitsotakis restera jusqu’en 2027», date à laquelle son deuxième mandat prendra fin. Les médias grand public, ainsi que des groupes de députés et de responsables de Nouvelle Démocratie, discutent désormais ouvertement de tous les scénarios possibles: la possibilité de recourir à des élections anticipées après une crise gouvernementale soudaine, la possibilité d’un changement de direction au sein de Nouvelle Démocratie avant les prochaines élections, ainsi que la possibilité d’un «atterrissage brutal»: Nouvelle Démocratie se présentant aux urnes avec Mitsotakis à sa tête, subissant une défaite et se trouvant dans l’incapacité de former un gouvernement. Il faudrait alors organiser de nouvelles élections – après un changement de direction au sein du parti de droite – et trouver des partenaires pour former un gouvernement de coalition, ce qui reste une question ouverte.

Je ne doute pas que ce gouvernement aurait été renversé depuis longtemps s’il avait été confronté à une opposition efficace.

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Cependant, en Grèce aujourd’hui, l’opposition parlementaire est enlisée dans une profonde crise politique et organisationnelle.

Le PASOK, le parti social-démocrate historique, a frôlé l’extinction en adoptant des politiques d’austérité néolibérales et en gouvernant en coalition avec la droite pendant les années de crise. La nouvelle direction dirigée par Nikos Androulakis a réussi dans une certaine mesure à reconstruire la force du parti, mais il est clair qu’elle n’a pas le pouvoir politique nécessaire pour sortir des limites d’un parti mineur «de deuxième rang», dont l’influence électorale oscille juste au-dessus ou en dessous de 12%. Sur la question cruciale des perspectives gouvernementales, Androulakis rejette toute alliance avec Mitsotakis, mais reste ouvert à la possibilité d’une coalition avec la droite sous une nouvelle direction de ND.

SYRIZA a été mise en pièces. Ceux qui ont conservé l’étiquette du parti, sous la direction de Sokratis Famellos (ancien social-démocrate, président de SYRIZA depuis novembre 2024), sont en recul constant et, selon certains sondages, ils pourraient même être confrontés au problème existentiel d’atteindre les 3% (quorum) lors des prochaines élections, seuil fixé par la loi électorale pour entrer au parlement. Une scission «de gauche», appelée la Nouvelle Gauche, qui a quitté SYRIZA en 2023 refusant de subir l’humiliation totale que représentait l’ère de Stefanos Kasselakis à la tête du parti [du 24 septembre 2023 au 8 novembre 2024], se trouve bien en dessous du seuil de survie parlementaire. Ceux qui ont suivi Stefanos Kaselakis dans sa nouvelle aventure, après qu’il a été exclu de la direction de SYRIZA et a quitté le parti, sont désormais politiquement absents, tandis que dans les sondages ils oscillent quelque part en dessous des 3%.

Dans ce paysage de désintégration, dont il porte la responsabilité décisive, Alexis Tsipras tente de réapparaître en «messie», annonçant son grand «retour». Tsipras s’adresse désormais à un public qui dépasse les limites de son ancien parti: il parle d’une large recomposition du «progressisme» qui inclura des parties de SYRIZA, des parties du PASOK, mais aussi des parties «démocratiques» du centre-droit. La politique qu’il met en avant dans ce sens témoigne d’une transformation politique complète: Tsipras se déclare désormais partisan du «capitalisme démocratique» et insiste sur la nécessité d’un «virage patriotique» sur toutes les questions de la rivalité gréco-turque pour la souveraineté en Méditerranée orientale. Traditionnellement en Grèce, flatter le nationalisme anti-turc a été une caractéristique indéniable de tous les escrocs politiques.

Le projet «Retour de Tsipras» bénéficie du soutien de certains acteurs majeurs de la classe dirigeante (notamment les oligarques Vagelis Marinakis et Dimitris Melissanidis [transport maritime et pétrole], entre autres). Cependant, on ne sait pas encore s’ils lui réservent un rôle important ou s’il sera écarté comme un citron pressé une fois que les transformations nécessaires et inévitables du champ politique actuel auront été menées à bien.

L’extrême droite conserve une base électorale cumulée de plus de 10%, répartie entre ses principales composantes: le parti nationaliste Solution grecque dirigé par la star de la télévision trash Kyriakos Velopoulos; le parti fondamentaliste religieux «Niki» qui se réfère à la tradition obscurantiste grecque orthodoxe; les yuppies racistes de La voix de la raison, dirigés par Aphrodite Latinopoulou [membre du Parlement européen, elle reprend tous les thèmes de l’extrême droite], fan de Trump. L’effondrement du parti nazi Aube dorée lors de son affrontement avec le mouvement antifasciste après le meurtre de Pavlos Fyssas (en 2013), ainsi que la tradition politique grecque qui consiste à attirer les figures «sérieuses» de l’extrême droite au sein du large mouvement Nouvelle Démocratie, ont pour l’instant privé l’extrême droite du personnel politique et du potentiel de leadership nécessaires pour permettre une croissance massive similaire à celle observée dans d’autres pays européens. Mais seulement pour l’instant. L’arrivée de la nouvelle ambassadrice américaine en Grèce, Kimberly Guilfoyle [ex-procureure du district San Francisco, personnalité de l’audiovisuel], est anticipée par l’extrême droite organisée, et également saluée par la presse, comme un «tournant» dans les efforts visant à développer un courant «trumpiste» dans la sphère politique grecque.

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Au sein de la gauche organisée, la principale force reste le Parti communiste grec (KKE). À l’approche de son 22e congrès (janvier 2026), il semble qu’il s’en tiendra à sa tactique actuelle: éviter les responsabilités qui correspondent à la dimension de son organisation, éviter les initiatives politiques qui pourraient conduire à des conflits non maîtrisables, et préférer un processus de croissance lent et contrôlé, mesuré principalement par l’augmentation progressive de son influence électorale.

Le document principal présentant les positions politiques du Comité central du KKE en vue du 22e congrès, dominé par le slogan «la question centrale est le PARTI!», ne laisse aucun doute sur cette orientation vers un développement centré sur soi-même, par petites étapes et, surtout, contrôlées.

La gauche anticapitaliste radicale conserve une force considérable et a joué un rôle de premier plan dans le mouvement de solidarité avec la Palestine. Cependant, les problèmes de consolidation politique et organisationnelle restent préoccupants et entravent les initiatives politiques «majeures» qui permettraient une contre-attaque.

Dans le domaine électoral, MERA25 s’est distingué – en alliance avec l’Unité populaire – comme un choix visible, sous la direction et la représentation de Yanis Varoufakis. L’analyse politique floue de Varoufakis, qui cible un certain «techno-féodalisme» et un certain «capitalisme cloud», ses positions politiques douteuses sur l’UE existante (mais aussi, plus récemment, sur la Chine et la Russie), ainsi que le fonctionnement de haut en bas de cette alliance, ont conduit à deux tentatives électorales infructueuses qui n’ont pas été expliquées par le parti. Cela devrait servir d’avertissement pour la prochaine fois.

Dans ce contexte, DEA, en collaboration avec cinq autres organisations de la gauche anticapitaliste radicale, a lancé une initiative visant à créer une démarche politique unifiée qui rejette à la fois le sectarisme égocentrique et la soumission à l’opportunisme politique. Dans le cadre de cette initiative, la question de la constitution d’une alliance électorale plus large reste posée et souhaitable, mais avec des conditions politiques préalables et une orientation politique plus claires.

Cependant, ces questions font déjà l’objet d’un autre article, qui sera publié ultérieurement. Le bon départ de notre initiative (en collaboration avec nos camarades de l’APO, Anametrisi, Metavasi, Xekinima et KEMA) et la participation importante à nos premiers événements publics nous permettent d’envisager les prochaines étapes avec optimisme. (Article reçu le 15 octobre 2025)

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[1] Le Parquet européen est un organe indépendant de l’Union européenne chargé de rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union telles que la fraude, la corruption, le blanchiment de capitaux, la fraude transfrontière à la TVA. Le Parquet européen a commencé ses activités le 1er juin 2021. (Réd.)

Source https://alencontre.org

Grèce: un 28 février marquant

Tempi manifestation

Publié le 3 mars 2025

À Athènes, plus de 180.000 personnes se sont rassemblées devant le Parlement, selon les estimations de la police. Au total, la mobilisation dans tout le pays a réuni plus de 325.000 participants. Des milliers de manifestants se sont également réunis à Thessalonique, Patras, Héraklion et Larissa, ville proche du lieu de l’accident ferroviaire.

D’abord pacifiques, les manifestations ont progressivement dégénéré dans plusieurs villes. À Athènes, des affrontements ont éclaté entre manifestants et forces de l’ordre. Selon les autorités, ces violences ont fait treize blessés, tandis que 27 personnes ont été arrêtées.

En parallèle, une grève générale de 24 heures a été observée, paralysant les transports publics, les écoles, les universités et les administrations. Les commerces du centre d’Athènes ont en grande partie fermé en signe de solidarité avec les manifestants. Les syndicats dénoncent une négligence gouvernementale persistante et réclament des mesures de sécurité plus strictes dans les infrastructures ferroviaires.

La diaspora grecque s’est également mobilisée à l’étranger. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes européennes, notamment à Londres, Paris, Berlin et Bruxelles. Aux États-Unis, des manifestations de solidarité ont été organisées à New York et Chicago, où vivent d’importantes communautés grecques. À Nicosie, une marche silencieuse a également été organisée en mémoire des victimes.

Face à cette mobilisation massive, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a reconnu l’ampleur du « traumatisme collectif » causé par la catastrophe ferroviaire. Il a toutefois dénoncé l’« instrumentalisation politique de la douleur humaine » et a promis une enquête approfondie sur les causes de l’accident. Le gouvernement a également annoncé un renforcement des mesures de sécurité dans les transports ferroviaires, mais ces promesses restent insuffisantes aux yeux des manifestants.

Des nouveaux rassemblements sont d’ores et déjà prévus pour le mois de mars, notamment le 13 et le 25, date de la fête nationale grecque. Les syndicats et les associations de victimes comptent maintenir la pression sur le gouvernement pour obtenir des réformes concrètes et des réponses claires sur les responsabilités de la catastrophe ferroviaire.

Cette journée du 28 février a démontré que la colère du peuple grec reste vive, et que la quête de vérité et de justice continue de mobiliser une grande partie de la population.

Source lepetitjournal.com

Deux ans après Tempé

Des manifestations gigantesques à travers la Grèce

Des centaines de milliers de manifestant.e.s ont envahi la place Syntagma à Athènes et d’autres villes grecques pour réclamer la fin de la dissimulation et exiger des comptes.

Menelaos Myrillas / SOOC

Des rassemblements ont été organisés dans 365 villes à travers la Grèce et à l’étranger pour marquer le deuxième anniversaire de la tragédie ferroviaire de Tempé, qui a coûté la vie à 57 personnes. Les principales fédérations syndicales en Grèce ont lancé une grève à l’échelle nationale, avec la participation des enseignant.e.s, des gens de mer, des travailleur.euse.s de la santé, des transports publics et de la culture.

Maria Karystiannou, présidente de l’Association des familles des victimes de Tempé, qui a perdu sa fille dans la tragédie, est arrivée tôt le matin à Syntagma, où la foule avait déjà envahi le centre d’Athènes jusqu’à la place Omonia. Voir son intervention

Une étudiante a pris la parole en premier, en lisant les noms des personnes décédées dans la catastrophe ferroviaire. À chaque nom appelé, la foule scandait « présent » et « présente » en chœur.

Elle a ensuite dénoncé la privatisation des services publics, soulignant que :

« ceux qui ont gouverné ce pays sont les responsables de ce crime, car ils ont vendu les chemins de fer à des entités privées. Hellenic Train a privilégié ses bénéfices au détriment de nos vies et continue de le faire, tout en démantelant et en dégradant systématiquement le réseau ferroviaire, conformément à la ligne directrice de l’UE. »

Elle a également condamné les tentatives du gouvernement de dissimuler l’affaire et a appelé à la nationalisation du chemin de fer, déclarant au Parlement, « Pour nous, votre culpabilité est indéniable. »

Un autre étudiant a souligné que « le véritable coupable, c’est la logique du ‘tentons le coup et voyons où ça nous mène’ de ce gouvernement et des précédents, qui ont vendu les chemins de fer au nom du profit.

« Tout comme ils ont vendu les trains, ils vendent maintenant la santé, l’eau et chaque aspect de nos vies. » Il a averti que « le prochain désastre de Tempé est en attente de se produire dans les écoles sous-effectifs où les plafonds s’effondrent, dans les transports publics qui demeurent des pièges mortels, et dans les universités non seulement sous-financées mais aussi en voie de privatisation. »

Ensuite, les conducteur.rice.s de trains ont pris la parole pour souligner les pénuries dans le secteur ferroviaire, la dissimulation et la falsification des preuves dans l’affaire de Tempé. Aux côtés des proches des victimes, un discours puissant a également été prononcé par Kyriaki Griva, mère d’une victime de féminicide.

« Je m’adresse aux meurtriers de nos enfants. Vous avez insulté et traité nos morts avec mépris. Leurs restes gisent dans des lieux secrets. Vous avez commis le plus grand sacrilège, et Némésis vous rendra votre dû », a déclaré Maria Karystiannou, tandis que la foule en dessous scandait « assassins, assassins ».

Pendant ce temps, le collectif anarchiste Rouvikonas a mené une intervention sur le toit de Hellenic Train à Athènes, où les militant.e.s ont suspendu une bannière en mémoire de la tragédie de Tempé. Vingt-cinq d’entre eux ont été arrêté.e.s, et poursuivi.e.s pour trouble à l’ordre public.

Voir la publication

85 personnes ont été placées en détention et 41 arrêtées dans le centre d’Athènes. Il faut noter que le ministre de la Protection du citoyen, Michalis Chrysochoidis, avait déclaré que “la police grecque sera présente” et, selon lui, “afin d’assurer la sécurité des citoyens et des rassemblements, pour qu’ils puissent assister, exprimer leur volonté, et partir en toute sécurité, et que l’objectif de cet événement soit pleinement atteint.”

Les manifestations ont eu lieu le lendemain de la publication du rapport de l’Agence hellénique d’enquête sur la sécurité aérienne et ferroviaire (EODASAAM), qui pointe l’abandon du chemin de fer, l’absence de systèmes de sécurité, le manque de personnel, le sous-financement, et la possible présence d’un carburant inconnu ayant causé l’incendie après la collision, entraînant la mort de 5 à 7 victimes. Le rapport évoque aussi que des preuves précieuses ont été perdues en raison du remblayage du site de l’accident. Le gouvernement, par l’intermédiaire de son porte-parole Pavlos Marinakis, a tenté de détourner l’attention des conclusions de l’EODASAAM, affirmant que “le rapport réfute les accusations de dissimulation”.

Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a également fait une déclaration provocante dans sa publication pour le deuxième anniversaire de la tragédie de Tempé, évoquant « des erreurs humaines et les insuffisances chroniques de l’État » sans faire mention des responsabilités de son gouvernement. Malgré une tentative de se donner l’image d’unificateur, en s’adressant à la fois aux manifestant.e.s et à celles et ceux qui commémorent discrètement les victimes, il a une fois de plus attaqué l’opposition, l’accusant d’« exploitation politique de la souffrance humaine ».

Des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues dès le début de la matinée, se rassemblant devant la statue de Venizelos.

Les manifestant.e.s ont envahi la place Aristotelous, Egnatia et les rues autour avant de se diriger vers la Nouvelle Gare, où un blocage symbolique a été organisé, tandis que d’autres se sont dirigés vers Kamara, où des affrontements mineurs ont éclaté.

SOOC

« Nous avons perdu onze collègues, des cheminots de tout le secteur. Cinquante-sept familles ont été brisées. Et nous, les travailleurs, sommes devenus moins nombreux.», a déclaré Nikos Tsaklidis, employé de Hellenic Train et parent d’une victime.

Le photojournaliste Orestis Panagiotou a été touché à la tête par une grenade assourdissante, ce qui lui a valu des points de suture. Il a quitté l’hôpital avec une audition diminuée.

Voir la publication

Cela fait suite à la manifestation du 26 janvier, où le photojournaliste Marios Lolos avait lui aussi été touché par une grenade assourdissante, subissant des lésions à l’oreille et des contusions. Lolos et l’Association des Photojournalistes de Grèce avaient alors dénoncé les actions de la police, qualifiant cet acte de « meurtrier » et déclarant :

« Les grenades assourdissantes ne doivent pas être lancées en l’air »

Source thepressproject.gr

Le dernier film de Yannis Youlountas à La Mure(38)

Si vous avez raté le film en présence de Yannis Youlountas le 4 avril 2024 à Grenoble il sera présent lors de la projection au cinéma théâtre de La Mure le 21 janvier 2025 à 20h .

Résumé :

Grèce, 2019 à 2023. Mitsotakis remplace Tsipras au pouvoir en Grèce et promet d’en finir avec Exarcheia, un quartier rebelle et solidaire d’Athènes. Mais la résistance s’organise et des renforts arrivent d’autres villes d’Europe. Le cri de ralliement devient No Pasaran ! Au fil des années, d’autres luttes s’étendent du nord au sud de la Grèce pour défendre la terre, la mer et la vie : en Crète, en Thessalie, en Épire… Même sur l’île de Paros dans les Cyclades, la population manifeste sur les plages devenues payantes et réussit à ce qu’elles redeviennent un bien commun, pour le bonheur de tous.
Quand tout semble s’effondrer, à Athènes comme ailleurs, une même réponse se fait entendre : « nous n’avons pas peur des ruines, nous portons un monde nouveau dans nos cœurs. »

Les tickets de la séance sont désormais réservables en ligne https://www.ticketingcine.fr/?nc=0100&lang=fr&ids=11639&ps=eyenet

A l’occasion de cette tournée sur chaque lieu de projection une collecte est organisée à destination des lieux autogérés solidaires en Grèce . Le point collecte se trouvera à proximité du cinéma .

Les Crétois demandent « justice » pour les atrocités commises par les nazis

Source https://www.keeptalkinggreece.com

L’UE a détruit son pays ….Nous sommes les prochains.

L’UE a détruit son pays ….Nous sommes les prochains. Pour Élucid, Yánis Varoufákis revient sur ses années de combats contre le capitalisme mondialisé responsable de tant d’inégalités, mais également sur la crise grecque, symptomatique de la nature profonde de l’Union européenne : austéritaire, dysfonctionnelle et antidémocratique. Il déclare : Ils ont préféré traiter la Grèce comme un rat de laboratoire, comme une expérience avec l’objectif de l’appliquer un jour à la France … Voir l’entretien d’1h12mn sur Elucid

Grèce : quelles perspectives après les élections européennes ?

A. Sartzekis, Athènes, le 23 juin 2024

Source https://npa-lanticapitaliste.org/actualite/international/grece-quelles-perspectives-apres-les-elections-europeennes

Grèce report de chimiothérapie faute de lits

Thessalonique : mensonges de Georgiadis sur les reports de chimiothérapie faute de lits

par Christos Avramidis

De nouveaux incidents de santé publique sont constamment révélés, avec le dernier incident impliquant une patiente atteinte d’un cancer à l’hôpital de cancérologie Theageneio de Thessalonique qui l’a appelée moins de 24 heures avant son rendez-vous de chimiothérapie prévu pour le reporter, « parce qu’il n’y avait pas de lit d’hôpital », selon la plainte de son fils.

Le journaliste Christos Avramidis a rendu la plainte publique après avoir recoupé les informations rapportées.

hébreu

Le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, a traité personnellement la plainte,  réfutant le journaliste avec un tweet connexe , citant même des données de l’administration de l’hôpital.

Malheureusement pour lui,  le médecin de l’hôpital, Anastasios Butis, a répondu nommément au ministre que certains traitements étaient effectivement reportés . La plainte est donc tout à fait vraie et le ministre de la Santé a encore une fois été surpris en train de mentir.

Source: koupandoras.gr

Grèce : la deuxième mort de Syriza, ou de la tragédie à la farce

Par Stathis Kouvélakis

Syriza traverse actuellement ce qui pourrait bien être sa crise finale après l’élection à sa tête d’un ancien trader : Stefanos Kasselakis. Celui-ci a pris la succession d’Alexis Tsipras après la déroute électorale récente du parti, en bénéficiant d’un large soutien des médias dominants et d’un système de « primaire interne » qui permet à toute personne s’inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros de participer à l’élection du chef du parti.

Stathis Kouvélakis analyse dans cet article ce qui apparaît d’ores et déjà comme la « deuxième mort » de Syriza, la première renvoyant à la capitulation en rase campagne de l’été 2015 face à la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne). Celle-ci conduisit Tsipras à mener une politique d’une extrême brutalité pour les classes populaires et, ainsi, à transformer Syriza de parti de la gauche radicale en parti de l’austérité néolibérale.

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On connait sans doute les phrases par lesquelles commence le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte de Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire surgissent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

Ce « quelque part » fait référence à un passage des Leçons sur la philosophie de l’histoire qui établit un parallèle, d’une part, entre le passage de Rome de la république à l’empire et celui de la France de la monarchie à la république, et, de l’autre, entre le destin de César, celui de Napoléon et celui de la dynastie des Bourbons. Selon Hegel, le meurtre de César est censé ramener la république, en mettant fin au pouvoir personnel, mais il aboutit à sa fin irrévocable et à l’instauration du régime impérial, d’un césarisme sans César que le meurtre de celui-ci a rendu possible. Napoléon et les Bourbons sont chassés deux fois du pouvoir, et ce n’est qu’au terme de cette réitération que l’irréversibilité de la fin du pouvoir qu’ils ont incarné est véritablement actée.

Hegel en tire une sorte de loi de l’histoire selon laquelle « la répétition réalise et confirme ce qui au début paraissait seulement contingent et possible »[1]. Un événement n’est définitivement enregistré que lorsque, par sa répétition, sa nécessité, c’est-à-dire son caractère irréversible, est reconnue. Cette répétition n’est en fait jamais une répétition à l’identique, elle s’effectue toujours sous une forme déplacée.

Toutefois, l’idée d’un passage de la tragédie à la farce est, pace Marx, déjà bien présente chez Hegel, qui caractérise la « Restauration » des Bourbons de « farce qui a duré 15 ans »[2]. La normalité propre à l’ère bourgeoise tend à refouler les moments troubles qui ont scandé son émergence. Pour autant, si toute idée de retour en arrière s’avère illusoire, cette illusion fait elle-même partie du processus qui, par le jeu de la répétition, enregistre la césure de l’événement.  

Le désastre que vit la Grèce, et en particulier la gauche grecque, depuis le terrible été 2015 apparaît comme un cas d’école de cette « ruse de la raison historique ».

Entre les deux morts, la séquence 2015-2023 

La dernière en date des tragédies d’un pays qui en a connu bien d’autres est donc survenue en ce terrible été 2015,  lorsqu’Alexis Tsipras capitule en rase campagne face à la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fond Monétaire International), et accepte un plan néolibéral de choc (connu en tant que « 3e Mémorandum ») bien pire que celui que l’électorat grec venait de rejeter quelques jours auparavant, lors du référendum du 5 juillet. Mais l’ampleur de la catastrophe était telle qu’elle fit l’objet d’un déni, habilement cultivé par Tsipras et ceux qui l’ont suivi au sein de son parti, avec l’appui enthousiaste des classes dominantes grecque et européennes.

Syriza a pu ainsi remporter le scrutin anticipé de septembre 2015 en laissant croire que l’acceptation du 3e Mémorandum n’était qu’un recul tactique et en promettant de mettre en œuvre un « programme parallèle », censé neutraliser ses retombées négatives. Les quatre ans qui ont suivi ont toutefois été marqués par l’application à la lettre des recettes néolibérales draconiennes gravées dans le marbre de cet accord, sans la moindre mesure compensatoire, transformant la Grèce en pays modèle du néolibéralisme au sein de l’UE.

L’électorat sanctionne lourdement Syriza au scrutin européen de mai 2019, en le plaçant (à 23,7% contre 35,6% en septembre 2015), dix points derrière une droite revigorée, assurée de revenir au pouvoir. Sentant le vent du boulet, Tsipras bouscule de quelques mois le calendrier électoral et appelle à un scrutin législatif anticipé pour juillet. La manœuvre porte ses fruits, ou du moins quelques-uns.

Certes, Syriza sort perdant, à près de neuf points derrière Nouvelle Démocratie. Mais il progresse de près de huit points par rapport aux européennes, atteignant un score inespéré de 31,5%. La perspective d’un retour de la droite au pouvoir a suscité un ultime réflexe de vote-barrage. Ce réflexe s’était nourri de la réaction suscitée par les manifestations nationalistes du printemps précédent contre l’accord signé avec la République de Macédoine du Nord, qui avaient vu se constituer un front commun entre l’extrême droite et les secteurs les plus radicaux de Nouvelle Démocratie.

Ce score a créé l’illusion, propagée conjointement par Syriza et le système politico-médiatique, selon laquelle on assisterait au retour à un système bipartisan comme celui que le pays avait connu des années 1970 à la crise de 2010. A la seule différence que c’était désormais le parti d’Alexis Tsipras qui était censé occuper la place qui fut naguère celle du Pasok, celle d’une force d’alternance gouvernementale face à la droite. 

Cette illusion renvoyait de fait à une autre, plus profonde : celle qui refusait d’admettre le caractère irréversible de ce qui s’était passé l’été 2015, et qui s’était prolongé lors des quatre années qui avaient suivi, à savoir la mutation de Syriza d’un parti de la gauche radicale en véhicule d’une forme particulièrement dévastatrice de néolibéralisme, assortie d’une mise sous tutelle du pays pendant plusieurs décennies[3].  

Mai-juin 2023 : le naufrage électoral

L’effondrement électoral de Syriza au scrutin de mai 2023, confirmé et aggravé dans celui qui a suivi (de 31,5% en 2019 à 20% en mai puis à 17,8% en juin), a mis fin à cette illusion. Au cours des quatre années précédentes, Syriza s’était contenté de mener une opposition superficielle, ne contestant aucune orientation de fond de la droite.

Au parlement, ses députés ont voté 45% des lois proposées par le gouvernement de Mitsotakis, y compris les plus emblématiques comme celle autorisant la vente à un prix symbolique du terrain de l’ancien aéroport d’Elliniko à l’oligarque Yanis Latsis, associé à des capitaux qataris, ou les pharaoniques contrats d’armement, d’un montant de près de 15 milliards à ce jour, qui ont conduit au doublement du budget de la défense entre 2020 et 2022. Syriza s’est chargé lui-même de rappeler quotidiennement que la capitulation de 2015 et son mandat gouvernemental ne constituaient en rien une « parenthèse » forcée mais bien une rupture qui n’admettait aucun retour en arrière. 

Par ailleurs, Tsipras a engagé une mutation de la structure organisationnelle de Syriza en ouvrant largement le parti à des personnalités « centristes », en général issues du Pasok, qui avaient approuvé tous les Mémorandums signés avec la Troïka lors de la période 2010-2015. Le nom du parti a été modifié en 2020 en « Syriza-Alliance progressiste », avec l’ambition d’en faire une force capable de couvrir l’espace du « centre-gauche » et d’apparaître comme une force d’alternance stable. Et, surtout, Tsipras a instauré en 2022 un système de « primaire interne », ouverte à toute personne s’inscrivant en ligne et payant la somme de deux euros.

Seul candidat, Tsipras est élu président du parti par une « base » fictive de 170 mille personnes – jusqu’à l’été 2015 Syriza comptabilisait 35 000 membres, mais il s’agissait alors de vrais membres affiliés à une section locale ou d’entreprise. A la tête d’un parti vidé de toute substance militante et transformé en machine électorale au service du leader, Tsipras pensait aborder avec une relative sérénité les scrutins de 2023. L’objectif était sinon de gagner une majorité, du moins être en mesure de constituer une coalition gouvernementale « progressiste » avec le Pasok et accoucher ainsi d’un pôle de centre-gauche sur le modèle du PD italien. 

Dans ce contexte, la double déroute de mai et juin 2023, la seconde amplifiant la première, a provoqué un séisme interne. Dans une ambiance lugubre, Tsipras démissionne quelques jours après la gifle électorale de juin. Il laisse un parti démoralisé et, surtout, dépourvu d’identité et de repères autres que le culte du leader et l’obsession de revenir au pouvoir.

De nouvelles « primaires » sont convoquées pour septembre, et une proche de Tsipras, Efi Achtsioglou, se présente comme la successeure désignée, bénéficiant de l’appui de l’appareil. Elle fait partie du groupe de quadras qui ont accédé à la notoriété en occupant d’importants portefeuilles ministériels entre 2015 et 2019. Elle-même, en tant que ministre du travail, a lié son nom à deux lois qui restreignent drastiquement le droit de grève (désormais soumis à un vote préalable des membres du syndicat, sur le modèle des lois Thatcher) et suppriment les négociations tripartites (syndicats-patronat-Etat) sur le SMIG, désormais fixé par décret. 

Tout paraissait joué, jusqu’à ce qu’un outsider absolu, Stefanos Kasselakis se déclare candidat à la fin août et remporte aisément le scrutin (qui s’est déroulé en deux tours, selon les règles fixées en 2022). Que s’est-il passé ?

Qui est Stefanos Kasselakis ?

Dans les conditions actuelles d’affaiblissement au niveau mondial des partis politiques, le succès d’un outsider comme Kasselakis pourrait paraître trivial. Il l’est toutefois moins si on prend en compte ce qui fait la singularité du personnage et de son ascension éclair sur la scène politique. L’originalité du cas consiste en ce que l’outsider en question ne fonde pas une nouvelle formation, par-delà les clivages établis du champ politique, mais, défiant toute prévision, parvient à s’imposer à la tête d’un parti héritier d’un courant historique de la gauche et qui, malgré son affaiblissement, reste la principale force d’opposition au parlement grec. 

A première vue, le succès de Kasselakis se présente comme une simple combinaison des techniques de com qui font l’essence de la « post-politique » actuelle. Jeune, riche, sportif, ouvertement gay (mais sans promouvoir d’agenda LGBT+ particulier), Kasselakis paraît incarner lui-même l’« image » de nouveauté, celle du « rêve grec » qu’il promet à ses partisans.  La campagne-éclair qui l’amène à la présidence de Syriza est entièrement basée sur des petites vidéos (six, soit un total 43 minutes), de rares interviews (il arrête rapidement un exercice qui le met en difficulté), et, avant tout, sur le recours intensif aux réseaux sociaux.

Le candidat-surprise est aussitôt adoubé par les médias audiovisuels, qui lui assurent une visibilité extraordinaire, entièrement basée sur l’étalage complaisant de son style de vie (son chien, son mari, sa salle de fitness, ses sorties etc.). Son discours est à l’image de sa campagne : il se présente comme un visage neuf, « l’homme capable de battre Mitsotakis », dégagé de tout « boulet idéologique » à l’opposé des « hommes (et femmes) d’appareil » qu’il affronte dans le cadre des primaires de Syriza.  

Lors des interviews, son ignorance des sujets les plus élémentaires de la politique grecque est flagrante. Malgré son succès supposé dans le monde des affaires, il semble ignorer le montant du taux d’imposition des sociétés en Grèce et, nonobstant les saillies « patriotiques » dont il parsème ses discours, il n’a qu’une vague idée des problèmes qu’affronte le pays dans ses rapports avec la Turquie. Ses propositions sont aussi floues que sommaires, mais toutes s’insèrent dans la grammaire néolibérale : moins d’impôts, suppression du service militaire obligatoire et promotion d’une armée de métier, « égalité des chances » et « rêve grec pour tous ».

Peu après son élection à la présidence du parti, il prononce devant l’assemblée générale annuelle du patronat grec un discours remarqué, qui dissipe le nuage de fumée qui a entouré sa campagne. Il y défend une vision qui « ne diabolise pas le capital et le voit comme un outil pour la prospérité, pour la réduction des inégalités à travers une croissance forte ». Selon cette version de la « théorie du ruissellement », le « mot travail doit être un appel à la ‘collaboration’, pour un nouveau contrat social par lequel les travailleurs participent activement à la croissance de l’entreprise ». 

La clé du succès de Kasselakis se trouve sans doute dans cette adéquation entre un discours à peu près vide de contenu, au sens où il se contente de surfer sur les clichés (au sens imagé) du néolibéralisme, et son incarnation dans un visage juvénile, dépourvu de toute épaisseur, donc entièrement modelable (et modelé) par les techniques de la com. Il apparaît comme la transposition dans le champ de la politique de la figure de l’« ambianceur », pour reprendre une catégorie de Nicolas Vieillescazes : quelqu’un qui diffuse une certaine vision, en l’occurrence néolibérale, mais de façon vague, quasiment subreptice, qui évite toute affirmation et propos « clivant » et se fond ainsi dans l’ « ambiance » régnante, puissamment aidé en cela par son (apparente) absence de passé. Davantage qu’une véritable singularité, Kasselakis apparaît comme un produit d’algorithmes, simple figuration de la logique anonyme du système politique et de l’ordre social dont il est l’expression. 

Si Kasselakis a pu s’en tenir pendant sa courte campagne pour la présidence de Syriza (à peine plus de deux semaines) à un discours infra-politique, c’est qu’il est lui-même un inconnu à peu près complet non seulement sur la scène politique mais aussi dans la vie publique du pays. Sa désignation par Alexis Tsipras sur les listes de Syriza (dans une position non-éligible) aux scrutins de mai et juin 2023 au titre de personnalité de la diaspora[4] est passée à peu près inaperçue.

Ayant quitté la Grèce à l’âge de 14 ans, il est résident permanent aux Etats-Unis jusqu’au début de l’année dernière. C’est dans ce pays que s’est déroulée la totalité de sa carrière professionnelle, qui l’a vu passer du statut de trader de la Goldman Sachs à celui d’armateur, une trajectoire qui lui donne l’aura du self-made man dont il ne cesse de se prévaloir. Pourtant, un voile d’opacité entoure la nature exacte de ses activités entrepreneuriales.

De récents reportages de la presse grecque pointent une structure labyrinthique de sociétés au statut juridique complexe, dont les principales sont basées au Delaware, un  Etat de la côte Est des Etats-Unis connu pour son statut de paradis fiscal et pour la règle de confidentialité qu’il applique quant à la propriété des sociétés qui y sont enregistrées. Tout cela au mépris de la législation grecque qui interdit aux élu.es et aux dirigeant.es de partis représentés au parlement d’être propriétaires de sociétés dont le siège se trouve hors du pays.

Même le passage par la Goldman Sachs est controversé : Kasselakis aurait été licencié pour « performance insuffisante », alors que lui-même assure l’avoir quittée de son propre gré pour reprendre des études supérieures. De même, il apparaît que, loin d’être le self-made man qu’il prétend, son entrée dans le monde des affaires s’est effectuée grâce à l’appui de la société de son père et à celui du puissant armateur Marcos Nomikos.

Que sa trajectoire ait été celle d’un capitaine ou, plus vraisemblablement, celle d’un chevalier d’industrie, Kasselakis n’est pas un inconnu au sein de la communauté gréco-étatsunienne. Il a tenu pendant des années une chronique consacrée à l’économie dans son organe emblématique, The National Herald, un quotidien ultra-conservateur (et soutien notoire de la dictature des colonels qui a sévi de 1967 à 1974) mais qui entretient de puissants liens « bipartisans » avec l’establishment politique et économique étatsunien. Kasselakis y publie ses chroniques parfois sous son nom, parfois sous le pseudo d’Aristotelis Oikonomou, en hommage à l’armateur mythique Aristotelis Onassis

La presse grecque a abondamment fait état de ses publications passées, qui ne laissent aucun doute sur son positionnement idéologique et politique – même si l’effet de ces révélations a été habilement neutralisé par le tapage communicationnel qui a entouré sa campagne. Tout au long de la crise des années 2010-2015, Kasselakis a vigoureusement défendu la thérapie de choc de la Troïka, jugeant que les salaires grecs sont trop élevés (y compris le salaire minimum), et que les licenciements de fonctionnaires et les coupes dans les services publics imposés par la thérapie de choc étaient « insuffisants ».

Il proposait comme modèle la politique économique de Reagan et la création d’universités privées. Il considérait Syriza, et en particulier Alexis Tsipras, comme un « danger » pour le pays comparable à celui que Trump représentait pour les Etats-Unis (lui-même était pourtant enregistré comme électeur républicain à New York de 2013 à 2019). Il avait affiché, en 2015, son soutien à l’actuel premier ministre Konstantinos Mitsotakis lors des primaires de la droite et salué, en 2019, la victoire de Nouvelle Démocratie (dirigée par Mitsotakis), lorsqu’elle succède au pouvoir à Syriza.

Dans un entretien accordé en juillet 2023 à l’édition en langue anglaise du quotidien athénien Kathimerini, alors qu’il s’était déjà présenté comme candidat sur les listes de Syriza, il se targue de « son excellente relation avec Mitsotakis, qui date de 2012, quand il était simplement député ». Dans le même entretien, il déclare avoir accepté la proposition de Tsipras de figurer sur les listes de son parti car il « pense qu’avec lui (Tsipras) nous pourrions créer l’équivalent grec du Parti Démocrate [étatsunien], qui pourrait mettre en œuvre un ensemble de changements politiques allant de projets de loi bipartisans sur l’économie et la réforme de la justice à des protections progressistes sur les droits de l’homme, le logement, la pauvreté, etc. ».

L’aboutissement d’un long délitement

L’élection d’une telle personnalité à la tête d’un parti comme Syriza, qui compte 20 ans d’existence et plonge ses racines dans l’histoire mouvementée de la gauche communiste grecque, a bien quelque chose de vertigineux. De la tragédie on est effectivement passé à la farce, mais le spectacle a continué à attirer des spectateurs. Il s’est en effet trouvé 70 mille personnes pour soutenir Kasselakis lors du second tour des primaires (56% du total) contre 56 mille à sa rivale, Efi Achtsioglou. Comment expliquer cette adhésion ?

Il faut tout d’abord mentionner la déstructuration idéologique profonde induite par le cynisme impudent d’une formation de la « gauche radicale » qui renie ses engagements fondamentaux, bafoue le résultat d’un référendum qu’elle a elle-même organisé, et s’accroche au pouvoir pour poursuivre la politique néolibérale d’une grande brutalité engagée par ses prédécesseurs. La perte de repères qui s’ensuit nourrit le nihilisme et les mues les plus improbables, y compris au sein de ce qui restait de l’électorat de Syriza.

Vient ensuite l’impact de la procédure de la primaire qui substitue au principe d’un parti constitué de militants souverains celui d’un agrégat anonyme et atomisé, constitué de membres fantômes à deux euros, aisément manipulable par les médias et le buzz des réseaux sociaux. Sans la figure de Tsipras, qui maintenait l’apparence d’une continuité, le parti centré autour de son leader est apparu pour ce qu’il était devenu : une coquille vide.  

Avec ce mélange d’inconscience et de sincérité qui caractérise les outsiders, Kasselakis a déclaré  que « si Syriza fonctionnait correctement, s’il avait une base sociale, une réserve de cadres et de jeunes, il y aurait évidemment quelqu’un d’autre qui aurait pris la place que j’occupe aujourd’hui. Le fait que j’aie été élu n’est pas un signe de bon fonctionnement. Je l’admets. Si j’ai été élu, c’est parce que les gens voulaient quelque chose de différent ».

Toutefois, la victoire d’un candidat aussi improbable n’a été possible que du fait du discrédit de ses concurrents. Usés par un exercice du pouvoir impopulaire, ayant appliqué sans broncher des politiques néolibérales aux antipodes complets des engagements de Syriza, ils et elles en ont payé le prix lorsque le désastre électoral est survenu. Incarnant la continuité et une forme de légitimité « partidaire », Efi Achtsioglou en particulier pensait que les primaires seraient une promenade et menait une campagne routinière et « centriste ».

C’est précisément ce qui l’a conduit à la défaite : brocardée en tant que représentante d’une ligne et d’une équipe qui avait échoué, elle n’avait pas grand-chose à opposer à la « guerre-éclair » communicationnelle d’un Kasselakis, avec son profil d’« homme neuf », vierge de tout lien avec le Syriza de gouvernement, adossé au système médiatique mais bénéficiant également de la bienveillance implicite de Tsipras. Sa défense de « l’identité de gauche » du parti ne pouvait qu’apparaître que comme le reliquat démonétisé d’une époque révolue.

La force de Kasselakis a été précisément d’affirmer la rupture avec une identité devenue sans objet. Une fois de plus, l’injonction que le « révisionniste » Eduard Bernstein lançait à la socialdémocratie allemande à la fin du 19e siècle – « qu’elle ose paraître ce qu’elle est » – a fait la preuve de son efficacité. Profitant du désarroi créé par la déroute électorale, le candidat surprise a su mobiliser les procédures mises en place par Tsipras pour construire une base de supporters à partir des technologies qu’appellent ces mêmes procédures : le buzz des réseaux sociaux et le tapage médiatique.

Son succès illustre ce que Gramsci appelait un processus déjà bien avancé de « transformisme » et dont la racine n’est pas à chercher ailleurs que dans la capitulation de l’été 2015. C’est aussi la raison pour laquelle son OPA sur Syriza a bénéficié, dans un premier temps (mais qui était le plus crucial), de la bienveillance de Tsipras et du soutien de ses plus proches collaborateurs au sein du cercle dirigeant.

Syriza sous le leadership de Kasselakis  

Si l’on appliquait à Kasselakis les critères dont il se réclame lui-même, le bilan de ses six premiers mois à la présidence du parti est pour le moins décevant, si ce n’est catastrophique. Les élections régionales et municipales d’octobre dernier ont été une humiliation pour le parti, qui a perdu le peu de bases municipales qui lui restaient.

Presque partout il a été dépassé par le Pasok, qui a remporté un succès spectaculaire et inattendu en délogeant (au second tour) la droite de la municipalité d’Athènes, l’ex-maire n’étant autre que le neveu du premier ministre Mitsotakis. Pire, Syriza est talonné au niveau national par le Parti communiste, qui connaît un redressement sensible et contrôle actuellement cinq municipalités importantes, dont celle de Patras, 3e ville du pays (conquise en 2014). Suite à ce premier test électoral, Syriza est relégué en 3e position (autour du 12%) dans la quasi-totalité des sondages, à deux points en moyenne derrière le Pasok. 

Ce qui a fait la une des médias au cours des mois qui ont suivi, ce ne sont plus tant les opérations de com’ de son président (malgré la publicité accordée à l’anniversaire de son chien Farly…) mais les déboires internes du parti et les révélations sur ses activités professionnelles aux Etats-Unis. Son élection a été suivie de vagues de départ de Syriza (pendant plusieurs semaines, la presse publiait quasi-quotidiennement des lettres collectives de départ signées par des dizaines, parfois des centaines de membres), des exclusions de députés, et rapidement, par le départ des principaux courants « historiques » : « Parapluie », qui se voulait l’aile gauche du parti (son candidat, Euclide Tsakalotos, ancien ministre de l’économie et des finances, avait recueilli 8,3% des voix lors du 1er tour des primaires), et le groupe dit « 6+6 », qui regroupe les quadras de l’ancienne direction autour de Tsipras, dont la candidate, Efi Achtsioglou, a affronté Kasselakis lors du second tour des primaires (elle avait obtenu 36% lors du premier).

Ces deux courants ont d’abord créé un groupe parlementaire, avec 11 députés sur les 47 élus sous l’étiquette Syriza en juin 2023, puis un parti nommé « Nouvelle Gauche ». Celui-ci a tenu sa première conférence nationale début mars et élu à sa tête Alexis Charitsis (47 ans), qui a détenu divers portefeuilles dans les gouvernements Tsipras.

Bien que se voulant garante de l’« identité de gauche », qu’elle accuse Kasselakis d’avoir abandonnée, Nouvelle Gauche se veut également la meilleure défenseure du bilan gouvernemental de Syriza, auquel ses principaux dirigeants restent associés. L’argument est que la cause de la crise du parti remonte à 2019. Seraient en cause l’incapacité à mener une opposition crédible et la politique d’« ouverture vers le centre » impulsée par Tsipras, ainsi que la transformation de l’organisation en machine au service du leader. La capitulation de 2015 et les quatre années de politiques néolibérales drastiques qui ont suivies font l’objet d’un non-dit, si ce n’est d’un déni. La proposition politique de Nouvelle Gauche revient en fin de compte à entretenir l’illusion d’un possible « tsiprisme sans Tsipras », dans la continuité du « Syriza de gouvernement » des années 2015-2019.

Par contraste, le Syriza de l’ère Kasselakis joue une carte de distanciation partielle avec le bilan du Syriza au pouvoir. Flirtant avec une rhétorique populiste, il dénonce certains aspects de la politique de la période 2015-2019 qui ont particulièrement affecté les couches moyennes (surtaxation des professions libérales et des indépendants) ou les retraités. Naviguant au gré des sondages et des trouvailles des communicants, le « progressisme » du « nouveau » Syriza offre une combinaison de platitudes néolibérales agrémentées d’une pincée de populisme.

Parmi les principaux appuis de l’actuel président issus de l’ancien Syriza, on trouve Pavlos Polakis, ancien ministre de la santé. Personnage histrionesque maniant constamment l’insulte sur les réseaux sociaux , il y relaie l’argumentation des antivax ainsi que des propos nationalistes et xénophobes, frisant parfois le racisme. De son côté, Kasselakis ne manque jamais une occasion de mettre en avant son « patriotisme » et d’affirmer son soutien aux montants astronomiques des dépenses militaires engagées par le gouvernement actuel (que Syriza a par ailleurs toujours soutenues au parlement). 

Le 4e congrès de Syriza, qui s’est tenu fin février, a été marqué par l’intervention de dernière minute de Tsipras au moyen d’une lettre rendue publique la veille de son ouverture. Quelques jours auparavant, Kasselakis avait adressé aux « membres » un « questionnaire en ligne » qui remettait en cause l’ensemble des « fondamentaux » de Syriza : nom et emblème du parti, positionnement dans l’axe droite-gauche, nécessité de « changements radicaux » dans sa structure.

Ce questionnaire a suscité la réaction de la quasi-totalité des anciens « barons » du parti et forcé Tsipras à intervenir. Dans une ultime tentative d’affirmer son influence au sein du parti, Tsipras dénonce à la fois ceux qui l’ont quitté pour créer Nouvelle Gauche et le leadership de Kasselakis, à qui il reproche d’avoir été élu sans avoir ouvert ses cartes. Il lui demande en conséquence de procéder à des nouvelles élections pour la présidence du parti, faisant ainsi monter d’un cran le niveau, déjà très élevé, de tension interne.

Le congrès lui-même a donné une image de chaos indescriptible, la plupart des participant.es n’étant pas des délégué.es élu.es (les sections se trouvant dans l’incapacité de tenir des réunions) mais une masse de supporters du nouveau leader, huant systématiquement les opposant.es dans une ambiance digne des jeux de cirque romain. Malgré l’annonce d’une candidature opposée à Kasselakis (celle d’Olga Gerovassili, un profil comparable à celui d’Achtsioglou en plus âgé), le congrès a repoussé in fine la proposition de tenue de nouvelles élections dans une caricature de délibération. Les médias ont abondamment parlé de farce, et comparé le congrès aux spectacles satiriques kitsch de la scène populaire du Pirée Delphinario.

Pourtant, que ce soit en termes d’image personnelle ou de stratégie, Kasselakis sort incontestablement renforcé de l’épreuve : débarrassé de toute opposition interne, il a rompu le lien symbolique avec Tsipras et mis un terme à toute velléité de son ancien leader d’interférer dans les affaires du parti. Il a désormais carte blanche pour mener au bout sa transformation de Syriza en parti libéral à l’américaine. Ses premières décisions ont consisté à mettre en place un schéma d’organisation d’inspiration explicitement entrepreneuriale : le parti est géré par son président, entouré de son staff et de plusieurs « think tank » thématiques.

Le projet de changement de nom n’est que reporté, sans doute pour le lendemain du scrutin de juin prochain. Reste à savoir si cette opération est en mesure d’améliorer la performance électorale, qui s’annonce calamiteuse, aux élections européennes. Les derniers sondages indiquent certes un léger redressement, et redonne à Syriza la deuxième place, légèrement devant le Pasok, mais à plus de vingt points derrière Nouvelle Démocratie et toujours sensiblement en-deçà du score de  juin 2013.

Même si lui-même s’en défend, et réclame à être jugé en fonction du résultat lors du prochain scrutin législatif (prévu pour 2027), le leadership de Kasselakis apparaît fragile. Mais on peut d’ores et déjà affirmer que sa mission historique est accomplie : la deuxième mort de Syriza est maintenant un fait accompli. Le passage de la tragédie à la farce laisse derrière lui une gauche exsangue et une société déboussolée, à la merci de démagogues sans scrupules, qui ne cachent même plus leurs liens avec les puissances d’argent. 

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Notes

[1] G. W. F. Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Paris, Vrin, 1979, p. 242.

[2] Ibid., p. 343.

[3] Les engagements en matière d’excédents budgétaires, de remboursement de la dette et de mise sous hypothèque du patrimoine public de la Grèce contractés en 2018 par le gouvernement Tsipras, lors de l’accord de « sortie » du 3e Mémorandum, courent jusqu’en 2060. Par ailleurs, le Trésor public de la Grèce, tout comme l’Institut de statistiques, sont devenus des autorités « indépendantes », placées sous le contrôle indirect de l’Union européenne. 

[4] Les partis grecs sont tenus d’inclure un quota de candidat.e.s de la diaspora depuis que le vote a été accordé, sous des conditions très restrictives, aux résident.e.s à l’étranger.

Source https://www.contretemps.

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