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Nous avons besoins de succès

“Nous avons besoin de succès” Leçons de Cuba, Brésil, Equateur et Grèce pour l’Etat espagnol Par Eric Toussaint , Fátima Martín 

“Il y a aujourd’hui des convergences entre des organisations politiques diverses (Podemos, Izquierda Unida, et d’autres organisations politiques comme Equo, CUP, BILDU |1| et des mouvements sociaux, la PACD (Plataforma Auditoria Ciudadana de la Deuda = Plateforme pour l’audit citoyen de la dette) et d’autres. Ce sont là les éléments fondamentaux du succès et nous avons besoin de succès. Nous ne pouvons pas échapper au succès. » c’est par ces mots qu’Eric Toussaint, porte-parole du CADTM International, a commencé son intervention lors de la « Rencontre des municipalités contre la dette illégitime et l’austérité » qui s’est tenue à Oviedo du 24 au 27 novembre |2|.

Lors de la conférence publique qui s’est tenue- et c’était délibéré- dans le Palais des Congrès connu sous le nom de ‘El Calatrava’, édifice monstrueux qui rappelle l’exubérance irrationnelle de la bulle immobilière espagnole et pour lequel Oviedo continue à payer une facture publique de plusieurs millions |3|, Eric Toussaint, en compagnie de la vice-maire d’Oviedo, Ana Taboada, et du chargé de l’économie et des finances de la ville de Madrid, Carlos Sánchez Mato, a partagé quelques “réflexions qu’il ne présenterait pas dans une conférence de presse”. Ce sont les leçons qu’il tire des expériences concernant la dette qu’ont vécues différents pays tels que Cuba, le Brésil, l’Equateur et la Grèce. Des leçons de victoires et de défaites qui viennent à point nommé pour appréhender la situation actuelle que vit l’Espagne.

Cuba a obtenu une réduction de dette de 80% après une suspension de paiement de plus de 30 ans auprès de Club de Paris.

Alors que le monde se réveillait avec la nouvelle de la mort de Fidel Castro, Radio Habana téléphonait à Eric Toussaint pour lui demander quelques mots, qu’il a répété à Oviedo : “Pour moi, Fidel représente la rébellion. A 27 ans, en 1953, il s’est lancé dans la lutte contre la dictature de Batista et a pris d’assaut la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba. Il a été emprisonné puis exilé à Mexico, d’où il est revenu en 1956 avec un groupe de révolutionnaires, en compagnie du Che. Son mouvement a su soutenir et provoquer une authentique révolution populaire qui a triomphé le 1er janvier 1959. Mais Fidel, pour ceux qui luttent sur la question de la dette, c’est aussi quelqu’un d’important. En 1985, il lançait un appel à la constitution d’un Front des peuples et des pays latino américains pour s’opposer à la poursuite du paiement de la dette |4|. Et il a exigé l’abolition des dettes des pays du Tiers-monde. Cuba a cessé le paiement de la dette en 1986. Quand en 2015 le Club de Paris a passé un accord avec Cuba sur une réduction importante de la dette |5|, il n’y a pratiquement pas eu de commentaires dans la presse internationale sur le fait qu’après une cessation de paiement de 30 ans, le pays soit parvenu à obtenir une réduction importante de la dette”.

Et de la victoire sur la dette de la Révolution cubaine, il est passé à « l’incohérence du PT » (le Parti des travailleurs du Brésil). “Le PT a participé activement à la lutte contre le paiement de la dette entre 1980 et 2000, et s’était associé à l’initiative pour la convocation d’un référendum populaire pour la suspension du paiement de la dette et la réalisation d’un audit pour en identifier la part illégitime afin de la dénoncer et d’en exiger la suspension du paiement. En septembre 2000, 6 millions de Brésiliens ont participé au référendum convoqué par une large coalition d‘organisations sociales et politiques (le Mouvement des sans terre, MST ; l’Audit citoyen de la dette, membre de Jubilée Sud et du CADTM ; la Centrale syndicale CUT ; le PT,…). 93% des votants se sont prononcés en faveur du non paiement. Mais le PT avait déjà amorcé un tournant inquiétant ; alors qu’il était à la tête de plusieurs villes importantes (Sao Paulo, Porto Alegre,…) il a décidé de désobéir au gouvernement central en ce qui concerne le paiement de la dette municipale illégitime. Il a pris cette orientation pour donner des garanties de bonne gestion crédible. Et il en a encore rajouté à la veille des élections présidentielles d’octobre 2002. Lula a signé en août en 2002 un accord avec le FMI, en disant que ‘si je suis élu président du Brésil, je respecterai le calendrier de paiement au FMI et aux créanciers’. Et cela a représenté un tournant fatal à l’orientation du PT. Cela explique aussi la situation des deux dernières années et le succès du coup d’état de la droite contre Dilma Rousseff. Le PT, qui a gouverné le Brésil à partir de 2003, a perdu l’important soutien populaire dont il a joui les premières années. Il l’a perdu parce qu’il a déçu le peuple en s’adaptant au système. Quand la droite a lancé le coup d’état parlementaire contre le PT, le peuple, déçu, ne s’est pas mobilisé pour défendre la présidente Dilma Rousseff”.

Victoire de l’Equateur contre les détenteurs de bons achetés à Wall Street

Le cas de l’Equateur de Rafael Correa est une autre success story concernant la dette : « L’élection de Correa a été le résultat de dix ans de mobilisation populaire. Et sur la base du travail de la Commission d’audit de la dette, le Gouvernement de l’Equateur a suspendu le paiement d’une partie de la dette et triomphé de ses créanciers en refusant de payer 3 milliards de dollars de dette aux banquiers. Et malgré toutes les menaces de représailles, il n’y en pas eu. Cela a été une victoire totale de l’Equateur contre les détenteurs de titres qui avaient acheté des bons souverains à Wall Street » |6|.

Eric Toussaint, coordinateur de la Commission Vérité sur la dette grecque, a insisté sur deux leçons à tirer de l’expérience décevante de la Grèce de Tsipras. La première c’est « la nécessité pour le mouvement citoyen de maintenir la pression sur les organisations politiques. Quand Syriza a intégré dans son programme électoral de 2012 la revendication de l’audit de la suspension du paiement de la dette, le Mouvement pour l’audit citoyen a baissé la pression. Et alors Syriza a changé d’orientation sans que le mouvement social ne se rende compte de cette funeste évolution ». L’autre leçon est « la nécessité d’avoir un programme radical et cohérent. Je suis absolument convaincu que si le gouvernement grec avait mis en œuvre, à partir de la fin du mois de février, un programme qui intègre la suspension du paiement, l’audit, une monnaie complémentaire, le contrôle du capital, la socialisation de la banque, l’abrogation des lois d’austérité, etc… il aurait pu tenir tête aux créanciers et à la Commission européenne (CE) avec le soutien du peuple. Car dans les pires conditions, 62% du peuple grec a refusé les exigences des créanciers et il était prêt à la confrontation et à l’expulsion de la zone euro » |7|.

“De l’importance d’une initiative au niveau du Parlement espagnol”

Pour en revenir à l’Etat espagnol, ici et maintenant, le politologue belge s’est référé au processus d’Oviedo : « L’initiative au niveau des municipalités est fondamentale. C’est une initiative historique, jamais ni en Europe ni sur les autres continents, une tentative de ce type n’a eu autant de succès dans sa phase initiale, comme celle de ces derniers mois. C’est une initiative très prometteuse. Il ne s’agit pas qu’une municipalité toute seule déclare le non paiement de la dette, mais de construire un front qui accroisse le niveau de conscience de la population et qui essaie de modifier le rapport de forces face à la politique du gouvernement central. Avec comme objectif, évidemment, de parvenir à un moment donné à des actes de désobéissance. Madrid est en train de le faire d’une certaine manière par rapport à la Loi Montoro qui renforce l’austérité afin de payer la dette. Mais si l’on veut modifier les rapports de force, il est également fondamental dans le cadre d’une stratégie alternative de porter la thématique au niveau des Communautés autonomes, de l’Etat central et du Parlement. A partir de la remise en cause des dettes au niveau municipal, je crois qu’il est important d’avoir une initiative au niveau du Parlement espagnol le plus rapidement possible ».

Pour Eric Toussaint, le niveau politique ne suffit pas, il faut également une mobilisation active des citoyens : « S’il n’y a pas de pression d’en bas, du mouvement citoyen, si cette dynamique ne se donne pas une orientation tout en accumulant des forces, il lui sera difficile de remporter des victoires. Cela va demander beaucoup d’énergie. Pour ne pas répéter l’expérience de la capitulation grecque et dire qu’en Espagne, au Portugal et dans d’autres pays d’Europe, nous allons réunir les conditions pour changer réellement le cours de l’histoire des prochaines années ».


« Il est impossible de rompre avec l’austérité sans désobéir »

Lors du débat, à la question posée par un des participants : “Peut-on passer, à l’intérieur de l’Union européenne, de la dette illégitime à son non paiement ? Personnellement je pense qu’un pays de l’UE ne peut pas le faire”, le porte-parole du CADTM a répondu : « Je poserais la question différemment. Est-il possible au sein de l’UE, en respectant les exigences de la Commission européenne (CE), de rompre vraiment avec l’austérité ? Tu dis qu’il y a de grandes marges. Personnellement, je ne le crois pas. Il est impossible de rompre avec l’austérité sans affronter la CE et sans désobéir clairement aux traités. Ils vont entrer en conflit avec toi, te pénaliser, etc. et la question sera alors si tu vas te soumettre ou pas, en tant que Gouvernement. Il faut se rappeler ce qui s’est passé en Grèce. Le Gouvernement grec n’a pas voulu la confrontation, il a continué à payer et dès le 4 février 2015, le président de la Banque Centrale Européenne (BCE), Mario Draghi, avait décidé d’empêcher l’accès des banques grecques à la ligne de crédit normale.

Nous serons certainement d’accord sur le fait qu’il est probable que Draghi ne puisse pas prendre pour l’Espagne le même type de mesures aussi brutales qu’il s’est permis de prendre avec la Grèce, mais il va essayer d’affaiblir le plus rapidement possible un gouvernement de gauche, progressiste, qui pourrait représenter une réelle alternative au niveau de l’Europe. La BCE ne voudra pas ouvrir une porte qui permettrait de rompre avec l’austérité, parce que l’orientation de la BCE n’est pas seulement idéologique, la BCE veut poursuivre ses attaques contre les lois du travail, les négociations collectives, etc. Je pense qu’il faut se préparer à une confrontation beaucoup plus dure que tu ne le crois. C’est pour cela que, le moment donné, des mesures comme l’audit qui menacent d’un non paiement constituent un élément fondamental pour construire un rapport de forces face aux autres pays et à la CE ».

Une monnaie complémentaire contre la dictature de l’euro et la BCE

D’autres questions ont porté sur le rapport entre la dette illégitime et le problème du système monétaire. A ce sujet, Eric Toussaint est revenu sur le débat sur la possibilité ou pas de réformer l’euro : “Mais on ne peut imaginer que l’Allemagne, la France et le Benelux qui tirent profit de l’euro tel qu’il est, puissent accepter une réforme de l’euro qui favoriserait les pays périphériques. Les grandes entreprises allemandes, françaises, belges et hollandaises, les institutions financières du Luxembourg, Autriche et Finlande ne l’accepteront pas”.

Pour finir, il s’est montré convaincu de « la nécessité, pour un gouvernement progressiste, de lancer une monnaie complémentaire, appelée monnaie fiscale, non convertible, permettant à un gouvernement de réaliser certains paiements afin d’affaiblir la dictature de l’euro et de la BCE. Mais sans doute dans certains cas la sortie de l’euro peut apparaitre comme une option possible à débattre sérieusement. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus l’ancien ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, et ses conseillers, James K. Galbraith et le jeune Daniel Munevar |8| : finalement ils auraient dû se préparer à une sortie de l’euro et cela n’aurait pas été aussi traumatisant qu’ils l’avaient pensé” |9|.


Traduit de l’espagnol par Lucile Daumas

http://www.cadtm.org/Nous-avons-besoin-de-succes-Lecons

Notes

|1| Des conseillers municipaux et des membres de Podemos, d’Izquierda Unida, de Equo (organisation politique écologiste faisant partie de UNIDOS PODEMOS avec Podemos et Izquierda Unida), de la CUP (organisation politique anticapitaliste et indépendantiste de Catalogne) et de BILDU (organisation indépendantiste au Pays basque et en Navarre) ont signé le Manifeste d’Oviedo et ont participé à la réunion d’Oviedo.

|2| Cette rencontre a été précédée du Manifeste d’Oviedo, signé par plus de 700 élus, maires, conseillers municipaux, députés des autonomies, nationaux ou européens, ainsi que par des personnalités internationales comme Susan George, Zoe Konstantopoulou, Yanis Varoufakis, Tariq Alí, James Petras ou James Galbraith et par des membres de mouvements sociaux. Dans ce Manifeste, les signataires s’engagent à soutenir la constitution d’un Front des municipalités, communautés autonomes et nationalités de l’Etat espagnol qui remette en cause la question de la dette illégitime, travaille pour son annulation et mette en place des audits citoyens de la dette des Administrations publiques. Après le rendez-vous d’Oviedo, une délégation du Front s’adressera au Parlement européen en mars 2017 et une nouvelle rencontre se tiendra à Cadix au mois de mai. manifiestodeoviedo.org

|3| Voir Fátima Martín, « Oviedo : Un exemple de dette illégitime, voire illégale, protégée par les tribunaux ». http://www.cadtm.org/Oviedo-Un-ejemplo-de-deuda

|4| Fidel Castro, « La dette ne doit pas être payée », publié le 26 de novembre 2016, http://www.cadtm.org/Fidel-Castro-La-dette-ne-doit-pas

|5| Daniel Munevar, Cuba : Qu’y a-t-il derrière les accords sur la dette avec le Club de Paris et les autres créanciers ? http://www.cadtm.org/Cuba-Qu-y-a-t-il-derriere-les publié le 11 janvier 2016.

|6| Voir Benjamin Lemoine, Eric Toussaint, « Des espoirs déçus au succès en Equateur, les exemples de l’Afrique du Sud, du Brésil, du Paraguay et de l’Equateur. » publié le 15 août 2016, http://www.cadtm.org/Des-espoirs-decus-au-succes-en

|7| Voir Benjamin Lemoine, Eric Toussaint, « Grèce : La Commission pour la vérité sur la dette, la capitulation de Tsipras et les perspectives internationales pour la lutte contre les dettes illégitimes », publié le 13 septembre 2016, http://www.cadtm.org/Grece-La-Commission-pour-la-verite

|8| Daniel Munevar, « Pourquoi j’ai changé d’avis sur le Grexit », publié le 28 juillet 2015, http://www.cadtm.org/Pourquoi-j-ai-change-d-avis-sur-le

|9| Voir Eric Toussaint, « Pour la prise de pouvoir par le peuple : Dix propositions afin de ne pas reproduire la capitulation que nous avons connue en Grèce », publié le 28 décembre 2016, http://www.cadtm.org/Pour-la-prise-de-pouvoir-par-le

 

Le pays où on travaille le moins…un cliché qui tombe

C Kaimakis : La Grèce au 4ème rang mondial des heures le plus travaillées par travailleur … l’Allemagne en dernier précédée par les Pays Bas … ça remet les pendules à l’heure !

Guillaume Duval : Parmi tous les pays de l’OCDE (le club des pays riches), devinez où on travaille le moins longtemps chaque année ????? Mmmmh… Vous donnez votre langue au chat ? C’est en Allemagne bien sûr (un tiers de moins qu’en Grèce notamment). Et ce n’est pas Alternatives économiques qui le dit et en fait un graphique mais bien l’OCDE elle-même…

La fin de l’euro selon le prix Nobel de l’économie

Pour le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, «la fin de l’euro n’est qu’une question de temps»

Joseph Stiglitz avait déjà formulé de lourdes critiques contre la monnaie unique il y a plusieurs années

Mal conçu au départ, ignorant les spécificités de chaque pays, entraînant l’Europe vers le déclin… L’économiste de renom dresse un portrait très sombre de l’euro, tout en jugeant très crédible l’hypothèse de sa disparition avant la fin de l’année.

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a publié le 30 décembre dernier une tribune dans le magazine Fortune dans laquelle il se montre très pessimiste sur l’avenir de l’euro, allant jusqu’à prédire que 2017 pourrait bien être l’année de l’effondrement du projet de monnaie unique.

Déjà il y a une vingtaine d’années, Joseph Stiglitz avait émis de sérieux doute sur la viabilité de la devise européenne. En 2016, à nouveau, il a sonné la charge contre la monnaie unique en publiant L’Euro : Comment une monnaie unique menace le futur de l’Europe. Il constate désormais que la zone euro s’est montrée incapable d’absorber le choc de la crise économique de 2008 dont elle subit encore aujourd’hui les conséquences. «Le résultat est que les pays riches s’enrichissent, les pays pauvres s’appauvrissent, et à l’intérieur de chaque pays, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent», a-t-il déploré.

Rappelant que l’Irlande et l’Espagne étaient en excédent budgétaire avant la crise, il souligne que «c’est donc la crise qui a provoqué l’endettement et non l’inverse». «L’euro s’est construit sur une croyance : celle selon laquelle, si les gouvernements maintenaient leur déficit sous les 3%, leur endettement sous les 60% et leur inflation sous les 2%, le marché garantirait la croissance et la stabilité – or ni ces chiffres ni la logique sur laquelle ils s’appuient n’ont de fondement dans la théorie ou dans la pratique», affirme-t-il. Finalement, l’euro était avant tout un projet politique, mais dépourvu de solidité économique.

Tout s’est fait sur «l’espoir que la discipline fiscale et monétaire permette une convergence». Or cet espoir était infondé, car il ignorait la «convergence intellectuelle» entre les différents pays, leurs différentes traditions et leurs différentes sensibilités. «Ce qui peut être perçu comme une bonne politique en Allemagne ne l’est pas forcément ailleurs, et ces différences sont très anciennes – je ne les ignorais pas moi-même lorsque je travaillais à l’OCDE», a-t-il regretté.

«L’Euro était un moyen pour une fin : il est devenu une fin en soi»

Outre les défaillances structurelles et le choc de la crise, les politiques conduites n’ont fait qu’accentuer les difficultés économiques de l’Europe. Joseph Stiglitz n’hésite pas à critiquer de manière assez sévère les politiques de rigueur mises en place dans certains Etats européens, en tête desquels l’Allemagne d’Angela Merkel. «L’austérité, dont l’Allemagne pensait qu’elle ramènerait rapidement la croissance, a misérablement échoué dans tous les pays où elle a été tentée : les conséquences étaient prévisibles et avaient été annoncées par la plupart des économistes sérieux du monde entier», note-t-il, dénonçant également l’échec contre-productif des réformes structurelles mises en place ailleurs.

L’austérité a misérablement échoué partout où elle a été tentée : les conséquences étaient prévisibles et avaient été annoncées

«La conséquence est donc que beaucoup de pays ont vu leur croissance flancher et leur balance commerciale basculer du mauvais côté», indique le prix Nobel, qui met ces piètres résultats en parallèle avec les objectifs initialement annoncés de prospérité et de stabilité grâce à l’euro. Si certains événements sont extérieurs, c’est pourtant bien l’euro qui en a aggravé leurs conséquences. Dernier exemple en date, la crise des réfugiés, qui a augmenté la pression sur des économies «où le taux de chômage est déjà élevé, et qui rechignent donc à voir arriver de nouveaux travailleurs pour des emplois bons marché».

«L’Euro était un moyen pour une fin : il est devenu une fin en soi» conclut Joseph Stiglitz, qui déplore le manque d’ambition et de perspective dans les réformes conduites. S’il émet l’idée que les gouvernements européens puissent se ressaisir et changer de cap, il estime néanmoins que «cela est désormais aussi probable que l’inverse, c’est à dire que les politiques décident d’y mettre un terme». A cela s’ajoute l’essor de forces politiques nouvelles que l’économiste qualifie de «dissidentes» par rapport aux «partis centristes de gauche et de droite» qui dirigent la plupart des Etats européens.

La conclusion de l’économiste, qui se refuse à faire toute prédiction dans le contexte d’incertitude actuelle, n’en demeure pas moins sombre pour la monnaie unique. «Ce n’est sans doute plus qu’une question de temps avant que l’Europe se retourne sur son passé et voie l’euro comme une expérience intéressante et pleine de bonnes intentions, mais ayant échoué – et cela au grand détriment des citoyens et de la démocratie».

https://francais.rt.com/economie/31623-pour-prix-nobel-economie-joseph-stiglitz-fin-euro-question-temps

Que faire en Europe ?

Que faire en Europe? Propositions de gauche

Publié: Jeudi, 12 Janvier 2017 17:06 Écrit par EReNSEP  European Research Network on Social and Economic Policy

L’Europe est entrée dans une phase critique . L’Union économique et monétaire (UEM) un manifeste et irrévocable échoué, les économies de la périphérie subissent une crise sévère, et les économies du centre stagnent. La monnaie unique est un instrument du capitalisme allemand pour un instaurer une politique économique mercantiliste au moyen du dumping des salaires, et pour le dicter – avec le soutien des autres économies du centre de l’UEM – des réformes structurelles qui provoquent la stagnation économique , La pauvreté et le chômage. Les grandes entreprises et les promoteurs du néolibéralisme se servent de la crise pour intensifier leur offensive contre les conquêtes sociales et démocratiques du XX e siècle. La capitulation de Syriza en Grèce a montré que l’UEM comme l’Union européenne (UE) constituant des obstacles majeurs à toute tentative de modifier l’ordre du jour néolibéral qui domine en Europe. L’austérité, le néolibéralisme, les actions commerciales de libre échange, les unions au mépris des institutions européennes pour les droits fondamentaux et la démocratie ont conduit à une crise de légitimité sans précédent de l’UE.

Prenons pour exemple les résultats des trois derniers référendums liés à l’enjeux européens. En Grèce, le 5 juillet 2015, une décision de rejeter les conditions attachées au troisième mémorandum proposé par la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Au Royaume-Uni, le 23 juin 2016, la majorité a choisi de quitter l’Union européenne, exigeant ainsi de facto la réversibilité du processus d’intégration européenne. En Italie, lors du référendum du 4 décembre 2016, une grande majorité a rejeté une réforme constitutionnelle antidémocratique et favorable aux marchés financiers en dépit de l’appui déclaré et unanime des institutions européennes à la réforme, forçant le premier ministre pro-UE , Matteo Renzi, à démissionner. Le rejet des institutions européennes n’a pas encore été aussi manifeste au sein des pays membres de l’UE.

La colère et l’indignation ne cessent de monter chez les travailleurs en Europe. Malheureusement, c’est à ce jour la xénophobie croissante, l’extrême droite et même le fascisme qui en bénéficient. La gauche européenne paie le prix de son soutien malavisé à l’UEM, ainsi que le tabou de la rupture avec le cadre de gouvernance de l’UE et avec le mode d’intégration néolibérale des pays membres. Si nous ne voulons pas que le futur de l’Europe soit dominé par le néolibéralisme et l’extrême droite, il faut nous libérer – aux niveaux locaux, nationaux et internationaux – de la cage d’acier des politiques et des traités imposés par Les institutions européennes.

Que devrait faire la gauche?

Sur la base des propositions discutées lors de la deuxième conférence internationale du réseau ERENSEP 1 , et dans le prolongement du dernier Sommet international pour un Plan B en Europe 2 ,

  1. La priorité principale est de mettre fin à l’austérité et de créer des emplois de qualité. Ce devrait être le cœur de la politique économique de la gauche. Cependant, nous ne sommes pas convaincus de notre capacité à atteindre les objectifs que nous attendons d’une stratégie concrète, permettant de régler les déséquilibres majeurs entre les économies des pays européens et d’ouvrir ainsi la possibilité d’une transformation écologique et démocratique L’industrie et de l’agriculture. Nous ne pourrons pas répondre aux besoins sociaux des peuples d’Europe et faire face aux défis environnementaux du continent si nous ne disposons pas d’une stratégie telle, claire et réaliste. Il importe en priorité de mettre en œuvre un programme d’investissement public massif afin de stimuler la demande et de reprendre le pouvoir aux grandes entreprises et aux banques. C’est ainsi que nous pourrons reconstruire et élargir les services publics et la protection sociale.
  2. Les politiques économiques radicales requièrent la souveraineté monétaire. Le carcan des traités européens et des directives et mécanismes de l’UEM a été construit en vue d’ensemble toute autre stratégie que celle de l’austérité et de la libéralisation économique. Pour en finir avec l’austérité, il est nécessaire de reprendre le contrôle démocratique de la création monétaire et des banques. Tout gouvernement de gauche en Europe doit commencer par désobéir à Traités européens et se préparer à une confrontation durable avec les autorités européennes, en mettant en œuvre une stratégie économique cohérente pour gérer ce conflit. La gauche doit se préparer à créer des monnaies, et elle ne doit pas avoir peur d’annuler la dette publique. Ce qui est politiquement légitime et nécessaire d’un point de vue économique. Elle proposera la nationalisation et la socialisation des banques pour reprendre le contrôle démocratique de l’économie. La gauche doit également proposer un nouveau cadre pour contrôler les flux de capitaux en Europe et réguler les taux de change ainsi que les excédents et les déficits commerciaux entre pays européens. Ces mesures sont tout à fait réalisables et la gauche doit défendre avec confiance. L’essentiel est d’élaborer une stratégie de fin d’action avec l’austérité et de renforcer la solidarité entre les mouvements sociaux des différents pays. Si nous ne sommes pas prêts à mettre en œuvre ces mesures, sur la base des réalités nationales et avec le soutien d’une alliance des forces de la gauche des différents pays, nous ne pourrons pas libérer de l’austérité et du néolibéralisme.
  3. Ces politiques économiques radicales sont également inséparables de l’exigence de souveraineté populaire et de démocratie. Les institutions de l’Union européenne n’ont jamais été démocratiques ni au service des peuples européens. Elles font partie d’une machine politique conçue pour mettre en œuvre un ordre économique favorable aux entreprises transnationales, à la privatisation systématique des services publics et des autres biens publics et à l’érosion de la protection sociale. Le régime néolibéral de libre échange promu par l’Union européenne rendre toute forme de souveraineté populaire impossible. Il est nécessaire de rompre avec les accords de libre échange et les traités qui ont été imposés aux pays membres de l’UE. Affronter les institutions de l’UEM et refuser d’appliquer les directives néolibérales et les Traités européens constitutifs des moyens nécessaires pour mettre en œuvre des politiques économiques progressistes et régir le contrôle démocratique de l’économie. Ces mesures sont également indispensables pour développer la forme nouvelle de la coopération en matière de politique sociale, la solidarité internationale, la démocratie et la soutenabilité environnementale. Nous devons soutenir le processus constitutionnel des régimes politiques authentiquement démocratiques. Nous devons également encourager l’auto-organisation et la mobilisation.

Les nuages s’amoncellent au-dessus de l’Europe. Mais, si la gauche retrouve du courage politique, il est encore temps pour elle de reprendre la direction des évènements. La gauche doit renouveler et affiner ses propositions économiques, sociales et politiques. Elle doit se souvenir qu’elle tire sa force de la défense de la démocratie, de la souveraineté populaire, des intérêts des travailleurs et des travailleurs et des opprimés. Et elle doit se préparer à une rupture radicale avec le carcan néolibéral imposé par les Traités de l’Union européenne et par l’Union économique et monétaire.

  1. La deuxième conférence internationale du réseau EReNSEP, intitulée «La France et l’Europe après le Brexit», s’est tenue à Paris les 2 et 3 décembre 2016 (voir ici)
  2. Voir ici le «Communiqué pour un Plan B permanent en Europe» après le troisième Sommet international pour un Plan B en Europe les 19 et 20 novembre 2016 à Copenhague. Le Sommet du Plan B aura lieu à Rome les 11 et 12 mars 2017.

Les signataires

Josep Maria Antentas (Professeur de sociologie à l’Université autonome de Barcelone, Espagne)

Jeanne Chevalier (Parti de gauche, Secrétaire nationale à l’économie, France)

Eric Coquerel (Parti de Gauche, Coordinateur politique, France)

Alexis Cukier (Ensemble !, Equipe d’animation nationale, France)

Fabio De Masi (Député européen, Die Linke, Allemagne)

Sergi Cutillas (Chercheur en économie au Centre de recherche Ekona, membre de la Plateforme pour un audit citoyen de la dette, Espagne)

Cédric Durand (Maître de conférences en économie, Université Paris XIII, France)

Guillaume Etiévant (Parti de gauche, ancien Secrétaire national à l’économie, France)

Stefano Fassina (Député au Parlement italien, Sinistra Italiana, Italie)

Heiner Flassbeck (Professeur honoraire d’économie et de sciences politiques à l’Université de Hambourg, Allemagne)

Constantinos Gavrielides (Conseiller régional et membre de la Commission économique de la région de l’Ouest, Grèce)

Marlène Grangé (Ensemble !, France)

Sabina Issehnane (Maître de conférences en économie, Université de Rennes 2, France)

Costas Lapavitsas (Professeur d’économie à l’Université de Londres, ancien député Syriza, Grèce)

Moreno Pasquinelli (Programma 101, Italie)

Jean-François Pellissier (Ensemble !, Porte-parole, France)

Laura Raim (Journaliste indépendante, France)

Patrick Saurin (BPCE Sud, Porte-parole, CADTM, France)

Eric Toussaint (CADTM, Porte-parole du réseau international, Belgique)

Aurélie Trouvé (Maître de conférences en économie, Agrosup Dijon, France)

Miguel Urbán (Député européen, Podemos, Espagne)

Christophe Ventura (Chercheur en relations internationales, membre du Chapitre 2, France)

Frédéric Viale (Docteur en droit, membre du Chapitre 2, France)

Sébastien Villemot (Economiste à l’OFCE, France)

Grigoris Zarotiadis (Professeur associé à l’Ecole d’Economie et des Sciences Politiques de l’Université Aristote de Thessalonique, Grèce)

Vous trouverez en ligne les vidéos de la conférence « La France et l’Europe après le Brexit ».

 

Italie : un « non » pour dire « basta » à l’Europe

Par Romaric Godin   5/12/16

  L’Italie a dit « non ». Pourquoi ? Le non massif des Italiens à la réforme constitutionnelle de Matteo Renzi révèle l’échec de la politique de réformes promue par la zone euro et, plus généralement, du fonctionnement actuel de l’Europe.

La victoire du « non » au référendum italien est sans appel. Près de 60 % des électeurs qui se sont exprimés ont rejeté la réforme constitutionnelle de Matteo Renzi. C’est bien davantage que ce que prédisaient les sondages : le rejet est franc et massif. Et ce rejet touche au cœur de la logique de la zone euro. Evidemment, on peut, comme à chacun des référendums où l’Europe était au centre des débats et où elle a perdu, trouver des voix de contournement pour pouvoir « continuer comme avant » : le débat ne portait pas sur l’Europe et l’euro, Matteo Renzi a trop personnalisé l’enjeu, les électeurs, dans les référendums, répondent, comme le notent dès ce matin un communiqué des presse du groupe des eurodéputés français, dans les référendums « à beaucoup de questions, surtout celles qui ne leur sont pas posées ». Bref, on peut essayer de regarder ailleurs et tenter de tout faire pour contourner le résultat comme après les trois autres référendums perdus par l’UE depuis juillet 2015 en Grèce, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

Pourquoi les Italiens ont répondu à la bonne question

Mais on peut aussi prendre au sérieux la décision nette du peuple italien. Ce « non » pourrait bien être un « non » à la réforme constitutionnelle elle-même. D’abord pour ce qu’elle contenait, ensuite pour ce qu’elle incarnait sciemment. Ce qu’elle contenait d’abord. La réduction du Sénat italien au rang d’une chambre secondaire « à la française » accompagnée d’une loi électorale (« l’italicum ») permettant de dégager des majorités à la chambre, a été perçu par les Italiens comme un déni de démocratie. Depuis vingt ans, l’Italie s’est engagée dans un difficile processus de décentralisation qui était, ici, réduit par un Sénat représentant les régions composés d’élus au suffrage indirect et réduit au rang de spectateur des grandes décisions. Ce renforcement du pouvoir central est mal perçu dans un pays qui s’en méfie naturellement et qui a mis bas en 1992 à la « partitocratie » pour obtenir plus de démocratie, pas moins.

Surtout, chacun savait pourquoi cette réforme était essentielle, pourquoi elle était en réalité « la mère de toutes les réformes ». C’est parce qu’elle était réclamée par les marchés et les autorités européennes. Voici des années que le Sénat est l’élément sur lequel les analystes et les économistes de marché se focalisent : ce serait lui qui empêcherait la « formation d’un gouvernement stable » en Italie. Les Italiens savent parfaitement pourquoi ces pouvoirs extérieurs souhaitent un « gouvernement stable », c’est pour imposer des « réformes » économiques et la politique économique d’ajustement unilatéral de la zone euro. Voici pourquoi ce référendum était bien un référendum sur la zone euro, même et surtout si l’on votait sur le contenu de la réforme elle-même.

L’échec politique de l’UE

La zone euro paie alors ici une série d’échecs. Le premier est politique. Les commentateurs européens ont soigneusement oublié de rappeler un événement qui a été en réalité au cœur de la campagne : le changement de gouvernement du 12 novembre 2011. Ce jour-là, Silvio Berlusconi, président du Conseil, bénéficiant de la confiance de la chambre et du… Sénat, était remercié de facto par la BCE. La Banque centrale menaçait en effet de ne plus soutenir l’Italie sur les marchés si le gouvernement ne changeait pas, si son successeur n’acceptait pas une « politique de réforme » soutenue par une « grande coalition ». Mario Monti, ancien commissaire européen, prit alors les rênes du Palais Chigi, le siège de la présidence du Conseil, dans un moment qui fut interprété par beaucoup comme un coup de force antidémocratique. La politique de Mario Monti fut un désastre qui maintint l’Italie dans sa pire récession de l’après-guerre. C’est précisément cela que les Italiens ont décidé d’empêcher à nouveau ce 4 décembre et voulant conserver un Sénat qui, certes, peut être une source d’instabilité, mais qui est aussi une garantie démocratique minimale contre un nouveau coup de force. La zone euro peut aujourd’hui se lamenter : elle est payée de retour de la monnaie de sa pièce versée voici quatre ans.

L’échec des « réformes »

Le deuxième échec de la zone euro révélé par ce « non » italien, c’est le désastre de la « politique des réformes structurelles » dont la réforme constitutionnelle, rappelons-le, n’avait pas d’autres fonctions que de faciliter la mise en œuvre future. L’Italie n’est pas davantage que la France, le pays « irréformable » que l’on veut bien présenter. Les gouvernements Monti, Letta et Renzi ont procédé à de vastes réformes institutionnelles et économiques. Et le résultat est pour le moins décevant : l’Italie demeure économiquement en panne. Le revenu disponible a reculé depuis 2008 de 12%, le chômage, jadis à moins de 8%, reste au-delà de 11,5% et demeure des plus préoccupants chez les jeunes. L’investissement est faible et l’outil industriel a été fortement réduit. Tout cela alors que le coût salarial a reculé de 5,7 % depuis 2010.  Ces « réformes » n’ont contribué qu’à un affaiblissement de la demande intérieure italienne. Or, Matteo Renzi paie logiquement le prix fort de ce rejet, lui qui s’est présenté comme le chef de file européen de la « réforme » et de la « modernité » et qui est allé vendre en France son « Jobs Act » comme un modèle. Or, le Jobs Act a créé des emplois précaires et souvent mal payés. Surtout, il n’a pas été capable, une fois les subventions massives ôtées, de faire baisser suffisamment le chômage, ce qui est logique au regard de la faible demande intérieure alors précisément que ces emplois créés l’étaient dans les services, donc dans des activités « intérieures ». Pourquoi alors, les Italiens auraient-ils donné un blanc-seing à une politique de réformes aussi peu convaincante.

L’argument du seul « modernisme » ne suffit plus

L’argument creux du « modernisme » ne fonctionne plus, pas davantage que celui qui estime qu’il faut « plus de réformes » lorsque les « réformes » ne fonctionnent pas. Ici, c’est bien encore un des moteurs de la politique européenne qui est mis en cause par les Italiens : celui de l’ajustement unilatéral au sein de la zone euro. L’Italie est une des principales victimes de l’euro : son PIB nominal en euros constants est inférieur à celui de 2000, son PIB par habitant est proche de celui de 1997. Cette stagnation économique s’explique beaucoup par l’aspect non-coopératif de l’Allemagne, souvent un des principaux concurrents de l’Italie. La modération salariale excessive de l’Allemagne en 2000-2010 a pénalisé le secteur exportateur italien, conduisant, grâce à la bulle financière d’alors à une croissance financée par l’endettement privé et public. Puis, l’application de l’austérité a achevé l’incapacité de l’Italie à s’adapter, sauf au prix de sacrifices insoutenables, aux conditions de la zone euro.

Rejet de la stratégie Renzi

Les Italiens sont conscients de cette situation et le « non » est aussi une sanction à la stratégie politique de Matteo Renzi, celle qui considère que les réformes sont un moyen de renforcer l’Italie dans la zone euro et de la faire changer. Le président du Conseil a maintes fois échoué dans ce but : sa présidence européenne en 2014 s’est révélé un désastre et il n’est pas parvenu, comme il l’avait promis à sortir les investissements publics du calcul du déficit dans les critères de Maastricht. Ses nombreux bras de fer avec Bruxelles ont parfois été gagnés, mais ils relavaient surtout du spectacle. Les quelques milliards d’euros gagnés sur le budget n’effaçaient pas les effets des « réformes » ou la paralysie du système bancaire à laquelle conduit l’application de l’union bancaire. Chacun sait en Italie que la seule réforme d’importance de la zone euro est celle où l’Allemagne acceptera de recourir aux investissements publics, y compris de transferts, et de réduire son excédent courant de plus de 8 % du PIB qui asphyxie ses partenaires. Or, les gros yeux de Matteo Renzi et la bonne volonté réformatrice des Italiens n’ont rien changé de ce point de vue. Pourquoi alors accepter une réforme qui inscrirait dans le marbre constitutionnel cette stratégie ? Matteo Renzi a échoué où François Hollande a échoué et où, s’il suit son programme, François Fillon échouera : croire que l’on peut amadouer l’Allemagne avec des réformes ne saurait conduire qu’à des désastres politiques, sans vrai changement pour la zone euro.

Réfléchir sur le « basta » italien

La défaite de la réforme constitutionnelle italienne a donc bien une logique. Et cette logique est le fruit des erreurs répétées des dirigeants européens et italiens. Ce « non » envoyé à la face de l’Europe déchire encore un peu plus le voile de la pseudo-magie des « réformes » et prouve encore un peu plus que la zone euro s’est engagée sur un chemin dangereux. Les Italiens ont dit « basta » à une logique politique et économique à l’œuvre depuis 2010. Traiter ce vote comme un simple risque financier que la BCE devra contenir ou comme une simple crise gouvernementale italienne serait une nouvelle erreur. Le « non » ne conduira pas immédiatement à l’éclatement de la zone euro. Mais détourner la tête ou, encore, une fois, vouloir casser le thermomètre pour casser la fièvre comme le suggérait récemment Jean-Claude Juncker, qui recommandait d’en finir avec les référendum, serait prendre un risque considérable. Jadis le pays le plus europhile du continent, l’Italie est désormais un des plus europhobes. Si la zone euro ne s’interroge pas sérieusement sur les raisons de cette métamorphose, ses jours sont en danger.

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/italie-un-non-pour-dire-basta-a-l-europe-622191.html

Retour sur les rencontres euro-méditerranéenne de l’Economie des travailleurs

La deuxième rencontre euro-méditerranéenne de l’ « économie des travailleur-se-s» a eu lieu à Thessalonique, dans les locaux de l’usine autogérée de VioMe du 28 au 30 octobre 2016. Les travailleurs et travailleuses de VioMe occupent les locaux de l’usine depuis 2011 et ont relancé la production de produits ménagers (savons, détergents). Si la production se poursuit, elle est aujourd’hui menacée par les tentatives de vente aux enchères des propriétaires « légaux » du terrain et des bâtiments. Jusqu’à présent, la mobilisation des VioMe a permis de l’empêcher. Les travailleuses et travailleurs de VioMe ont mis en place un véritable modèle autogestionnaire : décisions collectives prises en assemblées générales, mise en place de réseaux de soutien et de distribution solidaires, création au sein même de l’usine d’un dispensaire social autogéré. De plus, VioMe travaille en lien avec le dispensaire autogéré de Thessalonique et les réfugié-e-s du camp situé à proximité de la ville. Ils montrent qu’on peut tisser des liens à travers des pratiques autogérées et concrètement, l’esquisse d’une autre société qui fait le lien entre travailleurs et travailleuses, exploitées, migrant-e-s et plus généralement victimes de la crise que les capitalistes veulent nous faire payer à leur place.

Ces rencontres s’inscrivent dans un réseau international initié en 2007 lors de la première rencontre organisée en Argentine, à l’initiative du programme Facultas abierta de l’université de Buenos Aires. Lors de la 4e édition en juillet 2013 à Paraíba (Brésil), le principe de l’organisation de rencontres régionales entre deux rencontres mondiales a été acté. Les premières réunions régionales ont eu lieu en 2014 en France, en Argentine et au Mexique. Conçues avant tout comme des espaces de débat et de rencontres entre des travailleur-se-s, des chercheur-se-s et des militant-e-s sociaux et politiques autour des problématiques qui concernent les luttes des travailleurs et des travailleuses pour l’autogestion. Les mouvements de reprise des entreprises sont non seulement pratiques mais porteurs de théorie. Il est donc essentiel d’articuler les pratiques des entreprises récupérées et les apports des chercheurs. Elles s’intitulent « Économie des travailleurs » pour élargir le mouvement aux multiples formes de luttes du monde du travail qui pourraient s’y agréger. Elles visent également à contribuer à la construction d’alternatives face à la crise provoquée par le capitalisme mondialisé.

Cette rencontre faisait donc suite à la première rencontre européenne qui a eu lieu début 2014 à Gémenos chez les Fralib (désormais Scop TI), alors en lutte, qui avait réuni 200 participant-es. Avec 500 participant-es aux rencontres de Thessalonique, la progression est évidente. Étaient présent-es des représentant-e-s d’entreprises autogérées, d’organisations syndicales, d’associations et des universitaires, venu-es de l’État espagnol, du Pays basque, de Catalogne, d’Italie, de France, d’Allemagne, de Croatie, de Serbie, de Bosnie, de Grande-Bretagne, de Pologne, de Turquie et bien sûr de la Grèce. En outre, y assistaient aussi des délégations d’Argentine et du Mexique, faisant le lien avec la rencontre sud-américaine qui s’était tenue la semaine précédente (du 20 au 22 octobre) en Uruguay et celle d’Amérique du Nord et centrale fixée la semaine suivante (du 3 au 5 novembre). Ces trois rencontres s’inscrivent dans la préparation de la réunion mondiale biennale qui se tiendra en août ou septembre 2017 à Buenos-Aires. Les délégué-es d’usines récupérées (terme utilisé en Amérique latine) venaient aussi d’Italie, de Serbie, de Croatie, de Bosnie, de Turquie, de l’État espagnol et de Grèce. Des organisations syndicales défendant les valeurs de l’autogestion étaient présentes : Solidaridad Obrera (Etat espagnol), ELA (Pays basque), RIS (Croatie), IP (Pologne) et l’Union syndicale Solidaires.

La délégation française était étoffée et plurielle. La SCOP-TI (ex-Fralib) était bien sûr représentée mais aussi les Amis de la Fabrique du sud (ex-Pilpa) de Carcassonne, une importante délégation de l’Union syndicale Solidaires, des syndicalistes CGT, des associations telles qu’Attac ou le RIPESS, deux journalistes dont un de Politis, sans parler de la présence de différent-es adhérent-es de l’Association Autogestion.

La délégation française autour de nos interprètes Sheila et Dorothée, sans qui ces rencontres n’auraient pas été possibles. Un grand merci.

Ces journées ont été très riches en débats et en réflexions, non seulement sur les principes de l’autogestion, mais aussi sur leur application concrète et les liens entre entreprises autogérées, syndicats et associations. Après une première journée portant sur la présentation de dix entreprises récupérées, les débats de la seconde journée se sont focalisés sur les occupations d’usines, les valeurs et relations dans l’autogestion, les caractéristiques d’une économie des travailleurs militante et alternative, l’autogestion en dehors de la sphère productive, la place de l’autogestion dans la transformation sociale, la place des syndicats et des structures de soutien, les réseaux locaux et internationaux d’entreprises récupérées ainsi que la réappropriation du bien public.

Présentation des entreprises récupérées de Croatie, Bosnie et Serbie

Les travailleurs de VioMe ont pris l’initiative de réunir séparément les travailleurs des entreprises récupérées présentes pour travailler sur quatre thèmes (voir leur appel en encadré) :
– Qu’est-ce qu’une économie des travailleurs ? Quels en sont les critères ?
– Mise en place d’un fonds de solidarité entre entreprises récupérées.
– Pratiques et fonctionnement des coopératives.
– Échanges de produits entre entreprises récupérées.

Yves Baroni, délégué de la Scop-TI

Cette initiative nous paraît essentielle et d’une nature profondément autogestionnaire pour la suite du processus de ces rencontres : les premiers concernés sont en effet les plus à même de définir le périmètre de ces rencontres ainsi que ses objectifs. Malheureusement, cet appel a été mal relayé en amont dans les différentes entreprises participantes. Si un accord de principe se fait jour sur le contenu d’une « économie des travailleurs » et l’exigence qu’ils ont à l’égard de la forme coopérative, celui-ci devra être validé dans les différentes entreprises participantes. Il a par ailleurs été convenu de renforcer les relations bilatérales de distribution de produits entre entreprises afin d’aller progressivement vers un réseau mutualisé.

Il convient de saluer la remarquable organisation et le travail préparatoire réalisé par nos camarades grecs depuis des mois qui ont largement contribué à la réussite de cette rencontre, tant du point de vue programmatique que logistique.

Pour l’Association Autogestion, cette seconde rencontre régionale a indéniablement été un succès. L’enjeu de ces rencontres est de constituer un réseau permanent – qui ne se limite pas à l’organisation de celles-ci tous les deux ans – susceptible d’engager un processus politique autour du concept d’économie des travailleurs et de solidarité active entre les expériences. L’Association Autogestion y contribuera au regard de ses capacités et de ses spécificités en continuant de mobiliser différents acteurs en France.

Après les deux premières éditions en France et en Grèce, la prochaine rencontre euroméditerranéenne se déroulera en Italie dans les locaux de Rimaflow à Milan en 2018.

Les propositions de VioMe pour l’assemblée des entreprises récupérées lors de la seconde rencontre « L’économie des travailleurs » du 30 octobre 2016L’expérience négative du fonctionnement des coopératives agricoles (qui sont les exemples les plus connus de coopératives en Grèce) nous montre que nous devons expérimenter des pratiques nouvelles et différentes concernant notre travail de tous les jours, nos modes de décision ainsi que nos droits et devoirs en tant qu’entreprise autogérée.

Nous, les travailleurs de VioMe et les participants de cette assemblée, voudrions faire des suggestions afin de répondre aux problèmes qui se posent dans la gestion des coopératives. Nous souhaiterions que ces suggestions soient débattues dans les assemblées des autres entreprises récupérées afin que vous veniez à la seconde rencontre euroméditerranéenne « L’économie des travailleurs » avec vos propres suggestions, dans l’objectif d’élaborer des positions communes et de prendre des décisions partagées.

Les quatre sujets que nous voudrions aborder sont les suivants :

1. Le sens du coopérativisme. Selon nous, il ne devrait pas y avoir de distinction entre les travailleurs et les sociétaires dans une coopérative. La distinction entre ceux qui travaillent et ceux qui détiennent des actions est une caractéristique d’une entreprise classique telle qu’une SA qui ne doit pas être reproduit dans une coopérative. Au lieu de cela, nous suggérons que chaque travailleur soit sociétaire et que chaque sociétaire soit un travailleur.

2. Nous voudrions relancer une idée qui avait été émise dans la précédente rencontre « Économie des travailleurs » de Marseille : la constitution d’un fonds commun, d’un fonds d’aide mutuel entre entreprises récupérées et toute coopérative qui souhaiterait y participer. Nous proposons la création d’un compte commun dans lequel nous pourrions déposer – par exemple – 1 % du chiffre d’affaires annuel. Ce fonds pourrait être utilisé pour aider toute entreprise en difficulté financière ou pour aider à établir de nouvelles coopératives qui nécessitent du financement.

3. Nous voudrions échanger des idées sur le fonctionnement des coopératives. Même si nous ne pouvons prendre des décisions sur ce sujet dans le cadre de cette rencontre, ce type de discussion peut nous aider à avancer et commencer un dialogue entre entreprises récupérées et collectifs qui pourrait déboucher sur des décisions lors de la prochaine rencontre.

Nous, les travailleurs de VioMe, pensons que la seule structure de décision doit être l’assemblée des travailleurs et que celle-ci doit conditionner les divers comités exécutifs qui mettront en pratique les décisions de l’assemblée. Les membres de la direction sont des délégués qui ne doivent pas se substituer à l’assemblée ; ils sont révocables et contrôlés par l’assemblée durant leur mandat. Ils ne sont pas nécessairement membre du conseil d’administration.

4. La proposition de soutien mutuel entre entreprises récupérées doit aussi prendre la forme d’un réseau commun de distribution. Nous pourrions trouver des moyens de distribuer les produits des autres entreprises par nos réseaux locaux. Par exemple, nous pouvons distribuer les thés Scop-TI en Grèce et vice versa. Cette distribution réciproque ne devra pas seulement être prise en charge par deux entreprises, mais par un réseau logistique ouvert qui permettrait la distribution des produits des entreprises récupérées à travers toute l’Europe et qui nous permettrait d’économiser les frais d’expédition. Il est, de ce point de vue, intéressant de s’inspirer des pratiques de nos collègues de RiMaflow.

Nous le voyons comme un réseau qui regrouperait toutes les entreprises intéressées, qui pourrait mettre en place des stocks à des endroits adéquats à partir desquels les produits pourraient être distribués à travers toute l’Europe, et de créer une boutique web qui pourrait faciliter les ventes Internet. En se développant, ces activités créeront des emplois pour les chômeurs.

Nous proposons une réunion ouverte de l’assemblée des entreprises récupérées dimanche 30 octobre, troisième jour de la rencontre « L’économie des travailleurs », afin de discuter de ces sujets – ou de tout autre que vous voudriez proposer à votre réseau – et chercher à obtenir une position consensuelle qui nous permette d’initier des actions communes.

Pour cela, nous suggérons que les assemblées des différentes entreprises récupérées discutent les questions sus-mentionnées et nomment des délégués pour participer la la rencontre du 30 octobre.

Dans l’attente de vous retrouver.

Solidairement,

Les membres de la coopérative de travailleurs de VioMe.

Une vidéo d’ambiance relative à la rencontre de Thessalonique : https://youtu.be/I1A65yM1tAo

 

 

Le débat A Badiou S Kouvelakis du 31 oct 2016

 « De Syriza à Nuit Debout: le printemps des peuples européens est-il déjà terminé? ».

Face à Alain Badiou, l’invité de l’émission Contre-Courant, ce lundi 31 octobre, était Stathis Kouvelakis, professeur de philosophie au King’s College de Londres et ancien membre du comité central de Syriza en Grèce.

L’émission a été enregistrée en public au théâtre de la Commune à Aubervilliers, et mise en ligne sur le site. Durée: environ 1h30.

L’euro une erreur historique selon Otmar Issing

La Banque centrale européenne a vu son influence dangereusement renforcée, et l’ensemble du système monétaire axé sur l’euro devient insupportable dans sa forme actuelle, vient de prévenir un des fondateurs de l’union monétaire en personne, Otmar Issing, 80 ans, premier économiste en chef de la BCE et acteur central lors de l’élaboration de la monnaie unique.

« Un jour ou l’autre, ce château de cartes va s’effondrer », a tranché cet économiste allemand ancien membre du comité exécutif de la BCE et conseiller de Goldman Sachs. Pour lui, l’euro a été trahi par les dirigeants politiques. Il déplore que l’expérience ait été pervertie dès son origine et ait dégénéré dans un fiscalisme débridé qui, une fois de plus, provoque de graves pathologies, écrit Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph. >

Le système de l’euro est chaotique, accumulant les crises

« D’un point de vue objectif, c’est un exemple de système chaotique, titubant d’une crise à une autre ; il est difficile de prévoir combien de temps cela va encore durer, mais cela ne peut pas être éternel », a déclaré Issing au journal Central Banking, dans une remarquable analyse critique du projet qu’il a lui-même contribué à mettre en place.

Ces propos rappellent que la zone euro n’a jamais résolu la question de son incohérence structurelle. Une combinaison trompeuse de pétrole bradé, d’assouplissement quantitatif et d’une moindre austérité fiscale a masqué cet état de fait, assure-t-il, mais les situations temporaires finissent rapidement par disparaître.

La monnaie unique va de nouveau être mise à l’épreuve lors du prochain ralentissement conjoncturel, sous-tendu cette fois par des dettes, un chômage élevé et une plus grande usure des régimes politiques. Le professeur Issing critique sévèrement la Commission européenne, estimant qu’elle est l’émanation de forces politiques qui ont renoncé à faire appliquer les règles. « La question morale est prépondérante », estime-t-il.   

Otmar Issing accuse la Commission européenne

La BCE achète désormais des emprunts d’entreprises qui sont presque du papier à hauts risques, et ces réductions de dettes peuvent quasiment s’assimiler à une baisse de la note de crédit. La Banque centrale européenne « est sur une pente glissante » et, du point de vue de M. Issing, a compromis l’avenir de la monnaie unique en refinançant les Etats en faillite, en violation flagrante des traités européens : « Le Pacte de croissance et de stabilité a plus ou moins échoué. La discipline de marché a disparu avec les interventions de la BCE. Il n’existe pas de mécanisme de contrôle fiscal pour les marchés et les gouvernements. Autant d’éléments qui préparent l’effondrement de l’union monétaire. » « La clause de non-sauvetage est violée chaque jour », ajoute-t-il, qualifiant le feu vert donné par la Cour européenne de justice aux mesures de refinancement de « borné » et d’« idéologique ».

« La BCE a franchi le Rubicon » et se retrouve dans une position intenable, tentant en vain de concilier ses rôles contradictoires de régulateur bancaire, de soutien de la Troïka dans ses missions de sauvetage et d’agent de la politique monétaire. Son intégrité financière est de plus en plus menacée. La BCE détient d’ores et déjà plus de mille milliards d’euros en obligations achetées contre des taux d’intérêt « artificiellement bas » voire négatifs, entraînant d’énormes moins-values quand les taux d’intérêts repartiront à la hausse. « Une sortie de la politique d’assouplissement quantitatif devient de plus en plus difficile, ses conséquences devenant potentiellement de plus en plus désastreuses », prévient-il.   

Les fondateurs de l’euro ne voulaient-ils pas du fédéralisme ?

Issing met solennellement en garde : « La réduction volontaire de la qualité des collatéraux éligibles au rachat est un problème crucial. La BCE achète à ce jour des obligations d’entreprises qui sont proches du niveau de crédibilité des obligations pourries, et ce prétendu assainissement peut difficilement supporter une baisse d’un cran de la note de crédit. Le risque que font peser de telles actions d’une banque centrale sur sa réputation aurait été impensable par le passé. »

Les dirigeants des Etats lourdement endettés ont menti à leurs électeurs en leur administrant des tranquillisants, affirmant qu’une sorte d’union fiscale ou de mutualisation de la dette allait enfin bientôt intervenir. Or il est exclu que survienne une union politique ou que soit créé un ministère européen des Finances, ce qui exigerait de toutes façons un changement fondamental de la constitution allemande – une éventualité impensable dans l’environnement politique actuel. Le projet européen doit donc soit se poursuivre sous la forme d’une union d’Etats souverains, ou disparaître.

Il fallait certes fournir aux Grecs une aide généreuse, mais seulement après qu’ils seraient revenus à un taux de change crédible, c’est-à-dire après avoir restauré leur drachme. Le professeur Issing a chiffré le premier plan de sauvetage de la Grèce en 2010 comme l’équivalent d’un renflouement des banques allemandes et françaises, insistant sur le fait qu’il eût été bien plus judicieux d’exclure la Grèce de la zone euro, ce qui aurait constitué une leçon salutaire pour tous les autres.  

La fuite en avant du fédéralisme de Delors : erreur historique… ou plutôt idéologique

Ces critiques vont ulcérer tous ceux qui, à la BCE ou au FMI, ont hérité de cette situation iintenableet vont devoir gérer un avenir instable et inquiétant. La crainte principale est celle d’une réaction en chaîne impliquant l’Espagne et l’Italie, détonateur d’un effondrement financier. Ce cas de figure s’est présenté deux fois et est demeuré un risque évident jjusqu’à ce que Berlin change de pied et accepte de laisser la BCE consolider les marchés obligataires italien et espagnol en 2012. Nombreux furent ceux qui prétendirent que cette crise devenait menaçante parce que précisément la BCE refusait de se poser en ultime recours. Le professeur Issing et d’autres représentants de la Bundesbank étaient les principaux avocats de ce refus.

Jacques Delors, père fondateur politique de l’euro, dans sa candide déclaration post-mortem publiée le mois dernier, reconnaissait l’échec de l’union monétaire européenne, mais contestait véhémentement les positions d’Issing sur l’origine du problème. La fondation Delors plaide pour un gouvernement économique supranational avec une mutualisation de la dette et un trésor commun. Elle prône une politique publique expansionniste pour casser un « cercle vicieux » et éviter une deuxième « décennie perdue ». « C’est essentiel et urgent : bientôt, l’Europe sera touchée par une nouvelle crise économique. Nous ne savons pas si elle surviendra dans six semaines, six mois ou six ans. Mais sous sa forme actuelle, il est probable que l’euro n’y survivra pas », assure Delors dans ce texte.

Otmar Issing n’est pas un nationaliste allemand. Il reste ouvert à l’idée de véritable Etats-Unis d’Europe construits sur un modèle original. Mais il a mis en garde à maintes reprises contre la tentation de forcer le rythme de l’intégration ou de réaliser un fédéralisme à l’insu des peuples. Un tel système entamerait la souveraineté budgétaire des Etats membres et violerait le principe liant l’impôt au vote d’une représentation populaire. Il dénonce le récent projet européen « d’entité fiscale », redoutant qu’il engendre un pouvoir totalitaire dévoyé, aux compétences sans limites touchant à des sujets sensibles de la vie nationale, sans contrôle démocratique.

L’euro sans l’uniformité politique vouée à l’échec

Or « la convergence n’a pas accéléré après 1999, bien au contraire. A partir de ce moment-là, plusieurs pays ont même commencé à suivre des politiques allant dans la mauvaise direction », explique Issing. Une série d’Etats ont laissé filer les salaires, négligeant les mises en garde selon lesquelles ce type de laisser-aller aurait des conséquences fatales dans le cadre d’une union monétaire. « Au long des huit premières années, les coûts unitaires du travail au Portugal ont bondi de 30 % par rapport à l’Allemagne. Jadis, l’escudo aurait été dévalué de 30 % et les choses seraient plus ou moins revenues à leur état antérieur », explique-t-il. « Un assez grand nombre de pays, parmi lesquels l’Irlande, l’Italie et la Grèce, se sont comportés comme s’ils pouvaient encore dévaluer leur monnaie », poursuit-il. Le point capital est qu’une fois qu’un Etat fortement endetté a perdu 30 % de sa compétitivité dans un système de changes fixes, il est à peu près impossible de récupérer le terrain perdu dans le monde quasiment déflationniste qui est le nôtre aaujourd’hui

C’est devenu un piège. L’ensemble de la zone euro est caractérisée aujourd’hui par une tendance à la contraction économique. La déflation s’autoalimente Les théories germaniques et puristes d’Otmar Issing, seules, n’apportent pas de réponse convaincante à ce défi.

Jérôme Noël

l’article original http://reinformation.tv/otmar-issing-fondateurs-euro-erreur-historique-noel-60946-2/ 

Grèce. 36 députés européens plaident pour un allègement de la dette

Publié sur l’Humanité

Trente-six députés européens socialistes, verts et de gauche, dont 13 Français, ont plaidé en faveur d’un allègement rapide de la dette grecque dans une lettre ouverte au commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici.

« De toute urgence, la Grèce doit sortir du cercle vicieux de la récession et de la déflation » où elle est engluée depuis six ans, souligne ce texte. Les signataires sont des députés au Parlement européens de dix pays de l’UE. « Tout retard supplémentaire en ce qui concerne l’ouverture de discussions concrètes et concluantes sur l’allégement de la dette pourrait avoir des résultats dévastateurs sur l’économie grecque », mettent-ils en garde.

Invoquant un « consensus parmi les économistes reconnus au sujet du caractère non soutenable de la dette grecque », ils rappellent que ce dossier est au centre d’une dispute entre les deux bailleurs de fond du pays surendetté, le FMI qui appelle à un allègement rapide et important et la zone euro qui traîne les pieds sous pression allemande.

« L’incertitude qui résulte de ces différends entrave la reprise grecque », jugent-ils, appelant à la mise au point, d’ici fin 2016, « d’une feuille de route claire pour l’allégement de la dette grecque », qui caracole à près de 180% du PIB.

A l’issue de la dernière réunion le 10 octobre des ministres européens des Finances, Pierre Moscovici avait souligné qu’il espérait obtenir, « d’ici la fin de l’année, un accord global » sur la marche du redressement financier grec qui permettra d’« aborder la question de la dette ». Mais le geste substantiel réclamé par la Grèce en échange de ses efforts pour se conformer aux demandes de ses créanciers pour plus d’austérité et de libéralisation de l’économie se heurte à l’intransigeance de l’Allemagne, qui renvoie un règlement de fond après les élections qu’elle organisera fin 2017.

« Monsieur le Commissaire,

Suite au débat sur la « Déclaration de la Commission – Situation macroéconomique en Grèce, les réformes structurelles et leur incidence, et perspectives de futures négociations dans le cadre du programme », qui a eu lieu le mardi 4 octobre à la plénière du Parlement européen, nous souhaitons en tant que députés européens attirer votre attention sur l’importance de l’allégement de la dette ainsi que sur la nécessité de mesures concrètes qui pourront soutenir le développement économique, social et environnemental de la Grèce.

De toute urgence, la Grèce doit sortir du cercle vicieux de la récession et de la déflation, et aller de l’avant grâce à des politiques qui soutiendront les investissements publics et privés ainsi que la création d’emplois de haute qualité. La responsabilité de ce changement revient à la fois au gouvernement grec et aux institutions. Il existe aujourd’hui un consensus parmi les économistes reconnus au sujet du caractère non soutenable de la dette grecque. Au sein même des institutions, différents points de vue existent quant à la manière de trouver une solution durable à la crise. Comme vous le savez, le FMI a une analyse différente de celle présentée par les institutions européennes à ce sujet. L’incertitude qui résulte de ces différends entrave la reprise grecque.

Tout retard supplémentaire en ce qui concerne l’ouverture de discussions concrètes et concluantes sur l’allégement de la dette pourrait avoir des résultats dévastateurs sur l’économie grecque, contrecarrer la légère diminution des niveaux de chômage et de pauvreté et retarder toute amélioration de la situation sociale et économique pour la période à venir.

Le 23 Septembre dernier, le FMI a déclaré qu’un nouvel allégement de la dette sur la base « d’hypothèses réalistes quant à la capacité de la Grèce à générer des excédents durables et de la croissance à long terme » sera nécessaire pour atteindre une situation macroéconomique durable. L’allégement de la dette est sans aucun doute une étape cruciale de l’effort pour mettre fin à la crise grecque. Les discussions sur l’allégement de la dette, dans le cadre de l’accord, doivent donc être ouvertes le plus rapidement possible, afin d’être achevées d’ici la fin de l’année. Celles-ci doivent aboutir à une feuille de route claire pour l’allégement de la dette grecque. Il s’agit d’une condition préalable à la nécessaire relance économique et sociale mais aussi à la limitation des besoins financiers de l’économie grecque qui permettra de créer un espace fiscal pour inciter les investissements publics et privés.

Nous, députés européens, croyons fermement que la Grèce a besoin d’un environnement macroéconomique stable. Par conséquent, elle a besoin de tourner la page des politiques d’austérité dogmatiques, en créant les conditions de sortie du Programme, qui devrait être le dernier. En cette période cruciale, il est nécessaire que la Grèce fasse le meilleur usage possible des fonds structurels qui, comme pour tous les autres pays en crise, doivent être considérablement augmentés, car il est de sa responsabilité de protéger les franges les plus vulnérables de sa population.

Dans le cadre des futures négociations avec le gouvernement de la République hellénique, nous vous exhortons à prendre en considération ces demandes formulées tant dans l’intérêt de la société grecque que des institutions européennes.

Nous serions heureux de pouvoir échanger plus longuement avec vous à ce sujet.

Cordialement,

Jean-Paul Denanot, FR (GUE/NGL),  Virginie Rozières, FR (S&D), Edouard Martin, FR (S&D), Bart Staes, BE (Greens/EFA), Tania Penas Gonzalez, SP (GUE/NGL), Josep Maria Terricabras, SP (Greens/EFA), Dimitrios Papadimoulis, GR (GUE/NGL), Fabio De Masi, DE (GUE/NGL), Eva Joly, FR (Greens/EFA), Guillaume Balas, FR (S&D), Sergio Cofferati, IT (S&D), Ernest Urtasun, SP (Greens/EFA), Curzio Maltese, IT (GUE/NGL), Emmanuel Maurel, FR (S&D), Georgi Pirinski, BG (S&D), Eric Andrieu, FR (S&D), Christine Revault d’Allonnes Bonnefoy, FR (S&D), Marisa Matias, PT (GUE/NGL), Patrick Le Hyaric, FR (GUE/NGL), Stelios Kouloglou, GR (GUE/NGL), Eleonora Forenza, IT (GUE/NGL), Monika Vana, AT (Greens), Louis-Joseph Manscour, FR (S&D), Isabelle Thomas, FR (S&D), Barbara Spinelli, IT (GUE/NGL), Kostas Chrysogonos, GRE, (GUE/NGL), Younous Omarjee, ES, (GUE/NGL), Elly Schlein, IT, (GUE/NGL), Joachin Schuster GER, (S&D), Michele Rivasi, FR, (Greens), Konstandinka Kuneva, GRE, (GUE/NGL), Ana Gomes, POR, (S&D), Martina Anderson, IRL, (GUE/NGL), Matt Carthy, IRL, (GUE/NGL), Liadh Ni Riada, IRL, (GUE/NGL), Lynn Boylan, IRL, (GUE/NGL). »

article original http://www.humanite.fr/grece-36-deputes-europeens-plaident-pour-un-allegement-de-la-dette-617933

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