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Archives de catégorie Economie Grèce

Vers une Grèce sans Grecs ! 

Une catastrophe démographique : Vers une Grèce sans Grecs !  Par Dimitris Konstantakopoulos

Troisième de trois articles

En Grèce, les retraités meurent plus vite, l’espérance de vie et l’état de santé général de la population diminuent. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile (1949), les gens réfléchissent à deux fois avant de faire émigrer des enfants, des jeunes Grecs instruits, privant ainsi le pays du capital humain nécessaire. Les Grecs paient pour former certains des meilleurs médecins d’Europe, qui vont ensuite travailler dans les hôpitaux allemands. La population totale de la Grèce diminue en termes absolus et le pourcentage de Grecs d’origine et de conscience au sein de la population est également en baisse.

Une population qui vieillit, matériellement démunie, qui se sent moralement trahie, dans un désespoir et une insécurité totale, sans aucun droit ni aucune protection, vit aujourd’hui en Grèce !

Même si les méthodes sont différentes, ce qui arrive aux Grecs présente quelques analogies avec ce que les Romains auraient fait aux Juifs en l’an 60.

Il est également assez étonnant que les résultats des politiques de la Troïka soient assez similaires, même si les méthodes sont très différentes, aux plans d’Hitler pour la Grèce, tels que décrits par Winston Churchill dans ses mémoires. Le projet d’Hitler était de transformer la Grèce en une zone de vacances pour les Ariens et de transporter les Grecs au Moyen-Orient.

L’establishment occidental, et pas seulement les Allemands, a toujours été profondément divisé dans son attitude envers les Grecs et la Grèce, reflétant d’une certaine façon aussi sa division entre son aile plus démocratique et son aile plus totalitaire (cette querelle se reflète d’une certaine façon dans la façon différente dont Oxford et Cambridge voient la démocratie grecque antique et l’empire romain).

Il y a toujours eu une forte attitude philhellénique, mais aussi une forte attitude de « haine des Grecs » (comme celle du Premier ministre britannique Disraeli) en Occident. Quant à Samuel Huntington, l’idéologue de la « guerre des civilisations », il classe essentiellement les Grecs parmi les « nations ennemies » au même titre que les Russes. Les chrétiens orthodoxes sont pour lui le deuxième pire ennemi après les nations islamiques.
Coup d’Etat

L’ensemble du programme constituait une violation flagrante des principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel grec (qui fait partie du droit européen), des principes fondamentaux sur lesquels l’Union européenne a été fondée et des dispositions clés du droit international.

Selon certains spécialistes, les dispositions de ce programme clairement néocolonial n’ont d’équivalent dans aucun des programmes du FMI appliqués dans les pays du tiers monde. (Pour une analyse approfondie des questions juridiques et même de « changement de régime », le lecteur peut consulter le discours de l’un des plus grands spécialistes européens du droit constitutionnel, le professeur Kasimatis, ici)

Ce programme a été appliqué contre la volonté directe des citoyens grecs, qu’ils ont exprimée de façon claire la seule fois où ils ont eu l’occasion de l’exprimer, lors du référendum de 2015.

Afin d’imposer ce programme, les principales puissances et institutions européennes, le FMI et les hommes politiques grecs qui ont collaboré avec eux, ont utilisé des méthodes de fraude, de chantage, de pression politique et économique, toutes inacceptables en général et au sein d’une Union soi-disant démocratique d’États, de peuples et de nations égaux, en particulier. Tous les accords signés par les gouvernements grecs pour appliquer le programme de sauvetage ont été le résultat de la coercition et de la violation des principes fondamentaux de l’ordre démocratique national et international.

L’imposition du programme grec était un coup d’État, mais un coup d’État au sens de Carl Schmitt, qui visait à établir un nouveau régime, d’abord en Grèce, puis dans toute l’Europe.

Les institutions démocratiques ne sont plus qu’une simple forme en Grèce, car le programme a en fait aboli les principes de la souveraineté populaire, nationale et étatique, du moins en matière de politique économique, la capacité de la société grecque à se reproduire et les bases économiques de la démocratie parlementaire. En effet, il a transformé la Grèce d’un État-nation capitaliste européen habituel et d’une démocratie parlementaire en une nouvelle forme de colonie, une colonie de la dette de la finance internationale gérée par le biais des institutions européennes et du FMI. Au cours de l’été 2015, les créanciers ont proposé au gouvernement grec un nouveau programme de plusieurs milliers de pages en anglais. Le programme a été traduit par des programmes de traduction automatique en grec en deux jours et a été voté en loi en deux jours supplémentaires. La même procédure a été suivie au printemps 2006.

C’est exactement ce qui fait de l’expérience grecque une opération d’importance fondamentale pour la transformation du régime social et politique occidental, représentant une coupure nette avec les principes de Souveraineté Populaire et Nationale, sur lesquels les régimes occidentaux étaient basés, au moins en théorie, après la Révolution française.

Tout cela ne peut guère être considéré comme une « coïncidence » ou un accident. Les architectes du traité de Maastricht semblent avoir pris en compte un tel scénario et la manière de l’utiliser, lorsqu’ils ont introduit dans le traité des clauses interdisant la solidarité de l’Union envers ses membres. Goldman Sachs a également joué un rôle essentiel depuis le tout début jusqu’à la création du problème de la bulle de la dette grecque, avec ses swaps grecs.

Source https://uwidata.com/11398-a-demographic-catastrophe-towards-a-greece-without-greeks/

2eme article Le programme grec de « renflouement » : un échec colossal Par Dimitris Konstantakopoulos

Si nous jugeons le programme grec non pas sur la base de nos propres critères, mais sur la base des objectifs qu’il s’est fixé et de ses prévisions, nous pouvons dire sans risque qu’il s’agit d’un échec gigantesque, de loin le plus important dans l’histoire des principales institutions économiques occidentales, comme le FMI, l’UE et la BCE.

À l’avenir, tout manuel d’économie dans le monde commencera par un chapitre intitulé « Le programme de sauvetage grec » : Ce que les économistes ne doivent faire dans aucun pays ».

Le programme grec a été lancé, soi-disant, pour aider la Grèce à faire face à une situation où les « marchés » (la finance internationale) refusaient de lui prêter, sa dette énorme étant considérée comme insoutenable.

En 2010, lorsque le programme a été lancé, la dette souveraine grecque représentait 129 % du PIB. Aujourd’hui, elle est supérieure à 185%. (Après le Coronavirus, elle sera probablement de plus de 200%).

Le programme de sauvetage n’a pas seulement échoué à résoudre le problème de la dette souveraine, il a ajouté à cela le problème tout aussi important d’une énorme dette privée, créée à la suite des mesures de la troïka (BCE, UE, FMI). En 2010, les prêts non remboursés aux banques étaient insignifiants. Aujourd’hui, près de la moitié des prêts ne le sont pas.

En 2010, les banques grecques avaient environ 220-240 milliards d’euros de dépôts. Aujourd’hui, elles ne sont plus grecques et disposent de la moitié de cette somme.

En 2010, la Grèce était dans une position beaucoup plus puissante vis-à-vis de ses prêteurs, qui étaient des banques et des fonds privés. Sa dette était réglementée par la loi grecque et son parlement national. Les litiges liés à la dette étaient du ressort des tribunaux grecs. La dette grecque était libellée en monnaie nationale grecque, donc si la Grèce quittait la zone euro, la dette serait sous-évaluée autant que la nouvelle monnaie nationale grecque introduite.

Maintenant que la dette est détenue par les États et les institutions internationales et régie par le droit colonial britannique, tous les biens publics grecs sont devenus une hypothèque au service de la dette, sa protection constitutionnelle étant levée. Les litiges liés à la dette sont du ressort des tribunaux étrangers et elle est libellée en euros.

La restructuration de la dette grecque (PSI, 2011-12), a été la première dans l’histoire entreprise contre les intérêts du pays débiteur ! Elle a modifié le statut juridique de la dette, tout en réduisant les réserves des fonds de pension, des hôpitaux, des universités, etc.

Le pays a connu une récession trois fois plus importante que ce que le FMI et l’UE avaient prévu, sans parler des prévisions du ministre grec des finances de l’époque qui parlait déjà de croissance d’ici 2012. C’est pourquoi nous avons déclaré que ce programme était un échec colossal, même selon ses propres termes.

Le FMI, les gouvernements européens, l’UE et la BCE utilisent les services de certains des meilleurs économistes du monde. Comment a-t-il été possible de faire une « erreur » aussi énorme ? Si c’était vraiment une erreur, pourquoi ne l’ont-ils pas corrigée et pourquoi ne l’ont-ils pas encore fait ?

C’est ce qui nous donne le droit de nous demander si ce programme était une erreur ou, plutôt, et dès le début, un programme destiné à atteindre un tel résultat. Le représentant du FMI en Grèce, le Danois Paul Thomsen, une sorte de tueur à gages économique et une personnalité sadique comme la plupart des personnes qui traitaient avec la Grèce au nom des organisations internationales, a révélé les objectifs cachés du programme lorsqu’il a déclaré que les salaires grecs devaient se situer quelque part entre les Portugais et les Bulgares.

Maintenant que la dette est détenue par les États et les institutions internationales et régie par le droit colonial britannique, tous les biens publics grecs sont devenus une hypothèque au service de la dette, sa protection constitutionnelle étant levée. Les litiges liés à la dette sont du ressort des tribunaux étrangers et elle est libellée en euros.

La restructuration de la dette grecque (PSI, 2011-12), a été la première dans l’histoire entreprise contre les intérêts du pays débiteur ! Elle a modifié le statut juridique de la dette, tout en réduisant les réserves des fonds de pension, des hôpitaux, des universités, etc.

Le pays a connu une récession trois fois plus importante que ce que le FMI et l’UE avaient prévu, sans parler des prévisions du ministre grec des finances de l’époque qui parlait déjà de croissance d’ici 2012. C’est pourquoi nous avons déclaré que ce programme était un échec colossal, même selon ses propres termes.

Le FMI, les gouvernements européens, l’UE et la BCE utilisent les services de certains des meilleurs économistes du monde. Comment a-t-il été possible de faire une « erreur » aussi énorme ? Si c’était vraiment une erreur, pourquoi ne l’ont-ils pas corrigée et pourquoi ne l’ont-ils pas encore fait ?

C’est ce qui nous donne le droit de nous demander si ce programme était une erreur ou, plutôt, et dès le début, un programme destiné à atteindre un tel résultat. Le représentant du FMI en Grèce, le Danois Paul Thomsen, une sorte de tueur à gages économique et une personnalité sadique comme la plupart des personnes qui traitaient avec la Grèce au nom des organisations internationales, a révélé les objectifs cachés du programme lorsqu’il a déclaré que les salaires grecs devaient se situer quelque part entre les Portugais et les Bulgares.

En déclarant cela, il a révélé par inadvertance la philosophie des dirigeants de l’UE aujourd’hui. Ils ne comprennent pas l’UE comme une organisation qui contribue à l’amélioration du niveau de vie. Ils comprennent l’UE comme une institution qui abaisse le niveau de vie et les droits sociaux de ses membres.

Nous voulons rappeler à nos lecteurs que ce programme n’a pas été imposé à la Grèce uniquement par l’Allemagne et l’UE. Pour que son imposition devienne possible, Berlin a dû conclure une alliance tacite avec des banques internationales pour attaquer la Grèce et créer les conditions justifiant le programme. Le programme a également été approuvé par le FMI, au mépris de ses propres règles et principes. Une telle chose ne pouvait pas se produire si la finance internationale et l’administration américaine ne le voulaient pas. Sans parler du rôle des banques américaines comme Goldman Sachs dans la création, tout d’abord, de la bulle de la dette grecque et ensuite dans son explosion.

Le résultat de la crise a été la destruction de la Grèce, le capital politique de l’Allemagne et l’affaiblissement de l’Europe au nom des banques internationales et des États-Unis. (La même chose s’est produite, soit dit en passant, lors de la crise yougoslave des années 90, lorsque la politique agressive et impérialiste de l’Allemagne, de l’Autriche et du Vatican a largement contribué à la désintégration sanglante des Balkans occidentaux, pour ensuite réhabiliter le rôle des États-Unis et de l’OTAN dans les affaires européennes et détruire définitivement toute condition préalable à une politique étrangère et de défense européenne commune).

Source https://uwidata.com/11219-the-greek-program-a-colossal-failure/

1er article Comment la finance internationale et l’Allemagne ont détruit la Grèce pour créer une UE totalitaire https://www.grece-austerite.ovh/finance-internationale-et-ue-autoritaire/

https://uwidata.com/11140-how-international-finance-and-germany-destroyed-greece-to-create-a-totalitarian-eu/

Entreprises grecques en difficultés

Six entreprises grecques sur dix en crise de liquidité après le confinement de leurs activités
Par Tasos Kokkinidis –

Six entreprises sur dix sont confrontées à des problèmes de liquidité, avec des réserves de trésorerie suffisantes pour continuer à fonctionner pendant moins de six mois – tandis que trois sur dix n’ont aucune réserve de trésorerie et seulement 15 % de liquidités suffisantes pour durer plus d’un an, selon une nouvelle enquête.

L’enquête, menée par l’organisation Endeavor Greece du 25 au 27 mai, a interrogé 100 entrepreneurs de petites et moyennes entreprises grecques ayant des taux de croissance élevés en 2019, issus de 15 secteurs industriels différents.

Selon les résultats, la moitié des entreprises avaient cessé tout ou partie de leur activité commerciale au cours des deux derniers mois et 57 % des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires annuel diminuer, 17 % d’entre elles faisant état d’une baisse de 60 à 100 %. Toutefois, 24 % des participants ont enregistré une croissance au cours de la même période.

Plus de la moitié des entreprises ont mis une partie ou la totalité de leur personnel en congé. Jusqu’à présent, seulement 10 % des entreprises ont licencié des employés, mais ce pourcentage devrait augmenter de manière significative, puisque 30 % des entrepreneurs ont déclaré qu’ils seront obligés de réduire les salaires et de licencier du personnel d’environ 20 % d’ici la fin de l’année.

En ce qui concerne les mesures de soutien que les entreprises grecques ont choisi d’utiliser pour faire face à la crise, 51 % d’entre elles ont déclaré qu’elles ont licencié une partie importante de leur personnel, tandis que 35 % ont profité de la réduction de 40 % sur le loyer de leurs locaux commerciaux.

Par ailleurs, 46 % des entreprises interrogées ont suspendu le paiement de leurs impôts, tandis que 55 % ont pris des mesures pour accroître leur financement. Cependant, vingt pour cent des entreprises n’ont pas eu recours à la moindre mesure de soutien.

La pandémie a également redéfini de manière significative les scénarios utilisés par les entreprises pour déterminer et mettre en œuvre leur planification stratégique. Plus précisément, 53 % des entreprises fonctionnent selon un scénario qui prévoit que la récession se poursuivra jusqu’à la fin de 2020, 10 % jusqu’à la fin de 2021 et 3 % jusqu’à la fin de 2022.

Cependant, 34 % des entreprises fonctionnent selon un scénario qui prévoit que la croissance permettra à l’économie de se redresser dès l’été 2020.

En ce qui concerne le temps qu’il faudra à leur industrie pour regagner ce qu’elle a perdu, 27 % des chefs d’entreprise pensent qu’elle sera au niveau de 2019 d’ici la fin de 2020, 46 % estiment que cela se produira en 2021, tandis que 17 % ne prévoient pas un retour à la normale avant 2022.

Source : AMNA

Finance internationale et UE autoritaire

Comment la finance internationale et l’Allemagne ont détruit la Grèce pour créer une UE totalitaire par Dimitris Konstantakopoulos ( Journaliste, expert en géopolitique (Grèce)

Note : les données de l’article suivant prennent en compte l’état de l’économie et de la société grecque avant la récente crise du coronaire. Selon le FMI, la Grèce souffrira d’une plus grande dépression que tous les autres membres de l’UE en raison de la pandémie, mais rien n’est certain pour le moment. En tout cas, les résultats économiques et sociaux de la crise rendront les choses en Grèce bien pires que celles déjà décrites dans notre article.

En mai 2010, l’UE, la BCE, le FMI et le gouvernement grec ont signé un accord de prêt décrivant un « programme de sauvetage » sans précédent pour la Grèce. L’objectif déclaré de ce programme était de « sauver » la Grèce de la faillite et de l' »aider » à redresser son économie et ses finances publiques tout en remboursant ses prêts, principalement auprès des banques européennes.

La « question grecque » est de loin le principal sujet débattu par les dirigeants européens depuis près de dix ans. L' »expérience » grecque était censée non seulement « résoudre » les problèmes grecs, mais aussi créer un nouveau « paradigme » pour l’ensemble de la zone euro. Le 10 mai 2010, jour de la création du programme, Angela Merkel elle-même a expliqué publiquement que d’autres pays européens verront ce qui arrivera aux Grecs et qu’ils seront plus prudents à l’avenir.

L’importance européenne et internationale du programme grec dépasse de loin l’importance de l’économie grecque elle-même. Punir la Grèce et l’obliger à rembourser toute la dette exorbitante qu’elle avait contractée devait être un exemple d’une importance historique pour la solution de la question de la dette en satisfaisant toutes les demandes des banquiers et en sauvegardant le pouvoir de la finance internationale, un pouvoir qui a déjà dépassé celui des États et qui transforme l’UE elle-même.

D’une certaine manière, la guerre économique et politique lancée contre la Grèce (et dans une moindre mesure contre les soi-disant PIIGS) par les élites financières et politiques occidentales a servi d’introduction à l’immense lutte entre les peuples européens et la Finance, qui décidera du sort de notre civilisation, en quelque sorte de la même manière que la guerre civile espagnole (1936-39) a été l’ouverture de la Seconde Guerre mondiale en Europe.

On n’a jamais demandé aux Grecs eux-mêmes s’ils voulaient ce programme. Le gouvernement Papandreou l’a accepté malgré le fait qu’il ait été élu sur un programme complètement différent. Georges Papandréou lui-même s’est donné beaucoup de mal dans une interview préalable à son élection pour exclure toute probabilité d’impliquer le FMI dans les affaires grecques. La seule fois où l’on a demandé aux Grecs s’ils voulaient ce programme, c’était lors du référendum de 2015 et leur réponse a été un non sans équivoque. La plupart des juristes estiment que l’imposition de ce programme à la Grèce est contraire à la constitution et à la législation grecques, aux traités régissant le fonctionnement de l’UE, aux dispositions fondamentales du droit international et aussi aux statuts du FMI lui-même.

En raison du traitement sévère réservé au peuple grec, le prestige et le capital politique de l’UE et de l’Allemagne ont fortement diminué et les tendances centrifuges ont fortement augmenté dans toute l’Union européenne. Le référendum grec et le refus des gouvernements et des autorités européennes de le respecter ont beaucoup contribué au vote de Brexit et à la montée des partis radicaux de gauche et encore plus d’extrême droite dans toute l’Europe.

Au cours de l’été 2018, les autorités européennes et le gouvernement grec ont annoncé que le « programme de sauvetage de la Grèce » avait pris fin. Bien sûr, ce n’était rien d’autre qu’un mensonge de plus dans la lignée des énormes mensonges de l’Allemagne et des autorités européennes tout au long de la décennie de la crise grecque. Ce qui a vraiment pris fin en 2018, c’est l’obligation des « créanciers » de financer le remboursement des emprunts. Les termes clairement néocoloniaux des accords de prêt sont valables et certains resteront même valables pendant 99 ans ( !!!), période pendant laquelle la Grèce ne sera pas un pays souverain, mais plutôt une sorte de colonie de la dette. Ce que nous ne savons pas, c’est s’il y aura des Grecs en Grèce et, s’ils existent, à quel moment dans les 60 ou 100 prochaines années ils partiront.

À l’occasion des dix ans qui se sont écoulés depuis la signature du premier accord de prêt avec la Grèce, nous allons essayer de décrire ici pour nos lecteurs les principaux résultats de ce programme qui a façonné l’orientation de l’UE et qui aura une énorme influence sur la politique européenne pour les années ou décennies à venir.

Le programme grec n’a pas pris fin, pas plus que la crise grecque. Il s’agissait d’une énorme tromperie et d’un autre gros mensonge de la part des dirigeants occidentaux

L’Eurogroupe (les ministres des finances de l’UE) a décidé de ne plus financer le programme de sauvetage de la Grèce. Puis, ils ont commencé à affirmer que le programme et la crise grecque étaient tous deux terminés.

    Rien n’est plus éloigné de la vérité. En fait, les annonces des politiciens européens et grecs concernant la fin du programme de sauvetage ou de la crise grecque ne nous présentent rien de plus qu’un gigantesque village Potemkine, reflétant à la fois l’énorme impasse de l’UE et les fantastiques progrès du totalitarisme du monde occidental. Les hommes politiques sont plus ou moins nommés par des banquiers (par exemple, Emmanuel Macron de Rothschild), ces mêmes banquiers contrôlent la presse et les « intellectuels publics » et, en conséquence de tout cela, les hommes politiques peuvent revendiquer les choses les plus stupides et les faits les plus infondés sans courir le risque de paraître ridicules.

Le programme restera en place et tout le monde se demande si la Grèce sera en mesure de se financer sur les marchés en 2021, comme le suggèrent les prévisions de l’Eurogroupe.

Jusqu’à présent, toutes les prévisions économiques de l’UE concernant la Grèce, sans exception, ont échoué lamentablement. Cela signifie que soit les économistes et les autorités européennes sont totalement incompétents, soit, au contraire, ils connaissent très bien les conséquences destructrices de leur programme pour la Grèce et les cachent derrière des « calculs » et des « prévisions » erronés, qui leur permettent de dire a posteriori qu’ils ont commis des erreurs, et non des crimes.

Les obligations de la Grèce dans le cadre du programme de renflouement resteront valables au moins jusqu’en 2060 ( !!!), malgré la « fin du programme » supposée et rendue publique. La dette souveraine grecque reste « extrêmement non viable » selon le FMI. En réalité, ce que l’Eurogroupe a fait, c’est reporter une fois de plus la décision finale sur la Grèce et l’exécution probable de sa « condamnation à mort », tout en maintenant le pays bien à l’intérieur d’une « spirale de la mort » de la dette, comme l’a dit un jour George Soros.

La Grèce a dû accepter des excédents budgétaires primaires totalement irréalistes, jamais réalisés dans aucun pays, de 3,5 % jusqu’en 2022 et de 2,2 % en moyenne de 2022 à 2060 (ces chiffres sont actuellement révisés en raison du coronavirus, mais ils sont toujours indicatifs de la direction à suivre. D’ailleurs, même si Merkel permettra un certain assouplissement de l’austérité pendant un ou deux ans, le montant même de la dette grecque permettra de revenir très rapidement à la normale).

Outre le fait qu’ils sont totalement irréalistes, ces chiffres signifient une austérité perpétuelle et une quasi-stagnation du pays pendant 40 ans. Leur caractère totalement irréaliste est également apparu à cause du coronavirus. Il devient difficile de faire des prédictions pour six mois, comment peut-on faire des prédictions pour les 40 prochaines années ? C’est une aberration ridicule que d’élaborer un programme basé sur l’hypothèse de décennies de stabilité totale pour la Grèce, l’Europe et l’économie mondiale (ou, encore, c’est une façon de cacher un crime prémédité derrière de prétendues erreurs).

Si la Grèce ne respecte pas les règles, les quelques actifs de l’État qui lui restent, qui ont été transférés à un fonds spécial pendant 99 ans, seront vendus automatiquement et d’autres sanctions seront appliquées.

La Grèce restera sous une surveillance très stricte de l’UE jusqu’en 2060. Le FMI restera dans le programme, mais en tant que « conseiller ». Cela signifie que ses politiques resteront, mais pas son argent. Il continuera à détruire les Grecs et la Grèce, mais il ne sera pas considéré comme responsable de son activité criminelle ! Nous préférerions utiliser des termes purement économiques plutôt que ceux de la criminologie, mais nous pensons qu’il est contraire à la vérité de décrire un crime comme une politique économique simplement mauvaise et erronée.

L’Allemagne et l’UE, agissant au nom des banques européennes et des intérêts généraux de l' »Empire des finances » du capital financier international, ont refusé tout allégement de la dette, ce qui serait la seule solution au problème grec en 2010 et reste la seule solution aujourd’hui. Nous rappelons à nos lecteurs que cette méthode a été appliquée à l’Allemagne elle-même dans le passé (http://www.defenddemocracy.press/why-the-1953-cancellation-of-german-debt-wont-be-reproduced-for-greece-and-developing-countries/), mais aussi à la Pologne, à l’Irak et à d’autres clients occidentaux. Le fait que la Grèce ait été l’un des plus anciens membres de l’UE ou une nation historique, berceau de la notion de démocratie, n’a pas atténué la fureur avec laquelle Berlin et le FMI ont insisté sur un programme de destruction du pays sans résoudre ses problèmes ni rendre la dette grecque viable. L’Allemagne a même refusé une proposition française visant à inclure une clause de report du service de la dette si la Grèce ne produit pas un développement permettant le remboursement de la dette.

Lors de la pandémie de coronavirus, le gouvernement grec a demandé à l’Eurogroupe de permettre à Athènes de reporter de trois mois la confiscation des maisons des personnes qui ne peuvent pas payer leurs prêts aux banques. Les ministres de l’Eurogroupe ont refusé, malgré le danger réel d’expulsion de dizaines de milliers de Grecs de leurs maisons en pleine pandémie et la crise socio-économique.

Source https://uwidata.com/11140-how-international-finance-and-germany-destroyed-greece-to-create-a-totalitarian-eu/

Covid-19 : La Grèce tient le choc mais l’état du pays inquiète

Par Elisa Perrigueur

Les tests, ici aussi, sont un point sensible

Pour l’heure, les investissements viennent non pas des autorités mais surtout des fondations créées par des armateurs, acteurs économiques importants du pays, qui ont médiatisé leurs donations. Le groupe milliardaire Onassis a acheté pour 7,75 millions d’euros de masques pour le système de santé grec. Sa concurrente, la fondation Niarchos, investira 92 millions d’euros dans la lutte contre le Covid.

Pas assez pour faire face à une pandémie, assure Panagiotis G. Papanikolaou. Le 28 avril, il manifestera avec ses collègues devant les hôpitaux et le ministère de la santé. « Nous avons obtenu jusqu’ici la création de 120 lits en réanimation, ce qui porte le nombre total à seulement 690 pour 10 millions d’habitants, précise le médecin. Il manque au moins 1 500 docteurs et infirmières et des équipements de protection (gants, masques, blouses). 120 professionnels de santé ont contracté le virus et un médecin en est mort. » Si des établissements ont été officiellement dédiés au Covid-19, le risque d’une contamination intra-hospitalière plane. « Certains malades avec symptômes se rendent aux urgences. D’autres patients sont désormais réticents à venir à l’hôpital et ne sont pas soignés. Il faut absolument tester pour trier les patients », insiste Panagiotis G. Papanikolaou.

Les tests, c’est l’autre point sensible. La gestion du gouvernement s’évalue désormais à sa capacité à dépister sa population. Jusqu’ici, quelque 63 000 tests virologiques (PCR) ont été réalisés en Grèce. Ils sont pratiqués chaque jour. Les laboratoires supposés mener les analyses sont toutefois débordés et peu nombreux. « Cette semaine, nous allons commencer une série de tests sérologiques sur 3 000 personnes (médecins et citoyens), que nous avons commandés aux États-Unis ou en Chine, à trois mois d’intervalle pour avoir une idée de la diffusion du virus, tests censés mesurer l’immunité au virus », assure Andreas Karaminis, un professeur de médecine d’urgence à l’université de médecine d’Athènes et chef de réanimation cardio-chirurgicale au centre privé Onassis qui participe au dépistage. « Nous ne connaissons encore pas le nombre réel de gens en contact avec le Covid-19 en Grèce, admet celui-ci. Le confinement donnait des bons résultats sur le plan de la diffusion, mais sur l’immunité c’est problématique. »

Le gouvernement table malgré tout sur un déconfinement progressif courant mai. Le Premier ministre donnera les détails en début de semaine.

Athènes se prépare à relancer une économie mise à rude épreuve par un arrêt total. Le FMI table sur une récession de 10 % pour 2020. Le tourisme, qui compte pour 20 % du PIB, est menacé d’effondrement. Ce secteur repose sur les interactions et déplacements incompatibles avec le contagieux Covid. Il dépend aussi d’une clientèle venue de pays fortement touchés par le virus – France, Allemagne, États-Unis… Les professionnels de santé craignent l’importation du virus. Aujourd’hui, chaque voyageur de l’étranger doit se confiner 14 jours, sous peine d’une amende de 5 000 euros.

« M. Mitsotakis a choisi de fermer totalement l’économie pour éviter une hécatombe dans les hôpitaux. C’était un choix que personne ne peut juger mauvais, mais cette paralysie de l’activité aurait dû être doublée de davantage de moyens pour soutenir tous les salariés à l’arrêt. Ce n’est pas le cas », souligne la politologue Filippa Chatzistavrou. Environ un million de travailleurs contraints au chômage, soit 25 % de la population active, bénéficient d’une allocation de 800 euros pour 45 jours, soit 533 euros mensuels. « C’est une allocation très faible et mal allouée. Les chômeurs de longue durée, y compris les travailleurs au noir, les travailleurs collectivement licenciés des services au sol des compagnies aériennes, les travailleurs “ubérisés” ou postés ne sont pas concernés par cette mesure », remarque la politologue.

Aucune annonce n’a été faite pour les allocations qui suivront. Du côté de Bruxelles, l’Union européenne s’est accordée sur l’émission de prêts sans contrepartie pour les dépenses de santé liées au coronavirus. Mais tout prêt ne concernant pas la santé – octroyé via l’institution financière MES – restera assorti de « certaines conditions ». Ce qui pourrait laisser craindre de nouvelles mesures d’austérité pour ce pays qui a déjà connu dix ans de rigueur.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/270420/covid-19-la-grece-tient-le-choc-mais-l-etat-du-pays-inquiete?page_article=2

E Toussaint au sujet de Y Varoufakis 9e partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Tsipras et Varoufakis vers la capitulation finale Partie 9 par Eric Toussaint

A partir de la fin avril 2015, sous la pression des dirigeants européens, Tsipras met de côté Varoufakis, sans lui retirer son portefeuille de ministre des finances, pour les négociations à Bruxelles. Il le remplace par Euclide Tsakalotos et donne de plus en plus de poids à Georges Chouliarakis qui agissait objectivement dans l’intérêt des créanciers depuis février 2015. Dijsselbloem et Juncker avaient insisté auprès de Tsipras pour que Chouliarakis soit au centre des négociations car c’était le représentant grec avec lequel ils se sentaient le plus en confiance [1].

Lire les autres articles de la série :

1 – Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
2 – Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique
3 – Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
4 – Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
5 – Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec
6 – Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015
7 – La première capitulation de Varoufakis-Tsipras fin février 2015
8 – Les négociations secrètes et les espoirs déçus de Varoufakis avec la Chine, Obama et le FMI

Tsipras accepte de faire de nouvelles concessions à la Troïka avec laquelle il multiplie les contacts et les discussions. Selon Varoufakis, Tsipras a envoyé un courrier fin avril 2015 à la Troïka dans lequel il signifiait son acceptation de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5 % chaque année pour la période 2018-2028. Cette nouvelle reculade rendait impossible la fin de l’austérité car cela nécessitait des coupes supplémentaires dans les budgets sociaux et une accélération des privatisations. Cela n’a pas suffi à la Troïka qui voulait d’autres concessions et un accord n’a pas été trouvé.

« Selon Varoufakis, Tsipras a envoyé un courrier fin avril 2015 à la Troïka dans lequel il signifiait son acceptation de dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5 % chaque année pour la période 2018-2028 »

Pendant ce temps, la Commission pour la vérité sur la dette grecque instituée par la présidente du parlement grec travaillait d’arrache-pied pour produire son rapport et ses recommandations avant la fin du deuxième mémorandum qui avait été prolongé jusqu’au 30 juin 2015. L’objectif était de présenter le rapport lors d’une séance publique au parlement les 17 et 18 juin 2015 afin de peser sur l’issue du mémorandum et des négociations. Selon le mandat reçu par la commission, il fallait identifier la proportion de la dette qui peut être définie comme illégitime, illégale, odieuse ou insoutenable.

La commission était composée de 30 personnes, 15 provenant de Grèce et 15 provenant de l’étranger dont plusieurs professeurs de droit dans différentes universités (en Grande-Bretagne, en Belgique, en Espagne et en Zambie), un ex-rapporteur des Nations unies en matière de dette et de respect des droits de l’homme, des experts en finance internationale, des auditeurs des comptes publics, des personnes ayant participé antérieurement à des audits de la dette publique, un ex-président d’une banque centrale et ex-ministre de l’économie, des spécialistes des banques ayant acquis une connaissance approfondie du secteur bancaire au cours de leur vie professionnelle. Parmi les 15 personnes provenant de Grèce, plusieurs avaient une expérience dans le monde bancaire, dans le domaine de la finance internationale, du droit, du journalisme, de la santé.

Les membres de la commission dont je coordonnais les travaux s’étaient mis d’accord sur les définitions correspondant aux dettes illégitimes, odieuses, illégales et insoutenables ainsi que sur une méthodologie de travail. Ils s’étaient répartis en six groupes de travail dont trois analysaient les dettes réclamées par les différents créanciers : un groupe auditait les dettes réclamées par le FMI, un deuxième groupe celles réclamées par la BCE, un troisième celles réclamées par les 14 pays de la zone euro qui avaient octroyé des prêts bilatéraux en 2010 ainsi que celles dues aux deux organismes créés par la commission européenne pour octroyer des crédits à la Grèce, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui lui avait succédé. Ces différents créanciers qui étaient représentés par la Troïka détenaient plus de 85 % de la dette grecque en 2015. Trois autres groupes de travail fonctionnaient. L’un devait produire une analyse du processus d’endettement public avant 2010. Le deuxième devait fournir une évaluation rigoureuse des mesures dictées par la Troïka (et acceptées par les gouvernements qui s’étaient succédé depuis 2010) et de leur impact sur l’exercice des droits humains fondamentaux. Le dernier groupe de travail réunissait plusieurs juristes et élaborait des conclusions en termes juridiques et des recommandations aux autorités grecques.

« Ces différents créanciers (FMI, BCE et 14 pays de la zone euro) qui étaient représentés par la Troïka détenaient plus de 85 % de la dette grecque en 2015 »

Une partie importante des travaux de la commission était publique. Les séances se déroulaient dans le parlement et étaient retransmises en direct par la chaîne parlementaire. Celle-ci gagnait au fil des semaines de plus en plus d’audience dans un public qui commençait à se détourner des chaînes de télévision qui étaient privées et étaient opposées au gouvernement Tsipras. La chaîne publique ERT fermée à partir de juin 2013 à la demande de la Troïka n’a repris ses activités qu’à partir du 11 juin 2015, une semaine avant que la commission d’audit ne remette ses conclusions.

La commission a procédé à des séances d’audition de témoins qui étaient, elles aussi, retransmises en direct par la chaîne parlementaire. Philippe Legrain, ex-conseiller direct du président de la Commission européenne pendant le premier mémorandum, est venu de Londres pour témoigner [2], de même que Panagiotis Roumeliotis, ex-représentant de la Grèce au FMI au début du premier mémorandum [3]. Ces séances ont permis de montrer à un large public les véritables raisons de l’intervention de la Commission européenne, de la BCE et du FMI.

Malgré des demandes répétées qui lui ont été adressées, Yanis Varoufakis n’a pas aidé la commission à réaliser sa mission. Son désintérêt pour la commission est patent car il ne mentionne pas une seule fois celle-ci dans le livre qu’il consacre à son explication des évènements de 2015. Il n’a pas du tout compris que cette commission et les conclusions qu’elle allait produire pouvaient grandement aider la Grèce à se libérer des créanciers avec des arguments très forts tant par rapport à l’opinion publique en Grèce que par rapport à l’opinion internationale. Bien sûr, pour que les propositions de la Commission trouvent un débouché concret, il aurait fallu que des membres du gouvernement fassent du bruit autour des enjeux et des travaux de cette commission. Qui était la personne la mieux placée du gouvernement pour faire écho à l’audit de la dette si ce n’est le ministre des finances ?

« Le refus de Varoufakis et de Tsipras de mentionner à l’étranger les travaux de la commission est en relation directe avec leur stratégie funeste […] Le mandat attribué à la commission par la présidente du Parlement grec les dérangeait profondément »

Quant à Tsipras, son soutien à la commission était purement formel et il s’est bien gardé de s’y référer lors de ses déclarations publiques à l’étranger.

Du côté de l’aile gauche de Syriza, une partie n’a pas saisi l’importance des travaux de la commission. Son leader principal, Panagiotis Lafazanis, n’est pas venu une seule fois aux séances publiques de la commission tandis que d’autres ministres membres de la Plateforme de gauche l’ont activement soutenue. C’est le cas de Dimitris Stratoulis, en charge des pensions, de Costas Isychos, vice-ministre de la défense et de Nadia Valavani, vice-ministre des finances.

Le refus de Varoufakis et de Tsipras de mentionner à l’étranger les travaux de la commission est en relation directe avec la stratégie funeste qu’ils mettaient en pratique. Cette stratégie consistait à chercher une solution en matière d’allègement du paiement de la dette sans remettre en cause sa nature, sans accepter de reconnaître son caractère illégitime et odieux. Leur stratégie consistait également à pratiquer la diplomatie secrète et à faire croire que la Troïka avait disparu.

Le mandat attribué à la commission par la présidente du Parlement grec les dérangeait profondément.

Le fait de recourir à une participation active des citoyens à l’audit de la dette ne faisait pas partie de leur pratique. Pour eux, tout passait par des négociations au sommet sans mener la moindre campagne de communication internationale pour délégitimer la Troïka. Varoufakis communiquait avec les médias mais uniquement sur la base de propositions qui supposaient qu’un consensus était possible avec les dirigeants européens. Il déclare lui-même dans son livre qu’il leur demandait conseil de manière régulière, notamment quand il rencontrait Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, ou Angela Merkel, la chancelière.

Le fameux plan X auquel Varoufakis s’est référé constamment après son départ du gouvernement, lorsque que tout était joué, n’a jamais été communiqué au gouvernement au complet ni au groupe parlementaire et au Comité central de Syriza. Il n’en a parlé qu’au cercle très étroit autour de Tsipras et à quelques-uns de ses collaborateurs qui travaillaient dans le secret. Sa mise en œuvre éventuelle dépendait uniquement de la décision de Tsipras. Or, Tsipras lui a montré à plusieurs reprises qu’il n’était pas prêt à l’appliquer. Les quelques fois où, selon les propres dires de Varoufakis, Tsipras et d’autres membres du cercle ont voulu prendre des mesures fortes, par exemple à l’encontre du gouverneur de la banque nationale ou les 21-22 février en refusant de confirmer certains termes de l’accord du 20 février, Varoufakis affirme qu’il les a convaincus d’y renoncer.

« La décision clé qui signala le point de non-retour est le décret-loi du 20 avril qui ordonnait à tous les organismes publics de transférer les réserves de liquidités à la Banque de Grèce pour payer à temps le versement de juin »

La décision clé qui signala le point de non-retour est le décret-loi du 20 avril qui ordonnait à tous les organismes publics (municipalités, universités, hôpitaux, parlement, bibliothèques publiques etc. sauf les caisses de sécurité sociale et de retraite) de transférer les réserves de liquidités à la Banque de Grèce pour payer à temps le versement de juin, lequel comme tous les versements des premiers mois du gouvernement Syriza était destiné au seul FMI. Ce fut le signal que le gouvernement était bel et bien pieds et poings liés à l’accord du 20 février et refusait toute éventualité de plan B, toute rupture avec les créanciers. Or, Varoufakis n’a jamais émis la moindre réserve sur cette décision fatale, qui rendait sans objet toute discussion sur des plans alternatifs. Il n’en dit pas un mot dans son livre.

Suite à cette décision la position de la Plate-forme de gauche devenait intenable. La question s’est posée par exemple de savoir que devaient faire les maires et le président de la région des îles ioniennes membres ou proches de la Plate-forme de gauche face à cette injonction ? En général ils ont plié. Lors d’une réunion nationale du courant Lafazanis, qui s’est tenu vers le 24 avril, la décision fut prise de façon unanime de charger Lapavitsas et ses collaborateurs de mettre au point un plan alternatif, que la Plateforme de gauche aurait rendu public. Mais Lafazanis laissait traîner les choses.

Pourquoi un tel atermoiement ? Probablement, Lafazanis et les autres dirigeants étaient conscients que si un tel plan était rendu public, les ministres de la Plate-forme de gauche auraient dû mettre leur fauteuil de ministre dans la balance, et ils ne voulaient pas prendre le risque. Ce fut l’erreur fatale de la Plate-forme de gauche, qui annonçait le manque de punch qui s’est publiquement manifesté lors des semaines décisives de juillet-août 2015.

Revenons aux moments marquants des mois de mai et de juin.

Le 12 mai 2015, la Grèce devait faire pour la septième fois depuis février un remboursement au FMI. Les caisses publiques avaient été quasiment entièrement vidées pour effectuer les paiements précédents et la Troïka se refusait toujours à verser ce qu’elle devait à la Grèce, notamment les 1,9 milliards € de bénéfices réalisés par la BCE sur les titres grecs.

Or le FMI voulait éviter que la Grèce ne suspende le paiement, ce qui montre qu’il craignait une telle mesure. En conséquence, le FMI avec ses complices en Grèce, notamment le gouverneur de la banque de Grèce et Chouliarakis, a trouvé une astuce. Il a prétendu avoir découvert un compte oublié ouvert dans le passé par la Grèce au FMI sur lequel subsistait un solde. En réalité, le FMI a versé près de 650 millions € sous forme d’un nouveau prêt sur le compte en question, ce qui a permis ensuite à la Grèce de rembourser le montant dû, soit 765 millions € selon Varoufakis [4] (747,7 millions € si l’on en croit le Wall Street Journal), en y ajoutant le reliquat à partir de ce qui restait disponible dans les fonds de tiroir des caisses publiques.

« Le FMI voulait éviter que la Grèce ne suspende le paiement, ce qui montre qu’il craignait une telle mesure »

Personnellement, j’avais été mis au courant de ce subterfuge par une source bien informée à Washington et j’avais prévenu la présidente du Parlement grec qui n’était jusque-là au courant de rien.

À la même époque, la présidente du Parlement m’a informé qu’elle avait refusé d’accéder à une demande de Tsipras qui lui demandait de verser les liquidités disponibles dans les caisses du Parlement grec. Pour convaincre la présidente, il lui avait dit que cela allait servir à payer les retraites. Avant de refuser la demande de Tsipras, elle avait téléphoné à Dimitris Stratoulis, le ministre en charge des retraites, qui lui avait dit qu’il n’avait pas introduit une telle demande auprès de Tsipras car il avait pris ses précautions : il restait suffisamment d’argent dans le système des pensions pour payer les retraites. Lui-même faisait de la résistance afin d’empêcher que l’argent tant nécessaire aux retraités ne quitte le pays pour aller remplir les coffres du FMI. Zoe Konstantopoulou a donc refusé de transférer la somme que lui demandait Tsipras.

Néanmoins, elle gardait de bons rapports avec lui et chaque fois que je m’inquiétais de l’orientation adoptée par le premier ministre, elle tentait de me rassurer en me disant qu’il finirait par stopper les concessions et par adopter les décisions radicales qui permettraient de trouver une issue à l’impasse. Je n’étais pas convaincu mais nous continuions activement le travail au sein de la commission d’audit.

Je cherchais également à manifester mon soutien aux ministres de gauche, comme Dimitris Stratoulis, qui essayaient de pousser le gouvernement à suspendre le paiement de la dette. La situation de millions de retraités grecs était intenable et la Troïka n’arrêtait pas d’exiger de nouvelles réductions de dépenses dans le secteur des pensions. C’est pour cela que le 15 mai 2015, je me suis rendu à son ministère afin de dialoguer sur ce qu’il convenait de faire et pour le mettre au courant des travaux de la commission. Stratoulis était très heureux de ma visite et a décidé d’en rendre compte publiquement. Il a envoyé à la presse un compte-rendu de cette rencontre et de mon côté j’ai rédigé un communiqué de presse que voici :

  • « Après une visite le vendredi 15 mai au ministère grec des pensions et une rencontre avec le ministre Stratoulis, voici ma déclaration concernant le contenu de notre échange fructueux.
  • Il est clair qu’il y a une relation directe entre les conditions imposées par la Troïka et l’augmentation de la dette publique depuis 2010. La Commission pour la vérité sur la dette grecque va produire en juin 2015 un rapport préliminaire dans lequel le caractère illégitime et illégal de la dette réclamée à la Grèce sera évalué. Il y a des preuves évidentes de violations de la constitution grecque et des traités internationaux garantissant les droits humains.
  • La Commission considère qu’il y a une relation directe entre les politiques imposées par les créanciers et l’appauvrissement d’une majorité de la population ainsi que la baisse de 25 % du PIB depuis 2010. Par exemple, les fonds de pension publics ont subi d’énormes pertes suite à la restructuration de la dette grecque organisée en 2012 par la Troïka. Celle-ci a imposé une perte de 16 à 17 milliards d’euros par rapport à leur valeur originale de 31 milliards €. Les revenus du système de sécurité sociale ont aussi souffert directement à cause de l’augmentation du chômage et de la réduction des salaires comme conséquence des mesures imposées par la Troïka.
  • La dette grecque n’est pas soutenable, pas seulement d’un point de vue financier, puisque c’est clair que la Grèce est par essence incapable de la rembourser, mais elle est aussi insoutenable du point de vue des droits humains. Plusieurs juristes spécialistes en matière de droit international considèrent que la Grèce peut se déclarer en état de nécessité. Selon le droit international, quand un pays est en état de nécessité il a la possibilité de suspendre le remboursement de sa dette de manière unilatérale (sans accumuler des arriérés d’intérêt) en vue de garantir à ses citoyens les droits humains fondamentaux, tels que l’éducation, la santé, la nourriture, des retraites décentes, des emplois, etc.
  • L’objectif du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette est de renforcer la position de la Grèce, lui donnant des arguments supplémentaires dans les négociations avec les créanciers. La Commission pour la vérité sur la dette aimerait organiser une visite publique avec des journalistes pour permettre au ministre de rendre public la relation directe entre les politiques imposées par la Troïka et les dégradations des conditions de vie de la majorité de la population et spécifiquement pour les pensionnés, qui ont vu leur pension réduite de 40 % en moyenne depuis que la Troïka est active en Grèce.
  • Comme le ministre nous l’a déclaré, 66 % des pensionnés reçoivent une retraite mensuelle de moins de 700 euros et 45 % des pensionnés reçoivent une retraite inférieure au seuil de pauvreté qui est fixé à 660 euros par mois.
  • Je réprouve totalement les nouvelles exigences du FMI et de l’Eurogroupe qui veulent imposer de nouvelles réductions des pensions, alors qu’il est clair que les politiques précédentes et actuelles imposées par les créanciers violent le droit des pensionnés à une retraite décente. Les pensions doivent être restaurées.
  • Éric Toussaint, coordinateur scientifique de la Commission pour la Vérité sur la dette, Athènes le 15 mai 2015 » [5]

Fin du communiqué

La veille de cette rencontre avec Dimitris Stratoulis, j’étais allé écouter Varoufakis prendre la parole lors d’une grande conférence organisée par le Financial Times et dédiée à l’avenir des banques grecques. Varoufakis y avait déclaré que les négociations avec « les institutions » (rappelons-nous qu’à l’époque, selon le discours officiel, la Troïka était abolie) étaient en bonne voie. Selon lui, il fallait arriver à un double accord, un qui permettrait de terminer le 2e mémorandum comme prévu le 30 juin et un second qui constituerait un nouvel arrangement.

« Varoufakis cherchait comme Tsipras un nouvel accord pour remplacer celui en cours et, qu’il le veuille ou non, cela signifiait un 3e  mémorandum »

Cette déclaration a fait écho à ce que j’avais appris de la bouche d’un de ses collaborateurs directs : Varoufakis cherchait comme Tsipras un nouvel accord pour remplacer celui en cours et, qu’il le veuille ou non, cela signifiait un 3e mémorandum. Lors de la conférence organisée par le Financial Times devant un parterre de membres de l’establishment et des représentants d’entreprises étrangères, il avait déclaré : « Il est impossible de sortir de la zone euro sans que cela entraîne une catastrophe pour le pays qui quitte ». Parmi les autres conférenciers, il y avait Kyriakos Mitsotakis qui est devenu premier ministre quatre ans plus tard, en juillet 2019. Le représentant de la banque Piraeus, une des quatre grandes banques du pays, annonçait qu’il ne fallait pas trop s’inquiéter si 27 milliards € avaient été retirés des banques grecques depuis fin décembre 2014. Régnait dans cette conférence une atmosphère irréelle, les participants triés sur le volet semblaient vivre à des années lumières de la population grecque. J’avais eu accès à cet événement grâce à un ministre qui m’avait remis l’invitation personnelle qui lui était destinée. J’y avais rencontré Dragasakis qui n’était pas du tout heureux de devoir m’adresser la parole. Sa gêne a augmenté quand un de ses jeunes collaborateurs m’a déclaré qu’il avait lu avec un grand intérêt et enthousiasme l’édition grecque du livre 65 questions/65 réponses sur la dette, la Banque mondiale et le FMI [6] que j’avais écrit avec Damien Millet. Dragasakis, visiblement, n’était pas du tout satisfait de cette déclaration intempestive de son collaborateur.

Dans le gouvernement, un malaise et des frustrations étaient perceptibles mais cela ne filtrait pas vers le public. Je me souviens très bien de ma deuxième rencontre avec la ministre Rania Antonopoulos qui avait en charge la création de 300 000 emplois, une des priorités du programme de Syriza. Au cours de la première rencontre qui avait eu lieu en février 2015, elle m’avait déclaré qu’elle voulait dans la mesure du possible prêter son concours au lancement de l’audit de la dette comme je le proposais. Lors de notre deuxième rencontre en mai 2019, elle a exprimé sa frustration comme ministre. Elle m’a confié qu’elle pensait avoir fait une erreur en acceptant d’entrer au gouvernement car son département manquait de moyens et parce qu’elle ne se sentait pas libre de dire ce qu’elle pensait. Elle m’a déclaré qu’elle aurait dû donner la priorité à son rôle de députée du parlement. Elle m’a expliqué qu’il n’y avait pas de réunion du gouvernement au complet, pas de discussion collective. Elle considérait que Tsipras laissait conduire sa politique par les sondages.

« Dans Syriza, un profond malaise était en train de se développer. Mais pour les militants du parti, y compris au plus haut niveau sauf dans le cercle étroit autour de Tsipras, il était très difficile de percevoir ce qui se passait réellement. »

Tsipras, qui présidait le parti tout en étant premier ministre, communiquait très peu de choses à ses camarades. Il n’informait pas sur les concessions qu’il était en train de faire à la Troïka et laissait entendre qu’il allait prendre un tournant radical car les dirigeants européens ne répondaient pas positivement aux demandes du gouvernement. Il utilisait au maximum les attaques des ennemis de Syriza pour demander que tous à l’intérieur du parti se serrent les coudes et fassent confiance au gouvernement.

Pourtant le 24 mai 2015, lors de la réunion du comité central de Syriza, un amendement déposé par la Plateforme de gauche qui critiquait le cours des négociations et la stratégie du gouvernement, appelant à des mesures unilatérales en vue de la mise en œuvre effective du programme de Thessalonique, avait obtenu 44 % des voix [7].

Au sein de la Plateforme de gauche dès avril 2015, Costas Lapavitsas, qui avait été élu député de Syriza en janvier 2015, avait diffusé une proposition d’orientation alternative à celle mise en pratique par Tsipras. Cette proposition détaillée proposait d’agir pour une annulation de la plus grande partie de la dette publique, soutenait l’audit à participation citoyenne, refusait l’obligation de dégager un surplus du budget primaire, mettait en avant la nécessité de nationaliser les banques et d’annuler une partie importante de la dette des ménages à l’égard des banques, et proposait de restaurer le salaire minimum et les retraites en revenant à la situation d’avant le mémorandum de 2010. La proposition avancée par Costas Lapavitsas se fondait sur des travaux préparatoires rédigés avec l’économiste allemand Heiner Flassbeck qui a occupé des fonctions ministérielles dans un gouvernement social-démocrate allemand dans les années 1990. Elle incluait la perspective de la sortie de la zone euro en envisageant deux options, celle d’une sortie négociée et celle d’une sortie conflictuelle [8]. Ce programme qui constituait une proposition tout à fait intéressante n’a malheureusement pas été diffusé par la Plateforme de gauche qui a cherché jusqu’au bout un compromis avec Tsipras. Stathis Kouvelakis, qui était membre du Comité central de Syriza jusqu’à l’été 2015 et adhérent à la Plateforme de gauche, considère que la direction de celle-ci porte la responsabilité de la non-publication de cette orientation alternative. Kouvelakis considère que la direction de la Plateforme de gauche, dont plusieurs membres avaient des responsabilités ministérielles, est restée soumise à tort aux contraintes de la participation gouvernementale [9]. Je partage cette analyse.

Le dimanche 31 mai, alors que j’étais extrêmement pris par la coordination de la rédaction finale du rapport d’audit de la dette qui allait être présenté le 17 juin au parlement, j’ai reçu un appel de Daniel Munevar [10], collaborateur de Varoufakis depuis le mois de mars. Il me proposait de déjeuner avec James K. Galbraith. J’ai d’abord hésité car le travail qui restait à accomplir était considérable et chaque heure comptait. Puis j’ai pensé qu’une discussion avec Galbraith pourrait être utile au travail de la commission et j’ai quitté pendant quelques heures le studio de 18 m2 qui m’avait été gracieusement prêté par une personne convaincue que l’audit réalisé par la commission servait les intérêts du peuple grec. Galbraith était un des plus proches conseillers de Varoufakis durant ses fonctions ministérielles. Je le connaissais bien depuis une dizaine d’années car nous avions participé en Amérique latine à plusieurs conférences sur la mondialisation financière. En mars 2015, alors que Daniel Munevar avait accepté de collaborer à la commission d’audit, Galbraith l’avait finalement convaincu de faire partie de l’équipe internationale qui travaillerait directement avec Varoufakis, et en conséquence Munevar n’avait pas pu renforcer les rangs de la commission. Depuis mars, nous nous voyions assez régulièrement à Athènes pour faire le point et j’avais essayé, sans succès, de faire en sorte que Varoufakis accepte qu’il puisse aider à la commission malgré ses tâches comme conseiller au ministère des finances.

Le dimanche 31 mai, Galbraith, Munevar et moi avons déjeuné à une terrasse d’un restaurant populaire du centre d’Athènes à quelques centaines de mètres de la place Syntagma. Galbraith avait effectué peu avant un voyage à Berlin et était très inquiet parce que les dirigeants allemands campaient sur leurs positions. Son moral était bas. Même s’il ne l’a pas dit ouvertement, il se posait des questions sur l’efficacité de l’orientation suivie jusque-là par le gouvernement. Je lui ai exprimé mes critiques quant au refus du gouvernement de suspendre le paiement de la dette. Il a défendu l’orientation de Varoufakis et de Tsipras tout en reconnaissant qu’une suspension aurait peut-être donné des résultats positifs alors que la modération adoptée par le gouvernement ne donnait rien. Par contre quand je lui ai dit que j’étais tout à fait en désaccord avec la décision de ne pas exercer de contrôle sur les mouvements des capitaux, il m’a répondu que le gouvernement avait raison et qu’il ne fallait pas s’en faire sur ce point. Peut-être parce qu’il n’était pas convaincu lui-même de la politique suivie par son ami Varoufakis sur ce point, il n’a pas cherché à donner un argument convaincant. On s’est retrouvé en accord sur un point : la nécessité de mettre en circulation le plus vite possible une monnaie complémentaire. Il m’a dit qu’il essayait de convaincre Tispras et son entourage à ce propos mais que cela ne donnait aucun résultat. Une fois de plus, j’ai constaté l’abîme qui me séparait de l’orientation tant de Tsipras que celle de Varoufakis sur les questions centrales. J’ai expliqué l’importance des travaux de la commission et j’ai invité Galbraith à assister aux séances d’audition de Philippe Legrain et de Panagiotis Roumeliotis qui étaient programmées pour le 11 et le 15 juin respectivement. Galbraith a assisté à au moins une des deux auditions.

« Roumeliotis a reconnu que le 1er mémorandum avait été conçu pour venir en aide aux banques privées françaises et allemandes principalement, ainsi qu’aux banques privées grecques […] Il a également reconnu que la crise trouvait son origine d’abord dans la dette privée et que la crise de la dette publique en résultait »

Les 2 et 3 juin 2015, j’étais invité à une réunion tenue à Athènes par le groupe de la Gauche unitaire au parlement européen afin de présenter le travail de la commission. J’ai constaté que l’écrasante majorité des parlementaires ne se rendait pas du tout compte de ce qui se passait réellement en Grèce et des dangers que représentait l’orientation conciliatrice adoptée par le gouvernement Tsipras. Un parlementaire européen membre de l’aile droite de Syriza, qui était un des organisateurs de cette réunion à laquelle participait une quarantaine d’eurodéputés, avait mis son veto à ce que la présidente du Parlement grec soit invitée à prendre la parole à cette réunion. Manifestement à ses yeux, elle était trop radicale. Elle est quand même venue et y a pris la parole.

Le 3 juin, j’ai quitté un moment cette réunion de parlementaires européens, pour rencontrer en tête-à-tête Panagiotis Roumeliotis, l’ancien représentant de la Grèce au FMI au début du premier mémorandum. À l’époque du premier mémorandum, le FMI était dirigé par Dominique Strauss-Kahn avec qui il avait fait ses études à Paris. Roumeliotis avait une longue expérience des institutions internationales, il faisait partie de l’establishment. Il avait été successivement ministre du Commerce en 1987 puis ministre de l’économie en 1988-1989. En 2015, il était vice-président de la banque Piraeus. Roumeliotis avait accompagné Varoufakis lors de son déplacement à Washington le 5 avril 2015 pour rencontrer Christine Lagarde. Je lui avais donné rendez-vous le 3 juin afin de préparer son audition prévue pour le 15 juin. Notre conversation a été instructive car il a reconnu que le premier mémorandum avait été conçu pour venir en aide aux banques privées françaises et allemandes principalement, ainsi qu’aux banques privées grecques. Plus important encore en ce que cela contredit la narration dominante, il a reconnu que la situation des banques grecques en 2009-2010 était bien plus préoccupante que celle des finances publiques. Il a également reconnu que la crise trouvait son origine d’abord dans la dette privée et que la crise de la dette publique en résultait. Il n’est pas allé aussi loin dans ses déclarations publiques lors de son audition – qui a duré plus de six heures – le 15 juin au Parlement grec par la Commission d’audit. Mais ce qu’il y a déclaré était quand même fort intéressant. Au début de son intervention, il a précisé qu’il venait de recevoir une missive de Christine Lagarde lui rappelant son devoir de réserve comme ancien membre de la direction du FMI, ce qui montre bien que les dirigeants de la Troïka étaient inquiets de l’aboutissement des travaux de la commission.

Si Varoufakis et d’autres auteurs ne mentionnent pas les travaux de la commission, ce n’est pas parce qu’elle était insignifiante, c’est parce que son existence en elle-même dérangeait leurs plans et mettait en danger, selon eux, l’aboutissement des négociations avec les créanciers. Je suis persuadé que Draghi, Lagarde, Juncker se tenaient informés des travaux de la commission et mettaient la pression sur Varoufakis et Tsipras pour qu’ils n’en parlent pas en public et pour qu’ils ne s’appuient pas sur nos travaux.

La violence avec laquelle les grands médias grecs se référaient aux travaux de la commission constituait un signe évident des dangers qu’elle représentait pour l’ordre établi. La présidente du parlement était la cible principale des attaques puisqu’elle avait créé la commission. J’étais la cible numéro 2. Plusieurs articles publiés par d’importants médias de droite visaient à me discréditer et recouraient à des attaques personnelles sur ma tenue vestimentaire ainsi que sur le fait que j’avais participé à des audits de dettes dans des pays dits en développement. On nous présentait comme un danger pour la Grèce. Au sein du parlement, le président du groupe parlementaire du parti néolibéral To Potami (La Rivière) était également très remonté contre mon rôle de coordinateur scientifique des travaux de la commission. Il a officiellement protesté contre ma présence au parlement lors d’une réunion des chefs des groupes parlementaires.

J’ai pu constater en mai-juin 2015 que la campagne médiatique contre la commission et contre ma personne produisait auprès de la population grecque un effet contraire à celui recherché. Lors de mes déplacements dans Athènes, dans la rue ou dans les transports en commun, à de nombreuses reprises des personnes m’ont arrêté pour me saluer, me serrer la main chaleureusement, ont demandé à prendre un selfie avec moi, m’ont remercié pour le travail en cours de réalisation, m’ont dit de bien prendre soin de ma sécurité, etc. Pas une seule fois, quelqu’un n’a manifesté un geste ou une parole de réprobation. Cela a été le cas y compris la fois où je me suis rendu sur la place Syntagma à une manifestation antigouvernementale convoquée par des partis d’opposition de droite. Je voulais me rendre compte de la situation, voir quel type de public participait à une telle manifestation. J’ai traversé tranquillement les rangs des manifestants qui étaient environ dix mille. J’ai vu qu’un certain nombre me reconnaissait mais aucun n’a exprimé un rejet. J’en ai tiré l’impression que les travaux de la commission pour établir la vérité sur la dette n’étaient pas considérés comme contraires aux intérêts de la Grèce par les personnes des milieux populaires et des classes moyennes qui se mobilisaient à droite. De même, dans les restaurants populaires ou dans des cafés que j’ai fréquentés, il n’était pas rare que le patron ou des membres du personnel marquent leur sympathie pour le travail de la commission.

Sur le plan international, les soutiens au travail de la commission étaient nombreux, un site spécifique avait été ouvert et un appel international largement soutenu attirait constamment des signatures des quatre coins de la planète. De nombreux journalistes étrangers marquaient aussi leur intérêt. Il faut préciser également que tous les documents publics de la commission étaient publiés sur le site du parlement grec, ce qui contrastait avec la diplomatie du secret pratiquée par Tsipras et Varoufakis.

Le 4 juin 2019, alors que la Grèce devait effectuer un nouveau remboursement au FMI de 305 millions € et que les caisses publiques étaient vides, celui-ci propose que tous les paiements dus en juin, pour un montant total de 1 532,9 millions €, soient payés en une seule fois le 30 juin 2015. Cela permettait à la Troïka de mettre la pression maximum sur le gouvernement pour qu’il accepte de signer une nouvelle capitulation avant la fin du 2e mémorandum dont l’échéance était le 30 juin 2015.

Le 3 juin 2019, Tsipras s’était rendu à Bruxelles pour une réunion avec Juncker et Dijsselbloem qui étaient en contact direct avec Merkel, Hollande et Lagarde. Varoufakis avait été mis hors-jeu une fois de plus, Tsipras ne lui avait pas demandé de l’accompagner. Pour la Troïka, il s’agissait de mettre la pression maximale sur le premier ministre qui avait déjà montré qu’il était prêt à d’importantes concessions. Mais les énormes concessions de Tsipras ne suffisaient pas à la Troïka qui voulait le contraindre à une capitulation sur toute la ligne. Elle espérait pouvoir y arriver pour le 6 juin.

« Les énormes concessions de Tsipras ne suffisaient pas à la Troïka qui voulait le contraindre à une capitulation sur toute la ligne. Elle espérait pouvoir y arriver pour le 6 juin »

Finalement, Tsipras décide de rentrer à Athènes le 4 juin. Le lendemain, il critique devant le parlement grec l’attitude intransigeante de la Troïka sans expliquer les nouvelles concessions qu’il avait déjà faites et qui n’étaient pas suffisantes. Il donnait donc au public et aux parlementaires l’impression de résister fortement en affirmant qu’il ne franchirait pas les lignes rouges fixées par son gouvernement et le groupe parlementaire de Syriza.

Les négociations se poursuivent à Bruxelles avec, du côté grec, Chouliarakis à la tête des tractations, faisant tout son possible pour contenter la Troïka mais sans résultat substantiel.

Les 11 et 15 juin, la Commission pour la vérité sur la dette organise deux séances publiques d’audition de témoin. Philippe Legrain, ex-conseiller de José Manuel Barroso qui a présidé la Commission européenne entre novembre 2004 et novembre 2014, témoigne le 11 juin, et Panagiotis Roumeliotis le fait le 15 juin. L’audience de la commission auprès du public grec augmente.

Le 17 juin, au parlement grec, la commission présente son rapport en présence de la présidente du parlement grec, du premier ministre et d’une dizaine de membres du gouvernement. Le rapport principal m’incombe et il est retransmis en direct par la chaîne TV du parlement [11]. Une dizaine de parlementaires d’autres pays sont présents. Ils sont venus de Belgique, de France, d’Allemagne, d’Espagne, d’Argentine, de Tunisie, etc., pour apporter leur soutien au travail de la commission et à la demande d’annulation des dettes illégitimes. Le rapport conclut que l’entièreté de la dette réclamée par la Troïka est illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. Tsipras qui est venu saluer la commission en début de séance est reparti sans faire de déclaration publique. La présentation publique des différentes parties du rapport prend deux journées entières. Le rapport d’une petite centaine de pages est distribué en grec et en anglais, il est immédiatement publié sur le site du parlement grec. Dans les semaines qui suivent, il est traduit et publié en français, en allemand, en italien, en espagnol et en slovène.

Pendant ce temps, le 18 juin lors de la réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles, la Troïka fait monter la pression sur le gouvernement grec. Benoît Coeuré, de la BCE, annonce que les banques grecques devront peut-être fermer leurs portes le 22 juin [12]. Christine Lagarde, pour le FMI, est également très agressive.

Le 20 juin, selon Varoufakis, Tsipras est très abattu et il lui soumet le projet d’un texte d’un discours à tenir devant la Nation afin d’expliquer la nécessité de capituler devant les exigences de la Troïka. Varoufakis affirme lui avoir déclaré : « Si tu veux capituler, capitule, mais fais-le convenablement – et je lui ai remis une feuille sur laquelle j’avais rédigé l’esquisse d’un discours, un discours à la nation, qu’il devrait lire à la télévision :

  • « Mes chers compatriotes, Nous nous sommes battus courageusement contre une troïka de créanciers impitoyables. Nous avons tout donné. Hélas, il n’y a pas de discussion possible avec des créanciers qui ne veulent pas récupérer leur argent.
  • « Nous avons essayé de tenir bon face à des institutions parmi les plus puissantes au monde et face à notre propre oligarchie, lesquelles ont bien plus de pouvoir que nous. Personne ne nous a porté secours. Certains, comme le président Obama, se sont montrés compréhensifs à notre égard. D’autres, comme la Chine, nous ont fait part de leur sympathie. Mais personne n’a proposé de nous aider concrètement face à ceux qui ont décidé de nous briser. Nous n’abandonnons pas, mais je dois vous annoncer que nous avons décidé de renoncer aujourd’hui pour pouvoir nous battre à l’avenir.
  • « Dès demain matin, j’accèderai aux demandes de la Troïka. Mais seulement parce qu’il reste de nombreuses batailles à livrer. Dès demain, après avoir accepté les exigences de la Troïka, mes ministres et moi-même entreprendrons une grande tournée en Europe pour expliquer aux peuples le sort qui nous a été réservé, pour les appeler à se mobiliser et à se joindre à notre combat commun, qui est de mettre fin au pourrissement et de redonner vie aux principes et aux traditions démocratiques de notre continent. » [13]

Fin de citation du texte rédigé par Varoufakis.

La stratégie présentée ici correspond bien à une des faiblesses fondamentales de l’orientation du Ministre des finances : elle débouchait sur la capitulation. Si l’on suit le raisonnement tenu par Varoufakis et les recommandations faites à Tsipras et son gouvernement, ce n’est qu’après avoir capitulé qu’ils auraient réalisé une grande tournée pour demander aux peuples de se mobiliser. Se mobiliser pour quoi ? Pour se solidariser d’un gouvernement qui capitule ? C’est dès février qu’il aurait fallu organiser systématiquement une campagne de mobilisation nationale et internationale pour soutenir les actions que le gouvernement aurait dû résolument entreprendre au lieu de capituler une première fois le 20 février. Ensuite, à plusieurs moments clés, Tsipras et Varoufakis auraient dû prendre le virage pour éviter la capitulation. Mais aucun des deux ne l’a fait.

Varoufakis commente : « Alexis l’a lu, puis a dit avec son air abattu habituel : « Je ne peux pas dire au peuple que nous allons déposer les armes ». C’était on ne peut plus clair : il avait effectivement décidé de céder, mais il ne pouvait se résoudre à l’annoncer. [14] »

De toute manière, les concessions systématiques que Tsipras faisait dans les pourparlers avec la Troïka permettent de comprendre le dénouement de début juillet 2015.

Face à la Troïka qui voulait une capitulation humiliante à laquelle Tsipras n’était pas prêt, il a fini par convoquer un référendum. Il a pris cette décision le 26 juin, à l’issue d’un sommet tenu à Bruxelles le 25 juin au cours duquel, une fois de plus, la présidence de la Commission européenne, celle de l’Eurogroupe, les chefs de gouvernement de la zone euro, la BCE et le FMI avaient exercé une pression maximum sur lui.

Tsipras quitte Bruxelles le 26 juin et annonce la convocation d’un référendum pour le 5 juillet 2015.

Dans les jours qui suivirent, du côté de tous ceux et celles qui attendaient que Tsipras prenne enfin un tournant et stoppe les concessions faites à la Troïka, la convocation du référendum a représenté un extraordinaire signal de renaissance de l’espoir. Cet espoir était d’autant plus fort que le gouvernement demandait au peuple de se prononcer sur les exigences de la Troïka et appelait à les rejeter.

La question sur laquelle les Grecs étaient invités à se prononcer se présentait de la manière suivante :

« Acceptez-vous le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015 et composé de deux parties, qui constituent leur proposition unifiée ? Le premier document est intitulé « Réformes pour la réussite du programme actuel et au-delà », le second « Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette ».

Les deux documents en question étaient rendus publics par le gouvernement et pouvaient être lus ou téléchargés sur le site créé pour le référendum.

Il s’agissait ni plus ni moins de faire vivre la démocratie face aux diktats des créanciers. C’était tard mais il était encore temps pour le gouvernement de se ressaisir et de mettre enfin en pratique une série de mesures alternatives en cas de rejet des exigences de la Troïka sur la base d’un mandat donné par le peuple.

Ce que Tsipras avait réellement en tête en convoquant le référendum n’est pas clair. Plusieurs interprétations circulent.

Varoufakis donne sa version qui mérite d’être prise en compte. Selon lui, Tsipras a annoncé sa décision le 26 juin au noyau qui l’entourait à Bruxelles. Il s’agissait de Dragasakis (vice-premier ministre), Sagias (le conseiller juridique), Tsakalotos (qui remplaçait officiellement Varoufakis dans les contacts avec la Troïka), Pappas (l’alter ego de Tsipras), Stathakis, Chouliarakis et lui-même. Varoufakis déclare avoir demandé aux présents :

  • « Ce référendum, on le convoque pour le gagner ou pour le perdre ? ».

Il relate la suite :

  • « La seule réponse que j’ai obtenue, et je pense qu’elle était sincère, m’a été donnée par Dragasakis : « Nous avons besoin d’une sortie de secours. »
  • Comme lui, j’étais persuadé que nous allions perdre le référendum. En janvier, le total des voix en faveur du gouvernement n’avait été que de 40 pour cent, et à présent nous devrions faire face à une semaine entière de fermeture des banques et de rumeurs affolantes dans les médias avant le 5 juillet. Mais à l’inverse de moi, Dragasakis souhaitait perdre pour légitimer notre acceptation des conditions de la Troïka. [15] »

Plus loin, il réaffirme que l’objectif du noyau autour de Tsipras (dont il s’exclut sur ce point), en convoquant le référendum, était d’avoir la légitimité pour capituler. Il écrit qu’il a proposé le 27 juin à Tsipras et aux membres du cabinet de guerre qui l’entourait d’annoncer certaines mesures fortes comme l’intention de reporter de deux ans le remboursement à la BCE [16], ce que Tsipras, Dragasakis et Tsakalotos ont refusé. Il ajoute : « C’est après la réunion, en me dirigeant vers la sortie, que j’ai soudain compris ce qui se passait : le but était bien de perdre le référendum » [17].

Est-ce que Tsipras pensait dès le moment où il a convoqué le référendum que le gouvernement allait le perdre, comme l’affirme Varoufakis ? Ce n’est pas clair. Selon Stathis Kouvelakis, le 26 juin, Tsipras pensait que le « Non » l’emporterait et dépasserait 70 % [18]. Selon Varoufakis, Tsipras considérait que le « Oui » l’emporterait et lui donnerait la légitimité pour capituler.

Ce qui est certain c’est que pour Tsipras, comme le souligne Kouvelakis [19], la convocation du référendum ne constituait pas le signal de la rupture avec la Troïka, c’était un mouvement tactique afin de reprendre l’initiative pour sortir de l’impasse de manière à poursuivre la négociation dans de meilleures conditions.

D’ailleurs, Tsipras a essayé de poursuivre les négociations pendant la semaine qui a précédé le référendum [20].

Dragasakis, qui était aussi tout à fait favorable à poursuivre les négociations et à faire des concessions, s’est prononcé publiquement pour l’annulation de la convocation du référendum car il pensait que celui-ci rendait plus difficiles les pourparlers avec la Troïka.

Varoufakis souligne qu’il n’y a eu aucune volonté des membres du cabinet de guerre d’organiser une campagne de mobilisation en faveur du « Non ». C’est ainsi que les ministres n’ont pas été encouragés à se déplacer dans le pays pour tenir des meetings en faveur du « Non » [21]. Seul un grand rassemblement a été convoqué pour le 3 juillet, c’est-à-dire deux jours avant le référendum.

Le fait que Varoufakis était persuadé que le « Oui » allait l’emporter montre qu’il était déconnecté de l’état d’esprit de la majorité du peuple grec.

La victoire du « Non » sans qu’une véritable campagne ait été organisée par le gouvernement montre à quel point une grande partie du peuple était prête à résister aux créanciers.

Du côté de la Troïka, la réaction a été violente : la BCE a fait en sorte que le gouvernement doive fermer les banques pendant la semaine qui a précédé le référendum.

Le lundi 29 juin, Juncker dénonce la convocation du référendum – c’est du jamais-vu de la part d’un président de la Commission européenne – et appelle les Grecs dans des termes à peine voilés à voter « Oui » afin de ne « pas commettre un suicide ». Cette intervention a peut-être eu l’effet contraire à celui recherché.

Le 30 juin, Benoît Coeuré, vice-président de la BCE, annonce que si les Grecs votent en majorité pour le « Non », l’expulsion de la zone euro est probable tandis que si les Grecs votent pour le « Oui », la Troïka viendra en aide à la Grèce. François Hollande fait une déclaration dans le même sens.

Les médias dominants en Grèce appellent tous à voter pour le « Oui » et expliquent que si le « Non » l’emporte, ce sera une catastrophe.

Durant les jours qui précèdent le référendum une série de personnalités au niveau international, notamment aux États-Unis, soutiennent le « Non ». Parmi elles, le sénateur Bernie Sanders et les économistes prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman.

Le 3 juillet, une marée humaine se rend à la place Syntagma pour aller écouter Tsipras et exprimer la ferveur populaire pour le « Non ». De nombreux témoignages soulignent que Tsipras était mal à l’aise alors que la foule l’ovationnait pour son courage face aux créanciers. Il a abrégé son discours.

Le rassemblement en faveur du « Oui » est nettement moins fourni que celui en faveur du « Non ».

Le 5 juillet, le résultat est sans appel : un taux de participation élevé (62,5 %) et 61,31 % en faveur du « Non ». Dans les quartiers « ouvriers », le « Non » l’a emporté à plus de 70 %. Selon un sondage, 85 % des jeunes entre 18 et 24 ans ont voté pour le « Non » [22].

Le 5 juillet, le résultat du référendum est sans appel : un taux de participation élevé (62,5 %) et 61,31 % en faveur du « Non ». […] Les dirigeants européens sont complètement désarçonnés : leurs menaces n’ont pas provoqué l’effet recherché sur le peuple grec

Pourtant le 6 juillet, Tsipras se réunit avec les partis qui ont appelé à voter pour le « Oui » et, en 24 heures, élabore avec eux une position conforme aux demandes de la Troïka alors que celles-ci ont été rejetées lors du référendum. C’est une trahison du verdict populaire d’autant plus manifeste qu’il avait juré publiquement de respecter le résultat du référendum, quel qu’il soit.

Tsipras reprend immédiatement le contact avec Bruxelles et constate que la Commission européenne et les dirigeants de l’Eurogroupe, très remontés contre lui, veulent lui faire payer son insolence et infliger une humiliation au peuple grec.

Tsipras se rend néanmoins à Bruxelles pour remettre la proposition qu’il a concoctée avec les partis qui ont appelé à voter pour le « Oui ». Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à la proposition qui a été rejetée deux jours plus tôt par 61,31 % des Grecs qui ont participé au référendum. Mais les dirigeants européens déclarent à Tsipras qu’ils ne peuvent pas lui faire confiance et exigent un vote du parlement grec sur des propositions crédibles de leur point de vue comme condition préalable à la reprise officielle des négociations. Tsipras s’exécute et obtient le 10 juillet un appui massif au parlement grec pour soumettre son nouveau plan à la Troïka. Les trois partis qui ont perdu le référendum votent en faveur du nouveau plan de Tsipras tandis que la présidente du parlement grec, 6 ministres et vice-ministres membres de la Plateforme de gauche et d’autres députés Syriza refusent de l’approuver (Varoufakis est absent, il a choisi d’être avec sa fille dans sa résidence à l’extérieur d’Athènes). Sur 300 parlementaires, 251 votent en faveur du plan de capitulation proposé par Tsipras. Syriza est en pleine crise.

Le 11 juillet, à Bruxelles, alors que le FMI et la BCE sont d’accord avec la proposition grecque, plusieurs ministres et chefs d’État européens veulent imposer de plus lourds sacrifices.

Le 13 juillet, […] le gouvernement grec accepte de rentrer dans un processus conduisant à un troisième mémorandum, avec des conditions plus dures que celles rejetées lors du référendum du 5 juillet

Le 13 juillet, suite à une réunion d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, le gouvernement grec accepte de rentrer dans un processus conduisant à un troisième mémorandum, avec des conditions plus dures que celles rejetées lors du référendum du 5 juillet. À propos de la dette, le texte dit clairement qu’il n’y aura pas de réduction du montant de la dette grecque : « Le sommet de la zone euro souligne que l’on ne peut pas opérer de décote nominale de la dette. Les autorités grecques réaffirment leur attachement sans équivoque au respect de leurs obligations financières vis-à-vis de l’ensemble de leurs créanciers, intégralement et en temps voulu » [23].

La pression exercée par les dirigeants européens provoque des réactions de rejet autour de la planète. Le 13 juillet, le hashtag #THISISACOUP est twitté 377 000 fois et fait le tour du monde.

Le 15 juillet, la crise dans Syriza s’approfondit. Une lettre signée par 109 membres (sur 201) du comité central de Syriza rejette l’accord du 13 juillet en le qualifiant de coup d’État et demande une réunion d’urgence du Comité central. Malgré cela, Tsipras, président de Syriza, ne réunira le Comité central que deux semaines plus tard.

Les 15 et 16 juillet, le Parlement, avec les voix de Nouvelle Démocratie, Pasok et To Potami, mais sans les voix de 39 députés de Syriza sur 149 (32 contre dont Varoufakis, 6 abstentions, 1 absence), approuve un premier paquet de mesures d’austérités, concernant la TVA et les retraites, exigées par l’accord du 13 juillet.

Le 17 juillet, suite à l’accord du 13 juillet, la Commission européenne annonce le déblocage d’un nouveau prêt de 7 milliards d’euros. Alexis Tsipras remanie son gouvernement, en congédiant notamment deux ministres de la Plateforme de gauche, Panagiotis Lafazanis et Dimitris Stratoulis. Varoufakis avait démissionné le 6 juillet et Nadia Valavani, vice-ministre des finances, le 15 juillet.

Le 20 juillet, la Grèce rembourse 3,5 milliards € à la Banque centrale européenne et 2 milliards € au Fonds monétaire international.

Les 22 et 23 juillet, le Parlement adopte un second volet de mesures immédiates exigées par la Troïka. Parmi les députés de Syriza, 31 votent contre et 5 s’abstiennent. Varoufakis vote pour.

Le 14 août, le Parlement grec adopte le troisième mémorandum par 222 voix contre 64 voix (dont 32 députés de Syriza sur un total de 149). Il y a 11 abstentions (dont 10 Syriza).

Le 20 août, la Grèce rembourse 3,2 milliards € à la BCE.

« Le 26 septembre, Tsipras fait élire comme président du parlement Nikos Voutsis qui décide une dissolution de facto de la Commission d’audit de la dette et fait disparaître du site internet du parlement tous les documents relatifs à ses travaux »

Ensuite Tsipras convoque des élections anticipées pour le 20 septembre. Il les gagne car bon nombre d’électeurs de Syriza ne voient pas d’autre issue que de continuer à voter pour Tsipras afin d’éviter le retour de la droite au gouvernement. C’est le vote en faveur du moindre mal car ils savent que la droite ferait pire en termes d’austérité. La liste Unité populaire créée par une grande partie des membres et des députés de Syriza qui ont rejeté le 3e mémorandum n’obtient pas le score nécessaire pour entrer au parlement (elle obtient 2,86 % alors que le seuil minimal est de 3 %). Elle a eu trop peu de temps pour se faire connaître et elle n’a pas su présenter une alternative crédible.

Le 23 septembre, la Commission pour la vérité sur la dette se réunit au parlement grec sur convocation de Zoe Konstantopoulou, qui est encore présidente du parlement car la nouvelle législature n’a pas encore débuté. La Commission adopte deux nouveaux rapports et considère que la nouvelle dette contractée au travers du 3e mémorandum est elle aussi odieuse [24]. Trois jours plus tard, Tsipras fait élire comme président du parlement Nikos Voutsis qui décide une dissolution de facto de la Commission d’audit de la dette et fait disparaître du site internet du parlement tous les documents relatifs à ses travaux.


Conclusion

Au cours des deux mois qui mènent à la trahison du verdict populaire du 5 juillet, Tsipras a pratiqué une orientation qui conduisait au désastre. À plusieurs reprises, il aurait pu prendre un tournant mais s’y est refusé. L’enthousiasme soulevé par le référendum du 5 juillet a fait long feu et a débouché sur une énorme déception.

« Au cours des deux mois qui mènent à la trahison du verdict populaire du 5 juillet, Tsipras a pratiqué une orientation qui conduisait au désastre »

Est-ce que Varoufakis a défendu de manière cohérente une alternative crédible, comme il le prétend ? La réponse est clairement négative. Il a accompagné Tsipras et le noyau qui l’entourait et il n’en a jamais pris publiquement ses distances quand il en était encore temps. Et lorsqu’il a démissionné, il l’a fait dans des termes qui ont prolongé la confusion. Dans l’explication publique de sa démission, il écrit le 6 juillet :

  • « Peu après la proclamation des résultats du référendum, on m’a fait savoir que certains membres de l’Eurogroupe ainsi que d’autres « partenaires » auraient vu d’un bon œil mon « absence » lors des réunions, idée que le Premier Ministre juge potentiellement utile pour parvenir à un accord. C’est pour cette raison que je quitte aujourd’hui le ministère des Finances. (…) Je considère qu’il est de mon devoir d’aider Alexis Tsipras à exploiter de la manière qu’il jugera utile, le capital que le peuple grec nous a confié lors du référendum de dimanche. (…) Je soutiendrai donc sans hésitation le Premier Ministre, le nouveau ministre des Finances et notre gouvernement. [25] »

Quant à son plan B, il a fallu attendre la décision de fermeture des banques pour que Varoufakis découvre, selon ses propres déclarations, que la banque de Grèce disposait d’une réserve de billets en euros pour un montant de 16 milliards € qui, si le gouvernement l’avait décidé, auraient pu être remis dans le circuit, par exemple en les estampillant pour qu’ils fonctionnent comme une monnaie complémentaire non convertible et qu’ils puissent être mis en circulation via les distributeurs de billets. Et à ce moment-là il reconnaît lui-même qu’il s’est opposé à ce qu’on utilise cette manne alors que le leader de la plateforme de gauche essayait de convaincre Tsipras de s’en servir.

Heureusement, Varoufakis a ajouté sa voix au camp du refus du 3e mémorandum dans la nuit du 15 au 16 juillet, votant « Non » avec les députés de la Plateforme de gauche et avec Zoe Konstantopoulou.

En ce qui concerne la Plateforme de gauche, il faut aussi reconnaître qu’elle a commis l’erreur grave de ne pas exprimer publiquement ses désaccords à partir de la première capitulation du 20 février et par après. Elle n’a pas mis dans le débat public le plan B élaboré notamment par Costas Lapavitsas. Après la trahison du résultat du référendum, elle s’est largement cantonnée à la dénonciation de la politique de Tsipras sans être capable de mettre en avant de manière offensive et crédible une proposition alternative.

Il n’y a pas eu de grandes mobilisations spontanées car une majorité du peuple de gauche qui avait mené le combat principalement entre 2010 et 2012 faisait confiance à Tsipras et celui-ci n’appelait pas le peuple à se mobiliser. Les forces de gauche hors du parlement qui appelaient à la mobilisation étaient quant à elles trop faibles.

Les facteurs qui ont conduit au désastre sont bien identifiés : le refus de la confrontation avec les institutions européennes et avec la classe dominante grecque, le maintien de la diplomatie secrète, l’annonce à répétition que les négociations allaient finir par donner de bons résultats, le refus de prendre les mesures fortes qui étaient nécessaires (il aurait fallu suspendre le paiement de la dette, contrôler les mouvements de capitaux, reprendre le contrôle des banques et les assainir, mettre en circulation une monnaie complémentaire, augmenter les salaires, les retraites, baisser le taux de TVA sur certains produits et services, annuler les dettes privées illégitimes…), le refus de faire payer les riches, le refus d’appeler à la mobilisation internationale et nationale,… Pourtant comme nous le verrons dans la partie qui suit, le dénouement tragique n’était pas inéluctable, il était possible de mettre en œuvre une alternative crédible, cohérente et efficace au service de la population.

Notes

[1] Y. Varoufakis, Conversations entre adultes, chapitre 14, p. 383-384. Voir également Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff. How Greece came face-to-face with financial catastrophe & the secret plan for its euro exit, Papadopoulos publisher, Athens, 2019, 195 pages, page 84.

[2] Audition de Philippe Legrain, ex-conseiller de Barroso, au Parlement grec (11 juin 2015) : « le gouvernement grec a tout intérêt à ne pas céder aux créanciers » http://www.cadtm.org/Audition-de-Philippe-Legrain-ex

[3] Audition de Panagiotis Roumeliotis (15 juin 2015), ex-représentant de la Grèce au FMI de mars 2010 à décembre 2011 : « Il faut que les créanciers reconnaissent leurs responsabilités » http://www.cadtm.org/Audition-de-Panagiotis-Roumeliotis

[4] Y. Varoufakis, chapitre 14, p. 399.

[5] Communiqué d’Éric Toussaint suite à la rencontre avec le ministre Dimitris Stratoulis qui a en charge les retraites, le 15 mai 2015, http://www.cadtm.org/Communique-d-Eric-Toussaint-suite, consulté le 28 juillet 2019

[6] L’édition grecque a été publiée en 2013 par la maison d’édition Alexandria à Athènes. J’en ai offert un exemplaire à Alexis Tsipras en octobre 2013.

[7] A la suite de l’accord du 20 février, les amendements de la Plate-forme de gauche recueillaient plus de 40 % des voix au comité central, au-delà des 30 % des membres élus de la Plateforme de gauche. Un bloc « rupturiste » s’était formé dans Syriza qui incluait, outre la Plateforme de gauche (c’est-à-dire le courant Lafazanis et l’organisation trotskyste DEA), Zoé Konstantopoulou, les ex-maoistes du courant KOE, un groupe issu du PASOK, auxquels s’ajoutaient Manolis Glezos et Yanis Milios.

[8] Costas Lapavitsas, Heiner Flassbeck, Cédric Durand, Guillaume Elevant, Frédéric Lordon, Euro, plan B. Sortir de la crise en Grèce, en France et en Europe, Editions du Croquant, Paris, 2016, p. 25 à 114.

[9] Voir l’avant-propos de Stathis Kouvelakis et d’Alexis Cukier à Costas Lapavitsas, Heiner Flassbeck, Cédric Durand, Guillaume Elevant, Frédéric Lordon, Euro, plan B. Sortir de la crise en Grèce, en France et en Europe, Editions du Croquant, Paris, 2016, p. 14.

[10] J’ai présenté Daniel Munevar dans le chapitre 4.

[11] Voir la vidéo : Intervention d’Éric Toussaint à la présentation du rapport préliminaire de la Commission de la vérité le 17 juin 2015, publié le 11 août 2015, http://www.cadtm.org/Intervention-d-Eric-Toussaint-a-la-presentation-du-rapport-preliminaire-de-la, consulté le 3 août 2019

[12] Voir Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff. How Greece came face-to-face with financial catastrophe & the secret plan for its euro exit, Papadopoulos publisher, Athens, 2019, 195 pages, page 112.

[13] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 426.

[14] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 426.

[15] Y. Varoufakis, chapitre 16, p. 437.

[16] Remarquons que « annoncer l’intention » de ne pas rembourser pendant deux ans la BCE est ambigu car ce n’est pas la même chose que mettre en pratique la suspension de paiement. Annoncer l’intention, cela peut vouloir dire « Retenez-nous avant que nous ne procédions à la suspension, faites-nous une nouvelle proposition ». D’ailleurs, Varoufakis écrit « Inutile de se précipiter, ai-je poursuivi. Pour le moment il suffit de signaler notre intention. » p. 442.

[17] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 443.

[18] Stathis Kouvelakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale, Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 145.

[19] Kouvelakis, op. cit. , p. 145.

[20] Voir Viktoria Dendrinou and Eleni Varvitsioti, The Last Bluff, page 139-140.

[21] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 446.

[22] Stathis Kouvelakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale, Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 148. À noter que le parti communiste (KKE) avait appelé à voter nul, prenant le risque de faire gagner le « Oui » (Voir Kouvelakis, p. 165).

[23] Voir la Déclaration du sommet de la zone euro Bruxelles, le 12juillet 2015, GEN – 20150712-eurosummit-statement-greece_fr.pdf accessible sur le site officiel du Conseil de l’UE : https://www.consilium.europa.eu/media/20339/20150712-eurosummit-statement-greece_fr.pdf

[24] Commission pour la vérité sur la dette grecque, « Analyse de la légalité du mémorandum d’août 2015 et de l’accord de prêt en droit grec et international » publié le 5 octobre 2015, http://www.cadtm.org/Analyse-de-la-legalite-du-memorandum-d-aout-2015-et-de-l-accord-de-pret-en consulté le 8 août 2019. Voir également : « Le troisième mémorandum est aussi insoutenable que les deux précédents », publié le 1 octobre 2015, http://www.cadtm.org/Le-troisieme-memorandum-est-aussi consulté le 8 août 2019

[25] Y. Varoufakis, chapitre 17, p. 467-468.

Source http://www.cadtm.org/Tsipras-et-Varoufakis-vers-la-capitulation-finale

E.Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 8e partie

  Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

La Grèce après l’accord du 21 juin

  À la merci d’un courant violent : la Grèce après l’accord du 21 juin

Du Parlement allemand à l’Assemblée hellénique, les déclarations faites ces derniers jours par les dirigeants européens permettent de se faire une idée plus précise de la situation qui sera celle de la Grèce à compter du 20 août prochain  et de proposer une lecture de l’accord conclu le 21 juin à rebours des déclarations célébrant «la fin de l’Odyssée» (Moscovici), la «renaissance» grecque («Le Point»), la concorde européenne retrouvée.

L’accord de l’Eurogroupe prévoit un rééchelonnement sur 10 ans d’une part conséquente de la dette grecque [2] (extension de la maturité des titres), un «coussin de sécurité» de 15 milliards d’euros faisant office de réserve de précaution et le reversement au compte-gouttes des bénéfices réalisés par la BCE sur ses titres de dette hellénique ; ces dispositions sont conditionnées par l’obligation faite aux autorités grecques de dégager au cours des années qui viennent un excédent primaire correspondant à 3,5% (puis à 2,2%) du PIB, objectif ne pouvant être poursuivi qu’au prix d’un prolongement à durée indéterminée des politiques d’austérité [3].

Sur les questions cruciales de la dette, du financement, de la politique sociale et du «retour à la croissance» :

▶ Un pays surendetté, contraint de contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les emprunts antérieurs, dont la dette s’aggravera mathématiquement à moyen et long terme et dont les excédents resteront dédiés au désendettement. Rien de neuf, donc, sinon le fait que le ratio dette / PIB obtenu après huit années d’austérité sévère [4] signe l’échec des politiques imposées par le FMI et les instances européennes. En Grèce, sous des formes chaque fois différentes, le refrain d’une «sortie des mémorandums» scande l’actualité politique depuis le début de la crise. L’accord de l’Eurogroupe s’inscrit dans cette logique et doit d’abord être lu comme une énième tentative de camoufler l’échec initial. Le déni originel (faire comme si l’État grec n’était pas en faillite mais simplement confronté à un défaut ou une pénurie de liquidités) est reconduit : il s’agit à présent de faire comme si cette dette était soutenable alors que l’imposition d’une politique frappant croissance et productivité à la racine et grevant lourdement le produit intérieur brut ne cesse de l’alourdir. La figure qui s’impose n’est pas celle d’Ulysse revenant au pays natal après dix ans d’errance [5] mais celle de Sisyphe.

▶ Un pays à la merci des marchés et qui devra s’acquitter de taux d’intérêt plus élevés que ceux qui lui étaient demandés dans le cadre du «programme d’assistance» qui s’achève. Comme l’indique Olivier Passet, la question des taux d’intérêt réels et des écarts de crédit est plus que jamais au cœur des divergences et des fractures de la zone euro. Les pays du sud à fort taux de chômage subissent actuellement, selon les termes de cet analyste, une «double peine» : des taux d’intérêt nominaux plus élevés, qui intègrent «une prime de risque sur la dette souveraine», «pénalisent l’investissement» et «freinent la croissance». Dans le cas de la Grèce, deux précédentes ventes d’obligations test ont été réalisées à des taux d’intérêt trois fois supérieurs à ceux assurés dans le cadre des programmes soutenus par la BCE ; ces taux pourraient s’avérer plus importants encore à partir de la fin août.

Les agences de notation, qui ont joué un rôle-clef dans le déclenchement / dévoilement de la crise [6], continuent de situer la Grèce dans la catégorie des États à risques. Certains investisseurs seront dissuadés d’investir dans les obligations grecques ; d’autres exigeront un rendement élevé, variant en fonction de la conjoncture et de la conformité du gouvernement grec aux orientation néo-libérales. Après avoir légèrement rehaussé la note de la Grèce, les analystes de Moody’s et de Standard & Poor’s rappellent que l’accord serait tenu pour caduc si le gouvernement venait à remettre en cause les mesures austéritaires passées et à venir. À compter du 20 août, les diktats de la Troïka seront simplement remplacés par ceux des fonds d’investissement et des agences de notation ; le commandement sera directement exercé par «les marchés», mais son contenu ne changera pas.

▶ Une politique économique «sous étroite surveillance» (à défait d’être «sous tutelle») et sans marge budgétaire réelle. Si les revues régulières opérées par la Troïka ne sont plus à l’ordre du jour, le Premier ministre grec n’a pas obtenu le «Clean Exit» demandé mais une «surveillance renforcée» ; les initiatives du gouvernement grec continueront d’être scrutées à la loupe [7]. Le thème de l’indépendance recouvrée («la Grèce peut désormais se libérer de la tutelle européenne ; les sacrifices consentis par la société grecque, soutenus par la solidarité européenne, ont porté leurs fruits») est d’ailleurs accueilli sur place avec ironie, indifférence ou scepticisme.

▶ La poursuite des politiques d’austérité (coupes sur les retraites, abaissement du seuil d’imposition au détriment de foyers à revenus modestes ou faibles jusqu’alors exemptés) demeure la condition sine qua non des dispositions ouvrant la voie au refinancement de la Grèce sur les marchés. Le pays devra, selon le FMI, poursuivre sur la voie des réformes et ne pas faire machine arrière ; toute «dépense sociale ciblée» devra être approvisionnée par la diminution des pensions et l’abaissement du seuil d’imposition ; l’accent devra être mis sur «l’amélioration de la compétitivité», donc sur «la dérégulation du marché du travail». Aux antipodes des envolées lyriques du commissaire français à l’économie, le ministre des finances allemand précisait ces jours-ci devant le Bundestag [8] que les réformes ne s’arrêteraient pas en Grèce avec l’achèvement du troisième mémorandum. «Nous veillerons à ce que la Grèce poursuive la politique de réformes entreprise ces dernières années.»

▶ Les chiffres attestant d’un «retour de la croissance» doivent être replacés dans le contexte qui est le leur : récession de longue durée, chômage structurel élevé, baisse de près de 30% du PIB en huit ans. Comme le remarque par ailleurs O. Passet, «la reprise conjoncturelle du sud» n’offre que «l’illusion d’une convergence retrouvée en Europe» : «[Les pays périphériques] sont certes repartis d’un point de vue conjoncturel», mais «il s’agit d’un effet de rebond mécanique après une purge sans précédent». Avant d’affirmer que ce mouvement est pérenne, il conviendrait de scruter en profondeur «les moteurs de long terme de la croissance», où «le constat est sans appel» : «toujours pas le moindre souffle de productivité». Rien d’étonnant à cela, puisque ces pays ont vu migrer nombre de leurs jeunes diplômés [9] et ont sacrifié «plusieurs années d’investissement stratégique». Seuls les pays du cœur et du nord de l’Europe disposent en définitive de «la puissance de feu budgétaire» qui leur permettrait de faire face à un choc ou un retournement conjoncturel. Si la Grèce est en fort excédent, cet excédent «restera dédié au désendettement» ; or, «la faiblesse du parachute budgétaire participe dans les récessions à l’érosion du potentiel de croissance.»

L’accord de l’Eurogroupe peut être effectivement interprété comme un «tournant» [10]. Les formules de «sortie de crise» ou de «fin des mémorandums» n’en sont que l’emballage, mais la «sortie sur les marchés», elle, est bien réelle, et rappelle la mise à l’eau d’un navire dont chacun sait qu’il risque d’émettre un signal de détresse dès sa sortie au large. Peut-être les dirigeants européens ont-ils simplement voulu saisir au vol une occasion favorable («l’amélioration conjoncturelle» évoquée plus haut) et «risquer une sortie»? On peut cependant remarquer qu’en cas d’accident, de choc ou de retournement, la Grèce ne pourra désormais plus s’en prendre qu’à elle-même, le débat sur la responsabilité de l’UE dans la fragilisation de l’économie locale et dans l’opération initiale de renflouement de banques privées par de l’argent public étant (une fois de plus) escamoté.

«Stocker les problèmes pour les renvoyer à plus tard» : le diagnostic établi par l’association Finance Watch dans une étude européenne publiée ces jours-ci s’applique de toute évidence à cette fausse sortie de crise. Les dirigeants européens tablent-ils sans le dire sur une restructuration future de la dette grecque, lorsque les circonstances politiques seront réputées plus favorables, que les contribuables allemands, hollandais ou français et leurs parlements respectifs seront mieux disposés à envisager une remise de dette réelle [11]?

Le tableau est pour l’heure celui d’un pays condamné à long terme, au moins jusqu’en 2060, à une forme de stagnation, durablement étranglé par ses obligations de remboursement et qui n’aura d’autre choix, au nom du maintien dans la zone euro et du service de la dette, que de continuer à pressurer la main-d’œuvre locale, à brader ses richesses, ses territoires et son potentiel touristique, dans le sens d’un tourisme de masse aux conséquences environnementales désastreuses [12]. La Grèce des mémorandums fait d’ores et déjà l’objet d’un gigantesque transfert de titres de propriété et cette tendance, plutôt que d’être freinée par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement se réclamant de la «gauche radicale», s’est considérablement accentuée à partir de juillet 2015.

S’il n’est pas certain que la confiance des marchés revienne, la défiance des citoyen.ne.s, elle, ne cesse de monter ; à partir de l’écrasement des négociations de l’été 2015, cette défiance s’exprime en Grèce comme dans le reste de l’Europe à travers toutes les variantes de l’exploitation politique du sentiment national — du souverainisme au néo-fascisme. Confrontée à ce qui lui apparaît comme un courant porteur, une partie de la gauche se laisse entraîner dans le piège par ressentiment, «anti-germanisme» voire refus de la défaite et de la mélancolie [13] ; comme si, à partir de l’écrasement de la gauche grecque, l’initiative et la dynamique politiques avaient basculé de l’autre côté de l’échiquier politique et comme si les signifiants nationaux étaient parvenus à occuper la place, laissée vacante par la défaite de 2015, qui était auparavant celle des revendications de justice, de solidarité et de préservation des ressources naturelles.

Ce délitement impose de procéder à une analyse précise des causes de la défaite grecque. Si le gouvernement grec a effectivement perdu la partie en juillet 2015, c’est d’abord, à mon sens, pour avoir perdu la bataille de l’opinion européenne ; pour n’avoir pas su contrer la propagande massive qui, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas ou dans les pays baltes, est parvenue à neutraliser la conscience de classe (intérêts et ennemis communs) de retraité.e.s modestes ou pauvres, de précaires courant de mini-jobs en mini-jobs, d’employé.e.s miné.e.s par la crainte du chômage, pourtant confronté.e.s, quels que soient les pays, aux mêmes maux. La logique néo-libérale l’a d’abord emporté sur ce terrain, rien d’autre que celui des classes sociales, en parvenant à retourner les classes moyennes et populaires des pays créanciers contre les classes moyennes et populaires des pays endettés, en encourageant le ressentiment d’une infirmière allemande à l’égard de sa camarade grecque (ou portugaise, italienne, espagnole…) et en instrumentalisant à cette fin le sentiment national (caricatures racistes de tel quotidien hollandais, couvertures du «Spiegel», sarcasmes de tel éditorialiste du «Monde» imitant l’accent grec sur les ondes de France-Culture, sortie ouvertement raciste du président de l’Eurogroupe, refrain en boucle : travailleurs vertueux du Nord appelés à payer pour le Sud fainéant…). Une offensive idéologique fondée sur l’opposition nord / sud et sur l’application d’une grille de lecture morale aussi simpliste qu’efficace («Il faut toujours payer ses dettes» [14]) à la réalité complexe, opaque au plus grand nombre, des mécanismes contemporains de l’endettement, est ainsi venue se greffer sur les déséquilibres structurels de la zone euro, et les a renforcés.

La manœuvre de longue haleine consistant à instiller des signifiants et des préjugés nationaux afin de diviser celles et ceux qui se trouvent également en butte, à travers tout le continent, au démantèlement de l’État-providence n’est pas que le fait de l’extrême-droite : elle est au cœur de la stratégie de domination néo-libérale et s’est avérée particulièrement payante dans le cas de la Grèce. Ce constat devrait, a contrario de l’illusion nationaliste, nous engager à rechercher les voies d’une alliance de classes porteuse des expériences, revendications et initiatives politiques des victimes de l’austérité.


(Athènes, 5 juillet 2018) {Le titre de cet article est emprunté au très beau roman d’Henry Roth Mercy of a Rude Stream (éd. de l’Olivier, 1994, pour la traduction française). La première partie de cet article a été publiée le 25 juin sous le titre Souveraine dette.}


[1] Arrivée à échéance du troisième Mémorandum, d’un montant de 86 milliards d’euros, signé par le gouvernement grec quelques semaines après le référendum de juillet 2015 par lequel près de 62% des votants avaient rejeté un plan de réformes analogue.

[3] Lire à ce sujet L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste, Martine Orange, Mediapart.

[4] La dette grecque se monte aujourd’hui à 320 milliards d’euros, soit 179% du PIB.

[5] Lire à ce sujet le texte publié par Pierre Moscovici sur son blog au lendemain de l’Eurogroupe du 21 juin.

[6] Lire ce calendrier des premières années de la crise grecque.

[7] En particulier par le Fonds européen de stabilité.

[8] Le Parlement allemand a validé ce vendredi par un scrutin nominal l’accord de l’Eurogroupe sur la Grèce par 410 votes pour, 226 votes contre, et 7 abstentions.

[9] Comme le rappelle Michel Husson dans un article récent à propos de la Grèce : «Environ un tiers de la population de 15 à 29 ans, pour une bonne partie des personnes qualifiées, a quitté le pays» (Un long calvaire s’annonce pour la Grèce, «Alternatives économiques»).

[10] Selon l’expression de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, dans un entretien au «Figaro ».

[11] Lire à ce sujet l’entretien accordé par Klaus Regling, directeur du Mécanisme européen de stabilité, au journal «Ta Nèa» : la surveillance de la Grèce «devra se poursuivre jusqu’à ce que tout l’argent soit remboursé». Jusqu’en 2060 ? «Oui. La Commission arrêtera quand 75 % auront été remboursés, mais pas nous. Nous surveillerons jusqu’à l’échéance finale.»

[12] A propos de l’importance cruciale du secteur touristique, lire Michel Husson, Un long calvaire s’annonce pour la Grèce, «Alternatives économiques».

[13] C’est notamment le cas, en Grèce, de la prise de parole du compositeur Míkis Thèodorákis, figure historique de la gauche grecque, lors d’un rassemblement organisé par la droite, l’ultra-droite et l’Église orthodoxe contre la proposition de résolution du conflit sur le nom de la Macédoine ; cette intervention publique a malheureusement reçu le soutien de l’ancienne présidente du Parlement grec sous le premier gouvernement Tsípras, Zoé Konstantopoúlou, et de certaines figures emblématiques de la contestation des politiques d’austérité, au nom de la défense d’un «grand mouvement populaire».

[14] Lire à ce sujet l’introduction de Dette : 5000 ans d’histoire (David Graeber, éd. Les Liens qui Libèrent, 2013, pour la traduction française).

L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste

L’Europe propose à la Grèce un plan de sortie irréaliste

Par martine orange Mediapart

Les ministres des finances de la zone euro pensent en avoir fini avec la Grèce. Mais le plan de sortie proposé à Athènes ne fait que gagner du temps, en assurant les premières échéances : il laisse le pays écrasé par une montagne de dettes, sans possibilité de relancer une économie exsangue, et aux mains des marchés financiers.

La dernière réunion de l’Eurogroupe du 21 juin, prévue pour entériner le plan de sortie de la Grèce, n’a pas failli à la tradition. Comme lors des précédents débats, le sujet a donné lieu à une foire d’empoigne entre les ministres des finances de la zone euro, opposant les tenants d’une ligne dure et ceux qui se voulaient plus conciliants. Au milieu de la nuit, un accord a finalement pu être annoncé, au grand soulagement de tous les participants.

Dix ans après le début de la crise, les ministres des finances ont l’impression d’en avoir fini avec la Grèce. Après de multiples plans de sauvetage, d’ajustement, de rigueur, d’austérité, Athènes est censé, à partir du 21 août, pouvoir avancer seul, sans l’assistance de l’Europe, en se finançant par elle-même sur les marchés.

Officiellement, la période du plan de sauvetage, négocié dans des conditions dramatiques en juillet 2015, est en train de se refermer. « C’est un moment exceptionnel. La crise grecque s’achève ici ce soir au Luxembourg », insistait Pierre Moscovici, commissaire européen de l’économie, qui va même, sur son blog, jusqu’à évoquer « la fin de l’Odyssée » d’Ulysse. « La Grèce est en train de tourner la page. Nous avons tous construit un ensemble de mesures pour quitter le programme avec confiance », soulignait le ministre grec des finances, Euclid Tsakalotos, en se félicitant que son pays soit traité comme l’Irlande et le Portugal à leur sortie du plan d’aide européen et ne soit pas placé en résidence surveillée, avec visites périodiques de la Troïka, comme certains membres européens le souhaitaient.

Mais au-delà de cette faveur consentie au gouvernement grec, rien ne change. Ce plan de sortie européen ressemble à tous les précédents concernant Athènes : irréaliste. Une nouvelle fois, les responsables européens se sont contentés d’acheter du temps, en espérant qu’une solution magique finira par être trouvée. Car l’Europe ne répond pas à la question fondamentale : la soutenabilité de la situation financière grecque. La dette du pays, toujours plus lourde, est insupportable sur le long terme. Elle atteint désormais 180 % du PIB.

Depuis des années, l’Europe est inflexible sur le sujet. En dépit de toutes les études, tous les avertissements appelant à une nécessaire restructuration de la dette, les responsables européens ont refusé à nouveau tout effacement de l’endettement grec. Leur seule concession a été de la repousser dans le temps. Selon l’accord annoncé, les Européens acceptent de différer le remboursement des 96 milliards de prêts qu’ils ont consentis à Athènes, soit environ 40 % du total, pendant dix ans. Les premiers remboursements n’interviendront qu’en 2033 au lieu de 2023.

De plus, les échéances – la maturité – des émissions obligataires vont être allongées de dix ans. Le remboursement par la Grèce de l’intégralité des dettes contractées auprès du mécanisme européen de stabilité (MES) courra jusqu’à 2069. Dans son communiqué, les responsables européens promettent de réexaminer la situation de la dette grecque et de procéder à d’éventuels effacements, à partir de 2032. Autant dire aux calendes grecques.

Même si les termes ne sont guère généreux, ce compromis a été obtenu dans la douleur. Selon un scénario bien connu, les Allemands et les pays du nord de l’Europe se sont opposés à tout aménagement qui pourrait les amener à payer pour la Grèce. Jusque-là, la crise grecque n’a pas été une mauvaise affaire pour les Européens. De l’aveu même de Mario Draghi, la Banque centrale européenne a réalisé 7,8 milliards de plus-values sur les titres grecs entre 2012 et fin 2016. La Bundesbank à elle seule a totalisé 2,9 milliards d’euros de gains grâce à la Grèce. Dans le cadre de l’accord du 21 juin, la BCE se propose de reverser les gains obtenus au gouvernement grec, au rythme d’un milliard par an. Pourquoi ne pas reverser la totalité tout de suite ? Mystère. Sans doute pour ne pas donner un sentiment de facilité au gouvernement d’Alexis Tsipras.

Mais les Européens savent qu’il faut malgré tout faire quelques gestes pour donner un peu de crédibilité au dispositif arrêté. Pour accompagner la Grèce dans les premiers temps, ils ont prévu un coussin financier de sécurité, au cas où l’accès aux marchés financiers serait rendu difficile. Là encore, le montant des sommes pouvant être alloué a donné lieu à d’âpres discussions, Berlin voulant le limiter à 11 milliards d’euros, quand d’autres voulaient le porter à 20 milliards. Selon la bonne méthode européenne, un compromis a été élaboré autour de la somme de 15 milliards d’euros.

 © Cour européenne des comptes © Cour européenne des comptes

Ce qui semble être une mesure d’accompagnement généreuse n’est en fait qu’une décision de précaution technique. Comme l’a relevé la cour européenne des comptes, la Grèce doit, dès sa sortie, faire face à un mur financier quasiment infranchissable. « En 2019, les besoins bruts de financement s’élèveront à 21 milliards d’euros en principal et en intérêts », écrit-elle. Ces paiements sont essentiellement dus à des créanciers privés.La Grèce, qui n’a pas eu accès aux marchés financiers pendant près d’une décennie, est incapable de faire face à de tels remboursements, surtout s’il lui faut emprunter à 3 % ou 4 % au lieu de 1 %. Comme lors des plans précédents, l’aide avancée par l’Europe semble donc destinée à assurer le paiement des premières échéances, afin d’éviter le défaut, de sauver les créanciers, à commencer par ses banques, en laissant des miettes à la Grèce .

Comme à chaque fois, cette aide est accordée sous conditions. Selon les termes fixés par l’Europe, le gouvernement grec doit s’engager à réaliser un surplus budgétaire (avant paiement des intérêts de la dette) d’au moins 3,5 % du PIB jusqu’en 2022 et de 2,2 % du PIB en moyenne pendant les 37 années suivantes. Avec ces critères, l’Europe impose une politique d’austérité et de réformes structurelles toujours plus régressive et récessive.

Une économie en cage

« Aucun pays n’est capable de maintenir sur le moyen terme de tels excédents budgétaires », ont prévenu à plusieurs reprises les économistes du FMI. À leur côté, de nombreux économistes jugent ces exigences contre-productives et asphyxiantes. Ces analyses ont été balayées par l’Eurogroupe. Tout aménagement ne pourrait être, selon eux, qu’une incitation au laxisme. Et ils attendent des marchés financiers qu’ils incitent en permanence la Grèce à la vertu.

Un peu à la manière du commissaire allemand au budget, Günther Oettinger, qui avait souligné que « les marchés allaient apprendre aux Italiens à bien voter », le directeur général du MES, Klaus Regling, résume cet état d’esprit : « Si le gouvernement grec ne met pas en place les réformes dures nécessaires, la confiance des investisseurs sera plombée et les marchés se vengeront », a-t-il déjà prévenu.

Mais ces mesures adoptées par l’Eurogroupe sont-elles vraiment de nature à inspirer confiance aux marchés financiers ? Dès la sortie de la réunion, la directrice du FMI, Christine Lagarde, n’a pu s’empêcher de faire part de « réserves » sur les aménagements accordés par les Européens. La situation d’endettement de la Grèce sur le long terme lui paraît toujours aussi problématique.

Rien dans le plan européen ne permet de desserrer l’étau financier dans lequel se retrouve la Grèce. Le pays risque de se voir maintenu en cage, interdit pendant des années de tout projet de relance, ou même de soutien économique.

Or c’est d’un plan de reconstruction que le pays a besoin. Les 2,3 % de croissance affichés au premier trimestre de 2018 n’effacent pas les 30 % de chute de PIB en quelques années. Non seulement la saignée qui a été imposée à la Grèce – du jamais vu dans le monde occidental – a précipité la population dans le chômage, mais elle a détruit ou affaibli durablement un outil productif qui était déjà réduit. Le rebond noté depuis quelques trimestres est essentiellement le fait du tourisme. Mais l’économie grecque est dans son ensemble dans l’incapacité de répondre au moindre sursaut, faute d’investissements.

La Grèce se retrouve condamnée à voir son économie évoluer comme un soufflé, redescendant à peine monté, car ne pouvant s’appuyer sur aucun relais de croissance durable. D’autant qu’à côté d’un État à qui l’Europe interdit tout endettement autre que pour repayer ses dettes, les banques ne peuvent prendre la suite.

Le système bancaire est dans un état de délabrement avancé. La BCE qui a apporté son aide à tout le système bancaire européen, en achetant à tour des bras des obligations d’État ou des obligations d’entreprises depuis des mois, a exclu les banques grecques de ce système de refinancement. Résultat : les bilans des banques grecques, plombés par des créances douteuses ou impayées pour 40 à 50 % des encours, n’ont pas connu un début de restructuration. Selon une estimation de la Banque centrale européenne, les principales banques grecques ont au moins besoin de 15 milliards d’euros de recapitalisation dans les prochains mois.

Pas plus qu’elle ne lui apporte un soutien dans l’accueil des migrants, l’Europe s’apprête à abandonner la Grèce, avec ses problèmes économiques et financiers essentiels, sans lui fournir un début de solution ou de financement. Même en respectant toutes les mesures européennes, l’accès de l’État grec, de ses banques et de ses entreprises aux marchés financiers est tout sauf garanti, ou à des prix prohibitifs. Tant nombre d’investisseurs doutent de la légende européenne sur le redressement grec.

À la sortie de l’Eurogroupe, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, semblait lui-même assez dubitatif, saluant surtout sur le fait que « les ministres des finances étaient prêts à envisager d’autres mesures de protection, dans le cas où des scénarios économiques adverses se matérialiseraient ».

Même s’ils n’en parlent pas, ce qui s’est passé sur le marché italien fin mai est dans de nombreux esprits. La brève déroute financière sur les marchés obligataires, à la suite de l’imbroglio politique italien, a montré qu’il fallait peu de choses pour que la crise de l’euro se ranime. En quelques heures, toute la liquidité qui existait sur le marché italien s’est volatilisée, entraînant une hausse rapide des taux italiens mais aussi espagnols ou portugais.

Cette fois-là, la Grèce a été épargnée car elle était sous régime de protection. Mais si un incident identique ou plus grave se reproduit dans les mois à venir – ce qui ne peut être exclu compte tenu de la décomposition rapide du consensus européen –, les marchés pourraient bien se venger, comme le prédit le directeur du Mécanisme européen de stabilité (MES). La Grèce risque d’être la première visée, non pas en raison de ses erreurs mais parce qu’elle est le maillon faible  d’une zone euro déséquilibrée dont vont se servir les marchés financiers, comme ils l’ont fait en 2010.

Contrairement aux espoirs des responsables européens, ils n’en ont pas encore fini avec la Grèce. Ils pourraient même retrouver le dossier beaucoup plus vite que prévu.

 

Grèce Le procès Georgiou

Confirmation de la sentence contre Georgiou : deux ans de prison avec sursis

Grèce  : le procès Georgiou  ou l’affaire de la falsification des statistiques grecques pour justifier l’intervention de la Troïka

10 juin par CADTM , Constantin Kaïmakis

Andréas Georgiou, président d’ELSTAT d’août 2010 à Août 2015, voit confirmée sa condamnation à deux ans de prison avec sursis pour délit de manquement à ses obligations dans le cadre de ses fonctions de président d’Elstat, l’Agence des statistiques grecque [1]. En effet le recours en cassation de l’arrêt qui l’avait condamné en Cour d’Appel a été rejeté par la Cour Suprême de l’Aréopage vendredi 9 juin 2018. Il est ainsi définitivement considéré comme coupable de manquement à ses devoirs. (En première instance Georgiou avait d’abord été innocenté, décision dont la procureure avait fait appel, ce qui avait amené la condamnation de Giorgiou à 2 ans avec sursis.)

Rappelons que l’ancien directeur de l’Agence Nationale de statistique Elstat avait communiqué des données sur les finances publiques grecques malgré l’avis contraire du Conseil des directeurs de l’Agence grecque des statistiques, qui s’opposait à la communication desdites données à l’Agence européenne Eurostat.
Comme expliqué dans le chapitre II du Rapport préliminaire de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque :

« Un des nombreux cas de falsification concerne 17 entreprises publiques (DEKO). En 2010, ELSTAT et EUROSTAT décidèrent le transfert des dettes de 17 entreprises du secteur des entreprises non financières vers le budget de l’État, ce qui augmenta la dette publique de 18,2 Mds d’euros en 2009. Ces entités avaient été considérées comme des entreprises non financières, après qu’EUROSTAT eut approuvé leur classement dans ce secteur. Il convient de souligner que les règles de l’ESA95 en matière de classement n’ont pas changé entre 2000 et 2010.
Ce reclassement a été effectué sans études préalables ; il a de plus été réalisé en pleine nuit, une fois les membres de la direction d’ELSTAT partis. Le président d’ELSTAT eut alors tout le loisir de procéder à ces modifications sans être confronté aux questions des membres de l’équipe de direction. Ainsi, le rôle des experts nationaux fut complètement ignoré, ce qui est en totale contradiction avec la réglementation ESA95. Par conséquent, l’adoption par l’institution du critère pour rattacher une entité économique au budget de l’État constituait une violation de la réglementation. »

Reste que la principale affaire contre Georgiou est toujours pendante devant la Cour Suprême, avec comme accusation le « crime de félonie et d’atteinte envers les intérêts de l’État par déclaration mensongère ». Georgiou est accusé d’avoir gonflé les chiffres du déficit public en 2009, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière, en y intégrant la dette des entreprises et organismes publics, ce qui a provoqué l’entrée de la Grèce dans le régime des plans d’aide de la Troïka et des mémoranda.

Incidemment, A. Georgiou a travaillé plusieurs années pour le FMI (de 1989 à juillet 2010) [2], qu’il n’a quitté que pour prendre le poste de président d’ELSTAT en août 2010.

Andréas Georgiou a fait plusieurs fois l’objet de déclarations spéciales de différents membres de la Troïka des créanciers de la Grèce, qui prennent régulièrement sa défense et réclament pour lui l’impunité judiciaire, en accusant le gouvernement grec de faire de lui une victime expiatoire et en défendant ses « statistiques impartiales » en accord avec les normes internationales.

Sauf que la question de l’intégration des dettes des entreprises publiques avait été spécifiquement adressée en octobre 2008 par l’eurodéputé Dimitrios Papadimoulis à la Commission Européenne [3], qui avait confirmé que celles-ci ne pouvaient en aucun cas être incluses dans le budget de l’État ni dans le calcul de son déficit.

Un procès sans fin

Ce n’est pas moins de 4 ans d’instruction judiciaire, deux procès initiaux et une réouverture du dossier que vient de clore la condamnation d’Andréas Georgiou. En effet, le 1er août 2017, le Tribunal correctionnel d’Athènes a condamné cet ancien Directeur de l’office des statistiques grecques (Elstat) à deux ans de prison avec sursis pour  «  manquement au devoir  ». Voici ce qu’en dit le quotidien Le Monde dans son édition du 1 août 2017 : « Andréas Georgiou, ancien chef de l’office des statistiques grecques, Elstat, au cœur de la saga des faux chiffres du déficit public au début de la crise de la dette, a été condamné, mardi 1er août, à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal correctionnel d’Athènes l’a jugé coupable de « manquement au devoir », selon une source judiciaire. Cet ancien membre du Fonds monétaire international était poursuivi pour s’être entendu avec Eurostat (l’office européen de statistiques, dépendant de la Commission européenne) afin de grossir les chiffres du déficit et de la dette publique grecs pour l’année 2009. Le but supposé : faciliter la mise sous tutelle financière du pays, avec le déclenchement, en 2010, du premier plan d’aide internationale à la Grèce – on en est au troisième, depuis août 2015. [4] »

Comme l’écrit Éric Toussaint : « Après les élections législatives du 4 octobre 2009, le nouveau gouvernement de Georges Papandréou procéda en toute illégalité à une révision des statistiques afin de gonfler le déficit et le montant de la dette pour la période antérieure au mémorandum de 2010. Le niveau du déficit pour 2009 subit plusieurs révisions à la hausse, de 11,9 % du PIB en première estimation à 15,8 % dans la dernière. » « Le gouvernement de Papandréou a fait falsifier les statistiques de la dette grecque, non pas pour la réduire (comme la narration dominante le prétend) mais pour l’augmenter. C’est ce que démontre très clairement la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque dans son rapport de juin 2015 (voir le chapitre II, p. 17). [5] »

Le travail d’expertise de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque

La Commission pour la Vérité sur la dette  publique grecque (Commission Vérité) a été créée le 4 avril 2015 suivant une décision prise par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, qui a confié la coordination scientifique de ses travaux à Éric Toussaint, Docteur en sciences politiques. La trentaine d’experts qui ont travaillé à ce  remarquable travail de vérité font notamment état de l’évolution et de l’histoire de la dette grecque. Ils démontrent avec minutie comment  Papandréou a  dramatisé la situation de la dette et du  déficit pour justifier une intervention étrangère qui apporterait suffisamment de  fonds pour répondre à  la situation des banques. C’est là qu’interviennent les faux chiffres et les méthodes douteuses d’A. Georgiou à Elstat. Georgiou a créé de toutes pièces les éléments qui ont permis de «  gonfler  » artificiellement les chiffres du déficit et de la dette publique grecs. Les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque ont décrit ces falsifications :
- les falsifications concernant les obligations des hôpitaux publics qui ont ainsi permis d’augmenter une première fois le déficit ;
- les falsifications portant sur 17 entreprises grecques et sur les organismes publics comme les services de l’électricité, le téléphone et les télécoms, le rail, la télévision publique etc, qui ont permis d’augmenter à nouveau le déficit ;
- enfin les fameux swaps de Goldman Sachs (contrats d’échanges de taux d’intérêts) qui sont venus gonfler rétroactivement les chiffres de la dette à compter de 2009.

Ainsi  la falsification des statistiques est directement liée à la dramatisation de la situation budgétaire et de la dette publique. Cela a été fait pour que l’opinion publique en Grèce, en Europe et au  niveau  international soient convaincue de la nécessité d’un « plan de sauvetage » de l’économie grecque en 2010, avec toutes les conditions strictes et conséquences sociales imposées à la population du pays. Les parlements des pays  européens ont voté pour le « sauvetage » de la Grèce en s’appuyant sur ces statistiques falsifiées.

Sous prétexte de fournir une aide à la Grèce, dans le cadre de la solidarité, on a en fait masqué la socialisation des pertes bancaires.

Tant par son style que ses méthodes,  Andréas Georgiou a été mis en cause, notamment par son administration. Les chiffres sont contestés, et pour les vérifier on va créer un conseil d’administration de sept membres. Les relations entre Georgiou et ce conseil sont difficiles voire inexistantes : il ne les réunit pas et ne les informe pas. Ce CA va être dissous, et ses membres remerciés. Deux d’entre eux décident de témoigner devant la commission pour la vérité contre leur ancien chef ; c’est le cas notamment de Zoé Georgantou, universitaire reconnue. Elle estime qu’Andreas Georgiou aurait gonflé les chiffres du déficit à dessein en y incluant par exemple les dettes des hôpitaux publics.

Un soutien inconditionnel de la Commission européenne

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux affaires sociales, a affirmé que  «  les données sur la dette grecque pour la période de 2010 à 2015 ont été fiables et communiquées avec exactitude  ».  Dans cette situation, la justice grecque avait estimé en décembre 2016  qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants pour  envoyer Georgiou devant le tribunal… Mais un courageux procureur  de la Cour suprême, Xeni Dimitriou a demandé le réexamen de l’affaire. A l’issue d’un nouveau procès, Georgiou a donc été condamné le 1er août 2017. Ses avocats et lui-même ont fait savoir qu’ils feraient appel.

La porte-parole de la Commission européenne, Mme Annika Breidthardt, a renouvelé son soutien total à Georgiou en déclarant que cette décision n’est pas conforme aux décisions précédentes de la justice et a réitéré que « la Commission est pleinement confiante dans l’exactitude et la fiabilité des données de l’Elstat au cours de la période 2010-2015 et au-delà ». Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, dans une interview au Financial Times a déclaré que « l’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres est un pilier important du fonctionnement de l’euro et un des éléments qui construisent la confiance entre les pays-membres de la zone euro ». Il en est de même de toute la nomenclature européenne qui clame son soutien à Georgiou via les Moscovici, Mario Draghi et autres… La pression des autorités européennes est constante soit de façon formelle soit via les médias européens. Et le prochain Eurogroupe de septembre 2017 envisage même d’en parler.

Rappelons que le gouvernement d’Alexis Tsipras a déjà plié devant les exigences des dirigeants européens dans une autre affaire. Voici ce qu’écrivait Maria Malagardis du quotidien français Libération à propos de l’abandon de poursuites contre trois experts techniques de Taiped, l’organisme mis en place pour gérer les privatisations http://www.cadtm.org/La-justice-ou-l-argent-L-etrange). Trois experts étrangers faisaient en effet, jusqu’à très récemment, l’objet de poursuites pénales :

« En cause : la manière dont a été gérée en 2014 la vente de 28 biens immobiliers concernant un grand nombre de ministères et d’installations publiques. Prix total de la transaction au profit de deux opérateurs privés (Eurobank Property et Ethniki Pangaea) : 261 millions d’euros.
Afin d’éviter le déménagement des nombreux services concernés, il avait été prévu que les nouveaux propriétaires loueraient ces bâtiments à ceux qui les occupent. Pendant vingt ans. A l’issue de cette période, l’État grec pourrait racheter ces propriétés, au prix courant du marché.

Sauf qu’un groupe d’avocats du Pirée va contester cette transaction et montrer comment le prix total de vente déjà sous-évalué, selon eux, se révélait de surcroît nettement inférieur au total des loyers encaissés au cours de la période concernée (580 millions d’euros). L’État grec était donc perdant, ont-ils estimé, conclusion reprise par le parquet dans un réquisitoire de 200 pages.

De surcroît, les heureux acquéreurs ont bénéficié d’une clause supplémentaire qui prévoit que le rachat éventuel par l’État grec serait exempté de toute taxe ou impôt. Autant de pertes supplémentaires pour le Trésor.

À l’issue de l’instruction préliminaire, des poursuites ont donc été engagées. Notamment contre un Espagnol, une Italienne et un Slovaque, tous conseillers auprès de Taiped à l’époque des faits. Rappelons que Taiped ne rend de comptes ni au Parlement grec, ni au gouvernement, sur la manière dont il gère les privatisations. Un vrai modèle de transparence donc.

Mais après l’annonce des poursuites, les membres de l’Eurogroupe, ont exigé et obtenu en 2016 l’impunité des membres de Taiped. Restait à éteindre l’action en justice.

Dès le 15 juin à Luxembourg, au moment où se finalisait l’accord pour les 8,5 milliards d’euros, le ministre des Finances espagnol, Luis de Guindos avait tapé du poing sur la table, en menaçant de bloquer l’aide si les poursuites n’étaient pas abandonnées. Visiblement, les représentants grecs ont dû donner ce jour-là quelques garanties sur leurs capacités à bloquer l’action de la justice, puisque l’argent fut débloqué. D’ailleurs, moins de deux semaines plus tard, la Cour suprême grecque, sollicitée par les avocats des trois experts, annulait purement et simplement les poursuites. »

Les ingérences des créanciers de la Grèce dans les affaires de justice a amené l’Union des juges et des procureurs de Grèce à vivement réagir dans un communiqué : « Les autorités judiciaires grecques et les lois grecques doivent traiter sur un pied d’égalité tous les citoyens indépendamment des relations spéciales que ces derniers pourraient avoir avec des services relevant de la Commission européenne. L’interprétation correcte et l’application des lois sont confiées par la Constitution aux institutions judiciaires dont le jugement ne doit pas être influencé par des tendances politiques, des pressions ou des incitations ». Et de conclure : « L’indépendance des offices nationaux des statistiques des pays-membres peut certes constituer un pilier important de l’union économique et monétaire selon la Commission, mais l’indépendance et la liberté de jugement des juges et des procureurs d’un pays sont la pierre angulaire du régime démocratique ».

À noter que, depuis début août 2017, Elstat a supprimé la parution des données flash sur le PIB grec… La raison ? Les données ne seraient pas fiables… tiens donc !

Pour terminer sur une note positive qui s’ajoute à celle de la condamnation de Georgiou, en juillet 2017, un ex-ministre socialiste a été condamné vendredi par un tribunal d’Athènes à huit ans de prison avec sursis pour « blanchiment d’argent » provenant de pots-de-vin versés par l’entreprise allemande Siemens pour la signature en 1997 d’un contrat avec la société grecque de télécommunications OTE [6].

Notes

Grèce : Restructuration de la dette toujours pas

La Grèce n’en aura jamais fini

23 mai par François Leclerc CADTM


(CC – Flickr – Dimitris Kamaras)

Paralysées par leurs divisions, les autorités européennes ne parviennent toujours pas à sauver les apparences en déclarant la Grèce bonne pour le service. Elles enchaînent la crise italienne qui se profile avec la grecque qu’elles ne parviennent pas à conclure.

La dernière dernière revue du 3e plan de sauvetage a été bouclée samedi dernier et sera soumise à l’Eurogroupe le 24 mai prochain. Le 21 juin prochain, un accord concluant huit années ininterrompues de mise sous tutelle de la Grèce sera recherché afin de permettre, moyennant la mise en œuvre d’un train de 88 dernières mesures, de débloquer un dernier versement de 11 à 12 milliards d’euros.

La Grèce est désormais sur « une ligne droite », croit pouvoir affirmer le commissaire Pierre Moscovici, qui prend ses désirs pour des réalités. Mais pour être probant, il lui reste encore à régler le gros morceaux de la restructuration de la dette, tant de fois évoquée et ajournée, qui continue de diviser les européens et le FMI. Et c’est une toute autre paire de manches !

Les mesures d’austérité imposées par la Troïka ont plongé le pays dans une profonde récession durant neuf années, lui faisant subir un traitement de choc aux conséquences sociales dévastatrices dont elle est sortie économiquement amoindrie et fragilisée. Le miracle dont se prévalent ceux qui veulent faire croire que la Grèce est tirée d’affaire est un grossier habillage, tant qu’une restructuration de la dette ne sera pas opérée.

D’un montant de 178% du PIB en 2012, la dette étant insoutenable, que faire ? Un projet de rééchelonnement et d’abaissement des taux existe – et non de restructuration via un abandon partiel de créance – mais il suppose pour être réaliste que soient atteint année après année des objectifs de surplus budgétaires de 3,5% pour honorer les remboursements correspondants. Or si un surplus budgétaire est bien dégagé, les prévisions de croissance pour l’année en cours les justifiant sont déjà revues à la baisse, en dessous de 2%, par la Commission aussi bien que par le gouvernement grec.

Les opinions divergent totalement sur le mécanisme à mettre en œuvre. Le gouvernement français défend le principe d’une mécanisme automatique de réaménagement de la dette liant celui-ci à la croissance effective, et non a des objectifs de surplus inatteignables, tandis que les autorités allemandes réclament qu’il soit conditionné à un vote annuel du Bundestag si ceux-ci ne sont pas atteints, sans identifier les mesures complémentaires qui pourraient être exigées d’une Grèce déjà exsangue. Somme toute, les autorités allemandes pratiquent à leur façon l’extraterritorialité judiciaire américaine qu’elles condamnent !

Quel prix les Grecs vont-ils devoir encore payer pour que les bonnes âmes aient raison sur le papier ?

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