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L’ombre menaçante du FMI sur la Grèce

À l’occasion des Rendez-vous de printemps FMI-Banque mondiale 2018

7 mai par CADTM

Hommage au pharmacien Christoulas, suicidé politique à Syntagma. Avril 2012 – Photo MLCK.

Grèce : Bien que le Fonds monétaire international (FMI) ne soit pas entré officiellement dans le troisième mémorandum, il y a pesé de tout son poids à travers ses experts qui siègent dans les équipes d’évaluations, en imposant nouvelles baisses de retraite et de salaires et nouvelles réductions du droit du travail, en pleine communion avec le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose de faire contribuer davantage les plus faibles revenus afin de soulager les plus riches

En témoigne le commentaire de Poul Thomsen, directeur danois de la zone Europe au FMI, interrogé sur l’avenir de la Grèce après la fin du 3e programme, lors des Rendez-vous de printemps du FMI et de la Banque mondiale d’avril 2018 à Washington. « Nous n’avons pas d’objectifs précis et nous ne jouerons aucun rôle pour dire « Faites ceci ou cela », mais l’important pour le FMI est que la politique menée par la Grèce soit suffisamment compatible avec la croissance. Le redressement spectaculaire du pays a été atteint grâce à l’augmentation des impôts, mais au détriment de la croissance. Il importe donc d’élargir significativement la base d’imposition ».

« Élargissement de la base d’imposition » est un euphémisme en IMFese, l’étrange langue parlée entre eux par les experts du FMI, pour réclamer la baisse du seuil minimum d’imposition, dès fin 2018, soit une année avant la date prévue [1] par l’une des multi-lois votées par le parlement grec depuis 2015, celle de juillet 2016.

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose donc de faire contribuer davantage les plus faibles revenus afin de soulager les plus riches, trop sollicités fiscalement pour vouloir investir, dixit Poul Thomsen.

C’est au prix de politiques antisociales mortifères que la Grèce a réussi à afficher un excédent primaire de 4% pour 2017

Dans un pays où une personne sur deux vit désormais en danger de pauvreté, avec un seuil de pauvreté descendu à 376 € par mois [2], les remèdes du FMI vont contribuer à accentuer encore l’étau des impôts sur les foyers pauvres. Pourtant les dettes des contribuables augmentent chaque mois de plus d’un milliard, ainsi que le nombre de contribuables en incapacité d’honorer leurs impôts. C’est au prix de politiques antisociales mortifères que la Grèce a réussi à afficher un excédent primaire de 4% pour 2017 [3]. C’est dire combien la pression fiscale s’exerce violemment et injustement puisque, selon les déclarations du gouvernement, et comme le montrent les chiffres, les objectifs sont largement atteints, pour la troisième année consécutive.

En 2008 les créances douteuses n’étaient que de 5,5% du total des créances privées, pour exploser à partir des memoranda à 45,9% de l’ensemble des créances en 2016

Parallèlement, le FMI souligne l’importance de résoudre le problème des crédits en suspension de paiement depuis au moins 3 mois (NPL) des banques grecques, qui s’élèvent à 46,7 % de leurs actifs, en estimant que c’est le principal obstacle à la reprise du financement de la production « et à l’effacement des dernières conséquences de la crise ». Le FMI presse donc depuis le début pour accélérer les mises aux enchères, censées lutter contre la fameuse « culture du non-paiement » supposée caractériser les Grecs. Or en 2008 les créances douteuses n’étaient que de 5,5% du total des créances privées, passant à 7% en 2009 pour exploser à partir des memoranda à 45,9% de l’ensemble des créances en 2016, neuf fois plus que la moyenne de l’UE (5,1%) [4].

La guerre déclarée aux « mauvais payeurs », qui « gardent un revenu mais ne donnent pas la priorité au remboursement de leurs emprunts ou au paiement de leurs impôts », est le cheval de bataille du ministre de l’économie Tsakalotos pour justifier la mise aux enchères des résidences principales, des surfaces agricoles et des outils de production de petites entreprises, désormais chose courante au bénéfice de l’Agence autonome des recettes publiques. Cette Agence sous influence des créanciers, qui remplace le service des Impôts et le service des douanes, gère désormais les budgets des ministères. Elle procède aussi à la saisie des comptes en banque et à la mise aux enchères des biens de contribuables endettés, pour des dettes même peu importantes envers l’administration. Mais ce ne sont pas les gros fraudeurs qui sont visés, ce sont des centaines de milliers ou des millions de petits contribuables qui sont la cible de ces mesures [5] .

La docilité du gouvernement grec est garantie, sous peine de voir activer le ’sécateur’ (koftis), voté en juillet 2016

Commentant la situation grecque, Poul Thomsen a laissé en suspens la question de l’entrée ou non du FMI dans le 3e mémorandum qui arrive à sa fin en août 2018. Selon lui, le FMI doit intervenir suffisamment à temps pour bénéficier d’une évaluation (la quatrième doit démarrer en mai) qui conditionnera le versement de sa contribution. Cela lui permettrait d’augmenter la pression sur le gouvernement grec pour l’application des nouvelles mesures d’austérité, juste avant la fin officielle du troisième programme. La docilité du gouvernement grec est garantie, sous peine de voir activer le ’sécateur’ (koftis), voté en juillet 2016. Ce sécateur permet d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou un vote préalable du parlement grec, en cas de non-respect de l’objectif d’un excédent primaire (hors service de la dette) de 3,5% en 2018 et après – et donc indépendamment de la composition du gouvernement [6]. La tutelle sur la Grèce n’est pas près de se relâcher.

Notes

[1Kathimerini, samedi 21/04/2017

[2Le seuil de pauvreté est indexé sur le salaire minimum qui a été réduit de 751 € en 2009 à 586 € en 2011. Il a donc été rabaissé de 598 € par mois en 2010 à 376 €, rendant un peu moins dramatiques les statistiques sur la néo-pauvreté des Grecs. Voir en grec

[6« La pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions. »
Extrait du IIIe Memorandum of Understanding (MoU) paru dans L’Humanité du 16/07/2015, « Yanis Varoufakis met en lumière les appétits des liquidateurs de la Grèce ».

Grèce Colonie de la dette

La Grèce sous tutelle jusqu’au remboursement des prêts

11 mai par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis


Tag sur l’immeuble de l’Académie D’Athènes. CC MLCK

La fin annoncée du 3e mémorandum signé par Tsipras en août 2015 ne doit pas faire illusion : les conversations entre l’Eurogroupe et le Ministre des Finances grec Tsakalotos portent sur l’aménagement de la nécessaire « tutelle » législative et budgétaire qui va être imposée pendant des années à la Grèce par ses créanciers, dans le but d’effectuer les « réformes » non encore accomplies après le 28 août 2018, date prévue officiellement pour la fin du troisième programme « d’aide ».

 

L’Eurogroupe de janvier 2018 a précisé à nouveau la liste des 88 prérequis encore en suspens, à régler pour le bouclage de la 4e évaluation, qui doit avoir lieu au plus tard en juin 2018, pour la délivrance de la dernière tranche de 11,7 milliards d’euros, quatrième et dernier versement du programme. Selon le Ministre Tsakalotos « il n’y aura pas de nouvelles mesures [1] », seules les « promesses » non réalisées sont concernées : le cadastre, les privatisations – en particulier dans le domaine de l’énergie – la « réforme » de la fonction publique et l’attribution des permis des maisons de jeu électronique et de casinos sont en première ligne, la baisse du seuil minimum d’imposition. À noter que le programme électoral de Syriza énoncé à Thessalonique en septembre 2014 [2] prévoyait la restauration du seuil de non-imposition à 12 000 €/an. Le seuil de non-imposition a été fixé après de multiples négociations à 8.600 pour une personne seule, à 9000 euros annuels pour un couple avec deux enfants à charge. La situation va se dégrader car, sous la pression de la Troïka, le gouvernement s’est engagé en juin 2017 à rabaisser ce seuil à 5.700 euros et 6130 euros respectivement à partir du 01/01/2019 [3]. Et encore, la réalisation des mises aux enchères par internet, l’application de la TVA à 24% dans toutes les îles dès juillet 2018 (dont celles où sont confinés un grand nombre de réfugiés), la modification des critères de calcul de l’impôt ENFIA sur les bâtiments [4]

Sur les 86 milliards prévus du 3e accord de prêt d’aout 2015, la Grèce n’a reçu que 58,6 milliards € ; il est prévu que les 27,4 milliards restants seront attribués après mai 2018, une fois leur utilisation précisée. Précisons que la majeure partie de la somme est repartie immédiatement vers les créanciers sous la forme de remboursement de la dette, tandis que 45,4 milliards d’Euros, résultant de ces différents accords de prêt ont été injectés depuis 2010 dans la recapitalisation des banques privées [5] . Pour recevoir le reste, le pays doit donc matérialiser une série de réformes avant le mois d’août 2018. D’après le Mécanisme Européen de Stabilité s’exprimant au nom des institutions, cette dernière tranche du prêt devra permettre principalement de régler les dettes du pays en suspens.

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« L’espoir arrive » – Stand électoral Syriza au soir des élections de janvier 2015. cc mlck.

Comme Dijsselbloem le déclarait en janvier 2018 au Financial Time, « le Premier Ministre Tsipras et le ministre Tsakalotos ont entièrement changé le ton des rapports avec les partenaires communautaires. Tout est désormais beaucoup plus facile, c’est une situation tout à fait différente » [6] . CQFD.

L’ombre menaçante du FMI

Trois ans après la signature du 3e mémorandum, le FMI ne tranche toujours pas sur sa possible contribution financière à celui-ci. Une participation souhaitée par les créanciers européens, l’Allemagne en tête, mais appréhendée par le gouvernement Tsipras depuis le début. En effet, le FMI sans participer n’en continue pas moins en tant que créancier (des précédents plans « d’aide ») à exiger de nouvelles coupes dans les retraites et les salaires, au nom du service de la dette externe. Surtout, le FMI considère la dette grecque comme insoutenable et en réclame un aménagement par les créanciers européens. Mais ceux-ci, menés par l’Allemagne, sont opposés à une réduction de leurs créances sur la Grèce. Le FMI a toujours refusé la réduction de ses propres créances en prétextant que ses membres des Pays en développement ne comprendraient pas qu’un tel traitement de faveur soit accordé à la Grèce.

Le FMI aurait dû se prononcer fin janvier 2018 pour une seule et unique évaluation d’un programme (Memorandum of Economic and Financial Policies, MEFP) signé en juillet 2017 avec la Grèce [7] , qui prévoyait l’éventualité d’un versement de 1,6 milliard d’Euros, sous condition entre autres que les créanciers européens prennent des décisions essentielles pour la viabilité de la dette grecque. La Grèce, ne souhaitant pas que le FMI s’implique dans le programme par ce versement, a fait appel au marché en émettant des obligations pour faire face à ses problèmes de liquidité, en utilisant ce « retour sur les marchés » comme outil de propagande.

Bien qu’elles soient régulièrement annoncées comme « imminentes d’ici quelques semaines » depuis août 2015, les discussions entre les créanciers sur un réaménagement de la dette grecque ne sont pas toujours pas au programme dans l’immédiat.

En tant que créancier des deux premiers memoranda, le FMI siège au sein de la troïka devenue quartet En tant que créancier des deux premiers memoranda, le FMI siège au sein de la troïka devenue « quartet » [8] et son poids pèse lourd sur certains des prérequis exigés par les créanciers dans le cadre du 3e mémorandum. Ainsi, on reconnait la marque du FMI sur des mesures « débloquées » par la loi mammouth votée en procédure d’urgence en janvier 2018, comme la mise aux enchères des résidences principales par voie électronique, la réduction du droit de grève à travers une modification des procédures à respecter pour pouvoir faire grève, la révision à la baisse des droits aux allocations familiales pour les familles nombreuses (à partir de trois enfants). Mais aussi l’impunité pour les membres du TAIPED [9] et du super-fonds de privatisation [10] : la multi-loi de janvier 2018 prévoit que les experts profitent aussi désormais de l’asile juridique, y compris quand le résultat d’une privatisation a porté gravement tort au secteur public grec. C’est la réponse au scandale qui a mené devant les tribunaux grecs six membres du TAIPED [11] , malgré les protestations de la Troïka.

La dictature fiscale instaurée par le troisième mémorandum

Les mesures d’austérité du troisième mémorandum ont fait augmenter les dettes d’impôts de 20 milliards d’euros en créant 500.000 endettés fiscaux supplémentaires entre 2015 et 2017. Des dettes qui s’élevaient à 40 % du PNB fin 2014. Pourtant Tsipras avançant les chiffres officiels annonçait en janvier 2017 que les objectifs fiscaux avaient été atteints pour les deux années précédentes. C’est la démonstration que les objectifs fiscaux fixés par l’État grec sont bien supérieurs à ses besoins budgétaires mais surtout, qu’ils dépassent largement la capacité de paiement des contribuables grecs [12].

Résultat, pendant le seul mois de février 2018, 2,5 milliards d’euros supplémentaires se sont ajoutés aux dettes d’impôts non honorées. L’Agence Autonome des Recettes Publiques se prépare à procéder à des saisies, tandis que les mises aux enchères par internet pour dettes envers l’État seront mises en route, à partir du 27 avril 2018, en particulier pour contenter les créanciers qui en ont fait un prérequis sine qua non [13].

En août 2017, l’ensemble des dettes d’impôts impayés s’élevaient à 95,65 milliards d’euros, dont 5,48 milliards pour la seule année 2017, pour un total de 3,8 millions de contribuables endettés. Parmi eux, 2,4 millions de contribuables endettés, personnes physiques ou morales, sont incapables de payer aux impôts une somme inférieure à 500 euros, représentant un total de 340 millions d’euros. [14]

Ce sont donc 1,4 millions de contribuables qui sont exposés à des mesures de rétorsion de l’Agence Autonome des Recettes publiques [15] . (Rappelons que lors du recensement de 2011, la Grèce comptait 11 millions d’habitants.)

Dans le détail :
- 11,7% du total des contribuables doivent moins de 10 euros chacun pour un total de 1 million d’€ (505.202 personnes physiques et morales)
- 398.004 doivent moins de 50 euros, pour un total de 11,5 millions d’euros
- 34,5% du total des contribuables (1.485.693) doivent de 50 à 500 euros, pour un total de 327,8 millions d’euros [16].

Avec la même multi-loi de janvier 2018, le numéro fiscal (AFiMi) personnel qui conditionne toutes les opérations commerciales et nombre de procédures administratives pourra être supprimé par l’Agence Autonome des Recettes publiques. Par ailleurs elle pourra attribuer un numéro fiscal à quiconque, personne physique ou morale, pourvu qu’elle dispose de quelques éléments clé, ce qui lui permettra de verbaliser ou d’agir en représailles de supposées infractions, y compris en réclamant à une nouvelle personne morale les arriérés dus par un des membres de son Conseil d’administration si celui-ci est un contribuable qui s’est endetté dans les cinq dernières années, pour une hauteur minimale de 15 000 euros, dans le cadre de la lutte contre l’évasion et l’échappement fiscal [17] .

La Grèce s’était engagée à appliquer une baisse du seuil minimum d’imposition prévue après 2020. En effet le FMI et le reste des Institutions invoquent la nécessité de produire un excédent budgétaire de 3,5% du PIB dès 2019. Le gouverneur de l’Autorité Autonome des Recettes Publiques, contrôlée par les Institutions européennes et qui remplace le Trésor en Grèce a annoncé en mars 2018 que la baisse du minimum d’imposition interviendrait plus tôt que prévu, sous peine de voir activer le « sécateur » (koftis), voté par la multi-loi de mai 2016. Ce sécateur permet d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sans passer par une décision ministérielle ou un vote préalable du parlement grec, en cas de non-respect de l’objectif d’un excédent primaire (hors service de la dette) de 3,5% en 2018 et après – et donc indépendamment de la composition du gouvernement [18].

Comme le journaliste économique Romaric Godin le faisait remarquer au moment de son adoption, « Pour éviter d’avoir recours à ce mécanisme-sécateur, le gouvernement grec devra de toutes façons poursuivre la baisse de ses dépenses. Toute richesse grecque sera donc ponctionnée tant qu’il faudra rembourser la dette [19]. »

Sur la politique fiscale, le FMI continue donc à peser de tout son poids, en plein accord avec le MES, comme en témoigne le commentaire du responsable de la zone Europe au FMI, Poul Thomsen, interrogé sur l’avenir de la Grèce après la fin du 3e programme. « Nous n’avons pas d’objectifs précis et nous ne jouerons aucun rôle pour dire »Faites ceci ou cela« , mais l’important pour le FMI est que la politique menée soit bien compatible avec la reprise. Le redressement spectaculaire de la Grèce a été atteint grâce à l’augmentation des impôts, mais au détriment du développement. Il importe donc d’élargir significativement la base d’imposition [20]. »

Une bonne politique fiscale selon le FMI suppose de baisser le seuil de non-imposition pour faire contribuer davantage les plus faibles revenus et soulager les plus riches, trop sollicités fiscalement pour vouloir investir.

De nouvelles baisses de retraite de 20% à venir avant 2019

Dans le cadre du 3e mémorandum, de nouvelles baisses des retraites et la modification du système des cotisations de retraite ont été imposées par la loi Katrougalos en 2016, mais par la suite le gouvernement grec a été obligé de corriger partiellement certains points qui accentuent particulièrement la pauvreté. Ainsi il a été institué en 2017 une indemnité sociale pour les plus pauvres, et on a ouvert aux sans-abris et aux migrants la possibilité de s’inscrire en demandeurs d’emploi. Pour le dire autrement, les gens qui auront perdu leur résidence principale pourront néanmoins s’enregistrer comme demandeurs d’emploi : une des mesures « sociales » du gouvernement Tsipras.

Les modifications dans les pensions de retraite amenés par la loi Katrougalos s’appliquent pour 2,7 millions de retraités avec de nouvelles baisses allant jusqu’à 40% [21].
D’après l’OCDE, entre 2010 et 2016 les Grecs avaient déjà subi une perte de 36% de leurs revenus ; celle-ci va encore être accentuée par les nouvelles baisses de retraite. Les plus faibles revenus sont particulièrement affectés par la hausse des taxes et des impôts et la suppression progressive des indemnités destinées à compenser la précarité (EKAS, etc…) [22]

Parmi les plus touchés par les baisses de retraite du troisième mémorandum, les veuves dont les pensions de réversion ont pu baisser de 47,4%, puisque la pension initiale du défunt a baissé significativement après la Loi Katrougalos. Il n’y aura aucune allocation de réversion pour les nouveaux retraités. Les pensions de réversion aux enfants mineurs ou aux étudiants de moins de 24 ans sont désormais conditionnées par des critères très serrés, pour l’obtention d’une petite retraite inférieure à 300 euros délivrée par la caisse agricole OGA.

Les grandes modifications votées en 2016 et en 2017 ne seront appliquées et visibles dans les relevés de pension qu’à partir de décembre 2018. Pour les nouveaux retraités, qui toucheront moins que ceux ayant posé leur dossier en 2017, les baisses de retraites seront limitées à 20% puisque leur retraite démarre de plus bas. Les futurs pensionnés arrivant à l’âge de la retraite à partir de janvier 2019 verront les nouvelles baisses s’appliquer immédiatement [23].

Enfin, l’indemnité EKAS qui constituait un complément pour les pensions les plus faibles est en voie de suppression progressive [24], au cœur des économies qui permettent de dégager un « excédent primaire » par la réduction des dépenses publiques.

Résultat, début 2018, un Grec sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté fixé depuis 2015 à 376 €. Plus d’un million de retraités survivent avec moins de 360 € mensuels. Rappelons que le seuil de pauvreté en Grèce a été abaissé à plusieurs reprises par Eurostat [25] : en 2010 on risquait la pauvreté avec moins de 598 € par mois, alors que ce seuil rabaissé de 37% élimine statistiquement toute une tranche de nouveaux pauvres, dont les retraités [26].

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« Pablo Picasso : La croissance en Grèce – (Détail) » – Dessin satyrique de Yannis Kalaïtzis.

La reprise économique, un leurre de plus en plus lointain

Alors que l’on nous parle pour la Grèce de « bout du tunnel » de « reprise économique après des années d’effort », l’économiste Costas Lapavitsas propose une toute autre analyse de la situation grecque :
« La réduction de la consommation publique explique le brutal excédent primaire poursuivi par M. Tsakalotos … La stagnation de la consommation privée est due au chômage, aux bas salaires et aux lourdes taxes. ../.. En particulier, la consommation alimentaire diminue constamment. Le pire c’est que même la consommation des pâtes a baissé de 10%. »

« Le gouvernement Syriza en mai 2017 s’est à nouveau engagé sur le principe d’une austérité particulièrement cruelle, s’engageant à diminuer encore les retraites et à imposer de nouvelles taxes dans le but d’obtenir des excédents primaires annuels supérieurs à 3,5% du PIB annuellement jusqu’en 2022. Et ensuite ils se sont engagés à assurer des excédents annuels de 2% jusqu’en 2060 ! [27] »

« La hausse de l’impôt et la forte augmentation des cotisations d’assurance affectent l’attrait pour l’investissement. Dans le même temps, la réduction continue des prêts bancaires et les taux d’intérêt élevés ont restreint l’accès au crédit. Le système bancaire grec est totalement incapable de financer le retour aux investissements. Comment pourrait-il en être autrement lorsque 45% des actifs bancaires sont constitués de crédits en défaut de paiement ? En y ajoutant la dette publique et l’absence continue de crédit commercial, il n’y a aucun mystère sur la faiblesse de l’investissement qui en 2017 n’a été que de 25 milliards. Il convient de noter que les investissements antérieurs à la crise étaient d’environ 60 milliards par an. [Costas Lapavitsas, Le temps d’attente pour le gouvernement est terminé – 14/03/2018] »

Et la fin du 3e programme ne changera pas la donne, bien au contraire :
« En août 2018, lorsque le troisième programme de renflouement prendra fin, la Grèce devra emprunter sur les marchés des sommes substantielles. Rien que pour financer l’essentiel en 2019, le pays aura besoin de plus de 12 milliards d’euros. Aussi le gouvernement prévoit-il d’accumuler un »oreiller » de plus de 15 milliards d’euros sous forme de garantie pour les prêteurs étrangers.

C’est extraordinaire pour un pays qui manque cruellement d’investissements – conserver près de 10% de son PIB d’argent mort en stock. Même ainsi, les prêteurs internationaux devront être rassurés sur le fait que l’austérité sera maintenue et la Grèce aura besoin, le cas échéant, du soutien implicite ou explicite des créanciers de l’UE, ce qui implique bien entendu un prolongement de la mise sous tutelle de la Grèce, comme sur les autres pays endettés de l’UE. La Grèce restera effectivement dans un statut néocolonial. [28]« 

Les memoranda : des programmes réussis

La constante application des créanciers à imposer des mesures qui semblent systématiquement produire des effets contraires aux buts affichés pose la question : quels étaient à l’origine les objectifs des « plans d’aide » qui se sont succédés depuis 2010 ?

Les travaux de la Commission Vérité sur la dette publique grecque [29] ont démontré notamment que le premier mémorandum avait eu pour but de financer l’État grec en faillite à cause de la recapitalisation des banques grecques, suite à la crise des subprimes, ce qui a permis que les banques étrangères, françaises et allemandes principalement, se dégagent alors qu’elles avaient prêté abondamment de l’argent sur le marché bancaire grec [30]

Les plans suivants ont servi à recapitaliser de nouveau les banques grecques et à continuer de dégager les créanciers privés, remplacés par les États de l’UE et les institutions européennes, financées par l’argent des contribuables européens.

Mais tout l’intérêt de l’affaire n’était-il pas dans la destruction du droit du travail, le démantèlement des services publics par la réduction des dépenses publiques, leur privatisation, la mise à l’encan des biens du pays en commençant par les ressources minières des sous-sols souterrains et sous-marins, les ressources énergétiques, tous les services de transports publics, la santé, l’eau … mais aussi les aéroports, marinas et des portions de bandes côtières, et maintenant la vente des biens privés de la population, habitations et terrains agricoles ou à construire, imposés par les memoranda ?

L’écrasement systématique des catégories les plus faibles de la population (pauvres, malades, personnes âgées ou dépendantes) par leur réduction progressive à la misère, à travers la baisse ou la suppression des pensions de retraite, la dégradation de l’accès à la santé et aux programmes d’aide aux personnes « handicapées » soumettent les populations à ce qui ressemble à une « guerre de basse intensité » telle que décrite par Jules Falquet [31] dans son livre Pax Neoliberalia [32], plus qu’à une « mauvaise gestion » par un État souffrant de « mauvaise gouvernance ».

Les scandales impliquant les hommes politiques au pouvoir à tous les niveaux, comme le scandale Novartis, et leurs va-et-vient entre les institutions publiques nationales et européennes et les grandes institutions financières privées ne laissent guère planer d’ambiguïté. La docilité des gouvernements envers les grands groupes financiers au détriment des intérêts vitaux des populations mais aussi de l’indépendance souveraine de leur propre pays montre combien les programmes mis en place par l’Union européenne à travers le MES, la BCE et le FMI n’ont qu’un seul but. Il s’agit d’en finir avec l’état social et de fermer le chapitre « bons salaires/bonnes retraites/bonne fin de vie confortable » qui fait de l’Europe un endroit « peu concurrentiel ». C’est d’ailleurs ce qu’a exprimé Schäuble devant Varoufakis [33].

En Grèce, l’austérité imposée au prétexte de la dette publique est menée aux extrêmes. L’hémorragie démographique qui s’ensuit contribue à régler les problèmes démographiques de l’Europe du Nord, avant que celle-ci se voie à son tour imposer des mesures renforcées d’austérité.

Dans la Grèce néolibérale mémorandaire, l’entreprise minière Eldorado Gold se contente d’un rendement d’extraction de l’or très faible car après avoir éventré des collines et des forêts classées en zone Natura 2000, sur 700 m de diamètre, 200 m de profondeur, en procédant à un mode inédit d’exploitation au cyanure aux conséquences encore inconnues sur l’environnement, rien d’autre ne compte pour l’entreprise canadienne que sa valeur boursière. Gagner un procès devant la Cour Constitutionnelle grecque fait remonter immédiatement le cours de l’action de la maison-mère [34] . Peu importe finalement qu’il y ait de l’or à la clé et à quel prix. Peu importe que le bassin hydrologique d’une région entière soit dévasté, ainsi que tout son système écologique.

C’est le système dette qui a justifié cette évolution en Grèce, en transformant ce pays en colonie de la dette.

C’est le système dette qui, après avoir agenouillé les pays du Sud pour siphonner leurs richesses, s’étend à travers l’Europe, multipliant les friches industrielles, outil principal de l’oligarchie pour instituer un ordre néolibéral à coup d’état d’urgence et de guerre de basse intensité, au nom desquels les constitutions mêmes sont modifiées, rejetant dans une histoire lointaine les conquêtes des peuples.

Merci à Anouk Renaud et à Éric Toussaint pour leur relecture attentive

Notes

[4ENFIA ou « taxe consolidée sur la propriété immobilière ». En fait, la Grèce dispose d’une quarantaine de taxes et de timbres sur la construction, les loyers, l’héritage, le transfert ou la légalisation des constructions sans permis, mais aucune taxe n’imposait jusqu’en août 2011 les ménages modestes sur leurs biens. Par l’établissement définitif de la taxe ENFIA passé dans la loi grecque en janvier 2014, le gouvernement espère des revenus supplémentaires de 3,5 milliards d’€, contre 500 millions € auparavant. Source en grec

[8Les créanciers de la Grèce sont la BCE, la Commission Européenne, le FMI et le MES, qui est intervenu en aout 2015 à l’occasion du 3e mémorandum, transformant la Troïka (Commission, BCE et FMI) des deux premiers memoranda en « quartet ».

[9TAIPED, en anglais Hellenic Republic Asset Development Fund, le Fond de privatisation des biens publics grecs, créé en 2011. Voir Sucer la Grèce jusqu’à la moelle sur le site du CADTM

[10Créé en août 2015 par le 3e Mémorandum.

[18« La pleine mise en œuvre des dispositions pertinentes du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, notamment en rendant opérationnel le conseil budgétaire avant la finalisation du protocole d’accord et en introduisant des réductions quasi automatiques des dépenses en cas de dérapages par rapport à des objectifs ambitieux d’excédents primaires, après avoir sollicité l’avis du conseil budgétaire et sous réserve de l’accord préalable des institutions. »
Extrait du IIIe Memorandum of Understanding (MoU) paru dans L’Humanité du 16/07/2015, « Yanis Varoufakis met en lumière les appétits des liquidateurs de la Grèce ».

[20Kathimerini, Samedi 21/04/2017

[25Le seuil de pauvreté, indexé sur le salaire minimum qui a été réduit de 751 € en 2009 à 586 € en 2011, a été rabaissé, rendant un peu moins dramatiques les statistiques sur la néo-pauvreté des Grecs. Voir en grec

[26Le danger de pauvreté parmi les plus de 65 ans était de 28,4% de la population en 2004, de 23,6% en 2011. Depuis, il n’a cessé de baisser, en 2012 à 17,2%, en 2013 à 15,1%, en 2014 à 14,9% et en 2015 à 13,7%.

[31Maîtresse de conférences en sociologie HDR, Université Paris 7- Denis Diderot.

[32Pax Neoliberalia, Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence, Éditions Racine de iXe, 2016

[33« Mais Schäuble n’était pas intéressé et passe au sujet qui est au cœur de toute sa stratégie et de ses motivations profondes : « Sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providences avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » in Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

 

Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Documentariste, essayiste et traductrice du grec moderne, permanente au CADTM.

Source http://www.cadtm.org/La-Grece-sous-tutelle-jusqu-au

A qui profite la dette grecque ?

 À qui profite la dette ? Questions pour du pognon

27 mars par CADTM Belgique , ZinTV

Crise grecque. On nous parle d’une dette grecque insoutenable, impayable… mais au fait : à qui cette dette profite ? Qui sont les créanciers de la Grèce ? Pourquoi ont-ils prêté de l’argent à la Grèce et à quelles conditions ? Pourquoi la Grèce n’a pas été « sauvée » ?

Cette courte vidéo animée vous propose quelques éléments de réponses sur la banque centrale européenne (BCE). Élaborée à partir du travail d’audit de la dette grecque, c’est le 3e épisode d’une série de vidéos sur les créanciers de la Grèce : « À qui profite la dette grecque ? »


Revoir :

E.Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 7e partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

La première capitulation de Varoufakis-Tsipras fin février 2015

Partie 7 14 mars par Eric Toussaint

« J’ai signé le courrier et je l’ai envoyé aux créanciers, passablement écœuré.
C’était un fruit des ténèbres, et je reconnais qu’il m’appartient.
 »
— Varoufakis

Avertissement : La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances [1]. En contrepoint du récit de Varoufakis, j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Lire les précédents articles de la série :

1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec

2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique

3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza

4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

6. Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

Du 21 au 24 février 2015 à Athènes : Varoufakis boit le calice jusqu’à la lie

Varoufakis rend compte des réactions contradictoires que suscite la signature de l’accord funeste du 20 février 2015 avec l’Eurogroupe : Jeffrey Sachs le félicite tandis qu’il est durement critiqué par Manólis Glézos, flambeau de la Résistance et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, ainsi que par le célèbre compositeur Míkis Theodorákis, deux héros de son enfance pour reprendre ses termes [2]. Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’est excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015 [3].

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Manolis Glezos

Varoufakis explique qu’à partir du 21 février, il s’attelle à rédiger les propositions de réformes à « intégrer au MoU » et à soumettre à l’Eurogroupe le 23 février. Varoufakis n’hésite donc pas à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’essayer d’amender le mémorandum en cours, alors qu’à l’époque, Tsipras et lui déclaraient à la population qu’il s’agissait d’un nouvel accord « transitoire » en soutenant que la Grèce s’était libérée de la prison du mémorandum et de la Troïka, rebaptisée « les institutions ».

Varoufakis écrit : « Le lundi soir, le texte serait envoyé à Christine Lagarde, Mario Draghi et Pierre Moscovici qui auraient la matinée du lendemain pour l’examiner avant la téléconférence de l’Eurogroupe du mardi après-midi. Ils seraient trois à évaluer les mesures avant de donner leur feu vert ou leur veto, sans que les ministres aient leur mot à dire » (p. 283). À l’époque, Varoufakis affirmait haut et fort en public que la Troïka n’existait plus et que la Grèce avait retrouvé la liberté. Pourtant il reconnaît ici-même qu’il a accepté de soumettre à Lagarde (FMI), Draghi (BCE) et Moscovici (Commission européenne) les propositions que le gouvernement grec comptait envoyer ensuite officiellement à l’Eurogroupe.

Dans l’intention de l’insérer dans le 2e mémorandum (MoU) remanié, Varoufakis rédige un texte sur les réponses à apporter à la crise humanitaire, qui n’était pourtant pas mentionnée dans le communiqué du 20 février 2015 puisque la Troïka refuse qu’on parle de crise humanitaire en Grèce. Ces propositions de Varoufakis seront rejetées deux jours plus tard. Ensuite, il s’est attelé à enlever du mémorandum en cours des éléments qui portaient atteinte aux droits fondamentaux. « En échange, j’ai conservé telles quelles de nombreuses « mesures antérieures » du MoU. Certaines étaient atroces, d’autres mauvaises, quelques-unes bonnes. C’était ce qu’on appelle un compromis » (p. 284).

Varoufakis avait demandé à George Chouliarakis, le Président du Conseil des économistes, homme de confiance du vice-premier ministre Dragasakis, de rester à Bruxelles après le 20 février en lui confiant la tâche de préparer avec la Commission européenne le travail à soumettre à la Troïka pour le 23 février.

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George Chouraliakis avec en arrière plan Euclide Tsakalotos

Le dimanche 22 février, Chouliarakis est de retour à Athènes et Varoufakis lui demande si le texte qu’il a envoyé la veille à Bruxelles convenait à Declan Costello [représentant de la Commission au sein de la Troika en Grèce depuis mai 2014], chargé par la Commission de suivre l’application de l’accord du 20 février.

Chouliarakis lui répond que Costello a réagi positivement au projet de Varoufakis, mais qu’il faut le reformuler afin que cela corresponde au style de la Troïka. Varoufakis accepte et Chouliarakis revient quelques heures plus tard avec le document retravaillé. Varoufakis n’apprécie pas le texte et écrit : « Le style était clairement celui de la troïka, en revanche mes ajouts étaient soit absents soit très édulcorés » (p. 284). Ils modifient le document ensemble et l’envoient le dimanche à 21 heures à Costello pour approbation.

Costello refuse deux éléments précis du texte. Il rejette l’idée d’un moratoire sur la saisie des résidences principales pour les foyers incapables de payer les dettes hypothécaires. Varoufakis accepte de supprimer ce « moratoire ». Costello refuse aussi que Varoufakis annonce la création d’une banque publique de développement. Varoufakis y consent. Il écrit : « Nouvelle concession de ma part, mais je me suis promis d’y revenir à partir du mois d’avril suivant » (p. 286).

Le lundi 23 février en matinée, Varoufakis consulte le cabinet de guerre et Lafazanis, ministre de la reconstruction. « L’opposition la plus virulente venait de la Plateforme de gauche. Les négociations avec nos bailleurs de fonds étaient biaisées, disaient-ils, et la reformulation de ma liste dans le style de la Troïka était proche de la trahison » (p. 286).

Finalement, après avoir de nouveau consulté par courrier électronique les représentants de la Troïka et avoir obtenu leur feu vert, Varoufakis envoie officiellement, un peu après minuit, la liste qu’il s’était engagé à soumettre à l’Eurogroupe avant la moitié de la nuit [4].

Dès le mardi matin 24 février, les médias ont affirmé que le retard était la preuve que Varoufakis était incompétent. Varoufakis commente : « Une accusation à laquelle je ne pouvais pas répondre sans dire que j’avais secrètement négocié avec les créanciers avant de soumettre officiellement ma liste » (p. 286).

Le pire était à venir : quelques heures plus tard, la presse grecque révélait le contenu du document envoyé par Varoufakis à l’Eurogroupe et annonçait que ce document avait été écrit par Declan Costello de la Commission européenne, ce qui était largement vrai. Comme le reconnaît Varoufakis : « Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai pris mon ordinateur portable, ouvert ma liste de réformes, cliqué sur « Dossier », puis sur « Propriétés », et j’ai vu qu’à côté d’« Auteur » apparaissait « Costello Declan (ECFIN) [Affaires économiques et financières] », et juste en dessous, après « Entreprise », deux mots couronnant mon humiliation : « Commission européenne » » (p. 287). [5]

Varoufakis poursuit son récit et dit que toute honte bue, il se rend à la réunion du Conseil des Ministres. Il affirme qu’après deux heures de discussion, il a obtenu le feu vert des ministres pour poursuivre les négociations sur la base du texte qu’il avait envoyé la veille à l’Eurogroupe. Varoufakis ne donne aucun détail sur la discussion qui a eu lieu lors de cette réunion ni sur les personnes qui étaient présentes.

Heureusement, d’autres sources sont disponibles pour se faire une idée correcte des discussions qui ont eu lieu lors de ce Conseil des Ministres restreint. Voici un extrait d’un article rédigé par une journaliste bien informée du quotidien grec Kathimerini : « Dans les sommets gouvernementaux, les frictions internes se sont exprimées lors de la réunion du Conseil Gouvernemental d’hier, où le ministre de la Reconstruction productive, de l’environnement et de l’énergie, Panagiotis Lafazanis, a exprimé de fortes réserves à l’égard des engagements pris par le gouvernement avec une liste des réformes envoyées aux partenaires et a demandé des clarifications, principalement au sujet des privatisations, qui concernant son ministère, mais aussi en référence à l’engagement pris de poursuivre l’harmonisation du marché de l’électricité et du gaz naturel avec les normes du marché et la législation de l’UE. Mme Nadia Valavani [6] a soulevé la question de la mise en œuvre rapide du règlement des arriérés de dette. De la part d’autres ministres, cependant, on percevait des murmures de désapprobation quant au fait qu’ils n’avaient pas vu le texte dans sa forme finale avant qu’il ne soit envoyé. » [7]

Ensuite se déroule l’Eurogroupe auquel Varoufakis participe par téléphone. Le représentant de la Commission déclare tout de go que la liste de mesures envoyée par Varoufakis « ne saurait remplacer le MoU, qui constitue la base légale du plan ». Mario Draghi répète la même chose, de même que Christine Lagarde.

Varoufakis affirme qu’à ce moment-là, il aurait dû mettre fin à la négociation et proposer à Tsipras de mettre en marche les mesures unilatérales qu’il lui avait proposées ainsi qu’à Papas et Dragasakis, à commencer par une décote des titres grecs détenus par la BCE et le lancement d’un système de paiement parallèle [8].

« Malheureusement, j’ai opté pour la méthode douce » et il déclare par téléphone à l’Eurogroupe : « Nous insisterons pour […] que l’examen de cette liste se poursuive en sachant que la liste de réformes de notre gouvernement est le point de départ. »

Varoufakis est largement muet à propos de l’important débat au sein du groupe parlementaire de Syriza

Le 25 février en soirée et jusque tard dans la nuit, a lieu une réunion de crise du groupe parlementaire de Syriza. Dans son livre, Varoufakis n’y fait allusion que dans une seule ligne très vague sans citer de date : « Une poignée de députés Syriza continuaient de rouspéter, mais l’humeur était à l’effervescence » (p. 303) [9]. Pour en savoir plus, il faut lire une note de bas de page qui indique notamment que « Lors d’une réunion particulièrement houleuse du groupe parlementaire, j’ai passé une bonne heure à expliquer pourquoi la prolongation était nécessaire, assumant toute la responsabilité de l’affaire, sans qu’Alexis, Pappas ni Dragasakis ne disent un mot » (Note 1, p. 516).

En fait lors de cette réunion des parlementaires de Syriza, environ un tiers de ceux-ci s’est opposé à l’accord du 20 février. Parmi eux : la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopulou et tous les ministres et vice-ministre membres de la plate-forme de gauche (P. Lafazanis, N. Chountis, D. Stratoulis, C. Ysichos) ainsi que Nadia Valavani, vice-ministre des finances et Thodoris Dritsas, vice-ministre des affaires maritimes [10].

Il est clair que Varoufakis minimise l’importante opposition qui s’est exprimée très tôt à l’intérieur du groupe parlementaire de Syriza et parmi les membres du gouvernement, sans parler du comité central de Syriza (lors d’un vote qui est intervenu plus tard, lors du comité central qui s’est tenu les 28 février et 1er mars 2015, 41 % des membres du Comité central se sont opposés à l’accord du 20 février). En se basant sur le récit de Varoufakis et sur d’autres sources, il est également évident que le groupe parlementaire et les ministres du gouvernement qui ne faisaient pas partie du cabinet de guerre recevaient des informations incomplètes sur la négociation. Ce qui est avéré, c’est que ni le conseil gouvernemental, ni les parlementaires, ni les instances de Syriza n’étaient tenus au courant des décisions en amont. Dans le meilleur des cas Tsipras en faisait un compte-rendu biaisé après coup.

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Manifestation à Athènes en février 2015

Le 27 février à Athènes, Varoufakis fait acte d’allégeance à la Commission européenne, au FMI et à la BCE

Après avoir relaté le déroulement de l’Eurogroupe du 24 février lors duquel il a présenté ses mesures à mettre en place dans le cadre du mémorandum plutôt que d’enclencher des mesures unilatérales, Varoufakis ajoute dans son récit : « Les erreurs sont comme les crimes, elles en engendrent d’autres. La décision de ne pas débrancher la téléconférence du 24 février a été amplifiée par une erreur encore plus grave, commise quelques jours plus tard. »

Par l’intermédiaire du bureau du président de l’Eurogroupe, le 25 février, Varoufakis est sommé par la Commission européenne, le FMI et la BCE de faire acte d’allégeance. La Troïka veut que le gouvernement grec envoie une lettre officielle pour confirmer l’accord que Varoufakis a donné la veille lors de la conférence de l’Eurogroupe. Après de nombreuses hésitations, il accepte de signer la lettre pro-forma que la Troïka a préparée.
« Accepter la lettre des créanciers sans corrections, pour une demande aussi essentielle, signifiait que la prolongation nous serait accordée non pas suivant nos termes, mais suivant ceux de la Troïka. »
Varoufakis reconnaît l’extrême gravité de la décision à prendre. Signer la lettre pro-forma revient à prolonger le mémorandum en cours et à le faire selon les termes dictés et imposés par la Troïka.

Varoufakis admet que la lettre était tellement inacceptable que Tsipras considérait qu’il était impensable de la signer et de la communiquer au parlement.
Varoufakis lui dit : « – Tu es sûr que tu ne peux pas arriver au Parlement, dire ce qu’il en est, obtenir le vote qui m’autoriserait à signer et tourner la page ? »

Varoufakis précise : « Découragé, épuisé, Alexis s’est retourné vers Sagias qui avait l’air aussi exténué et lui a conseillé de ne pas y aller. »

Varoufakis se propose pour faire le sale boulot : « – Dans ce cas-là, Alexis, je prends sur moi la responsabilité. Je signe ce maudit courrier sans l’aval du Parlement, je l’envoie aux bailleurs de fonds et je passe à autre chose. »

Varoufakis précise que le 27 février au petit matin : « J’ai signé le courrier et je l’ai envoyé aux créanciers, passablement écœuré. C’était un fruit des ténèbres, et je reconnais qu’il m’appartient. »

Le 27 février, Varoufakis maintient Chouliarakis à son poste

Selon Varoufakis, suite au double jeu de Chouliarakis (qui ne s’était pas contenté de concocter un document avec Declan Costello de la Commission européenne, mais avait également omis de transmettre le 21 février à Varoufakis un important message provenant de l’Eurogroupe [11]), Tsipras, le 26 février, lui conseille de s’en débarrasser. Varoufakis refuse. Ensuite, à partir du lendemain, Tsipras change de position et s’accommode de Chouliarakis.

Reprenons brièvement le récit de Varourafkis.

Varoufakis raconte que le 27 février 2015, il va au palais Maximou en fin de matinée pour expliquer à Tsipras ce qu’il compte faire avec Chouliarakis : « Je pensais promouvoir Chouliarakis au poste de Secrétaire général de l’administration fiscale, plus prestigieux que celui de Président du Conseil des économistes, vacant et moins dangereux en terme de nuisance » (p. 300).
Sans aucun enthousiasme, Tsipras accepte cette proposition et Varoufakis s’en va en informer Chouliarakis.

Celui-ci refuse la proposition en faisant carrément du chantage : « – La décision te revient, Yánis. Mais sache que si tu me retires la présidence du Conseil des économistes, je n’accepterai ni la direction du fisc ni la moindre affectation dans ce gouvernement. Je préfère aller à la Banque de Grèce, Stournaras m’a réservé un poste. »

Varoufakis commente : « même dans mes pires cauchemars, je n’aurais jamais pu imaginer sa réponse. (…) Il avait levé le masque. Avec un cynisme et une impudence inouïs. Car il venait de m’avouer qu’il préférait travailler directement pour la troïka plutôt que de couper les liens privilégiés avec ses représentants dans mon ministère. Qui plus est, il reconnaissait être de mèche avec le gouverneur de la Banque centrale qui avait déclenché une panique bancaire pour nous couper l’herbe sous le pied. J’étais atterré » (p. 301).

Varoufakis, dépité, retourne voir Tsipras pour lui rendre compte de la réaction de Chouliarakis et, à son grand étonnement, Tsipras décide de ne rien faire.

Le commentaire que fait Varoufakis à propos de ces évènements d’une gravité extrême indique clairement son inconséquence. Il se reproche de ne pas avoir mis fin à la téléconférence avec l’Eurogoupe le 24 février tout en affirmant qu’il a fait cette erreur parce qu’il était persuadé que Tsipras était capable d’adopter au bon moment une attitude radicale face à la Troïka. Ensuite, il déclare qu’il a perdu cette illusion le 27 février : « Si j’avais perçu le gouffre avant la téléconférence du 24 février, j’aurais coupé avec la Troïka le jour-même. Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que j’étais convaincu qu’Alexis était capable de déclencher la rupture plus tard, et d’un commun accord. J’ai perdu cette illusion-là quand je l’ai vu excuser Chouliarakis qui menaçait de passer dans le camp ennemi » (p. 302). Il ajoute : « J’aurais dû affronter Alexis en lui reprochant de reculer – en public, s’il le fallait. »

Mais il n’en a rien fait. Comme nous le verrons, Varoufakis a accepté recul après recul et jusqu’au 6 juillet 2015 n’a jamais rendu public ses désaccords et ses propositions alternatives.

Mon témoignage sur les évènements de janvier-février 2015 et la période qui les a précédés

Comme je l’ai indiqué dans la partie 3 de cette série, j’ai été directement impliqué dans le soutien au lancement de l’initiative d’audit citoyen de la dette grecque dès la fin de l’année 2010 [12]. Je me suis rendu à 8 reprises à Athènes entre 2011 et 2014 afin de participer à des activités sur la problématique de la dette grecque et le rejet des politiques dictées par la Troïka. Il s’agissait de développer aussi la solidarité internationale avec la résistance du peuple grec. J’ai étudié en profondeur la problématique de l’endettement de la Grèce et cela a donné lieu à la publication d’articles et d’interviews.

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Alexis Tsipras et Éric Toussaint en octobre 2012 à Athènes

Au cours de mes missions en Grèce, j’ai fait la connaissance d’Alexis Tsipras, principal dirigeant de Syriza et des dirigeants de la gauche de Syriza, en particulier Costas Ysichos qui est devenu en janvier 2015 vice-ministre de la Défense et Antonis Ntavanelos qui animait le courant DEA à l’intérieur de Syriza (il fait partie aujourd’hui de l’Unité populaire). J’ai eu de nombreux contacts, des discussions et des collaborations étroites avec des camarades de différentes organisations membres de la coalition d’extrême gauche non parlementaire Antarsya, en particulier Leonidas Vatikiotis du NAR (organisation membre d’Antarsya) et Spyros Marchetos. Je connaissais certains d’entre eux depuis la fin des années 1990 et surtout depuis le début des années 2000, lorsqu’une forte délégation grecque avait participé à la mobilisation contre le G8 à Gênes en juillet 2001. Les relations avec les camarades grecs étaient régulières dans le cadre de réseaux comme le Forum social européen qui bénéficiait d’une forte participation grecque entre 2002 et 2006 [13], de même que dans le réseau des Marches européennes contre le chômage. Plusieurs dirigeants de Syriza (Tsipras, Tsakalotos, Valavani,…) et d’Antarsya (Yanis Felikis et Tassos Anastassiadis d’OKDE, Antarsya mais aussi des dirigeants du SEK, organisation liée au SWP britannique) étaient très actifs dans les réseaux européens, de même que Giorgos Mitralias qui avait participé aux débuts de Syriza et qui était actif dans le réseau des Marches européennes notamment. A partir de 2011, la collaboration du CADTM a été également forte avec Sofia Sakorafa, députée Syriza, ex-Pasok, et avec George Katrougalos, juriste, ex-KKE (le PC grec), devenu plus tard vice-ministre dans le gouvernement Tsipras et aujourd’hui secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. J’étais en contact très régulier avec Costas Lapavitsas depuis la fin 2010. Costas est devenu député de Syriza en janvier 2015. J’entretenais depuis 2011 des contacts réguliers avec Yanis Tolios, économiste très lié à Panagiotis Lafazanis, car il s’était impliqué dans l’audit citoyen de la dette. J’avais également eu une longue entrevue en octobre 2012 avec Manolis Glézos. Je l’admirais pour sa trajectoire rebelle sans faille depuis qu’il avait arraché le drapeau nazi de l’Acropole le 30 mai 1941. J’avais également une collaboration épisodique avec l’Institut Nikos Poulantzas lié au courant majoritaire dans Syriza, très eurocommuniste. J’avais rencontré, lors de ma rencontre avec Tsipras en octobre 2012, John Millios qui a été un des responsables économiques de Syriza jusqu’à la fin de l’année 2014. Je connaissais une petite dizaine de jeunes qui avaient entre 20 et 30 ans en 2011 – 2015 et qui s’étaient mobilisés très fortement dans l’initiative d’audit citoyen de la dette à partir de 2011. Enfin, j’avais des contacts avec des syndicalistes grecs, la plupart membres de Syriza ou d’Antarsya.

Au cours des contacts qui ont précédé l’élection de janvier 2015, j’étais devenu très critique à l’égard de l’orientation adoptée par Alexis Tsipras. Le moment clé a été la rencontre avec Tsipras en octobre 2012 dans son bureau au parlement grec. Dès le début de notre conversation qui a duré une heure, je me suis rendu compte qu’il avait réellement abandonné l’orientation qu’il avait portée lors des deux campagnes électorales de mai et de juin 2012. Lors de notre conversation d’octobre 2012, en tant que CADTM, je lui ai proposé de renforcer la campagne pour délégitimer les créanciers de la dette grecque, pour soutenir l’audit citoyen de la dette et s’appuyer sur ces résultats quand Syriza arriverait au gouvernement. J’ai bien compris qu’il souhaitait adopter au sujet de la dette publique, une attitude en retrait par rapport à ce qu’il avait défendu en mai-juin 2012 devant les électeurs et électrices grecs.

Lorsque j’ai rencontré Alexis Tsipras pour la deuxième fois en tout petit comité, c’était en octobre 2013 en compagnie de la députée Syriza, Sofia Sakorafa, très impliquée dans l’audit citoyen de la dette grecque et ayant collaboré de plus en plus activement avec le CADTM au point de se déplacer en octobre 2011 au Brésil pour participer à une réunion internationale du CADTM. La conversation avec Tsipras en octobre 2013 a duré un peu plus d’une heure et m’a renforcé dans la conviction que celui-ci voulait éviter un affrontement avec les créanciers. Il pensait, sans le dire ouvertement, que l’orientation qu’il avait défendue lui-même en mai-juin 2012 était trop radicale, et donc que la position du CADTM a fortiori était aussi trop radicale. Il considérait qu’il était possible par des arguments « pro-UE » de convaincre les créanciers de concéder une très importante réduction de dette à la Grèce.

De mon côté, mon analyse de la Grèce et de la zone euro avait évolué. Je suis devenu convaincu à partir de l’été 2013 que la sortie de la zone euro était une option sérieuse à envisager pour les pays de la périphérie européenne, notamment la Grèce [14]. Mais je n’ai pas abordé cette question dans la discussion avec Tsipras, parce que l’objet de notre rencontre était de préparer une grande conférence européenne sur la dette et sur les alternatives aux politiques néolibérales.

À l’issue de la réunion d’octobre 2013 avec Tsipras, s’est renforcée en moi la conviction que l’orientation que Tsipras avait adoptée allait conduire à un échec pour le peuple grec si des forces radicales en Grèce dans et hors de Syriza ne se mobilisaient pas pour maintenir le cap annoncé en mai-juin 2012 et préparer un plan B face au plan A de Tsipras. Et bien sûr, cela dépendait de ce qui se passerait en Grèce au sein de la gauche politique et sociale. Ce qui serait décisif, ce serait l’existence d’une pression populaire.

Du côté de la gauche politique et sociale, il y avait de quoi être inquiet : la direction de Syriza autour de Tsipras avait pris un virage qui visait à éviter l’affrontement avec les autorités européennes et avec le grand capital grec, elle abandonnait la perspective de l’audit de la dette et de la suspension du paiement pendant sa réalisation [15]. La gauche de Syriza était pour la suspension du paiement sans être très favorable à l’audit. L’extrême gauche extra parlementaire, Antarsya notamment, était en majorité opposée à l’audit de la dette en considérant que le peuple était déjà convaincu de la nécessité de la répudiation/annulation de toute la dette. Selon la majorité d’Antarsya, l’audit ne servirait qu’à légitimer une dette qui était illégitime. Le KKE traitait les partisans de l’audit d’agents de l’impérialisme. Les anarchistes n’avaient aucun intérêt pour l’audit de la dette.

Lors de deux conférences européennes tenues à Bruxelles et auxquelles Tsipras, Tsakalotos, Millios et moi avons été invités en mars et en avril 2014, j’ai défendu la nécessité d’un plan B. J’ai également déclaré en octobre 2014 dans un organe de presse important à Athènes, Le Journal des Rédacteurs, proche de Syriza [16] que les propositions de Syriza se heurteraient à l’opposition de l’Union européenne et qu’il fallait qu’un gouvernement Syriza soit prêt à poser des actes unilatéraux et radicaux. Voir un extrait de l’interview dans l’encadré.

Entretien avec Éric Toussaint réalisé par Tassos Tsakiroglou (journaliste au quotidien grec Le Journal des Rédacteurs)

Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ?

C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de celui causé par l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953 [17]. Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime et j’ai soutenu en ce sens la candidature de Tsipras pour la présidence de la Commission européenne [18], mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale.
 
En Grèce, SYRIZA est en tête de tous les sondages et plusieurs de ses dirigeants affirment que la négociation de la dette se fera dans le cadre de la zone euro et qu’elle ne sera pas le résultat d’une action unilatérale. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Oui, je connais la position officielle de Syriza. Personnellement, j’essaie de montrer que l’on peut appliquer un autre type de politique, car il est évident que la plupart des gouvernements de la zone euro et la BCE n’accepteront pas d’effectuer une réduction importante de la dette grecque. Ainsi, malgré la volonté exprimée par Syriza de négocier, je pense qu’il est impossible de convaincre l’ensemble de ces acteurs. Pour cela, il faut être plus radical, parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité. Il s’agit d’être radical, à l’instar de l’Islande après 2008, de l’Équateur en 2007-2009 ou de l’Argentine entre 2001 et 2005.

Par la suite, ces gouvernements ont fait une série d’erreurs et ont abandonné la position radicale qu’avait adoptée leur pays, c’est pour cette raison qu’ils rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés, comme c’est le cas de l’Argentine. (…)

Vous avez dit que la réduction drastique de la dette publique est nécessaire, mais non suffisante pour que les pays de l’UE sortent de la crise, il sera ainsi nécessaire d’appliquer d’autres mesures importantes dans divers secteurs. Quelles sont-elles, brièvement ?

Tout d’abord, il faut nationaliser – je préfère le terme socialiser – les banques. Je pense que les banques en Grèce et dans d’autres pays devraient être transférées au secteur public et fonctionner dans le strict respect des règles et des intérêts fixés par le peuple. En outre, il s’agit de contrôler les mouvements de capitaux, surtout les transferts importants réalisés par les grandes institutions financières. Je ne parle pas des transferts de 1 000 ou 2 000 euros, sinon des transferts plus importants qui requerront l’approbation préalable des autorités de contrôle sous peine de très fortes amendes et du retrait de la licence bancaire aux banques qui passeraient outre ce contrôle. Celui-ci sera effectué à bonnes fins. Il s’agira de protéger les simples citoyens qui pourront continuer à effectuer des transferts bancaires internationaux dans des limites raisonnables. Il faut également une réforme fiscale radicale : diminuer fortement les impôts et taxes payés par la majorité de la population et augmenter fortement et progressivement les taxes et impôts sur les plus riches et les grandes entreprises privées nationales et étrangères.
 
Et la Grèce ?

Il s’agit de faire ce que disait SYRIZA lors des élections en 2012. Si Syriza forme un gouvernement, il faut abolir les lois injustes qui ont été imposées par la Troïka (notamment celles qui ont détruit les conventions collectives et la négociation collective entre les employeurs et les travailleurs). Les autres mesures nécessaires sont les suivantes : la mise en place d’une réforme fiscale radicale en faveur de la justice sociale et de la redistribution des richesses, l’abrogation d’une partie des taxes imposées aux pauvres et la taxation des plus riches, la réalisation d’un audit et la suspension du paiement de la dette pour ensuite répudier la partie identifiée comme illégitime, odieuse, insoutenable et/ou illégale ; la socialisation des banques et l’application d’un contrôle sur les mouvements de capitaux.

Voir la version originale en grec publiée le 20 octobre 2014.

Lorsque des élections anticipées ont été convoquée fin décembre 2014 pour le 25 janvier, le CADTM a publié un communiqué de presse qui prend bien la mesure des menaces que faisaient peser les autorités européennes sur le peuple grec :
« Le CADTM n’a pas le moindre doute sur les intentions véritables de ceux qui ont fait de la Grèce le laboratoire européen de leurs politiques néolibérales les plus extrêmes et des Grecs des véritables cobayes de leur thérapie économique, sociale et politique de choc. On doit s’attendre à une escalade de leur offensive car ils ne peuvent pas se permettre que SYRIZA réussisse et fasse des émules en Europe ! Ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent car ils sont bien conscients que ce qui est en jeu aux prochaines élections grecques est le succès ou l’échec de la guerre sociale qu’ils mènent contre l’écrasante majorité des populations de toute l’Europe ! C’est d’ailleurs parce que l’enjeu est si important qu’on doit s’attendre à ce que « ceux d’en haut » d’Europe et de Grèce ne respectent pas le verdict des urnes, qui devrait couronner, pour la première fois de l’histoire, la victoire de la gauche grecque. Sans aucun doute, ils vont par la suite essayer d’asphyxier le gouvernement de gauche sorti des urnes, parce que son éventuel succès serait sûrement interprété comme un formidable encouragement à la résistance par les travailleurs et les peuples d’Europe. » [19]

Dès le 2 janvier 2015, j’ai été contacté par Georges Caravelis qui s’est présenté à moi comme un émissaire de la direction de Syriza qui souhaitait connaître mes propositions en ce qui concerne la dette grecque. Immédiatement j’ai pris contact avec le député européen Syriza, Nikos Chountis, qui m’a confirmé qu’effectivement Caravelis avait bien la mission de recueillir mon opinion. Nous avons eu plusieurs échanges et Caravelis était convaincu de la nécessité de mettre en place une commission d’audit de la dette le plus tôt possible après l’élection et la mise en place d’un gouvernement Syriza. Sur la base de nos échanges, Caravelis m’a fait parvenir les notes qu’il avait adressées à la direction de Syriza par l’intermédiaire de Chountis. Je n’ai pas eu de réponse de la part de la direction de Syriza avant les élections.

Quatre jours avant les élections du 25 janvier 2015, j’ai publié une opinion dans les quotidiens Le Monde et Le Soir, qui sont des quotidiens de référence à Paris et à Bruxelles. L’article était intitulé « Pour un véritable audit de la dette grecque ».

Il posait la question : « Mais que se passerait-il si Syriza, une fois au gouvernement, décidait de prendre à la lettre l’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne, qui prévoit qu’« un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité » ? (Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro »).

L’actuel gouvernement grec d’Antonis Samaras s’est bien gardé d’appliquer cette disposition du règlement. Mais à l’issue d’une victoire électorale, Syriza pourrait prendre au mot l’Union européenne en constituant une commission d’audit de la dette (avec participation citoyenne) chargée d’analyser le processus d’endettement excessif et d’identifier les dettes illégales, illégitimes, odieuses… ».

Dans la suite de cette tribune, j’expliquais que la dette réclamée à la Grèce pourrait être identifiée comme illégitime et odieuse. Cette tribune visait à la fois à contribuer modestement à convaincre l’opinion publique du caractère illégitime des dettes réclamées à la Grèce et à montrer aux futures autorités de la Grèce qu’elles pourraient retourner contre la Commission européenne une disposition d’un de ses règlements que nous dénonçons.

Cette opinion a été reproduite à Athènes par le quotidien conservateur Kathimerini qui posait la question : Que fera un gouvernement Syriza ?
Pendant la campagne électorale, j’ai donné une conférence à Bruxelles en soutien au peuple grec en compagnie de Manolis Glézos, député européen Syriza. J’ai participé également à des débats notamment avec Frédéric Lordon et Serge Halimi.

Après la victoire électorale de Syriza le 25 janvier et la formation du gouvernement le 27 janvier, j’ai appris que plusieurs de mes connaissances étaient devenues membres du gouvernement Syriza-ANEL.

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George Katrougalos

Je me suis rendu à Athènes le 13 février 2015 après avoir participé à plusieurs conférences en Europe en soutien au peuple grec ainsi qu’à des débats polémiques comme celui diffusé par France 2 le 30 janvier 2015 au cours duquel j’ai eu des échanges très houleux avec des personnalités de droite, dont le journaliste Arnaud Leparmentier du quotidien Le Monde.

Le 13 février, j’ai eu réunion avec George Katrougalos, avec lequel le CADTM avait développé une collaboration depuis qu’il s’était engagé en 2011 en tant que juriste dans le combat pour la suspension du paiement de la dette grecque et son audit. Katrougalos, après avoir été élu député européen Syriza en mai 2014, était devenu vice-ministre des réformes institutionnelles. Je lui ai dit que j’espérais qu’il aiderait à la mise en place d’une commission d’audit et à l’adoption d’une attitude ferme sur la question du non-paiement de la dette. Il m’a répondu qu’il suivrait Tsipras de manière disciplinée. Cela n’augurait rien de bon. Le lendemain, j’avais rendez-vous au ministère des Finances avec Nadia Valavani, vice-ministre des Finances. Varoufakis était absent car en négociation à Bruxelles. Est-ce que tu te rappelles que Varoufakis a refusé en 2011 de soutenir l’audit citoyen de la dette ? Dès que nous nous sommes vus, elle m’a rappelé chaleureusement que nous avions été ensemble dans le lancement de l’audit citoyen de la dette en 2011. Elle a ajouté : « Est-ce que tu te rappelles que Varoufakis a refusé en 2011 de soutenir l’audit citoyen de la dette ? » et elle a indiqué qu’elle ne lui faisait pas confiance en termes d’orientation politique. Ensuite, elle m’a expliqué le plan qu’elle voulait mettre en place afin de trouver une solution en faveur des deux millions de contribuables grecs qui avaient une dette à l’égard de l’État inférieure à 2000 euros. Elle voulait aussi prendre des mesures pour s’attaquer aux riches qui fraudaient le fisc. Le 15 février, j’ai eu réunion avec Rania Antonopoulos qui m’avait contacté vers le 23 janvier par e-mail pour me dire qu’elle était d’accord avec le contenu de ma tribune dans Le Monde en ce qui concerne la dette de la Grèce et la nécessité d’un audit. Entre temps, elle était devenue vice-ministre en charge de la lutte pour la création de 300 000 emplois. Elle m’a expliqué le combat qu’elle souhaitait mener afin de mettre fin à une politique qui rendait les chômeurs responsables de leur situation. Le 15 février, j’ai participé à une manifestation Place Syntagma de protestation contre l’Eurogroupe et en soutien aux engagements du gouvernement de Tsipras. 20 000 manifestants exprimaient leur espoir de voir les choses changer.

Le lundi 16 février, j’ai été reçu par la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. La réunion a été très positive. La présidente du parlement grec a affirmé qu’elle souhaitait favoriser un travail d’audit de la dette grecque afin d’identifier les dettes illégitimes, illégales, odieuses… Elle a décidé de rendre publique cette rencontre. L’information a été reprise par de nombreux sites [20]. Voir l’encadré sur le témoignage de Zoé Konstantopoulou à propos de notre collaboration pour la mise en place d’une commission d’audit de la dette.

En début de soirée, j’ai rencontré pendant une heure le vice-ministre de la défense, Costas Ysichos. Nous avons discuté des pourparlers en cours au niveau européen et de la question de la dette. Costas Ysichos était le dirigeant de la Plate-forme de la gauche de Syriza qui était le plus proche des positions du CADTM : combiner l’audit de la dette à un acte unilatéral de suspension de paiement.

Le 17 février, suite à l’écho donné par Zoé Konstanpoulou à notre rencontre, Nikos Chountis, vice-ministre des relations avec les institutions européennes, a souhaité me voir. En tant que membre de la gauche de Syriza, il me manifestait sa sympathie pour les propositions du CADTM, mais en tant que membre du gouvernement il me disait que l’orientation de Tsipras était différente. Il m’a demandé si je serais disposé à collaborer avec le gouvernement au cas où celui-ci prendrait une orientation plus radicale sur la dette. Pour rappel, les contacts que j’avais eus avec Caravelis dès le 2 janvier 2015 avaient été demandés par Nikos Chountis mais n’avaient pas abouti positivement.

Le témoignage de Zoé Konstantopoulou concernant la collaboration pour la mise en place de la commission d’audit

Le vif souvenir que j’avais d’Éric Toussaint, que je n’avais pas rencontré personnellement, remontait au grand festival de la jeunesse de Syriza, en octobre 2012, alors que le parti était devenu premier parti d’opposition, alors que l’avenir était ouvert devant lui. Éric avait prononcé un discours enflammé et avait été porté aux nues.

Lui-même ne s’en souvient pas du tout, comme il me l’a révélé plus tard, car il était particulièrement abattu : il avait constaté, ce jour-là, que Tsipras commençait déjà à faire marche arrière sur ses engagements concernant l’audit et l’annulation de la dette, chose que la majorité d’entre nous, qui n’avons pas participé à la trahison qui allait venir, avons beaucoup tardé à réaliser, malheureusement.

Dans mon discours d’ouverture en tant que Présidente du Parlement, le 6 février 2015, immédiatement après mon élection, j’avais annoncé que le Parlement allait contribuer activement à l’audit et à l’annulation de la dette.
À la première réunion du groupe parlementaire après cette séance, le député des écologistes avait demandé, très angoissé, s’il « était permis de dire des choses pareilles en pleine négociation, alors que le Premier ministre et le ministre des finances n’utilisent absolument pas ces termes. » Je lui ai alors répondu que c’était le programme sur la base duquel nous avions été élus et que nous devions non seulement le dire, mais aussi le faire. Personne n’osa me contredire. Toutefois, il était déjà clair que le Gouvernement lui-même n’entreprendrait aucune initiative concernant un audit ou une annulation de la dette et que le groupe parlementaire restait impuissant face aux développements.

Il apparut très vite qu’une telle initiative devait s’appuyer sur des personnes disposant des connaissances nécessaires mais également ayant déjà une expérience analogue dans le domaine de l’audit de la dette et du rejet des dettes odieuses et illégales. Éric Toussaint était de toute évidence la figure emblématique de cette lutte qui soutenait avec ferveur, par ses interventions publiques et ses visites en Grèce, que la dette devait être auditée et que, dans la mesure où elle s’avérait odieuse, illégale, illégitime et/ou non viable, elle devait être annulée. Une position parfaitement en phase avec le droit international, la protection internationale des droits de l’homme et du droit humanitaire international.

Notre première rencontre le 16 février 2015 ne dura pas longtemps. Je connaissais son expérience précieuse et sa contribution à l’audit de la dette et, notamment, sa participation à la Commission d’audit de la dette de l’Équateur. Il était clair pour moi qu’il s’agissait d’une personne qui, depuis des décennies, avait contribué avec désintéressement à révéler le mécanisme de soumission des peuples par le biais de la dette et à lutter pour libérer les peuples et les citoyens du joug de la dette illégitime. Je voulais qu’il me parle de son expérience et tout ce qu’il me dit fut effectivement particulièrement éclairant.

Je lui demandais alors s’il était disposé à entreprendre l’audit de la dette grecque pour le compte du Parlement hellénique et s’il pouvait rester en Grèce pour que nous nous rencontrions une semaine plus tard pour discuter des modalités de cet audit. Il me répondit par l’affirmative aux deux questions. J’ai demandé que soit immédiatement publié un bulletin de presse du Parlement concernant ma rencontre avec Eric Toussaint, afin de lancer le message : nous avançons vers la réalisation de nos engagements.

Les jours qui suivirent furent denses et dramatiques. Élection du Président de la République, le 18 février 2015. Communication de l’accord du 20 février 2015. En apprenant par les médias le contenu de cet accord le 20 février, je sentis la terre se dérober sous mes pieds : il contenait la reconnaissance de la dette et l’engagement de la responsabilité de son remboursement ! Je demandais à voir Tsipras immédiatement. Je le vis le lendemain, le 21 février, dans son bureau au Parlement, immédiatement après la réunion du Conseil. Flambouraris attendait dehors, entrant et ressortant constamment et faisant pression pour qu’ils partent à Égine.

Je dis à Tsipras que cet accord était un mémorandum et que nous devions nous en dégager au plus tôt. Qu’il fallait immédiatement révoquer la formulation concernant la dette, par le biais de communications officielles par tous les acteurs. Qu’il fallait suivre une stratégie précise. Réaliser un audit de la dette. Agir concernant les dettes allemandes à l’égard de la Grèce suite à l’invasion et à l’occupation nazie au cours de la seconde guerre mondiale. Ouverture de l’affaire Siemens et de toutes les affaires de corruption. Tsipras s’efforçait de me convaincre que l’accord n’était pas un mémorandum. Il prétendait que la reconnaissance de la dette ne portait que sur les paiements qui seraient effectués au cours des 4 mois à venir et, en même, temps, il marquait avec embarras son accord avec mes suggestions.

J’étais présente lorsqu’il expliqua à Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, que « ce que nous avons obtenu n’est pas blanc, n’est pas noir, nous avons réussi le gris. »

Je quittais cette rencontre après avoir annoncé à Tsipras que j’entamerai immédiatement l’audit de la dette au Parlement et constituerai la Commission pour les dettes allemandes, après avoir obtenu son consentement.

Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau Éric. Il était morose et préoccupé.

Je commençais à parler avec lui de la commission qu’il fallait mettre sur pied pour mener l’audit de la dette. Je lui dis que je pensais à une commission conforme à une disposition spéciale du règlement du Parlement qui permettait au Président de l’Assemblée de constituer des commissions composées de personnes extraparlementaires et dont l’objet portait sur des affaires n’ayant pas trait aux affaires courantes du Parlement. Je lui expliquais que j’envisageais cette commission comme une commission internationale et nationale, composée de scientifiques et de citoyens, dont le mandat serait clairement de déchiffrer les conditions dans lesquelles la dette publique grecque avait été créée et gonflée et d’élaborer l’argumentaire permettant de dénoncer toute partie de la dette qui serait jugée illégale, odieuse et non remboursable. Il était positif, mais réservé.

« Je vois que quelque chose te préoccupe. Je veux que nous parlions de manière directe », lui dis-je.

« Zoé, je suis très angoissé. Quelle est ta position à propos de l’accord du 20 février ? »

« Éric, je considère que cet accord est un véritable camouflet. Je l’ai dit au Premier ministre et je l’ai informé sur mon intention d’entreprendre les initiatives nécessaires pour renverser cet accord, et il m’a donné son consentement. La Commission d’audit de la dette dont je te propose d’entreprendre la coordination scientifique est une initiative cruciale dans ce sens. »

Il me regardait toujours d’un air scrutateur.

« Quant à ce qui te préoccupe, d’après ce que je comprends, voilà ce que j’ai à te dire : j’ai prévenu formellement le Premier ministre de ne pas présenter cet accord au Parlement. » Je répétais la même chose à la réunion du Groupe parlementaire, dans les jours suivants. Lors du vote qui s’est tenu au sein du groupe, le 25 février, je votais NON au texte de l’accord, ce qui mit le feu aux poudres et fit immédiatement de moi une cible. « Ce que j’ai à te dire c’est que si, malgré tout, cet accord était présenté au Parlement, moi je ne le voterai pas. »

Son visage s’éclaira, il semblait soulagé. Je voyais qu’il était encore préoccupé par l’évolution globale, mais il était important pour lui de savoir qu’il pouvait compter sur notre entente. Bien plus tard, il me confirma qu’il s’était agi d’un moment déterminant car il avait compris que la personne qui lui demandait de s’engager et de s’impliquer dans cette lutte frontale contre les mécanismes de soumission entendait bien aller au bout de ce qu’elle disait.

C’est ainsi que tout a commencé.

« Je veux que tu assumes le poste de Coordinateur scientifique de la Commission et que tu me dises ce que tu attends de moi », lui dis-je.

« C’est toi qui doit présider la Commission et ses travaux, pour garantir que tout sera réalisé sans obstacles », me dit-il.

C’est ainsi qu’est née la première et unique commission institutionnelle d’audit de la dette sur le sol européen à ce jour.

Tout simplement.

Par des gens de parole.

Source : Zoé Konstantopoulou, « Grèce : La lutte contre la dette odieuse et illégitime »

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Alexis Tsipras, Éric Tousaint et Zoe Konstantopoulou au Parlement grec pour le lancement de la commission pour la vérité sur la dette grecque

Conclusion

Varoufakis présente de manière déformée les débats qui ont eu lieu au niveau des autorités publiques de la Grèce et de Syriza en février 2015. Il cantonne les débats sur les options à prendre à ce qui se passait dans le petit cercle dont s’était entouré Tsipras et auquel il participait. Il présente de manière caricaturale l’opposition aux choix qui ont été faits par ce petit cercle en parlant d’ « une poignée de députés Syriza (qui) continuaient de rouspéter » alors que l’opposition à l’intérieur du groupe parlementaire Syriza et au sein du gouvernement représentait environ un tiers. Celle qui s’est exprimée dans le comité central de Syriza atteignait 41 %. De plus, comme Tsipras et lui présentaient les concessions qu’ils faisaient de manière biaisée, une partie des députés et des ministres, bien qu’ayant des doutes, soutenait l’orientation suivie sans enthousiasme et avec l’espoir que Tsipras, qui bénéficiait totalement de leur confiance, conduirait le gouvernement et la négociation à bon port.

Je soutiens, avec d’autres, alors comme aujourd’hui, qu’une orientation très différente de celle adoptée par Varoufakis et le petit cercle autour de Tsipras aurait dû être mise en pratique. Pour appliquer le programme de Thessalonique, le gouvernement Tsipras aurait dû prendre les initiatives et les mesures suivantes :

  • rendre publiques les 5 ou les 10 priorités du gouvernement dans la négociation, notamment en matière de dettes en dénonçant très clairement le caractère illégitime de la dette réclamée par la Troïka ;
  • établir les contacts avec les mouvements sociaux, pousser en tant que gouvernement ou en tant que Syriza à la création de comités de solidarité dans un maximum de pays, parallèlement à la négociation avec les créanciers, en vue de développer un vaste mouvement de solidarité ;
  • refuser la diplomatie secrète ;
  • développer des canaux internationaux de communication pour franchir la barrière des médias dominants ;
  • utiliser la disposition du règlement européen 472 portant sur l’audit de la dette [21], lancer l’audit avec participation citoyenne et suspendre le paiement de la dette à commencer par celle à l’égard du FMI. Rappelons que Tsipras dans sa présentation du programme de Thessalonique avait déclaré : « Nous demandons le recours immédiat au verdict populaire et un mandat de négociation qui vise à l’effacement de la plus grande partie de la dette nominale pour assurer sa viabilité. Ce qui a été fait pour l’Allemagne en 1953 [22] doit se faire pour la Grèce en 2014. Nous revendiquons :
  • Une “clause de croissance” pour le remboursement de la dette.
  • Un moratoire – suspension des paiements – afin de préserver la croissance.
    • L’indépendance des programmes d’investissements publics vis-à-vis des limitations qu’impose le pacte de stabilité et de croissance » [23] ;
  • mettre fin au mémorandum conformément à l’engagement pris auprès du peuple grec lors de l’élection du 25 janvier. Pour rappel, Tsipras avait déclaré « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction  » [24] ;
  • établir un contrôle sur les mouvements de capitaux ;
  • adopter une loi sur les banques pour assurer le contrôle des pouvoir publics sur celles-ci. Tsipras avait annoncé le 13 septembre 2014 à Thessalonique : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées » [25] ;
  • adopter une loi annulant les dettes privées à l’égard de l’Etat, par exemple celles en dessous de 3000 euros. Cette mesure aurait d’un seul coup amélioré la situation de 3,3 millions de contribuables (dont 357.000 PME) qui devaient moins de 3 000€ (pénalités comprises) [26] ;
  • réduire de manière radicale la TVA sur les biens et services de première nécessité ;
  • revenir sur la réduction des retraites et du salaire minimum légal ;
  • mettre en œuvre le plan d’urgence contre la crise humanitaire prévu dans le programme de Thessalonique ;
  • mettre en place un système de paiement parallèle/complémentaire ;
  • remplacer Stournaras à la tête de la banque centrale par une personne compétente et de confiance ;
  • se préparer aux nouvelles représailles des autorités européennes et donc à une possible sortie de la zone euro.

Remerciements : Je remercie pour leur relecture attentive Alexis Cukier, Marie-Laure Coulmin-Koutsaftis, Nathan Legrand, Stathis Kouvelakis, Brigitte Ponet et Patrick Saurin. L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.

La signification de l’accord du 20 février et l’action de Varoufakis a fait l’objet d’un échange en 2016 sur le blog de Médiapart entre Yanis Varoufakis, Alexis Cukier et Patrick Saurin :

Notes

[1Les trois premiers paragraphes de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent

[2Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 10, p. 282

[5Voir également Zero Hedge, “The Reason Why The Eurogroup Rushed To Approve The Greek Reform Package ?”, publié le 24 février 2015

[6Nadia Valavani, membre de la gauche de Syziza, était vice ministre de Varoufakis et s’opposait aux concessions faites à la troïka à propos des dettes fiscales des contribuables à l’égard de l’État. Elle ne souhaitait pas modifier dans un sens restrictif son projet de loi pour le règlement des arriérés de taxes à l’égard de l’État, en supprimant notamment les mesures d’effacement d’une partie des dettes initialement prévues.

[7Dora Antoniou, « L’accord provoque des remous dans Syriza« , 25 février 2015 http://www.kathimerini.gr/804911/article/epikairothta/politikh/h-symfwnia-prokalei-kradasmoys-ston-syriza Concernant les critiques de Nadia Valavani et le durcissement du projet sur le règlement des arriérés de dettes, voir »« Κούρεμα » στη ρύθμιση των 100 δόσεων » (« Haircut au projet de loi sur les 100 mensualités »), 25 février 2015, http://www.kathimerini.gr/804896/article/oikonomia/ellhnikh-oikonomia/koyrema-sth-ry8mish-twn-100-dosewn

[8Pour rappel Varoufakis affirme dans son livre qu’il avait obtenu l’accord du cabinet de guerre pour signaler trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités le gouvernement répondrait par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de renfermer le gouvernement dans le mémorandum et lui refuser une restructuration de la dette, celui-ci répondrait par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux, le gouvernement répondrait par la décote unilatérale des titres grecs détenus par la BCE depuis 2010-2012 et par la mise en place d’un système de paiement parallèle. Le problème c’est que jamais cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015. Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

[9Cette histoire d’une « poignée de députés qui rouspète » est la version officielle que certains médias (To Vima notamment, mais pas Kathimerini) avaient repris. Tous avaient noté toutefois que la réunion s’était déroulée dans une « ambiance dramatique ».

[10Un vote indicatif à main levée avait eu lieu vers la fin de la réunion, à une heure très avancée. A ce moment environ 120 députés étaient dans la salle et environ quarante ont voté « contre » ou voté « blanc », ce qui en Grèce est très proche d’un vote « contre ». Les six ministres en question ont voté « blanc ».
Voir le résumé de cette réunion publié le 26 février 2015 sur le site grec de presse alternative « ThePressProject » dans un article rédigé par Vasiliki Siouti : « Il semble que le gouvernement Syriza a du mal à obtenir du soutien pour l’accord signé entre Varoufakis et l’Eurogroupe. Lors d’une réunion du groupe parlementaire de Syriza qui a duré douze heures, le mercredi 25 février, les parlementaires ont critiqué l’accord signé entre le gouvernement grec et l’Eurogroupe. La réunion s’est terminée sur un vote consultatif quant à l’approbation ou non de l’accord. Panagiotis Lafazanis, dirigeant de la Plateforme de gauche et ministre de la reconstruction productive, de l’environnement et de l’énergie, a demandé le décompte des votes, mais cette demande a été rejetée. Quoi qu’il en soit, alors qu’environ trente parlementaires avaient quitté la salle au moment du vote, un tiers des députés présents a rejeté l’accord soit par un vote contre, soit par un vote blanc. Tous les députés de la Plateforme de gauche, ainsi que plusieurs autres – Zoe Konstantopoulou, présidente du parlement, Nina Kasimati, et d’autres – ont voté contre ou blanc. Les ministres Panagiotis Lafazanis, Nikos Chountis, Dimitris Stratoulis, Costas Isichos, Nadia Valavani et Thodoris Dritsas ont voté blanc. Parmi les parlementaires qui ont voté blanc, plusieurs ont exprimé leur désapprobation à l’égard des manœuvres de Varoufakis. Pour se forger une opinion, les parlementaires se sont principalement basés sur les informations transmises par Varoufakis et le premier ministre Tsipras, n’ayant pas été informés exhaustivement de ce qui avait été convenu à l’Eurogroupe. » La traduction en anglais de cet article qui vaut la peine d’être lu intégralement a été publiée le 28 février 2015 sur le site http://www.newleftproject.org/index.php/site/article_comments/syriza_mps_revolt_against_the_agreement

[11Les détails concernant le deuxième casus belli avec Chouliarakis sont exposés par Varoufakis au chapitre 10, p. 294-295. Selon Varoufakis, Tsipras lui a déclaré à propos de Chouliarakis : « Vire-le illico ! » (p. 296).

[12Pour un bilan du travail du CADTM envers la Grèce, voir Eric Toussaint, L’action du CADTM en solidarité avec le peuple grec (2009 – 2016)

[13En mai 2006 a eu lieu à Athènes la dernière grande réunion européenne du Forum Social européen. Des dizaines de milliers de militants et militantes venus de toute l’Europe y ont participé. Le FSE a ensuite décliné fortement pour des raisons tout à fait étrangères à ce qui se passait en Grèce.

[14Voir Eric Toussaint, Une alternative pour la Grèce

[15J’ai expliqué la génèse de l’audit citoyen en Grèce dans la partie 3. Dans cette partie, j’ai également expliqué comment cette initiative qui avait démarré en 2011 a influencé très fortement le programme de Syriza de 2012 notamment grâce à l’écho que la revendication de l’audit combinée avec la suspension de paiement de la dette et l’exigence d’une annulation de la majeure partie de la dette avait rencontré dans la population grecque lors du mouvement d’occupation des places de juin – juillet 2011.

[17Voir l’article : Eric Toussaint, « L’annulation de la dette allemande en 1953 versus le traitement réservé au Tiers Monde et à la Grèce », publié le 11 août 2014

[18En 2014, lors de la désignation du nouveau président de la Commission européenne, le groupe parlementaire de la gauche unitaire avait présenté la candidature d’Alexis Tsipras contre celle de Jean-Claude Juncker (soutenu par le Parti Populaire européen et le groupe socialiste européen) et celle d’un candidat libéral.

[19Voir Bas les pattes devant la Grèce qui lutte et résiste ! publié le 31 décembre 2014.

[20Συνάντηση Κωνσταντοπούλου με ειδικό περί της διαγραφής χρεών κρατώνΠολιτική | ΓενικάΜε τον Eric Toussaint συναντήθηκε η πρόεδρος της βουλής. Ο κ. Toussaint έχει μακρά εμπειρία σε ζητήματα επονείδιστου και παράνομου χρέους.
Source

[21L’article 7 du règlement adopté en mai 2013 par l’Union européenne, qui prévoit qu’« un Etat membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute éventuelle irrégularité » ? (Règlement UE 472/2013 du 21 mai 2013 « relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro »). Voir : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2013.140.01.0001.01.FRA

[22Lors de la Conférence de Londres, le 27 février 1953, la République fédérale allemande obtenait, avec le consentement de vingt et un de ses créanciers (dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique, la Grèce, etc.), une réduction de sa dette de 62,6 %. Voir : Eric Toussaint, « L’annulation de la dette allemande en 1953 versus le traitement réservé au Tiers Monde et à la Grèce ».

[23Extraits du programme de Thessalonique, présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014)

[24Extraits du programme de Thessalonique, présenté par Alexis Tsipras en septembre 2014 (13 septembre 2014)

[25op. cit.

Auteur.e

Eric Toussaint

docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

Que faire des banques pour un vrai changement

Que faire des banques pour un vrai changement, quelques exemples historiques

12 mars par Eric Toussaint

Ce qu’un gouvernement fait ou ne fait pas avec les banques a des conséquences fondamentales sur le cours de l’histoire d’un pays.

La Commune de Paris commet l’erreur de ne pas prendre le contrôle de la Banque de France

Le siège de la Banque de France, ses principales réserves et son organe dirigeant étaient situés sur le territoire de la Commune de Paris. À tort, la direction de la Commune de Paris [1] a renoncé à en prendre le contrôle alors que cela aurait été tout à fait nécessaire.

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Extrait de la bande dessinée de Tardi « Le Cri du Peuple » (4 tomes, Casterman)

En 1876, Prosper-Olivier Lissagaray, un intellectuel militant qui a participé au combat des Communards, dénonce, dans son Histoire de la Commune de 1871, l’attitude de la direction de la Commune qui « resta en extase devant la caisse de la haute bourgeoisie qu’elle avait sous la main. », en se référant à la Banque de France. Il précise : « Toutes les insurrections sérieuses ont débuté par saisir le nerf de l’ennemi, la caisse. La Commune est la seule qui ait refusé. » [2].

La seule exigence de la Commune à l’égard de la Banque de France était d’obtenir les avances financières qui lui permettaient de maintenir l’équilibre budgétaire sans devoir interrompre le paiement de la solde des gardes nationaux (la Garde nationale de Paris était une milice citoyenne chargée du maintien de l’ordre et de la défense militaire). « À ce titre, pendant les 72 jours de son existence, la Commune reçoit 16,7 millions de francs : les 9,4 millions d’avoirs que la Ville avait en compte et 7,3 millions réellement prêtés par la Banque. Au même moment, les Versaillais reçoivent 315 millions de francs du réseau des 74 succursales de la Banque de France », soit près de 20 fois plus [3].

Karl Marx de son côté, dans une correspondance à propos de la Commune de Paris en 1881, dix ans après son écrasement, partage l’avis de Lissagaray. Il considère que la Commune a eu le tort de ne pas se saisir de la Banque de France : « À elle seule, la réquisition de la Banque de France eût mis un terme aux rodomontades versaillaises. » Il précise à propos de la réquisition de la Banque : « Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût (…) pu obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple – seul objectif réalisable à l’époque ». [4]

Comme l’écrivait Lissagaray : « la Commune ne voyait pas les vrais otages qu’elle avait sous la main : la Banque, l’Enregistrement et les Domaines, la Caisse des dépôts et consignations, etc. » [5]

En 1891, Friedrich Engels allait dans le même sens : « Le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s’arrêta devant les portes de la Banque de France. Ce fut d’ailleurs une lourde faute politique. La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait toute la bourgeoisie française faisant pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune. »

En conclusion, la Commune de Paris en 1871 a laissé la Banque de France financer ses ennemis, à savoir le gouvernement conservateur de Thiers installé à Versailles et l’armée à son service [6].

La révolution russe, la nationalisation des banques et l’annulation de la dette des paysans russes en 1917

Parmi les premières mesures prises par le gouvernement des soviets, après la révolution d’octobre 1917, figure la nationalisation des banques. Cette nationalisation a notamment permis l’annulation des dettes des paysans à l’égard de celles-ci. Un tiers du capital des banques était détenu par des capitalistes étrangers, principalement français et allemands. Sept banques avaient une position dominante et ont été expropriées en priorité. Toutes les actions bancaires furent annulées [7]. Le transfert des banques privées au secteur public alla de pair avec la répudiation des dettes étrangères considérées comme illégitimes et odieuses [8]. La combinaison de l’expropriation des banques et de la répudiation des dettes constitua une avancée fondamentale du pouvoir révolutionnaire.

Le président F. Roosevelt prend en 1933 une mesure forte à l’égard des banques états-uniennes

Aux États-Unis, en mars 1933, éclate une crise bancaire majeure qui fait suite à l’onde de choc du krach de Wall Street d’octobre 1929. Le président Franklin Roosevelt, fraîchement élu, ferme les banques pendant une semaine en mars 1933 [9] et fait adopter la même année la loi bancaire (Banking Act connu aussi comme le Glass Steagall Act) qui impose la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires.

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La signature du Glass Steagal Act

Le gouvernement de Franklin D. Roosevelt a donc réduit la liberté totale dont jouissaient les milieux financiers et bancaires. Dans la foulée et sous la pression des mobilisations populaires en Europe pendant et après la Libération, les gouvernements du vieux continent ont imposé une limite à la liberté de manœuvre du capital. Conséquence : au cours des trente années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le nombre de crises bancaires a été minime. C’est ce que montrent deux économistes néolibéraux nord-américains, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, dans un livre publié en 2009 et intitulé Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière. Kenneth Rogoff a été économiste en chef du FMI et Carmen Reinhart, professeur d’université, a été conseillère du FMI et économiste en chef membre du conseil consultatif de la Banque mondiale. Selon ces deux économistes qui sont tout sauf favorables à une remise en cause du capitalisme, le faible nombre de crises bancaires s’explique principalement « par la répression des marchés financiers intérieurs (à des degrés divers), puis par un recours massif aux contrôles des capitaux pendant bien des années après la seconde guerre mondiale » [10].

Effectivement, pendant les « trente glorieuses », les gouvernements de la majorité des pays les plus industrialisés ont appliqué des politiques réglementant les mouvements des capitaux sortant ou entrant dans leur pays. Ils ont également obligé les banques à adopter un comportement prudent et ont fait passer dans le secteur public une partie du secteur financier. Selon Reinhart et Rogoff, afin d’éviter le risque de faillites bancaires, les gouvernements ont imposé « aux banques un niveau élevé de réserves obligatoires, sans parler d’autres dispositifs comme le crédit dirigé ou l’obligation faite aux caisses de retraite ou aux banques commerciales de détenir un certain niveau d’emprunts d’État. ».

France : A la Libération le gouvernement nationalise la Banque de France et d’autres banques

En France, les nationalisations des banques au lendemain de la seconde guerre mondiale doivent « être replacées dans le contexte de la Résistance avec « un mouvement venu d’en bas » (…) la Libération a donné lieu à la mise en place de comités ouvriers de gestion dans certaines entreprises, de comités d’usine à l’origine de « socialisations spontanées »  ». Comme le rappelle Patrick Saurin, le 2 décembre 1945, la Banque de France et quatre banques de dépôts sont nationalisées. L’année suivante, le 25 avril 1946, c’est au tour de certaines sociétés d’assurance d’être nationalisées.

Benjamin Lemoine écrit à juste titre dans son livre L’ordre de la dette : « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et pendant plus d’une vingtaine d’année, l’appareil d’État, via le circuit du Trésor, glanait des ressources financières en masse suffisante pour, la plupart du temps, échapper à la pression des créanciers. Il maîtrisait l’activité des banques et de la finance et arrimait ses propres instruments de trésorerie à ces réglementations. De même, son financement était coordonné avec des politiques nationales déterminant la quantité de monnaie et orientant les crédits affectés à l’économie » [11].

Cette politique a permis à la France de se financer durant près de 40 ans sans dépendre du bon vouloir des marchés financiers, dominé par les banques privées et d’autres sociétés financières. Cela a également permis d’éviter les crises bancaires.

1959 : dès la première année de la révolution cubaine, le gouvernement met le Che à la présidence de la Banque centrale de Cuba

Billet de banque cubain portant la signature de Che Guevara

Mettre un des principaux dirigeants révolutionnaires à la tête de la banque centrale indiquait très clairement l’importance que représentait le contrôle de la politique monétaire et financière du pays pour la consolidation de la victoire du peuple cubain sur le régime dictatorial de Batista. Les révolutionnaires cubains voulaient éviter de répéter l’erreur de la Commune de Paris. La maîtrise de la banque a aidé à la réalisation d’une série de profondes réformes sociales qui, soutenues par de puissantes mobilisations populaires, ont marqué positivement les débuts de la révolution cubaine [12].

France, 1982 : nationalisation des banques

Le plan de nationalisation figurait au « programme commun de gouvernement » signé le 27 juin 1972 entre le Parti socialiste (PS), le Parti communiste et les Radicaux de gauche. Il est repris parmi les « 110 propositions » du candidat Mitterrand en 1980-81 (21e proposition). La loi de nationalisation du 13 février 1982 a été votée pendant le premier septennat du président François Mitterrand et promulguée par le gouvernement Mauroy. Trente-neuf banques sont nationalisées ainsi que des sociétés industrielles et financières (voir la liste. Cette vague de nationalisations a été suivie rapidement par un virage à droite de Mitterrand et de son gouvernement. La loi bancaire du 24 janvier 1984 inaugurera un nouveau système bancaire, bâti sur le modèle de la banque universelle qui mit fin à la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires et ouvrant pleinement la voie à la déréglementation. En 1986, les banques étaient à nouveau privatisées [13].

Crise de 2008 en Europe et aux États-Unis

À partir de 2008, suite à la crise des banques privées qui a éclaté en 2007-2008, plusieurs États, et non des moindres, ont procédé à la nationalisation de très grandes banques privées afin d’éviter la faillite et pour aider les grands actionnaires. De grandes banques comme Royal Bank of Scotland (GB), Hypo Real Estate (Allemagne), ABN-Amro aux Pays-Bas, Fortis, Dexia (devenue Belfius) en Belgique, Bankia en Espagne, Banco Espirito Santo au Portugal… ont été nationalisées. Dans aucun des cas, les pouvoirs publics n’ont réorienté dans un sens utile à la population les activités des entités nationalisées. Souvent, ils n’exercent même pas le pouvoir dans ces institutions, laissant les représentants du privé les diriger. Aucune de ces banques n’a été transformée en un instrument permettant de financer des investissements de l’État. Les frais de la nationalisation ont été mis à charge des finances publiques et ont augmenté la dette publique. La phase prochaine telle que voulue par les gouvernements au service du capital consistera à reprivatiser ces banques car leurs finances ont été assainies et elles redeviennent attirantes pour le secteur privé. Le CADTM et d’autres organisations avaient mis en avant une toute autre manière de répondre à la crise bancaire : le refus de sauver les banquiers responsables de la crise, l’expropriation des banques sans indemnisation des grands actionnaires et leur transfert vers le secteur public sous contrôle citoyen.

Grèce 2015

Dès la mise en place du gouvernement Tsipras, il aurait fallu agir sur les banques. Alors que la BCE prenait l’initiative d’aiguiser la crise bancaire grecque, il fallait agir à ce niveau et appliquer le programme de Thessalonique, sur la base duquel le gouvernement Syriza a été élu le 25 janvier 2015, qui annonçait : « Avec Syriza au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle du Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF – en anglais HFSF) et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées. Cela signifie qu’il prend les décisions concernant leur administration. » Il faut savoir que l’État grec, via le Fonds hellénique de stabilité financière, était en 2015 l’actionnaire principal des quatre principales banques du pays qui représentaient plus de 85 % de tout le secteur bancaire grec. Le problème, c’est que, malgré les nombreuses recapitalisations des banques grecques qui s’étaient succédées depuis octobre 2008, l’État n’avait aucun poids réel dans les décisions des banques car les actions qu’il détenait ne donnaient pas droit au vote, faute d’une décision politique en ce sens par les gouvernements précédents. Il fallait dès lors que le parlement, conformément aux engagements de Syriza, transforme les actions dites préférentielles (qui ne donnent pas de droit de vote) détenues par les pouvoirs publics en actions ordinaires donnant le droit au vote. Ensuite, de manière parfaitement normale et légale, l’État aurait pu exercer ses responsabilités et apporter une solution à la crise bancaire.

Enfin il fallait encore prendre trois mesures importantes. Primo, pour faire face à la crise bancaire et financière aiguisée par l’attitude de la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI) depuis décembre 2014 criant à la faillite des banques et par la décision de la BCE du 4 février 2015, le gouvernement aurait dû décréter un contrôle des mouvements de capitaux afin de mettre fin à leur fuite vers l’étranger. Secundo, il fallait remplacer Stournaras à la tête de la banque centrale grecque. Tertio, le gouvernement aurait dû mettre en place un système de paiement parallèle.

La décision de Tsipras et de Varoufakis de ne pas toucher aux banques et de ne pas suspendre le paiement de la dette a eu des conséquences funestes pour le peuple grec. Une occasion historique a été perdue. Il faut éviter que cela se reproduise.

Notes

[1Période insurrectionnelle de l’histoire de Paris qui dura un peu plus de deux mois, du 18 mars 1871 à la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871. Refusant la capitulation de la bourgeoisie française devant l’armée allemande qui a atteint Versailles, le peuple parisien proclame la Commune de Paris, appuyée sur la Garde nationale. Des mesures sociales radicales sont prises, en particulier sous l’impulsion populaire. Il s’agit d’une des premières révolutions prolétariennes de l’histoire.

[2Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, La Découverte / Poche, 2000

[3Georges Beisson, « La Commune et la Banque de France », Association des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 http://www.commune1871.org/?La-Commune-et-la-Banque-de-France

[4Lettre du 22 février 1881 de Karl Marx à F. Domela Nieuwenhuis,
https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/commune/kmfecom12.htm

[5Prosper-Olivier Lissagaray, op. cit.

[6Les représentants des grandes banques d’affaires parisiennes qui dirigeaient la Banque de France fêteront la défaite de la Commune, en accordant aux actionnaires un dividende de 300 francs par action, contre 80 francs en 1870.

[7Edward H. Carr, La révolution bolchevique, Tome 2. L’ordre économique, Éditions de Minuit, Paris, 1974, chapitre 16, p. 146.

[8Nathan Legrand et Éric Toussaint, « Il y a cent ans, la répudiation de la dette russe ». Voir pour une présentation plus détaillée de la répudiation des dettes : Éric Toussaint, « Centenaire de la révolution russe et de la répudiation des dettes ».

[9Isaac Joshua, Une trajectoire du Capital, Paris, Syllepse, 2006, p.19.

[10Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson, Paris, 2010. Edition originale en 2009 par Princeton University Press.

[11Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, La découverte, Paris, 2016, p. 18.

Entrevue avec l’économiste grec Costas Lapavitsas

La Grèce est-elle sur la voie du redressement ou restera-t-elle piégée par la dette? Une entrevue avec l’économiste Costas Lapavitsas.

En raison des droits d’auteurs nous ne pouvons reprendre l’article sans autorisation. Dans l’attente vous le trouverez sur le site http://www.truth-out.org/opinion/item/43606-is-greece-on-the-road-to-recovery-or-will-it-remain-trapped-by-debt-an-interview-with-economist-costas-lapavitsas  

et par traducteur https://translate.google.com/translate?depth=1&hl=fr&prev=search&rurl=translate.google.fr&sl=en&sp=nmt4&u=http://www.truth-out.org/opinion/item/43606-is-greece-on-the-road-to-recovery-or-will-it-remain-trapped-by-debt-an-interview-with-economist-costas-lapavitsas&xid=17259,15700021,15700043,15700105,15700124,15700149,15700168,15700173,15700201

 

 

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 6eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis-Tsipras vers l’accord funeste avec l’Eurogroupe du 20 février 2015

Partie 6 11 février par Eric Toussaint

Avertissement : La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis, Conversations entre Adultes, constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances |1|. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se substitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco.

L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans les jours et les semaines qui suivent l’agression de la BCE contre la Grèce, le 4 février 2015, se déroulent d’intenses négociations qui amènent à l’accord funeste du 20 février, confirmé le 24 février. Par cet accord qui prolongeait de quatre mois le deuxième mémorandum rejeté par la population grecque, le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est engagé à rembourser tous les créanciers selon le calendrier prévu (pour un total de 7 milliards € entre février et fin juin 2015, dont 5 milliards au FMI) et à soumettre à l’Eurogroupe de nouvelles mesures d’austérité et de privatisations.

Nous allons suivre et analyser le film des évènements dans cette partie. La narration par Varoufakis des négociations avec l’Eurogroupe mérite d’être connue et je vous encourage à la lire en entier.

Lire les précédents articles de la série :

  1. Les propositions de Varoufakis qui menaient à l’échec
  2. Le récit discutable de Varoufakis des origines de la crise grecque et ses étonnantes relations avec la classe politique
  3. Comment Tsipras, avec le concours de Varoufakis, a tourné le dos au programme de Syriza
  4. Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers
  5. Dès le début, Varoufakis-Tsipras mettent en pratique une orientation vouée à l’échec

Le 5 février 2015, Yanis Varoufakis, accompagné d’Euclide Tsakalotos, est à Berlin afin de rencontrer d’une part Wolfgang Schäuble |2|, son homologue allemand, et d’autre part Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie dans le cadre de la grande coalition entre la CDU-CSU d’Angela Merkel et le SPD.

Le contact avec Schäuble commence mal car celui-ci refuse de lui serrer la main. Varoufakis met en avant les deux points suivants : « Premier point, je ne demandais pas de radiation de la dette, et l’échange de dettes que je proposais bénéficierait à l’Allemagne et à la Grèce. Deuxième point, j’ai insisté sur ma détermination à traquer les fraudeurs et faire passer des réformes pour encourager l’entreprenariat, la créativité et la probité dans la société grecque » |3|.

Varoufakis explique que la relation s’est détendue, Schäuble lui proposant de se tutoyer et de lui envoyer cinq cents inspecteurs du fisc allemand. « Je l’ai remercié pour sa générosité, mais j’avais peur qu’ils se découragent en réalisant qu’ils ne pouvaient déchiffrer ni les déclarations de revenus ni les papiers nécessaires. En revanche j’avais une idée : et s’il nommait le secrétaire général de l’administration fiscale de mon ministère ? » |4|

Varoufakis précise qu’il s’agissait de sa part d’une proposition tout à fait sérieuse. Il en a profité pour expliquer à Schäuble quelque chose que le ministre allemand savait certainement déjà : à savoir qu’au sein du ministère grec des Finances, le service de collecte des impôts avait été confié à une personne du privé. Varoufakis explique : « la personne qui en était responsable n’était ni nommée par moi ni redevable devant moi ou mon Parlement, même si c’était à moi de rendre compte de son action quotidienne. Voilà donc ce que je lui proposais : il choisirait un administrateur fiscal allemand aux références irréprochables et à la réputation intacte qui serait nommé sur-le-champ et responsable devant lui et moi ; si il ou elle avait besoin de renfort de son ministère, je n’y voyais aucun inconvénient. » Sur ce point, Varoufakis propose une solution qui constituerait, si elle était appliquée, un abandon encore plus important de souveraineté, et cela directement au profit du gouvernement allemand.

Mais Schäuble n’était pas intéressé et passe au sujet qui est au cœur de toute sa stratégie et de ses motivations profondes : « sa théorie suivant laquelle le modèle social européen « trop généreux » était intenable et bon à jeter aux orties. Comparant le coût du maintien des États-providences avec ce qu’il se passe en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commencer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce. » |5|

Si Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras avaient pris au sérieux le message que voulait faire passer Schäuble et que son homologue italien avait déjà transmis à Varoufakis deux jours plus tôt, lors de son passage à Rome, ils auraient compris que la proposition d’échanges de dettes n’avait aucune chance de convaincre le gouvernement allemand et tous les gouvernements de la zone euro qui font de l’augmentation de la compétitivité (au profit des grandes entreprises privées exportatrices) leur objectif principal |6|. L’enjeu central pour eux est de baisser, partout en Europe, les salaires, les retraites et les allocations sociales, de précariser les contrats, limiter le droit de grève, réduire les dépenses sociales dans les dépenses de l’État, privatiser, etc. Si la proposition de Varoufakis avait été acceptée, elle aurait permis au gouvernement grec de desserrer l’étau de la dette. Or, le gouvernement allemand et la plupart des autres gouvernements de la zone euro (sinon tous) ont besoin de l’étau de la dette pour imposer la poursuite de l’application de leur modèle et se rapprocher des objectifs qu’ils se sont fixés. Ils souhaitaient aussi ardemment faire échouer le projet de Syriza afin de démontrer aux peuples des autres pays qu’il est vain de porter au gouvernement des forces qui prétendent rompre avec l’austérité et le modèle néolibéral.

Pour imposer des reculs sociaux, les dirigeants européens disposent également de la monnaie unique, l’euro, car elle permet d’imposer ce qu’on appelle la dévaluation interne |7| qui consiste principalement à réduire les salaires.

Syriza n’avait pas demandé à ses électeurs de lui donner un mandat pour sortir de la zone euro, par contre le gouvernement de Tsipras avait un mandat très clair pour agir afin d’effacer la majeure partie de la dette publique. Donc il était fondamental de donner la priorité à cet objectif. Varoufakis et le noyau dirigeant autour de Tsipras ont décidé de contourner ou d’abandonner tout de suite cet objectif.

Avant que l’entretien ne se termine, Varoufakis prend le temps de présenter ses arguments en faveur d’un échange de dette et remet à Schäuble la proposition écrite qu’il a déjà défendue à Paris, Londres, Rome et Francfort. Selon Varoufakis, Schäuble n’a pas daigné jeter un œil sur son document. Il l’a automatiquement donné à un de ses Secrétaires d’État en l’informant que c’était pour les « institutions » de la Troïka.

Ensuite, ils ont donné ensemble une conférence de presse. Schäuble, écartant la possibilité d’un terrain d’entente, a déclaré tout de go : « Nous sommes d’accord pour dire que nous ne sommes pas d’accord » (p. 220).

Puis, après une boutade, Varoufakis a adopté un ton œcuménique : « Je suis d’abord venu voir un homme d’État européen pour qui l’unité de l’Europe est un projet de longue date, un homme dont je suis avec intérêt les efforts et le travail au service de cette unité depuis les années 1980. » Au cours de son intervention il a précisé : « Quant aux défis de l’UE en général, je lui ai proposé de respecter les traités et les procédures existants sans attenter au fragile bourgeon de la démocratie » (p. 221). Comment peut-on sérieusement imaginer que le respect des traités et des procédures de l’UE est compatible avec l’éclosion du fragile bourgeon de la démocratie ? L’ensemble de l’ouvrage de Varoufakis démontre d’ailleurs que le carcan de l’UE portait atteinte à la démocratie grecque.

Il ne fallait pas invoquer, du côté grec, le respect des traités car cela donnait un argument très fort aux dirigeants européens pour exiger leur application par Athènes. C’était à éviter absolument car les deux mémorandums signés par la Grèce en 2010 et en 2012 avaient valeur de traités internationaux.

Il faut signaler encore que selon Varoufakis, lors de la conférence de presse, un journaliste allemand lui a demandé si, en tant que ministre, il allait rappeler à Schäuble que le gouvernement allemand était tenu d’extrader vers la Grèce Michael Christoforakos, l’ancien dirigeant de la filiale grecque de Siemens.
Il était avéré que Michael Christoforakos avait soudoyé, pour le compte de Siemens, des politiciens grecs en vue d’obtenir des contrats d’État. Les autorités grecques avaient tenté de l’arrêter, mais Christoforakos s’était enfui en Allemagne où il avait été arrêté. Depuis, les tribunaux allemands refusent de l’extrader vers la Grèce.

Varoufakis explique qu’il était scandalisé par le fait que les autorités allemandes refusent de remettre Christoforakos à la justice grecque mais qu’il ne pouvait pas l’exprimer comme cela lors d’une conférence de presse |8|. Dès lors, il a répondu au journaliste : « Je suis sûr que les autorités allemandes sauront aider un État fragilisé à se battre contre la corruption. Je compte sur mes collègues allemands pour comprendre qu’il n’est pas question d’avoir deux poids deux mesures où que ce soit en Europe » (p. 222-223).

Le rendez-vous qui a suivi avec Sigmar Gabriel, vice-chancelier, ministre de l’Économie et dirigeant SPD, fait penser à la rencontre avec Michel Sapin qui avait eu lieu le 1er février (voir la partie 5). Gabriel lui déclare qu’il fait cause commune avec le gouvernement de Syriza, puis tient un tout autre discours devant la presse. « Je n’avais droit qu’à des remarques agressives sur mon gouvernement et une interprétation rigoriste des obligations vis-à-vis de nos bailleurs de fonds. Cerise sur le gâteau, Gabriel a même osé parler de la « souplesse » de la troïka » (p. 225).

En réponse : « j’ai tranquillement servi mon baratin sur notre détermination à trouver un équilibre durable grâce à des propositions raisonnables pour revoir le plan de la troïka qui était un échec… » (p. 225).

De retour à Athènes

6 février. À partir du 6 février, Varoufakis se met au travail avec ses collaborateurs (pour une présentation de l’équipe dont Varoufakis s’était entouré, voir Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers) pour préparer la première réunion de l’Eurogroupe à laquelle le gouvernement de Tsipras était invité et qui se tiendrait à Bruxelles le 11 février. « Pendant trois jours et trois nuits, le cinquième étage du ministère a été un va-et-vient incessant d’envoyés de Lazard, de mes associés les plus proches, notamment Glenn Kim et Elena Panaritis » (p. 227). James Galbraith qui venait d’arriver des États-Unis s’est joint à cette équipe.

Simultanément, Varoufakis s’immerge dans l’activité parlementaire et participe à la première réunion du gouvernement au complet. Le 6 février, il se rend au parlement afin de participer comme député à l’élection de la nouvelle présidente du parlement. « L’élection de Zoe Konstantopoulou, députée Syriza intransigeante, au poste de Présidente du Parlement était un symbole. Au cours des deux législatures précédentes, c’est elle qui avait démontré que les méthodes employées pour faire voter les lois imposées par la troïka violaient les procédures usuelles. J’avais été heureux de voter pour elle parce que c’était un signal : plus jamais le Parlement ne serait réduit à donner son blanc-seing à sa propre servitude » (p. 229).

C’est la seule fois où le nom de Zoé Konstantopoulou est mentionné dans le livre de Varoufakis, qui fait plus de 500 pages. À aucun moment, Varoufakis ne fait mention de la création et du travail de la commission d’audit de la dette grecque alors qu’il s’est rendu à sa séance inaugurale le 4 avril 2015 (Voir aussi Chronique des interventions de l’exécutif grec au Comité d’audit de la dette grecque et Acte officiel de création de la Commission de la Vérité sur la Dette publique). Il ne mentionne pas non plus la commission sur les réparations de guerre réclamées à l’Allemagne par la Grèce. Alors que Zoé Konstantopoulou a déployé une intense activité, qu’elle a essayé de contribuer à redonner du sens à l’activité parlementaire, qu’elle a pris part à des discussions publiques et internes concernant les choix à faire, il n’en dit rien.

C’est également tout à fait frappant qu’il ne mentionne qu’une fois dans son livre le nom et l’action de sa vice-ministre, Nadia Valavani, qui était en charge notamment de l’important dossier des dettes fiscales à l’égard de l’État. Nadia Valavani est une figure de premier plan de la résistance à la dictature des colonels, elle a payé de sa personne son engagement. En tant que vice-ministre, elle a accompli un énorme labeur |9|. Alors qu’une personne comme Elena Panaritis est mentionnée plus d’une quarantaine de fois par Varoufakis, Valavani n’a droit qu’à une mention à propos de la finalisation du projet de loi de réponse à la crise humanitaire.

7 février. Première réunion du gouvernement au grand complet

 « Samedi matin, 7 février, j’ai assisté à ma première réunion de Cabinet. » On peut imaginer que Varoufakis parle de la première réunion du gouvernement au grand complet, mais cela n’est pas sûr. Ce n’est qu’une supposition. À propos de cette réunion, il poursuit : « J’avais en tête la fameuse phrase d’Oscar Wilde à propos de la démocratie : « Elle est impraticable, elle est à l’encontre de la nature humaine. C’est pourquoi il vaut la peine de l’appliquer. » Après avoir perdu quelques heures précieuses dans cette réunion très cérémonielle, où trop de gens ont trop longtemps parlé, j’ai foncé au bureau où les conseillers de Lazard et mes associés travaillaient sur les trois non papers [ce sont des documents de travail sans statut officiel. Note de l’auteur] que je comptais emporter à Bruxelles » (p. 231). C’est tout ce que Varoufakis nous dit de cette réunion. Le côté lapidaire de ce commentaire sur la première réunion du gouvernement en dit long sur la façon dont Varoufakis perçoit la manière de faire la politique et sur son dédain ou son incompréhension à l’égard des batailles qu’il faudrait mener à l’intérieur d’un gouvernement, comme dans l’ensemble de la société, si on veut pratiquer la démocratie. Varoufakis s’est cantonné, sans tentative de décloisonnement alors, et sans remise en cause de cette attitude aujourd’hui, dans l’entre-soi du cercle hermétique que Tsipras avait construit autour de lui et auquel il était convoqué quand le prince le jugeait nécessaire.

Lundi 9 février. Varoufakis ne montre pas non plus réellement d’intérêt pour les débats au parlement grec. La seule fois où il en parle d’une manière un tant soit peu développée, c’est lors de la session du Parlement, tenue les lundi 9 et mardi 10 février, où il a présenté et défendu les propositions qu’il ferait au cours de la réunion de l’Eurogroupe qui allait se tenir deux jours plus tard à Bruxelles.

« Demain je serai avec mes collègues de l’Eurogroupe à qui j’affirmerai que nous acceptons le principe de continuité entre les engagements des gouvernements précédents et le mandat du nôtre » (p. 233). C’est inacceptable du point de vue du mandat que les électeurs ont donné au gouvernement lors des élections du 25 janvier. Le programme de Thessalonique qui constituait la référence de Syriza pendant la campagne électorale disait « Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan national de reconstruction » (voir l’encadré sur le programme de Thessalonique dans la partie 5). Si les mots ont un sens, cela veut dire que Tsipras s’engageait comme chef du gouvernement à affirmer à l’Eurogroupe et partout ailleurs que son gouvernement refusait le principe de la continuité des engagements pris par les gouvernements précédents en ce qui concerne les mémorandums. Il ne s’agit pas seulement du sens des mots, mais de l’application effective d’une politique de changement. Varoufakis, en affirmant le principe de la continuité sans faire la moindre exception, enfermait la négociation dans le cadre étroit et coercitif de l’application du mémorandum. Et c’est malheureusement ce qui allait se passer, notamment en raison de ce premier renoncement à appliquer le programme pour lequel Syriza avait été porté au gouvernement.

Il faut lire attentivement le raisonnement de Varoufakis qui conduisait à la capitulation : « Le document qui présentait le plan de la Troïka, ce qu’on appelle un Memorandum of Understanding (MoU), établissait une liste des réformes (austérité étudiée, suppression d’avantages sociaux, privatisations ciblées, changements administratifs et judiciaires et ainsi de suite) auxquelles le gouvernement précédent s’était engagé, ainsi que les conditions (ou conditionnalités, pour le dire comme la troïka) à remplir pour le second prêt de renflouement. Il était impossible de les remplir entièrement puisqu’elles impliquaient une souffrance disproportionnée par rapport aux bénéfices, et 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus.

Toutefois, en examinant de près ce MoU en 2012, j’avais compris que pas mal de mesures pouvaient être appliquées sans provoquer trop de ravages sociaux. Il était donc stratégique de les accepter, ce qui revenait à 70 % du MoU, en échange de ce que nous exigions, et en refusant les mesures franchement toxiques des 30 % restants » (p. 234). Cette position dans la négociation constituait un abandon de l’engagement du programme de Thessalonique de remplacer le mémorandum par un plan de reconstruction. Il dit avoir déclaré au parlement : « Comme nous sommes des partenaires raisonnables, nous inclurons dans notre agenda de réformes jusqu’à 70 % de mesures du programme existant » (p. 234).

Il précisait, dans cette logique de la soumission, l’annonce suivante : « Au cours des négociations je m’engage à ne faire passer aucune loi qui dévierait de notre objectif : atteindre un minimum d’excédent budgétaire primaire » (p. 233). Cela signifiait que le ministre des Finances s’opposerait à toute loi, aussi bonne et nécessaire soit-elle, si l’impact budgétaire pouvait déboucher sur l’incapacité de dégager un excédent primaire |10|. C’est la dictature de l’excédent primaire qui se poursuit et qui est mortifère. Ce n’est pas théorique, c’est très pratique. Au moment où Varoufakis a dit cela, il savait que les créanciers, à commencer par la BCE, n’avaient pas l’intention de fournir des moyens financiers à la Grèce (comme mentionné plus haut, « 90 % du prêt de renflouement avaient été déboursés avant que nous soyons élus » et Varoufakis savait que la Troïka n’avait pas l’intention de verser les 10 % restants). Or, dans le programme de Thessalonique, la possibilité de dégager un excédent primaire était basée sur le fait que l’argent dû à la Grèce lui serait versé (il s’agissait notamment des 2 milliards de bénéfices de la BCE sur les titres grecs et du solde de ce que la Troïka devait verser à la Grèce dans le cadre du 2e mémorandum qui devait se terminer le 28 février 2015) |11|. Varoufakis savait que ce ne serait pas le cas, ce qui voulait dire en clair que la somme prévue pour combattre la crise humanitaire et relancer l’économie ne serait pas disponible si la Grèce ne s’engageait pas à respecter les engagements antérieurs : rembourser les créanciers (plus de 5 milliards à rembourser avant le 30 juin au FMI) et dégager un excédent primaire. Il s’est bien gardé de l’expliquer aux parlementaires, qui en majorité ne sont pas des économistes, et les a enfumés comme la plupart des ministres des Finances le font régulièrement.

« Ma tactique a soulevé un tollé : les partis classiques m’accusaient de ne pas céder assez à la Troïka, la gauche me fustigeait parce que je cédais trop » (p. 234).

Il concluait son introduction par des paroles fortes, qui allaient en fait s’appliquer très rapidement à la ligne qu’il avait présentée au Parlement en accord avec Tsipras : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Ce type de déclaration est typique de la démarche de Varoufakis et de Tsipras : adopter une attitude très modérée dans la négociation qui est secrète en multipliant les concessions tout en exprimant de manière répétée des paroles radicales fortes en public. Vu que les médias dominants, la Troïka, les partis grecs de droite, attaquaient Varoufakis et Tsipras comme des irresponsables gauchistes, l’illusion a fonctionné. Leur radicalité et leur volonté de résistance face à la Troïka apparaissaient incontestables |12|.

Dans le résumé de la présentation de sa politique au parlement grec, Varoufakis ne fait allusion à aucun moment à la revendication d’effacement de la majeure partie de la dette inscrite dans le programme de Thessalonique. Cela tranche avec le discours prononcé dans la même enceinte par Zoé Konstantopoulou lors de son élection comme présidente du parlement le 6 février 2015 : « Des initiatives (…) seront entreprises afin que le Parlement contribue de manière essentielle à promouvoir les revendications d’annulation de la majeure partie de la dette et de l’intégration de clauses de croissance et de garanties d’endiguement de la crise humanitaire et de secours à notre peuple. La diplomatie parlementaire n’est pas un cérémonial ni l’équivalent de relations publiques. Elle est un précieux outil qu’il est nécessaire de mettre en branle, pour ce qui est tant du Président que des commissions de relations internationales ou de commissions d’amitié, de sorte que l’affaire grecque, la demande d’une solution équitable et bénéfique pour notre peuple, par annulation de la dette et moratoire des remboursements soit l’objet d’une campagne interparlementaire de revendication vive, qui s’appuie sur l’information de vive voix des autres parlements et assemblées parlementaires mais aussi des peuples européens qui se mobilisent déjà en solidarité de notre peuple » (voir le Discours prononcé par Zoé Konstantopoulou, lors de son élection en tant que Présidente du Parlement hellénique.). La présidente du Parlement grec avait raison d’insister sur la nécessité de déclarer un moratoire sur le remboursement de la dette afin d’obtenir l’effacement de la majeure partie de celle-ci. C’était une condition sine qua non du respect des engagements pris par Syriza et du démarrage des changements promis à la population.

10 février. Varoufakis cherche l’appui de l’OCDE. Le 10 février en soirée, Varoufakis a organisé la réception en grandes pompes d’une délégation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE). Angel Gurria, son secrétaire général, avait fait le déplacement à Athènes. On peut parfaitement comprendre l’intérêt pour un gouvernement de chercher à rompre la stigmatisation dont il faisait l’objet de la part de la presse internationale dominante et de la Troïka. Mais Varoufakis en remet une couche : « Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvés au palais Maximou en grande pompe face aux caméras du monde entier. Le Premier ministre accueillait le Secrétaire général de l’OCDE avec le vice-Premier ministre, Dragasakis, et le ministre de l’Économie, Stathakis, et moi. Une façon de montrer que le gouvernement Syriza travaillerait main dans la main avec le club des pays les plus riches pour soumettre un agenda pro-croissance (…). La contribution d’une institution mondiale aussi prestigieuse, qui adouberait l’agenda une fois finalisé, serait un excellent moyen pour parer aux critiques inévitables » (p. 235-236). Rappelons que l’OCDE est une organisation internationale qui participe directement à l’amplification des politiques néolibérales surtout en leur donnant une caution pseudo-scientifique |13|. Chercher à rompre la stigmatisation ne veut pas dire encenser des institutions hostiles à l’abandon des réformes structurelles néolibérales.

11 février. La première réunion de l’Eurogroupe avec le gouvernement grec.

Le témoignage de Varoufakis sur la composition et le fonctionnement de l’Eurogroupe est tout à fait utile et c’est une des raisons de prendre la peine de lire son livre.

« L’Eurogroupe est une drôle de créature. Les traités européens ne lui confèrent aucun statut légal, mais c’est le corps constitué qui prend les décisions les plus importantes pour l’Europe. La majorité des Européens, y compris les politiques, ne savent pas exactement ce que c’est, ni comment il fonctionne, mais je vais vous expliquer. Les participants s’installent autour d’une grande table rectangulaire, et les ministres des Finances de chaque pays se répartissent des deux côtés ». Il ajoute, et c’est essentiel : « le vrai pouvoir est aux deux bouts de la table. D’un côté, à ma gauche, était assis Jeroen Dijsselbloem. A sa droite, il avait Thomas Wieser, président du Groupe de travail et détenteur du vrai pouvoir à cette extrémité-là ; à sa gauche, se trouvaient les représentants du FMI, Christine Lagarde et Poul Thomsen. A l’autre extrémité de la table, était assis Valdis Dombrovskis, commissaire chargé de l’euro et du dialogue social, dont le vrai job était de superviser (au nom de Wolfgang Schäuble) Pierre Moscovici, assis à gauche de cet économiste letton. A la droite de Dombrovskis, Benoît Cœuré, puis Mario Draghi, qui représentaient la BCE. Du même côté que Draghi, mais sur la longueur et en angle droit par rapport à lui était assis Wolfgang Schäuble. Leur proximité créait des étincelles, mais jamais de lumière » (p. 237).

En quelque sorte, l’Eurogroupe est l’institutionnalisation de la Troïka car il réunit la BCE, le FMI, les ministres des Finances de la zone euro et les représentants de la Commission européenne.

« Les réunions de l’Eurogroupe suivent un rituel qui montre à quel point la troïka et ses usages ont fait main basse sur la gouvernance de l’Europe continentale » (p. 237).

« Chaque fois qu’un thème est abordé – par exemple, le budget français, ou le développement des banques chypriotes –, Dijsselbloem l’annonce tout haut, puis invite chaque représentant des institutions à s’exprimer sur le sujet : Moscovici pour la Commission européenne, Christine Lagarde pour le FMI (ou Poul Thomsen si elle est absente), enfin, Mario Draghi pour la BCE (Benoît Cœuré intervenant les jours, rares, où Draghi n’est pas là). Une fois que chacun des représentants non élus a donné le la en livrant sa déclaration et en énonçant les termes de la discussion, les ministres élus peuvent s’exprimer. A chaque réunion à laquelle j’ai assisté ou presque, les ministres n’ont eu droit à aucun temps réservé pour présenter un exposé substantiel sur le sujet débattu » (p. 237-238).

Selon Varoufakis : « l’Eurogroupe n’est là que pour permettre aux ministres de valider et légitimer les décisions prises en amont par les trois institutions » (p. 238).

Varoufakis précise qu’il était accompagné de Dragasakis et de Chouliarakis, le Président du Conseil des économistes (que Dragasakis avait placé dans l’équipe de Varoufakis).

« Notre gouvernement est ici pour mériter une monnaie très précieuse sans dilapider un bien capital important puisque nous devons mériter votre confiance sans perdre celle de notre peuple » (p. 238) (je souligne).

Il explique ensuite qu’il est très important pour le gouvernement grec de prendre de nouvelles mesures pour corriger les précédentes, injustes, et répondre à la crise humanitaire (réembaucher du personnel qui a été licencié, augmenter les retraites de ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, rétablir le salaire minimum dans le secteur privé).

« Les membres de l’Eurogroupe pouvaient compter sur moi, dis-je, pour qu’aucune de ces micro-mesures n’ait d’impact budgétaire » (p. 239).

« [J]’ai mentionné notre lien avec l’OCDE et proposé de travailler étroitement avec le FMI et la BCE dans leurs domaines d’expertise » (p. 239).
Il explique que sur les privatisations, le gouvernement ne sera pas dogmatique. Certaines privatisations pourront avoir lieu.

Il exprime la volonté de créer une banque publique de développement et d’y ajouter une autre banque publique à créer en collaboration avec la BCE afin de prendre en charge les prêts non performants des banques privées.

Il prononce une phrase terrible dans la continuité de ce qu’il avait annoncé au parlement : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs » (p. 239)

Ensuite, il aborde la question de la dette : « La troïka exigeait que l’État grec en faillite verse presque 5 milliards d’euros au FMI avant juillet 2015, puis 6,7 milliards à sa propre banque centrale en juillet et août 2015. Je proposais que l’on commence par une mesure raisonnable : que la BCE verse à la Grèce les 1,9 milliards qu’elle lui devait pour les bénéfices de nos obligations SMP [c’est-à-dire les titres que la BCE avait achetés aux banques privées entre 2010 et 2012. Note d’Éric Toussaint]. Cet argent appartenait à la Grèce. Si les créanciers voulaient que nous les remboursions, nous y donner accès était le minimum. Proposer moins était nous inciter au défaut de paiement. »

Varoufakis ajoute, dans une note de bas de page, ce que nous avons expliqué dans la partie consacrée à son exposé au Parlement grec deux jours plus tôt, à savoir qu’il savait quand il a dit cela que « la Troïka avait décidé de garder cet argent ». Il le savait depuis la veille des élections grâce au document de Thomas Wieser, vice-président de l’Eurogroupe, qui leur était parvenu (chapitre 8, page 513, note 7). De mon côté, j’ai également relaté cela au début de la partie 5.

Bien sûr, Varoufakis avait raison de demander que cette somme de près de 2 milliards € soit versée au gouvernement grec.

Il conclut en précisant que le gouvernement grec souhaite « de vraies négociations, menées de bonne foi, pour créer un nouveau contrat, fondé sur un objectif d’excédent primaire réaliste, et des politiques structurelles efficaces et socialement équitables – y compris les nombreux éléments du programme précédent que nous acceptons. Nous avons besoin de garanties sur ce point précis  » (p. 240).

Puis il ajoute : « Une telle ouverture ne saurait être interprétée comme l’acceptation de la logique de l’agenda précédent, que les Grecs ont rejeté » (p. 240). Cette précision est totalement en contradiction avec une autre partie de son discours que nous avons citée lorsqu’il déclare : « notre gouvernement (…) s’était engagé à respecter le programme de ses prédécesseurs ».

Dans la discussion qui a suivi, Schäuble a tout de suite déclaré : « Des élections ne sauraient changer une politique économique » (p. 241). Il a été appuyé par les interventions des ministres des Finances des républiques baltes, de Slovénie, de Slovaquie, de Finlande, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Autriche, de l’Irlande…

Varoufakis dit avoir, dans sa réponse, déclaré : « si vous êtes d’accord avec Wolfgang, je vous invite à le dire explicitement en proposant que l’on suspende les élections dans les pays comme la Grèce jusqu’à ce que le plan prévu pour ce pays soit mené à bien » (p. 242).
Jeroen Dijsselbloem et Thomas Wieser (vice-président de l’Eurogroupe) refusent alors que les trois documents préparés par Varoufakis pour l’Eurogroupe soient distribués.

On en vient au projet de communiqué qui devait être publié à l’issue de la rencontre. Varoufakis raconte : « J’ai jeté un œil sur le texte et j’ai tout de suite vu qu’il était inacceptable : il engageait explicitement la Grèce à appliquer jusqu’au bout le second plan de renflouement en appliquant l’intégralité du MoU « avec une flexibilité maximum au sein du plan pour s’accorder aux priorités des nouvelles autorités grecques » » (p. 243).

Varoufakis demande que le mot « amendé » soit ajouté après le mot « plan ». Schäuble refuse cet amendement en disant que, si l’on amende le mémorandum, il faudra repasser par un vote du parlement allemand, ce qui n’est pas concevable.

Varoufakis refuse. En conséquence, on menace la Grèce : s’il n’y a pas d’accord sur un communiqué, la BCE coupera totalement les liquidités aux banques grecques à l’issue du second mémorandum, c’est-à-dire le 28 février. Varoufakis refuse cet ultimatum. Dijsselbloem lui propose de renoncer à proposer le mot « amendé » et de le remplacer par « ajusté ». Varoufakis accepte à condition que le texte mentionne qu’en Grèce, il y a une crise humanitaire. Dijsselbloem refuse. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, met la pression sur Varoufakis.

Varoufakis consulte alors par téléphone Tsipras et Pappas qui eux aussi étaient à Bruxelles, installés dans un hôtel dans l’attente de la réunion de leur premier sommet européen qui allait commencer le lendemain. La conversation dure une heure. Varoufakis raconte : « J’ai dû changer trois ou quatre fois d’avis, oscillant entre « Allez vous faire foutre ! » et « On accepte ce putain de communiqué et on se battra le jour où il faudra définir précisément ce “plan ajusté”. » Pendant ce temps-là, Dragasakis me faisait signe de conseiller à Alexis de céder » (p. 247).

Finalement, Tsipras dit à Varoufakis de refuser le texte, ce qui met fin à cette réunion de l’Eurogroupe. Varoufakis résume ce premier round de l’Eurogroupe : « Les ministres des Finances de dix-neuf pays européens, les dirigeants de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, sans compter les conseillers, les interprètes et le personnel d’appoint venaient de perdre dix heures à faire chanter un ministre. Quel gâchis ».

Il se rend dans le bureau de la délégation et appelle Tsipras pour un rapide bilan.
« – Réjouis-toi ! s’exclama-t-il. Les gens font la fête dans les rues, ils sont avec nous. C’est génial !
problème) ; 2. Le mémorandum est prolongé jusqu’au 30 juin (cela arrange Varoufakis).

« J’ai dit à Jeroen (Dijsselbloem) que je lui concédais ces deux points, sans conséquences de mon point de vue, à condition qu’il m’accorde une chose : une certaine marge d’action » (p. 274). Il poursuit : « j’exigeais que le MoU, en tout cas les 30% des articles que je jugeais inacceptables, soient remplacés par une liste de réformes émanant de nous, tandis que l’excédent primaire visé serait réduit de 4,5 % à 1,5 % du revenu national » (p. 274).

Varoufakis ajoute « Stupeur : Jeroen acceptait. » Or, et c’est l’abc d’une négociation, si dès le départ votre ennemi accepte vos conditions, c’est que vous avez mal engagé celles-ci.

Dijsselbloem acceptait également que ce soit la Grèce qui remette une liste de propositions de réformes que les institutions de la Troïka auraient le loisir d’approuver ou de rejeter.

Varoufakis écrit : « Si cette introduction passait la barre pour figurer dans le communiqué final, ce serait une victoire pour les pays les plus faibles de la zone euro. Pour la première fois, un pays Une secrétaire m’a montré un tweet sur son compte, avec la photo d’un rassemblement et le message suivant : « Dans toutes les villes de Grèce et d’Europe les gens se battent avec nous. Notre force, c’est eux. » C’était vrai, je l’ai découvert le lendemain : des milliers de gens étaient réunis place Syntagma pendant que j’étais enfermé avec l’Eurogroupe, dansant et brandissant des banderoles proclamant « en faillite mais libres » ou « fin à l’austérité ». Au même moment, c’était encore plus émouvant, des milliers de manifestants allemands emmenés par le mouvement Blockupy encerclaient le bâtiment de la BCE à Francfort en signe de solidarité » (p. 249).

Cela montre parfaitement quel potentiel de mobilisation il y aurait eu si, dans les jours qui ont suivi, Tsipras et Varoufakis avaient maintenu une ligne de refus des ultimatums, s’ils avaient mis en pratique la suspension de paiement, l’audit, la décote unilatérale des titres détenus par la BCE, s’ils avaient mis en place un système de paiements parallèles, s’ils avaient exercé leur droit de vote dans les banques grecques et s’ils avaient décrété un contrôle des mouvements de capitaux.

Mais revenons au récit de Varoufakis. Il explique qu’après être passé par le bureau de la délégation grecque et avoir pris connaissance avec bonheur des mobilisations, il a donné comme il se doit une conférence de presse. Selon sa narration, il a déclaré ce qui suit à propos de la réunion de l’Eurogroupe : « L’accueil a été très chaleureux et ce fut l’occasion parfaite pour présenter nos analyses, nos points de vue et nos propositions, à la fois sur le fond et par rapport à la feuille de route. Sachant que nous nous reverrons lundi, nous poursuivrons normalement et tout naturellement avec cette deuxième réunion » (p. 250).

« Plusieurs amis et critiques m’ont reproché d’avoir déçu la population. Combien de fois m’a-t-on demandé : Pourquoi ne pas avoir révélé ce qui s’était passé ? Pourquoi ne pas avoir parlé de leur chantage et de leur mépris de la démocratie ? Voilà ce que je réponds : parce que ce n’était pas encore le moment » (p. 250).

En fait à partir de ce moment-là, et à part lors d’un évènement intervenu cinq jours plus tard le 16 février, Varoufakis entre dans une logique infernale : ce ne sera jamais le bon moment pour dire la vérité sur ce qui se passe au niveau de la négociation. À partir du 20 février jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015, Varoufakis adoptera une attitude conforme à la politique de la diplomatie secrète.

Alors que tant de micros et de caméras se tournaient vers lui quand il était ministre, il n’a jamais utilisé, à part le 16 février, la possibilité qui lui était offerte d’informer l’opinion publique sur ce qui se passait réellement dans la négociation. Il en a été de même pour Alexis Tsipras sauf pour un temps très court à la fin du mois de juin 2015 quand il s’est agi d’appeler au référendum du 5 juillet.

12 février. Une concession, vraiment ?

Varoufakis explique que ce refus de signer a convaincu les dirigeants européens de faire une concession. Dijsselbloem, apparemment sous l’injonction d’Angela Merkel, prend contact avec Tsipras en proposant d’annoncer que le gouvernement grec et l’Eurogroupe allaient discuter des paramètres techniques pour avancer dans l’exécution du plan en cours en tenant compte des objectifs du nouveau gouvernement. On peut se demander si Varoufakis a raison d’affirmer qu’il s’agissait d’une concession. Rien n’est moins sûr. Les dirigeants européens, en parlant d’exécution du plan, maintenaient leur point de vue. En même temps, ils voulaient donner l’impression qu’ils étaient ouverts à la négociation tout en démontrant que le gouvernement grec était incapable de se comporter de manière responsable et constructive.

Par ailleurs, Varoufakis explique qu’à partir de ce moment-là s’est établi un contact direct entre Merkel et Tsipras, ce qui allait par la suite avoir des effets négatifs.

Angela Merkel et Alexis Tsipras

Il ajoute que Tsipras a commencé à s’éloigner de lui qui était le seul ministre à être convaincu qu’il fallait être prêt à prendre des mesures unilatérales comme la décote des titres détenus par la BCE ou la suspension de paiement. En écrivant cela il omet le fait que Lafazanis, qui était un de six principaux ministres, était également favorable à des actions unilatérales, à commencer par la suspension de paiement. Sans parler des quatre vice-ministres membres de la Plateforme de gauche (Nadia Valavani, Dimitris Stratoulis, Costas Isychos, Nikos Chountis) et de la présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. En fait, Varoufakis révèle ainsi qu’il n’a jamais imaginé sérieusement faire un front avec d’autres membres du gouvernement et du parlement afin de mettre en pratique une orientation à la hauteur des attaques de la Troïka. Varoufakis, en expliquant aux lecteurs qu’il était seul, cherche de manière en partie inconsciente des circonstances atténuantes pour son attitude timorée.

13-14-15 février à Bruxelles

Varoufakis est resté à Bruxelles après la réunion du 11 jusqu’à la réunion suivante de l’Eurogroupe, convoquée pour le 16 février. Selon Varoufakis : « La chancelière allemande voulait que notre équipe technique rencontre celle de la troïka pour commencer à discuter des propositions et des priorités de notre gouvernement » (p. 255). Varoufakis rassemble une équipe composée de Chouliarakis, de quatre conseillers de Dragasakis, d’Elena Panaritis et de Glenn Kim, qui sont chargés de travailler avec l’équipe de la Troïka à une tentative de rapprochement (pour en savoir plus sur ces conseillers de Varoufakis, voir la partie 4). Dans les coulisses, selon Varoufakis, il y avait aussi un envoyé de la Banque Lazard et James Galbraith. En plus, Varoufakis recevait des conseils à distance de la part de Jeffrey Sachs et de William Buiter (économiste en chef de la banque nord-américaine Citigroup).

En marge des réunions officielles de travail qui se sont déroulées ces jours-là à Bruxelles, Varoufakis a adopté une position sur les contrôles de capitaux : il s’y est opposé. Il ne faut pas s’étonner que ses conseillers de la banque Lazard et de Citigroup, tout comme ceux étant passés comme Panaritis et Sachs par la Banque mondiale, étaient totalement contre tout contrôle de capitaux. Galbraith l’était aussi.

C’était une grave erreur, c’est le moins qu’on puisse dire. Il aurait fallu imposer un contrôle afin d’éviter la fuite des capitaux. Évidemment, il ne fallait pas empêcher des envois modestes de fonds à l’étranger. Il fallait un contrôle sélectif sur les gros flux financiers. C’était tout à fait faisable.

Le 14 février, Tsipras remet à Varoufakis un projet de communiqué que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lui a fait parvenir. Ce projet était d’un tout autre ton que celui que Dijsselbloem et Schäuble avaient voulu imposer le 11 février, mais ce n’était qu’un leurre. Dès le lendemain, Varoufakis a dû déchanter. Alors que l’après-midi du 15 avait bien commencé par une rencontre avec Moscovici, qui lui soumettait le texte de Juncker que Varoufakis était prêt à signer, un peu plus tard, Dijsselbloem lui a communiqué un autre texte. Varoufakis raconte : « J’ai lu. C’était pire que la version qu’on avait refusée à la première réunion. Le texte engageait le gouvernement grec à « appliquer le plan en cours », ne nous autorisant à poursuivre notre mandat que dans le cadre « de la flexibilité existante comprise dans le plan en cours ». Toutes les concessions proposées par Juncker la veille et par Pierre quelques instants plus tôt avaient été expurgées. Même l’expression « plan ajusté » avait disparu. Sa version signifiait le retour du plan tel quel, en force, sans le moindre adjectif pour l’atténuer » (p. 265).

16 février à Bruxelles, deuxième échec de l’Eurogroupe

Le 16 février, la deuxième réunion de l’Eurogroupe se termine rapidement sur un échec puisque le texte soumis à la Grèce est pire que celui qu’elle avait refusé quelques jours plus tôt.

Lors de la conférence de presse qui a suivi, c’est quasiment la seule fois où Varoufakis explique publiquement qu’il y a un désaccord. Il résume ce qu’il a déclaré à la presse : « J’ai le plaisir de vous annoncer que les négociations se sont déroulées dans un esprit collégial, révélateur d’une vraie communauté de vue […] pour établir un terrain d’entente et arriver à un accord viable entre la Grèce, l’Europe officielle et le FMI. Je ne doute pas qu’elles se poursuivront demain et après-demain jusqu’à ce que nous obtenions cet accord. Si c’est le cas, pourquoi ne nous sommes-nous pas entendus sur un communiqué, une formule qui débloquerait les délibérations ?
La vraie raison c’est qu’il existe un profond malentendu sur notre mission : faut-il appliquer un plan que nous avons été élus pour remettre en cause ? Ou faut-il s’asseoir dans un esprit d’ouverture pour repenser ce plan qui, nous l’estimons et la majorité des personnes douées de discernement l’estiment également, a échoué à stabiliser la Grèce, a produit une tragédie humaine et a rendu la Grèce d’autant plus difficile à réformer ?
 » (p. 266-267).

Varoufakis explique à la presse ce qui s’est passé entre le 11 et le 16 février et il ajoute pour les lecteurs que pour la deuxième fois en cinq jours, le gouvernement grec avait dit non à la Troïka.

Ce deuxième refus a donné lieu à des manifestation de soutien au gouvernement en Grèce et la cote de popularité du gouvernement a atteint 75 %.

Mais Varoufakis et Tsipras n’ont jamais adressé un appel au soutien des populations d’Europe et d’ailleurs. Cela a joué un rôle non négligeable dans la difficulté de développer un puissant mouvement de solidarité internationale avec le peuple grec. Bien sûr, il aurait aussi fallu utiliser à fond les possibilités de communication données par les réseaux sociaux, ce qui n’a pas été fait par le gouvernement grec et par le noyau dirigeant autour de Tsipras. Le fait de fonctionner dans le cadre de la diplomatie secrète a également encouragé les dirigeants européens à maintenir les pires pratiques de chantage sans courir le risque que celles-ci soient dénoncées.

17-18-19 février à Athènes, le tournant vers l’accord du 20 février et le prolongement du mémorandum

Varoufakis explique que lors de la première réunion de ce qu’il appelle le « cabinet de guerre », après l’échec du 16 février, Tsipras, Pappas et Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet de Tsipras, étaient favorables à rompre les négociations. Varoufakis précise que Tzanakopoulos lui a hurlé : « Si tu veux signer le MoU (le mémorandum – Note de l’auteur), ça sera sans moi, je te le garantis ! » Concernant Tsipras, il écrit : « il lui arrivait de perdre son sang-froid et de menacer de planter les négociations » (p. 269). Spyros Sagias (secrétaire de cabinet) et Varoufakis étaient partisans de poursuivre les négociations.

Varoufakis finit par convaincre le reste du cabinet de guerre qu’il faut obtenir une prolongation du mémorandum. « Mon point de vue, partagé par Sagias et Dragasakis, était le suivant : demander un prolongement faisait partie de notre mandat à partir du moment où on ne s’engageait pas à appliquer le plan tel quel » (p. 271).

J’argumenterai dans l’article suivant pourquoi il aurait mieux valu refuser une prolongation du deuxième mémorandum.

Varoufakis, de son côté, voulait un prolongement du mémorandum alors qu’il était bien conscient que Berlin posait quatre exigences : poursuivre les réformes structurelles pour améliorer la compétitivité (cela voulait dire très clairement poursuivre les attaques contre les salaires, la sécurité sociale et aller plus loin dans les privatisations), maintenir le FMI dans un futur accord (ce qui impliquait de prolonger le deuxième mémorandum en cours par un troisième mémorandum même si Varoufakis ne le reconnaît pas |14|), définir ce qu’est la soutenabilité de la dette et surtout : « Reconnaître les obligations financières de la Grèce vis-à-vis de tous ses créanciers » (p. 271).

Ce dernier point a provoqué de fortes réactions dans le cabinet. Dimitris Tzanakopoulos, chef de cabinet, y était opposé : « – Pourquoi faudrait-il reconnaître notre dette vis-à-vis de tous les créanciers ? »

Varoufakis explique qu’il a répliqué : « nous pourrions « reconnaître » notre dette en insistant pour qu’elle soit immédiatement restructurée et – j’ai martelé ce point – pour que nos créanciers récupèrent leur argent |15|. L’aile de Syriza qui exigeait des décotes immédiates et unilatérales parce que la dette était illégale en soi serait scandalisée, mais l’option a fini par être avalisée par le cabinet de guerre. Il était prévu que j’écrive à l’Eurogroupe pour soumettre une demande officielle de prolongement » (p. 271-272).

Cette décision allait très clairement à l’encontre du programme de Syriza et du gouvernement.

Par ailleurs, Varoufakis explique que « le scénario le plus probable » poursuivi par les dirigeants européens était le suivant : « la prolongation était un leurre, en retardant la solution ; ils attendaient que notre popularité s’essouffle, ainsi que nos réserves de liquidité, jusqu’à la date d’expiration, en juin, où notre gouvernement serait à bout de forces et capitulerait » (p. 272).

Varoufakis affirme que, face à ce scénario il a obtenu l’accord du cabinet de guerre pour « demander cette prolongation tout en signalant trois choses à la Troïka : à toute tentative d’épuisement via un resserrement de liquidités nous répondrons par un refus d’honorer les remboursements dus au FMI ; à toute velléité de nous renfermer dans la camisole d’un plan bancal ou de nous refuser une restructuration nous répondrons par l’arrêt des négociations ; à toute menace de fermeture des banques et de contrôles des capitaux nous répondrons par la décote unilatérale des obligations SMP, suivie par la mise en place du système de paiement parallèle et la modification des règles de la Banque centrale de Grèce pour restaurer la souveraineté du Parlement sur ladite banque. »

Le problème c’est que, jamais au grand jamais, cette menace n’a été communiquée à la Troïka. Elle n’a jamais non plus été rendue publique. Varoufakis le reconnaît. Quant à sa mise en pratique, comme on le verra par la suite, Tsipras et la majorité du cabinet s’y sont clairement opposés et Varoufakis a accepté cela jusqu’à la capitulation finale de juillet 2015.
Par ailleurs, à ce stade, nous ne disposons que du témoignage de Varoufakis. Aura-t-on un jour un témoignage confirmant son affirmation ? Il est tout à fait improbable que Tsipras confirme la version de Varoufakis car ce serait l’aveu de sa propre culpabilité.

Tout s’est passé en comité très restreint et le reste du gouvernement n’a jamais été informé, ni la direction de Syriza. La population grecque a été totalement maintenue à l’écart.

La menace dont parle Varoufakis n’a de toute façon jamais été communiquée à la Troïka.

Varoufakis écrit : « Le pire serait de demander une prolongation, de l’obtenir et de ne pas signaler notre détermination à passer à l’acte si les créanciers s’éloignaient de l’esprit de l’accord intermédiaire. Si nous commettions l’erreur, ils nous traîneraient dans la boue pendant toute la prolongation, jusqu’à ce qu’on soit exsangues et qu’ils puissent nous achever » (p. 272). Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Varoufakis, avec l’accord du noyau autour de Tsipras, a demandé la prolongation du mémorandum sans signaler une quelconque détermination à passer à l’action et les créanciers ont traîné dans la boue le gouvernement puis l’ont amené à capituler officiellement.

Varoufakis a envoyé le 18 février à l’Eurogroupe une lettre dont il cite des passages terribles :
« Les autorités grecques reconnaissent les obligations financières vis-à-vis de tous les créanciers ». Elles comptent « coopérer avec leurs partenaires afin de contourner les obstacles techniques dans le cadre de l’accord de prêt dont nous reconnaissons la contrainte. » |16| Varoufakis ajoute qu’il ne pouvait « pas aller plus loin pour satisfaire Berlin » (p. 273). C’est le moins qu’on puisse dire.

20 février à Bruxelles : en route vers la capitulation

Varoufakis se rend à Bruxelles et, juste avant le début de l’Eurogroupe, Dijsselbloem lui annonce deux mauvaises nouvelles, qui n’en sont pas aux yeux de Varoufakis : 1. Le solde de 11 milliards € du Fonds de recapitalisation des banques (FHSF) sur lequel le gouvernement Tsipras comptait pour réaliser une partie de ses promesses électorales part vers le Luxembourg au lieu d’être mis à disposition de la Grèce (Varoufakis considère que ce n’est pas un

prisonnier d’un plan de renflouement serait autorisé à remplacer le MoU de la Troïka par son propre agenda de réformes » (p. 275). C’est du délire total. Voir dans l’encadré ci-dessous des extraits de l’accord signé par Varoufakis avec l’Eurogroupe le 20 février à Bruxelles.

L’Accord signé par Varoufakis lors de la réunion de l’Eurogroupe le 20 février |17|
(Extraits)« Les autorités grecques présenteront une première liste de mesures de réforme, sur la base de l’accord actuel, au plus tard le lundi 23 février. Les institutions (il s’agit de la BCE, du FMI et de la Commission européenne, note d’Éric Toussaint) fourniront un premier avis visant à déterminer si cette liste est suffisamment complète pour être considérée comme un point de départ valable en vue d’une conclusion réussie de l’évaluation. Cette liste sera encore précisée puis soumise à l’approbation des institutions d’ici la fin avril.
Seule l’approbation, par chacune des institutions, de la conclusion de l’évaluation de l’accord prolongé, permettra tout déblocage de la tranche restant due de l’actuel programme du FESF [Fonds européen de stabilité financière] et le transfert des bénéfices de 2014 dégagés dans le cadre du SMP [Programme pour les marchés de titres]. Les deux sont à nouveau soumis à l’approbation de l’Eurogroupe.
 »
(…)
« Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers.
Les autorités grecques se sont également engagées à assurer les excédents budgétaires primaires requis ou les produits de financement nécessaires pour garantir la viabilité de la dette, conformément à la déclaration de l’Eurogroupe de novembre 2012
. »
(…)
« À la lumière de ces engagements, nous nous félicitons que, dans un certain nombre de domaines, les priorités politiques de la Grèce puissent contribuer à un renforcement et une meilleure mise en œuvre de l’accord actuel. Les autorités grecques s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles qui auraient un impact négatif sur les objectifs budgétaires, la reprise économique ou la stabilité financière, tels qu’évalués par les institutions. »

Selon Varoufakis, euphorique, il y avait quand même un hic : « Le communiqué avait un inconvénient : aucun assouplissement du resserrement des liquidités n’était prévu » (p. 275). Bref, l’asphyxie de la Grèce commencée officiellement le 4 février continuerait.

La corde qui étranglait la Grèce allait fonctionner comme un nœud coulant : tandis que celle-ci devait rembourser 7 milliards de dettes avant le 30 juin 2015, les créanciers ne feraient aucun versement d’argent frais et pire, la BCE continuerait de limiter l’accès des banques grecques aux liquidités d’urgence. Cela diminuerait leur capacité à acheter des titres émis par le trésor grec pour se financer et cela renforcerait l’asphyxie du gouvernement.

Varoufakis explique qu’au cours de l’Eurogroupe, il a reçu un SMS d’Emmanuel Macron lui demandant des nouvelles et qu’il lui a répondu : « On a eu un bon résultat. Maintenant il faut remonter les manches. Merci pour votre aide. ». Varoufakis ajoute : « Il a réagi en camarade : « Continuons à nous battre » » (p. 278).
Ensuite, Varoufakis donne une conférence de presse : « J’ai remercié Jeroen d’avoir gardé le cap et j’ai ajouté que ce serait l’occasion de s’y mettre. Pendant le week-end, mon équipe et moi allions établir la liste des réformes à soumettre dans les trois jours suivants.
– Il va falloir travailler d’arrache-pied, mais ce sera avec plaisir puisque nous partons d’une relation entre égaux.
 » |18| (p. 279)

En réalité, l’accord du 20 février est égal à l’acte d’un vassal qui se soumet au suzerain tout en proclamant qu’il est l’égal du suzerain. Rappelons les paroles tenues par Varoufakis dix jours plus tôt au parlement grec : « Si vous n’envisagez pas de pouvoir quitter la table des négociations, il vaut mieux ne pas vous y asseoir. Si vous ne supportez pas l’idée d’arriver à une impasse, autant vous en tenir au rôle du suppliant qui implore le despote de lui accorder quelques privilèges, mais finit par accepter tout ce que le despote lui donne » (p. 233).

Varoufakis rend compte des réactions contradictoires : Jeffrey Sachs le félicite tandis qu’il est durement critiqué par Manólis Glézos, flambeau de la Résistance et député Syriza au Parlement européen depuis février 2015, et le célèbre compositeur Míkis Theodorákis, deux héros de son enfance pour reprendre ses termes (p. 282). Dans un communiqué public, Manólis Glézos s’est excusé auprès du peuple grec d’avoir appelé à voter Syriza en janvier 2015.

Varoufakis explique qu’à partir du 21 février, il s’attelle à rédiger les propositions de réformes à « intégrer au MoU » et à soumettre à l’Eurogroupe le 23 février. Varoufakis n’hésite donc pas à dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’essayer d’amender le mémorandum en cours, alors qu’à l’époque, Tsipras et lui disaient à la population qu’il s’agissait d’un nouvel accord et que la Grèce s’était libérée de la prison du mémorandum et de la Troïka, rebaptisée « les institutions ».

Varoufakis écrit que le lundi 23 février au soir, « le texte serait envoyé à Christine Lagarde, Mario Draghi et Pierre Moscovici qui auraient la matinée du lendemain pour l’examiner avant la téléconférence de l’Eurogroupe du mardi après-midi. Ils seraient trois à évaluer les mesures avant de donner leur feu vert ou leur veto, sans que les ministres aient leur mot à dire » (p. 283). Comment dès lors peut-on affirmer, comme Varoufakis l’a fait en public à l’époque, que la Troïka n’existait plus et que la Grèce avait retrouvé la liberté ? Il reconnaît lui-même qu’il a accepté de soumettre à Lagarde (FMI), Draghi (BCE) et Moscovici (Commission européenne) les propositions que le gouvernement grec comptait envoyer ensuite officiellement à l’Eurogroupe.

Conclusion

En signant le 20 février 2015 un accord avec l’Eurogroupe selon lequel « Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer, pleinement et à temps, leurs obligations financières auprès de tous leurs créanciers » et « s’engagent à s’abstenir de tout démantèlement des mesures et de changements unilatéraux des politiques et réformes structurelles », Varoufakis et Tsipras rompaient avec l’engagement de mettre fin au mémorandum et de le remplacer par un plan de reconstruction. Ils renonçaient à mettre en cause la légitimité de la dette et à en suspendre le paiement. Ils soumettaient à nouveau la Grèce au bon vouloir de la Troïka. Il était certain que celle-ci n’allait pas avaliser un programme de mesures permettant au gouvernement de concrétiser ses promesses. L’accord du 20 février est le premier document officiel par lequel Varoufakis et Tsipras abandonnent les propositions principales du programme pour lequel le Syriza avait été porté au gouvernement.

Comme l’écrivait Stathis Kouvelakis dans une interview à Alexis Cukier réalisée en 2015 « Les choses sont assez simples en réalité : les institutions européennes cherchent à construire une cage de fer dans laquelle on veut à tout prix enfermer le nouveau gouvernement pour l’empêcher de réaliser son programme. Il s’agit de montrer qu’une politique de sortie de l’austérité et du néolibéralisme est impossible dans le cadre actuel, et que, quels que soient les mandats confiés par les populations au gouvernement, quels que soient les résultats des élections, c’est toujours les mêmes politiques qui s’appliqueront. Leur premier objectif est clairement d’humilier Syriza et de mettre à genoux le nouveau gouvernement grec. Il s’agit également d’un avertissement adressé à Podemos et à toute autre force qui, en Europe, serait susceptible d’arriver au pouvoir et de remettre en cause les politiques d’austérité et le mécanisme de l’endettement. » |19|

De son côté le CADTM Europe avait publié le 31 décembre 2014 un communiqué qui sonne comme un avertissement : « Les puissants d’Europe et du monde entier n’ont même pas attendu la dissolution du Parlement grec et l’ouverture de la campagne électorale pour lancer leur nouvelle offensive de mensonges et de chantages qui visent à terroriser les citoyens grecs afin qu’ils ne votent pas aux prochaines élections du 25 janvier 2015 en faveur de SYRIZA, la Coalition de la Gauche Radicale grecque. En effet, secondés par les grands médias européens, « ceux d’en haut » du nom de Juncker, Merkel, Hollande, Renzi ou Moscovici commencent leur énième intervention brutale dans les affaires intérieures de cette Grèce, qu’ils ont d’ailleurs transformée en un amas de ruines sociales depuis qu’ils lui ont imposé leurs politiques d’austérité inhumaines et barbares.

Le CADTM n’a pas le moindre doute sur les intentions véritables de ceux qui ont fait de la Grèce le laboratoire européen de leurs politiques néolibérales les plus extrêmes et des Grecs des véritables cobayes de leur thérapie économique, sociale et politique de choc. On doit s’attendre à une escalade de leur offensive car ils ne peuvent pas se permettre que SYRIZA réussisse et fasse des émules en Europe ! Ils vont utiliser tous les moyens dont ils disposent car ils sont bien conscients que ce qui est en jeu aux prochaines élections grecques est le succès ou l’échec de la guerre sociale qu’ils mènent contre l’écrasante majorité des populations de toute l’Europe ! C’est d’ailleurs parce que l’enjeu est si important qu’on doit s’attendre à ce que « ceux d’en haut » d’Europe et de Grèce ne respectent pas le verdict des urnes, qui devrait couronner, pour la première fois de l’histoire, la victoire de la gauche grecque. Sans aucun doute, ils vont par la suite essayer d’asphyxier le gouvernement de gauche sorti des urnes, parce que son éventuel succès serait sûrement interprété comme un formidable encouragement à la résistance par les travailleurs et les peuples d’Europe. »

Nous verrons dans la prochaine partie que Varoufakis avec l’accord de Tsipras signera quelques jours après le 20 février 2015 un document rédigé par la Troïka reconnaissant de fait la primauté du mémorandum en cours par rapport aux mesures proposées par le gouvernement grec.

Notes

|1| Les trois premiers paragraphe de cette partie sont tirés de l’introduction de l’article précédent

|2| Ministre fédéral des Finances du 28 octobre 2009 au 24 octobre 2017. Depuis cette date, il préside le Bundestag.

|3| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, chapitre 7, p. 217

|4| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|5| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 7, p. 218

|6| D’ailleurs, on éprouve vraiment des difficultés à croire que Varoufakis, Tsakalotos et le cercle dirigeant autour de Tsipras aient vraiment pu penser que cette proposition pourrait convaincre les dirigeants européens.

|7| Les pays qui font partie de la zone euro ne peuvent pas dévaluer leur monnaie puisqu’ils ont adopté l’euro. Des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne sont donc coincés par leur appartenance à la zone euro. Les autorités européennes et leur gouvernement national appliquent dès lors ce qu’on appelle la dévaluation interne : ils imposent une diminution des salaires au grand profit des dirigeants des grandes entreprises privées. La dévaluation interne est donc synonyme de réduction des salaires. Elle est utilisée pour augmenter la compétitivité mais on constate qu’elle est très peu efficace pour retrouver de la croissance économique car les politiques d’austérité et de répression salariale sont appliquées dans tous les pays. Par contre, du point de vue des patrons, la crise de la zone euro qui a pris un caractère très aigu à partir de 2010-2011 constitue une aubaine : le salaire minimum légal a été réduit fortement en Grèce, en Irlande et dans d’autres pays.

|8| Varoufakis ajoute : « A l’heure où j’écris, Michael Christoforakos coule des jours tranquilles en Allemagne, Stournaras est toujours gouverneur de la Banque centrale de Grèce, le scandale Siemens n’a pas conduit le moindre homme politique devant la justice » (ibid., p. 223). Il faut savoir que Stournaras avait proposé en 2012 au parlement grec une résolution extrajudiciaire signée avec Siemens qui mettait fin à toute poursuite. J’ajoute que des procès liés à l’action de Siemens sont en cours en Grèce, depuis septembre 2017, avec le renvoi devant la justice de 18 cadres de Siemens (dont Christoforakos), en Grèce et en Allemagne, pour corruption d’agents de l’État « non identifiés ». Les agendas de Christoforakos livrés par son ancienne secrétaire montrent qu’il a eu des rencontres répétées avec certaines des principales figures politiques de la Nouvelle Démocratie et du Pasok, afin de leur remettre des commissions en nature.

|9| Elle a pris l’initiative d’élaborer la seule mesure qui combattait les effets létaux de l’austérité mémorandaire sur l’économie réelle, avec la possibilité d’éponger en 100 versements les dettes d’impôts des particuliers et des entreprises. Voir cet article

|10| Dégager un excédent primaire du budget implique généralement de comprimer les dépenses qui ne concernent pas le remboursement de la dette de manière à ce que les recettes (rentrées) soient supérieures aux dépenses (sorties). L’excédent primaire est donc calculé sans prendre en compte le remboursement de la dette publique. Une fois que ce paiement est pris en compte le budget est en déficit et il faut recourir à de nouveaux emprunts pour tenir la route.

|11| Le gouvernement Tsipras espérait également pouvoir compter sur la somme de 11 milliards qui constituait le solde du montant alloué à la recapitalisation des banques et que Syriza voulait rediriger vers la création d’une banque de développement et le renforcement du secteur public. Extrait du programme de Thessalonique : « En ce qui concerne le coût du capital de départ du secteur public, du vecteur intermédiaire et de banques spécialisées – estimé à 3 milliards d’euros –, il sera financé par le soutien de 11 milliards d’euros prévu pour les banques par le mécanisme de stabilité ».

|12| Stathis Kouvélakis témoigne du sentiment qu’un changement fondamental était en cours : « le discours de politique générale de Tsipras au Parlement le 8 février a été un moment extrêmement important. Il se situe après les ruptures symboliques, au moment de la prise de fonction du nouveau gouvernement, avec le serment civil, avec la gerbe de fleurs déposée à Kaisariani sur le monument aux deux cents héros communistes de la Résistance exécutés par les nazis le 1er mai 1940. Il faut rappeler que ces deux cents cadres communistes exécutés, c’était toute la direction du parti… Ce geste a inscrit ce gouvernement dans un fil historique puissant, dans l’histoire profonde du mouvement populaire et de la gauche communiste en Grèce. Et là, lors du discours de politique générale, on a pu sentir que la rupture était à nouveau vraiment à portée de main. » (Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 17-18). Bien sûr, différentes organisations de gauche n’ont pas manqué d’attaquer ou de critiquer durement Tsipras : il s’agissait du KKE, le parti communiste grec très sectaire, et des organisations de la gauche extraparlementaire que ce soit celles regroupées dans Antarsya, ou des groupes anarchistes qui ont occupé des locaux de Syriza rapidement après la constitution du gouvernement.

|13| Éric Toussaint, « Comment appliquer des politiques antipopulaires d’austérité ; L’OCDE fournit un vade-mecum pour les gouvernants »

|14| En effet, il n’y a pas d’autre interprétation possible car prolonger le mémorandum en vigueur impliquait automatiquement que les partenaires ne changent pas. Donc le fait d’insister sur la présence du FMI ne pouvait concerner dans la tête de Berlin qu’un troisième mémorandum à signer à l’issue du prolongement de celui qui était en cours. C’est d’ailleurs ce que Berlin a obtenu en juillet 2015.

|15| C’est Varoufakis qui souligne ce passage.

|16| Souligné par l’auteur.

|17| Le texte original en anglais est consultable sur ce site. Les extraits cités proviennent de la traduction réalisée à chaud par Ananda Cotentin

|18| Souligné par l’auteur

|19| Stathis Kouvélakis, La Grèce, Syriza et l’Europe néolibérale. Entretiens avec Alexis Cukier, La Dispute, Paris, 2015, p. 76-77)

Source http://www.cadtm.org/Varoufakis-Tsipras-vers-l-accord

Grèce : Réparations de guerre allemandes

L’affaire des réparations de guerre allemandes à la Grèce par Isabelle Bourboulon ( Attac France)

Le 10 juin 1944, pendant plus de deux heures, les troupes Waffen-SS firent du porte-à-porte dans le village de Distomo pour massacrer des civils grecs, en représailles contre une attaque partisane. 218 hommes, femme et enfants furent tués dans des conditions épouvantables. Il s’avère par la suite que les troupes allemandes n’avaient pas été attaquées depuis Distomo et que l’officier ayant commandé ce monstrueux massacre avait outrepassé les ordres. En 2000,la Cour suprême grecque a rendu une décision exigeant des réparations de l’Allemagne . La conclusion de tous les experts ayant enquêté sur cette affaire est sans appel :  » La Grèce n’a jamais reçu de compensation, ni pour les prêts qu’elle s’est vu forcée de souscrire pour l’Allemagne, ni pour les dommages subis durant la guerre « . Et portant ce pays est l’un des plus touchés par la Seconde guerre mondiale( on estime à 300 000 le nombre de personnes mortes uniquement de la faim) Le montant des réparations a été fixé à 240 milliards d’euros, soit l’équivalent des deux premiers plans de sauvetage de la Troïka, affectés en priorité au remboursement de la dette grecque. Mais pour être exécutée, cette décision aurait dû être approuvée par un ministre de la Justice, ce que les quinze ministres grecs qui se sont succédé depuis 2000 ont refusé de faire.

Une obligation morale et politique

En tant que responsable de la Justice à Syriza, Zoé Konstantopoulou, ancienne présidente du parlement grec, s’était engagée à ce que le futur ministre de la Justice du gouvernement Tsipras apporte enfin sa signature. Au cours d’un entretien, elle nous raconte :  » Dès que le ministre a été nommé, je suis allée le voir et lui ai dit  » si tu ne fais qu’une chose c’est cela : signer! Il en a pris l’engagement lors de son discours inaugural mais il ne l’a pas fait ». Depuis une plainte a été déposée contre le gouvernement par le Mouvement « Justice pour tous », animé par l’ancienne présidente du parlement.  » Le peuple grec n’a pas oublié et cette affaire de réparations revient régulièrement sur le débat public. Car l’Allemagne est le principal Etat qui exige le remboursement de la dette publique grecque, alors que ses banques ont gagné des milliards d’euros grâce à l’imposition des memoranda ».

E. Toussaint au sujet de Yanis Varoufakis 4eme partie

Série : Le témoignage de Yanis Varoufakis : accablant pour lui-même

Varoufakis s’est entouré de tenants de l’ordre dominant comme conseillers

Partie 4 18 janvier par Eric Toussaint

Si vous n’avez pas encore lu Conversations entre Adultes de Yanis Varoufakis, commandez-le à votre libraire. Cela se lit comme un polar politique, il y a du suspense, des rebondissements, des trahisons… L’immense intérêt de ce livre c’est que l’auteur donne sa version d’évènements qui ont influencé et influencent encore la situation internationale, en particulier en Europe mais aussi au-delà car la déception provoquée par la capitulation du gouvernement de la gauche radicale grecque marque profondément les esprits.

La série d’articles que je consacre au livre de Varoufakis constitue un guide pour des lecteurs et des lectrices de gauche qui ne souhaitent pas se contenter de la narration dominante donnée par les grands médias et les gouvernements de la Troïka ; des lecteurs et des lectrices qui ne se satisfont pas non plus de la version donnée par l’ex-ministre des Finances. En contrepoint du récit de Varoufakis j’indique des évènements qu’il passe sous silence et j’exprime un avis différent du sien sur ce qu’il aurait fallu faire et sur ce qu’il a fait. Mon récit ne se susbtitue pas au sien, il se lit en parallèle.

Lire les 3 précédents articles de la série :

La critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus Il est essentiel de prendre le temps d’analyser la politique mise en pratique par Varoufakis et le gouvernement Tsipras car, pour la première fois au 21e siècle, un gouvernement de gauche radicale a été élu en Europe. Comprendre les failles et tirer les leçons de la manière dont celui-ci a affronté les problèmes qu’il rencontrait sont de la plus haute importance si on veut avoir une chance de ne pas aboutir à un nouveau fiasco. Dans d’autres pays d’Europe, une majorité d’électeurs et d’électrices pourrait porter au gouvernement des forces de gauche qui promettent de rompre avec la longue nuit néolibérale. Ces pays ne sont certes pas nombreux mais ils existent. De toute façon, même là où les chances d’arriver au gouvernement sont très limitées, il est fondamental de présenter un programme cohérent de mesures qui devraient être prises par un gouvernement aussi fidèle au peuple que le sont les gouvernants actuels à l’égard du grand capital.

La critique que je fais des choix de Varoufakis est précise et elle est dure, sans concession. Il n’en demeure pas moins que Varoufakis a pris la peine de communiquer ce qu’il considère être sa part de vérité. Il a pris des risques en le faisant. S’il n’avait pas écrit ce livre, bien des faits importants seraient restés inconnus. Il ne faut pas s’attendre à ce que Tsipras livre sérieusement sa version de ce qui s’est passé. Il lui est impossible de relater son action et de la justifier. Si un jour il lui arrive de signer un récit, il aura été écrit par quelqu’un d’autre et il sera rempli de lieux communs.

Il faut aussi faire une distinction entre Tsipras et Varoufakis : l’un a signé le 3e mémorandum et l’a fait passer au parlement grec, l’autre s’y est opposé, a quitté le gouvernement le 6 juillet et, en tant que député, a voté contre le mémorandum le 15 juillet 2015.

L’enjeu est de tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans la zone euro L’enjeu de la critique de la politique qui a été suivie par le gouvernement grec en 2015 ne consiste pas principalement à déterminer les responsabilités respectives de Tsipras ou de Varoufakis en tant qu’individus. Ce qui est fondamental, c’est de réaliser une analyse de l’orientation politico-économique qui a été mise en pratique afin de déterminer les causes de l’échec, de voir ce qui aurait pu être tenté à la place et d’en tirer des leçons sur ce qu’un gouvernement de gauche radicale peut faire dans un pays de la périphérie de la zone euro.

Dans cette partie, nous présentons les conseillers dont s’est entouré Varoufakis. Force est de constater que, dès l’étape de sélection de ses principaux conseillers, Yanis Varoufakis s’est entouré de personnes peu disposées à réaliser les promesses de Syriza (c’est le moins qu’on puisse dire) et à mettre en œuvre des politiques alternatives afin de sortir la Grèce de l’emprise de la Troïka.

Les conseillers de Yanis Varoufakis comme ministre

Dans son ouvrage, Varoufakis décrit l’équipe de ses conseillers directs et lointains. La manière dont l’équipe a été composée est terrible. La logique qui a présidé aux choix des personnes explique en partie l’échec qui allait suivre. Ce n’est pas l’élément déterminant mais cela a joué un rôle.

Pour désigner un vice-ministre des Finances en charge de superviser le Trésor, un poste de la plus haute importance, Varoufakis raconte qu’il a consulté Alekos Papadopoulos, un ancien ministre des Finances des années 1990, issu du Pasok. Varoufakis explique qu’il avait collaboré avec Papadopoulos pour rédiger le programme économique que Georges Papandréou a présenté aux élections de 2004 remportées par les conservateurs de la Nouvelle démocratie. Syriza qui se présentait pour la première fois à des élections avait obtenu 6 députés avec 3,3 % des voix. Nouvelle démocratie de Karamanlis avait obtenu 45,4 % des voix et le Pasok conduit par Papandreou avait récolté 40,5 % des suffrages.

Varoufakis écrit : « Papadopoulos était dans l’opposition par rapport à Syriza, mais il était prêt à me soutenir personnellement et m’a promis de me trouver quelqu’un. (…) Le soir-même il m’a envoyé un sms en me donnant le nom de Dimitris Mardas  » |1|. Varoufakis contacte Mardas directement et lui propose le poste de vice-ministre des Finances.

Il faut savoir que le 17 janvier 2015, huit jours avant la victoire de Syriza, Mardas a publié un article particulièrement agressif contre la députée de Syriza Rachel Makri sous le titre « Rachel Makri vs Kim Jong Un et Amin Dada ». L’article se concluait par la très éloquente question (soulignée parlui-même) « Sont-ce ceux-là qui vont nous gouverner ? ». Dix jours plus tard, ce même Mardas devenait, grâce à Varoufakis, ministre suppléant des Finances. Varoufakis explique dans son livre qu’après un mois comme ministre il s’est rendu compte qu’il avait fait un mauvais choix. Signalons que Mardas, qui a soutenu la capitulation en juillet 2015, a été élu député Syriza aux élections de septembre 2015. Papadopoulos a lui aussi soutenu le 3e mémorandum de juillet 2015 |2|.

Varoufakis explique qu’en second lieu il devait choisir le Président du Conseil des économistes. Il se rend compte que ce poste avait été pourvu en son nom par le vice-premier ministre Dragasakis. Ce dernier avait en effet choisi George Chouliarakis, un économiste d’une trentaine d’années qui avait enseigné à l’Université de Manchester avant d’être transféré à la Banque centrale de Grèce. Chouliarakis a joué un rôle néfaste dès l’entrée en fonction de Varoufakis et pourtant celui-ci l’a gardé jusqu’à la fin. Son nom reviendra plusieurs fois dans le récit des évènements.

Ensuite Varoufakis a intégré à son équipe Elena Panaritis, parce qu’elle connaissait bien le langage et le modus operandi de la Troïka. Panaritis, en tant que députée du Pasok, avait voté en faveur du premier mémorandum de 2010. Avant cela, elle avait travaillé à Washington, surtout à la Banque mondiale, où elle s’était construit, selon Varoufakis, un excellent réseau de personnalités proches des institutions basées à Washington. Notamment l’ancien Secrétaire du Trésor, Larry Summers, à qui elle a présenté Varoufakis. Panaritis, dans les années 1990, a travaillé pour la Banque mondiale au Pérou où elle a collaboré avec le régime néolibéral, corrompu et dictatorial d’Alberto Fujimori. Varoufakis raconte : « Quand je l’ai revue avant les élections, je n’ai pas hésité une seconde à lui demander de me rejoindre. Il n’y a pas mieux pour se battre contre le diable que quelqu’un qui l’a servi et qui est devenu son pire ennemi. » |3| La suite a montré que loin d’être devenue son pire ennemi, elle a continué à collaborer avec lui.

Sa nomination comme conseillère du ministre des Finances a provoqué dès le début des remous dans Syriza et Tsipras a essayé de convaincre Varoufakis de s’en défaire. Ensuite, il s’en est très bien accommodé. Plus tard, quand Varoufakis, en mai 2015, a fait nommer, avec l’accord de Tsipras, Panaritis représentante de la Grèce au FMI, cela a provoqué une telle levée de boucliers dans Syriza et au parlement, qu’elle a finalement dû renoncer à ce poste le 1er juin 2015 |4|.

Dans son équipe, Varoufakis a également incorporé Glenn Kim, spécialiste des marchés financiers et en particulier du marché des dettes souveraines. En 2012, il avait collaboré à la mise en œuvre de la restructuration de la dette grecque notamment comme consultant des autorités allemandes. Quand Varoufakis a pris contact avec Glenn Kim, celui-ci lui a dit qu’il travaillait comme consultant pour le gouvernement islandais, qu’il aidait à mettre fin au contrôle des capitaux en vigueur depuis 2008. Cela convenait très bien à Varoufakis qui, à tort, ne voulait surtout pas recourir à un contrôle des mouvements de capitaux, alors qu’il aurait dû prendre en compte les résultats positifs obtenus en Islande.

Varoufakis écrit : « Un cynique dirait que les experts genre Glenn travaillent exclusivement pour l’argent et pour leur carrière personnelle. Peut-être. Mais être entouré de personnes comme lui, qui connaissent toutes les arcanes du pouvoir, est un atout précieux. » Précisons que Glenn Kim a continué à conseiller Tsipras après la capitulation de juillet 2015 |5|.

Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec.

Varoufakis se félicite d’avoir accepté les services de la Banque Lazard et de son directeur, le Français Matthieu Pigasse |6|. La banque Lazard avait collaboré, en échange de dizaines de millions d’euros de commission, à la restructuration de la dette grecque réalisée par la Troïka en 2012. Selon Varoufakis, Matthieu Pigasse et Daniel Cohen (professeur à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris et conseiller de Lazard |7|) qui l’accompagnait « ont réussi à me convaincre en me vantant les avantages de leur complicité, en s’excusant et me proposant leurs précieux services pro bono pour remettre la Grèce debout. Avec des transfuges de cette trempe à nos côtés, notre force technique était décuplée, voire plus. » |8|

Dans l’équipe internationale dont s’est entouré Varoufakis, il faut citer James Galbraith qui lui a apporté un soutien constant et qui a fait plusieurs séjours à Athènes pendant les six premiers mois de l’année 2015. Parmi les personnes que mentionnent Varoufakis comme l’ayant aidé de très près, James Galbraith est le seul à être digne de confiance même s’il a soutenu une orientation beaucoup trop conciliatrice à l’égard des créanciers. James Galbraith est un économiste néokeynésien des États-Unis, proche du Parti démocrate, connaisseur de la politique internationale. En 2009, il avait eu des contacts étroits avec le gouvernement de Georges Papandréou. Galbraith a travaillé principalement sur le plan B et cela dans le plus grand secret. Il témoigne lui-même de cela dans l’ouvrage Crise grecque, tragédie européenne |9|. De tous les membres de l’équipe que mentionne Varoufakis, Galbraith est le seul à propos duquel on peut considérer qu’il pouvait réellement apporter une aide constructive aux autorités grecques. Il a défendu, aux côtés de Varoufakis, une orientation trop modérée qui ne correspondait pas aux défis qu’il fallait relever et il le reconnaît partiellement |10|. Daniel Munevar, un collaborateur de Galbraith, a apporté activement son soutien à Varoufakis dans la négociation avec les créanciers à partir de mars 2015 mais Varoufakis ne mentionne pas son nom |11|.

Varoufakis préfère mentionner des personnalités étrangères faisant partie directement de l’establishment : « Outre Norman (Lamont), mes partisans d’outremer comprenaient Jeff Sachs, économiste à l’Université de Columbia, Thomas Mayer, de la Deutsche Bank, Larry Summers, et Jamie Galbraith » |12|. Des personnalités avec lesquelles il ne fallait surtout pas s’allier, à part Galbraith, si on voulait réellement promouvoir une solution favorable au peuple grec. En voici quelques exemples.

Larry Summers, Jeffrey Sachs et d’autres : Varoufakis continue avec des choix incompatibles avec le programme de Syriza

Le parcours de Lawrence ‘Larry’ Summers comporte un certain nombre de taches qui auraient dû être indélébiles… et empêcher toute collaboration. Varoufakis a pourtant cherché systématiquement celle-ci et en est très satisfait. Il déclare dans l’introduction de son livre : « Nous étions largement d’accord sur l’essentiel, et ce n’était pas rien d’avoir le soutien du formidable Larry Summers (…) » |13|.

Le passé de Summers mérite qu’on souligne quelques étapes importantes.

En décembre 1991, alors économiste en chef de la Banque mondiale, Summers écrit dans une note interne : « Les pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico. Il faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays moins avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable. […] L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1 000 à cinq ans |14| ». Il ajoute même, toujours en 1991 : « Il n’y a pas de […] limites à la capacité d’absorption de la planète susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à toute autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer des limites à la croissance à cause de limites naturelles est une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée |15| ».

Devenu vice-secrétaire au Trésor sous Clinton en 1995, Summers pèse de tout son poids avec son mentor, le secrétaire d’État, Robert Rubin, pour obtenir l’élimination en 1999 de la loi qui séparait les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et la remplacer par une loi dictée par les banquiers |16|. En 1998, avec Alan Greenspan, directeur de la Réserve fédérale et Robert Rubin, Summers avait aussi réussi à convaincre l’autorité de contrôle des bourses des matières premières, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), d’abandonner toutes les barrières qui « entravaient » le marché des dérivés de crédits vendus de gré à gré (Over The Counter – OTC). La porte est alors grande ouverte pour une accélération de la dérèglementation bancaire et financière qui a abouti à la crise de 2007-2008 aux États-Unis et qui a eu des retombées en Grèce en 2009-2010.

Ajoutons qu’en 2000, Summers fait pression, en tant que secrétaire d’État au Trésor, sur le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, pour que celui-ci se débarrasse de Joseph Stiglitz, qui lui a succédé au poste d’économiste en chef et qui est très critique sur les orientations néolibérales que Summers et Rubin mettent en œuvre aux quatre coins de la planète où s’allument des incendies financiers. Après l’arrivée du président républicain George W. Bush, il poursuit sa carrière en devenant président de l’université de Harvard en 2001, mais se signale particulièrement en février 2005 en se mettant à dos la communauté universitaire après une discussion au Bureau national de la recherche économique (NBER) |17|. Interrogé sur les raisons pour lesquelles on retrouve peu de femmes à un poste élevé dans le domaine scientifique, il affirme que celles-ci sont intrinsèquement moins douées que les hommes pour les sciences, en écartant comme explications possibles l’origine sociale et familiale ou une volonté de discrimination. Cela provoque une grande polémique |18| tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Malgré ses excuses, les protestations d’une majorité de professeurs et d’étudiants de Harvard l’obligent à démissionner en 2006.

En 2009, Summers est devenu membre de l’équipe de transition du président élu Barack Obama et a dirigé le Conseil économique national. En septembre 2010, Summers a quitté l’équipe d’Obama et a repris sa carrière à l’université d’Harvard tout en jouant un rôle dans les coulisses de la politique notamment à Washington. Varoufakis raconte qu’il a demandé à Helena Panaritis de le mettre en contact avec Summers en 2015 afin de pouvoir avoir une influence sur Obama d’une part et sur le FMI d’autre part.

Varoufakis a demandé également à Jeffrey Sachs, spécialisé lui aussi dans les jeux d’influence dans les coulisses de Washington, de collaborer de manière rapprochée, ce que celui-ci a accepté en se rendant plusieurs fois à Athènes, à Bruxelles, à Londres, à Washington en 2015, afin de renforcer l’équipe de Varoufakis. Jeffrey Sachs, comme Lawrence Summers, est lié au parti démocrate, et est présenté dans les médias dominants comme favorable à une solution douce aux crises de la dette en tenant compte des intérêts des pauvres |19|. Pourtant, Jeffrey Sachs a été conseiller de gouvernements néolibéraux qui ont appliqué la politique de la thérapie du choc dans leur pays : Bolivie (1985), Pologne (1989), Russie (1991). Dans son livre La Stratégie du choc. Montée d’un capitalisme du désastre (2008), Naomi Klein a dressé un réquisitoire implacable contre Jeffrey Sachs et les politiques qu’il a recommandées en collaboration avec le FMI, la Banque mondiale et les classes dominantes locales.

Varoufakis mentionne également le soutien indéfectible qu’il a reçu de Lord Norman Lamont qui a été Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances de Grande-Bretagne) dans le gouvernement du conservateur John Major de 1990 à 1993. « Mon amitié avec Lord Lamont of Lerwick, Tory et eurosceptique pur jus, le Chancelier qui avait permis à la Grande-Bretagne d’échapper au Système monétaire européen, s’accordait mal avec mon image d’extrême-gauchiste. » Varoufakis souligne l’importance de la collaboration avec Norman Lamont : « J’ai passé 162 jours à la tête du ministère des Finances et Norman a toujours été un soutien inébranlable, notamment pour finaliser la dernière version de mes propositions de réforme de la dette et de la fiscalité à soumettre à l’UE et au FMI » |20|.

Parmi les autres experts étrangers auxquels Varoufakis a eu recours et qui ont participé à l’élaboration des propositions qu’il a faites aux créanciers : Willem Buiter, qui a rejoint la banque Citigroup en 2010 comme économiste en chef, et Thomas Mayer, ex-économiste en chef de la Deutsche Bank.

Si l’on s’en tient au récit de Varoufakis, le rôle de ces personnalités n’a pas été anodin. Se référant au énième plan qu’il a proposé en mai 2015 aux créanciers, il écrit : « Le temps que j’atterrisse, le Plan pour la Grèce était finalisé. Jeff Sachs avait brillamment rectifié la version que je lui avais envoyée deux jours plus tôt. Norman Lamont avait effectué des ajouts importants ; l’équipe de Lazard avait affiné la proposition d’échange de dettes et Larry Summers avait avalisé l’ensemble. » |21|

Spyros Sagias, un autre exemple d’un défenseur de l’ordre dominant faisant partie du cercle étroit de Tsipras et de Varoufakis

Varoufakis explique qu’il a établi une relation étroite avec Spyros Sagias qui est devenu le conseiller juridique du Premier ministre Tsipras, avec qui il a fait connaissance quelques jours avant les élections. Le choix de Sagias par Tsipras en dit également long sur les priorités de Tsipras au moment de choisir son entourage en tant que chef du gouvernement. Il voulait autant que possible s’entourer de personnages pouvant établir des ponts avec l’establishment, avec le patronat, avec les créanciers. Sagias avait conseillé le gouvernement du socialiste Simitis dans les années 1990 au moment où celui-ci entamait un important programme de privatisations.

Varoufakis décrit Sagias de la manière suivante : « Sagias n’était pas un homme politique mais, comme il se présenta plus ou moins en riant, un avocat systémique. (…) Pas un seul grand contrat d’affaires où étaient en jeu intérêts privés et secteur public n’échappait à sa sagacité : privatisations, vastes projets immobiliers, fusions, il dominait tout. Il avait conseillé Cosco, le conglomérat chinois qui avait acheté des parts du Pirée et rêvait d’en acquérir la totalité, une privatisation à laquelle Syriza était farouchement opposé ». Il ajoute : « Le jour où Pappas m’avait dit que Sagias serait sans doute secrétaire de cabinet, j’avais été heureusement surpris : on aurait un as du droit parmi nous, un conseiller sachant rédiger des projets de loi imparables et déterrer les secrets honteux de l’ancien régime ». « Je l’aime bien, Sagias, pensais-je. Il avait conscience de fricoter avec l’oligarchie et ne s’en cachait pas » |22|. Sagias, comme le montre Varoufakis plus loin dans son livre, a soutenu les choix successifs qui ont amené à la capitulation définitive.

Ajoutons que pendant le gouvernement Tsipras I, il a aussi aidé Cosco à acquérir les parties du Port du Pirée que l’entreprise chinoise ne possédait pas encore |23|. C’est d’ailleurs la firme de Sagias qui avait rédigé la première convention avec Cosco en 2008. Après avoir quitté ses fonctions de secrétaire du gouvernement, Sagias s’est remis encore plus activement à son cabinet d’affaires |24|. Il est redevenu le conseil attitré de grands intérêts étrangers pour favoriser de nouvelles privatisations. Il a servi les intérêts de l’Émir du Qatar en 2016 qui souhaitait acquérir une île grecque, l’île d’Oxyas à Zakinthos, appartenant à une zone Natura. Sagias a également été le conseil de Cosco en 2016-2017 dans un litige avec les travailleurs du port du Pirée, quand il s’est agi de trouver une formule de départ anticipé (ou de licenciement déguisé) pour plus d’une centaine de travailleurs proches de l’âge de la retraite.

Dans la cinquième partie nous aborderons les évènements de janvier-février 2015 : les journées qui ont précédé la victoire attendue de Syriza le 25 janvier, la création du gouvernement Tsipras, le programme de Syriza, l’entrée en fonction de Yanis Varoufakis comme ministre des Finances et les négociations qui conduisent à l’accord funeste du 20 février 2015.

Notes

|1| Y. Varoufakis, Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Les Liens Qui Libèrent, Paris, 2017, Chapitre 5, p. 127.

|2| Voir Vice, « The Former Finance Minister Who Tried to Warn Greece About the Crisis », publié le 15 juillet 2015, consulté le 12 novembre 2017

|3| Y. Varoufakis, op.cit., Chapitre 5, p. 129.

|4| Adea Guillot, « Grèce : l’ex-députée socialiste Elena Panaritis renonce au FMI », publié le 1er juin 2015, Le Monde

|5| Alors que, sous Varoufakis, il avait été défrayé de manière modeste, il a remis, en août 2015, une facture de 375 000 euros pour la période antérieure à juillet 2015. Cela a provoqué des remous et a alimenté la campagne de discrédit lancé par la presse dominante grecque contre Varoufakis. GRReporter, « A Korean adviser of Varoufakis claims a fee of €375,000 », publié le 9 août 2017, consulté le 12 novembre 2017

|6| La Banque Lazard est un groupe mondial de conseil financier et de gestion d’actifs. Entreprise franco-américaine à sa création en 1848, Lazard est aujourd’hui cotée à la bourse de New York et est présente dans 43 villes dans 27 pays. Son dirigeant le plus connu en France est Matthieu Pigasse. Sous sa conduite la banque a conseillé différents gouvernements en matière de dette ou de gestion d’actifs (entendez privatisations) : l’Équateur en 2008-2009 en ce qui concerne la dette, la Grèce en 2012 et en 2015, le Venezuela en 2012-2013. M.Pigasse a des intérêts directs dans le quotidien Le Monde, dans Huffington Post et dans le magazine Les Inrockuptibles. À la fin de l’année 2017, Matthieu Pigasse et la Banque Lazard se sont rangés aux côtés du régime corrompu et répressif du président congolais Denis Sassou-Nguesso pour l’aider dans ses relations avec les créanciers.

|7| Spécialiste de la dette souveraine, il est conseiller à la banque Lazard, avec laquelle il a conseillé le Premier ministre grec Georges Papandréou et le président équatorien Rafael Correa pour la renégociation de la dette de leurs pays. Il a participé, avec la Banque mondiale, à l’« initiative de réduction de la dette des pays pauvres très endettés » (initiative PPTE). Il est éditorialiste au quotidien Le Monde. Daniel Cohen a également été conseiller de François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy de 2010 à 2012. Puis il a soutenu François Hollande, président de 2012 à 2017.

|8| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 131.

|9| James K. Galbraith, Crise grecque, tragédie européenne, Éd. du Seuil, Paris, 2016

|10| Voir l’article de Martine Orange « L’économiste James Galbraith raconte les coulisses du plan B grec »

|11| Daniel Munevar est un économiste postkeynésien originaire de Bogotá, en Colombie. De mars à juillet 2015, il a travaillé comme assistant de Yanis Varoufakis alors qu’il était ministre des Finances ; il le conseillait en matière de politique budgétaire et de soutenabilité de la dette. Auparavant, il était conseiller au Ministère des Finances de Colombie. En 2009-2010, il a été permanent du CADTM en Belgique puis de retour en Amérique latine, il a cordonné le réseau du CADTM en Amérique latine de 2011 à 2014. C’est une des figures marquantes dans l’étude de la dette publique en Amérique latine. Il a publié de nombreux articles et études. Il a participé avec Éric Toussaint, Pierre Gottiniaux et Antonio Sanabria à la rédaction des Chiffres de la dette 2015. Il travaille depuis 2017 à Genève à la CNUCED.
Daniel Munevar fait référence à sa participation à l’équipe de Varoufakis dans cet article. Dans le livre déjà mentionné, James Galbraith souligne l’importance de l’aide que lui a apportée Daniel Munevar.

|12| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 133.

|13| Y. Varoufakis, op.cit., p. 17

|14| Des extraits ont été publiés par The Economist (8 février 1992) ainsi que par The Financial Times (10 février 1992) sous le titre « Préservez la planète des économistes ».

|15| Lawrence Summers, à l’occasion de l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI à Bangkok en 1991, interview avec Kirsten Garrett, « Background Briefing », Australian Broadcasting Company, second programme.

|16| La loi adoptée sous la conduite de Robert Rubin et de Lawrence Summers est connue comme la loi Gramm-Leach-Bliley Act Financial Services Modernization Act de 1999. Cette loi américaine a été adoptée par le Congrès, dominé par une majorité républicaine, et promulguée par l’administration Clinton le 12 novembre 1999. Elle permet aux banques d’affaire et aux banques de dépôts de fusionner en mettant en place des services de banques universelles qui assurent aussi bien les services d’une banque de dépôt que d’une banque d’investissement et que d’une compagnie d’assurance. Le vote de cette loi a été l’objet d’un intense lobbying des banques pour permettre la fusion de Citibank avec la compagnie d’assurances Travelers Group, afin de former le conglomérat Citigroup, l’un des plus importants groupes de services financiers au monde. L’adoption de la nouvelle législation revenait à abroger la loi Glass Steagall Act, ou Banking Act, en place depuis 1933, qui a notamment déclaré incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement et qui a permis d’éviter de grandes crises bancaires aux États-Unis jusqu’à celle de 2007-2008.

|17| Financial Times, 26-27 février 2005.

|18| La polémique a été également alimentée par la désapprobation de l’attaque lancée par Summers contre Cornel West, un universitaire noir et progressiste, professeur de Religion et d’études afro-américaines à l’université de Princeton. Summers, prosioniste notoire, dénonça West comme antisémite parce que celui-ci soutenait l’action des étudiants qui exigeaient un boycott d’Israël tant que son gouvernement ne respecterait pas les droits des Palestiniens. Voir Financial Times du 26-27 février 2005. Cornel West, qui a soutenu Obama avec enthousiasme, s’est étonné que celui-ci veuille s’entourer de Summers et de Rubin. Voir www.democracynow.org/2008/11…

|19| Sachs a publié en 2005 un livre intitulé La fin de la pauvreté (The End of Poverty : How We Can Make it Happen in Our Lifetime) qui a été très bien accueilli par l’establishment. En 2007-2008 le CADTM a participé à la réalisation et à la diffusion du film documentaire La fin de la pauvreté ? qui constitue la démonstration opposée à celle de Sachs. Ce film du cinéaste Philippe Diaz a été sélectionné au festival de Cannes en 2008 par la semaine de la Critique (il contient des interviews de Joseph Stiglitz, Susan George, Amartya Sen, Éric Toussaint, John Perkins). Sachs a publié un nouveau livre mainstream en 2015 sur le développement durable. Voici un exemple de commentaire promotionnel qu’on peut trouver dans la presse : « Conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, l’économiste Jeffrey Sachs compte parmi les personnalités les plus influentes en matière de développement durable. Inspirateur des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui ont couru de 2000 à 2015, Sachs sait briller et être entendu dans tous les milieux. »

|20| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 5, p. 132.

|21| Y. Varoufakis, op.cit., chapitre 15, p. 398

|22| Adéa Guillot et Cécile Ducourtieux du quotidien Le Monde écrivaient à propos de Sagias « Longtemps proche du PASOK, il a participé à de nombreuses négociations de contrats publics et conseille régulièrement des investisseurs étrangers souhaitant s’implanter en Grèce. »

|23| Je reviendrai plus loin sur le rôle joué par Varoufakis lui-même dans la poursuite de la privatisation du port du Pirée et sur ses relations avec Cosco.

|24| Voir le site officiel de la firme de Sagias.

http://www.cadtm.org/Varoufakis-s-est-entoure-de

Le poids de la dette sur les économies mondiales

Samedi 25 novembre denier, dans le cadre du Festival des Solidarités, s’est tenu au «Carreau de Cergy» un colloque sur le thème « Démocratie Dette et Développement ».

Ce colloque  organisé par la Ville de Cergy en partenariat avec les associations ADERPI, ATTAC, CCFD-TERRE SOLIDAIRE, SOLIDARITE PLURIELLE, a proposé plusieurs  débats  dont celui  d’ Eric Toussaint « Le poids de la dette » sur les économies mondiales  :  https://www.youtube.com/watch?v=0mROIfFZOs4&t=370s

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