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Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme

Coronavirus et faillite globale du néolibéralisme Par Gérard Collet Attac 38

Dures épreuves pour le nouveau monde d’Emmanuel Macron. Dures épreuves pour le monde auquel il prétend adapter notre peuple. La « marche » réformiste se transforme en parcours d’obstacles.

Gilets jaunes, grèves pour la défense des retraites, migrations aux frontières de l’Europe, mouvements hospitaliers, et pour finir, coronavirus.
L’actualité de ce milieu de quinquennat a en effet été fort riche d’événements apparemment disparates, fortuits, d’importance variable, qu’ils soient sociaux, géopolitiques ou naturels…
Et pourtant, à y regarder de près, tout cela dessine un ensemble cohérent où se retrouvent les grandes impasses civilisationnelles, les impasses du « paradigme néolibéral »
pour employer un « élément de langage » à la mode.

Chacun de ces événements a été immédiatement commenté et si possible mis à profit par les sphères de pouvoir assistées des média « mainstream »i, les plus fortuits servant évidemment à masquer les plus politiques. Cela n’a échappé à personne, mais avec la complicité – volontaire ou pas – des media, la manœuvre a tout de même en partie réussi, et a imprégné les analyses et les opinions.
Tous ces éléments convergent en effet sur deux points essentiels.
En premier lieu, ils démontrent tous l’ineptie des concepts apparemment rationnels de la construction concurrentielle et managériale chère au néolibéralisme.
Ensuite, il apparaît de plus en plus que derrière chacun de ces phénomènes, leurs interprétations, et les polémiques auxquelles ils donnent lieu, se dissimule une vision philosophique, voire anthropologique du monde.

Un monde réticent aux dogmes libéraux

L’affaire du coronavirus qui chamboule l’actualité et inquiète à juste titre les autorités comme les individus ne paraît pas à première vue de nature politique. Elle fournit pourtant des illustrations spectaculaires des catastrophes que préparent avec obstination des dirigeants politiques qui mettent leurs obsessions technocratiques au service des conceptions néolibérales et de leur mise en œuvreii.
Mais cette affaire n’est pas la seule, et l’ensemble des événements du monde réel semblent se donner le mot pour démontrer la faillite du capitalisme libéralisé et financiarisé. Ces impératifs qui se traduisent dans nos sociétés par des politiques de management et de rationalisation qui écrasent tout sur leur passage.

Ces événements démontrent en effet à quel point ce qui semble émaner d’une logique indiscutable fait en réalité l’impasse sur les réalités d’un monde humain, soumis à des aléas incontournables. Accidents météorologiques, catastrophes industrielles, mouvements sociaux, migrations, sont de ceux que les meilleurs cerveaux assistés des meilleurs « algorithmes » ne peuvent comptabiliser. L’épidémie de Covid-19 venant évidemment mettre un point d’orgue en ce début d’année.
Issus des cogitations de théoriciens forcenés qui guident les dirigeants politiques en place
iii, ces concepts font en effet l’impasse totale sur les dimensions sociales et humaines, ainsi que sur les aléas naturels et les limites du monde physique. Dans leur échafaudage politique et économique, à l’image de l’Homo œconomicus l’homme est prévisible, calculable, il est un « consommateur » conscient, agissant en fonction de son intérêt bien compris. Dans ce monde là, il n’y a pas de mouvements sociaux spontanés et durables, pas d’éruptions volcaniques, pas de tsunamis, pas de tremblements de terre. Il n’y a pas de limite à l’exploitation de la nature… ni des hommes. Il n’y a pas de révolutions… et il n’y a pas non plus d’épidémies incontrôlables.
Rien de tout cela ne doit exister, car cela défie les organigrammes prévisionnels, car les invraisemblables montages financiers qui valorisent le capital ne le supporteraient pas.

Pour que les modèles que les pouvoirs mondiaux tentent d’imposer partout puissent fonctionner, il faut qu’aucune paille ne s’y glisse. Le profit et la finance flux tendu ne le supportent pas. A moins qu’après avoir remplacé avantageusement les travailleurs par des robots, l’on finisse par robotiser également les consommateurs et les électeurs. Laurent Alexandre proposera sans doute prochainement une tribune en ce sens.

On comprend aisément qu’avouer cette faille congénitale remettrait tout en cause.

Il faudrait pourtant bien qu’un jour pas trop lointain des dirigeants lucides l’admettent… mais ce ne sera pas Emmanuel Macron, bien trop occupé à faire survivre encore ce système.

Bien sûr, dans sa dernière intervention, le président a pensé nécessaire d’intervenir auprès de la nation pour mobiliser l’attention de manière solennelle sur la « crise sanitaire majeure qui s’annonce », et donner les grandes lignes de la stratégie qui allait être suivie. Il semble indéniable qu’Emmanuel Macron a saisi l’importance de l’événement en cours, et que son discours a reconnu la hauteur des enjeux.
Il est cependant plus qu’évident qu’il saisissait là une occasion rêvée de se replacer au centre de l’arène en se donnant le beau rôle. Et pas moins évident que le Covid-19 lui a fourni l’opportunité d’appeler à la cohésion et à l’union sacrée, en l’occurrence derrière lui, en posture de sauveur responsable et lucide. Sans surprise, la sauvegarde exige maintenant selon lui que « nous suivions tous le même chemin ».
Il est tout de même permis de douter de sa découverte soudaine des « failles de notre modèle de développement » alors même que toute son action, depuis son arrivée aux affaires a précisément consisté à accélérer l’adhésion à ce modèle en manœuvrant tous les leviers à sa disposition. Alors que sa récente utilisation du 49.3 ne révèle guère la passion d’un « chemin commun » iv.
Enfin, est-il possible, est-il crédible que cet homme dont l’intelligence nous a été tant louée ait mis tant de temps à réaliser le danger, l’ineptie du « modèle de développement » qu’il a servi fidèlement jusqu’ici v? A-t-il donc fallu à Jupiter cette épreuve pour découvrir qu’il « y a des biens non marchands » ? Mais que n’élargit-il ses lectures !

La tentation est alors forte de ne voir dans ce discours qu’une triviale posture opportuniste espérant couper l’herbe sous les pieds des opposants politiquesvi. Et dans ce cas, le président, une fois de plus n’aura fait que brouiller les pistes et retarder la mise en œuvre de vrais changements de cap.

Car hélas, comment abandonnerait-il ces théories de rationalisation, d’optimisation, de « libération des énergies » – étayées par des modèles mathématiques et leurs traductions en algorithmes – qui pilotent les grands choix politiques agissant sur nos viesvii, comment renoncerait-il aux fameuses « réformes » pour lesquelles les donneurs d’ordres l’ont placé là, lui et son équipe « En Marche » 

Á suivre l’actualité du Monde, on est donc stupéfaits de la duplicité des acteurs politiques, de ceux qui les interviewent, ainsi que des analystes « orthodoxes ». Car chaque nouvelle qui nous parvient met en évidence de manière criante la faillite des concepts défendus et des réformes exigées. Et chaque événement fournit une démonstration du grand-écart auquel se livrent les gouvernants pour dissimuler encore cette débâcle, des prouesses d’hypocrisie et de contradictions qu’ils doivent réaliserviii.

Voyons ça.

Des prouesses de duplicité

Ne perdons donc pas de vue les antiennes inlassablement répétées par les classes dirigeantes, du MEDEF aux économistes aux ordres et aux politiques qui les servent. Ils nous ressassent sans fin les risques de l’endettement public, les déséquilibres des comptes de la sécurité sociale, la faillite des hôpitaux endettés, les méfaits de l’impôt, le handicap des lois sociales et des charges afférentes. Ils ne manquent pas une occasion de rappeler les dangers de « l’assistanat » et de « l’État providence ». Et d’un bord à l’autre de l’échiquier, ils n’attendent le salut éventuel que d’une renaissance de la croissance. Ils n’ont sur les lèvres que les mots de compétitivité, de coûts de production, qui pilotent organisations économiques et choix politiques.
La logique de leur credo les a conduits à parier sur la désindustrialisation de nos pays, à la « délocalisation » de toutes les activités fussent-elles stratégiques, et mène tambour battant les divisions du macronisme à avaliser la vente des aéroports, des barrages, bientôt de la SNCF, d’EDF… et à préparer en sous-main un glissement des retraites vers la capitalisation…

Or qu’entend-on sans relâche, que lit-on partout, que répètent jusqu’à la nausée nos dirigeants ?

Eh bien, culbutant soudain sans la moindre honte leurs rengaines libérales et leur volonté de réduire les dépenses de l’État, ils s’acharnent à chaque actualité imprévue à affirmer que c’est l’État qui répondra présent, et fournira les solutionsix.

Et il saute aux yeux les moins avertis qu’en effet, qu’il s’agisse d’accident industriel, de catastrophe naturelle, de crise financière ou de fermeture d’usine retentissante, ce n’est pas l’entreprise, ce n’est pas la sphère financière qui apportera la réponse, fussent-elles directement responsables des dégâts. Car ce n’est pas leur rôle, ce n’est pas la logique qui les anime. Car cela n’entre pas dans leurs bilans, pas dans leurs attributions. Plus fondamentalement, parce que le modèle entrepreneurial, le modèle capitaliste du fonctionnement des entreprises, des montages financiers qui les téléguident et de leurs exigences de profit ne porte que sur leur propre sphère d’influence. Les conglomérats multinationaux (ou pas) ne s’intéressent en rien aux « effets de bord » de leurs activitésx, qu’il s’agisse de naufrages de pétroliers, d’explosions d’usines chimiques ou de bulles financièresxi.

Ne comptons pas non plus sur ce modèle du monde pour tenir compte des effets de bord dévastateurs de ses activités dans les questions environnementales ou climatiques ; le réchauffement pas plus que les effets du glyphosate, du tabac, des sacs plastiques ou de l’amiante n’entrent dans les schémas de ses glorieux PDG, de ses conseils d’administration ni ne répondent aux attentes de ses actionnaires. Interpellés, tous répondront invariablement : « non coupable », « pas les seuls », voire : « Qu’ils viennent me chercher ! » Car ce modèle ne possède aucune théorie des bien communs, aucune théorie du maintien des conditions de vie sur notre Terrexii, pas le moindre « indicateur » du bien être social, aucune conception de la santé publiquexiii. Tout au plus tente-t-il hypocritement de faire rentrer au chausse-pied dans son modèle marchand la problématique de libération du carbone dans l’atmosphère, feignant de ne pas connaître les effets financiers pervers inévitables du « marché du carbone ».

Tout se passe donc comme si chaque interpellation du politique par les aléas du monde rappelait le rôle irremplaçable de l’état, seul représentant valide de l’intérêt collectif, seul susceptible de le prendre en comptexiv. Alors que dans le même temps, appliquant imperturbablement les croyances de ses dirigeants, ce même état s’évertue à se priver de tous les moyens d’action, à vendre à l’encan les biens publics fussent-ils d’importance stratégique, à rogner ses propres ressources en baissant l’impôt et en tolérant l’évasion fiscale, à dénoncer le coût des services qui sont précisément ceux qui lui permettent de faire face à l’adversitéxv. Et à renoncer progressivement à tous les leviers qui le lui permettent réellement.

Modèle « entrepreneurial »

Or si l’État peut être pénétré par des logiques privéesxvi, l’entreprise ne l’est jamais par celle du bien commun.

Il convient de dénoncer l’obstination des néolibéraux à accréditer l’idée de l’omnipotence du « modèle entrepreneurial », sensé être le plus « efficient », et à faire admettre qu’il est à même de traiter, à moindre coût et beaucoup mieux que les pouvoirs publics, un nombre croissant de tâches. De l’hôpital à l’université, puis subrepticement à l’enseignementxvii et à la recherche, ce modèle fait inexorablement tâche d’huile… jusqu’à légitimer l’idée qu’un promoteur immobilier sachant gérer une chaîne de télé-réalité est le mieux placé pour présider aux destinées d’un grand état.

La crise en cours porte à relativiser le verbe « gérer », fétiche des lauréats d’écoles de management.

Certes, pour ce qui est de la France, Macron et sa REM ne sont pas les inventeurs de cette dérive aveugle. On sait qu’elle est à l’œuvre depuis la fin des 30 glorieuses, depuis M. Reagan et Mme Thatcher, et qu’elle est congénitale à la fondation de l’UE qui intégrait dès l’origine tous les impératifs d’un capitalisme libéral affamé d’expansionxviii.

Cependant, il est évident que la Macronie accélère singulièrement le rythme ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a été propulsée aux commandes. La logique interne aux credo néolibéraux s’enivre de sa propre course comme un cheval fou que personne ne retient. Cette mécanique implacable l’entraîne sans possibilité de retour, exigeant sans cesse davantage de croissance, de productivité, d’ouverture des marchés, davantage de privatisationsxix, de réduction de dépenses publiquesxx, de recul des droits sociaux…

Un imaginaire collectif délétère

Et pendant toute cette période, conscients de l’importance de « l’hégémonie culturelle » chère à Gramsci, les chantres du néolibéralisme ont travaillé sans relâche à imprégner l’imaginaire collectif de concepts ad-hoc, décrits par les euphémismes de la novlangue.
N’allons pas jusqu’aux mots fétiches de la start-up nation, qui font encore sourire et s’expriment uniquement en globish ; tenons-nous en au discours devenu commun, celui des chaînes d’information, des organes de presse, celui qui a pénétré toutes les sphères professionnelles et s’impose dans les dialogues et formate les pensées.

Assistanat, austérité, charges sociales, compétitivité, compétence, cohésion sociale, concurrence, déficit structurel, dette publique, excellence, paix économique, flexibilité, fraude sociale, intérim, privatisation, rationalisation, rentabilité, partenaires sociaux, crispation, handicap salarial..xxi. Liste à laquelle s’ajoute évidemment la plus belle trouvaille du président : Premier de Cordée.

Tous ces « éléments de langage », introduits à dessein par les classes dominantes, ont un dénominateur commun : lorsqu’ils décrivent les objectifs de ces classes, ils possèdent une jolie sonorité et une connotation positive ; mais ils prennent soudain un son sinistre, louche et rétrograde s’ils parlent de leurs opposants. La compétitivité, par le biais des si belles « compétitions » – et l’on pense inévitablement à une coupe du monde de foot – , est brillante, glorieuse, dynamique, jeune et nécessairement victorieuse. Les « charges sociales », en revanche, évoquent des employeurs pliant sous le poids des revendications de leurs salariés, elles sont imposées aveuglément par un état prêt à « assister » une horde de fainéants. Il faut avant tout éviter de rappeler qu’elles fondent la protection contre l’adversité, principal progrès pour les humbles et même les moins humbles, nécessité individuelle autant que collectivexxii.

Il s’agit là d’une évidence de fait, mais le but de la manœuvre est d’accréditer ces concepts, d’en faire les seuls outils pour décrire le monde.

Le cas de la « Dette publique » est emblématique de cette manipulation des mots et des concepts. Alors que l’interprétation de cette aspect des comptes publics a donné lieu à des dizaines d’ouvrages et d’articles contradictoires, dont certains pointent son caractère inhérent au capitalisme financiarisé et non au laxisme de l’étatxxiii, la métaphore régulièrement assénée au public se limite à celle du mauvais père de famille endetté, dispendieux et joueur qu’il faut sévèrement ramener à la raisonxxiv.

Pour parfaire cette mystification symbolique, durant toute cette période, les chantres de l’économie de marché se sont efforcés de faire croire à la mainmise idéologique de « cryptomarxistes » victimisant de malheureux libéraux étouffés par la pensée collectiviste, tandis que c’était bel et bien l’inverse qui se produisait comme on le constate aujourd’hui.

Chronique d’une faillite annoncéexxv

Or voilà que l’actualité, dès qu’elle n’est plus à la main du « Maître des horloges », s’ingénie à prendre à revers les concepts majeurs de ce système, contraignant ses hérauts à des acrobaties risibles, dérisoires et délétères. Car personne n’en est dupe, de l’analyste chevronné à l’auditeur ingénu. D’où la méfiance sans cesse accrue dans le récit des Élites.

C’est donc à une pathétique faillite que nous fait assister notre président, celui que ses promoteurs, ses agents publicitaires nous ont vendu sous le label Jupiter en vantant les multiples facettes de son intelligence, de son omniscience, de sa capacité à « révolutionner » le monde en douceur, en balayant les structures surannées dont s’encombraient les « conservateurs ». Et dans cette faillite le suivent et l’assistent ses ministres et l’armée de ses élus de fraîche date.

Une faillite dans les faits

On assiste successivement, dans ce contexte économique et politique, à une série impressionnante de crises qui semblent programmées d’avance, et devraient amener à « renverser la table ». Ce que les élites promettent à chaque fois la main sur le cœur.

Pas moins d’une vingtaine de crises de type monétaire ou financier sont répertoriées depuis les années 80, dont un bon nombre portent le joli qualificatif de « systémique ». Très récemment : Explosion de la « Bulle spéculative des valeurs technologiques » culminant en 2000 ; crise des Subprimes de l’été 2007, immédiatement suivie de la crise bancaire et financière de la fin de l’été 2008, crise grecque amorcée en 2009…
Et puis il y a les crises sociales majeures (Gilets Jaunes, retraites).

Et puis il y a l’incapacité congénitale à faire face au défi climatique, emblématisée par la démission de Nicolas Hulot lui même… La fragilisation du pays par les délocalisations, par la facilitation d’une finance débridée, par la frénésie d’accords de libre échange, la dilapidation des grandes entreprises qui ont contribué à bâtir la France…

En forçant l’Hôpital public à singer le modèle « entrepreneurial », les dogmes libéraux ont conduit à sa précarisation, dénoncée par les personnels depuis des mois, sans effet notable. A Grenoble, en pleine crise sanitaire, le Groupement Hospitalier Mutualiste est en passe d’être vendu comme un vulgaire commerce, pour passer de mains en mains selon des modalités financières incompréhensiblesxxvi. Dans le même temps, le célèbre « numerus clausus » a progressivement réduit de nombreux secteurs de la médecine libérale à la portion congrue, ce que chacun constate. Au point que les conseils actuels « n’encombrez pas le 15, appelez votre médecin personnel » passent pour une fort mauvaise plaisanterie. La recherche, enfin, elle aussi en sous-effectif, sous payée et précarisée est une impasse de plus, dont les conséquences présentes et futures sont évidentes.

Là encore, l’épidémie actuelle agit comme un révélateur montrant à quel point les « réformes » libérales sont prises à revers par les réalités.

Ajoutons que tous les secteurs – même « régaliens » – sont menacés du même traitement, en danger de développer les mêmes syndromes même si cela n’apparaît pas tout de suite. Ainsi l’enseignement secondaire – après l’Université – est-il enjoint de copier peu ou prou le modèle d’entreprise, un proviseur et une principal de collège devenant gestionnaire de son « entreprise », tout étant fait pour qu’à terme il recrute « son » personnel, le juge lui même et devienne administrateur financier.

Une faillite idéologique

Ces faillites de fait dénoncent sur le fond une déroute idéologique qui est parfaitement ressentie dans les opinions publiques.
En France même, voilà qu’avec obstination, avec violence, avec dissimulation et rhétorique perverse, un chef si peu charismatique et ses lieutenants disciplinés nous démontrent jour après jour l’imposture de leurs credo, l’impasse de leurs analyses économiques et technoscientifiques, l’aveuglement de leurs schémas sociologiques, l’aventurisme de leurs méthodes politiques, la faiblesse insigne de leur vision historique prétentieuse. Et en prime la petitesse de leur rigueur morale.

Par quelque bout en effet qu’on prenne les actes qui se sont succédés depuis le début de ce néfaste quinquennat, chaque événement imprévu, chaque réaction politique du pouvoir, chaque analyse proposée par la presse vendue à ses amis est une démonstration par l’absurde. Tout dénonce les fausses pistes, les mensonges, les arguties et les inextricables contradictions des bases idéologiques et intellectuelles, de l’absurdité des modèles.

Bien entendu LREM, cette nouvelle variété d’exécutants des basses œuvres des classes possédantes ne poursuit pas des buts très différents de ses prédécesseursxxvii ; mais elle s’y attelle sans sourciller, avec plus de détermination et de dogmatisme technocratique, plus de rage et davantage de « pédagogie » perversexxviii. Et malheureusement pour nous, la conception même du politique dont Macron est le prototype les rend pires en les délivrant de responsabilités durables. Il est jeune – l’a-t-on assez répété – , issu de la « société civile » – sans passé politique, rompu déjà au mécanisme des portes tournantes qui mêle affaires publiques et affaires privées. Le président sera donc loin déjà, retourné à ses affaires bancaires, lorsqu’il s’agira d’assumer enfin les catastrophes de tous types dont sa volonté « révolutionnaire » – contre la partie du peuple qui veut bien s’intéresser aux affaires publiques – sème les germes. Il n’aura cessé de prétendre « assumer » lorsque c’était sans risque, mais se sera défaussé du futur.

Or ce que le macronisme nous donne à voir de manière intelligible, ce sont bien les apories d’un système civilisationnel à bout de souffle, et les arguties des acteurs chargés de le maintenir encore sous perfusion pour le plus grand profit de classes possédantes qui, soyons-en certains, préparent leur sortie à l’image d’Elon Musk prônant un départ vers Mars une fois les beautés de la planète Terre ravagées.

Au plan idéologique, et bien que ce choix ne soit jamais assumé, il est lumineux que le credo qui anime ces gens est celui d’un libéralisme débridé, dépasséxxix, mortifère. Au soubassement de ce credo, les impératifs du capitalisme, certes, mais aussi l’oubli des leçons qui ont montré la nécessité de le réguler de le contraindre, de l’encadrer sévèrementxxx. Les concepts qui les guident nous sont assénés jour après jour, parfois explicitement, mais plus souvent comme des vérités implicites et indiscutables, à telle enseigne qu’ils finissent par imprégner le langage et modeler la pensée. Les accepter comme principes est déjà une défaite, ils sont le langage des maîtres. Ils assènent que Le Marché est autorégulateur, et que la seule condition à cette magique vertu est la concurrence libre et non faussée. Ils introduisent subrepticement l’idée que ce qui se déroule dans ce Marché mondialisé aurait quelque-chose à voir avec le gentil marché qui se tient sur la place voisine où l’on peut regarder les tomates de Jean puis celles de Bachir, et choisir en notre âme et conscience le meilleur « rapport qualité / prix »31. Ils distillent de manière ininterrompue le venin d’une version primaire et tendancieuse de la théorie de l’évolution version socio-darwinisme mal digérée. Il pensent ainsi prouver que tout ce qui disparaît – emploi, région industrielle, ville sinistrée par la « crise », langues, cultures, ne serait que le résultat d’une loi naturelle condamnant sans appel ce qui est « inefficace », mais jamais le résultat d’une volonté de profit des possédants, jamais le résultat d’une stratégie politique.

Une faillite intellectuelle

Cette faillite idéologique qu’il leur faut dissimuler le plus longtemps possible, engendre alors une faillite intellectuelle dans laquelle tout ce qu’ils qualifient d’Élite accepte de servir ce cadre condamné. L’on voit alors des représentants d’une classe politique, des intellectuels, des scientifiques, des hommes de presse, de grands dirigeants, des « Élites », une part de ce que le pays compte de prétendus premiers de cordée, au fond, mettre son intelligence, son savoir, son aura au service de la défense de cette idéologie à bout de souffle, dangereuse comme un fauve blessé.

On se perd évidemment en conjectures quant aux raisons qui poussent la grande majorité des éditorialistes à tant de mansuétude. Mais l’élan politique qui suivit le succès imprévu de M. Macron attira aussi nombre d’intellectuels notables, qui apportèrent de facto leur caution à ses choix. Et le président, auréolé de son passage auprès de Paul Ricoeur, ne manqua pas de jouer aussi cette carte là. Il tenta donc de se montrer auprès d’aréopages de « savants », ceux-ci acceptant de rehausser son prestige et vice-versa. Ainsi reçut-il les intellectuels signataires du « Manifeste des patriotes européens ». L’occasion pour le chef de l’État de se mettre à nouveau en scène en héraut du Vieux Continent. (Le Monde, 20 mai 2019).
Ainsi
65 sommités acceptèrent-elles son invitation en vue d’un « échange sur la vie politique et sociale », ce qui selon Mediapart marqua un nouveau temps fort hélas de l’agonie du champ intellectuel …(blogs Mediapart, 18 mars 2019).
Cette rencontre, qui se situait dans le cadre du « Grand débat » suivant la crise des Gilets Jaunes, fut une occasion pour le Président de s
e parer d’une auréole académique. Or si beaucoup de nominés refusèrent l’invitation (Thomas Piketty, Sophie Agacinski…), et si Frédéric Lordon a expliqué haut et fort sa défection, une bonne soixantaine acceptèrent sans sourciller d’apporter leur caution à ce renvoi d’ascenseur pour le moins ambigu.

Une faillite morale

Alors les mensonges, dissimulations, retournements de vérité, exigés par le maintien au pouvoir et par les exigences des donneurs d’ordres accentuent le discrédit croissant qui pèse sur la classe politique, les média aux ordres imprégnés de cette hégémonie culturelle. Tous le savent, mais leur seule parade est dans le mensonge, l’hypocrisie, la dissimulation. Ils savent que l’on sait qu’ils mentent, mais le jeu de dupes se poursuit.

Et dans l’ombre de cette vision du monde se tapit celle de l’existence de deux variétés d’humains : ceux qui ont du talent, les élus de cette sélection des plus aptes pour le plus grand bien de l’humanité future, et ceux qui ne peuvent que se soumettre.

Les élus agissent bien entendu pour le plus grand bien de tous, mais si les choses tournaient mal, il n’y aurait pas de place pour tous, dans l’Exodus de Musk en partance vers Mars.

M. Macron a trouvé pour dissimuler cette conception le joli mot de « premiers de cordée », prouvant par là même qu’il n’a jamais réfléchi à ce que pouvait bien être une cordée, son éthique, sa méthode, sa constitution. Mais cette « philosophie » erronée et faussement naturelle fait fi de notions aussi centrales que la coopération, les symbioses,les synergies qui sont la vraie force des hommes.

Conclusions

Le coronavirus, une leçon ? Une leçon pour qui ?

Alors qu’il conviendrait, pour faire face aux défis qui s’annoncent, de penser l’avenir en termes de « résilience », le monde que construit le néolibéralisme ne sait qu’empiler des constructions de plus en plus fragiles, où la sphère financière tient un rôle central et sans cesse plus prégnant alors même que cet édifice est celui qui supporte le plus mal les incertitudes et les accidents de parcours.

La « science » elle-même, sur laquelle le Président compte soudain pour chasser le virus – tout en précarisant le recherche – , ne doit pas être parée de toutes les vertus. M. Macron ne devrait pas ignorer aussi que, pilotée par les mêmes choix économiques, elle porte elle-même une part importante de responsabilité dans les impasses du « modèle de développement » dont il doute maintenant.
La science n’est pas porteuse en elle-même d’un monde plus équilibré ;
elle doit procéder d’une vision humaniste et non servir les intérêts d’une idéologie productiviste.
Notre travail, notre énergie, notre intelligence, nos savoirs, notre intelligence peuvent-ils encore être mis au service de la production de gadgets périssables, inutiles, polluants, véhiculés sur des milliers de milles nautiques et emballés dans des tonnes de cartons et de plastiques ?
Ou bien doivent-ils plutôt œuvrer à la construction d’une société résiliente assurant l’essentiel ?

On peut comprendre qu’aucun politique prétendant aux manettes, élaborant un « programme de gouvernement » ne puisse d’emblée proposer de renverser la tablexxxi. On peut comprendre qu’aucun ne dispose d’une théorie « prêt-à-porter » susceptible de mettre fin à 40 années d’offensives financières, organisationnelles, idéologiques et culturelles.

En revanche, il serait de la responsabilité de dirigeants politiques lucides d’amorcer ce virage. Il est spectaculaire qu’aucun leader au monde n’ose dire que la croissance est le nœud de ce problème. N’ose faire avancer l’idée qu’il nous faut imaginer un monde sans croissance, ou plutôt les modalités d’une croissance différentiée permettant à certaines régions du monde les bases matérielles d’un progrès humain, tout en freinant celle des régions les plus dispendieuses. La question n’étant évidemment pas uniquement régionale, mais bien sociologique. Au lieu de quoi l’on voit sans cesse accréditer la nécessité incontournable de cette croissance, sans bien discerner à qui elle profite et pour qui elle serait nécessaire, en masquant le fait que la plus grande partie des gens n’en verra pas l’effet, mais que le capitalisme en percevra les dividendes.

Et l’on nous ment alors effrontément, nous abreuvant d’inepties soi disant favorables au climat. Efficacité énergétique, ampoules basse consommation, isolation pour 1 euro… alors que dans l’optique non négociable du changement climatique, la question n’est pas de l’efficacité des ampoules, mais in fine de la consommation globale d’énergie. Or lorsqu’on parle de réduire notre consommation assume-t-on une baisse d’activité de Total, d’EDF, d’Engie, des aéroports de Paris et autres fleurons ? Alors même qu’il n’est question que de les privatiser, ce qui suppose évidemment de faire briller leurs possibilités de croissance…

Et de ce point de vue, force est de reconnaître que le macronisme, s’il n’est pas l’inventeur du « système », marque tout de même une étape « décomplexée », un parachèvement pour lequel les commanditaires ont placé là leur homme-lige.

i Ainsi le Coronavirus a-t-il spectaculairement éclipsé le passage en force de la loi sur les retraites : voir « Coronavirus et 49.3 : Édouard Philippe déroule sur TF1 ». https://www.acrimed.org/Coronavirus-et-49-3-Edouard-Philippe-deroule-sur
ii « Partout l’épidémie va rencontrer des exigences sanitaires et des systèmes de santé déjà largement mis sous tension par les politiques de réduction des dépenses dans les services publics » (J.L. Mélenchon, 10/03/2020). Pour ce qui est des causes du coronavirus, on voit clairement le lien avec la rapidité des transports, l’abolition des distances, les échanges permanents de biens, tandis que les conséquences sont aggravées par les dépendances stratégiques (pénurie de médicaments, de masques…), fragilités financières, engendrées par les « avantages concurrentiels »…
iii A l’exemple de Friedrich Hayek, inspirateur de Margaret Thatcher. Quand ils n’oeuvrent pas à les mettre en place.
iv Il était caricatural d’entendre M. Macron conclure par le superbe aphorisme : On se sauve en disant « nous », pas en disant « Je », après un discours dont chaque phrase s’enflait d’un prétentieux « Je veux… »…
Caricatural et révoltant de l’entendre en appeler à la responsabilité des personnels médicaux et de louer leur rôle essentiel en feignant d’oublier les luttes que mènent depuis des mois ces personnels en étant si peu écoutés.
v Les « Élites » tireront-elles leçon de ce coup de semonce ? On peut douter qu’elles veuillent reconsidérer le seul « modèle » qu’elles révèrent ; d’ores et Déjà le Japon fait connaître qu’il n’est pas question de différer ses J.O.
vi DERNIERE SECONDE : « Ce matin, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France, a été arrêtée avec plusieurs autres participant·e·s de l’action « démasquons Macron ». Elle a été placée en garde à vue au commissariat du 5e arrondissement de Paris. Décidément, M. Macron a décidé de prendre au sérieux les affaires climatiques.
vii Ce sont eux aussi qui poussent à l’extension des mégalopoles, des aéroports, des installations portuaires, du tourisme de masse…
viii Et voici ce jour mémorable où l’on fait face « quel que soit le coût », et où M. Macron nous révèle sa découverte tardive de la beauté de l’ « État Providence », jusqu’ici père de tous les vices…
ix « Faire face quel que soit le coût », ne signifie-t-il pas , au-delà des formules, avoir la volonté de remettre en cause le partage des fruits du travail ?
x Il ne s’agit pas là évidemment d’un jugement moral. PDG, administrateurs, actionnaires ne sont pas forcément plus « méchants » que la moyenne des hommes. Mais leur fonction consiste à valoriser le capital de l’entreprise, à doper sa valeur boursière. Il n’est pas de promouvoir l’humanisme.
xi Tout au plus dans les meilleurs des cas certaines victimes parviennent-elles à obtenir un dédommagement symbolique au bout de décennies de procédures.
xii Sauf à déclarer que ces biens communs ne devraient pas exister, comme le fit avec une insolence insupportable le président de Nestlé au sujet de la gestion de l’eau dans le film « We feed the world ».
xiii Pas même celle qu’avaient les grands « Maîtres de forges » du XIX° siècle, préoccupés de la capacité de production de leurs ouvriers. Mais c’était aux balbutiements du grand capitalisme, avant le néolibéralisme et la mondialisation, avant l’invention de la flexibilité et des livreurs Uber.
xiv Quelles que soient les critiques que l’on peut faire du mode de représentativité « démocratique », les instances politiques sont bien le seul lieu où règne une part de démocratie ; il n’en existe aucune trace dans l’entreprise.
xv A l’exception notable des forces de maintien de l’ordre. Et encore ces fonctionnaires n’ont-ils perçu leurs heures supplémentaires que grâce aux Gilets-Jaunes. Sans pour autant les en remercier.
xvi Via en particulier les lobbyings et le système des « portes tournantes ».
xvii La privatisation de l’enseignement est à l’ordre du jour au sein des instances mondiales, comme en témoignent les travaux de l’IIEP (UNESCO). Voir : http://www.iiep.unesco.org/fr/limpact-de-la-privatisation-ou-linvestissement-public-dans-le-systeme-educatif-sur-les-resultats et http://veille-eip.org/fr/content/privatisation-de-leducation-quelques-elements-de-comprehension
xviii Ces impératifs et ces credo s’appellent : croyance dans une économie de marché pacificatrice par nature, instauration de la concurrence en principe fondateur, de la libre circulation – des capitaux principalement – , abandon des prérogatives régaliennes des états, avec en tête la maîtrise de la monnaie. Le très célébré Jean Monnet avait posé les bases de ces croyances, et l’on sait qu’en remontant au gouvernement de L. Jospin, on trouve la signature des accords de Lisbonne, pierre importante de l’édifice. Le mouvement est donc amorcé depuis longtemps.
xix Quand soudain… Ce devait être l’année de la privatisation d’ADP, mais ce pourrait être plutôt celle de la reprise en main d’Air France-KLM. (Les Echos , 14 mars 2020)
xx Dans ce discours, il s’agit en fait des dépenses d’intérêt général, car jamais le libéralisme financiarisé ne hurle à la gabegie lorsqu’il s’agit de sauver des banques.
xxi Dictionnaire du Petit Menteur (mon ordi), voir aussi Lexique Acrimed.
xxii Et très tardivement révélée à M. Macron : Vieillesse, maladie et maternité, accident du travail et maladie professionnelle, invalidité et décès, chômage, formation professionnelle…
xxiii Voir : Une dette publique construite, voire illégitime ? https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-4-ete-2014/debats/article/une-dette-publique-construite ; voir aussi : http://www.acontrecourant.org/wp-content/uploads/2014/01/livresdette.pdf
xxiv J’encourage [les entreprises] à se déclarer en activité partielle, déclare Bruno Le Maire. Les coûts sont pris à notre charge, l’État et l’Unedic. Quel que soit le coût, nous répondrons présents. 
xxv Le #Coronavirus dissout le néolibéralisme : #Merkel supprime la règle du 0 déficit. #Macron annule le jour de carence et la privatisation d’#ADP. (Twit de J.L. Mélenchon, 11 mars 2020.
xxvi Voir: https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-groupe-hospitalier-mutualiste-va-etre-vendu-1728453.html
xxvii Les principes fondateurs de l’Europe ont gravé des règles de base dictées par les intérêts capitalistes et leurs modèles économiques, conduisant tout droit aux impasses actuelles. A « Gauche » même, l’abdication n’est pas d’hier, qui a fait adhérer aux contingences du libre échangisme, de la financiarisation et du productivisme aveugle.
xxviii Il faut admirer la volonté tenace d’imposer la réforme des retraites, en gazant les manifestants, en ignorant les « corps intermédiaires », en piétinant les débats, au mépris des mobilisations, des sondages, des promesses de référendum, et de l’importance civilisationnelle et quasi philosophique de la question.
xxix Que nombre de spécialistes comparent à celui de Mme Thatcher et de M. Reagan, étayé sur des concepts théoriques depuis largement contestés.
xxx Il n’est pas prouvé que le capitalisme soit réformable, on sait aussi les apports qu’on lui doit en termes de production de richesses, mais tout montre aujourd’hui qu’il ne peut seul diriger le monde vers des lendemains vivables, et qu’il est indispensable de le soumettre aux attentes d’une conception humaine de ce monde.
xxxi Il semble que Bernie Sanders – à rebours des clichés erronés sur les US – soit aujourd’hui seul capable d’amorcer prudemment un mouvement de pensée vital, ressuscitant le collectif, les biens communs, les questions environnementales…

Le coronavirus en Grèce

Quelques articles traduits de versions en anglais :

COVID-19 Ouvre la voie à la détention massive de migrants  
19 mars 2020 Camp de réfugiés de Moria, mars 2020

Depuis son élection sur une plate-forme anti-immigrants, le parti grec au pouvoir, la Nouvelle Démocratie, a publiquement fait pression pour la création de centres de détention fermés pour les migrants qui entrent dans le pays en provenance de Turquie, avec l’intention de les expulser éventuellement vers la Turquie ou leur pays d’origine.
Après des mois d’obstacles, notamment l’opposition des groupes de défense des droits de l’homme, des communautés locales et des gouvernements des îles de la mer Égée à la construction de ces structures fermées, les récentes mesures prises apparemment pour contrôler la propagation de COVID-19 ouvrent la voie à la détention massive de migrants à Lesvos.

Dans les camps de réfugiés de Kara Tepe et de Moria, les autorités ont annoncé que la circulation à l’extérieur du camp sera limitée à 100 personnes par heure, entre 7h et 19h, et qu’un seul individu par famille est autorisé à quitter les camps à la fois. Étant donné que la population totale des camps est de plus de 20 000 personnes, seule une personne sur vingt pourra quitter le camp chaque jour.

Le camp de Kara Tepe, qui accueille depuis quatre ans des familles – dont de nombreuses personnes vulnérables, des enfants et des réfugiés reconnus – a fermé ses portes, et les gardes qui y travaillent appliquent les mesures susmentionnées depuis la nuit dernière. Ceux qui sont autorisés à sortir sont informés qu’ils ne sont autorisés que pour aller au supermarché d’à côté, Lidl, et à la pharmacie. Entre 19 heures et 7 heures du matin, personne n’est autorisé à entrer ou à sortir du camp.

Depuis ce matin, la police a également bloqué les principales routes qui mènent au camp de réfugiés de Moria. Il semble qu’il n’y ait aucun moyen de faire respecter l’ordre ci-dessus, qui est diffusé par un haut-parleur : la police a empêché la plupart des gens de quitter le camp, mais en a laissé d’autres passer. Des bus publics continuent de circuler pour emmener les personnes de Mytilène au camp de Moria, mais le service du camp de Moria vers la ville a été soit supprimé, soit fortement réduit à partir d’aujourd’hui.

À Lesvos, pour ceux qui se trouvent en dehors des camps de réfugiés, les mesures appliquées pour empêcher la propagation de COVID-19 sont les mêmes que celles mises en œuvre dans toute la Grèce : les rassemblements récréatifs en salle impliquant 10 personnes ou plus sont fortement déconseillés, et il est vivement recommandé aux citoyens de rester chez eux pour éviter tout contact avec des personnes extérieures à leur cercle familial immédiat. La circulation des personnes n’a cependant pas été restreinte comme pour les résidents des camps de Moria et de Kara Tepe.

DES PLANS DE PRÉVENTION INADÉQUATS POUR PRÉVENIR OU TRAITER L’ÉPIDÉMIE

En attendant, les plans de traitement d’une éventuelle épidémie de COVID-19 dans les camps sont minimes. Bien que des renforts de police aient été envoyés au camp de Moria ce matin, aucune équipe médicale supplémentaire n’a été amenée. Selon un médecin, depuis le début de cette semaine, les personnels médicaux créent des lignes séparées pour les personnes qui ont de la fièvre et celles qui cherchent d’autres soins médicaux, et donnent simplement l’ancien paracétamol (à bout de bras, mais sans autres mesures de protection) et leur conseillent de retourner dans leurs tentes et de rester isolés pendant deux semaines. Bien entendu, l’isolement est impossible dans les camps de KaraTepe et de Moria, car les individus partagent normalement leur espace de vie avec 5, 10, 20 autres personnes. En outre, le mauvais temps de ces dernières semaines signifie que les personnes vulnérables et malades peuvent être isolées dans des tentes fragiles dans le froid et lors de fortes pluies d’orage – sans aucun endroit sûr, sec ou chaud pour récupérer. L’île de Lesvos ne compte qu’un seul cas confirmé de COVID-19 (qui ne s’est produit dans aucun des deux camps) ; cependant, seuls les cas les plus graves sont envoyés pour être testés, de sorte que le nombre réel pourrait être beaucoup plus élevé.

La majorité des migrants arrivés après le 1er mars, suite à la suspension par le gouvernement grec du droit de demander l’asile, continuent d’être détenus dans des conditions insalubres sans accès à des soins médicaux adéquats. Le manque d’eau courante, l’exiguïté des espaces de vie dans les tentes ou les bus publics, et l’insuffisance – ou l’absence totale – d’installations d’hygiène rendent les mesures de précaution de base impossibles. Cependant, plus de 450 détenus qui étaient auparavant détenus dans le port de Mytiline ont maintenant été transférés dans un camp fermé sur le continent ; demain, il est prévu de transférer 189 autres nouveaux arrivants dans des structures fermées ailleurs en Grèce. Cela démontre que l’État a la capacité de transférer un grand nombre de personnes – et pourrait donc intervenir pour soustraire les plus vulnérables aux risques graves des camps de Moria et de Kara Tepe – mais le facteur décisif reste de savoir si ces relocalisations correspondent au programme politique du gouvernement. À l’heure actuelle, le confinement continue de primer sur les soins.

L’isolement des deux camps semble aujourd’hui être un effort pour maintenir la population migrante à l’écart du reste de la population de l’île. Une épidémie serait impossible à contrôler aujourd’hui, et le système de santé déjà mis à rude épreuve serait incapable de réagir. Il serait fallacieux de suggérer que l’isolement des camps vise à protéger la population migrante, car les résidents ne disposent d’aucune autre mesure pour se protéger, notamment l’accès à l’eau, au savon et la capacité à s’isoler. Au lieu de les protéger, il abandonne ces personnes aux réalités d’une crise sanitaire longtemps négligée qui sera affectée par une pandémie mondiale. Si des mesures rapides ne sont pas prises pour évacuer les personnes les plus vulnérables et préparer la fourniture de soins de santé d’urgence à cette population, la Grèce signe la condamnation à mort de centaines de personnes potentiellement vulnérables vivant dans ces camps.

La Turquie va fermer ses frontières terrestres avec la Grèce et la Bulgarie en raison du coronavirus Par Nick Kampouris – 18 mars 2020

La chaîne publique turque TRT Haber a déclaré mercredi après-midi que les frontières terrestres du pays avec la Grèce et la Bulgarie seront fermées en raison de la pandémie de coronavirus.

Ainsi, les frontières de la Turquie avec l’Union européenne resteront fermées à l’entrée et à la sortie des personnes ; cependant, les échanges commerciaux habituels qui se déroulent entre ces pays ne devraient pas être interrompus.

On ne sait pas encore combien de temps les frontières resteront fermées.

Plus tard dans la journée de mercredi, le ministère de l’intérieur du pays a publié une déclaration confirmant la fermeture des frontières.

Il reste à voir si cela affectera les tensions frontalières à Evros en raison des milliers de migrants qui tentent d’entrer en Grèce depuis fin février

Source https://greece.greekreporter.com/2020/03/18/turkey-to-close-land-borders-with-greece-bulgaria-due-to-coronavirus/

La Grèce interdit les rassemblements de plus de 10 personnes à l’extérieur et à l’intérieur, inflige des amendes aux contrevenants et impose des restrictions supplémentaires

La Grèce interdit les rassemblements de plus de 10 personnes et imposera des amendes administratives à chaque personne dépassant le maximum, a annoncé mercredi après-midi le chef de la protection civile, Nikos Hardalias. Le porte-parole du gouvernement, Stelios Petsas, a précisé que l’interdiction concerne les rassemblements non seulement à l’extérieur mais aussi à l’intérieur. « il ne peut pas y avoir une telle interdiction et 10 à 15 personnes se rassemblent dans une maison », a-t-il déclaré en soulignant que « c’est la promiscuité qu’il faut éviter pour contenir la propagation du virus ».

Dans le même temps, le chef de la protection civile a annoncé qu’il recommandait également des « restrictions » pour les personnes devant sortir.

« Les rassemblements publics de 10 personnes ou plus sont fortement déconseillés », ceux qui enfreignent l’interdiction se verront infliger une amende de 1 000 euros par personne.

Exhortant les gens à rester chez eux et à éviter tout contact avec des personnes extérieures à leur famille immédiate, Hardalias a annoncé une nouvelle série de restrictions de mouvement

Le trafic hors domicile ne devrait être limité au minimum que pour des raisons très spécifiques et dans la mesure nécessaire pour répondre aux seuls besoins vitaux.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/03/18/coronavirus-greece-ban-gatherings-of-more-than-   

« La violation des mesures de lutte contre les coronavirus est un crime », déclare la Cour suprême de Grèce »     

La violation des mesures imposées par les autorités sanitaires grecques pour contenir la propagation du coronavirus doit être traitée comme un crime et poursuivie, a déclaré la Cour suprême jeudi. La peine peut aller jusqu’à la prison à vie si la violation des mesures entraîne la mort.

Dans une note envoyée aux bureaux du procureur, le procureur de la Cour suprême a cité l’article 285 du code pénal, qui prévoit des peines sévères pour les personnes violant les règlements destinés à prévenir la propagation de maladies dangereuses.

Le procureur a exhorté les autorités judiciaires à « intervenir » dans le cas où un individu se comporterait d’une manière qui « met en danger des droits fondamentaux protégés par la loi comme le droit à la vie et au bien-être physique ».

Les peines vont de 3 ans d’emprisonnement et d’amendes à la prison à vie si la mort est causée.

Le mémo de la Cour suprême intervient après que le maire de Pyrgos, dans le Péloponnèse, ait dénoncé le fait que les personnes diagnostiquées avec un coronavirus et ayant reçu l’ordre de « vivre en isolement » défiaient les ordres et sortaient dans les cafés et au marché.

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/03/12/greece-violating-coronavirus-measures-punishment/

La pandémie et la fin de l’austérité ?

La pandémie de Covid-19 va-t-elle mettre fin à trois décennies d’austérité imposée à l’hôpital ? par Ivan du Roy, Rachel Knaebel

Le gouvernement Macron n’est pas le seul responsable de la situation d’abandon de l’hôpital public. Trente ans de politiques de réduction des dépenses l’ont mis à genoux, malgré les alertes des personnels soignants.

« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 12 mars. « La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte », a-t-il ajouté. Si ces annonces se concrétisent et dépassent le stade de la communication élyséenne, elles rompront avec trois décennies de lent démantèlement de l’hôpital public.

Il aura cependant fallu une pandémie risquant de faire imploser l’hôpital public. Pourtant, depuis un an, les services d’urgences ont multiplié les grèves, les actions et les « SOS » pour dénoncer les effets dévastateurs des restrictions budgétaires et des suppressions de lits. Après des mois d’un mouvement inédit, le gouvernement avait déjà promis quelques mesures jugées bien trop minimes par les soignants. Brigitte Macron, l’épouse du président, a même appelé à aider les hôpitaux via une opération de charité « pièces jaunes », dont elle pris la tête, et qui s’est terminée le 15 février [1]. Une logique caritative bien éloignée des déclarations présidentielles un mois plus tard.

C’était sans compter le Covid-19, qui place des hôpitaux déjà occupés à combattre la fin de la grippe saisonnière, en première ligne face à cette nouvelle pandémie. Le virus, apparu en décembre à Wuhan en Chine et détecté en France le 24 janvier, a poursuivi sa progression exponentielle, contaminant de plus en plus de personnes. Si sa létalité semble demeurer faible, les personnes chez qui la maladie se déclare sous forme sévère ont besoin de soins intensifs pendant une à deux semaines pour guérir. Conséquence : de plus en plus de lits sont occupés durablement alors même que l’épidémie pousse chaque jour de nouveaux malades vers les urgences.

Six semaines après l’apparition du virus en France, des personnels de services de soins intensifs de plusieurs hôpitaux, en particulier dans l’Oise, l’un des foyers de contamination, disent déjà être débordés. Que se passera-t-il en cas de pénurie de places en réanimation face à un afflux de personnes gravement atteintes ? En Italie, certains hôpitaux ont été contraints de trier les patients en catastrophe, ce qui pose de lourdes questions éthiques : qui sauver et qui laisser mourir ? [2]

« Il est donc de notre devoir de continuer, malgré l’épidémie de coronavirus, à tirer la sonnette d’alarme sur la situation catastrophique dans laquelle opère un certain nombre de services hospitaliers. Derrière ce constat, ce sont des soignant·es totalement dévoué·es à leur tâche, qui pallieront une fois de plus les manquements du système afin de protéger la population face à cette nouvelle menace », alertent le 28 février Justin Breysse et Hugo Huon, deux porte-parole du Collectif inter-urgences, qui mène la mobilisation des soignants de l’hôpital depuis un an [3]. Pour la première fois depuis un an auront-ils été entendus ?

Inverser la tendance et renforcer les moyens de l’hôpital public constitue effectivement une « rupture ». Car sa « situation catastrophique » ne vient pas de nulle part. Si l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn n’a rien fait pour y remédier rapidement, plusieurs de ses prédécesseurs sont également responsables de cet abandon. Trois décennies de politiques budgétaires ont visé avant tout à réduire les dépenses publiques de santé.

On commence par chiffrer l’activité de l’hôpital

Tout commence en 1983, avec le tournant de la « rigueur » pris par le gouvernement socialiste. Un haut-fonctionnaire, Jean de Kervasdoué, met en place un « programme de médicalisation des systèmes d’information ». L’objectif est de quantifier et de standardiser l’activité et les ressources des établissements de santé. Officiellement, il s’agit de diminuer les inégalités entre hôpitaux. Il s’agit aussi de mieux contrôler les dépenses [4]. Le ministère de la Santé développe progressivement un système d’information qui classe les séjours à l’hôpital en grandes catégories et permet d’en établir le coût moyen. « Au début des années 2000, le ministère est en mesure de connaître la “production” de chaque hôpital ainsi que son coût », rapportent les sociologues Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent dans leur ouvrage La casse du siècle, sorti l’an dernier [5].

Puis on fixe des « objectif des dépenses de santé » à ne pas dépasser quels que soient les besoins

Alain Juppé est alors Premier ministre du premier mandat de Chirac. Il édicte par ordonnance, sans vote des parlementaires, l’« Objectif national des dépenses d’assurance maladie » (Ondam). Il s’agit d’un plafond de dépenses de santé à ne pas dépasser, quels que soient les besoins de la population. Chaque année, ce plafond est défini dans la loi de financement de la Sécurité sociale. « Les objectifs clairement avoués par les pouvoirs publics étaient de réduire de 100 000 lits le parc hospitalier français, soit près du tiers de sa capacité », explique l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé [6].

Ces ordonnances aboutissent rapidement à la fermeture des plus petits établissements. Plus de 60 000 places d’hospitalisation à temps complet (définies en nombre de lits) disparaissent entre 2003 et 2016, dont près de la moitié en médecine et chirurgie [7]. Les gouvernements se succèdent, mais ce plafond des dépenses devient de plus en plus coercitif. Pourtant la population augmente, ainsi que la part des plus âgés donc des plus fragiles, et que le recours aux urgences s’intensifient [8].

On instaure la tarification à l’acte et on pousse les hôpitaux à s’endetter

« Moderniser la gestion, favoriser l’investissement, motiver chaque acteur. » Voilà comment le ministre de la Santé Jean-François Mattéi – sous le second mandat Chirac – présente son « plan hôpital 2007 » [9]. Ce projet est lui aussi adopté par ordonnances, sans débat démocratique. Il instaure la controversée tarification à l’acte (T2A) pour la médecine, l’obstétrique et la chirurgie pratiquées dans les hôpitaux publics.

Selon ce nouveau mode de financement, les établissements reçoivent un budget en fonction du nombre d’actes qui y sont réalisés. Chaque acte a une tarification particulière. Plus il y en a, plus le budget augmente. Ce nouveau mode de calcul privilégie ainsi les actes techniques et quantifiables. Il pousse à délaisser le travail de suivi, d’accompagnement et d’échange avec le patient, tout ce temps qui n’est pas quantifié et monétisé par les tableurs des managers. Les hôpitaux sont ainsi soumis à plus de pression et à une logique de rentabilité. « La tarification mise en œuvre à partir de 2004 a été utilisée par l’État pour forcer les hôpitaux à comprimer leurs coûts de production », écrivent les auteurs du Casse du siècle.

Un autre volet du plan hôpital 2007 consiste à pousser les hôpitaux à se moderniser et à construire de nouveaux bâtiments. Une bonne chose en apparence. Sauf que cette modernisation est financée en grande partie par l’emprunt sur les marchés financiers. La même politique se poursuit avec le plan hôpital 2012, lancé trois ans plus tôt, au moment où éclate la crise financière.

Résultat : les hôpitaux, comme nombre de collectivités locales, se retrouvent piégés par des emprunts toxiques, notamment ceux accordés par la banque Dexia. Les taux de ces prêts étaient indexés sur les cours de monnaies comme le franc suisse, cours qui ont monté en flèche avec la crise. L’endettement est presque devenu aussi incontrôlable qu’une pandémie : entre 2002 et 2012, la dette des établissements publics de santé triple [10].

Une loi consacre les directeurs-managers contre les médecins

En 2009, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot – sous la présidence Sarkozy cette fois – fait voter la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoire ». Celle-ci démet les médecins d’une grande partie de leur pouvoir. La commission médicale d’établissement, composée de médecins, devient subordonnée au chef d’établissement, qui joue le rôle du manager. Le pouvoir est transféré dans son intégralité aux directeurs. Or, ces directeurs ne sont souvent plus des médecins, issus du terrain, et n’ont pas de formation médicale. Ce sont des hauts-fonctionnaires passés par l’École des hautes études en santé publique, une sorte d’ENA dédiée à la gestion financière des hôpitaux.

Une nouvelle loi impose les regroupements

Sous la présidence de François Hollande, Marisol Tourraine fait à son tour adopter une loi pour réorganiser l’hôpital. Cette « loi de modernisation de la santé » est votée en 2016. L’une de ces mesures centrales est la création des « groupements hospitaliers de territoire ». Tout hôpital a l’obligation d’y adhérer. Ces groupements doivent inciter aux fusions entre hôpitaux, ce qui permet, au final, de réduire les nombre des établissements et de poursuivre la suppression de lits.

On le sait depuis la crise de la dette : l’austérité nuit aux soins

« Si les Italiens n’ont pas la capacité à soigner, c’est parce que ça fait dix ans qu’ils pratiquent une austérité sur les services publics et sur l’hôpital. Et nous en France, on en est pas loin », alerte l’économiste Thomas Porcher il y a quelques jours sur Regards, avant que la pandémie ne soit officiellement reconnue [11]. Au début des années 2010, des pays du Sud de l’Europe, comme l’Espagne, la Grèce et le Portugal, font face à une crise de leur dette publique et aux mesures de réduction des dépenses imposées par l’Union européenne. Leurs systèmes de santé, et donc la santé des citoyens, en pâtissent. En Espagne, le gouvernement adopte en 2012 un plan de réduction des dépenses de santé de sept milliards d’euros sur deux ans (Bastamag vous en parlait en 2015 ici). Le pays ferme ou privatise des dizaines d’hôpitaux et centres de santé. Près de 20 000 postes de soignants sont supprimés.

Au Portugal, l’accord conclu en 2011 entre Lisbonne et la troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne) prévoit une coupe de plus de 600 millions d’euros dans la santé. En Grèce, des milliers de lits d’hôpital sont aussi supprimés. Des expérimentations d’hôpitaux autogérés apparaissent même pour pallier la pénurie et garantir l’accès aux soins pour tous.

« Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe », semble comprendre Emmanuel Macron. Même les tenants allemands du budget à déficit zéro, dont la chancelière Angela Merkel, estiment que cette « règle d’or » ne vaut plus dans la situation actuelle. Le Covid-19 va-t-il obliger les gouvernements à admettre leurs dramatiques erreurs ?

Rachel Knaebel et Ivan du Roy

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