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Comment ce pays si riche…»

Un appel de Vincent Lindon: «Comment ce pays si riche…»

Par Fabrice Arfi

Le comédien a confié à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne). Un texte puissamment politique, avec un objectif: ne pas en rester là.

«Spécialiste en rien, intéressé par tout », comme il se définit lui-même, Vincent Lindon cultive une parole publique rare que la crise insensée que nous vivons a libérée. Radicalement absent des réseaux sociaux – il n’est ni sur Facebook, ni sur Twitter, ni Instagram, ni nulle part de ce genre –, le comédien a décidé de confier à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne).

Ce n’est pas un comédien qui s’exprime ici, et encore moins un artiste coincé dans son écosystème, celui de la culture ; le mot est d’ailleurs absent de son texte. Non pas que le sujet ne lui soit pas d’une importance cruciale – il l’est, vu le péril qui guette (voir nos articles ici, ici, ou ) –, mais c’est au-delà de cet horizon que regarde le comédien.

Vincent Lindon parle à hauteur de citoyen. Un citoyen qui, d’où il est – et qui sait d’où il vient et où il est –, regarde la cité tétanisée par une crise sanitaire agissant au fil des semaines comme le puissant bain révélateur d’autres crises (sociale, politique et morale) qui sourdent dans le pays depuis si longtemps.

L’homme qui, probablement comme peu d’acteurs avant lui, a su incarner les voix indignées et les corps fourbus que le néolibéralisme détruit le temps d’une vie, livre ici un texte puissamment politique, au plus beau sens du terme. Il y est évidemment question de la crise de l’hôpital, mais aussi des institutions de la Ve République, du présidentialisme, de répression policière, de justice fiscale ou de corruption. En creux, de cette « décence commune » chère à Orwell qui semble tant manquer à notre époque.

Pour écrire son texte, Vincent Lindon s’est fait un peu journaliste – il a interrogé des spécialistes de médecine ou d’économie avant de prendre la plume. Il est aussi un peu politique – il ne fait pas que s’indigner, il propose.

C’est, en d’autres termes, un citoyen total, qui veut apprendre pour comprendre, comprendre pour juger, juger pour proposer, avec un objectif : ne pas en rester là. Afin que le monde d’après ne soit pas celui des idées d’avant qui ont concouru à cette perte que la pandémie fait ressentir à chacun de nous, bien sûr à des degrés divers, jusque dans son intimité confinée.

Images et montage: Max Jouan ; production : Pierre Cattan

* * * *

Ci-dessous la retranscription du texte de Vincent Lindon :

Comment ce pays si riche…

Traversé par le flot incessant des commentaires, désorienté par l’addition d’analyses souvent contradictoires, j’ai tenté de réfléchir à la question la plus banale : mais comment avons-nous pu en arriver là ? À cette situation inédite, littéralement stupéfiante.

Spécialiste en rien, intéressé par tout, il m’a paru pourtant utile de contribuer en faisant entendre une voix simplement citoyenne. Suis-je légitime pour interpeller nos dirigeants, tous professionnels de la chose publique, tous diplômés des meilleures écoles ? Pas plus qu’un autre sans doute, mais pas moins non plus, ayant pris soin de consulter nombre d’avis autorisés, notamment dans le domaine de la santé, où André Grimaldi [professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière – ndlr] m’a apporté son éclairage.

Comment ce pays si riche, la France, sixième économie du monde, a-t-il pu désosser ses hôpitaux jusqu’à devoir, pour éviter l’engorgement des services de réanimation, se résigner à se voir acculé à cette seule solution, utile certes, mais moyenâgeuse, le confinement ? Nous qui, au début des années 2000 encore, pouvions nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé du monde.

C’était avant.

Avant que s’impose la folle idée que la santé devait être rentable, puisque tout désormais devait être marchandise, jusqu’à la vie des hommes.

Un espoir s’était pourtant levé avec le nouveau chef de l’État Emmanuel Macron, et son programme promettant un « investissement massif dans le système de santé ». Hélas, l’élection acquise, il préféra poursuivre l’action de ses prédécesseurs. S’il n’est donc que le dernier avatar d’une même politique, il porte pourtant une responsabilité particulière, pour avoir ignoré tous les signaux d’alerte.

Douze mois de grève des urgences ? Les patients patienteront.

1 200 chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives ? Moins de paperasse.

Présence massive des soignants dans toutes les manifestations ? Sortez les LBD et les grenades de désencerclement…

Au-delà de la santé, c’est l’ensemble du secteur public qui subit depuis des décennies les coups de boutoir des présidents qui se succèdent avec toujours la même obsession : réduire la place de l’État dans l’économie. La recette est simple : privations pour ce qui coûte (l’éducation, la justice, la police, l’armée, la santé…) et privatisations pour ce qui rapporte.

Tandis que les budgets des ministères régaliens sont comprimés et les salaires de leurs fonctionnaires bloqués, la grande braderie est ouverte. Villepin solde les autoroutes, Nicolas Sarkozy fait absorber Gaz de France par un groupe privé, Suez, et enfin François Hollande, sous la férule de Macron, démembre Alstom pour le plus grand profit de l’américain General Electric.

Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, la fête continue. Deux entreprises publiques, la Française des jeux (FDJ) et Aéroports de Paris (AdP), sont très rentables ? Vendez-les !

Pour comprendre l’attachement aveugle de notre président à cette ligne idéologique, il est nécessaire de revenir sur trois années d’exercice de son pouvoir, que notre Constitution a voulu absolu.

Qu’en retenir ?

Dès les premiers jours, une évidence : le goût du nouveau président pour la pompe et les rites de la monarchie, se mettant régulièrement en scène dans les décors de la royauté ; ainsi a-t-il choisi le palais du Louvre pour son intronisation, marchant seul devant la pyramide, le château de Versailles pour recevoir Vladimir Poutine, l’empereur du Japon ou 150 millionnaires high-tech et, enfin, celui de Chambord pour célébrer son 40e anniversaire.

Une prédilection annoncée par des déclarations antérieures – en 2015, il affirmait déjà : « Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort » – et confirmée jusque dans son programme, qui prévoyait de rétablir les chasses présidentielles. Ce qui n’a rien d’un détail.

L’ego comblé, le jeune homme allait pouvoir s’attaquer à son grand œuvre : bâtir cette « start-up nation » où les « premiers de cordée » allaient tirer vers les cimes ces « Gaulois réfractaires ». Au pas de charge : suppression de l’ISF et allègement de l’impôt sur les profits financiers pour les uns, réformes restrictives du droit du travail ou des allocations chômage et baisse des APL pour les autres. Cinq euros en moins sur les APL ! Mais qu’est-ce qui peut bien passer par la tête d’un dirigeant pour accoucher d’une aussi mauvaise idée ? La brume des sommets obscurcit-elle le jugement au point de lui faire oublier le poids des symboles ? C’était donc ça le « en même temps » macronien, des offrandes pour ceux qui n’ont besoin de rien, des sacrifices pour ceux qui ont besoin de tout ?

Mais c’est le premier été du quinquennat, et tout semble encore permis au conquérant de l’Élysée. Malgré quelques protestations, le nouveau monde impose ses lois grâce au soutien de sa majorité obéissante et reconnaissante.

Premier grain de sable à l’été 2018, l’affaire Benalla et son traitement rocambolesque, qui jette une lumière crue sur la conception et les pratiques du pouvoir.

Avec l’automne, un vent se lève, une révolte inattendue et pourtant évidente : des femmes et des hommes en jaune envahissent les ronds-points et les Champs-Élysées, naturellement accompagnés par une très faible minorité qui prétexte le port de la chasuble pour casser plutôt que pour revendiquer, une revendication légitime qui emporte l’adhésion de l’opinion, contraignant le gouvernement à un repli tactique : 10 milliards jetés à la hâte pour tenter d’éteindre la colère sociale.

Trop tard. Les sacrifiés de la mondialisation ultralibérale veulent plus. Plus de moyens, certes, mais aussi plus de pouvoirs, notamment celui de contrôler ceux dont la mission est de les représenter.

Après la carotte, vient le temps du bâton. Une répression brutale, policière, avec mains arrachées et manifestants éborgnés, mais aussi judiciaire, avec une distribution massive de condamnations fermes. Pendant que les pouvoirs exécutif et judiciaire répriment, les législateurs ferraillent pour imposer une réforme des retraites dont une majorité des Français ne veut pas.

Occupés à bâtir leur nouveau monde, les responsables n’accordent qu’une attention distraite à un virus agressif qui, parti de Chine, va très vite ravager la planète et envahir la totalité de l’espace politique, donnant à nos gouvernants l’occasion de montrer l’étendue de leur compétence.

Dans les hôpitaux, la situation est dramatique. On manque de tout, de masques, de gel, de tests, de respirateurs, de lits et de personnels en réanimation. Le 29 février, après que le Covid-19 a fait ses premières victimes en France, Édouard Philippe convoque un conseil des ministres extraordinaire consacré au virus. Une grande décision en ressort : utiliser le 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites !

Alors que l’épidémie progresse, se faisant pandémie, le pouvoir s’affole, s’agite comme un poulet sans tête. Sur quoi s’interroge l’exécutif aux premiers jours de mars ? Mais sur le maintien des municipales, bien sûr ! La veille du premier tour, le premier ministre joue les contorsionnistes, invitant les Français à rester chez eux, mais, en même temps, à aller voter. Chapeau l’artiste !

Pendant que nos voisins allemands se mettent en ordre de bataille, le gouvernement français peaufine sa communication.

Une seule stratégie, mentir.

Relayant le discours présidentiel, l’équipe gouvernementale multiplie les déclarations absurdes et contradictoires. Ainsi affirme-t-on successivement qu’il ne s’agit que d’une « grippette », que l’épidémie, comme le nuage de Tchernobyl, ne touchera pas la France – alors même qu’à notre frontière sud, l’Italie est frappée –, puis qu’elle est « sous contrôle », avant de devoir avouer la gravité de la situation.

Sur la question cruciale des masques de protection, la parole officielle est schizophrène : aux premiers temps, leur utilité est affirmée. D’ailleurs, il y en a des millions en stock, prêts à être distribués à la population en cas de besoin. La menace virale se précisant, les masques sont soudain déclarés inutiles, voire dangereux puisqu’on ne sait pas s’en servir. Ce qui est fort opportun, puisque les stocks se sont volatilisés.

Pschitt…

Plus de masques.

Pas même de quoi équiper tous les soignants qui doivent monter au front armés de leur seul courage. Bon, d’accord, pas de masques, mais ils arrivent. Quand ? Mais demain, bien sûr ! Hélas, les jours et les semaines passent, la pénurie persiste. Ignorés, méprisés et matraqués quelques semaines plus tôt, les soignants sont désormais portés aux nues.

Pour le commun des Français, le confinement est la règle, chômage technique pour les uns, télétravail pour les autres. Tous les Français ? Non. Pour les caissières, les livreurs, les éboueurs, les policiers ou les pompiers, l’activité doit se poursuivre, quels que soient les périls. Eux qui formaient le gros des bataillons en gilet jaune, naguère vilipendés, sont désormais officiellement essentiels. Exit les premiers de cordée, place aux premiers de corvée.

Le 23 avril, dans une adresse solennelle à la nation, le président Macron annonce enfin le déconfinement pour le 11 mai. Pourquoi le 11 plutôt que le 5 ? Pourquoi mai plutôt que juin ? Parce que.

Deux semaines plus tard, le premier ministre en dévoile les conditions. Acte 1 : réouverture des crèches et des écoles primaires. Curieux puisqu’elles avaient été les premières à être fermées, avant même le début du confinement, au motif qu’elles étaient un lieu hautement favorable à la propagation du virus… Évidemment économique – il s’agit bien sûr de libérer les parents de l’obligation de garder leurs jeunes enfants, pour leur permettre de reprendre le travail –, la véritable raison de ce choix sera passée sous silence, voire niée, alors même qu’elle est audible : vouloir éviter l’effondrement total de l’activité et son cortège de drames est après tout une motivation hautement respectable.

Empêtré dans ses mensonges et ses omissions, le pourvoir tergiverse. Très vite, le discours s’infléchit : l’obligation de retourner en classe ne s’appliquera pas systématiquement. Les maires, les préfets pourront décider, ou non, de s’y conformer.

Mieux, les parents seront libres de garder leurs enfants à la maison. Dans les milieux favorisés, on n’hésitera guère. Mais dans les milieux plus modestes, le dilemme est cornélien. Alors que le chômage enfle, dois-je exposer mon enfant au risque de tomber malade, ou accepter l’éventualité de perdre mon emploi ? Et si les parents sont d’avis contraires, le couple pourra-t-il résister, notamment si les choses tournent mal ? Questions sans réponses…

Une bonne nouvelle, pourtant : les masques arrivent. Des masques en tissu, lavables et réutilisables. Efficaces ? « Oui, dit le Pr Grimaldi, contre la transmission du virus. Mais comme ils n’empêchent pas le porteur d’être infecté lui-même, la mesure ne vaut que si elle s’impose à tous, dans l’espace public au moins. » Prisonnier de son discours récent, le gouvernement ne peut se résoudre à rendre obligatoires partout ces masques qu’hier encore il déclarait inutiles. « Pourtant, ajoute le Pr Grimaldi, on a le droit de se tromper, mais le devoir de reconnaître ses erreurs. »

Au rythme où s’enchaînent les événements, ce droit à l’erreur pourrait bien m’être utile, mes propos risquant de devenir rapidement caducs, tant les stratégies gouvernementales oscillent, sinon à la vitesse de la lumière, au moins à celle où se propage le virus.

En termes de gestion et de communication de crise, je ne sais pas qui aurait pu faire mieux, mais je ne vois pas qui aurait pu faire pire.

En mettant au jour ses insuffisances, cette crise pourrait-elle être l’occasion d’une refonte radicale de notre démocratie ? Dans un discours célèbre, Churchill affirmait que c’était là « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». Mais, ajoutait-il aussitôt, « la démocratie n’est pas un lieu où on obtient un mandat déterminé sur des promesses, puis où on en fait ce qu’on veut ».

Si l’on s’accorde pour ne pas changer de système, alors il faut changer LE système.

Mais l’urgence est ailleurs. Déjà insupportables, les inégalités ont explosé avec la pandémie. Confinés dans des logements exigus ou contraints d’affronter les périls, les plus fragiles vivent des jours terriblement difficiles. Et leurs lendemains ne chantent pas. Après la crise sanitaire, ils seront sûrement les premières victimes de l’inévitable catastrophe économique et sociale.

Que faire ?

L’État ne pouvant pas tout, il me paraît impératif d’innover. Comment ? En demandant aux plus grosses fortunes une solidarité envers les plus démunis. Cette idée, juste et légitime, pourrait prendre la forme d’une contribution exceptionnelle, baptisée « Jean Valjean », conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros, sans acrobaties, à travers une taxe progressive de 1 % à 5 %, avec une franchise pour les premiers 10 millions d’euros.

À période exceptionnelle, contribution exceptionnelle. Même si j’applaudirais évidemment tout amendement visant à pérenniser cet effort de réduction des inégalités. Après tout, une fois peut devenir coutume.

D’après les économistes que j’ai pris soin de consulter, cette contribution devrait représenter environ 36 à 37 milliards d’euros, qui seront distribués aux quelque 21,4 millions de foyers trop pauvres pour être assujettis à l’impôt sur le revenu.

Compte tenu de l’urgence, l’État assurerait la trésorerie et abonderait marginalement la collecte, leur distribuant sans délai et sans prélèvement, la somme de 2 000 €, à charge pour lui de recouvrer ultérieurement le produit de la contribution « Jean Valjean ».

Même si je ne doute pas un instant que les plus riches de nos concitoyens se réjouiront de l’occasion ainsi offerte de montrer leur patriotisme et leur générosité, il me paraît prudent que les législateurs mettent en place des sanctions suffisamment dissuasives pour décourager les improbables mauvaises volontés. Je pense ici, surtout, à nos compatriotes domiciliés fiscalement à l’étranger, évidemment conviés à manifester leur solidarité.

Mon rôle n’est évidemment pas d’entrer dans le détail de ces sanctions. Je voudrais néanmoins en proposer une, essentiellement symbolique – car je crois, moi, à la force du symbole : alléger les réfractaires de leurs pesantes décorations (Ordre du mérite ou Légion d’honneur, par exemple) pour leur permettre de gambader librement dans les couloirs des hôpitaux étrangers, voire français, où ils seraient évidemment les bienvenus après avoir refusé de financer notre système de santé national et plus généralement notre service public. En un mot, leur pays.

Bien sûr, je sais que ces précautions seront sans nul doute inutiles, tous ces privilégiés étant bien conscients de ce qu’ils doivent au pays qui les a formés et souvent enrichis. Mais la confiance n’excluant pas la prudence, de telles dispositions ne sauraient nuire.

Après cette mesure d’urgence, il sera temps de nous pencher sur les moyens de réparer notre démocratie. Comment ? On pourra s’étonner que je me pose la question et plus encore que j’essaie d’y répondre. Alors, sans prétendre détenir des solutions – j’ai gardé le sens du ridicule –, je me risque à évoquer quelques pistes de réflexion.

Instituer des contre-pouvoirs. La Constitution de la Ve République avait été taillée sur mesure pour le général de Gaulle. Un costume bien trop grand pour ses récents successeurs. D’autant que, depuis l’instauration du quinquennat, le président dispose toujours, et pendant toute la durée de son mandat, d’une franche majorité au Parlement. Élue en même temps que lui, grâce à lui et sur son programme, l’Assemblée nationale a logiquement la même couleur que l’Élysée et le législatif n’a donc pas vocation à s’opposer à l’exécutif.

Quant au pouvoir judiciaire, son indépendance n’est que théorique, tant il est simple de le contrôler par le jeu des nominations et des promotions. Depuis Montesquieu, qui a théorisé la séparation des pouvoirs (il n’en connaissait que trois, lui), un quatrième s’est imposé : la presse. Problème : neuf milliardaires en possèdent l’immense majorité, on ne s’étonnera donc pas que l’intérêt des puissants soit ménagé dans le traitement de l’information. Impuissante politiquement, la contestation s’exprime là où elle le peut encore, dans la rue et dans les sondages d’opinion.

Responsabiliser les élus. Les élus devront être comptables de leur action devant le peuple dont ils ont obtenu la confiance. Une élection, c’est quoi ? C’est l’histoire d’un mec qui arrive et qui dit : « Faites-moi confiance, voilà ce que je vais faire », et qui, une fois élu, ne le fait pas. À la place, il fait autre chose ou rien. Eh bien non, ça ne peut plus marcher comme ça. En cas de défaillance, il est nécessaire qu’ils puissent être démis de leur fonctions, démocratiquement, c’est-à-dire si une fraction de citoyens le propose et si une majorité d’électeurs l’exige.

Insistons : cette mesure doit s’appliquer à tous les élus, jusqu’au président de la République, qui, en France, ne peut être démis par personne en cours de mandat, ni même être jugé depuis la scandaleuse décision du Conseil constitutionnel sous la présidence du douteux Roland Dumas.

Sanctionner sévèrement les dérives, pour interdire l’alliance mortifère entre les copains et les coquins. Depuis des décennies, aucun élu, même le plus corrompu, ne craint les rigueurs de la loi. Il y a à cela une excellente raison : la prison, c’est pour les autres. Eux pourront toujours solliciter les meilleurs avocats et multiplier les procédures des décennies durant, jusqu’au moment où les juger n’aura plus aucun sens.

D’où une proposition en trois points :

  1. Rendre passible de longues années de prison ferme tout acte de corruption avérée d’un élu. Parce qu’elle menace dangereusement la démocratie, en décourageant le vote notamment, la corruption politique me paraît un crime plus grave qu’un braquage de banque. Excessif ? Je ne pense pas. Enfant, je me souviens que, sur les billets de banque, il était inscrit que « la fabrication de fausse monnaie [était] passible des travaux forcés à perpétuité ». Pas une goutte de sang versée, pourtant, mais une atteinte criminelle au bien commun.
  2. Définir des couloirs judiciaires dédiés, pour éviter qu’on ne juge que des cadavres. L’ensemble des procédures, appel et cassation compris, devra être bouclé dans les 12 mois suivant l’ouverture de l’instruction.
  3. Augmenter fortement la rémunération des hommes et des femmes qui choisiront de servir la collectivité avec compétence, zèle et intégrité. Pourquoi ? Pour avoir les meilleurs. Pour leur éviter la tentation. Et pour rendre inexcusable qu’ils y cèdent.

Constitutionnelles, électorales ou judiciaires, ces propositions de réforme peuvent apparaître éloignées des préoccupations immédiates, en ces temps troublés surtout.

Je les crois pourtant essentielles. Même si elles ne résolvent pas l’ensemble des problèmes auxquels notre époque est confrontée, elles m’apparaissent nécessaires pour rétablir l’indispensable confiance du peuple en ses représentants, enfin comptables de leurs promesses comme de leur action, et responsables de leurs erreurs.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/060520/un-appel-de-vincent-lindon-comment-ce-pays-si-riche

 Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches

« Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches » pour affronter la crise sanitaire

Eric Toussaint interviewé par Karen Mendez Loffredo

Lorsque l’urgence sanitaire liée au COVID-19 passera, de nombreux pays du monde entier seront confrontés à un autre défi majeur : la crise économique laissée par le coronavirus. Pour l’éviter, de nombreuses propositions sont sur la table : le non-paiement de la dette en fait partie.

Éric Toussaint, historien belge et docteur en sciences politiques de l’Université de Liège (Belgique), a passé une bonne partie de sa vie à auditer les dettes de différents pays du monde et à demander leur annulation/répudiation en raison de leur caractère « illégitime et odieux ».

Aujourd’hui, alors que le monde est confronté à l’une des pires crises sanitaires et économiques depuis la Seconde Guerre mondiale, cette demande commence à résonner dans différentes régions du monde.

Récemment, le pape François, lors de la messe du dimanche de Pâques, a demandé l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres. Un appel qui, peu de temps auparavant, avait déjà été lancé depuis l’Amérique latine par plusieurs anciens présidents et dirigeants politiques mondiaux tels que Rafael Correa, Gustavo Petro, Evo Morales, Álvaro García Linera, Dilma Rousseff, Fernando Lugo, José Luis Rodríguez Zapatero et Ernesto Samper, entre autres https://www.cadtm.org/L-heure-est-v…

Dans cette campagne, menée par le Centre stratégique géopolitique latino-américain (CELAG https://www.celag.org/wp-content/up… ), le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement ont été invités à annuler la dette extérieure.

«Nous ne pouvons pas exiger des pays qu’ils mettent en place des politiques de santé publique efficaces pour faire face à la pandémie actuelle et, en même temps, qu’ils continuent à respecter leurs obligations en matière de dette ; nous ne pouvons pas exiger d’eux qu’ils mettent en œuvre des politiques économiques qui compensent les dommages de cette catastrophe tout en continuant à payer leurs créanciers», ont déclaré ces dirigeants politiques dans une lettre publiée fin mars.

Karen Mendez Loffredo s’entretient avec Éric Toussaint, porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), au sujet de cette nouvelle réalité à laquelle l’humanité est confrontée:

Vous avez récemment déclaré que pour faire face à la crise économique que la pandémie COVID-19 laissera derrière elle, il était «urgent de libérer des moyens financiers, mais de recourir le moins possible à plus de dettes». Comment y parvenir au milieu d’une situation aussi difficile ?

Il existe deux moyens fondamentaux:

1. suspendre le paiement de la dette et utiliser ces fonds pour investir dans l’achat de matériel médical et sanitaire, et faire les dépenses nécessaires pour faire face à la crise sanitaire et économique que le coronavirus va laisser.

2. En appliquant une taxe exceptionnelle sur les personnes les plus riches afin de disposer des fonds nécessaires.

Pour vous donner un exemple: en France, la personne la plus riche s’appelle Bernard Arnault et possède un patrimoine de 110 milliards d’euros, ce qui est exactement le chiffre décidé par le président Emmanuel Macron pour intervenir dans la crise en France. Ainsi, imposer une taxe aux plus riches, une poignée puisqu’ils représentent 1% de la population, qui pourrait être versée dans un fonds de lutte contre la crise.

Il y a bien sûr d’autres mesurespour trouver des financements: la banque centrale peut octroyer des prêts à taux zéro aux pouvoirs publics, prélever des amendes sur les entreprises responsables de la grande fraude fiscale, geler les dépenses militaires, mettre fin aux subsides aux banques et à des grandes entreprises,…

En Espagne, la dette publique représente 96 % du produit intérieur brut (PIB). Depuis plusieurs années, vous soutenez que la dette de ce pays est « illégitime et odieuse ». Pourquoi la classer ainsi ?

Car il faut se rappeler qu’avant la crise de 2010, l’Espagne avait une dette publique qui représentait moins de 40 % du PIB. Avec la crise et le sauvetage des banques, des sociétés financières et immobilières en Espagne, la dette a augmenté, a doublé, a presque atteint 100 % du PIB. Elle est donc illégitime et odieuse car il s’agit d’une dette qui a été accumulée pour sauver les banquiers responsables de la crise précédente, celle de 2008-2010. C’est une dette contractée pour servir les intérêts particuliers d’une minorité sans respecter l’intérêt général de la majorité de la population, donc une dette illégitime.

Le juriste russe Alexander Nahum Sack a introduit le terme de dette odieuse dans le droit international dans les années 1920. Pour lui, une dette est odieuse si elle répond à deux critères : elle a été contractée contre l’intérêt de la population ou de la nation, et deuxièmement, les prêteurs savaient (ou auraient dû savoir) que la dette contractée servait des objectifs contraires aux intérêts de la population. C’est pourquoi je dis que la dette espagnole après 2009-2010 est odieuse, car les prêteurs savaient que le gouvernement renflouait les banquiers qui avaient prêté l’argent à l’État pour être renfloués. C’est le même vieux cercle vicieux dans lequel les banquiers accumulent des richesses tandis que l’État et le peuple s’appauvrissent.

 Que voulez-vous dire par « ils ont prêté l’argent à l’État pour être sauvés » ?

 La situation est scandaleuse en ce qui concerne la Banque centrale européenne. Jusqu’à l’année dernière, la Banque centrale européenne accordait des crédits à des banques privées à des taux d’intérêt de 0 % et ces mêmes banques prêtaient l’argent à des États comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, via l’achat d’obligations souveraines, à des taux d’intérêt de 2, 3 ou 4 %.

Grâce aux aides de la Banque centrale européenne, les banques ont pu bénéficier d’un gain important. La situation est pire aujourd’hui car la Banque centrale européenne accorde des crédits aux banques privées à un taux négatif de – 0,75 %, en d’autres termes, une banque qui emprunte à la Banque centrale européenne gagne de l’argent. C’est scandaleux.

 Et que faut-il faire ?

 Ce qu’il faut faire dans ces circonstances de crise majeure, c’est amener la Banque centrale européenne à accorder des crédits directement aux États, à l’Espagne, au Portugal, à l’Italie et aux autres pays de la zone euro, pour combattre la crise, au lieu d’accorder des crédits à des banques privées. Il faut dénoncer le fait que la Banque centrale européenne accorde un monopole aux banques privées avec des privilèges, conformément au traité de Maastricht de 1992, qui stipule que la BCE ne peut pas accorder de crédit directement aux autorités publiques. C’est une politique totalement néolibérale qui doit être combattue car elle va à l’encontre des intérêts de la population.

 Vous faites partie de ceux qui sont favorables à la suspension du paiement de la dette extérieure, mais pour tout gouvernement, c’est une décision très difficile. Quels arguments juridiques les gouvernements pourraient-ils utiliser pour suspendre le paiement de leur dette extérieure ?

 Dans les circonstances actuelles, en pleine crise sanitaire et économique brutale, il y a trois arguments de droit international :

1. L’état de nécessité : c’est un concept qui établit que lorsqu’un pays, un État, est confronté à une crise dans laquelle la vie de sa population est en danger, cet État n’est pas obligé de respecter ses obligations internationales, par exemple, en termes de paiement de la dette parce qu’il doit répondre à la crise humanitaire ou sanitaire.

2. Changement fondamental de circonstances : ce concept établit que lorsque les conditions sont totalement différentes de celles qui existaient lors de la signature du contrat, l’exécution de ce contrat peut être suspendue.

3. Force majeure : il est déterminé ici que pour des raisons de force majeure, un État ne peut plus être en mesure de respecter ses obligations de paiement de la dette. Dans ce cas, le caractère illégitime ou odieux de la dette n’a aucune importance. La dette peut être tout à fait légale, légitime, mais elle peut être suspendue pour ces raisons de force majeure et pour les autres conditions remplies, c’est-à-dire l’état de nécessité et le changement de circonstances.

 Comment évaluez-vous la position de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, a refusé d’émettre des obligations de reconstruction, de mutualiser la dette et a proposé de recourir au mécanisme européen de stabilité sans conditions de paiement ? Comment évaluez-vous le rôle de l’Union européenne dans cette urgence sanitaire ?

L’Union européenne est un désastre. L’UE n’a même pas une équipe de dix médecins à envoyer dans le nord de l’Italie ou en Espagne. L’Union européenne ne dispose pas d’un stock de masques, de respirateurs.

L’Union européenne est un désastre dans cette crise sanitaire. Nous constatons que d’autres États comme Cuba ont envoyé plus de 100 médecins dans le nord de l’Italie et sont en mesure d’apporter leur aide en cas d’urgence. En d’autres termes, c’est un nouveau signe que l’Union européenne est une construction qui travaille en faveur du grand capital, pour intégrer les marchés en faveur des grandes entreprises qui contrôlent les moyens de production et concurrencent les autres puissances économiques. Mais l’Union européenne n’est pas au service de ses propres peuples.

 Il y a un avertissement selon lequel le monde va traverser une crise économique sans précédent. Elle est comparée à la dévastation économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Quelle réponse apporter à cette crise ?

Cette crise va être la plus importante de ces 70 dernières années. Nous sommes confrontés à une crise comme celle des années 1930.

Nous devons faire face à cette crise en rompant complètement avec la normalité qui nous a amenés ici, c’est-à-dire que nous devons repenser et changer fondamentalement le mode de production, les relations de propriété, la relation des êtres humains avec la Nature, la façon de vivre, en relocalisant la production, en donnant une autre dimension aux relations dans la production. Pour moi, cela s’appelle la révolution. Nous avons besoin d’une véritable révolution, non seulement dans l’esprit des gens, mais aussi dans la société, afin que 99 % des habitants de la planète reprennent les rênes de leur destin des mains de ce 1 % qui, jusqu’à présent, a profité de la situation pour accumuler des richesses.

 La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) vient de déclarer que le coronavirus aura un très grand impact négatif sur l’économie du continent latino-américain.

 Il est clair que l’Amérique latine n’entre que maintenant dans la crise qui touche principalement l’Europe et les États-Unis. L’Amérique latine et l’Afrique entrent dans une situation où elles doivent faire face à une épidémie avec un risque élevé de propagation accélérée. Pour des raisons totalement indépendantes de la volonté des peuples, ceux-ci sont directement victimes de la crise sanitaire et économique.

Les exportations de l’Amérique latine vont être très fortement réduites parce que cette région dépend de ses exportations de matières premières ; celles-ci seront brutalement réduites par la crise économique au nord et en Chine, de sorte que les pays vont entrer dans de plus grandes difficultés de paiement, comme le Venezuela et l’Argentine, qui étaient déjà en suspension partielle de paiement. D’autres pays de la région se trouveront également dans cette situation, comme l’Équateur, qui est déjà au bord de la suspension de paiement. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que nous devons utiliser les trois concepts d’état de nécessité, de force majeure et de changement fondamental de circonstances pour déclarer une suspension totale du paiement de la dette extérieure et utiliser ces fonds pour faire face à une crise qui ne fait que commencer.

 Mais il y a d’anciens présidents, comme Juan Manuel Santos, Fernando Henrique Cardoso, Ricardo Lagos et Ernesto Zedillo, qui ont demandé l’aide du FMI pour faire face à la crise sanitaire. Comment voyez-vous cette demande ?

Je suis contre le fait de demander, une fois de plus, l’aide du Fonds monétaire international. Les aides du FMI sont toujours conditionnées à la mise en œuvre d’un modèle néolibéral.

Comme je l’ai expliqué au début, il existe des sources alternatives de financement pour faire face à la crise et ne pas avoir à recourir au FMI, qui fait partie du problème et non de la solution. On peut rappeler qu’en 2018, l’Argentine, avec le gouvernement de Mauricio Macri, a demandé au FMI un crédit d’environ 57 milliards de dollars et qu’elle est maintenant en pleine crise. C’est le FMI qui a ordonné à Lenin Moreno en Équateur d’augmenter le prix du carburant l’année dernière et qui a provoqué une rébellion populaire totalement justifiée. Il n’est donc pas surprenant que d’anciens présidents néo-libéraux tels que Santos ou Cardoso demandent à nouveau l’aide du FMI. Nous devons dire que les peuples n’ont pas besoin de cette aide empoisonnée.

 Nous voyons que la pandémie COVID-19 a accentué la lutte, la confrontation entre les modèles politiques, sociaux et de production. Nous voyons plus que jamais le capitalisme confronté aux propositions socialistes. Comment se présente le monde post-coronavirus ?

 Elle dépendra entièrement de la capacité des citoyens du monde à reprendre leur destin en main. Nous constatons que dans la plupart des cas, les gouvernements sont incapables de faire réellement face à la situation, comme le président brésilien J. Bolsonaro, qui est totalement fou dans le gestion de la crise sanitaire, ou le gouvernement de D. Trump. L’autoorganisation, la participation politique et citoyenne des majorités sont fondamentales pour construire de nouvelles perspectives et de nouvelles expériences.

Traduit par Éric Toussaint avec l’aide de www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
Source :https://mundo.sputniknews.com/entre…

Auteur.e Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Source http://www.cadtm.org/Suspendre-le-paiement-des-dettes-et-taxer-les-riches-pour-affronter-la-crise

Sortie de crise: 3 scénarios

Covid-19 et sortie de crise : trois scénarios pour explorer le champ des possibles publié sur Contretemps

Dans cet article, Alain Bihr cherche à penser la situation socio-politique qui pourrait succéder à la crise sanitaire. Il formule et développe trois scénarios possibles, qui dessine des futurs très différents : la perpétuation et l’approfondissement du néolibéralisme et de ses contradictions ; un tournant néo-social démocrate ; l’ouverture de brèches en vue d’une rupture révolutionnaire.

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La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 présente un caractère doublement global : elle est à la fois mondiale et multidimensionnelle (non seulement sanitaire mais aussi économique, sociale, politique, idéologique, psychique, etc.). A ce double titre, elle déstabilise gravement le pouvoir capitaliste dans ses différentes composantes, en le mettant au défi de se renouveler, en inventant et développant de nouvelles modalités au-delà de la réinstauration des anciennes mises à mal.

Du même coup, cette crise constitue aussi un défi lancé à toutes les forces anticapitalistes, lui aussi double. Défensivement, il doit anticiper sur la mise en œuvre de ces nouvelles modalités de domination capitaliste tout en cherchant, offensivement, à tirer profit de l’affaiblissement conjoncturel du pouvoir capitaliste pour faire évoluer le rapport de force en sa faveur, voire ouvrir des brèches susceptibles de s’élargir sur des perspectives révolutionnaires.

Les lignes qui suivent n’ont d’autre ambition que d’exposer quelques thèses concernant l’un et l’autre de ces deux aspects de la crise et de contribuer ainsi à la discussion qui s’est déjà amorcée à ce sujet dans les rangs anticapitalistes[1]

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1. C’est au niveau de ses instances gouvernementales que le pouvoir capitaliste s’est trouvé déstabilisé de la manière la plus évidente par la pandémie et la crise sanitaire qui s’en est suivie. Le déni d’abord[2], la procrastination ensuite, les demi-mesures pour continuer, transformant une nécessité créée de toutes pièces (car dictée par l’état déplorable d’un appareil sanitaire affaibli par des décennies de restrictions budgétaires, ordonnées aux politiques néolibérales, en dépit des alertes et mobilisations des personnels soignants) en une vertu mensongère (le dépistage systématique serait inutile, les masques de protection ne serviraient à rien, etc.) et, enfin, un amateurisme ubuesque dans leur exécution, qui ferait rire en d’autres circonstances, ont gravement compromis le crédit de l’immense majorité des gouvernants. Et ce, même lorsque l’imbécillité ignare (comme dans le cas d’un Donald Trump, d’un Andrés Manuel Lopez Obrador ou d’un Jair Bolsonaro) ou le cynisme néodarwiniste inspirant la thèse de l’immunité de groupe (comme dans le cas d’un Boris Johnson, d’un Mark Rutte[3] ou d’un Stefan Löfven[4]) n’y ont pas rajouté une couche d’ignominie criminelle.

Il est désormais évident pour une majeure partie des populations qui ont eu à en subir les conséquences que ces gouvernants sont prêts à tout pour masquer leur impéritie, leur absence de prise sur des événements, surtout leur responsabilité dans l’insuffisance notoire de la capacité de réaction d’un appareil sanitaire qu’ils ont sciemment affaibli, au prix de mensonges redoublés que leur redoublement même finit par trahir. C’est à six reprises, pas moins, que, lors de son allocution du 16 mars, Emmanuel Macron a répété que « nous sommes en guerre ». Le recours à cette métaphore abusive devrait nous alerter. C’est le moment de se souvenir qu’« on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse », selon un bon mot de Georges Clémenceau, un fin connaisseur dans cette triple matière. Et, comme Clausewitz nous l’a appris, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens : en l’occurrence, en cherchant à aggraver la panique engendrée par la pandémie, il s’agit de provoquer le réflexe d’unité nationale, voire d’« Union sacrée », propre à regrouper le peuple apeuré autour du chef des armées et de son État, en dénonçant par avance toute critique comme une haute trahison.

Ont cependant fait exception les gouvernements de la Corée du Sud, de Taïwan, de Hongkong et de Singapour qui ont, d’emblée, mis en œuvre la seule stratégie efficace de lutte contre la diffusion du Covid-19 à base de dépistage de tous les cas suspects, de confinement et traitement des seules personnes infectées et de celles qui les ont approchées et qui ont pu être identifiées, de port obligatoire de masques et de tracking dans l’espace public pour toutes les autres[5]. Encore fallait-il disposer du matériel, du personnel et des infrastructures appropriés à ces fins (sans compter une bonne dose de discipline collective), qui faisaient précisément défaut dans les cas précédemment mentionnés, pour les raisons que l’on sait.

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2. C’est cependant bien plus profondément que dans les seules sphères gouvernementales que le pouvoir capitaliste se trouve aujourd’hui ébranlé. Ce sont en fait les bases mêmes de la production capitaliste qui se trouvent mises en cause, tant ses exigences les plus immédiates et les formes qu’elles ont prises durant ces dernières décennies que la dynamique proprement infernale dans laquelle elle a entraîné l’humanité et la planète entières.

En premier lieu, il faut se rappeler qu’il n’y a de capital qu’à la condition qu’il y ait du travail vivant à exploiter. Valeur en procès, le capital ne peut conserver et accroître sa valeur, ce qui est son but propre indéfiniment poursuivi dans un cycle aussi ininterrompu que possible, qu’à la condition qu’il trouve sur le marché une force de travail humaine qu’il puisse s’approprier et exploiter. Si cette force fait défaut, c’est son existence même qui est menacée.

Or la pandémie de Covid-19 confronte le capital au risque d’un pareil défaut. Ce défaut est d’ores et déjà effectif, sous la forme de la désertion d’une partie des travailleurs, faisant valoir leur droit de retrait, faute que les directions capitalistes des entreprises ne soient pas plus capables que les gouvernements de leur assurer les protections sanitaires indispensables sur leurs lieux de travail (chantiers, ateliers, entrepôts, magasins, bureaux, etc.) ; sous la forme aussi du chômage technique entraîné par la désorganisation de la production, tant vers l’amont (du côté des fournisseurs ou des sous-traitants) que vers l’aval (du côté des distributeurs) ; sous la forme enfin de la désertion des consommateurs finaux… qui se trouvent être massivement des travailleurs salariés. Et ces effets d’interruption, de ralentissement et de désorganisation de la production seront d’autant plus graves et dommageables pour le capital que la pandémie durera. Si cette dernière devait se prolonger, s’amplifier et récidiver, comme cela est fortement probable lors de la levée du confinement, la crise de valorisation du capital (correspondant en fait à une dévalorisation relative ou même absolue d’une bonne partie de ce dernier) prendrait une dimension catastrophique, amplifiant du même coup la déconfiture du capital financier dans sa composante fictive (les marchés boursiers), amorcée en fait avant la crise sanitaire et que celle-ci n’aura fait que précipiter et amplifier. Mais ce défaut de travail vivant pourrait prendre des formes encore plus catastrophiques si la pandémie devait finalement entraîner une mortalité de masse, en privant le capital de main-d’œuvre et en y rééquilibrant en faveur du travail un rapport de force sur le marché du travail que le chômage déséquilibre actuellement en faveur du capital. Et ce sans considérer, pour l’instant, les inévitables explosions sociales qui accompagneraient un pareil scénario catastrophe. D’où finalement le choix contraint du confinement, faute des moyens qui auraient permis l’option sud-est asiatique (coréenne, taïwanaise, etc.), quoi qu’il doive en coûter immédiatement au capital.

De tout cela, les directions capitalistes (gouvernementales et patronales) ont plus ou moins conscience. D’où leurs pressions répétées sur les travailleurs pour qu’ils continuent de travailler, en dépit des risques de contamination qu’elles leur font ainsi courir, en dépit de leur droit au retrait et des avis favorables donnés en ce sens par les inspections du travail ou même des tribunaux[6] ; pressions modulées cependant selon qu’il s’agit de cadres (incités à pratiquer le télétravail) ou de prolétaires (ouvriers et employés) qui sont sommés de continuer à se présenter à leur poste tous les jours, modulations dont le caractère de classe n’échappera à personne. D’où aussi leur injonction contradictoire : « Restez tous chez vous ! » mais « Continuez à aller travailler autant que possible ! » alors même que les éléments de protection les plus élémentaires (distances de sécurité, gants et masques, gels hydroalcooliques) font défaut ou sont impossibles à assurer sur les lieux de travail. D’où enfin et surtout leur impatience à sortir du confinement qui se heurte cependant à la difficulté de réunir les conditions matérielles (tests de dépistage, port de gants et de masques) et sociales (réorganisation en conséquence d’un appareil sanitaire au bord de l’effondrement) de l’opération, pour qu’elle ne risque pas de virer au fiasco en relançant la pandémie[7].

Par ailleurs, cette pandémie met en œuvre une contradiction majeure à l’œuvre dans l’actuelle phase de la « mondialisation » capitaliste, en fragilisant du coup le pouvoir capitaliste à un autre niveau encore. Contrairement à ce que la vulgate néolibérale renforcée par de nombreuses études académiques laisse entendre depuis des décennies, la « globalisation » n’a nullement rendu caduques et inutiles les États, y compris dans leur forme et dimension nationales (les États-nations). Certes, le procès immédiat de reproduction du capital, unité de son procès de production et de son procès de circulation, s’est « mondialisé » : en témoignent la « mondialisation » de la circulation des marchandises et des capitaux tout comme la « mondialisation » des « chaînes de valeur » (la segmentation des procès de production entre des lieux dispersés, en l’occurrence situés dans différents États, en faisant appel à des forces de travail inégalement qualifiées et productives et inégalement rémunérées), en donnant ainsi une dimension planétaire à « l’usine fluide, flexible, diffuse et nomade » qu’affectionnent les entreprises transnationales. Mais il n’en a pas été ainsi, ou alors à un bien moindre niveau, de la production et reproduction de l’ensemble des conditions sociales générales du procès immédiat de reproduction du capital, dont les États restent les maîtres d’ouvrage et même, en bonne partie, les maîtres d’œuvre. Par exemple, via l’appareil familial (la famille nucléaire, sa division inégalitaire du travail entre sexes et ses tutelles étatiques), l’appareil scolaire, l’appareil sanitaire, l’appareil policier et judiciaire, etc., la reproduction de la force sociale de travail (dont nous avons vu qu’elle est indispensable à la valorisation du capital) reste toujours et encore l’affaire des États-nations, tant dans leurs instances centrales que dans leurs instances décentralisées (régions, métropoles, communes, etc.). C’est ce qui justifie de parler non pas de « mondialisation » ou de « globalisation » mais plus justement de transnationalisation du capitalisme[8].

Cette division du travail reproductif du capital, qui semble fonctionnelle et qui l’est dans le cours ordinaire de la reproduction, manifeste au contraire dans les conditions actuelles la contradiction potentielle sur laquelle elle repose : celle entre un espace de reproduction immédiate du capital aux dimensions planétaires tandis que les appareils assurant la (re)production de ses conditions sociales générales restent dimensionnés et normés à l’échelle nationale. D’une part, si un virus apparu courant novembre sur quelques marchés locaux de la Chine centrale autour de Wuhan a pu donner naissance à une pandémie planétaire en à peine quelques semaines, c’est bien évidemment à l’extension et à l’intensification de la circulation des marchandises et des hommes, inhérentes à la « mondialisation » du procès de reproduction immédiat du capital, qu’on le doit et à son noyau qu’est le modèle de « l’usine diffuse et nomade », dont les réseaux couvrent la planète entière[9]; tandis que ce phénomène pathologique mondial est censé être jugulé par des États-nations agissant en ordre dispersé et chacun pour leur compte propre, érigeant en priorité la défense de l’état sanitaire de leur population respective, conduisant à transformer un monde la veille encore ouvert aux quatre vents de la « mondialisation » (pourvu qu’on ne soit pas un migrant « économique », un requérant d’asile ou un réfugié « climatique ») en une mosaïque d’États qui se ferment les uns aux autres, en ré-érigeant des barrières à leurs frontières et en réaffirmant manu militari le principe de leur souveraineté territoriale[10]. D’autre part, dans ces conditions, non seulement les appareils sanitaires nationaux sont privés de coopération entre eux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se contentant de jouer le rôle de lanceur d’alertes répétées et d’émetteur de recommandations de bonnes pratiques, mais ils vont rapidement être mis en concurrence dès lors qu’ils vont s’adresser tous en même temps aux seules industries capables de leur fournir médicaments, équipements et appareils sanitaires pour lutter contre le Covid-19. Concurrence d’autant plus aiguë et féroce que, enfin, la « mondialisation » du capital aura opéré aussi au sein de ces industries, conduisant à les délocaliser et concentrer dans certains « États émergents » (la Chine et l’Inde notamment), en privant du coup nombre d’États (y compris en Europe) de toutes ressources de cet ordre sur leur propre territoire, réalisant à ce moment-là combien ce processus, par ailleurs encouragé par les politiques néolibérales de restrictions budgétaires, les a rendus dépendants et a précarisé leur sécurité sanitaire.

En troisième lieu, la crise actuelle met en question le modèle de développement inhérent au mode capitaliste de production dans la mesure où, du fait notamment de son productivisme et de son caractère globalement incontrôlable, de son hubris en somme, il ne peut que détruire l’écosystème planétaire. Car, comme lors d’autres pathologies antérieures, plus ou moins sévères, notamment le VIH/sida (apparu en 1981), le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui a sévi entre novembre 2002 et juillet 2003 (déjà occasionné par un coronavirus), la grippe aviaire en 2004 due au virus H5N1, la grippe A (due au virus H1N1) en 2009, la grippe aviaire A (due au virus H7N9) apparue en 2013, le Covid-19 semble bien avoir mis en jeu une transmission entre espaces animales et espèce humaine, mettant en cause les conditions sanitaires de certains élevages (surtout en Asie mais aussi en Europe : cf. l’épisode d’encéphalopathie spongiforme bovine responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob) et surtout les empiétements destructeurs sur certains milieux forestiers tropicaux et autres biotopes naturels, du fait de la pression exercée sur eux par l’agriculture et notamment l’élevage, l’industrie extractive, la concentration et la diffusion urbaines, l’extension des réseaux de transports routiers, le développement du tourisme de masse, la création de parcs animaliers, etc. Ces empiétements favorisent la virulence de certains microbes (bactéries, virus, parasites) et leur transmission d’espèces animales, sur lesquelles elles peuvent être bénignes, à l’espèce humaine, sur laquelle ils sont ou deviennent pathogènes, d’autant plus que cette transmission s’accompagne souvent de leur mutation : le lentivirus du macaque est ainsi devenu le VIH[11]. Sans compter que les risques de morbidité du Covid-19 se trouvent visiblement accrus par toute une série de maux engendrés et/ou véhiculés par la « civilisation » capitaliste (sédentarité, surpoids et obésité liés à la malbouffe, pollution atmosphérique, résistance bactérienne aux antibiotiques du fait de la surconsommation de ces derniers, etc.) Dans ces conditions, la récurrence accélérée au cours des dernières décennies de ce type de pathologies, pouvant prendre un caractère pandémique, s’explique et fait craindre que la pandémie actuelle ne soit qu’un signe avant-coureur de ce qui nous attend si nous ne mettons pas fin à cette course à l’abîme dans laquelle le capitalisme nous a engagés.

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3. A l’heure qu’il est, il est évidemment difficile et, pour partie, aventureux de tenter de prévoir ce qui va se passer une fois que la pandémie actuelle aura été jugulée – si elle peut l’être. Car tout dépendra de l’état démographique, économique, social, politique, psychique, etc., des formations sociales qu’elle aura affectées. État qui variera d’abord en fonction de la durée de celle-ci et de l’efficacité des stratégies socio-sanitaires mises en œuvre pour la juguler. Cet exercice de prospective est néanmoins nécessaire si nous ne voulons pas subir une nouvelle fois les événements.

Tout exercice de ce genre conduit à distinguer différents scénarios. En présupposant que le rapport de force entre capital et travail constituera le facteur clé de ce qui se produira alors et même d’ici là, il est possible de distinguer trois scénarios, entre lesquels des combinaisons partielles ne sont évidemment pas exclues. Ces scénarios doivent se comprendre comme des situations stylisées, en fonction desquelles il doit être possible d’interpréter les événements en cours et ceux qui sont susceptibles de se produire dans les prochains mois mais que, inversement, ces événements doivent conduire à préciser et infléchir au fur et à mesure de leur avènement. Ils ne fourniront donc des clefs d’intelligibilité qu’à cette condition d’en faire usage avec souplesse.

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Scénario 1 : la reprise et la poursuite du business as usual néolibéral.

Il présuppose que le rapport de force entre capital et travail restera ce qu’il a été globalement ces dernières décennies, c’est-à-dire fondamentalement favorable au capital. Et c’est clairement dans cette optique que se sont placés les gouvernements actuels, en mettant déjà en place les moyens nécessaires à cette fin.

Relayant ou anticipant même la demande des entrepreneurs capitalistes, leur priorité est la relance de « l’économie », entendons le procès de production et de circulation du capital, permettant le redémarrage de la valorisation et l’accumulation de ce dernier à grande échelle. Cela suppose de contraindre les travailleurs à reprendre au plus vite et le plus massivement possible le chemin vers leurs lieux d’exploitation ; et les pressions en ce sens, qui n’ont pas cessé depuis le début de la pandémie, augmenteront au fur et à mesure où celle-ci régressera. Elles opéreront par le biais de la cessation de l’indemnisation du chômage technique, mise en place pour permettre précisément à « l’économie » de redémarrer au plus vite après le « trou d’air » qu’elle connaît actuellement, et de la menace du licenciement pour les récalcitrants.

Pour autant, cette relance ne pourra pas être un pur et simple retour au statu quo ante. D’une part, en dépit des mesures de soutien à la trésorerie des entreprises (via le report ou même l’annulation partielle des impôts et cotisations sociales et la prise en charge du chômage partiel) et de l’ouverture de larges possibilités d’emprunts, garantis pour certains par l’État[12], il faut prévoir la faillite de nombreuses entreprises, et pas seulement parmi les PME qui sont les plus exposées, et une passe difficile pour de nombreuses autres, du fait de la désorganisation des relations interentreprises (en amont et en aval de chacune) que ces faillites vont entraîner. Cela va se traduire par une concentration et centralisation accrues du capital dans tous les secteurs et branches, dont l’emprise sur « l’économie » va donc s’accroître, mais aussi par une hausse de leur taux de profit, du fait de la disparition d’une partie du capital en fonction, actuellement en état de suraccumulation. Cependant que les perspectives d’investissement vont être obérées par la dévalorisation de leur capital que les investisseurs institutionnels viennent d’enregistrer en bourse, qui va les rendre à la fois plus frileux et plus exigeants en termes de garantie de retour sur investissement. Avec pour résultante globale une augmentation du chômage, que ne palliera pas entièrement le redémarrage de la consommation (productive et improductive) qui suivra la fin du confinement, et qui viendra déséquilibrer un peu plus encore le rapport de force sur le marché du travail en faveur du capital.

D’autre part, celles des entreprises qui parviendront à s’en sortir, et pour s’en sortir précisément, chercheront à accroître l’exploitation du travail, en jouant principalement sur sa durée et son intensité, la hausse des gains de productivité ralentissant régulièrement depuis quelques décennies[13]. A cette fin, elles pourront évidemment profiter de la hausse du chômage pour activer un peu plus encore le chantage au licenciement ; mais elles pourront aussi bénéficier de l’appui des gouvernements sous la forme d’un durcissement des conditions légales d’emploi, de travail et de rémunération. En France par exemple, elles pourront s’appuyer sur l’ensemble des mesures dérogatoires à ce qu’il reste du Code de travail qui ont été adoptées dans le cadre de la loi instituant « l’état d’urgence sanitaire » qu’il suffira de proroger en « état d’urgence économique ». Rappelons que ces dérogations concernent

« la facilitation du recours à l’activité partielle ; la possibilité d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance, ou d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié ; l’autorisation donnée aux entreprises particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ; à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités des versements au titre de l’intéressement ou de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat pourront être modifiées »[14].

Et signalons qu’à ce jour (15 avril) le décret devant préciser les secteurs dans lesquels ces dérogations ne devaient pas s’appliquer n’est toujours pas paru.

Enfin, la crise économique qui aura accompagné la crise sanitaire n’aura pas mis à mal seulement la trésorerie des entreprises : elle aura également brutalement dégradé l’état des finances publiques, du fait tant du gonflement des dépenses occasionnées par les plans de soutien à « l’économie »[15] que de la contraction des recettes fiscales liées à la panne d’une partie de cette même « économie » (notamment du côté de l’impôt sur le capital et des impôts indirects taxant la consommation)[16], en provoquant un surcroît de déficit public[17], couvert comme d’habitude par recours à l’emprunt. D’où d’ores et déjà une brusque hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics auparavant orientés à la baisse, même nuls dans certains cas, que les principales banques centrales ont tenté de prévenir et limiter par une nouvelle vague de quantitative easing[18]. D’où aussi la relance de projets d’eurobonds (surnommés en l’occurrence covibonds) : d’émissions de titres de crédit par l’ensemble des États de l’Union, par le biais de la BCE, revenant donc à mutualiser ce surcroît de dettes publiques pour venir en aide aux États membres les plus affectés par la pandémie dont les conditions d’emprunts sur les marchés financiers sont aussi les moins favorables (Italie, Espagne, Portugal) ; ce qu’ont refusé, pour l’instant, comme à l’ordinaire l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande, faisant prévaloir leur souveraineté nationale sur une opération qui aurait représenté un pas en avant sur la voie de la constitution d’un État fédéral européen[19].

Dans la perspective de ce premier scénario, cette dégradation des finances publiques aurait pour conséquence à peu près certaine le redoublement de la politique austéritaire précédemment pratiquée par les gouvernements, impliquant aussi bien une hausse des impôts et des cotisations sociales portant sur le travail et la consommation finale qu’une baisse des dépenses publiques, partant des coupes claires dans les budgets affectés à la couverture des besoins sociaux les plus élémentaires : logement, transport, éducation et même santé. Car la crise que nous subissons actuellement du fait de décennies de sous-investissement public sanitaire pourrait ne pas infléchir les orientations antérieures en la matière, si l’on en juge par exemple par l’étude que vient de remettre la Caisse des dépôts et consignations, laquelle envisage de s’en remettre à des partenariats public-privé pour pallier le défaut d’investissements publics dans les hôpitaux[20]. Ou si l’on s’en remet aux déclarations du directeur de l’Agence régional de santé de la Région Grand Est, selon lesquelles une fois la pandémie passée il y aura lieu de poursuivre le plan d’économies prévu pour l’hôpital de Nancy en y supprimant 598 emplois et 174 lits[21] ! Même orientation aberrante en Suisse où, en pleine crise du Covid-19, le Conseil fédéral planifie une diminution des recettes des hôpitaux de cinq à six cents millions de francs au minimum[22].

Et, pour boucler le tout, afin de prévenir tout mouvement social qui s’opposerait à un pareil rétablissement de l’état et de la dynamique catastrophique antérieurs, impliquant de passer la crise sanitaire et ses conséquences sociales par pertes et profits et de blanchir les gouvernants en place de toute responsabilité en la matière, ces derniers pourraient toujours compter sur le maintien voire le durcissement du régime de restriction des libertés publiques mis en place pour faire face à la pandémie, dont le Syndicat de la magistrature s’est lui-même ému en France[23]. Et ils sauraient à coup sûr tirer parti du nouveau seuil de surveillance généralisée que le confinement aura permis de franchir, à coups de surveillance des espaces publics par drones et capteurs de chaleur et des déplacements individuels par tracking des téléphones portables. « Big Brother » deviendrait un compagnon aussi intrusif qu’inévitable dès lors que l’on sortirait de chez soi. S’ils devaient y parvenir, il parachèverait du même coup des évolutions amorcées à l’occasion de la lutte contre cet autre ennemi invisible, l’ainsi dénommé « terrorisme », qui aura inauguré une restriction chronique des libertés publiques et la marche vers un pouvoir panoptique de surveillance, de contrôle et de répression.

Enfin, ils pourraient également compter sur les effets persistants de l’état psychique créé par cette pandémie et les mesures de confinement qui ont été imposées pour y faire face : l’autodiscipline dans l’acceptation de l’état d’exception comme forme normale du gouvernement ; l’attitude de méfiance envers les autres comme envers soi-même comme sources possibles de menace (facteur d’infection), s’exprimant à travers leur mise à distance, les « gestes barrières », le port de gants et de masques ; plus profondément, enfin, une perte de confiance dans le monde. Pour ne rien dire du traumatisme subi par ceux et celles qui auront perdu l’un-e des leurs, sans avoir même pu se recueillir auprès de leur dépouille, rite pourtant nécessaire à tout travail de deuil. Autant d’éléments peu propices au développement de mobilisations collectives.

En somme, ce premier scénario répéterait la séquence que l’on a vu jouer à l’issue de la crise financière de 2007-2009, dite crise des subprime, en pire. Alors, la remise en cause des dogmes néolibéraux par la crise aura été l’occasion pour les gouvernants de réaffirmer autoritairement ces dogmes, en tirant argument de ce que la crise n’aurait pas résulté de leur application mais, au contraire, des insuffisances de cette même application, qu’il convenait par conséquent de poursuivre et redoubler[24]. Fidèles à la « stratégie du choc » (Naomi Klein) qui leur a toujours réussi jusqu’à présent, il ne fait guère de doute que « nos » gouvernants vont tenter de profiter du choc économique, financier, social, psychologique de la crise (sanitaire) actuelle pour prolonger et redoubler la mise en œuvre de ces politiques, en cherchant ainsi à masquer et faire oublier la lourde responsabilité de ces dernières et d’eux-mêmes qui les ont administrées dans le déclenchement et la gestion calamiteuse de cette crise.

Les faiblesses d’un pareil scénario sont cependant multiples. Outre qu’il n’est pas assuré que les gouvernants parviennent à maîtriser si facilement les mouvements sociaux que sa mise en œuvre ne manquerait pas de produire, sauf à faire prendre une allure dictatoriale à leur mode de gouvernement (comme c’est déjà le cas en Hongrie), il fait surtout l’impasse sur les deux derniers des défis lancés par l’actuelle pandémie au pouvoir capitaliste précédemment mentionnés. Il ne remédierait en rien à la contradiction inhérente à la transnationalisation du capital que j’ai pointée, qui fait reposer en définitive sur les épaules des seuls États-nations la (re)production des conditions générales de ce rapport social, alors même qu’il se déploie quotidiennement au-delà de leurs frontières et de leur espace de souveraineté. Quant au fait que la pandémie actuelle se présente vraisemblablement comme un simple développement particulier, mais particulièrement aigu, de la catastrophe écologique planétaire dans laquelle le mode capitaliste de production a engagé l’humanité tout entière, la poursuite des politiques néolibérales en aurait d’autant moins cure qu’elles sont par définition totalement aveugles aux « externalités négatives » du procès capitaliste de production[25]. Autrement dit, la réalisation d’un pareil scénario ouvrirait grandes les portes à la réédition à court ou moyen terme de pareilles crises, y compris à plus vastes échelles encore.

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Scénario 2 : un tournant néo-social-démocrate

La gestion calamiteuse de la crise sanitaire par les gouvernants, qui risque de se prolonger voire de s’aggraver au moment de la levée des confinements, les mesures austéritaires qu’ils pourraient être amenés à prendre pour relancer « l’économie », les tentatives de reprise et de prolongement du programme de « réformes » néolibérales qui leur a servi d’agenda avant la présente crise, tout cela peut aussi bien provoquer, par réaction, des mouvements sociaux leur demandant des comptes quant à leur responsabilité dans cette affaire et leur imposant des inflexions par rapport aux orientations antérieures. Ces mouvements trouveraient facilement à s’alimenter au discrédit de ces mêmes gouvernants, né du spectacle de leur impéritie, de la colère et des frustrations engendrées par le confinement, de la volonté de trouver des responsables et des coupables à ce fiasco de grande ampleur, discrédit qui pourrait rejaillir sur l’ensemble des politiques néolibérales antérieures dont le caractère néfaste et proprement criminel même a été démontré à grande échelle par la crise sanitaire engendrée par le délabrement du service public de santé, dont ces politiques sont directement responsables.

Il ne fait pas de doute que les personnels de santé seraient en première ligne de pareils mouvements, tout particulièrement ceux des hôpitaux publics, qui tout au long de l’année dernière n’ont cessé de dénoncer la casse de l’appareil sanitaire en obtenant pour seules réponses au mieux le mépris des irresponsables qui leur tiennent lieu de supérieurs, quand ce n’est pas les gaz lacrymogènes et la matraque, et qui, au péril de leur vie, auront été en première ligne dans la lutte contre la pandémie. Ils seraient, espérons-le, appuyés par tous ceux et celles qui auront été sauvés par leurs soins, accompagnés de leurs proches ; mais aussi de tous ceux et celles dont l’un-e des leurs est mort-e dans des conditions indignes, alors qu’une autre politique de santé publique aurait pu les sauver ; et, plus largement, de tous ceux et celles qui auraient pris conscience à cette occasion de la nécessité de se mobiliser pour faire cesser pareille casse. Et ils et elles seraient certainement relayés par tous les chercheurs qui auront vu leurs recherches sur les virus littéralement sabordées sous l’effet des restrictions budgétaires[26].

On peut également espérer que le confinement aura rendu insupportable à un grand nombre l’insuffisance, quantitative et qualitative, du logement social et, plus largement, leurs conditions de logement, notamment en milieu urbain, tout en leur faisant prendre conscience de la nécessité d’engager un plan massif de construction et de rénovation. Sans même vouloir évoquer les conditions misérables et indignes dans lesquelles auront été confinées, en France mais sans doute aussi ailleurs, les personnes incarcérées[27], celles maintenues dans les centres de rétention administrative[28] ainsi que celles internées pour raison psychiatrique[29], que le confinement aura particulièrement éprouvées, elles aussi bien que leurs proches et soutiens.

Il est évidemment difficile de prévoir sur quelles perspectives politiques globales pourraient déboucher de pareils mouvements sociaux, s’ils devaient se produire. Quoi qu’il en soit, ils conduiraient à une inflexion du rapport de force entre capital et travail. L’ampleur et la durée de cette inflexion dépendraient évidemment du degré de leur radicalité et, partant, de leur orientation dominante.

Cela conduit à envisager un deuxième scénario qui déboucherait sur un nouveau compromis entre capital et travail du même ordre que celui qui avait soldé, dans les années 1930 et 1940, la crise structurelle que le capitalisme avait traversée à l’époque et les luttes sociales et politiques, nationales et internationales, qui l’avaient accompagnée – compromis ordinairement qualifié de fordiste ou de social-démocrate. Destinée à remettre le capitalisme en selle tout en en infléchissant notoirement le fonctionnement, la réalisation d’un tel scénario supposerait que les différents défis lancés par la crise actuelle, précédemment détaillés, soient relevés d’une manière ou d’une autre. Dans cette mesure même, elle supposerait de combiner des inflexions majeures selon trois axes différents.

En premier lieu, une rupture nette avec les politiques néolibérales. Parmi les points de rupture majeurs, il conviendrait, d’une part, de procéder à un partage de la valeur ajoutée plus favorable au travail par des créations d’emplois et par une hausse généralisée et substantielle des salaires réels, davantage d’ailleurs du salaire indirect que du salaire direct. D’autre part, en rapport avec le point précédent, il faudrait procéder une augmentation de la dépense publique en faveur de la protection sociale, des services publics (en priorité l’éducation et la santé) et des équipements collectifs (notamment du logement social). Enfin, et en conséquence des deux points précédents, s’imposerait une inflexion sérieuse des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), impliquant notamment une baisse de la fiscalité directe (CSG : contribution sociale généralisée) et indirecte (TVA et autres taxes sur la consommation) pesant sur les salaires et une hausse de la fiscalité pesant sur les entreprises (impôt sur les sociétés), sur les hauts revenus (via la réintroduction de tranches supérieures d’imposition sur le revenu) et les gros patrimoines, visant tant leur possession (par réintroduction et augmentation de l’impôt sur la fortune) que leur transmission[30].

L’inflexion du rapport de force entre capital et travail passerait, en deuxième lieu, par une « démondialisation » partielle du procès immédiat de reproduction du capital. Cela supposerait, pour commencer, de définir un champ de souveraineté économique national[31], autrement dit un ensemble de secteurs ou de branches dont le contrôle par l’État est considéré comme stratégique du point de vue de la sécurité de sa population ; un tel champ devrait inclure, a minima, outre l’agroalimentaire, le logement social, le sanitaire[32], l’éducatif et la recherche scientifique. Cela pourrait impliquer, par conséquent, la (re)nationalisation des entreprises placées en position de monopole ou d’oligopole dans chacun des secteurs ou branches précédents (au premier chef desquelles les industries pharmaceutiques) ; plus largement, la subordination étroite de l’ensemble des entreprises opérant dans ces secteurs et branches à des règles, propres à assurer une telle souveraineté, en ce qui concerne leurs décisions d’investissement ou de désinvestissement, de recherche et de développement, d’allocation de leurs profits. Et, pour compléter le tableau, il ne faudrait pas oublier de taxer l’ensemble des entreprises transnationales de telle manière à limiter drastiquement leurs opérations d’optimisation et de fraude fiscale, en les imposant en due proportion des opérations qu’elles réalisent sur le sol national.

En troisième lieu, en s’inspirant des projets de Green New Deal[33], il s’agirait de mettre en œuvre un plan massif d’investissements publics en faveur de la lutte contre la catastrophe écologique, en ciblant en premier lieu le réchauffement climatique et la dégradation de la biodiversité, impliquant notamment : des aides au développement des énergies renouvelables, l’isolement thermique des bâtiments, privés et publics, le développement des transports publics, notamment dans les espaces ruraux et périurbains, la reconversion de l’agriculture vers le bio et les circuits courts, etc.

Se pose alors une première question : celle des conditions de possibilité subjectives d’un pareil scénario, autrement dit celle de savoir quelles forces sociales et politiques seraient susceptibles de prendre en charge un pareil projet et programme réformiste et, le cas échéant, comment elles seraient en mesure de faire bloc à cette fin. Pour l’instant, aucun mouvement social ni aucune formation politique constituée, à capacité gouvernementale, ne défendent un tel programme. On ne trouve rien de tel du côté de ce qu’il reste des partis soi-disant socialistes, social-démocrates ou travaillistes, qui pourraient pourtant utilement se renouveler à cette occasion, englués et dilués qu’ils restent dans leur ralliement antérieur, honteux ou tapageur, au néolibéralisme[34]. Pas davantage ne trouve-t-on quelque chose de cet ordre du côté des formations écologistes. Europe Écologie Les Verts en restent pour l’instant à dénoncer les causes immédiates de la crise sanitaire[35] et réduisent le Green New Deal à « une fiscalité plus redistributive : à situation exceptionnelle impôt exceptionnel, en particulier pour les grandes fortunes et les assurances qui engrangent des profits indus pendant le confinement »[36].

Même les propositions soumises par la Convention citoyenne pour le climat s’avèrent minimales[37]. Après avoir noté très justement que « la perte de biodiversité, la destruction des milieux naturels, sont des témoins de la crise écologique, mais sont aussi pointés comme des facteurs importants de la crise sanitaire d’aujourd’hui » et que « la multiplication des échanges internationaux et nos modes de vie globalisés sont à l’origine de la propagation rapide de l’épidémie », elle se contente de souhaiter que « la sortie de crise qui s’organise sous l’impulsion des pouvoirs publics ne soit pas réalisée au détriment du climat, de l’humain et de la biodiversité », elle se contente en tant que préconisations de suggérer que « des grands travaux soient lancés pour réduire la dépendance de la France aux importations, favoriser l’emploi en France et réduire les émissions de gaz à effet de serre » et de rappeler « qu’il est nécessaire de relocaliser les activités des secteurs stratégiques pour assurer notre sécurité alimentaire, sanitaire et énergétique » ainsi que « l’importance des solidarités internationales pour une action efficace ». Bref de bonnes intentions sans plan plus précis pour les exécuter.

Tout juste perçoit-on pour l’instant quelques voix reprenant les propositions précédentes. Des voix dispersées qui sont loin encore de constituer un chœur. Il faudrait donc compter sur la mobilisation collective précédemment envisagée pour leur permettre de s’amplifier et de s’unifier.

D’ores et déjà, certaines organisations syndicales se sont placées dans une telle perspective réformiste. La CGT, par exemple, a adressé au président de la République une lettre ouverte dans laquelle elle lui demande d’infléchir l’ensemble de sa politique antérieure en lui soumettant les propositions suivantes :

« Relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, permettant d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux et de reprendre le contrôle sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale des activités.

Réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres écologiques.

Établissement de soutiens financiers massifs vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes…

Une remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive »[38].

Et il n’est pas même exclu que, du côté des gouvernants, de pareilles propositions soient entendues et reprises pour partie. C’est Emmanuel Macron qui, après s’être lamenté du « pognon de dingue » que coûteraient les minima sociaux et avoir affirmé haut et fort sa volonté d’y mettre bon ordre par la responsabilisation des assurés sociaux[39], découvre brusquement que

« la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe »[40].

Et, même brusque révélation du caractère néfaste des politiques néolibérales outre-Rhin chez sa collègue Angela Merkel :

« “Bien que ce marché [celui des masques de protection] soit actuellement situé en Asie, il est important que nous tirions de cette pandémie l’expérience que nous avons également besoin d’une certaine souveraineté, ou au moins d’un pilier pour effectuer notre propre production ”, en Allemagne ou en Europe, a-t-elle défendu »[41].

Certes, on sait d’expérience ce que valent ces déclarations faites dans le feu du désarroi par des dirigeants qui se sont rendus coupables de ce à quoi ils promettent de remédier, avant de revenir à leurs anciennes amours et pratiques à peine la crise passée. Mais il n’en est pas moins significatif que les « premiers de cordée » du néolibéralisme pur et dur au niveau européen se soient laissé aller à de pareils propos.

Mais cette perspective réformiste soulève encore une seconde question : celle de ses conditions de possibilité objectives, soit celle des obstacles et limites auxquelles sa réalisation se heurterait dans l’état actuel du mode capitaliste de production. Deux de ces limites sautent immédiatement aux yeux. D’une part, le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée en faveur du salaire et au détriment du profit, assorti d’une augmentation des prélèvements obligatoires pour financer tant la remise à niveau des équipements collectifs et des services publics que le plan massif d’investissements publics en faveur de Green New Deal, des mesures qui se recoupent et se chevauchent pour partie certes, ne se heurteraient pas moins à la baisse tendancielle des gains de productivité précédemment signalée. Autrement dit, les gains de productivité ne seraient sans doute plus suffisants pour financer à la fois la valorisation du capital (via les profits), la hausse des salaires réels et la hausse des dépenses publiques en faveur d’un vaste programme d’investissement à but social et écologique. En somme, il existe une sorte de triangle d’incompatibilité entre ces trois objectifs.

D’autre part, si un Green New Deal est en mesure d’atténuer les effets écologiquement désastreux de la poursuite d’une accumulation du capital débridée, de freiner par conséquent la dynamique de la catastrophe écologique globale engendrée par cette dernière, il est parfaitement incapable de résoudre la contradiction entre la nécessaire reproduction élargie du capital (son accumulation), qui ne connaît pas de limite, et les limites de l’écosystème planétaire. Pour le dire autrement et plus simplement, il peut y avoir des capitaux verts mais pas de capitalisme vert[42]. Sous ce rapport aussi, le capitalisme a sans doute atteint ses limites et le réformisme avec lui. Et, s’il devait se produire, le tournant néo-social-démocrate aurait de ce fait toute chance de nous engager dans une impasse à moyen terme.

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Scénario 3: ouvrir des brèches en vue d’une rupture révolutionnaire

On est dès lors en droit d’imaginer un troisième scénario, bien qu’il semble a priori plus improbable encore que le précédent. Il part de l’hypothèse selon laquelle plus une crise du mode de production capitaliste est profonde, plus elle manifeste ses contradictions insurmontables et ses limites indépassables, plus elle crée les conditions à l’ouverture de brèches par lesquelles peuvent s’engouffrer les forces sociales et politiques œuvrant à une rupture révolutionnaire, qui trouvent leur base naturelle dans le salariat d’exécution (ouvriers et employés, tous secteurs et branches confondus) qui définit aujourd’hui le prolétariat.

Or c’est bien un pareil processus qui est d’ores et déjà actuellement engagé, au cœur de cette crise, fût-ce de manière encore embryonnaire mais significative. Donnons-en quelques exemples. Contre les pressions redoublées des gouvernants et des employeurs et leur double langage, ce sont les travailleurs et travailleuses qui, par leur retrait spontané, leurs débrayages ou même par des grèves, ont imposé l’arrêt de la production ou sa poursuite à la seule condition du respect de normes de sécurité (distance, port de gants et de masques, désinfection des locaux, etc.), dans le simple but de préserver leur santé et leur vie[43]. Ce qu’ils et elles ont ainsi clairement affirmé, c’est qu’ils-elles sont les seuls maîtres en dernière instance du procès de production : que ce sont eux-elles qui produisent toute la richesse sociale et qui sont aussi en capacité de faire cesser cette production. Vérité foncière que toute l’idéologie dominante dans ses différentes facettes occulte sans cesse en temps ordinaire.

S’est aussi imposée dès lors, dans la pratique même mais aussi dans la conscience réflexive qui l’a accompagnée, la nécessité de distinguer entre les activités productives strictement nécessaires à la poursuite de la vie sociale (santé, alimentation, services de base : eau, gaz, électricité, etc.), et qu’il a fallu poursuivre sous certaines conditions de sécurité, et celles qui sont superflues voire nuisibles, dont on peut se passer ou qu’il est même souhaitable de mettre à l’arrêt (la production automobile, l’industrie militaire, les chantiers navals – liste non exhaustive). Même si elle n’est pas facile à opérer, tant les activités productives sont imbriquées les unes dans les autres dans tout appareil de production socialisé[44], et précisément parce qu’elle n’est pas facile à opérer, cette distinction soulève la question de ce que, dans un processus de transition socialiste, il conviendrait de maintenir de l’appareil de production existant, au moins dans un premier temps et en le transformant, et de ce qu’il conviendrait d’abandonner immédiatement ou de reconvertir profondément, dans le cadre d’une planification de la production en fonction de la nécessité et de l’urgence de satisfaire les besoins sociaux les plus fondamentaux. De telles reconversions ont d’ailleurs d’ores et déjà commencé : on a vu des entreprises textiles se lancer dans la confection de masques chirurgicaux, des parfumeries dans la production de gel hydroalcoolique, des entreprises automobiles dans la mise au point d’appareils d’assistance respiratoire, etc.[45]

Sous la pression de la nécessité mais aussi sous l’effet de la solidarité entre « ceux-celles d’en bas » conscients de l’incurie et de l’indifférence de « ceux-celles d’en haut », on a vu se mettre en place et se développer, un peu partout, au niveau local, des pratiques et des réseaux d’entraide pour faire face aux difficultés et problèmes résultants du développement de la pandémie et des mesures de confinement, notamment en faveur des plus démunis d’entre ces expropriés que sont par définition les prolétaires : travailleurs précaires et chômeurs, femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales, personnes âgées isolées, mal logés et SDF, étrangers sans papier, réfugiés, etc. Selon le cas et les lieux, il s’est agi de la préparation de paniers repas ; de collectes de nourriture, de produits de protection et d’hygiène ou de vêtements, de livres, de DVD, etc. ; de soins à domicile ; de lutte contre la solitude et l’isolement ; de mises en place de structures d’aide scolaire à destination des enfants confinés et privés de scolarité ; de réquisitions de chambres d’hôtel ; d’interventions en préfecture pour y obtenir des régularisations, etc. Ces actions ont eu d’autant plus de consistance qu’elles ont pu s’appuyer sur des collectifs ou des réseaux préexistants, tels les Amap[46] dont l’utilité s’est illustrée en ces temps où le ravitaillement en grandes surfaces est devenu problématique. L’importance de ces pratiques et réseaux ne se mesure pas seulement à leurs effets immédiats en termes de solidarité concrète mais encore en ce qu’ils sont autant d’occasions de mettre en évidence et en accusation les défauts actuels des appareils de protection sociale et plus largement des pouvoirs publics, conséquences de leur étranglement financier par les politiques néolibérales mais aussi de leur structure bureaucratique traditionnelle. Surtout, en tant qu’éléments d’auto-organisation populaire, ils constituent autant de préfigurations de cette autogestion généralisée que serait une société libérée de toute structure d’exploitation et de domination ; et c’est à ce titre qu’ils méritent de figurer ici[47].

Enfin, en cette période où « l’économie » est en bonne partie en panne, où les marchandises et l’argent circulent avec peine, où la survie dépend moins des échanges marchands que de la solidarité interpersonnelle ou associative et de la distribution de la manne étatique, on a vu (ré)apparaître partout la gratuité. Aiguillonnés par la peur de perdre le contact avec leurs clients cloués chez eux, les éditeurs se sont mis à proposer gratuitement une (toute petite) partie de leur fonds ; différents producteurs de cinéma et différentes plates-formes de vidéos à la demande en ont fait autant ; etc. Pour intéressée et temporaire que soit cette gratuité, elle n’en indique pas moins ce que devrait être l’accès à la culture dans une société libérée de l’emprise de la propriété privée et du marché : un service public et gratuit à la portée immédiate de tout un chacun.

Au titre des autres bénéfices paradoxaux de la panne actuelle de l’économie capitaliste, il faut signaler la chute spectaculaire des différentes formes de pollution que celle-ci engendre dans son cours ordinaire. Baisse de la pollution atmosphérique un peu partout dans le monde : en Chine[48], en Europe[49], en Inde[50]. Baisse sensible de la pollution sonore liée à la circulation automobile, qui permet d’étendre à nouveau le souffle du vent dans les frondaisons et les chants d’oiseau. Baisse de la pollution publicitaire sur les ondes. Quasi-disparition de la pollution de la communication téléphonique du fait de la fermeture des centres d’appels. Autant de manifestations in vivo que l’on vit mieux sans le capitalisme, dont seules les mesures de confinement qu’il continue à nous imposer nous empêchent de profiter pleinement.

Bref, de multiples manières, la crise actuelle ouvre des brèches dans le système des rapports, des pratiques et des représentations par lesquels s’exerce ordinairement la domination du capital, avec son inévitable lot de nuisances, qui laissent clairement apercevoir qu’un autre monde est possible et qu’il est même nécessaire et souhaitable, dès lors que cette domination fait faillite, comme c’est en bonne partie le cas actuellement. Ce sont précisément ces brèches que, dans la perspective de ce troisième scénario, il va falloir chercher à élargir à la faveur des luttes en cours et qui vont s’exacerber dès lors que les directions capitalistes, gouvernementales et patronales, chercheront à revenir au statu quo ante.

Ces luttes vont avoir pour premier enjeu les conditions dans lesquelles va s’opérer la reprise de la production. Alors que le coronavirus responsable de la pandémie n’aura pas été totalement éradiqué et en l’absence de tout vaccin, les travailleurs et travailleuses vont devoir se battre pour imposer que cette reprise se fasse aux conditions qu’ils sont parvenus à imposer jusqu’à présent : distinction entre les activités socialement nécessaires et le reste ; sécurisation des espaces de travail (chantiers, ateliers, bureaux) avec strict respect des normes de sécurité (distance, port de gants et de masques, désinfection des locaux, etc.) ; mesures qu’il faudra étendre plus largement à l’ensemble de la population, qu’elle soit active ou non. Ils vont de même devoir se battre contre les tentatives d’aggraver leur exploitation en augmentant la durée et l’intensité de leur travail pour permettre au capital d’effacer une partie des pertes (des manques à gagner, de la baisse des profits et des taux de profit) qu’il aura enregistré durant la crise, moyennant la suspension ou même la suppression des dispositifs du Code du travail à ce sujet : dans une situation où le chômage aura augmenté du fait de la faillite d’un grand nombre d’entreprises, le mot d’ordre « travailler tou-te-s pour travailler moins tout en travaillant autrement » sera plus que jamais à l’ordre du jour. Autrement dit, s’il faut se retrousser les manches pour regagner le terrain perdu, que cela se fasse sous forme d’embauches massives, permettant une diminution du temps de travail pour chacun-e, et non pas sous celle d’un surcroît d’exploitation des seuls salarié-e-s en emploi. Dans le même ordre d’idées, il va leur falloir imposer que les revenus des actionnaires (dividendes) et ceux des managers (leurs sursalaires) soient rognés ou même abolis pour faire face aux difficultés des entreprises et mis à profit pour relancer les investissements. Enfin, pour pallier la vague de faillites et de licenciements collectifs qui résultera presque à coup sûr de l’arrêt prolongé de la production, les travailleur-euse-s devront se mobiliser pour imposer la socialisation, sous leur contrôle, des entreprises dont la production sera considérée comme socialement nécessaire, rendant du même coup la distinction précédente d’autant plus opératoire.

En second lieu, il n’est pas question d’oublier les enseignements de la présente crise. Au contraire, il s’agira d’en tirer les conséquences et quant à la réorganisation nécessaire de l’appareil de production et quant aux orientations des dépenses publiques. La priorité est de reconstituer un appareil sanitaire impliquant notamment : l’annulation de la dette des hôpitaux publics ; l’arrêt des subventions aux cliniques privées et l’interdiction des dépassements d’honoraires en médecine de ville ; un plan pluriannuel d’embauche de personnels soignants, de réouverture de services et d’établissements, de dotations budgétaires pour la recherche, libérée de toute tutelle et dépendance capitaliste ; une nationalisation des grands groupes pharmaceutiques comme plus largement de toutes les entreprises produisant du matériel médical ; le tout sous le contrôle des travailleurs du secteur et de leurs organisations syndicales, en association avec la population qui est directement concernée par le sujet, en sa double qualité de contribuable et de bénéficiaire potentiel de ce service public[51]. Objectifs qu’il faudra imposer par des mobilisations collectives prolongées : grèves, manifestations, occupations, interpellations de responsables politiques, boycotts, etc.

Mais c’est plus largement en faveur d’un investissement massif dans l’ensemble des équipements collectifs et services publics assurant la satisfaction des besoins sociaux les plus fondamentaux : en plus de la santé, le logement, l’éducation, la recherche scientifique, là encore en les plaçant sous le contrôle des salariés de ces secteurs et de leurs organisations syndicales.

En troisième lieu, il faut profiter de ce que la suspension durable de « l’économie » a mis en évidence que la société ne nécessitait, pour satisfaire ses besoins essentiels, qu’un nombre restreint d’entreprises, d’équipements collectifs et de services publics, mais aussi un pilotage de l’ensemble par l’État, en contradiction complète des dogmes néolibéraux, pour exiger la reconversion en conséquence de l’ensemble de l’appareil productif, mais cette fois-ci sous contrôle des travailleurs et de leurs organisations syndicales. Et, pour piloter cette reconversion, l’expropriation des banques privées, des compagnies d’assurances et des fonds d’investissement, sans indemnisation de leurs actionnaires, et leur fusion en un organisme public d’investissement, sous contrôle de ses salariés et, plus largement, de l’ensemble des citoyens conviés à un débat sur les orientations prioritaires à donner aux investissements en question[52].

En dernier lieu enfin, il va falloir se battre pour imposer une annulation pure et simple de l’ensemble des dettes publiques, doublée d’une réforme des prélèvements obligatoires de manière à taxer le capital, les hauts revenus et les grandes fortunes. Car les dettes publiques procèdent purement et simplement de l’accumulation des arriérés d’impôts et de cotisations non exigés de la part d’entreprises et de ménages qui auraient pourtant eu les capacités contributives et partant l’obligation de les acquitter, puisqu’ils ont trouvé les moyens de se faire les créanciers des États avec l’argent que ceux-ci ne leur ont pas demandé[53].

Il n’échappera à personne qu’un certain nombre d’axes de lutte selon lesquels devrait se développer ce scénario de rupture recoupent certains des objectifs du scénario précédent, d’orientation réformiste. C’est que, radicalisés, les objectifs de ce dernier peuvent conduire à ouvrir des brèches dans le système existant et ne pas seulement contribuer à sa reconduction sous de nouvelles formes. C’est bien pourquoi j’indiquais plus haut que l’issue des mobilisations collectives qui vont se dessiner dans les prochains mois est incertaine et dépendra essentiellement de leur degré de radicalité.

D’emblée cependant, deux éléments distinguent ce scénario de rupture du précédent. C’est, d’une part, l’importance primordiale qu’il demande d’accorder aux initiatives prises par la base (« les gens », les travailleurs, leurs organisations) dans le but de promouvoir de nouvelles pratiques et structures d’émancipation. C’est, d’autre part, l’objectif qu’il vise d’imposer des mesures de « contrôle populaire » sur la production (sa finalité et ses modalités : que doit-on continuer à produire ? que faut-il maintenir ? que faut-il abandonner ? que faut-il réquisitionner ? à quelles conditions ?) pour imposer sa réorganisation dans le cadre d’une planification démocratique orientée en fonction de la définition des besoins sociaux.

***

En conclusion, il s’agit de ne pas laisser se perdre ce que cette crise nous aura appris : la nécessité et l’urgence de sortir du capitalisme… et la possibilité d’y parvenir. Nécessité et urgence qui s’alimentent tout simplement au constat que, au stade actuel de son développement, le capitalisme est voué de plus en plus à n’engendrer que la mort : la mort biologique qu’enregistre la sinistre comptabilité de la croissance quotidienne des victimes de la pandémie actuelle, en attendant que, demain, l’aggravation de la catastrophe écologique ne nous confronte à bien pire encore ; mais aussi la mort sociale à laquelle sont condamnés les rescapé-e-s par le confinement et la suspension (pour combien de temps encore ?) des libertés individuelles et collectives, à laquelle ils se soumettent en espérant que la Grande Faucheuse ne les rattrapera pas, contraint-e-s en attendant pour certain-e-s de vivre comme des rats ; quand ce n’est pas la mort psychique pour ceux et celles qui ne trouvent pas en eux et elles les ressources permettant de faire face à ce type d’épreuve et qui sombrent dans la dépression ou recourent au suicide.

Depuis un siècle, combien de fois n’a-t-on pas répété la formule d’Engels reprise par Rosa Luxembourg : socialisme ou barbarie ? Il est temps de prendre conscience que l’alternative est aujourd’hui beaucoup plus radicale : elle est tout simplement entre le communisme et la mort.

Alain Bihr, 15 avril 2020.

Notes

[1] Merci à Roland Pfefferkorn et Yannis Thanassekos de m’avoir permis, par leurs suggestions et remarques, d’améliorer la version primitive du texte que je leur avais soumise.

[2] Le pompon en la matière revient incontestablement aux autorités de la République populaire de Chine, épicentre de la pandémie, qui en ont nié l’existence, alors qu’elle n’en était encore qu’à l’état d’épidémie, du 17 novembre 2019 (date à laquelle un premier cas est signalé à Wuhan en Chine centrale) jusqu’au 20 janvier 2020, allant même jusqu’à arrêter début janvier pour « propagation de fausses nouvelles » le Dr Li Wenliang qui avait lancé l’alerte et qui décèdera victime du coronavirus le 7 février. Cf. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/06/il-ne-faut-pas-diffuser-cette-information-au-public-l-echec-du-systeme-de-detection-chinois_6035704_3210.html mis en ligne le 6 avril 2020.

[3] Actuel Premier ministre libéral-conservateur des Pays-Bas.

[4] Actuel Premier ministre social-démocrate de la Suède.

[5] Au 15 avril 2020, Taïwan n’a ainsi enregistré que six morts sur une population de quelque vingt-quatre millions d’habitants. A la même date, la Corée du Sud compte deux cent vingt-deux morts pour quelque cinquante-et-un millions d’habitants.

[6] On trouvera un panel d’exemples pris dans de nombreux pays de telles pressions dans « Éphéméride sociale d’une épidémie », Covid-19 Un virus très politique, pages 37-81, https://www.syllepse.net/syllepse_images/articles/un-virus-tre–s-politique.pdf, 2e édition mise en ligne le 6 avril 2020.

[7] Ces injonctions contradictoires et la recherche de leur difficile (voire impossible) solution sont même au cœur de toute une réflexion d’économistes anxieusement penchés au chevet de l’économie capitaliste en berne ; cf. Michel Husson, « Sur l’inanité de la science économique officielle: de l’arbitrage entre activité économique et risques sanitaires », http://alencontre.org/economie/sur-linanite-de-la-science-economique-officielle-de-larbitrage-entre-activite-economique-et-risques-sanitaires.html mis en ligne le 14 avril 2020.

[8] Cf. « Introduction générale au devenir-monde du capitalisme », La préhistoire du capital, Lausanne, Page 2, 2006, pages 9-90, disponible en ligne http://classiques.uqac.ca/contemporains/bihr_alain/prehistoire_du_capital_t1/Prehistoire_du_capital_t1_Page2.pdf

[9] Cf. Kim Moody, « How “just-in-time” capitalism spread Covid-19. Trade roads, transmission, and international solidarity », https://spectrejournal.com/how-just-in-time-capitalism-spread-covid-19/, mis en ligne le 8 avril 2020.

[10] Y compris au sein de l’Union européenne, au sein de laquelle l’intégration des États-nations en un bloc continental d’États s’est avancée le plus loin, au point de servir d’exemple (sinon de modèle) à d’autres tentatives du même ordre : le Mercosur en Amérique latine, la CDEAO (la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) ou encore l’Anase (Association des nations de l’Asie du Sud-est). Il suffit de voir comment l’Italie a été abandonnée à son sort (pendant des semaines, elle a reçu plus d’aide de la Chine, de la Russie et même de Cuba que des autres États membres de l’UE !) et les querelles de chiffonniers qui opposent aujourd’hui les États européens pour l’acquisition du matériel de base, par exemple les masques : cf. https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/requisition-et-indignation-partagee-la-guerre-des-masques-entre-la-suede-et-la-france_2122374.html mis en ligne le 1er avril 2020.

[11] Cf. Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020 ; et Serge Morand, « Alors que la biodiversité s’éteint progressivement, les maladies infectieuses et parasitaires continuent d’augmenter », http://alencontre.org/societe/covid-19-et-biodiversite-alors-que-la-biodiversite-seteint-progressivement-les-maladies-infectieuses-et-parasitaires-continuent-daugmenter.html mis en ligne le 18 mars 2020.

[12] En France, la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a porté cette garantie à la hauteur de 300 Mds €.

[13] Cf. Michel Husson, « Le grand bluff de la robotisation », http://alencontre.org/societe/le-grand-bluff-de-la-robotisation.html mis en ligne le 10 juin 2016 : repris dans http://hussonet.free.fr/robobluff.pdf.

[14] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/22/coronavirus-ce-que-contient-le-projet-de-loi-urgence_6034040_823448.html mis en ligne le 23 mars 2020.

[15] En France : les 45 Mds € d’aides économiques et sociales sous forme de reports d’impôts et de cotisation sociales, de fonds de soutien au PME, de prise en charge partiel du régime de chômage technique, de maintien des indemnités de chômage échues en mars, etc., annoncés le 17 mars ont été portés à 100 Mds € le 9 avril.

[16] En France, la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars a chiffré cette baisse à quelque 10,7 Mds €.

[17] En France, selon la Loi de finances rectificative votée par le Parlement mi-mars, le déficit budgétaire passerait ainsi en 2020 de 2,2% à 3,9% du Pib. Mais, dès le 10 avril, le déficit prévu est chiffré à 7,6 % du Pib (du jamais vu !), ce qui porterait la dette publique à 112 % du Pib : https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/exclusif-coronavirus-gerald-darmanin-et-bruno-le-maire-e-plan-durgence-revise-a-100-milliards-deuros-1193765 mis en ligne le 9 avril. Mais la vertueuse Allemagne ne fait pas mieux : le Bundestag a voté une rallonge budgétaire de 156 Mds €, représentant une hausse du budget fédéral de 43 % et portant le déficit budgétaire prévisible sur l’année à 4,3 % du Pib, pulvérisant du même coup le dogme de l’équilibre budgétaire pratiqué depuis cinq ans ; cf. https://www.lesechos.fr/monde/europe/coronavirus-feu-vert-a-une-hausse-de-plus-de-40-du-budget-allemand-1189875 mis en ligne le 28 mars 2020.

[18] Le quantitive easing (assouplissement quantitatif) consiste en des opérations d’achat massif d’obligations (titres de crédit) d’États sur le marché boursier, ce qui a pour effet de faire baisser les taux auxquels les États peuvent accéder à de nouveaux prêts. La Banque centrale européenne (BCE) a ainsi annoncé qu’elle s’apprête à racheter des titres de dettes publiques pour un montant de 750 Mds € et la Fed (la Banque centrale états-unienne) pour un montant de 1500 Mds $. Ce n’est en somme qu’une nouvelle forme de la vieille pratique consistant à « faire fonctionner la planche à billets » : à émettre de la monnaie sans contrepartie de production de valeur, avec des risques évidents d’inflation.

[19] Seule a été envisagée la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité (MES) dont l’activation est subordonnée à la mise en œuvre de politiques d’austérité budgétaire, alors que c’est tout le contraire qui devrait être à l’ordre du jour. Cf. Marco Parodi, « Le virus de l’Union européenne et le faux vaccin du comte Dracula », http://alencontre.org/europe/le-virus-de-lunion-europeenne-et-le-faux-vaccin-du-conte-draghula-1.html mis en ligne le 10 avril 2020.

[20] Cf. Laurent Mauduit et Martine Orange, « Hôpital public : la note explosive de la Caisse des dépôts », Médiapart, 1er avril 2020.

[21] Cf. https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/plan-economies-hopital-nancy-directeur-ars-grand-est-persiste-signe-je-fais-mon-boulot-1811946.html mis en ligne le 5 avril 2020. Ce directeur a été limogé le 8 mars.

[22] Cf. http://alencontre.org/suisse/suisse-covid-19-et-hopitaux-encore-un-effort-pour-garrotter-les-hopitaux-et-epuiser-les-soignant%c2%b7e%c2%b7s.html mis en ligne le 7 avril 2020.

[23] Cf. « Nos observations sur l’état d’urgence sanitaire », http://www.syndicat-magistrature.org/IMG/pdf/note_e_tat_d_urgence_sanitaire.pdf mis en ligne le 23 mars 2020.

[24] Cf. à ce sujet l’article « Crise » dans La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Page 2 & Syllepse, Lausanne & Paris, 2017.

[25] Une externalité négative est une nuisance ou dommage produit par un agent économique et dont celui-ci n’a pas à assumer le coût.

[26] Cf. Bruno Canard, « En délaissant la recherche fondamentale, on a perdu beaucoup de temps », L’Humanité, 19 mars 2020.

[27] Cf. https://oip.org/covid19-en-prison-lessentiel/ mis en ligne le 9 avril 2020.

[28] Cf. https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actualites/2020/03/covid-19-face-aux-risques-de-contamination-le-defenseur-des-droits-demande-la mis en ligne le 23 mars 2020.

[29] Cf. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-psychiatrie-victime-collaterale-du-covid-19-1191330 mis en ligne le 2 avril 2020.

[30] Les exemples précédents sont empruntés au cas français. Mais les mêmes orientations peuvent se décliner dans les différents États en fonction des spécificités de leur système de prélèvements obligatoires.

[31] Ou continental, dans le cas de la formation d’un bloc d’États continental reprenant à son compte les orientations ici déclinées, par exemple dans le cadre de l’Union européenne.

[32] Car il n’est pas normal qu’un État (la France ou n’importe quel autre) soit devenu dépendant pour son approvisionnement en médicaments et en matériels de première nécessité de chaînes transnationales que son appareil sanitaire ne contrôle plus, avec pour conséquence de fréquentes pénuries, perceptibles bien avant l’actuelle pandémie. Cf. http://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20200306-coronavirus-approvisionnement-m%C3%A9dicaments-remise-cause mis en ligne le 6 mars 2020.

[33] Cf. Alain Lipietz, Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, La Découverte, 2012 ; Naomi Klein, Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique, Acte Sud, 2015 ; Naomi Klein, Plan B pour la planète ; le New Deal vert, Acte Sud, 2019. Pour une approche critique de cette thématique, cf. John Bellamy Foster, « Écologie. En feu, cette fois-ci », https://alencontre.org/ecologie/ecologie-en-feu-cette-fois-ci.html mis en ligne le 19 décembre 2019.

[34] Symptomatiquement, les deux candidats à l’investiture démocrate pour les prochaines élections présidentielles aux États -Unis qui se référaient sérieusement au Green New Deal, Bennie Sanders et Elizabeth Warren, ont été éliminés de la course.

[35] https://eelv.fr/le-covid-19-nous-impose-de-modifier-profondement-notre-rapport-au-vivant/ mis en ligne le 11 avril 2020.

[36] https://eelv.fr/audition-par-le-premier-ministre-la-transition-ecologique-dans-la-justice-sociale-voila-le-chemin-a-suivre-pour-la-sortie-de-crise/ mis en ligne le 11 avril 2020.

[37] La contribution de la Convention Citoyenne pour le Climat au plan de sortie de crise, https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2020/04/Contribution-de-la-CCC-au-plan-de-sortie-de-crise-1.pdf mis en ligne le 9 avril 2020.

[38] Cf. https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/lettre-ouverte-de-philippe-martinez-au-president-de-la mis en ligne le 7 avril 2020.

[39] https://www.youtube.com/watch?v=rKkUkUFbqmE

[40] Allocution du 12 mars 2020.

[41] http://www.leparisien.fr/international/coronavirus-angela-merkel-appelle-l-europe-a-produire-ses-propres-masques-06-04-2020-8295051.php mis en ligne le 6 avril 2020.

[42] Cf. Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, La Découverte, 2012 ; et l’article « Capitalisme vert » dans La novlangue néolibérale, op.cit.

[43] Pour de nombreux exemples de tels mouvements un peu partout dans le monde, cf. là encore « Éphéméride sociale d’une épidémie », op.cit.

[44] Ce qu’est l’appareil de production capitaliste en dépit du fait qu’il repose sur la propriété privée des moyens de production. Ce double caractère, propriété privée + production sociale, fait d’ailleurs partie des contradictions fondamentales du procès immédiat de reproduction du capital.

[45] Il est vrai que la plupart de ces reconversions, pas toutes cependant, se sont produites à l’initiative des directions capitalistes, tant il est vrai que la valorisation du capital est indépendante de la nature des marchandises produites. Il n’est pas moins vrai qu’elles n’ont pu avoir lieu sans le savoir et le savoir-faire des travailleurs et travailleuses de la base, augurant ainsi de la capacité de pareilles reconversions sous leur direction.

[46] Les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) regroupent des petits producteurs agricoles et des consommateurs dans des circuits de distribution courts, dans le but de préserver et de développer une agriculture socialement équitablement et écologiquement saine et durable.

[47] Cf. l’appel « Covid-Entraide » reproduit dans Covid-19 un virus très politique, op. cit., pages 100-101.

[48] « Les satellites ont déjà mesuré les changements en Chine, où le suivi de la NASA (National Aeronautics and Space Administration) a monté que les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 30 % en février 2020 » http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-22-millions-de-personnes-pourraient-mourir-aux-etats-unis-si-le-coronavirus-nest-pas-maitrise.html mis en ligne le 19 mars 2020.

[49] Cf. « Coronavirus : L’effet du confinement (et son impact sur la pollution en Europe) se voit aussi depuis l’espace » https://www.20minutes.fr/planete/2752615-20200401-coranavirus-effet-confinement-impact-pollution-europe-voit-aussi-depuis-espace mis en ligne le 1er avril 2020.

[50] Cf. « Coronavirus en Inde : L’Himalaya vu à 200 kilomètres de distance grâce… à la baisse de la pollution » https://www.20minutes.fr/planete/2758103-20200409-coronavirus-inde-himalaya-vu-200-kilometres-distance-grace-baisse-pollution mis en ligne le 9 avril 2020.

[51] Pour un inventaire plus détaillé, cf. « Pour une socialisation de l’appareil sanitaire », https://alencontre.org/europe/france/covid-19-pour-une-socialisation-de-lappareil-sanitaire.html mis en ligne le 18 mars 2020.

[52] Cf. des propositions plus détaillées dans Sam Gindin, « Perspectives socialistes : le coronavirus et la présente crise », http://alencontre.org/laune/etats-unis-et-au-dela-perspectives-socialistes-le-coronavirus-et-la-presente-crise.html mise en ligne le 13 avril 2020.

[53] Cf. à ce sujet l’article « Dette publique » dans La novlangue néolibérale, op.cit. C’est également la position défendue par François Chesnais : « l’occasion historique s’ouvre de faire pas seulement de la suspension du paiement des dettes publiques, mais de leur annulation, une revendication commune aux pays industriels avancés impérialistes et aux pays à statut économique colonial et semi-colonial. Il était inévitable que le poids des dettes publiques des pays avancés donne lieu, avec l’aggravation de la crise, à la question de leur légitimité et la nécessité de leur annulation/répudiation » http://alencontre.org/laune/letat-de-leconomie-mondiale-au-debut-de-la-grande-recession-covid-19-reperes-historiques-analyses-et-illustrations.html mis en ligne le 12 avril 2020.

Source https://www.contretemps.eu/covid-19-sorties-crise/

En Grèce, le système de santé ravagé fait face au Covid-19

Publié le 28.04.2020 par Amnesty International.

En 2010, la Grèce a adopté des mesures d’austérité en réponse à la crise mondiale de 2008, impactant directement les dépenses de santé publique. Après dix années de sous-investissement, les services de santé grecs sont confrontés à un grave défi face à la pandémie actuelle. Notre enquête.

La pandémie de COVID-19 qui touche la Grèce agit comme un révélateur : les années de récession et de mesures d’austérité ont mis le système de santé du pays à genoux.

Du fait des sévères coupes budgétaires opérées depuis 2010, nombreux sont ceux qui n’ont plus les moyens de se soigner ou n’ont plus accès aux soins de santé. Les professionnels de santé doivent composer avec de graves pénuries de personnel, une situation de crise que l’arrivée du COVID-19 ne fait qu’exacerber.

Des dépenses de santé publique en chute

Dans le cadre des mesures d’austérité adoptées par le gouvernement grec en réponse à la crise mondiale de 2008, les dépenses publiques ont été réduites de 32 % dans les différents secteurs.

Ainsi, les dépenses de santé publique ont chuté de près de 43 % entre 2009 et 2017. Les réformes structurelles ont fait basculer une part plus importante des coûts des soins sur les patients. En outre, les trois programmes d’aide financière conclus avec les créditeurs de la Grèce comportaient des conditions, dont certaines ont encouragé, voire influencé, les mesures d’austérité qui se sont traduites par un système de santé affaibli.

À bout de souffle

L’impact s’est fait vivement ressentir par le personnel et les patients.

Des patients sollicitant des soins au sein du système de santé publique sont confrontés à de longs délais d’attente entraînant parfois des souffrances supplémentaires. La plupart d’entre-eux rencontrent également des difficultés pour bénéficier de soins en raison des coûts élevés.

Conscient de l’état de faiblesse du système de santé, le gouvernement a réagi à la pandémie du Covid-19 en adoptant une série de mesures visant à contenir la propagation du virus, notamment un confinement rapide qui a contribué à réduire le nombre de contaminations et de décès. Il a également proposé une aide économique à la population et alloué 200 millions d’euros supplémentaires au système de santé.

Les difficultés rencontrées par les professionnels de santé au cours de la période d’austérité sont néanmoins bien souvent exacerbées durant la pandémie. Ils souffrent de la pénurie de personnel, du manque d’équipement de protection individuelle adapté et du manque d’équipement médical adapté, notamment de respirateurs et de lits en soins intensifs.

Un système de santé viable

A l’heure où la menace d’une récession post-pandémie plane sur le monde entier, il faut tirer des enseignements majeurs de la situation. La pandémie et ses conséquences pourraient provoquer une crise économique sur le long terme, mais la douloureuse expérience de la Grèce ces dix dernières années ne doit pas se répéter ni se reproduire. Les politiques d’austérité néfastes ne doivent pas resurgir.

L’exemple de ce qu’a vécu la Grèce au cours de la dernière décennie démontre la nécessité de maintenir les droits humains au cœur des décisions face aux crises économiques. Dans les prochains mois et années, la Grèce devra mettre en œuvre des mesures justes pour redresser le pays après la pandémie de Covid-19 et la crise économique qu’elle pourrait provoquer, sans laisser à la marge les personnes risquant particulièrement de subir les effets négatifs.

Il est vital que le gouvernement considère cette crise comme un signal d’alarme et commence à investir dans le système de santé et les services sociaux.

Source https://www.amnesty.fr/actualites/en-grece-le-systeme-de-sante-ravage-face-au-covid-19

Covid-19 : La Grèce tient le choc mais l’état du pays inquiète

Par Elisa Perrigueur

Les tests, ici aussi, sont un point sensible

Pour l’heure, les investissements viennent non pas des autorités mais surtout des fondations créées par des armateurs, acteurs économiques importants du pays, qui ont médiatisé leurs donations. Le groupe milliardaire Onassis a acheté pour 7,75 millions d’euros de masques pour le système de santé grec. Sa concurrente, la fondation Niarchos, investira 92 millions d’euros dans la lutte contre le Covid.

Pas assez pour faire face à une pandémie, assure Panagiotis G. Papanikolaou. Le 28 avril, il manifestera avec ses collègues devant les hôpitaux et le ministère de la santé. « Nous avons obtenu jusqu’ici la création de 120 lits en réanimation, ce qui porte le nombre total à seulement 690 pour 10 millions d’habitants, précise le médecin. Il manque au moins 1 500 docteurs et infirmières et des équipements de protection (gants, masques, blouses). 120 professionnels de santé ont contracté le virus et un médecin en est mort. » Si des établissements ont été officiellement dédiés au Covid-19, le risque d’une contamination intra-hospitalière plane. « Certains malades avec symptômes se rendent aux urgences. D’autres patients sont désormais réticents à venir à l’hôpital et ne sont pas soignés. Il faut absolument tester pour trier les patients », insiste Panagiotis G. Papanikolaou.

Les tests, c’est l’autre point sensible. La gestion du gouvernement s’évalue désormais à sa capacité à dépister sa population. Jusqu’ici, quelque 63 000 tests virologiques (PCR) ont été réalisés en Grèce. Ils sont pratiqués chaque jour. Les laboratoires supposés mener les analyses sont toutefois débordés et peu nombreux. « Cette semaine, nous allons commencer une série de tests sérologiques sur 3 000 personnes (médecins et citoyens), que nous avons commandés aux États-Unis ou en Chine, à trois mois d’intervalle pour avoir une idée de la diffusion du virus, tests censés mesurer l’immunité au virus », assure Andreas Karaminis, un professeur de médecine d’urgence à l’université de médecine d’Athènes et chef de réanimation cardio-chirurgicale au centre privé Onassis qui participe au dépistage. « Nous ne connaissons encore pas le nombre réel de gens en contact avec le Covid-19 en Grèce, admet celui-ci. Le confinement donnait des bons résultats sur le plan de la diffusion, mais sur l’immunité c’est problématique. »

Le gouvernement table malgré tout sur un déconfinement progressif courant mai. Le Premier ministre donnera les détails en début de semaine.

Athènes se prépare à relancer une économie mise à rude épreuve par un arrêt total. Le FMI table sur une récession de 10 % pour 2020. Le tourisme, qui compte pour 20 % du PIB, est menacé d’effondrement. Ce secteur repose sur les interactions et déplacements incompatibles avec le contagieux Covid. Il dépend aussi d’une clientèle venue de pays fortement touchés par le virus – France, Allemagne, États-Unis… Les professionnels de santé craignent l’importation du virus. Aujourd’hui, chaque voyageur de l’étranger doit se confiner 14 jours, sous peine d’une amende de 5 000 euros.

« M. Mitsotakis a choisi de fermer totalement l’économie pour éviter une hécatombe dans les hôpitaux. C’était un choix que personne ne peut juger mauvais, mais cette paralysie de l’activité aurait dû être doublée de davantage de moyens pour soutenir tous les salariés à l’arrêt. Ce n’est pas le cas », souligne la politologue Filippa Chatzistavrou. Environ un million de travailleurs contraints au chômage, soit 25 % de la population active, bénéficient d’une allocation de 800 euros pour 45 jours, soit 533 euros mensuels. « C’est une allocation très faible et mal allouée. Les chômeurs de longue durée, y compris les travailleurs au noir, les travailleurs collectivement licenciés des services au sol des compagnies aériennes, les travailleurs “ubérisés” ou postés ne sont pas concernés par cette mesure », remarque la politologue.

Aucune annonce n’a été faite pour les allocations qui suivront. Du côté de Bruxelles, l’Union européenne s’est accordée sur l’émission de prêts sans contrepartie pour les dépenses de santé liées au coronavirus. Mais tout prêt ne concernant pas la santé – octroyé via l’institution financière MES – restera assorti de « certaines conditions ». Ce qui pourrait laisser craindre de nouvelles mesures d’austérité pour ce pays qui a déjà connu dix ans de rigueur.

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/270420/covid-19-la-grece-tient-le-choc-mais-l-etat-du-pays-inquiete?page_article=2

Un autre avenir après le Covid-19

Déclaration des Attac d’Europe – Un autre avenir après le Covid-19

Le réseau des Attac d’Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions dans le cadre de la crise multiple liée au Covid-19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ? Comment rendre possible le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.

Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques. Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires.

La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir.

Le réseau des Attac d’Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise politique et économique qu’elle a déclenchée.

En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien

1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous

Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit.

2. Une recherche publique de qualité

La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent être alloués.

En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie

3. Respect absolu du droit du travail

À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.

4. Respect absolu des droits fondamentaux

La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).

5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise

Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire.
Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.

En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables

6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes / intermittent·e·s du spectacle

La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies. Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale. Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital.

7. Réquisition immédiate de tous les logements vides

Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.

8. Protection des personnes exposées à la violence domestique

Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.

9. Soutien aux jeunes

Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de confinement.

10. Permis de séjour pour les sans-papiers

Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).

En ce qui concerne la justice fiscale

11. Un système fiscal équitable

La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus riches et des sociétés transnationales.

12. Taxation des bénéfices et de la fortune

Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon, Netflix…). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela concerne aussi ces entreprises.

13. Interdiction de distribuer des dividendes

Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise.

En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe

14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro

Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.

15. Contrôle des flux de capitaux

La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.

16. Démantèlement et socialisation des grandes banques

Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces banques qui sont ’trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire européen.

En ce qui concerne la solidarité internationale

17. Une réaction coordonnée au niveau européen

La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être répartis entre voisins. La solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.

18. La solidarité internationale avant tout

Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes.

En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies

19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique

Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les efforts fournis par la population.

20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition

La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.

21. La relocalisation solidaire de la production

La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments. L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des maladies.
C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne.

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/declaration-des-attac-d-europe-un-autre-avenir-apres-le-covid-19#En-ce-qui-concerne-les-services-publics-qui-sont-la-richesse-de-ceux-qui-nbsp

L’Ocean Viking repartira en mer sans MSF

Message de SOS Méditerranée

Chers amis,

Nous espérons que vous et vos proches vous portez bien en ces temps particulièrement difficiles.

Comme nous vous l’avons récemment indiqué, compte tenu de la situation sanitaire actuelle due au Covid-19, l’Ocean Viking est temporairement en attente dans le port de Marseille. Notre priorité est de reprendre au plus vite nos opérations de manière responsable, dans des conditions qui nous permettent de garantir la sécurité de nos équipes et des rescapés. Or nous estimons qu’en raison de la forte perturbation du secteur maritime et des réactions des États ces conditions ne sont actuellement pas réunies.

Ne partageant pas notre stratégie, notre partenaire médical, Médecins Sans Frontières a décidé de rompre le partenariat qui nous lie depuis quatre ans autour de notre mission de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Nous prenons acte de cette décision même si nous la regrettons du fait de la remarquable coopération entre nos deux organisations à bord de l’Aquarius puis de l’Ocean Viking, qui nous a permis de sauver plus de 30 000 vies en mer.

Néanmoins, fortes de nos expériences passées avec notre premier partenaire Médecins du Monde, puis Médecins Sans Frontières, nos équipes sont déjà à pied d’œuvre et déterminées à reprendre le plus tôt possible, les opérations de sauvetage avec l’Ocean Viking.

En effet, en Méditerranée centrale l’urgence humanitaire s’aggrave. Au cours des dix derniers jours, plus de 1000 personnes fuyant la Libye sur des embarcations de fortune ont été signalées. Des centaines ont été interceptées et renvoyées de force en Libye alors que le gouvernement de Tripoli a déclaré ses ports « non sûrs » en raison des bombardements qui font rage dans la région. Il y a deux jours, cinq corps sans vie ont été retrouvés à bord d’une embarcation après plusieurs jours passés en mer sans assistance alors que plusieurs Etats européens ont annoncé officiellement qu’ils n’étaient pas en mesure de fournir un lieu sûr ou d’aider au débarquement de personnes secourues en mer.

Bien que nous ayons pleinement conscience de la situation extrêmement difficile à laquelle les Etats sont confrontés avec le Covid-19, les préoccupations et les mesures prises pour préserver la santé publique ne devraient pas se faire au détriment de l’assistance aux personnes en danger de mort en mer.

Plus que jamais, l’Europe doit être solidaire, à terre comme en mer ! Nous insistons pour ouvrir un dialogue urgent avec les Etats européens afin de travailler à des scénarios légaux et innovants et relever ensemble ce défi.

Nous travaillons activement afin de repartir au plus vite sauver des vies en mer car cela reste notre devoir de citoyens européens et de marins. Nous vous informerons régulièrement de la suite de nos opérations.

Prenez soin de vous et merci pour votre soutien. Tant que vous serez à nos côtés, renoncer ne sera jamais une option.

http://www.sosmediterranee.fr/?cid=23&utm_source=sitesosmediterranee&utm_medium=emailing&reserved_origin=20EMA03&utm_campaign=20EMA03

Athènes : des centaines d’enfants migrants en détention abusive

La Grèce détient des centaines d’enfants migrants non accompagnés dans des conditions abusives, l’ONG Human Rights Watch, a demandé leur libération.

Selon les données citées par l’organisation, 331 enfants étaient en détention au 31 mars, « dans les cellules de postes de police et des centres de détention insalubres en Grèce ».

« Libérés de leurs conditions de détention abusives, ils seraient mieux protégés de l’infection dans le contexte de la pandémie de coronavirus », a écrit HRW, dans un communiqué qui appelle le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis à organiser leur « transfert vers des lieux d’hébergement sûrs et adaptés aux enfants ».

« Garder des enfants enfermés dans les cellules crasseuses des postes de police a toujours été une erreur, mais désormais cela les expose de surcroît au risque d’infection par le Covid-19 », a souligné Eva Cossé, chercheuse sur la Grèce à Human Rights Watch.

L’ONG déplore en particulier « l’hygiène défaillante » dans les centres de détention, rendant « impossible » la mise en place des « mesures basiques » de lutte contre le coronavirus, ainsi que les « détentions arbitraires et prolongées »: « Souvent, ils n’ont pas accès aux soins médicaux, au soutien psychologique (ni) à l’aide juridique, et peu d’entre eux connaissent les raisons de leur détention ».

Si elle rappelle le plan mis en place par Athènes le 24 novembre 2019 pour protéger les enfants non accompagnés, notamment par la création de refuges, elle en note également l’insuffisance au regard du droit international.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a encore demandé à la Grèce, la semaine dernière, de protéger trois migrants dont deux mineurs non accompagnés, qui avaient saisi l’instance sur les conditions de vie dans les camps de réfugiés insalubres et surpeuplés, sur fond de pandémie.

La CEDH a appelé les autorités grecques à « transférer les requérants, ou du moins de leur garantir un hébergement compatible » avec la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit « les traitements inhumains ou dégradants ».

Environ 100.000 demandeurs d’asile vivent actuellement en Grèce, dont 70.000 dans les 38 camps installés sur son territoire, selon les autorités grecques.

Deux de ces camps, situés en Grèce continentale, ont récemment été placés en quarantaine après l’apparition d’une trentaine de cas de Covid-19.

Source https://lemuslimpost.com/athenes-doit-cesser-la-detention-abusive-de-centaines-denfants-migrants.html

Pandémie, capitalisme et climat 

Source https://www.contretemps.eu/pandemie-capitalisme-et-climat/

Daniel Tanuro est agronome, militant écosocialiste en Belgique, auteur (notamment) de L’impossible capitalisme vert (La Découverte) et de nombreux articles pour Contretemps. Le 3 avril dernier il donnait une conférence (confinée) sur les enjeux politiques qui se nouent actuellement entre crise du coronavirus et crise climatique. On peut retrouver la vidéo de cette conférence ici, dont nous présentons une retranscription ci-dessous.

***

Cette pandémie est un véritable événement avec un E majuscule, un événement historique : il y aura un avant et un après à l’échelle mondiale, pas tellement par rapport au nombre de victimes, même s’il est important, il est tout de même nettement inférieur à celui de la grippe « espagnole » après la première guerre mondiale qui avait causé plus de 20 millions de morts, on en est heureusement loin aujourd’hui.

Ce qui donne à l’événement une portée historique c’est que la machine capitaliste à profits est quasiment arrêtée à l’échelle mondiale, parce qu’il y a une petite chose qui n’est même pas un animal, qui est un virus, à peine une forme du vivant, qui détraque toute la machine et qui menace la santé des gens. Il faut donc protéger la vie, il faut protéger les malades, il faut les soigner, il faut protéger aussi la main d’œuvre pour l’économie capitaliste. Et cette crise très profonde intervient dans un contexte particulier : elle intervient au moment où le capitalisme avait commencé une récession, depuis déjà 2019. Cette récession avait commencé et la pandémie l’amplifie de façon absolument extraordinaire. Un point important est que cette situation déplace le focus médiatique et politique : en temps normal de quoi nous parle-t-on? On nous parle de la croissance du PIB, de la balance des paiements, on nous parle de l’inflation, du taux de change, des taux d’intérêt, etc., tous ces indicateurs abstraits de l’accumulation du profit capitaliste, de l’accumulation de valeur abstraite… Et aujourd’hui à la faveur de cette pandémie le focus est tout à fait différent : l’attention politique et médiatique est complètement focalisée sur le travail des infirmiers, des infirmières, leur surcharge de travail, sur les malades qui meurent, ceux qui guérissent, sur le travail des éboueurs ou du personnel dans les magasins d’alimentation, le sort des personnes confinées, des non-confinés, etc.

Pour résumer, en temps normal on nous parle de l’abstraction de la non-vie, et maintenant dans cette épidémie on nous parle de la vie et de la mort c’est-à-dire du vivant. Il y a là un changement très important au niveau de l’ambiance idéologique générale sur lequel nous reviendrons.

*

Deuxièmement, l’épidémie n’est pas une régression vers les épidémies des temps anciens, ce n’est pas un retour vers la peste noire du moyen-âge par exemple, c’est tout autre chose.

Il y a plusieurs décennies que se multiplient des viroses d’un type particulier. On a connu le Sida tout d’abord, puis le zika, puis la peste porcine, la grippe aviaire, le chikungunya, le SRAS-1 en 2002, maintenant le SARS-COV2. Toutes ces viroses ont pour particularité de naitre dans des environnements naturels détraqués, agressés, ou dans des élevages industriels. Ce sont ce qu’on appelle des zoonoses, c’est à dire que le virus qui vit chez des animaux saute la barrière des espèces et contamine homo sapiens. L’origine de cette pandémie est donc tout à fait nouvelle et spécifique par rapport à celles du passé. Le virus lui-même est un produit des contradictions du capitalisme.

Le mode de diffusion de l’épidémie est également particulier ; l’épidémie va très vite, elle est très rapidement mondiale – les épidémies du passé n’étaient jamais mondiales, elles étaient continentales – et elle se diffuse évidemment grâce aux moyens de communication modernes en particulier les transports aériens, d’autant plus vite que l’humanité est regroupée dans d’énormes cités, des mégapoles, comme Wuhan qui est une ville de plusieurs millions d’habitants.

Ces deux facteurs-là, l’origine particulière du virus et son mode de diffusion, signifient qu’on n’a pas à faire à des virus archaïques, on n’a pas d’épidémie archaïque, on a au contraire, pour parler comme Bruno Latour, des épidémies modernes, des épidémies de l’Anthropocène.

*

Troisièmement, il ne s’agit pas uniquement d’une crise sanitaire. Il y a évidemment un aspect de crise sanitaire qui est aigu et très important, mais cette crise sanitaire fait partie en fait d’une crise écologique et sociale beaucoup plus vaste. En fait, la crise du covid-19 est la première crise globale – sociale, écologique et économique – de l’Anthropocène.

Des scientifiques qui, depuis quelques années 2000 se sont mis à étudier ce qu’on appelle la grande accélération et le changement global, ont identifié les paramètres de la soutenabilité de l’existence humaine sur cette terre : 1) Le changement climatique ; 2) le déclin de la biodiversité ; 3) les ressources en eau douce ; 4) la pollution chimique ; 5) la pollution atmosphérique aux particules fines ;  6) l’état de la couche d’ozone ; 7) l’état des cycles de l’azote et du phosphore ; 8) l’acidification des océans ; 9) l’occupation des sols ; 10) la couche d’ozone. En conclusion de leur rapport, remis en 2015, ces scientifiques ont estimé que le plafond de la soutenabilité était franchi pour quatre de ces paramètres : le climat, la biodiversité, l’azote et les sols.

Pour reprendre un langage biblique on pourrait dire que ces quatre paramètres sont les quatre cavaliers de l’apocalypse de l’Anthropocène, et la pandémie que nous sommes en train de vivre nous envoie un message, elle nous signale que ce quatuor de cavaliers est rejoint par un cinquième qui est aujourd’hui le risque épidémique.

*

Quatrième point, ce risque épidémique ne tombe pas du ciel, c’est une menace connue. Car nous avons la chance aujourd’hui de bénéficier d’un progrès des sciences absolument extraordinaire avec des capacités d’anticipation qui sont magnifiques. Les scientifiques nous ont prévenu des risques – non seulement d’une épidémie en général mais même très précisément du risque d’une épidémie de ce type-là. Après l’épidémie du SRAS en 2002 qui était déjà un coronavirus, une série de scientifiques sont arrivés à ces conclusions qui ont été traduites dans des rapports officiels, notamment deux rapports à l’assemblée nationale française (2005 et 2009), qui pointaient la grande probabilité de voir se répéter une nouvelle épidémie comme celle du SRAS, provoquée par une zoonose, un virus d’origine animale qui saute la barrière des espèces et se répand au sein de l’espèce homo sapiens. L’OMS elle-même, pas plus tard qu’en 2018, dressait une liste des menaces sanitaires qui pèsent sur le globe avec une série d’agents pathogènes connus, dans laquelle elle avait inséré une maladie X, parce que l’OMS estimait probable l’apparition d’un pathogène inconnu, capable de provoquer une épidémie aux conséquences très graves, une perturbation complète de la société à l’échelle mondiale. Et l’OMS estimait probable que ce nouvel agent pathogène soit de nouveau du type coronavirus.

Nous sommes donc dans un scénario connu, comme celui du changement climatique, pour lequel il y a plus de 50 ans que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme en disant que si nous continuons à envoyer des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on va déséquilibrer complètement le système climatique et que ça pourrait avoir des conséquences absolument dramatiques. Là aussi, les gouvernements n’en tiennent absolument pas compte ; comme on le sait, les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter – sauf maintenant avec la pandémie, elles se réduisent substantiellement. Le comble de l’absurdité ou de l’aveuglement des décideurs politiques, c’est que, concernant la pandémie, en 2003, des chercheurs belges et français sont arrivés à la conclusion que les coronavirus constituent une catégorie très stable de virus et qu’il serait donc assez facilement possible de trouver un traitement qui serait valable non seulement pour le SRAS-1 mais aussi pour d’autres coronavirus qui viendraient après. Ils estimaient le coût de ces recherches à 200 ou 300 millions d’euros. Il leur fallait bien évidemment des subsides publics qu’ils n’ont pas obtenus, parce que les gouvernements considèrent que la recherche sur les médicaments appartient à l’industrie pharmaceutique, alors que celle-ci ne fait pas de recherche pour le bien de l’humanité ou la santé publique mais pour le profit. Il lui faut donc un marché et des clients solvables. Or l’épidémie de SRAS était passée, il n’y avait donc plus de marché, plus de clients, donc on n’a pas fait de recherches à ce sujet. Cela illustre la marque de l’attitude politique des décideurs et des responsables économiques face aux grandes menaces écologiques dont la pandémie fait désormais partie, à savoir cette incapacité à prendre compte ce qui est connu et les avertissements qui leurs sont lancés.

Cette surdité ou cet aveuglement sont d’abord dus au fait que les décideurs politiques sont complètement subordonnés au diktat des impératifs capitalistes du profit à court terme, ils ont donc le « nez dans le guidon ». Deuxièmement, il y a une raison plus idéologique : ils sont eux-mêmes intoxiqués par l’idéologie du capitalisme, l’idéologie néolibérale et considèrent que les lois du marché sont plus fortes que les lois de la biologie pour le virus ou que les lois de la physique pour ce qui est du changement climatique. Ils considèrent que les lois de leur système économique sont des lois naturelles supérieures et que le marché va tout régler en cas de problème. Or on constate plus que jamais que le marché ne règle pas tout : si l’on compte commander des masques en Chine pour protéger des soignants chez nous mais que la Chine est bloquée en raison de la pandémie, il n’y a plus de masques et on ne protège pas les soignants ni la population, c’est aussi simple que cela.

*

Le cinquième point touche à la gestion de la pandémie. Aujourd’hui, tous les politiques sont obligés de se résoudre à cette gestion, même ceux qui ne croyaient pas devoir le faire, comme Trump, Johnson, Rutte (Premier Ministre des Pays-Bas), qui voulaient laisser le virus se répandre et la collectivité s’immuniser. Même ceux-là sont obligés de faire machine arrière de façon précipitée. En effet ne rien faire, comme ils le préconisaient au départ, non seulement coûtera plus cher financièrement au système capitaliste mais aussi leur coûtera très cher à eux électoralement, et par exemple pour Trump ce n’est pas une considération mineure, loin s’en faut. Donc ils nous disent tous la même chose : que c’est une question de bien commun, et qu’il faut tous être unis autour de nos dirigeants éclairés pour combattre le virus. Bien évidemment, il faut respecter les consignes de sécurité : rester confiner, respecter la distanciation physique (plutôt que sociale)… Ne pas le faire serait irresponsable mais respecter les consignes de sécurité ne signifie pas qu’il faut se soumettre à la logique politique qui se cache derrière ces consignes. Cette logique c’est une logique de classe, de capitalisme pur et dur. La première priorité de cette logique c’est de réduire au minimum l’impact de la pandémie sur le secteur productif, là où on fait du profit, qui est le cœur de l’économie capitaliste, et c’est la raison pour laquelle on va envoyer les ouvriers au travail dans des secteurs qui ne sont pas de production essentielle.

La deuxième priorité de cette gestion de la pandémie c’est de ne pas remettre en cause la politique antisociale, les plans d’austérité qu’ils imposaient jusqu’à maintenant, surtout dans le secteur des soins, d’où la surcharge de travail de tous les personnels de ces secteurs. Évidemment la condition pour que cette équation puisse s’équilibrer, c’est de mettre le couvercle sur toutes les activités sociales, culturelles ou personnelles qui ne relèvent pas de ces catégories-là, d’où le lockdown et le confinement.

Il y a aussi une préoccupation politique qui s’ajoute à ces considérations, à savoir que tous les gouvernements (ou la plupart d’entre eux) sont confrontés à une terrible crise de légitimité ; les gens n’y croient plus et veulent du changement. La pandémie offre aux dirigeants une possibilité de se présenter comme chefs de guerre, comme le fait Macron à la télévision, des mécanismes de pouvoir fort s’instituent au prétexte de la lutte contre la pandémie. Le cas d’école, c’est Orban en Hongrie, qui s’est institué dictateur pour la gestion de l’épidémie. On est dans la logique décrite par Michel Foucault : la biopolitique couplée au « surveiller et punir ». Il s’agit d’un sérieux avertissement car la pandémie est grave mais n’a rien à voir en comparaison avec l’impact du changement climatique, si on a un basculement vers un cataclysme climatique et une montée du niveau des océans de 2 ou 3 mètres. Mais la gestion de la pandémie nous donne une image de ce que serait la gestion capitaliste d’une situation de ce genre, qu’ils n’auront évidemment pas vue venir, et qu’ils seront obligés de gérer. Leurs priorités seront alors les mêmes : priorité à la production, mise sous le boisseau des libertés, de la vie sociale, de la vie culturelle, et au nom de la lutte contre le fléau, s’accorder des pouvoirs spéciaux, créer un État fort.

*

Sixième point, l’objectif stratégique de la gestion sanitaire est évidement de relancer la machine capitaliste, qui est pour l’instant complètement en panne du fait de la pandémie. La situation va déboucher sur une crise économique d’une très grande ampleur, pire que la crise financière de 2007-2008. Pour faire face à la situation, les gouvernements doivent aujourd’hui lâcher du lest dans leurs politiques néolibérales : l’Union Européenne a mis au frigo le pacte de stabilité budgétaire et ses objectifs de zéro dettes/zéro déficit. Ils sont même obligés d’aller plus loin et de remettre en cause non seulement certains dogmes néolibéraux mais également un certain nombre de règles capitalistes, par exemple la sacro-sainte liberté d’entreprendre pour les entreprises. On évoque des nationalisations, des réquisitions, autrement dit il faut sauver le capitalisme mis en danger par le capital. Cela ne signifie absolument pas qu’il y aurait déjà rupture avec le néolibéralisme et a fortiori avec le capitalisme, cela signifie au contraire que se prépare une offensive sociale de très grande ampleur, à laquelle les classes populaires doivent se préparer à riposter.

Je me limite ici à l’impact écologique de la relance de l’économie capitaliste. Cet impact est très dangereux. François Gemenne[1] n’a pas tort quand il déclare que la crise du coronavirus est une catastrophe climatique[2]. Car le discours qu’on va nous tenir est celui de la priorité à l’économie, à la relance, en prenant le prétexte de l’emploi. Donc, pour relancer l’économie, il faudra donner amoindrir les objectifs climatiques, assouplir des réglementations environnementales jugées comme trop rigides, etc. Mais François Gemenne n’a pas raison non plus, car tout cela n’est pas dû au Coronavirus, au contraire cette crise aujourd’hui nous prouve qu’on pourrait réduire assez radicalement les émissions de CO2 d’environ 7% par année à condition de produire et de transporter moins de marchandises sur la planète. Le danger ne vient pas de la crise du coronavirus mais de la réponse capitaliste à cette crise du coronavirus, et il est d’autant plus grand que cette crise sert de prétexte ou de paravent pour répondre à une crise économique qui avait commencé avant la pandémie.

Nous devons nous préparer à une attaque très dure car ils vont mettre en balance, comme c’est très souvent le cas dans le capitalisme, l’emploi d’une part et la défense de l’environnement d’autre part. Cependant il y a une contradiction très importante dans cette volonté d’offensive : c’est que la volonté de relancer et de donner la priorité au capital et à sa rentabilité va a à l’encontre du sentiment de la population qui pense que nous sommes allés trop loin avec l’économie, le profit, qu’on a oublié le social, la santé, les soins aux gens. Cette contradiction constitue un obstacle majeur pour l’offensive capitaliste que les gouvernements veulent mener.

Parce que prendre soin à la lumière de la crise de la pandémie, cela prend un contenu très concret aujourd’hui. Il s’agit d’éviter d’autres pandémies qui pourraient être plus graves et qui auraient la même origine dans la destruction des écosystèmes.

La conclusion coule de source, si nous voulons éviter d’autres pandémies, il faut sortir de l’agrobusiness, de l’élevage industriel, il faut arrêter la déforestation, il faut une réforme urbaine de longue haleine qui déconstruise toutes ces mégapoles et qui construise des villes plus interconnectées avec des milieux naturels ou semi-naturels. Pour lutter contre les pandémies il faut surtout de l’eau propre, à laquelle des centaines de millions de gens n’ont pas accès. L’eau doit être publique et ne pas servir à irriguer les plantations agro-industrielles. De même, si on veut instaurer des systèmes de santé robustes, capables de faire face aux nouvelles pandémies de l’Anthropocène, il faut les refinancer radicalement. Pour cela, il faut faire payer les actionnaires, et annuler la dette dans les pays du sud. Quarante-six pays consacrent plus d’argent aux intérêts sur la dette qu’aux soins de santé. L’annulation de la dette est une condition sine qua non de lutte contre les pandémies.

Il y a aussi le changement climatique lui-même. On sait que la fonte du permafrost va fort probablement libérer des virus ou des bactéries anciens qui vont se répandre par le biais des ouvriers qui travaillent dans des mines des régions concernées. C’est pourquoi il faut absolument respecter l’objectif fixé à Paris de 1,5°C de réchauffement maximum, donc socialiser l’énergie et la finance.

Bref, il s’agit de tirer sur le fil du « prendre soin » – une thématique développée par les (éco)féministes – pour dévider l’ensemble des objectifs anticapitalistes. Il s’agit de reformuler l’alternative écosocialiste en partant de ce point de vue-là, en partant de ce changement majeur qui est qu’aujourd’hui les gens tirent de la crise la conclusion qu’il faut donner une priorité beaucoup plus forte à la santé, au bien-être, au prendre soin et qu’il faut pour cela mettre les moyens sur la table. Cela représente un tournant stratégique majeur, car depuis des décennies les écosocialistes sont confrontés à un problème : la lutte écologique, bien que sociale à long terme, apparaît comme en contradiction avec le bien-être social à court terme. Ici, avec ce changement majeur, l’irruption du « prendre soin », les deux problématiques se superposent, le social et l’écologique coïncident : mener le combat social c’est mener une lutte écologique.

C’est ce tournant qu’il faut essayer de saisir et dont il faut voir l’opportunité. Cela a des conséquences immédiates et il faut commencer maintenant ce combat, en luttant contre ce système et les projets productivistes comme la 5G, en luttant pour que la santé soit mise définitivement hors du marché et qu’elle soit refinancée, que l’industrie pharmaceutique soit confisquée, que les banques soient socialisées, etc.

Transcription réalisée par Le Groupe écosocialiste de solidaritéS et révisée par le conférencier.

Notes

[1] Membre du GIEC et coauteur de l’Atlas de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.

[2] « Pourquoi la crise du coronavirus est une bombe à retardement pour le climat », Le Soir, 20 mars 2020,

Grèce Le codiv prétexte pour enfermer les réfugiés

Le gouvernement grec utilise le Covid comme prétexte pour enfermer les réfugiés et les laisser sans soins par Fabien Perrier

En Grèce, les conditions d’accueil des exilés, catastrophiques, font craindre le pire si le coronavirus atteint les camps de réfugiés. L’accès à l’eau est difficile. Se faire soigner presque impossible. Des ONG demandent l’évacuation des camps. Les autorités grecques optent au contraire pour les barbelés.

« C’est la jungle ici ! Et maintenant, avec le coronavirus, nous risquons notre vie au moindre déplacement dans le camp… », se désole Abdullah*, un Afghan de 20 ans qui tente de survivre dans le camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos. Joint par téléphone, il explique : « En débarquant ici, en septembre, je n’imaginais pas l’Europe comme ça. Maintenant, c’est encore pire. Nous n’avons même plus le droit de sortir. »

Cette interdiction date du 18 mars. Pour cause de coronavirus, la Grèce avait déjà fermé depuis plus d’une semaine tous ses établissements scolaires et universitaires, ses restaurants, ses bars… Puis le ministre grec des Migrations, Notis Mitarachi, a en plus exigé que « les mouvements des résidents des camps des îles soient drastiquement réduits. » En conséquence, les demandeurs d’asile n’ont plus le droit de se déplacer hors du « hotspot » de Moria entre 19 h du soir et 7 h du matin. La journée, en cas de nécessité, seul un membre par famille est autorisé à aller en ville, accompagné par la police. Seules 100 personnes peuvent sortir du camp à la fois, par tranche d’une heure.

« Quand nous faisons la queue pour la distribution des repas, nous sommes les uns sur les autres »

La route menant à Moria est contrôlée par la police. Et dans le camp, les haut-parleurs diffusent un message demandant aux migrants de rester sous les tentes. La situation est « stressante », affirme le jeune Afghan. « La nuit dernière, une bagarre a éclaté. Il y a eu un mort, des blessés. Les gens sont à bout ici ! » relate Abdullah. Son quotidien ressemble à une juxtaposition de peurs : celle d’aller aux toilettes, de ne pas avoir d’eau potable quand elle arrive sur le camp, d’une rixe dégénérant en affrontement massif ou encore, peur d’aller chercher à manger. « C’est l’angoisse. Quand nous faisons la queue pour la distribution des repas, nous sommes les uns sur les autres. On nous dit de garder une distance d’un mètre ! Comment faire ? »

Pour Apostolos Veizis, directeur de Médecins sans frontières (MSF) en Grèce, il faut agir au plus vite. Car l’état des camps est « déplorable ». Tel est le mot qui revient dans la bouche de tous les responsables d’ONG, qu’il s’agisse des camps des îles ou de ceux du continent. Ils sont un triste miroir de la politique menée par l’Union européenne en matière migratoire.

Il faut remonter au printemps 2015 pour comprendre comment la Grèce en est arrivée là. Porte d’entrée dans l’Union européenne, elle connaît une augmentation du nombre de migrants venus de Syrie, d’Afghanistan… L’Europe décide alors d’implanter, sur les îles, des centres, appelés « hotspots », où les exilés sont hébergés, enregistrés, et triés. Ceux qui viennent de pays en guerre ou qui sont persécutés peuvent solliciter le statut de réfugiés. Les autres, considérés comme migrants économiques, sont normalement renvoyés vers leur pays d’origine. Sur l’île de Lesbos, à quelques kilomètres des côtes turques, un hotspot est installé dans le lieu-dit de Moria. Étape supplémentaire en mars 2016 : suite à un accord entre l’Union européenne et la Turquie, les migrants se retrouvent bloqués sur les îles grecques jusqu’à l’obtention de l’asile s’ils sont éligibles, ou à leur renvoi vers leur pays s’ils ne répondent pas aux critères.

Un seul WC pour 167 personnes, une douche pour 242 personnes

Faute de moyens, de personnel et de relocalisation vers d’autres pays d’Europe, le camp déborde vite sur l’oliveraie alentour. Prévu pour 2880 personnes, il en accueille aujourd’hui plus de 20 000, dans des tentes du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), l’agence de l’ONU en charge de ce dossier… Parfois, face à l’urgence, les exilés se sont construit des abris faits de bric et de broc, de toiles récupérées, de morceaux de palettes. Le moindre incident tourne au drame.

« Il y a deux jours, un incendie s’est déclaré, témoigne Abdullah. Ma tente a brûlé. Je n’ai plus rien, plus de vêtement… Nous avons eu une nouvelle tente et sommes sept à y dormir, sans couverture, ni matelas. Il n’y a pas l’électricité, donc pas de lumière la nuit. » Stephan Oberreit, qui coordonne les opérations de MSF sur l’île, ajoute : « Il faut absolument améliorer le système d’assainissement et d’approvisionnement en eau, ainsi que le système sanitaire dans son ensemble. De même pour le réseau électrique ! »

Pour le moment, les conditions d’hygiène sont dramatiques, comme le prouvent les chiffres : un seul WC pour 167 personnes, une douche pour 242 personnes. Bref, l’isolement en cas de symptômes du Covid, la distanciation sociale, la lavage fréquent des mains, sans même parler de port du masque, toutes ces mesures qui doivent faire barrière au coronavirus sont ici de vains mots. « Le Covid-19 est un stress supplémentaire par rapport à tout ce que ces gens ont pu vivre chez eux ou pendant l’exode », souligne donc Stephan Oberreit. Toutes les ONG préviennent : il faut « désengorger les camps, transférer des personnes vers le continent ».

L’accès aux soins quasiment inexistant

À Serres, dans le nord du pays, un camp a été ouvert le 21 mars. Afroditi Stambouli, médecin dans la région et membre du parti de gauche Syriza s’est rendue dans cet endroit isolé, dans le lieu-dit de Klidi (ironie de la langue, ce mot signifie également, en grec, la « clef »). Quand elle y est arrivée, elle peine à croire ce qu’elle voit : « Le camp est entouré de fils barbelés. Il est en zone inondable. Il n’est relié ni au réseau électrique, ni à l’eau courante. Les tentes de la Croix rouge n’ont pas de lit, mais juste des palettes et des matelas pneumatiques ! » La médecin s’inquiète : « Que va-t-il se passer à la fonte des neiges ? La rivière risque de quitter son lit… Ce sera une catastrophe ! » Or, elle dénombre beaucoup d’enfants, de personnes vulnérables, de femmes, certaines enceintes ou malades à « Klidi ».

Dans ces camps, l’accès aux soins est aussi quasiment inexistant. À Moria, les ONG dénombrent en tout deux médecins, et trois infirmières. Quatre jours après son arrivée à la tête du gouvernement, le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis (Nouvelle Démocratie, droite) a supprimé le numéro d’identification sociale pour les migrants, ce qui leur enlève aussi le droit aux services de santé. Une loi instaurant un nouveau système a été votée en novembre, le décret d’application a été signé en janvier… mais le nouveau système n’est appliqué que depuis le 1er avril. Surtout, il ne couvre que les demandeurs d’asile enregistrés ou les personnes ayant déjà obtenu l’asile. « Ceux qui sont arrivés sur les îles, qui sont pré-enregistrés ou ne sont pas encore enregistrés, n’ont aucune couverture », déplore Apostolos Veizis, directeur de MSF Grèce.

Il alerte donc : « Si le virus arrive, ce sera un désastre. » Entre conditions sanitaires déplorables, surpeuplement, accès aux soins défaillant, toutes les conditions sont réunies pour qu’une contagion engendre un drame humain. Pour l’instant, aucun cas de Covid-19 n’est signalé sur les îles. Sur le continent, en revanche, deux camps, à Malakasa et Ritsona à quelques kilomètres d’Athènes, ont été confinés, transformés en zones retranchées… « Pour combien de temps ? » interrogent les responsables d’ONG. Ils craignent que le virus deviennent un prétexte pour transformer également les hotspots en centres fermés.

« La Grèce se sert du Covid-19 pour enfermer les réfugiés sans leur fournir aucune protection sanitaire »

« Depuis le début, ce gouvernement utilise le coronavirus ! », s’insurge Natalia Kafkoutou, de l’ONG Conseil grec pour les réfugiés. Elle décrit la logique : « D’abord, des voix xénophobes ont brandi ce virus pour exiger le renfort des contrôles aux frontières. Les habitants des îles ont crié à la menace sanitaire pour eux. Le ministère s’en est servi pour suspendre l’enregistrement des nouveaux arrivants et ses services aux demandeurs d’asile. » Responsable des programmes de Human Rights Watch (HRW) en Grèce, Eva Cosse ajoute : « Pour ces populations vulnérables, la propagation du virus sera une catastrophe ! Mais à voir les dernières mesures annoncées, c’est possible que le gouvernement s’en moque. » Pour elle, « en réalité, la Grèce se sert du Covid-19 pour enfermer les réfugiés sans leur fournir aucune des protections sanitaires nécessaires. »

« Garder des enfants enfermés dans les cellules crasseuses des postes de police a toujours été une erreur, mais désormais cela les expose de surcroît au risque d’infection », ajoute-t-elle. « Le gouvernement grec a le devoir de faire cesser cette pratique abusive et de veiller à ce que ces enfants vulnérables reçoivent les soins et la protection dont ils ont besoin. »

Dans le nord du pays, Afroditi Stambouli s’inquiète du « jeu politique de bas niveau à l’œuvre, qui repose sur la confusion, savamment entretenue, entre camp ouvert et centre fermé… » Elle indique d’ailleurs que pour Klidi, où vivent actuellement environ 700 personnes, la police, débordée, a demandé du renfort. « Un appel d’offre a été publié pour avoir recours à une société de sécurité privée. Le montant proposé est de 153 000 euros pour trois mois ! » En revanche, les allocations de survie aux migrants ont été suspendues pendant le mois d’avril.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie en urgence par trois migrants hébergés dans un camp en Grèce et qui s’estiment menacés par le Covid-19, a demandé à Athènes de prendre les mesures nécessaires à leur protection.

Fabien Perrier

* Le prénom a été modifié.

Source https://www.bastamag.net/refugies-Grece-Lesbos-Moria-Covid19-Coronavirus

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