Publications par catégorie

Archives de catégorie Crise sanitaire

Un travailleur grec sur huit gagne 200 euros par mois

Rapport sur l’impact de la pandémie  

La Grèce a enregistré une augmentation spectaculaire du nombre de personnes vivant avec un salaire inférieur au seuil de pauvreté : un travailleur sur huit gagne 200 euros par mois, selon le rapport annuel de l’Institut du travail du syndicat du secteur privé GSEE.

« Une grande partie de la population grecque est menacée d’appauvrissement permanent », avertissent les chercheurs du rapport annuel sur l’économie et l’emploi en Grèce.

Le rapport décrit la situation du marché du travail dans le contexte de la pandémie de coronavirus et parle de réduction des salaires, de détérioration du niveau de vie, de l’abolition de facto des 8 heures de travail et d’une augmentation spectaculaire du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

En analysant les données, les chercheurs soulignent que des mesures immédiates doivent être prises pour améliorer le niveau de vie des ménages, faute de quoi l’appauvrissement d’une grande partie de la population sera permanent et la cohésion sociale sera perturbée.

Les chercheurs soulignent qu' »une très grande partie de la population active est soit absente du marché du travail (contrats de travail suspendus pendant plus de 3 mois en raison de la pandémie), soit enregistrée comme chômeur ou travaille pour des salaires inférieurs au seuil de pauvreté ».

Plus de 100 000 salariés ont « quitté » le marché du travail et vivent avec une aide d’État de 534 euros par mois depuis plus de 3 mois.

Le salaire mensuel moyen a diminué de 10 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au même trimestre 2019.

3 travailleurs sur 10 perçoivent un salaire inférieur au salaire minimum, dont le montant – malgré l’augmentation de 2019 – est inférieur au seuil de pauvreté.

7 sur 10 ont un salaire inférieur à 1 000 euros.

Selon les données du rapport annuel, au deuxième trimestre 2020, le salaire mensuel moyen est passé de 885 euros au deuxième trimestre 2019 à 802 euros au deuxième trimestre 2020, soit une baisse d’environ 10 %.

Au cours de la même période, le pourcentage d’employés recevant de 0 à 200 euros a été multiplié par 12, passant de 1 % à environ 12 %.

Les travailleurs recevant des salaires entre 200 et 1 200 euros ont diminué de 11,3 points de pourcentage.

La baisse la plus importante a été enregistrée chez les personnes dont le salaire net se situait entre 400 et 600 euros, car cette catégorie est passée de 16,3 % au deuxième trimestre 2019 à 12,3 % au même trimestre 2020.

Le pourcentage de personnes ayant reçu entre 601 et 800 euros a diminué de 24,8 % à 23,5 %, tandis que celui des personnes ayant reçu entre 801 et 1 000 euros est passé de 21,8 % à 18,3 % respectivement.

Il est à noter qu’au deuxième trimestre 2020, 72,9 % des salariés avaient un salaire net inférieur à 1 000 euros.

Presque toutes les échelles salariales ont pu être affectées négativement, mais le principal fardeau de la compression salariale a affecté les bas salaires.

« En supposant que la profondeur de la récession ne dépasse pas 9 %, l’Institut estime que le taux de chômage officiel augmentera à 21,2 % d’ici la fin de 2020. », indiquent les chercheurs dans leur rapport.

L’expansion de la population économiquement inactive est particulièrement importante pour la façon dont le marché du travail sera façonné dans un avenir proche.

En 2019, on a constaté une diminution constante du nombre de chômeurs et une diminution parallèle des personnes économiquement inactives, mais dans une moindre mesure.
Le taux de chômage officiel a diminué de 2 points de pourcentage en moyenne.

Cependant, à partir de décembre 2019, le nombre d’inactifs a commencé à augmenter progressivement, avec pour résultat qu’en février 2020, environ 79 000 personnes ont quitté la population active.

En même temps, le coût de la perte d’un emploi est particulièrement élevé en Grèce, puisqu’après deux ans de chômage, les chômeurs ont perdu 47 % de leurs revenus. Ce résultat place la Grèce au troisième rang des pays les plus pauvres de la zone euro.

« Le risque élevé de chômage de longue durée, combiné à l’inefficacité du filet de sécurité sociale, conduit à la conclusion que, si des mesures immédiates ne sont pas prises pour améliorer le niveau de vie des ménages, l’appauvrissement d’une grande partie de la population sera permanent. La cohésion sociale va éclater, tandis que l’impact de la crise pandémique sur l’économie aura une durée plus longue et des conséquences plus néfastes », concluent les chercheurs.

Plus de données du rapport ici en grec.  here

La traduction et la rédaction de ce rapport par PS m’ont rappelé les rapports dramatiques sur les revenus et les conditions de travail pendant la crise économique grecque. 200 euros par mois ? Christine Lagarde, en tant que chef du FMI, ne pouvait pas y penser même dans ses rêves les plus fous de compétitivité…

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/10/22/greece-workers-salaries-200euros-pandemic-report-impact/

La pandémie du coronavirus a mis à nu la logique néolibérale de l’UE

Eric Toussaint , Miguel Urbán Crespo


Miguel Urban CRESPO in the EP in Strasbourg. Picture of GUE/NGL

Miguel Urban est eurodéputé, membre des « Anticapitalistas » (État espagnol). Interviewé par Éric Toussaint.

Quel est l’objectif de l’initiative Taxe Covid, au niveau européen d’une part et d’autre part, de façon complémentaire, au niveau de l’État espagnol ?

La concentration toujours plus grande des revenus et de la richesse n’est pas seulement une conséquence, elle est aussi la cause et le moteur de la crise de laquelle nous ne sommes pas encore sortis alors que la suivante arrive déjà

Tout au long de ces dix dernières années, nous avons vu les institutions européennes et les gouvernements nationaux renflouer les banques alors qu’ils laissaient des millions de familles sombrer, qu’ils soumettaient les peuples du Sud de l’Europe à une véritable doctrine du choc néolibéral et qu’ils intervenaient dans leurs économies, mettant par-là entre parenthèse, de fait, leur souveraineté. Dix années qui ont été perdues pour les classes populaires mais qui ont été une décennie de gains pour les grandes multinationales qui n’ont cessé d’accroitre leurs profits et leur pouvoir. Une période marquée par une combinaison de pénurie et d’inégalités où le poids des revenus du travail a diminué au profit de ceux du capital, de façon particulièrement féroce. Une époque d’ « oligarchisation » accélérée du pouvoir, phénomène qui est tout à la fois le résultat, la cause et l’axe central du nouveau cycle historique que vivent l’Europe en général et l’Espagne en particulier.

L’évasion et la fraude fiscales des grandes fortunes et des multinationales sont au cœur d’une vertigineuse croissance des inégalités dans le monde ainsi que du manque de ressources financières des États. L’architecture économique propre à l’UE, favorise, dans le cadre d’une liberté de mouvement des capitaux et en l’absence d’harmonisation fiscale, des régimes fiscaux disparates qui entraînent un « dumping » fiscal permanent, les gouvernements des différents pays diminuent les impôts sur les grandes sociétés privées et sur les riches afin de les attirer ou de les « garder » sur leur territoire. De même, l’UE dispose de ses propres structures offshore et d’un cadre réglementaire dont les différences de niveaux, les permissivités et les stimulants occultes favorisent cette évasion et ces fraudes fiscales qui bénéficient de facto aux grands capitaux, aux rentiers et aux familles les plus riches, au détriment de la majorité de la population. Un projet européen fait d’inégalités, pour une poignée de multimillionnaires au détriment de millions de pauvres.

Mais la concentration toujours plus grande des revenus et de la richesse n’est pas seulement une conséquence, elle est aussi la cause et le moteur de la crise de laquelle nous ne sommes pas encore sortis alors que la suivante arrive déjà. Les politiques économiques appliquées par les institutions communautaires et par les gouvernements des États membres ont produit un transfert massif des ressources du bas vers le haut. Une socialisation des pertes avant, pendant et après la crise. Et maintenant avec celle qui pointe, que va-t-il se passer ?

Si nous voulons que cette fois-ci l’histoire soit différente, nous devons résolument affronter la fronde des privilégiés : cette poignée de milliardaires et de multinationales qui refusent de payer des impôts et pratiquent un véritable terrorisme fiscal avec l’aide complice des gouvernements et des principaux partis tout en accusant et en menaçant directement ceux qui dénoncent leurs pratiques de détournement des finances publiques.

Les Anticapitalistas ont lancé l’idée d’une Taxe Covid dans le cadre d’une campagne plus large « Que les riches paient » où nous abordons des questions de fiscalité et de répartition de la richesse, de nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie, de la répartition du travail et de la diminution du temps de travail, du changement de modèle productif

Affronter la pandémie sanitaire qui vient suppose inévitablement combattre les inégalités, toutes les inégalités, plurielles et interconnectées et en augmentation, en intervenant sur les réalités qui sont la source et le reflet de ces inégalités, au niveau de la fiscalité, de la précarité et du pouvoir des entreprises. En définitive, remettre au centre du débat la redistribution de la richesse et des ressources comme axe principal d’un programme éco-socialiste. Tel est le principal objectif de la taxe Covid : intervenir dans le débat public sur la reconstruction post-Covid avec une proposition concrète qui accorde la priorité à la répartition de la richesse face à la logique néolibérale en vigueur qui ne parle que de l’endettement public comme unique manière d’augmenter la dépense. Au niveau européen, la Taxe Covid s’introduit justement dans ce débat sur la mutualisation ou non des dettes, sur le financement du fonds de reconstruction, se posant comme une initiative concrète au niveau européen qui s’oppose à l’architecture même de l’UE, dans une perspective redistributive, solidaire et internationaliste. Une façon de remettre en cause l’UE, mais aussi de construire une Europe différente à partir de la mobilisation sur une proposition concrète qui ne devrait pas en rester là mais évoluer vers un programme d’urgence sociale pour affronter la crise.

De fait, dans l’État espagnol, les Anticapitalistas (qui se sont séparés de Podemos en 2020, NDLR) ont lancé l’idée d’une Taxe Covid dans le cadre d’une campagne plus large « Que les riches paient » où nous abordons des questions de fiscalité et de répartition de la richesse, de nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie, de la répartition du travail et de la diminution du temps de travail, du changement de modèle productif. Mais justement, commencer par la Taxe Covid nous a permis de placer dans le débat public, et auprès de l’ensemble de la gauche de l’État espagnol, la nécessité de la répartition de la richesse. De telle façon que l’ensemble de la gauche s’est réapproprié l’idée, avec des formulations diverses. Cela n’a pas empêché le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (qui dirige le gouvernement) de refuser publiquement les différentes propositions d’impôts sur les grandes fortunes et les bénéfices des entreprises.

On comprend l’importance qu’il y a à taxer les riches et les grandes entreprises, mais pourquoi entrer dans le détail des pourcentages ?

Cela fait trente ans que nous sommes sur la défensive. C’est précisément parce que nous sommes en train de nous restructurer que nous devons faire bouger les pions, devenir plus offensifs.

De nombreux consensus néolibéraux sont aujourd’hui remis en question. Il est temps de pratiquer une doctrine de choc contre les élites et en faveur de ceux et celles qui sont au bas de l’échelle. Mettre la répartition des richesses et des emplois sur la table comme élément central du débat politique ; demander ouvertement qui va payer la prochaine crise ; montrer du doigt la fronde des privilégiés qui estiment avoir le droit de ne pas payer d’impôts ou de cacher leurs trésors dans des égouts fiscaux. Mais cette fenêtre ne sera pas ouverte longtemps. Nous avons déjà vu combien de temps ont duré les promesses de « refondation du capitalisme » faites par Sarkozy et consorts en 2008. Finalement cela s’est traduit par un tour de vis des mêmes politiques qui nous avaient conduits au désastre.

De nombreux consensus néolibéraux sont aujourd’hui remis en question. Il est temps de pratiquer une doctrine de choc contre les élites et en faveur de ceux et celles qui sont au bas de l’échelle

C’est pourquoi nous avons estimé qu’il était nécessaire de ne pas se contenter de slogans ou de manifestes sur la crise et ses alternatives. Nous avons voulu proposer un outil concret, abouti, urgent et utile, mais qui vise haut : si haut qu’il remet en cause le modèle de construction de l’Europe néolibérale ou, ce qui est pratiquement la même chose, qu’il remet en cause l’accaparement croissant de toutes les ressources par une dangereuse minorité. La lutte contre les inégalités et pour la répartition des richesses sera au centre de la lutte pour cette autre Europe dont nous parlons tant. Il est évident que l’application de ces taxes d’urgence européennes Covid-19 ne suffiront pas pour cette bataille. Le défi est beaucoup plus vaste. Mais nous devons commencer quelque part. Et il est peut-être temps de mettre des propositions concrètes sur la table. Nous devons placer la lutte pour la répartition des richesses au centre du débat et de l’action politique. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire en sorte que cette fois-ci la crise ne soit pas payée par les classes populaires. Cette fois, que ce soit les riches qui paient. C’est l’idée force qui peut entraîner le reste. Les pourcentages sont des questions techniques, importantes bien sûr, mais qui ne mobilisent pas.

Quelle est ta position sur les paradis fiscaux ou que faut-il faire à leur sujet ?

La fraude et l’évasion fiscales ne sont pas des cas isolés ou circonstanciels : elles sont un phénomène structurel du capitalisme d’aujourd’hui, intimement lié à l’offensive néolibérale qui sévit dans nos économies depuis des dizaines d’années. Un système de fraude et d’évasion qui ne pourrait pas fonctionner sans un réseau de tanières fiscales qui se situent en dehors des obligations fiscales. Et nous disons « tanières », pour ne pas dire directement « cloaques », car les appeler « paradis fiscaux » serait accepter la grammaire de cette même minorité dangereuse pour qui ces lieux sont des paradis. Grâce à ces lieux où la lex mercatoria prime sur tout autre droit, grâce à l’ingénierie comptable et aux niches légales, une poignée de privilégiés a trouvé de nombreuses failles pour cacher ou dissimuler une part importante de leur fortune. Et aujourd’hui, tout le système fuit par ces fissures. Toutes les études concordent sur le fait qu’il n’y a jamais eu autant d’argent dans les tanières fiscales qu’aujourd’hui.

La fraude et l’évasion fiscales ne sont pas des cas isolés ou circonstanciels : elles sont un phénomène structurel du capitalisme d’aujourd’hui, intimement lié à l’offensive néolibérale qui sévit dans nos économies depuis des dizaines d’années

La lutte contre ces cloaques fiscaux devrait être un élément central du combat actuel contre les inégalités et pour la démocratie. Un combat que nous pouvons commencer en mettant en œuvre une série de mesures concrètes qui s’attaquent à la racine du problème dans divers domaines et niveaux d’action :

Dans le cadre de l’UE, la liste des juridictions tierces qui ne coopèrent pas en matière fiscale devrait être revue et modifiée (en suivant, par exemple, les critères du Parlement européen ou ceux d’organisations sociales telles que Oxfam, Tax Justice Network ou Gestha, le syndicat espagnol des experts financiers). Cela permettrait d’avoir un premier répertoire réel des paradis fiscaux commun à toute l’UE, au lieu des anciens index nationaux élaborés par certains États ou de la liste actuelle de la Commission européenne, qui se voulait une liste noire mais qui a fini par être une liste de blanchiment des paradis fiscaux. Sur les 15 paradis fiscaux les plus utilisés par les multinationales, un seul apparaît dans cette compilation de la Commission. Disposer d’une liste fiable des tanières fiscales, qui indique également celles qui opèrent dans le cadre de l’UE, constituerait un premier pas nécessaire pour isoler commercialement et économiquement ceux qui favorisent et/ou profitent de cette structure fiscale, sanctionner ceux qui y opèrent et enquêter de manière approfondie sur les grandes banques et les intermédiaires complices qui profitent du secret bancaire – qu’il faudrait aussi éliminer – et qui contournent systématiquement toute pratique normalisée de formalités obligatoires afin de faire de la fraude et de l’évasion fiscales un business lucratif. Et pour que ces mesures durent dans le temps, des sanctions dissuasives devraient être appliquées, y compris le retrait de la licence bancaire. En outre, il est essentiel d’appliquer des règles comptables homogènes qui obligent les multinationales à présenter des informations économiques pertinentes, structurées, fondées sur leur activité réelle par pays, afin qu’elles soient imposées dans chaque territoire sur la base de la présence de personnel, du capital physique et des bénéfices effectifs qui y sont réalisés, en évitant les abus en matière de prix de transfert.

Deuxièmement, et comme plan B au cas où l’UE refuserait de sanctionner les tanières fiscales qui y opèrent, ce qui est malheureusement un scénario très probable, des sanctions commerciales pourraient être établies de manière coordonnée entre certains États membres pour les pays qui opèrent en tant que paradis fiscaux, en commençant par les Pays-Bas ou le Luxembourg et en continuant avec la Suisse. Une forte alliance de plusieurs pays d’Europe du Sud pourrait contraindre ces États à abandonner le secret bancaire et à coopérer en matière fiscale, en utilisant l’argument selon lequel les pertes résultant de ce changement de pratique seraient moindres que celles résultant des sanctions commerciales qu’il faudrait leur imposer s’ils ne coopéraient pas.

Nous pensons qu’il est essentiel que la BCE annule toutes les dettes des États membres destinées à combattre les causes et les effets de la pandémie ou, à défaut, qu’elles soient transformées en « dettes permanentes » sans rapport avec les budgets actuels

Nous devons également agir au niveau des États. Sans attendre que l’UE se décide à mettre à jour sa liste noire des paradis fiscaux, des progrès pourraient être réalisés à cet égard en Espagne, en suivant les mêmes critères que ceux mentionnés ci-dessus et en contribuant ainsi à donner l’exemple et à encourager d’autres pays à se joindre. Cela impliquerait et permettrait l’interdiction des aides aux entreprises qui opèrent ou ont des filiales et/ou des succursales dans des tanières fiscales. De même, la fraude et l’évasion fiscales pourraient être incluses parmi les critères qui empêcheraient une entreprise de bénéficier de commandes publiques, mesure qui pourrait être reproduite au niveau régional et municipal. Une autre mesure abordable serait d’interdire par une loi les amnisties fiscales. Enfin, en continuant la liste des propositions à la portée d’un gouvernement qui se veut « de changement », des sanctions pourraient être établies à l’encontre des banques et des intermédiaires financiers qui opèrent dans ces territoires extraterritoriaux en tant que facilitateurs et/ou bénéficiaires de la fraude et de l’évasion fiscales.

Mais il serait naïf et irresponsable de la part de la société civile de tout confier à l’action des institutions pour lutter contre le fléau de la fraude, de l’évasion ou du blanchiment fiscal. D’autant plus que le peu de progrès réalisés jusqu’à présent l’a été à coup de fuites journalistiques et de scandales impliquant une classe politico-économique qui n’a même plus besoin du pantouflage pour connecter ses cohabitations. Pour éviter qu’une poignée de mesures cosmétiques n’essaient de masquer la puanteur de ces cloaques, il est essentiel que la société civile prenne la tête de ce combat et se mobilise résolument pour la justice fiscale et le partage des richesses, avec des campagnes de dénonciation et de boycott de ces entreprises et de ces milliardaires. En ce sens, la campagne d’occupation des magasins Apple ou des agences de BNP Paribas menée par Attac France il y a quelques années est aussi intéressante qu’inspirante. Les dénonciations et signalements publics des cabinets d’avocats, sociétés de conseil et banques qui opèrent et sont des intermédiaires obligés dans la fraude et l’évasion fiscales contribueraient à nuire à l’image de marque de ces multinationales, qui est précisément l’un de leurs principaux atouts en ces temps de capitalisme liquide.

Que dit l’appel Taxe Covid à propos de la dette ?

Notre première tâche est de briser l’encerclement qui vise à minimiser encore plus nos positions statistiquement minoritaires

Nous savons que l’urgence médicale, sociale et économique de la pandémie de coronavirus nécessite une réponse urgente et immédiate. En fait, des milliards d’euros ont déjà été mobilisés à cette fin, ce qui alimente une dette qui ne peut être assumée par les États et qui entrave leur capacité à faire face à cette situation. Nous pensons donc qu’il est essentiel que la Banque centrale européenne (BCE) annule toutes les dettes des États membres destinées à combattre les causes et les effets de la pandémie ou, à défaut, qu’elles soient transformées en « dettes permanentes » sans rapport avec les budgets actuels. En attendant, et comme forme de pression pour que cette mesure soit appliquée, nous proposons le non-paiement unilatéral par les États, ainsi qu’un audit citoyen de l’ensemble de la dette en vue d’en répudier la partie illégitime. La dette reste l’un des éléments clés pour comprendre la crise de l’UE. Un véritable carcan pour les pays du Sud qu’il faut rompre si l’on veut redresser l’Europe.

Qui sont les signataires ?

Au départ, le manifeste a été signé par 45 personnalités du monde syndical, social, politique et intellectuel de plusieurs pays européens. Parmi ces noms, on trouve par exemple Susan George, Eric Toussaint, Christophe Aguiton ou Eleonora Forenza. Depuis le lancement, nous avons reçu des dizaines de nouvelles signatures de divers pays et domaines d’action politique. Dans les prochaines étapes, nous ouvrirons le soutien aux organisations et au grand public. Et au-delà des noms et de leur nombre, il est important de souligner l’accueil que nous recevons des pays du nord de l’Europe, dont beaucoup sont dits « frugaux », contribuant ainsi à briser cette fausse division nord-sud en Europe, qui cache les intérêts communs des élites des différents pays alors que les classes populaires et travailleuses doivent ériger les ponts nécessaires et l’agenda partagé que nous, les classes populaires et ouvrières des quatre points cardinaux de l’Europe, devons mettre en œuvre.

Avez-vous un calendrier ?

Il est fondamental d’être conscient de notre position minoritaire pour ne pas faire de notre mandat d’euro-parlementaire une fin en soi, mais plutôt un levier pour travailler à l’intérieur, mais surtout à l’extérieur du Parlement

Au cours de l’été, nous avons clôturé la collecte de cette deuxième phase de signatures, après quoi nous évaluerons comment continuer en fonction du soutien reçu et de la situation sanitaire. Nous avons tenu une rencontre physique combinée à une vidéoconférence à Bruxelles les 22 et 23 septembre 2020 sous les auspices du CADTM et avec ReCommonsEurope, pour continuer à avancer plus collectivement et reconstruire des liens entre les organisations et les espaces en lutte. Cette conférence était appuyée par la GUE/NL qui rassemble une partie de la gauche radicale dans le parlement européen.

En tant que député européen anticapitaliste, quel est ton rôle au sein du Parlement européen ?

Notre premier rôle est d’observer et de contribuer modestement mais résolument à briser les énormes et solides consensus qui existent au Parlement et dans les institutions européennes en général sur de nombreuses questions : le rôle de l’Europe dans le monde, l’incapacité à concevoir l’économie ou la société selon d’autres mécanismes que le marché ou les valeurs supposées que l’UE « apporte » à l’humanité par son action extérieure, parmi bien d’autres questions. La grande coalition des sociaux-démocrates et des sociaux-libéraux qui a traditionnellement co-gouverné le Parlement européen et la majorité des pays européens s’est élargie pour inclure les libéraux et une bonne partie des Verts, tout en tendant la main à la droite réactionnaire qui est de plus en plus euro-réformiste. Tout cela constitue un noyau de pouvoir très solide qui est parfaitement aligné sur le reste des élites économiques et politiques européennes. Notre première tâche est de briser l’encerclement qui vise à minimiser encore plus nos positions statistiquement minoritaires. Le problème est que, même au sein de la gauche, certains considèrent que cela se fait en s’intégrant à tout prix dans le consensus de ce noyau extrême de la grande coalition néolibérale.

En tant qu’anticapitalistes et en tant que mouvement international, nous concevons le travail institutionnel comme un front de plus, important mais non indispensable, et surtout stérile s’il n’est pas accompagné d’un mouvement social organisé et d’une lutte en dehors des institutions

Notre deuxième rôle, et il est commun à tout anticapitaliste dans toute institution, est de ne pas succomber aux charmes et aux dangers d’une institution comme le Parlement européen. Non pas seulement en raison des risques de s’accommoder et d’être contaminé par le cynisme et l’arrogance qui caractérisent cette institution et contre lesquels nous devons nous vacciner quotidiennement, mais aussi parce qu’il existe un réel danger de se laisser prendre au jeu parlementaire, en pensant à tort que c’est le plus important et en consommant l’essentiel des maigres ressources qu’il faut pourtant mettre sur d’autres fronts. Il est fondamental d’être conscient de notre position minoritaire pour ne pas faire de notre mandat d’euro-parlementaire une fin en soi, mais plutôt un levier pour travailler à l’intérieur, mais surtout à l’extérieur du Parlement, en portant des propositions et des mouvements qui se heurtent de front à la logique et aux intérêts de l’UE telle qu’elle est réellement.

Quelle est ta conception du travail de parlementaire européen ?

Tout d’abord, la question, et donc la réponse, doit être formulée au pluriel : nous, en tant qu’anticapitalistes et en tant que mouvement international, concevons le travail institutionnel comme un front de plus, important mais non indispensable, et surtout stérile s’il n’est pas accompagné d’un mouvement social organisé et d’une lutte en dehors des institutions. Accompagner ces luttes, les soutenir et en tirer les leçons, articuler l’action politique et sociale ou contribuer à leur décollage, est un élément fondamental de notre conception du travail institutionnel et de notre rôle en son sein. Par ailleurs, une institution comme le Parlement européen apporte deux autres éléments intéressants : une perspective territoriale élargie, au niveau européen, et une perspective temporelle qui permet d’anticiper certaines attaques du capital qui atterriront bientôt au niveau national et local. Une présence au sein d’une telle institution est utile pour situer d’autres acteurs et établir des alliances, et pour préparer le terrain pour de nouveaux champs de bataille.

Après l’échec de la stratégie de Syriza en Grèce : la participation de Unidad Podemos au gouvernement Sanchez suit-elle toujours la même ligne ou est-elle différente ?

Les différences stratégiques sous-jacentes qui ont fini par cristalliser notre sortie de Podemos en tant qu’anticapitalistes sont intimement liées aux discussions que nous avons eues par rapport à la situation en Grèce en 2015

L’expérience grecque est, ou devrait être, la grande leçon politique de la dernière période. Nous pouvons en fait établir un tournant au sein de la gauche européenne en fonction de la façon dont ses composantes ont interprété et se sont positionnées à ce moment-là et depuis lors par rapport à l’expérience du gouvernement Syriza. Les différences stratégiques sous-jacentes qui ont fini par cristalliser notre sortie de Podemos en tant qu’anticapitalistes sont intimement liées aux discussions que nous avons eues par rapport à la situation en Grèce en 2015. Dans le cas de l’Espagne, les Anticapitalistes, nous avons été très clairs sur le fait qu’entrer en minorité dans un gouvernement dirigé par le social-libéralisme comportait de nombreux risques, mais surtout trois :

  1. cela revitalise le PSOE en tant qu’acteur de changement malgré le fait que le cycle du 15M [1] ait eu comme un de ses axes principaux la récusation du bipartisme et de ses politiques, dont le PSOE est un pilier fondamental et constitue le grand « parti d’État » de l’État espagnol ;
  2. cela vieillit et désactive Podemos en tant que force de transformation, en le cantonnant dans la sphère institutionnelle et en le soumettant à la majorité du gouvernement social-libéral ; et
  3. cela donne à la droite et à l’extrême droite le monopole de l’opposition et la canalisation potentielle du malaise qui résultera de la gestion de la nouvelle crise qui est déjà là. Par contre, il aurait été possible de soutenir de l’extérieur la formation d’un gouvernement minoritaire du PSOE et de continuer à faire de l’opposition à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement espagnol, avec les mouvements et sans les engagements actuels qui découlent de la participation au gouvernement.

Vous avez également lancé une campagne pour la nationalisation de différents secteurs stratégiques : quels sont-ils ? les grandes entreprises pharmaceutiques, l’énergie, les banques, d’autres encore ?

Cette pandémie a mis à nu les parties honteuses du capitalisme. Les insuffisances du capitalisme à relever le défi de la protection des classes populaires et de la sauvegarde des vies ont été démontrées. Il est temps d’analyser les conséquences des années d’attaques continues contre le secteur public. Le droit à la santé a été amputé par les politiques néolibérales. Et le coût de cette pandémie n’est pas seulement économique, il se chiffre surtout en centaines de milliers de vies.

Il est fondamental de susciter un nouvel internationalisme militant et solidaire capable de construire un projet éco-socialiste répondant à partir des différents contextes et particularités régionales au défi commun de porter un scénario post-capitaliste

La pandémie a également mis à nu l’Europe néolibérale. Au plus fort de la crise virale, nous avons vu qu’il n’y avait aucun moyen de fabriquer les équipements d’urgence nécessaires pour combattre le Covid-19 en Europe, suite à des années de délocalisation et de désindustrialisation. L’Europe a besoin d’une ré industrialisation, en même temps que d’un changement vers un modèle de production socialement et écologiquement juste. L’économie doit être au service de la vie, et non servir à engraisser les profits privés. C’est sans aucun doute l’une des grandes leçons de cette crise. Il est fondamental de nationaliser les secteurs stratégiques sous contrôle social pour assurer le bien commun. C’est pourquoi les Anticapitalistes ont lancé une campagne d’agitation et de propagande sur la nécessité de nationaliser des secteurs stratégiques et de changer de modèle de production, avec différentes propositions concrètes comme le cas des usines que Nissan a l’intention de fermer en Catalogne.

Le capitalisme est dans une longue vague dépressive, due à une crise de rentabilité, dont la cause principale est la tendance à la baisse du taux de profit. Face à cette difficulté permanente à se redresser, le capitalisme a cherché, comme il le fait systématiquement, une issue par l’intensification de l’exploitation de l’homme et de la nature, dans un processus de précarisation permanente du travail et de dégradation de la biosphère. Ainsi, ce sera la crise écologique qui introduira, comme elle le fait déjà, de nouvelles limites au productivisme et « croissantisme » capitaliste, mais aussi de nouvelles limites aux cycles de transformation et à leurs stratégies. En ce sens, il est fondamental de susciter un nouvel internationalisme militant et solidaire capable de construire un projet éco-socialiste répondant à partir des différents contextes et particularités régionales au défi commun de porter un scénario post-capitaliste.

Traduction de Lucile Daumas

Source https://www.cadtm.org/La-pandemie-du-coronavirus-a-mis-a-nu-la-logique-neoliberale-de-l-UE

Sur le monde d’après

Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème par Didier Epsztajn  


(Crédits : Unsplash)

  Sommaire
  • I- Coronavirus, crise économique et crise globale
  • II- Un système dette amplifié par la pandémie
  • III- Les peuples se lèvent face à la crise sanitaire, les dettes illégitimes et la crise (…)

De l’introduction, une-nouvelle-etape-de-la-crise-economique-et-financiere-secoue-la-planete/, je souligne les effets des politiques néolibérales et néocoloniales, la récession à venir, « Le discours des médias dominants tente de nous induire en erreur en expliquant l’effondrement actuel par la seule action du coronavirus. Cependant, il est évident que cette pandémie met à nu le caractère insoutenable du système capitaliste et révèle les ravages causés par l’application de l’idéologie néolibérale avec le profit pour seule boussole », le poids et les effets de la dette et des emprunts actuels, le soutien in fine aux grandes entreprises privées et à leurs actionnaires par de l’argent public, les revendications portées par des mouvements sociaux dont l’annulation des dettes…

 I- Coronavirus, crise économique et crise globale

La perspective transnationale, les exemples inscrits dans différents pays et régions du monde sont d’un apport essentiel contre les visions autocentrées et l’oubli des asymétries construites, entre autres, par les phénomènes de colonisation ou d’imposition de normes néolibérales par les institutions financières internationales.

La crise du capitalisme et de son actuel régime d’accumulation ne peut-être abordée que dans optique globalisante ; ce qui n’interdit pas d’en souligner les déclinaisons et les contradictions au niveau plus régional.

Il ne faut s’y tromper, la crise sanitaire actuelle est un révélateur des effets des politiques néolibérales et un accélérateur de la crise socio-économique. Les politiques d’ajustement structurel ont participé à la destruction des systèmes de santé, les sommes allouées au remboursement de la dette ont grévé les moyens budgétaires, « la dette tue ». Dans certains pays le budget affecté au paiement de la dette est supérieur aux dépenses publiques dans le secteur de la santé. Sans oublier les nouveaux prêts servant à rembourser les dettes du FMI arrivant à échéances…

Je souligne donc les articles sur l’emprise du FMI, son pouvoir de pression sur les gouvernement pour imposer des politiques d’austérité, les plans de sauvetage bancaires et des actionnaires…

Face aux conséquences de la pandémie, les un·es et les autres ne sont pas égales/égaux. La situation aggravée des personnes considérées comme sans papier n’est pas pris en compte par les autorités belges (Lire le texte de la Coordination des sans papiers)…

J’ai notamment apprécié le texte de Verónica Cago et Luci Cavallero (#NiUnaMenos, Argentine) : « Crack up ! Féminisme, pandémie et après ». Les autrices abordent les corps concrets, les machines de mort, la soi-disant normalité. Elles proposent d’étendre la quarantaine à la finance, de réorienter les budgets vers la satisfaction des besoins, « Nous nous voulons vivantes, libres et désendettées ! ». Elles discutent aussi du travail, de la quarantaine et du domestique, « nous savons qu’il existe de multiples formes de quarantaine, segmentées par sexe, classe et race et, plus encore, que tous les corps n’ont pas la possibilité de rester dans une maison et aussi que l’enfermement impliquent pour beaucoup des abus et de la violence machiste », des maisons comme « véritables champs de guerre », de la politisation féministe de l’espace domestique, des tâches historiquement « dépréciées, mal payées, non reconnues ou directement déclarées comme non-travail » pourtant indispensables, de la grève féministe internationale en Amérique du sud, d’horizon futur « ici et maintenant »

Un article est consacré au colonialisme numérique et à la dette écologique, « Le numérique n’a rien de virtuel ou d’immatériel », à l’augmentation des usages de diverses technologies, aux conception linéaires du progrès et des soi-disant retards ou des rattrapages, à l’extractivisme, aux désastres environnementaux liées aux technologies. (En complément possible : Alternatives Sud : Impasses numériques, les-effets-sociaux-de-la-digitalisation-et-de-la-privation-des-donnees-collectees/)…

 II- Un système dette amplifié par la pandémie

Des systèmes sanitaires dé-financés et privatisés, la culpabilisation des citoyen·nes. Je souligne l’article de Gilles Grégoire et Pierre-François Grenson, « Les soins de santé en Belgique : de la privatisation à la socialisation ? ». Les auteurs abordent, entre autres, le chiffrage de la réalité, la réduction des moyens, la demande toujours plus élevée de soins, le vieillissement du matériel et l’augmentation des coûts, les logiques austéritaires et les impacts sur le financement des services publics, le privé dans les secteurs rentables, l’audit citoyen des comptes des hôpitaux, la socialisation du secteur de la santé, la remise de la sécurité social aux mains des citoyen·nes. (En complément possible, Gilles Grégoire : Les soins de santé en Belgique : De la privatisation à la socialisation ?, pour-un-financement-juste-et-perenne-des-soins-de-sante-pour-toustes/)…

J’ai notamment été intéressé par le texte d’ACiDe Belgique. La dette publique, la nécessité d’un moratoire du paiement de cette dette, la réalisation d’audits citoyens de la dette, « à tous les niveaux de pouvoir et pour toutes les structures publiques », les nouvelles ressources, les prêts directs aux États sans passer par les marchés (la suppression de l’article 123 du Traité de Lisbonne), l’annulation immédiate et inconditionnelle de la dette des pays du Sud global, l’arrêt du transfert des ressources publiques vers le privé, « Le problème n’est donc pas le manque de ressources, mais leur captation par les plus riches »

Dans cette seconde partie sont aussi abordés, la loi belge contre les fonds vautours, la privatisation du système de santé dans l’État espagnol, les mantras du libéralisme, la situation au Portugal et en Argentine, la gestion de la crise sanitaire en Guadeloupe, « La santé de notre Peuple est le dernier des soucis du pouvoir colonial. Après avoir contaminé nos sols et nos corps au chlordécone, après avoir repoussé avec dédain, les doléances des travailleurs de la santé, aujourd’hui l’État nous impose des dispositions liberticides pou sové nou apré i pwazonné nou ankò onfwa. » (en complément, COMMUNIQUÉ DU LKP. Coronovirus en Guadeloupe : assassins-criminels, coronovirus-en-guadeloupe-assassins-criminels/), Haïti, la fausse annulation de la dette de pays d’Afrique par Emmanuel Macron…

Ce chapitre se termine sur le Sénégal, le coronavirus accélérateur de la pauvreté, l’insuffisance du budget lié au secteur de la santé, la place des femmes…

 III- Les peuples se lèvent face à la crise sanitaire, les dettes illégitimes et la crise globale

Nicolas Sersiron discute l’annulation « de la dette tsunami » et du changement nécessaire de civilisation. L’auteur détaille un certain nombre de propositions, en dehors du mode d’accumulation néolibéral faut-il le préciser.

Sont aussi abordés, la suspension du paiement des microcrédits au Maroc, les dogmes faisant consensus dans la plupart des cénacles politiques et dans les grands médias, la dette en Afrique, le Kenya, l’Équateur, la situation en Tunisie, les collectivités territoriales en Italie, l’Appel des peuples, organisations, mouvements et réseaux militants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe Pour l’annulation de la dette et l’abandon des accords de « libre-échange » (appel-des-peuples-organisations-mouvements-et-reseaux-militants-dafrique-du-nord-et-du-moyen-orient-region-arabe-pour-lannulation-de-la-dette-et-labandon-des-accords-de-libre-echan/) – dont je reproduis le résumé :

Nous, les signataires de cet appel, et en soutien aux acquis des soulèvements populaires pour la démocratie, la liberté et la justice sociale dans notre région, nous revendiquons :

  • Une suspension unilatérale et souveraine du paiement de la dette publique, et l’allocation des fonds à la santé publique, et au soutien des couches vulnérables touchées par la crise de Corona,
  • Un audit citoyen de la dette publique pour déterminer ses parties illégitimes, odieuses et illégales et imposer leur répudiation,
  • Suspension du paiement des dettes privées des familles populaires, des petits producteurs, des petits paysans et des salarié-e-s, envers les banques, les institutions de crédit de logement, de la consommation et les institutions de micro-crédit,
  • Examen de toutes les formes de pillage et les conditions injustes imposées par les institutions du secteur financier dans les contrats de prêts privés, et mettre en évidence leur illégitimité et leur illégalité pour exiger leur annulation,
  • Annulation des accords de « libre-échange » et l’accord de libre-échange complet approfondi pour la Tunisie et le Maroc,
  • Rompre avec le trio au service du capital mondial : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce.

Nous appelons également à :

  • La mise en place d’un large comité populaire pour l’audit de la dette de nos pays au niveau régional qui inclue toutes les couches de la société, les associations, les syndicats, les réseaux, les partis progressistes, les jeunes, les femmes, les chômeurs, etc.
  • Soutenir la campagne de rejet de l’accord de libre-échange complet approfondi en Tunisie, et lui donner une dimension régionale.
  • Organiser une campagne régionale forte, unie dans ses objectifs et son calendrier, pour dénoncer le contenu colonial des accords de libre-échange ainsi que le pillage des richesses de nos peuples par la dette.
  • Organiser un forum populaire, qui se tiendra après la fin de la crise du virus Corona en Afrique du Nord et au Moyen-Orient/région arabe, pour approfondir le débat et échanger des expériences afin d’élargir la lutte contre la dette et les accords de « libre-échange ».

Je souligne aussi les revendications concernant l’Asie (CADTM Asie du Sud, CADTM Pakistan, ATTAC Japon) :

Nous exigeons aussi de :

  • Annuler toutes les dettes illégitimes, ce qui devrait inclure toutes les dettes bilatérales, multilatérales et privées. Former des comités d’audit citoyens de la dette pour en déterminer la part illégitime.
  • Suspendre les remboursements par les ménages des prêts et des microcrédits jusqu’à ce que nous soyons totalement libérés de la pandémie.
  • Remplacer les institutions de microcrédit par des coopératives autogérées par des populations locales et par un service public de crédit accordant des prêts à taux zéro ou très bas.
  • Mettre fin à la privatisation des services publics et à la promotion des partenariats public-privé (PPP) dont le but ultime est de mobiliser l’argent public pour nourrir le secteur privé.
  • Imposer un impôt progressif sur les grandes fortunes.
  • Réduire les budgets de la défense dans la région.
  • Les institutions financières internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et d’autres groupes informels qui alimentent essentiellement les asymétries Nord/Sud, devraient modifier radicalement leurs politiques de prêt actuelles.
  • Fournir un financement supplémentaire d’urgence au Sud – hors aide publique au développement – au moyen de prêts à taux zéro, remboursables en tout ou en partie dans la monnaie souhaitée par les pays débiteurs.
  • Exproprier les « biens mal acquis » par l’élite, les riches et les classes dominantes et les rétrocéder aux populations concernées et sous leur contrôle.
  • Remplacer l’aide publique au développement sous sa forme actuelle par une forme inconditionnelle d’obligations des pays développés dans le cadre de la réparation et de la solidarité.
  • Adopter des politiques pour une transition juste.

Pour ne pas revenir à leur normalité ou dériver vers des situations encore plus inégalitaires et antidémocratiques…

AVP – les autres voix de la planète : Dette, coronavirus et alternatives

Source https://www.cadtm.org/Nous-ne-reviendrons-pas-a-la-normalite-car-la-normalite-c-etait-le-probleme

Le capitalisme néolibéral ne s’autodétruira pas

Covid-19 et crise économique : le capitalisme néolibéral ne s’autodétruira pas par

Le choc du coronavirus a ébranlé les places boursières partout dans le monde et imposé la nécessité de plans de sauvetage massifs de la part des États. Mais, comme le montre ici l’économiste Costas Lapavitsas, les mesures pour faire face à la crise risquent d’ouvrir la voie à un capitalisme contrôlé de manière autoritaire, soucieux de ménager les intérêts des grandes entreprises tout en transférant les coûts vers le reste d’entre nous.

Cet article est le premier d’une série en cours de parution en anglais dans Jacobin et en catalan dans Catarsi, dans le cadre d’une recherche en cours du réseau European Research on Social and Economic Policy.

***

La situation d’urgence sanitaire liée au COVID-19 s’est rapidement transformée en une crise située au cœur même de l’économie mondiale, crise qui constitue également une menace pour les pays en développement de la périphérie. Elle a modifié l’équilibre entre État et marché, révélant une fois encore la vacuité de l’idéologie néolibérale. Cette crise économique jette une lumière crue sur le capitalisme contemporain et ses implications sont susceptibles d’aller bien au-delà des dommages causés aux systèmes de santé publique.

Les racines de la crise descendent d’ailleurs plus en profondeur dans le fonctionnement pathologique du capitalisme financiarisé et globalisé au cours des dix dernières années. La grande crise de 2007-2009 a mis un terme à « l’âge d’or » de la finance au cours des deux décennies précédentes, et les années qui suivirent furent marquées par une croissance faible au centre même de l’économie mondiale : rentabilité faible, croissance de la productivité ralentie, dynamisme de l’investissement au point mort. Le secteur de la finance rencontrait lui-aussi des difficultés, avec une rentabilité en recul, dépourvue du dynamisme extraordinaire de la décennie antérieure. Si la crise historiquement sans précédent de 2007-2009 fut le moment limite de la financiarisation, la crise tout aussi inédite du coronavirus en cristallise la détérioration.

Bien entendu, le déclenchement de la crise a directement à voir avec l’attitude des États-nations face à l’épidémie. Après avoir ignoré l’urgence médicale dans un premier temps, plusieurs États sont passés d’un seul coup au confinement frénétique de pays et de régions entières, avec restrictions sur les déplacements, fermetures des écoles et des universités, et ainsi de suite. Le choc a été dur pour des économies du centre déjà affaiblies, entre effondrement général de la demande, désorganisation de la chaîne logistique, chute de la production, licenciements de millions de travailleurs et perte de recettes des entreprises. D’où le plongeon sans précédent des principaux marchés boursiers et la panique qui s’est emparée des marchés monétaires.

On croirait assister à une résurgence de la peste noire du XIVe siècle, induisant une réaction similaire de la part des sociétés du XXIe siècle, entre peur incontrôlable et isolement des communautés. Mais la peste décima un tiers de la population d’une Europe alors constituée de monarchies féodales pauvres et arriérées. Le coronavirus, lui, présente un taux de mortalité faible dans des États capitalistes avancés au développement technologique sans égal. Le débat entre épidémiologistes n’a pas tardé à faire rage pour savoir si les mesures de confinement général étaient une réponse adéquate et soutenable, ou si les États auraient dû au contraire privilégier une campagne intensive de test des populations.

Les choix épidémiologiques ne relèvent pas de la compétence des chercheurs en économie politique. Il ne paraît toutefois pas faire de doute que les réactions de certains États et l’effondrement de l’activité économique qui en a résulté sont indissociables de la nature fondamentalement viciée du capitalisme néolibéral financiarisé. Un système économique basé sur la concurrence et la recherche du profit coûte que coûte, l’une et l’autre garanties par de puissants États, s’est montré incapable de faire face de manière sereine et efficace à un choc de santé publique d’une sévérité jamais observée jusqu’ici.

Plusieurs pays avancés manquent des infrastructures de santé de base pour prendre en charge les personnes tombées gravement malades, et sont aussi insuffisamment équipés pour tester les populations à grande échelle et protéger les personnes les plus exposées à la contamination. Le confinement et l’isolement général de secteurs entiers de la société peuvent, en outre, avoir des conséquences particulièrement graves pour les salariés comme pour les plus pauvres, les plus fragiles et les milieux les plus marginalisés. Les répercussions mentales et psychologiques seront également dévastatrices. L’organisation sociale du capitalisme contemporain s’est avérée dysfonctionnelle ne serait-ce qu’au niveau de la réponse logistique elle-même.

Mais tout aussi frappantes ont été les mesures adoptées par les États les plus puissants eux-mêmes lorsqu’il est devenu impossible d’ignorer l’ampleur de l’effondrement économique en cours. En mars, les banques centrales des États-Unis, de l’UE et du Japon ont entrepris une injection massive de liquidités et ont ramené les taux intérêts à zéro pour cent, tentant ainsi de stabiliser les marchés boursiers et de pallier la pénurie de liquidités. La Réserve fédérale américaine, par exemple, a annoncé qu’elle rachèterait des volumes illimités d’obligations souveraines et se mit même à émettre des obligations d’entreprises. Au même moment, les gouvernements des États-Unis, de l’UE et d’ailleurs, prévoyaient des politiques de relance massives prenant la forme de garanties d’emprunts et de crédit pour les entreprises, de compléments de revenus pour les travailleurs en difficulté, de reports du paiement des impôts et de la sécurité sociale, d’ajournements de règlements de dettes, et ainsi de suite.

Le gouvernement Trump, prenant une initiative extraordinaire, a annoncé qu’il entendait verser 1200 dollars par adulte, ou 2400 dollars par couple, accompagnés de versements supplémentaires pour les enfants, commençant par les familles les plus pauvres. Cette dépense faisait partie d’un arsenal de mesures pouvant dépasser les deux mille milliards de dollars, soit environ 10 pour cent du PIB des États-Unis, auxquels s’ajoutaient pour 500 milliards de prêts aux entreprises en difficulté, 150 milliards pour les hôpitaux et les personnels des services de santé, et 370 milliards de prêts et des subventions aux petites et moyennes entreprises.

De manière tout aussi extraordinaire, le gouvernement conservateur britannique a déclaré son intention de se muer, de facto, en employeur en dernière instance en versant jusqu’à 80 pour cent des salaires des travailleurs dès lors que leur entreprises les comptaient toujours parmi leurs effectifs. Ces paiements pouvaient atteindre un maximum de 2500 livres sterling par mois, soit, une somme légèrement supérieure au revenu médian. Sur sa lancée, le gouvernement britannique a nationalisé également le transport ferroviaire pour une durée de six mois et envisagé jusqu’à la nationalisation des compagnies aériennes.

Quelques jours plus tôt seulement, même des universitaires de gauche auraient considéré de telles mesures trop radicales. Les truismes de l’idéologie néolibérale des quatre dernières décennies ont été rapidement battus en brèche et l’État a émergé comme régulateur de l’économie, exerçant un pouvoir gigantesque. A gauche, beaucoup n’eurent aucun problème pour se satisfaire d’une telle intervention de l’État, pensant qu’elle signalait un « retour du keynésianisme » en sonnant le glas du néolibéralisme. Une telle conclusion paraît toutefois bien précipitée.

D’une part, l’État-nation a toujours été au cœur du capitalisme néolibéral, garantissant la domination de classe de l’ensemble du bloc entrepreneurial et financier par des interventions sélectives à divers moments-clé. D’autre part, ces interventions étaient accompagnées de mesures nettement autoritaires en enfermant les gens chez eux et en confinant des métropoles gigantesques. L’État a également montré l’étendue de ses pouvoirs de surveillance sur la société à travers la collecte de gros volumes de données numériques. Par exemple, en Israël, le gouvernement de droite a donné son feu vert au pistage des téléphones portables par les forces de sécurité afin d’informer par sms les gens qui, sans le savoir, avaient été en contact avec des patients confirmés Covid-19. Non seulement nous savons où vous êtes, mais nous connaissons mieux que vous les personnes que vous avez rencontrées.

Cet autoritarisme est pleinement conforme à l’idéologie néolibérale dominante des quatre dernières décennies. L’intervention étatique va de pair avec la fragmentation de la société au moment où les gens sont confinés chez eux et le maintien de la distance sociale devient entièrement affaire de « responsabilité individuelle ». Dans le même temps, un grand nombre de gens sont encore requis d’aller travailler en utilisant les transports publics tandis que les droits du travail sont détruits, en particulier dans un contexte d’augmentation soudaine des licenciements hors des procédures existantes et où le télétravail abolit toutes les limites de la semaine de travail.

Il est donc difficile de prévoir le chemin que prendra le capitalisme global au gré du choc induit par le coronavirus, et alors que nous vivons encore avec les effets de long-terme de la grande crise de 2007-2009. Le pouvoir colossal de l’État et sa capacité d’intervention tant sur le plan économique que social pourrait conduire, par exemple, à une forme plus autoritaire de capitalisme contrôlé dans lequel les intérêts des élites entrepreneuriales et financières seraient tout puissants. Ceci impose aux socialistes d’évaluer soigneusement et de manière critique l’attitude des États face à la crise du coronavirus.

Où en est-on ? Le point sur la crise

La première chose à faire est de procéder à un simple rappel analytique du déroulé de la crise jusqu’ici. Les crises sont toujours des évènements historiques profondément concrets qui permettent d’observer le développement institutionnel du capitalisme. Les principales étapes de la crise du coronavirus peuvent être glanées au gré d’un ensemble de publications (parfois rapidement dépassées) produites par des organisations multilatérales, la presse, etc. Ainsi :

1. Le COVID-19 est apparu en Chine à la fin de l’année 2019, mais la réaction initiale de l’État chinois a été d’une lenteur que l’on peut peut-être attribuer au manque de connaissance quant à la gravité du danger posé par le virus. D’autres États, cependant, ont été lents à réagir même après le déclenchement complet de l’épidémie en Chine. Au début du mois de mars 2020, par exemple, les cas confirmés au Royaume-Uni se limitaient encore à des nombres à deux chiffres. Pourtant, malgré l’expérience chinoise dont il aurait pu tirer quelque enseignement, le gouvernement du Royaume-Uni n’a pratiquement rien fait.

2. Le gouvernement chinois en est venu à confiner d’immenses régions du pays, et d’autres États lui ont emboîté le pas : confinement, restrictions sur les déplacements de centaines de millions de personnes. La demande dans les secteurs du tourisme, du transport aérien, de l’hôtellerie, de la restauration et les bars, s’est totalement effondrée. Dans les secteurs de l’alimentation, de l’habillement, des articles ménagers, entre autres, le demande a été également très affectée, même si le niveau d’incidence reste encore à clarifier. L’incertitude induite par le recul de la consommation a eu des répercussions négatives sur les prévisions d’investissements mais là encore, il est trop tôt pour être en mesure d’en apprécier les effets dans leur globalité.

3. Le confinement et les restrictions sur les déplacements des travailleurs ont gravement perturber les chaînes logistiques, d’abord en Chine qui fournit une grande part des facteurs production dans le monde, puis dans d’autres régions d’Asie, en Europe et aux États-Unis. Conjugué à l’affaiblissement de la demande, on a alors assisté à une contraction de la production.

4. La production en chute libre, la contraction de la demande et l’incertitude grandissante, ont anéanti le chiffre d’affaire des entreprises. Une cascade de dépôts de bilans a commencé à se profiler. Les emplois de millions de travailleurs étaient désormais menacés, en particulier dans le secteur des services, et des millions de personnes ont été licenciées au cours du mois de mars. Le recul de l’emploi a pesé sur la consommation, fragilisant un peu plus encore la production. Avec la baisse des recettes, les entreprises ont été de moins en moins en mesure de rembourser leurs dettes, le crédit commercial a disparu et à la mi-mars, les liquidités (autrement dit, l’argent sonnant et trébuchant) étaient devenues une denrée rare. Le problème du crédit a pris une dimension centrale dans la crise, pesant toujours plus sur la production et les rendements.

5. La situation en Chine permet de se faire une idée du potentiel de dévastation économique. Selon les statistiques nationales, la valeur ajoutée dans la production en janvier et en février baissa de 13,5 pour cent par rapport à la même période en 2019 (la baisse est de 15,7 pour cent pour le secteur manufacturier). En outre, les investissements, les exportations et les importations ont chuté respectivement de 24,5, 15,9 et 2,4 %. Rien qu’à elle seule, la contraction chinoise aurait eu des conséquences majeures pour l’économie mondiale. Mais avec le confinement en cours dans de nombreux autres pays, les répercussions seront d’autant plus considérables, notamment dans des secteurs tel le transport aérien ou le tourisme.

6. Pour les travailleur/ses, le contrecoup sera dévastateur. Les plus exposés seront toutes celles et ceux qui ont été rendus vulnérables par les politiques néolibérales, comme par exemple, les personnes en contrats précaires, dans l’emploi informel et dans l’auto-emploi. On pense également aux travailleurs criblés de dettes (ou sans épargne) dont l’accès aux minima sociaux et aux services publics est limité. Les femmes seront probablement plus touchées encore non seulement du fait de leur surreprésentation dans ces catégories de travailleurs mais aussi en conséquence du surcroît d’activités de soin liées aux difficultés de santé, ou à la fermeture des écoles, entre autres.

7. Les conditions globales se sont aggravées avec l’effondrement gigantesque du marché boursier déclenché par la crise. Des années durant, l’inflation de l’activité des principales places boursières dans le monde avait été démesurée et le risque d’une crise sévère était visible dès 2018. Le choc du coronavirus a entraîné une chute spectaculaire de plus d’un tiers sur la période février-mars. On a assisté alors à une restriction dramatique des liquidités qui se traduisit, à la mi-mars, par une crise du marché monétaire aux États-Unis, centre de la finance mondiale. Le choc s’était mué en une véritable crise capitaliste.

8. Avec les marchés mondiaux saisis par la peur, le flux de capital entre les pays, et notamment entre le centre et la périphérie de l’économie mondiale, s’est trouvé également affecté. Les données disponibles n’autorisent pas de conclusion définitive, mais il y a des raisons d’envisager la possibilité d’un « arrêt brutal » qui mettrait les pays en développement dans l’incapacité de payer leurs importations et le service de la dette, ouvrant alors la perspective d’une crise monétaire. Au milieu de cette agitation, une guerre des prix entre producteurs de pétrole a entraîné une baisse d’environ 50 % du prix du Brent entre la fin février et la fin mars. Cette chute vertigineuse est venue directement menacer la viabilité de toute une série de producteurs partout dans le monde, dont le secteur industriel de la fracturation hydraulique Nord-américain.

Cet enchaînement de phénomènes de crise ne prend son sens qu’au regard de l’héritage laissé par la grande crise de 2007-2009. A la suite de cette crise, le capitalisme financiarisé perdit son dynamisme dans les pays du centre, tout en se maintenant, cependant, dans des formes subordonnées au sein des pays en développement. Basées sur les données de la Banque mondiale, nos estimations suggèrent que les taux de croissance moyens au cours des années 2010-2019 étaient les plus faibles depuis quarante ans : 1,4 pour cent au Japon, 1,8 dans l’Union européenne, 2,5 pour les États-Unis, et 8,5 pour la Chine (dont la croissance a connu un ralentissement important dans la deuxième moitié de la décennie). Ces taux révèlent l’épuisement des forces motrices de l’accumulation capitaliste en particulier au cours de la dernière décennie. Par conséquent, afin de mieux comprendre les racines plus profondes de la crise, il suffit de tenir compte de certains aspects clés de la trajectoire de l’économie des États-Unis, elle-même située au cœur de la mondialisation et de la financiarisation.

Une accumulation ralentie

Pour se faire une idée synthétique de la trajectoire du capitalisme américain, le plus simple est d’observer le taux de profit des entreprises non-financières (cf. figure. 1)

Fig. 1 – Taux de profit des entreprises non-financière, États-unis, 1980–2018

La courbe du taux de profit était fortement cyclique et globalement alignée sur les fluctuations de l’économie états-unienne. Après la grande crise de 2007-2009, le taux de profit ne se rétablit que très partiellement, plafonnant en 2014 avant de décliner à nouveau. Manifestement, le choc du coronavirus est venu percuter une économie américaine déjà affaiblie et une accumulation de profit montrant des signes d’épuisement. Cette faiblesse sous-jacente se manifeste d’autres manières encore, après 2007-2009 : croissance de la productivité du travail limitée à un pour cent, stagnation de l’investissement à un niveau faible d’environ 18 pour cent du PIB, et contraction du stock de capital.

La comparaison avec la Chine, deuxième plus grande économie mondiale, est instructive. Après la crise de 2007-2009, le taux de profit moyen, en Chine, augmenta pendant plusieurs années avant de baisser en 2014. Là encore, cette faiblesse sous-jacente s’illustre de diverses façons même si l’économie chinoise resta sensiblement plus forte que celle des États-Unis. Ainsi, l’après 2007-2009 fut marqué par une augmentation de la productivité du travail de 7-8 pour cent par an, une stabilisation de l’investissement à 45 pour cent du PIB et une baisse rapide de l’utilisation des capacités industrielles. Le coronavirus est venu percuter l’économie chinoise dans l’une de ses périodes les moins fastes depuis les débuts de la transformation capitaliste.

La comparaison avec l’Union européenne dans sa globalité, plus grande que la Chine mais plus petite que les États-Unis, permet de préciser encore les choses. Après 2007-2009, la croissance de la productivité fut pire qu’aux États-Unis, en particulier pour les États de l’Union économique et monétaire européenne (UEM) dont les principaux pays restaient sous la barre de un pour cent par an (la Pologne, qui ne fait pas partie de l’UEM, se distingua du reste avec une croissance de la productivité supérieure à trois pour cent). L’augmentation de la production industrielle fut significative en Allemagne, malgré une croissance de la productivité au ralenti, dès lors que les capitalistes pouvaient continuer de tirer profit de l’avantage concurrentiel que leur procurait une longue période de régression des salaires. En 2019, cependant, son recul signala la faiblesse sous-jacente de l’économie allemande.

L’Union européenne, plombée par le cadre austéritaire de l’Euro, resta stagnante au cours de la décennie écoulée. Au cours de cette même période, un nouveau complexe industriel commença à voir le jour à l’Est de l’Europe, comme en Pologne, étroitement en lien avec l’industrie allemande. La part du travail dans le PIB stagna tandis que le capital défendait ses intérêts, excepté en Allemagne où la croissance des salaires fut notable pour la première fois depuis des décennies. En l’absence de croissance soutenue de la productivité, la compétitivité allemande déclina. Au bout du compte, le coronavirus s’est abattu sur une Europe en période de grande faiblesse économique.

Les racines de la crise économique occasionnée par le coronavirus sont à chercher dans le ralentissement de l’accumulation capitaliste de la période précédente et dont les signaux sont évidents aux États-Unis, en Chine et dans l’Union européenne. Les effets de la crise sur ces économies seront en outre très contrastés du fait de leurs structures différentes. La Chine est devenue l’atelier du monde, avec une valeur ajoutée du secteur de la production industrielle correspondant à près de 30 pour cent du PIB, chiffre qui pour les États-Unis dépasse à peine les 10 pour cent. La valeur ajoutée des services a augmenté de manière significative en Chine où l’économie a gagné en maturité, mais reste encore seulement à 50 pour cent du PIB, tandis qu’aux États-Unis, elle dépasse les 75 pour cent. Dès lors que l’épreuve du confinement pèse de manière disproportionnée sur les services, il faut s’attendre à ce que les États-Unis soient plus affectés encore que la Chine, au moins pour commencer.

Il en va de même, dans l’ensemble, pour l’Union européenne dont l’économie est largement basée sur les services, en particulier dans les pays de la périphérie méridionale tels que l’Espagne, le Portugal, ou la Grèce dont le secteur industriel est peu développé et la dépendance vis-à-vis du secteur du tourisme, forte. Le choc sera probablement plus fort encore pour l’Italie, dont l’économie est stagnante depuis deux décennies et jamais très loin de la cessation de paiement depuis 2010. Les dirigeants de l’UE ont raison de voir dans la crise du coronavirus une menace existentielle. D’où l’intervention massive de la Banque centrale européenne (BCE), mais aussi, les initiatives de plusieurs États-nations dont les dépenses face à la crise ont, en pratique, levé la cage de l’austérité dans laquelle l’Europe est enfermée.

Les labeurs de la finance

On prendra la mesure de la faiblesse du capitalisme financiarisé aux États-Unis en observant le taux de profit des banques commerciales américaines, dans la figure 2.

Fig. 2. Taux de profit des banques commerciales (rendement des capitaux propres), États-Unis, 1980-2018

Source : auteur ; données FDIC.

La rentabilité des banques commerciales américaines, pivots du système financier, atteignit des pics historiques du début des années 1990 jusqu’à la veille de la crise de 2007-2009, durant ce qui fut « l’âge d’or » de la financiarisation aux États-Unis. Deux facteurs expliquent les profits exceptionnels des banques : leur capacité à maintenir un écart substantiel entre les taux d’intérêts sur les emprunts et les taux d’intérêts sur les dépôts, et le fait d’être en mesure d’engranger d’amples honoraires et commissions au titre d’intermédiaires dans les transactions financières entre les entreprises, les ménages et d’autres entreprises financières. Après 2007-2009, la rentabilité des banques ne pouvait plus atteindre de tels pics. Cela tenait à la fois au fait que la Réserve fédérale abaissa les taux d’intérêts à zéro pour cent, comprimant alors les écarts entre intérêts d’emprunts et de dépôts, et que les honoraires et les commissions diminuèrent avec la baisse du volume des transactions financières. La rentabilité des banques connut un bref rebond en 2018, mais qui principalement n’était dû qu’à la légère hausse des taux d’intérêts par la Réserve fédérale en 2017-2018.

On obtient un éclairage supplémentaire sur la décennie post-2007-2009 en observant la trajectoire de la dette des États-Unis (Fig.3) répartie entre dette (i) des entreprises non-financières, (ii) des ménages, (iii) du gouvernement, et (iv) des entreprises financières domestiques, en proportion du PIB :

Fig. 3. Dette sectorielle aux États-Unis, en % du PIB

Source : auteur ; données Federal Reserve Bank of St Louis (FRED St Louis)

La dette privée américaine (en proportion du PIB) diminua après 2007-2009, contrairement à ce que l’avalanche de commentaires sur « l’explosion de la dette » a pu laisser entendre. Les dettes liées aux emprunts immobiliers furent nettement en recul suite aux coups portés aux ménages par la grande crise. On constata aussi une baisse de la dette du côté des entreprises financières domestiques, d’où, des possibilités moindre laissées aux banques de toucher honoraires et commissions. Inversement, la dette des entreprises non-financières commença à croître en 2015 et finit par dépasser les pics qu’elle avait atteint avant la grande crise. La montée de la dette des entreprises facilita la survie d’une multitude d’entreprises peu dynamiques à rentabilité faible et particulièrement vulnérables en cas de choc. En 2017, on estimait que ces « entreprises zombies » représentaient 12 pour cent de toutes les entreprises des quatorze économies développées. Reste à savoir comment la crise du coronavirus affectera leur capacité à rembourser leur dette, ce, compte tenu de ce que des intérêts à taux zéro font baisser les coûts de services de dettes.

Au cours de cette période, l’augmentation notoire, cependant, fut celle de la dette de l’État qui vit le gouvernement des États-Unis plus endetté qu’à n’importe quel autre moment de son histoire depuis la seconde guerre mondiale. La financiarisation qui suivit la grande crise, si tant est qu’elle ait montré un quelconque dynamisme, se mua en processus de décuplement d’un endettement d’État également lié à l’endettement des entreprises sur les marchés financiers ouverts, et parmi eux, le marché boursier. 

Le rôle de l’État et l’éclatement de la bulle spéculative

Suite à la grande crise, le gouvernement des États-Unis s’engagea dans la brèche et mobilisa ses ressources colossales pour la défense du capitalisme financiarisé et mondialisé. Surtout, il enregistra un large déficit sur l’ensemble de la décennie (mais en particulier en 2009-2012 et à nouveau en 2018-2019) soutenant ainsi la croissance du PIB tout en accroissant sa dette dans des proportions gigantesques. L’augmentation de la dette publique permit à la Réserve fédérale de soutenir un déferlement de création monétaire tout en maintenant les taux d’intérêts proches de zéro. La masse monétaire (M3) passa de 50 pour cent du PIB en 2007 à 70 pour cent en 2017-2019.

La faiblesse des taux d’intérêts et l’abondance des liquidités ont permis aux entreprises non-financières d’emprunter avantageusement sur des marchés ouverts et de pratiquer le jeu du « rachats d’actions », classique de la financiarisation, qui assure des profits élevés pour les actionnaires et rehausse le prix des actions. L’argent étant facilement disponible, d’autres opérateurs boursiers, et en particulier les fonds cotés en bourse (Exchange-Traded Funds, ETF) et les fonds spéculatifs (Hedge Funds), ont étendu leurs activités. On assista alors à une croissance progressive et soutenue du marché boursier avec un indice de Standard and Poor (S&P) passant de 735 à 3337 entre février 2009 et février 2020. Autrement dit, après 2007-2009, l’intervention de l’État américain en soutien au capitalisme financier contribua à la formation d’une bulle boursière elle-même déconnectée d’une situation sous-jacente marquée par la faiblesse de la rentabilité, des taux de croissance et de la productivité, entre autres.

Tout ceci permet de mieux comprendre le choc financier dû au coronavirus. Dès 2017-2018, il était clair que la bulle boursière ne pouvait pas durer du moment où la Réserve fédérale commença à relever les taux d’intérêts très progressivement au-dessus de zéro pour tenter de restaurer des conditions plus normales sur les marchés financiers. En décembre 2018, l’indice S&P redescendit brutalement à 2416 pendant une courte période, mais la Fed revint rapidement sur sa hausse des taux d’intérêts et la bulle reprit son cours. Pour des raisons déjà évoquées, cependant, le coup porté par le coronavirus est d’un tout autre ordre lorsque le marché boursier plonge à 2237 points le 23 mars 2020. Le S&P connut un rebond avec l’annonce d’une énorme intervention fiscale de la part du gouvernement Trump, dans un contexte de volatilité boursière forte et persistante, cependant.

Le plongeon du marché boursier révéla comment d’autres opérations spéculatives contribuaient à une forte détérioration des conditions sur les marchés financiers. La dégringolade des prix exerça une énorme pression sur les fonds cotés en bourse (ETF) et sur les fonds d’investissement alors contraints de se procurer de l’argent liquide pour honorer leurs engagements. On découvrit ainsi qu’une chaîne spéculative avait été mise en place afin de permettre à ces fonds d’emprunter sur le REPO (principal marché de liquidités entre institutions financières) en vendant des Treasury bills américains (titres à court terme) pour ensuite, avec cet argent, acheter des Treasury-bills sur les marchés à terme, tirant ainsi profit de différences de prix marginales. Les sommes concernées étaient gigantesques. Avec l’effondrement du cours des actions, les fonds vendirent leur T-bills de plus en plus précipitamment et au bout du compte, contribuèrent à la hausse des taux d’intérêts.

La Réserve fédérale dut ainsi faire face à une situation étrange de développement accéléré de la pénurie de liquidités et de montée des taux d’intérêts sur les marchés monétaires alors même que l’économie américaine avait été inondée de dollars pendant plus d’une décennie. L’absurdité capitaliste se sera rarement illustrée avec autant d’éclat. La Fed dut intervenir en urgence en promettant d’acquérir des volumes illimités d’obligations publiques et mêmes d’obligations privées, augmentant ainsi toujours plus la masse monétaire. Son intervention massive fut bientôt complétée par le paquet fiscal tout aussi massif du gouvernement des États-Unis. Une fois encore, l’État américain venait à la rescousse d’un capitalisme financiarisé en déroute.

A ce stade, il faut observer la différence entre les États-Unis et l’UE. La Commission, de manière tacite, a autorisé les États membres à ignorer le Pacte de stabilité et de croissance, tandis que de son côté, la BCE a abandonné ses règles d’acquisition d’obligations en espérant éviter un défaut de paiement italien qui précipiterait immédiatement une nouvelle crise de l’Euro. Ce sont des initiatives importantes qui ont permis aux États-nations de l’UE d’agir sans contraintes inutiles. Mais il n’y a pas eu d’intervention fiscale coordonnée de la part des institutions de l’UE ne serait-ce que lointainement comparable à celles conduites aux États-Unis ou même au Royaume-Uni.

Dans les faits, la crise a contraint l’UE à mettre en œuvre une politique économique qui contourne son propre règlement. Les États-nations sont passés à l’action jusqu’ici avec très peu de coopération ou de discipline partagée. Le problème ancien de conflits et de hiérarchie entre eux n’a pas disparu, raison pour laquelle les propositions d’émission de « coronabonds » de l’UE destinées à financer la dépense fiscale rencontrent une opposition déterminée. Si de l’argent doit être mis à la disposition d’États en difficulté, le Mécanisme européen de stabilité pourrait s’en charger en s’accompagnant de diverses conditions. Il n’y a là aucune comparaison possible avec la réponse apportée par l’État américain.

Et maintenant ?

La crise du coronavirus représente une étape critique du développement du capitalisme contemporain. Certes, cette crise n’est pas près de toucher à sa fin et on ne peut pas encore prendre la mesure de l’ensemble de ses effets sur les États-Unis, l’UE, la Chine, le Japon et les pays en développement. Mais il demeure certain qu’elle présente une menace de dépression massive de toute l’économie mondiale. L’urgence de santé publique et l’implication toujours plus grande de l’État en soutien d’un système en faillite, ont jeté une lumière crue sur les échecs systémiques de la financiarisation et de la mondialisation. Toutefois, le caractère de ses interventions ne laisse en rien imaginer une transformation au sommet de la hiérarchie politique et sociale qui se traduirait par des politiques tournées vers les intérêts de monde du travail.

La décision du gouvernement des États-Unis d’augmenter massivement son déficit (et donc son emprunt), avec, simultanément, l’accroissement de la masse monétaire disponible et l’abaissement des taux d’intérêts à zéro pour cent, est fondamentalement la même que celle prise après 2007-2009. Même si une dépression peut être évitée, les conséquences de moyen-terme sont aussi susceptibles de rester les mêmes dès lors que l’on ne se confronte pas au problème de la faiblesse sous-jacente de l’accumulation capitaliste. Mais on peut prévoir que la défense de l’ordre néolibéral stimule des contradictions politiques, compte tenu notamment des démonstrations faites du pouvoir d’intervention des États-nations dans l’économie. Ces contradictions seront particulièrement importantes au sein de l’UE où la réponse à la crise, en matière fiscale et d’urgence sanitaire est jusqu’ici venue des États-nations individuels plutôt que des institutions collectives.

Révélatrice impitoyable des faiblesses du capitalisme néolibéral, cette crise pose directement la question de la réorganisation démocratique tant de l’économie et de la société que des intérêts des travailleurs. Il est urgent de faire face au chaos de la mondialisation et de la financiarisation en mettant en avant des propositions concrètes radicales. Ce qui nécessite aussi des formes d’organisation capables de modifier l’équilibre social et politique en faveur des travailleurs.

La pandémie remet à l’ordre du jour la question vitale de la transformation sociale. Elle a illustré on ne peut plus clairement la nécessité impérative d’un système de santé publique organisé rationnellement et capable de répondre à des chocs épidémiques. Elle rappelle aussi le besoin urgent de solidarité, de l’action collective et de politiques publiques de soutien aux travailleurs et aux plus pauvres face aux épreuves du confinement, du chômage, de l’effondrement économique.

Plus généralement, elle est l’occasion de réaffirmer la nécessité historique de s’affronter à un système déclinant, prisonnier de ses propres absurdités. Incapable de sa propre transformation rationnelle, le capitalisme mondialisé et financiarisé continue de s’en remettre à des doses toujours plus fortes des mêmes palliatifs désastreux. De ce point de vue, la première priorité est la défense des droits démocratiques contre un État menaçant et la réaffirmation de la participation des travailleurs dans toute prise de décision. C’est le préalable à toute proposition d’alternative radicale, et notamment à toute mesure d’ampleur telle que l’élaboration de politiques industrielles destinées à remédier à la faiblesse de la production et à faciliter la transition verte ; visant à résoudre le problème des inégalités de revenus et de richesses, et à s’attaquer à la financiarisation par la création d’institutions financières publiques. La crise du coronavirus a déjà transformé les termes de la lutte politique et les socialistes doivent réagir sans attendre.

Traduit par Thierry Labica.

Cet article s’appuie sur certains des travaux de l’équipe de recherche mise sur pieds par le réseau EReNSEP-Ekona afin d’examiner les implications de plus long-terme de la crise actuelle. Remerciements à N. Águila et à T. Moraitis pour leurs calculs à partir des données du US Bureau of Economic Analysis (BEA). Merci à Y. Shi pour ses calculs à partir des données du registre annuel des statistiques nationales chinoises, de la Federal Reserve Bank of St Louis (FRED St.Louis) et de la Banque mondiale, et merci également à A. Medina Català, P. Cotarelo et S. Cutillas pour leurs calculs à partir des données de l’OCDE et de la BCE, et à Shehryar Qazi pour son aide dans la mise au jour de certains mécanismes spéculatifs des marchés monétaires aux États-Unis. Cet article est entièrement de la responsabilité de son auteur.

Source https://www.contretemps.eu/covid19-neoliberalisme-etatsunis-europe/

Entreprises grecques en difficultés

Six entreprises grecques sur dix en crise de liquidité après le confinement de leurs activités
Par Tasos Kokkinidis –

Six entreprises sur dix sont confrontées à des problèmes de liquidité, avec des réserves de trésorerie suffisantes pour continuer à fonctionner pendant moins de six mois – tandis que trois sur dix n’ont aucune réserve de trésorerie et seulement 15 % de liquidités suffisantes pour durer plus d’un an, selon une nouvelle enquête.

L’enquête, menée par l’organisation Endeavor Greece du 25 au 27 mai, a interrogé 100 entrepreneurs de petites et moyennes entreprises grecques ayant des taux de croissance élevés en 2019, issus de 15 secteurs industriels différents.

Selon les résultats, la moitié des entreprises avaient cessé tout ou partie de leur activité commerciale au cours des deux derniers mois et 57 % des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires annuel diminuer, 17 % d’entre elles faisant état d’une baisse de 60 à 100 %. Toutefois, 24 % des participants ont enregistré une croissance au cours de la même période.

Plus de la moitié des entreprises ont mis une partie ou la totalité de leur personnel en congé. Jusqu’à présent, seulement 10 % des entreprises ont licencié des employés, mais ce pourcentage devrait augmenter de manière significative, puisque 30 % des entrepreneurs ont déclaré qu’ils seront obligés de réduire les salaires et de licencier du personnel d’environ 20 % d’ici la fin de l’année.

En ce qui concerne les mesures de soutien que les entreprises grecques ont choisi d’utiliser pour faire face à la crise, 51 % d’entre elles ont déclaré qu’elles ont licencié une partie importante de leur personnel, tandis que 35 % ont profité de la réduction de 40 % sur le loyer de leurs locaux commerciaux.

Par ailleurs, 46 % des entreprises interrogées ont suspendu le paiement de leurs impôts, tandis que 55 % ont pris des mesures pour accroître leur financement. Cependant, vingt pour cent des entreprises n’ont pas eu recours à la moindre mesure de soutien.

La pandémie a également redéfini de manière significative les scénarios utilisés par les entreprises pour déterminer et mettre en œuvre leur planification stratégique. Plus précisément, 53 % des entreprises fonctionnent selon un scénario qui prévoit que la récession se poursuivra jusqu’à la fin de 2020, 10 % jusqu’à la fin de 2021 et 3 % jusqu’à la fin de 2022.

Cependant, 34 % des entreprises fonctionnent selon un scénario qui prévoit que la croissance permettra à l’économie de se redresser dès l’été 2020.

En ce qui concerne le temps qu’il faudra à leur industrie pour regagner ce qu’elle a perdu, 27 % des chefs d’entreprise pensent qu’elle sera au niveau de 2019 d’ici la fin de 2020, 46 % estiment que cela se produira en 2021, tandis que 17 % ne prévoient pas un retour à la normale avant 2022.

Source : AMNA

Aides publiques cachées

Crise du Covid-19 : l’aide financière publique cachée à Total, Sanofi et consorts par Olivier Petitjean

Les dirigeants de Total ont justifié le maintien de leur dividende, malgré l’épidémie du Covid-19, en assurant ne bénéficier d’aucune forme de soutien financier de la part des pouvoirs publics. Une posture trompeuse, car le groupe pétrolier bénéficie bien, en toute discrétion, d’aides financières indirectes, notamment via le programme d’achat d’obligations de la Banque centrale européenne.

Renoncer à verser des dividendes ? Hors de question pour Total. Fin mars, le groupe pétrolier annonçait solennellement dans un communiqué de presse qu’il « ne sollicitera[it] pas le soutien de l’État pour faire face aux difficultés économiques créées par le Covid-19 que ce soit sous forme de soutien de trésorerie (prêts bancaires garantis, report de paiement des charges sociales ou fiscales) ou de recours au dispositif exceptionnel de chômage partiel ».

Un décision que l’entreprise n’a pas hésité à présenter comme une « contribution à la solidarité nationale », mais qui permettait surtout de couper court à la controverse. Beaucoup réclamaient en effet une suspension du versement de dividendes pour faire face à la crise, a fortiori pour les entreprises bénéficiant d’aides publiques.

Mais est-il vrai que le groupe pétrolier ne bénéficie d’aucun soutien des pouvoirs publics ? À y regarder de plus près, pas vraiment.

Il existe en effet plusieurs formes de soutien financier public, et celles qui sont en apparence les plus techniques et les plus absconses ne sont pas les moins importantes. L’organisation espagnole Observatori del Deute en la Globalització (ODG), partenaire de l’Observatoire des multinationales au sein du réseau ENCO, s’est penchée sur l’une d’entre elles : les achats d’obligations d’entreprises de la Banque centrale européenne (lire l’analyse complète d’ODG : Au nom du Covid-19, un soutien accru des institutions financières européennes aux grandes entreprises polluantes).

Fin mars, alors que l’épidémie s’étendait en Europe, l’institution financière basée à Francfort et présidée aujourd’hui par Christine Lagarde a annoncé une forte extension de son programme de soutien à la trésorerie des entreprises via l’achat de leur dette sur les marchés. Depuis cette annonce, selon les données rendues publiques, elle a acheté des obligations de plusieurs dizaines de multinationales européennes, dont quatre émises par Total.

D’autres grandes entreprises tricolores qui ont maintenu leurs dividendes malgré la pandémie ont également bénéficié de ce soutien discret des pouvoirs publics, comme Sanofi, Schneider Electric, ou Air Liquide. Les dirigeants de cette dernière entreprise avaient avancé le même argument que Total, se prévalant hypocritement de ne pas avoir « recours au chômage partiel, ni à des aides publiques (délais de paiement…) ». D’autres firmes du CAC40 qui n’ont fait que réduire leur dividende, comme Veolia, Orange, LVMH, Carrefour ou Capgemini, se trouvent aussi sur la liste. La Banque ne divulgue pas les montants investis, mais seulement le nom de l’entreprise et l’échéance de l’obligation.

Un soutien invisible et sans condition

On parle beaucoup du soutien apporté par le gouvernement français à Air France et à Renault. Ce soutien prend la forme de prêts directs de l’État ou de prêts garantis par lui auprès de grandes banques commerciales : 7 milliards d’euros pour Air France, et 5 pour Renault. On a aussi évoqué à cette occasion les contreparties auxquelles ces entreprises devaient être tenues, en termes écologiques et en termes de suspension du versement de dividendes. Finalement, il n’y aura aucune condition véritablement contraignante, le gouvernement se contentant de demander aux firmes concernées des « engagements » environnementaux (par exemple, pour Air France, la fin de certaines lignes intérieures) dont on ne voit pas bien le statut juridique.

L’émission d’obligations est une autre manière pour les multinationales de renforcer leur trésorerie pour faire face à la crise, à travers un emprunt à long terme sur les marchés financiers. Elle permet d’éviter de faire appel ostensiblement au soutien des États, ce que les dirigeants de Total considéreraient probablement comme une tache sur leur honneur. Concrètement, cependant, le résultat est le même : ils sont bel et bien dépendants du soutien financier des pouvoirs publics. Autre avantage : cela permet aussi d’échapper à toute forme de contrepartie en échange de ce soutien, même sous la forme d’un engagement purement volontaire.

Le même tour de passe-passe avait eu lieu lors de la crise financière de 2008. Les grandes banques « trop grosses pour tomber » qui avaient été tenues à bout de bras par les États se sont empressées de rembourser dès que possible prêts et autres aides directes, et de claironner partout qu’elles étaient quittes du soutien des pouvoirs publics. En oubliant commodément toutes les autres manières, indirectes, dont ces derniers les avaient aidées, souvent pour des montants autrement importants.

La BCE a bien demandé aux banques qu’elle supervise de ne pas verser de dividendes cette année, mais elle n’a pas spécifié de règles en ce qui concerne les entreprises soutenues via les achats d’obligations. Tout comme elle n’a posé aucun critère social ou environnemental à ses financements, ce qui l’a amenée à soutenir les plus gros pollueurs du continent comme Shell, Total, Airbus ou BMW. Comme la BCE a désormais tout intérêt à ce que ces firmes continuent à prospérer pendant de longues années pour rentrer dans son argent (au moins jusqu’en 2040 en ce qui concerne les obligations achetées à Total), les institutions européennes seront encore moins incitées à adopter des législations climatiques ambitieuses.

Pour ce qui concerne les multinationales françaises, ces achats d’obligations sont délégués par la BCE à… la Banque de France, dont le gouverneur François Villeroy de Galhau, ancien haut fonctionnaire et dirigeant de BNP Paribas, incarne à lui tout seul la consanguinité entre les élites politiques et économiques françaises. Les achats d’obligations françaises représentent près d’un tiers des sommes consacrées par la Banque européenne à son programme, pour un montant d’environ 65 milliards d’euros. Faute de transparence, on ne sait pas quels montants précis ont été consacrés à chacune des entreprises concernées.

Olivier Petitjean

Source https://multinationales.org/Crise-du-covid-19-l-aide-financiere-publique-cachee-a-Total-Sanofi-et-consorts

Placer les biens et services de santé en dehors des lois du marché

Par Eliane Mandine

Quand sur son ordinateur on tape coronavirus dans PubMed (base de données scientifiques), la réponse se chiffre en milliers d’articles : le sujet est extrêmement actif dans le monde scientifique. Et pour cause, depuis le début du XXIème siècle,  plusieurs épidémies dues à des coronavirus ont sévi dans le monde.

La première en 2002-2003, le SARS-CoV (Severe acute respiratory syndrome-related coronavirus), sévère et moyennement contagieuse, a été jugulée après quelques mois, après avoir  touché 8096 personnes dans 29 pays, provoquant  774 décès (mortalité 9.6 %).

La deuxième en 2012, le MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome coronavirus), présentant un syndrome clinique similaire au SRAS en plus sévère, mais avec une  transmission interhumaine limitée, est restée localisée au Moyen-Orient, touchant 1413 personnes et provoquant 502 décès (mortalité 35%).

Celle que nous subissons actuellement, le COVID-19, plus  contagieuse, est cause d’une pandémie qui ne se caractérisera pas seulement par une rapide propagation et un certain taux de mortalité dans le monde, mais aussi par les effets collatéraux dévastateurs pour les populations consécutifs à la crise économique et sociale.

Les coronavirus constituent une famille de virus dont certains peuvent infecter les humains, entraînant le plus souvent des symptômes bénins de type rhume.

De nombreuses équipes scientifiques, parmi lesquelles beaucoup de chinoises, ont cherché à caractériser ces virus et tenté de comprendre leur soudaine émergence au sein de la population humaine.

Ces équipes s’accordent à dire que le réservoir de ces virus est la chauve-souris du genre Rhinolophus et qu’ils se transmettent à l’homme via un hôte intermédiaire. Pour le SRAS ce serait un  petit mammifère, la civette palmiste (Paguma larvata), pour le MERS, le dromadaire, et l’hypothèse avancée pour le COVID-19 est le pangolin (mammifère, fourmilier écailleux), dont la chair est très prisée en Asie.

Pourquoi soudainement se propagent-ils chez l’homme ? Notre mode de vie, la modification de l’environnement par l’industrialisation à outrance, les déforestations, ont conduit au réchauffement climatique et à la baisse de la biodiversité. Les écosystèmes sont modifiés,  les  habitats des animaux réduits, situations qui favorisent des contacts entre espèces et exposent  de plus en plus à de nouveaux pathogènes potentiels.

Après les deux premiers épisodes infectieux, de nombreux scientifiques ont alerté sur l’émergence à venir chez l’homme de nouveaux virus pathogènes et potentiellement contagieux. Ils ont proposé la mise en place d’un système international de surveillance pour une détection précoce de la pathologie, et décider des mesures à prendre, à l’instar du GISRS (Global Influenza Surveillance and Response System) pour la grippe, mis en place par l’OMS il y a 65 ans. Sur la base d’un engagement des États membres envers un modèle mondial de santé publique, ce dispositif mondial de surveillance, de préparation et de riposte pour la grippe saisonnière, pandémique et zoonotique, fonctionne au travers de collaborations internationales efficaces, de partage des connaissances et des données sur le virus. Cela ressemble à la construction d’un commun intellectuel justifié par des raisons de santé publique. Ce commun n’est pas totalement préservé des échanges marchands : les données biologiques collectées sont transférées à l’industrie qui développe et commercialise les vaccins et les kits de détection, et qui en contrepartie reverse au GISR une partie des bénéfices afin d’assurer la pérennité du système.

La France, en 2013, s’est dotée d’un système comparable au GISRS avec le consortium appelé REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), sous l’égide de l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence, afin de préparer et  coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes. Son rôle en période de crise épidémique est, outre les aspects de soins, de logistiques, de sécurité et de géopolitiques, de définir les priorités scientifiques, d’assurer l’information des autorités et du grand public.

L’épidémie de SRAS a vite été oubliée. Les épisodes MERS- Zika- Chikungunya et Ebola n’ont pas marqué les esprits, parce qu’ayant été contenus et géographiquement localisés, et surtout sévissant principalement dans des pays à faible revenu (Zika en Amérique centrale et Amérique du Sud,  Ebola en République Démocratique du Congo). Le manque de solvabilité de ces populations est objectivement ce qui a freiné le développement de nouvelles thérapeutiques. La conclusion glaçante est : quand il n’y a pas de marché, il n’y a pas de recherche… Les entreprises préfèrent concentrer leurs investissements sur les produits les plus lucratifs.

L’Europe s’est dégagée de ces grands projets d’anticipation, et  en France les projets de recherches pour mettre au point de nouveaux antiviraux à large spectre n’ont pas été retenus[1]. Quant aux actions conduites par le consortium REACTing depuis sa création, on cherche quelles elles ont pu être. C’est ce que dénoncent  les deux courriers de mise en garde quant aux grandes lacunes dans la constitution d’une indispensable «  première ligne de défense » face aux virus émergents, qui après 2014 ont été envoyés à la commission de l’UE par Bruno Canard (CNRS) et 3 de ses collègues belges et néerlandais, spécialistes de la structure moléculaire du coronavirus[2]

Les risques liés aux épidémies sont connus de longue date, mais quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Et jusqu’à présent les épidémies ne sévissaient que dans les pays de Sud.

Stratégie et moyens logistiques

Au lieu de mettre en œuvre les moyens logistiques d’une stratégie, il  a fallu adapter notre stratégie à nos faibles moyens logistiques.

Ainsi, 20 ans après l’épidémie de SRAS, face à l’émergence de cette pandémie due au COVID-19, nous sommes démunis, totalement dépourvus de stratégie pour la combattre,  sans  traitement à proposer aux malades, ni  test de dépistage disponible, qui aurait permis de contrôler la dissémination de la maladie. La seule stratégie possible, pour ralentir le COVID-19, a été de mettre en quarantaine toute la population, avec tous les effets économiques et sociaux désastreux qui s’ensuivent.

La crise économique mondiale que provoque le coronavirus, virus planétaire, est l’aboutissement de nos choix de société. Le tout privé au détriment du public, accompagné d’une stratégie de délocalisation des industries essentielles, ont conduit à une situation catastrophique, dans les hôpitaux débordés par l’afflux des  malades, à la poste, dans l’incapacité d’assurer un service journalier, dans l’enseignement avec l’option du tout numérique sans tenir compte des zones blanches et des familles sans ordinateur.

Les universités et les laboratoires de recherche n’échappent pas à cet effondrement. Bien que moins visibles que les personnels de la santé, les chercheurs dénoncent depuis des décennies le manque de financement, le frein que représente l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui oblige à consacrer toujours plus de temps à rédiger des propositions de projets qu’à la recherche proprement dite, et à attendre d’une instance dont les membres sont dans le conflit d’intérêt quasi permanent qu’elle donne son feu vert pour pouvoir travailler[3]. La colère des chercheurs s’est amplifiée avec le mouvement  des Facs et Labos en Lutte qui s’élèvent contre la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche), la phase ultime d’une mise à mort de l’indépendance de la recherche fondamentale.

L’orientation de la recherche en fonction du rendement et du meilleur retour sur investissement, a conduit, comme annoncé par les chercheurs, à une perte d’indépendance technologique de la France. Ce qu’illustre parfaitement l’impossibilité de l’Hexagone à procéder à un dépistage massif de la population, les tests de dépistage n’étant pas produits en France. Lorsque BioMérieux relève le défi, c’est pour constater que les réactifs, fabriqués aux Etats-Unis et en Chine, ne sont pas disponibles en quantité suffisante. BioMérieux a par ailleurs développé des tests automatisés, fabriqués aux Etats-Unis et destinés dans un premier temps au seul marché américain. Pour être disponibles à l’international, et donc en France, ils feront l’objet d’une demande d’autorisation d’utilisation en urgence (EUA-Emergency Use Authorization) auprès de la Food and Drug Administration américaine. Les organisations de médecins et de laboratoires d’analyses prennent soudain conscience de ces pénuries[4] et du fait que la France est à la traîne derrière les Etats-Unis. N’est-il pas un peu tard pour s’insurger ?

Une société située en Bretagne, NG Biotech, épargne à la France de se retrouver en queue de peloton du développement technologique, grâce à la commercialisation prochaine d’un kit de détection des anticorps contre le COVID-19, indiquant que l’individu a été en contact avec le virus. Il faudra des tests en masse pour sortir du confinement, d’autant plus que jusqu’alors nous ne disposons ni  de traitement, ni de vaccin. Dans l’immédiat cette biotech, faute d’une capacité suffisante, ne pourra pas fournir un nombre suffisant de kits de détection. La reprise du cours normal de la vie risque d’en être retardée.

La recherche de profits immédiats est également cause de l’impréparation en matière de vaccins. La production d’un vaccin contre les virus de la famille des coronavirus est techniquement difficile, donc demande du temps, ce qui a découragé les investissements et entraîné du retard. Le temps perdu pour la préparation des outils ne se rattrapera pas : le temps nécessaire au développement, à la validation et à la production à grande échelle d’un vaccin n’est pas compressible. L’urgente nécessité d’un traitement prophylactique anti-COVID-19 ne justifie pas de transiger avec la qualité du produit délivré, en s’affranchissant en partie des normes de sécurité pour aller plus vite par exemple. L’efficacité et l’innocuité du vaccin doivent être démontrées avant son administration à l’ensemble de la population.

Quant aux traitements, la communauté médicale ne peut faire mieux que de se mobiliser autour de l’usage de médicaments existants, les antiviraux ciblant d’autres virus (HIV, Ebola), ou des molécules utilisées pour d’autres indications, tels les antipaludéens chloroquine ou hydroxy-chloroquine, sur la base de résultats encourageants in vitro ou dans des études cliniques réalisées en urgence, pour faire face à l’épidémie de SRAS.

Le financement en leur temps des travaux de Bruno Canard, et des autres équipes travaillant sur les coronavirus était un moyen d’être en possession de molécules spécifiques de cette famille de virus, et d’être en mesure de sélectionner rapidement un traitement efficace contre le COVID-19. Au lieu de nous trouver aujourd’hui réduits à solliciter dans l’urgence tous les chercheurs pour lancer de multiples projets. Les résultats de la recherche ne se décrètent pas, aucun appel à projet ne permet de répondre à un état d’urgence sanitaire. C’est pourtant ce que choisit de faire l’Etat qui persiste dans sa logique délétère de mise en concurrence des équipes travaillant sur le  COVID-19 lorsqu’il publie un « appel à projets avec un processus accéléré de sélection et d’évaluation » au lieu de toutes les financer massivement. Le processus d’évaluation et de sélection est certes accéléré, mais seulement quatre projets correspondants aux quatre priorités identifiées par l’OMS seront retenus pour un budget de 3 millions d’euros. Quant à Institut Pasteur, il en est à lancer une collecte auprès du public pour couvrir le financement de ses propres projets.

            Derrière la crise sanitaire, les enjeux financiers

Dans le cas du COVID19, les entreprises qui pourront concevoir les tests de dépistage (viraux ou sérologiques), les traitements et/ou les vaccins, disposeront d’une formidable rente de marché

Allons-nous assister, comme pour l’épidémie de SRAS, à une bataille pour s’assurer des droits de propriété intellectuelle (PI) ?

A l’époque un certain nombre d’organismes avaient  déposé des demandes de  brevet sur la séquence génomique du SRAS. L’université de Hong Kong (HKU), en partenariat avec la société Versitech, le CDC (Center for Disease Control and Prevention) aux Etats-Unis, le BCCA (the British Columbia Cancer Agency) au Canada et CoroNovative, une spin off  du centre médical Érasme aux Pays-Bas, se sont disputés l’exclusivité du génome viral. Ces nombreuses demandes de droit de PI pouvant nuire au développement de produits destinés à combattre le SRAS, tels que des vaccins, la raison a prévalu et il a été proposé de placer ces droits dans une communauté de brevets pour qu’ils soient exploités sur une base non exclusive[5]. C’est une grande première qui mérite d’être soulignée. Il faut préciser que, ce virus ne paraissant plus actif, l’intérêt pour le SRAS était retombé.

De même pour l’épidémie MERS-CoV, l’OMS est intervenue pour que les brevets déposés ne puissent pas ralentir le développement d’un vaccin ou autres produits destinés à vaincre la maladie[6]. Des recherches sont toujours en cours pour développer des traitements contre ce pathogène. Cependant le faible nombre de patients à inclure dans les essais cliniques freine leur validation.

Dans la lutte contre le COVID-19,  il est trop tôt pour connaître les demandes de brevets. Sont en course une soixantaine de candidats vaccins dans le monde, élaborés par des start-up, des groupes pharmaceutiques et des centres de recherche. Un délai de 12 à 18 mois, selon les approches choisies, est estimé pour pouvoir les fournir.

Les Etats-Unis et la Chine rivalisent âprement pour obtenir le marché, une bataille que la Chine estime ne pas pouvoir se permettre de perdre. Dans ces deux pays, des essais cliniques ont déjà débuté. On peut craindre, avec cette précipitation qui ressemble plus à une course au profit qu’à une volonté de servir les intérêts de la santé publique, que des manquements au respect de l’éthique des expérimentations sur les êtres humains, tel que le consentement éclairé, ne soient à déplorer.

D’autre part, de nombreux essais cliniques sont en cours partout dans le monde pour identifier un médicament actif. En Europe, une étude multicentrique,  Discovery, coordonnée par l’INSERM a été lancée pour évaluer 3 molécules (Remdesiv[7], Lopinavir/ritonavir[8] , hydroxychlorine[9]), en association ou non avec Interferon Beta-1A[10].

Ces molécules ne sont pas nouvelles, les droits de PI ne devraient pas se poser. Cependant il n’est pas rare que les entreprises pharmaceutiques demandent des brevets supplémentaires pour un nouvel usage médical (brevets de deuxième application thérapeutique) de composés existants. Ainsi Gilead, qui possède des brevets primaires pour le Remdesivir dans plus de 70 pays, n’a pas hésité à essayer de renforcer ses droits exclusifs, qui courent jusqu’en 2031, en demandant à l’Agence américaine du médicament la classification du Remdesivir comme médicament orphelin. Gilead a dû renoncer sous  la pression des ONG et des critiques publiques. Selon la Bank of America, Gilead pourrait empocher jusqu’à 2,5 milliards de dollars grâce à son antiviral si une activité anti COVI619 était démontrée. L’utilisation de l’hydroxy-chloroquine, initialement un anti paludéen, pour traiter le COVID-19, est hors AMM, on peut se demander, au cas où l’étude clinique confirme l’efficacité de cette molécule, quelle sera la position de Sanofi quant à la demande de brevet supplémentaire. La même interrogation s’applique à Merck pour l’Interferon Beta-1A.

Le laboratoire Abbvie a renoncé à faire valoir ses droits (qui courent encore dans certaines zones géographiques) sur cette combinaison Lopinavir/ritonavir (Kaletra), par ailleurs génériquée par le laboratoire Mylan.

D’autres essais thérapeutiques (Chine, Etats-Unis, France) concernent l’évaluation de traitements modulant l’inflammation tels que les anticorps monoclonaux anti-récepteur de l’interleukine-6 (IL-6), le Tocilizumab de Roche (Actemra©) et le Sarilumab de Sanofi/Regeneron (Kevzara®), administrés en dose unique pour inhiber l’IL-6, médiateur majeur de la réaction hyper inflammatoire liée au COVID-19. Actuellement ces deux  produits,  issus des biotechnologies, sont utilisés dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Si leur activité contre le COVID-19 est démontrée, les firmes détentrices des brevets, Roche et Sanofi/Regeneron, oseront-elles augmenter leur prix de vente, comme cela s’est vu avec l’Avastin, passé de 10 à 100 €, soit une hausse de 1000 %, lorsque son usage a été étendu à la dégénérescence maculaire ? Ces traitements seront-ils alors accessibles à tous les patients ?

Le coronavirus tue, mais pour les  grands groupes pharmaceutiques il se présente comme une manne providentielle. Ainsi les actions du laboratoire pharmaceutique Gilead grimpaient de 20 % après l’annonce des essais cliniques du Remdesivir contre le Covid-19, et celles d’Inovio Pharmaceuticals gonflaient de 200 % à la suite de l’annonce d’un vaccin expérimental. Sous les auspices de la gratuité et de dons[11], et de l’urgence sanitaire, des réseaux se tissent à l’échelle internationale, des plateformes de partage de connaissances se créent, les collaborations se multiplient, des alliances stratégiques se développent. Mais en toile de fond c’est la loi du marché qui s’applique. Les enjeux financiers sont trop importants pour ne pas s’assurer de la plus grande efficacité, de la puissance suffisante pour se donner les chances maximales de remporter ce gigantesque marché. Les entreprises cherchent à tirer le meilleur parti de la nouvelle situation.

            Se rassembler pour des jours meilleurs

La dévastation du monde par le coronavirus révèle que les politiques d’austérité de ces dernières décennies ont privé l’Etat de ses ressources essentielles et conduit à l’érosion du secteur public. Celui-ci n’est plus en mesure d’assurer la santé des citoyens lorsqu’il se met au service des financiers, pour lesquels la finalité est d’arriver en tête de la compétition économique mondiale, pour gonfler toujours plus la rémunération des actionnaires et faire monter le cours en bourse. La crise sanitaire actuelle montre cruellement notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en flux tendu, qui empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, kits de diagnostic, médicaments indispensables, etc.

Le coronavirus s’éteindra. Il y aura alors urgence à faire face à la misère engendrée. Il faudra que ce soit avec une pensée radicalement nouvelle, débarrassée de l’idéologie de la valeur et de l’exigence de la valorisation.

Il est temps d’exiger une approche qualitativement différente, fondée sur les communs du savoir et une collaboration non-compétitive. Ce qui nécessite  de (re)construire des services publics forts, santé, climat, économie, éducation, culture doivent être dotés de financements publics pérennes, à la hauteur des grandes missions qu’appelle à satisfaire le bien commun, en France et dans le monde. Il faut des structures collectives puissantes, pour une meilleure appropriation publique et citoyenne des secteurs essentiels à la vie humaine.

Il est temps de placer les biens et service de santé en dehors des lois du marché, de sortir la recherche, la production de médicaments, l’hôpital, la santé, des logiques capitalistes et de lutter contre la dérive néolibérale du capitalisme mondialisé et financiarisé.

Il est temps d’investir massivement dans la recherche, de donner aux chercheurs les moyens d’explorations scientifiques à long terme, d’encourager les collaborations et le partage des connaissances, d’empêcher la prédation des résultats à des fins d’intérêts  privés en refondant les droits de Propriété intellectuelle (PI).

Il est temps de relocaliser les productions de principes actifs, des médicaments, des matériels sanitaires pour être en mesure de répondre aux besoins de santé de la population.

Il est temps de repenser nos modes de vie, de repenser le travail, sa division, sa rémunération, son sens, de repenser notre répartition collective des ressources, de rendre la fiscalité plus juste et redistributive, pour satisfaire les  besoins sociaux, environnementaux et sanitaires du plus grand nombre.

Il est temps de considérer comme des enjeux vitaux pour l’avenir de l’humanité, le maintien de la biodiversité, un modèle de production respectueux de l’environnement, une agriculture relocalisée (circuits courts), la fin de l’élevage intensif, des énergies renouvelables.

Il est temps de se rassembler, dans une entraide et une solidarité mondiale, pour bâtir des jours meilleurs.

14-04-20

[1] « Arrêt des financements des recherches sur les anti-coronavirus large spectre  de l’équipe B. Canard ». Entretien réalisé par Nadège Dubessay, L’Humanité, 19/03/2020.

[2] Témoignage de Bruno Canard, chercheur au CNRS sur des Coronavirus – Facebook.

[3] Voir « Recherche et finance, une dangereuse liaison », E. Mandine et T. Bodin, ContreTemps n°42, juillet 2019.

[4] « Dépistage du coronavirus : biologistes et médecins dénoncent des pénuries de matériel », Le Généraliste, Amandine Le Blanc 25/03/2020.

[5] James H.M. Simon et al. Bulletin of the World Health Organization,  september 2005, 83 (9)

[6] « Coronavirus : un brevet provoque la colère de l’OMS », Les Echos, 23/05/2013.

[7] Remdesiv de Gilead.

[8] Lopinavir/ritonavir : Kaletra de Abbvie.

[9] hydroxychlorine de Sanofi.

[10] Interferon Beta-1A de Merck.

[11] Dons de chloroquine par Sanofi, Bayer, Novartis ; publié le 23/03/2020 N. Viudez-Industrie-Pharma. Merck a récemment fait don de boîtes d’interférons bêta-1a à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) en vue de son utilisation dans un essai clinique.

Source http://medicament-bien-commun.org/placer-les-biens-et-services-de-sante-en-dehors-des-lois-du-marche

En Grèce, la bourse ou la vie

Épargné par la crise sanitaire, le pays n’échappe pas à la crise économique et sociale, dont entend profiter le gouvernement de droite. Le virus, lui, pourrait bien arriver cet été… avec les touristes.

En direct à la télévision grecque le 8 avril dernier, Adonis Georgiadis, ministre grec du Développement, est interrogé sur l’octroi d’une aide éventuelle aux ménages les plus touchés par le confinement : « Pour quoi faire ? répond-il. Ils ne peuvent pas voyager, ils ne peuvent pas aller au restaurant, ils ne peuvent pas aller dans des boutiques, ils en feraient quoi, de cet argent ? » « Manger… », lâche timidement le présentateur. « Pour peser 300 kilos ! » s’exclame le ministre, soulevant un tollé sur les réseaux sociaux. Six jours plus tard, il récidive : « Si vous êtes chômeur de longue durée depuis dix, vingt, trente mois et que vous arrivez à vivre, c’est que vous travaillez au noir. Pas besoin d’allocations. » Un raisonnement pour justifier le fait que, sur les 570.000 chômeurs de longue durée recensés par l’Institut des statistiques (Elstat), seuls 155.000 vont toucher une indemnité pour le temps du confinement. En Grèce, un chômeur perçoit 380 euros par mois, durant un an seulement, indépendamment de son ancien salaire, d’où une nouvelle levée de boucliers.

Peu lui chaut. Une fois lancé, Adonis Georgiadis, ministre aux convictions d’extrême droite des plus décomplexées, ne s’arrête pas. Et pour cause, il est le fer de lance du gouvernement ultra-néolibéral de Kyriakos Mitsotakis. Un gouvernement qui, certes, a très bien géré la crise sanitaire du coronavirus jusqu’à présent, mais qui en a profité pour mettre le pays au pas à tous les niveaux, à commencer par les salaires. « La première chose qu’ils ont faite, c’est de s’attaquer aux heures supplémentaires, explique Nikos Antoniou, du Syndicat des relieurs et libraires. Avant, l’employeur devait les déclarer en amont, de façon que l’inspection du travail puisse vérifier. Désormais, il le fait en aval, et plus aucun contrôle n’est possible. »

Ainsi, les dénonciations d’heures supplémentaires non déclarées et non payées se sont multipliées sur des pages spécialement créées sur les réseaux sociaux, mais elles sont pour la plupart anonymes. « Avec le spectre de la récession et du chômage qui se pointe, qui va prendre le risque de dénoncer son employeur ? » demande Alekos Gatrinos, électricien, qui s’estime privilégié car il est payé avec « seulement » deux semaines de retard. Manolis, jeune cuistot de 23 ans, n’y pense même pas. « Pour quoi faire ? s’interroge-t-il. Si je suis viré, je ne retrouverai pas de travail. Les restaurants vont employer moitié moins de personnel, alors, même si le salaire baisse, je vais rester. »

De fait, la baisse éventuelle, probable même, des salaires est dans la tête de tous les Grecs. L’alerte a été donnée par des « fuites organisées » dans la presse, immédiatement dénoncées par le gouvernement, preuve, pour la professeure Irini Kondaridou, que « c’est vraiment dans les tuyaux ».

Le processus s’est déroulé en deux temps. D’une part, on a suspendu tous les contrats de travail et les conventions collectives ; d’autre part, sous couvert de soutien aux entreprises obligées de fermer à cause du confinement, le gouvernement a octroyé une allocation de 800 euros aux salariés pour les huit premières semaines de confinement. « Cette indemnité est en fait une baisse de salaire déguisée, explique Despina Koutsouba, archéologue et syndicaliste. Cela correspond à 534 euros par mois, soit moins que le Smic, qui venait d’être augmenté à 650 euros par le gouvernement précédent. » Et qui dit moitié moins de salaire dit aussi moitié moins de salariés. Désormais, les entreprises peuvent employer à volonté leur personnel deux semaines par mois pour un salaire réduit de 50%, et ce pendant neuf mois – soit moins de 300 euros, auxquels ne peut s’ajouter aucune indemnité chômage.

« Cela va entraîner tous les salaires vers le bas », prédit Nikos Antoniou, qui s’inquiète surtout de voir cette loi s’installer « pour de bon » dans le code du travail : « Elle est faite sur mesure pour le patronat, il y a peu de chances qu’après la crise elle disparaisse. Ici, c’est la loi de la jungle qui prévaut désormais. »

Même constat pour Savas Robolis, professeur émérite à l’université Panteion d’Athènes, qui prévoit une récession bien plus importante que celle annoncée par le FMI, et pas uniquement à cause du coronavirus. Pour cet ancien directeur de l’Institut du monde du travail, le problème majeur vient du refus du gouvernement grec de toucher aux 29 milliards de réserves engrangées par l’État sous le précédent gouvernement Syriza (1) via l’impôt, « d’où la nécessité de baisser les dépenses publiques, donc de baisser les retraites et les salaires ». Et ce chercheur d’enfoncer le clou : « Les dirigeants ont annoncé un gel des licenciements pendant le confinement, mais que va-t-il se passer après, quand la récession sera là, quand la consommation va chuter, quand le tourisme sera en chute libre ? »

Justement, conscient de l’importance vitale du tourisme, le gouvernement Mitsotakis a déjà annoncé l’ouverture de la saison pour le 1er juillet. Haris Theocharis, ministre du Tourisme, espère « 10 millions de visiteurs », sur les 33 millions attendus avant la crise du coronavirus. C’est peu, reconnaît le ministère, mais cela permettra de contenir le chômage, que le patronat prévoit à presque 20 % dès l’automne.

C’est là que se pose un problème de taille. Le pays a été épargné par le virus (2), car le confinement a commencé très tôt. Sa population n’a donc pas été exposée, contrairement aux visiteurs potentiels qui viennent essentiellement de pays très touchés, comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne ou les États-Unis. Pour Andreas Mentis, directeur de l’Institut Pasteur d’Athènes, cela soulève un dilemme : « Le problème pour la Grèce est surtout le tourisme d’été, qui génère des revenus sans lesquels nous aurons un hiver difficile. Et si vous vivez dans un pays meurtri par le virus, vous allez vouloir venir dans un pays épargné, comme la Grèce. Nos îles peuvent être protégées facilement par des mesures de quarantaine ou un confinement, mais si vous avez des -visiteurs, il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire. » En outre, dans les îles grecques, la population est vieillissante, donc fragilisée, et les structures sanitaires spartiates. La question se pose de façon encore plus aiguë pour les trente îles avec moins de 500 habitants, les plus prisées, telle Tilos, dans le Dodecanèse. La maire de l’île, Maria Kama, tire le signal d’alarme : « Nos maisons sont mitoyennes, nos cours se touchent, nous allons tous dans la même boulangerie, le même supermarché, le même café. Un seul malade et c’est la contamination générale. Or nous n’avons pas d’hôpital, juste un dispensaire, et il n’y a qu’un seul hélicoptère d’évacuation pour tout le pays. »

D’où le choix difficile qui se pose au gouvernement : protéger sa population ou laisser libre cours au tourisme, qui emploie une personne sur cinq et participe pour plus de 20% au PIB. La logique de l’économie a prévalu et, dès le week-end des 16 et 17 mai, les plages aménagées ont de nouveau été accessibles. Dans la même logique, le gouvernement vient d’ouvrir un boulevard aux investisseurs, colonne vertébrale de sa politique de relance. Alors que la contestation est réduite à son minimum, il a choisi de faire adopter une loi très attendue par les multinationales énergétiques, mais dénoncée par toutes les ONG de protection de l’environnement. Cette loi promeut les exploitations d’hydrocarbures en mettant en danger les zones Natura 2000 de protection de la biodiversité.

Mais il n’y a pas que les atteintes au droit du travail ou à l’environnement. Comme au pire moment de la crise de la dette, le Parlement grec ne légifère plus. Toutes ces mesures ont été prises par décrets, sans débat ni discussion possible. À tel point que le Journal des rédacteurs titrait en une le 11 avril : « Ouvrez le Parlement ». « Le gouvernement ne veut plus la moindre opposition ou remise en question », souligne la sociologue Alexandra Koronaiou. « Nous l’avons vu dès son arrivée au pouvoir, avec la répression dans le quartier d’Exarchia. Maintenant, le coronavirus lui donne l’occasion de légitimer ce qu’il fait au nom de la protection de la population. » Stathis Gothis, secrétaire général du syndicat des employés du ministère de la Culture, va plus loin : « Cette répression qui s’exerce tous les jours sur les places publiques, contre les réfugiés, les manifestants, sous prétexte de coronavirus, n’est que la répétition générale de ce qui va se passer quand les Grecs, à bout, descendront dans la rue. Deux crises coup sur coup, c’est trop, même pour eux. »

(1) Le gouvernement Syriza, dirigé par Alexis Tsipras, a été au pouvoir de janvier 2015 à juillet 2019.

(2) Au 19 mai, le pays comptait officiellement 156 décès dus au Covid-19.

par Angélique Kourounis

Source https://www.politis.fr/articles/2020/05/en-grece-la-bourse-ou-la-vie-41907/

Des mesures de justice fiscale

Interpellez votre député·e pour que le Parlement adopte des mesures de justice fiscale

Une troisième loi de finance rectificative devrait être votée au mois de mai. Nous demandons aux député·e·s d’adopter six mesures de justice fiscale qui permettraient de dégager, selon nos estimations, au moins 128 milliards d’euros par an.

  • J’interpelle mon/ma député·e

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/des-mesures-de-justice-fiscale-face-a-la-crise-du-coronavirus

Démasquer le mythe de la « bonne gestion » du coronavirus en Grèce

par A. Sartzekis sur NPA

Ces derniers jours, une grande partie de la presse française a tressé de nombreux éloges à Kostas Mitsotakis, le Premier ministre grec, pour sa gestion de l’épidémie en Grèce, où ce dimanche, le nombre de morts n’est « que » de 144, pour un pays de 11 millions d’habitantEs.

Cette « bonne gestion » relève en grande partie du mythe ; d’abord parce que les chiffres sont aussi bas dans presque tous les pays de la région ; ensuite parce que, même si la droite a pris à temps des mesures de prudence1, c’est la chance qui a permis d’éviter jusqu’à maintenant une explosion de cas dans les camps-prisons pour les réfugiéEs et les prisons, et bien sûr c’est le travail intense des soignantEs qui a permis aux hôpitaux de faire face. Mais, comme en France, le personnel hospitalier refuse les discours hypocrites sur les « héros » et, le 28 avril, il s’est de nouveau largement mobilisé dans tout le pays. Augmentation des lits de réanimation, embauche de personnel permanent, réquisition immédiate des cliniques privées, fourniture du matériel nécessaire dans tous les lieux de santé publics, paiement des gardes : les « héros » rappellent entre autres qu’ils et elles n’ont pas été payés depuis sept mois pour ces gardes, et que celles-ci se sont multipliées ces derniers mois…

La droite des copains et des coquins

L’image de ministre prévoyant, dépeinte dans la presse française, rend service à Mitsotakis, qui en aura encore plus besoin pour les mois qui viennent, la crise économique ne pouvant que s’aggraver, ce qui accentuera les tendances lourdes à l’œuvre avant même la crise sanitaire : renforcement de la répression et du pouvoir de la police, comme on vient de le voir avec un motard du gouvernement, un mini-Benalla, qui a agressé un jeune ; confiscation de la parole publique, avec une grande partie de la presse écrite et audiovisuelle aux mains des requins financiers amis de la droite. La télé publique, pendant une dizaine d’années lieu de la parole critique, est (re)devenue la voix de son maître… Et, bien sûr, Mitsotakis gouverne pour satisfaire le patronat, avec son organisation SEV, qui vient d’obtenir que les patrons puissent se prêter leurs salariéEs en fonction de leurs besoins ! Mais en même temps, ce gouvernement affairiste exploitant la situation pour son propre compte multiplie les scandales, la presse aux ordres tentant de les étouffer : 36 millions étaient prévus pour des prétendus organismes de formation, dispensée à des employéEs en chômage partiel, mais ces organismes se sont révélés être proches de la droite, et même du ministre du Travail ! La mesure a dû être annulée… Autre exemple : l’importation de Chine de deux lignes de fabrication de masques par deux sociétés proches de la famille Mitsotakis…

Les masques n’étouffent pas la colère

Face à cela, des mobilisations ont lieu, par exemple contre la réforme élaborée par la très réactionnaire ministre de l’Éducation. La journée du 1er Mai représentait un enjeu important, alors que le gouvernement voulait la déplacer… le 9 mai. Pas question pour les syndicats et la gauche ! Malgré l’interdiction, plusieurs milliers de manifestantEs se sont rassemblés le 1er Mai, à Athènes et à Thessalonique, et sous forme de petits rassemblements ici et là. Un grand succès pour le mouvement social dans les conditions actuelles ! Cela reste à renforcer, et dès cette semaine, des dizaines d’associations environnementales et la gauche anticapitaliste appellent à se rassembler devant le Parlement : un effroyable projet de loi y sera discuté, qui permettrait de supprimer de nombreuses mesures de protection de l’environnement, pour laisser le patronat rapace et le secteur privé polluer en toute impunité virale ! À l’heure où même le KKE (PC), resté fort stalinien, fait désormais campagne sur le mot d’ordre « socialisme ou barbarie », on criera demain très fort : écosocialisme ou barbarie !

À Athènes

Source https://npa2009.org/actualite/international/demasquer-le-mythe-de-la-bonne-gestion-du-coronavirus-en-grece

Translate »