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Archives de catégorie Austérité-Neolibéralisme

Les marchés financiers restent les gagnants de la crise économique et sanitaire

Par Aline Fares

Les banques ont non seulement bénéficié des effets indirects des plans de soutien à l’économie mais également de garanties publiques qui leur sont directement adressées. Les revenus de remplacement – qui n’ont pas nécessairement atteint les plus précaires et n’ont bien souvent pas été suffisants. Les moyens publics bénéficient donc aux grandes entreprises, banques incluses, et aux propriétaires – in fine, donc, à des personnes dont on ne fait que conforter et renforcer une position déjà dominante.

22 décembre 2020 – Aline Fares

Le niveau d’anxiété général augmente. Notre santé mentale collective se dégrade. Les faillites s’accélèrent, à commencer par les petits commerces et les petites entreprises. Les conditions d’existence sont de plus en plus difficiles et la misère se répand dans les pays les plus riches telle une gangrène. Les soignant.e.s sont toujours aussi méprisé.e.s et pourtant on n’est pas au bout de la pandémie. La violence d’État, elle, est à son comble. Alors on se dit « 2020, vivement la fin ».

Au début de cette terrible année, les investisseurs aussi plongeaient dans les tréfonds du désespoir. Mais cela n’a pas duré, car il y a eu beaucoup d’aide, de soin et de soutien à l’égard des banques et des marchés financiers, et ce depuis les premiers signes de la pandémie. Alors forcément, la bourse, elle, se porte plutôt bien. Décryptage d’un phénomène de captation des richesses.

En mars, les banques centrales sortaient le « bazooka »

Après 2019 qui fut l’une de leurs meilleures années, les marchés ont commencé 2020 par une plongée dans l’angoisse. En janvier, la production chinoise s’arrête net, et c’est bientôt le monde entier qui suit. On ne sait pas combien de temps cela va durer, alors qu’en sera-t-il des profits des entreprises et des dividendes ?

C’est trop de suspense et les investisseurs n’aiment pas le suspense : ils aiment les événements prévisibles (et des règles du jeu favorables et stables). Or l’arrêt de la machine, c’est l’entrée dans l’inconnu. La panique monte. « Le virus chinois fait vaciller les marchés » : dans le doute, et de peur de voir leurs actions perdre trop de valeur, les investisseurs vendent et enclenchent leur prophétie auto-réalisatrice : les ventes en masse font baisser le cours des actions, on vend encore, les cours baissent encore.

Gouvernants et banques centrales prennent rapidement la mesure des choses : dès la mi-mars, « la Banque centrale européenne blinde son bazooka monétaire » . Il est vrai que le dispositif est impressionnant : 750 milliards de « liquidités », suivis quelques temps plus tard de 600 milliards de plus car cela ne suffisait pas à rassurer les marchés.

Ce que cela signifie, c’est que les banques centrales rachètent les titres financiers (dettes des États, dettes et actions des entreprises) dont les banques ne voudraient plus, et ce avant que ces titres ne perdent de la valeur. C’est ce qu’on appelle un sauvetage bancaire.

Source :  https://alinefares.net/outils/manuel-anime-video/

Mais en pleine pandémie, annoncer un sauvetage bancaire ferait mauvais genre. Car dans le même temps, alors que la population est largement confinée, les travailleur.euse.s des secteurs dits essentiels, et toutes les personnes déjà dans la précarité ou plongées droit dedans, sont laissées à l’abandon, sans ressources concrètes, si ce n’est parfois quelques mots d’encouragement et des applaudissements. .

Lire aussi : https://lareleveetlapeste.fr/le-plan-de-sauvetage-bancaire-massif-qui-se-cache-derriere-les-mesures-contre-le-coronavirus/

Ensuite, les banques ont non seulement bénéficié des effets indirects des plans de soutien à l’économie mais également de garanties publiques qui leur sont directement adressées. 

Les revenus de remplacement – qui n’ont pas nécessairement atteint les plus précaires et n’ont bien souvent pas été suffisants – ont permis de limiter les impayés : loyers, remboursement de crédits, factures. Mais cet argent a principalement soutenu les propriétaires des immeubles loués (qui ont continué de percevoir leurs loyers, et sont en majorité des personnes qui ont les moyens de supporter quelques mois d’impayés), les banques (qui ont continué de percevoir des remboursements) et les grandes entreprises (qui ont continué d’être payées, notamment pour l’eau, l’électricité, le gaz, la téléphonie, l’accès à internet). 

Et pour ce qui est des dépenses telles que l’alimentation et autres dépenses courantes, les fermetures des petits commerces et le maintien des supermarchés et de la vente en ligne, ont là encore largement dirigé les flux d’argent vers les multinationales plutôt que les petites entreprises, pourtant premières pourvoyeuses d’emploi.

Les moyens publics bénéficient donc aux grandes entreprises, banques incluses, et aux propriétaires – in fine, donc, à des personnes dont on ne fait que conforter et renforcer une position déjà dominante. 

Mais ces mesures ne suffisant pas à maintenir les marchés à flot, il a été décidé de les compléter en ouvrant grand les vannes du crédit : les États ont soutenu les banques afin qu’elles octroient de nouveaux crédits aux entreprises et aux ménages, une manière certes de limiter la casse à court terme, mais aussi de faire en sorte que ces mêmes loyers et factures soient payées.

Les États ont ainsi offert des centaines de milliards de garanties aux banques : lorsque les emprunteurs se trouveront dans l’impossibilité de rembourser, ce qui arrivera immanquablement, c’est encore avec les finances publiques que sont censées être épongées les pertes, pas avec les réserves des banques, de leurs créanciers et de leurs actionnaires, et pourtant, des réserves, il y en a, il suffit de regarder les dividendes qui seront versées en Janvier 2021.

La voie est encore celle de l’endettement de l’État – et la dette publique de gonfler.

Dans l’ensemble donc, le mode de fonctionnement du système n’est pas du tout remis en question, et les privilèges économiques et sociaux existants sont préservés et même renforcés, alors que les plus privilégiés, justement, auraient pu être mis à contribution.

Les efforts et l’attention auraient dû être concentrés sur les soins de santé (personnel, matériel, logistique…), le logement (puisqu’il y a confinement et qu’un bon logement est la base d’une bonne santé), l’alimentation, les conditions de travail pour qu’elles permettent de respecter les mesures sanitaires, une prise en compte des réalités écologiques (déterminantes dans la survenue de pandémies), etc. Mais rien de tout cela n’a vraiment eu la priorité, entraînant une précarisation générale pourtant évitable – pour autant que l’on touche à ces privilèges.

D’ici la fin de l’année, la barre des 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté risque d’être franchie – Relire notre article

Est ensuite arrivée l’annonce de “la relance”

Le 12 mars déjà, en France, un journal, citant le président français, titrait « Relancer l’économie, quel qu’en soit le prix ». En France ou en Belgique, on n’était alors même pas encore confiné.e.s. A ce stade, une telle annonce n’avait pour effet que de rassurer les acteurs économiques sur le soutien financier dont ils bénéficieraient une fois qu’on verrait le bout de cette crise sanitaire, mais les annonces se sont vite concrétisées.

Ainsi, dès le mois de juin, l’Allemagne lançait son plan à 130 milliards. En septembre c’était le tour de la France avec ses 100 milliards. En novembre, c’était le très attendu plan de relance européen à 750 milliards. Et il y en a eu d’autres à travers l’Europe et au-delà. De tels montants, de tels dispositifs, c’est du jamais vu.

Mais la deuxième vague de pandémie était déjà en route, et les vaccins pas encore prêts. De quoi rendre fragiles les espoirs de relance et les perspectives de profits. L’incertitude encore. Malgré les centaines de milliards cumulés de la banque centrale, des garanties publiques et des plans de relance, les marchés sont encore inquiets et les banques sont fébriles.

Tout cela n’est pas encore assez et de nouvelles décisions viennent soutenir les banques et donc tout le système financier.

Les crédits, on le voit, font office de palliatif aux revenus absents, ils permettent de maintenir un semblant de prospérité économique : on continue de produire, d’acheter, de payer… à crédit. « Il faut » donc encourager les banques à continuer à prêter, en attendant qu’un jour revenus et salaires soient rétablis. Or les revenus des entreprises et des particuliers, et donc leur capacité de remboursement, sont trop incertains. Les banques limitent donc leurs prêts. Sauf que sans ces prêts, l’édifice ne tient plus.

Les institutions européennes, qui définissent les règles en matière bancaire et financière, avaient déjà relâché certaines règles prudentielles dès le mois d’Avril. Pour soutenir encore le crédit, elles ont donc décidé, quelques mois plus tard, de se débarrasser d’une des rares mesures qui permettait de pousser les banques à assumer (un peu…) les risques qu’elles prennent : le « cap sur l’effet de levier ». 

Du jargon, certes, mais qui correspond à une réalité simple : les grandes banques ne détiennent que très peu de capital, elles empruntent énormément. Du coup, en cas de coup dur (par exemple : une pandémie, un confinement, du chômage, des faillites), elles n’ont que peu de réserves propres pour absorber les pertes. Très vite, on se retrouve à « devoir » les sauver avec de l’argent public pour éviter qu’elles n’emportent épargne et moyens de paiement dans leur chute.

Lever le cap sur l’effet de levier, c’est les autoriser à prêter encore plus avec un même montant de capital et ainsi les rendre plus fragiles encore – et nous mettre plus encore sous la menace de leur possible faillite.

Les centaines de milliards n’ont pas suffit. Ils ne règlent en rien la situation dans les hôpitaux, ils n’améliorent pas les conditions de logement, la qualité de l’alimentation, les conditions de travail et de revenus, pourtant essentiels pour faire face à la pandémie et à la crise économique que nous vivons. Ils tendent à les empirer. Alors la gestion par le confinement continue, les chiffres des faillites à venir deviennent effrayants et les pertes des banques pourraient les faire vaciller.

Une nouvelle crise financière ? Ce serait quand même le pompon. Régulateurs et gouvernants viennent de sortir deux nouvelles trouvailles pour repousser encore cette possibilité : d’abord la création de « bad banks », autrement dit des banques poubelles.

L’idée, discutée depuis le début de l’automne, est de créer une entité séparée, détenue par d’autres actionnaires (a priori l’État) et d’y mettre tous les crédits qui risquent de ne jamais être remboursés. Il fallait y penser… Ensuite, l’annonce par la Banque centrale européenne, le 15 décembre, que les banques pourraient de nouveau verser des dividendes dès le 1er janvier.

Les bourses vont donc plutôt bien, et les investisseurs encaissent des profits colossaux pour grand nombre d’entre eux, mais ça ne sort pas de nulle part: les gouvernements les gâtent, les banques centrales les choient, les régulateurs les cajolent.

Non seulement les mesures décrites ici sont inacceptables, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle invention qui pousserait les limites un peu plus loin. La nouvelle version du virus découverte en Grande-Bretagne a entraîné une légère baisse des marchés, que vont-ils encore inventer si elle se prolonge ?

Dès le début de la pandémie, on aurait pu écrire une histoire de solidarité, dans laquelle les plus riches et les multinationales auraient été mises à contribution. Par exemple, on aurait pu annuler les loyers, en partant du constat que les propriétaires, dans leur majorité, ont un patrimoine suffisant pour qu’une perte de loyer n’affecte pas leur capacité à se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner ou se vêtir. On aurait aussi pu annuler des factures dues par des petits commerces à des multinationales des télécommunications, des paiements ou de l’énergie. On aurait pu rendre supportables les pertes de revenus en allégeant le poids des dépenses. On aurait pu diriger les flux d’argent vers le système de santé. Tout cela est encore possible.  Alors arrêtons de nous tenir sages.

22 décembre 2020 – Aline Fares

Alerte Grèce par Yannis Youlountas

ALERTE GRÈCE : 120 000 oliviers déjà coupés pour l’aéroport de Kastelli ! Une nouvelle crise humanitaire frappe les précaires ! Et autres nouvelles… par Yannis Youlountas

Bonjour,
 
En cette fin d’année, trois semaines après la répression féroce qui s’est abattue sur le mouvement social à Athènes(1), voici un nouveau point sur la situation.
 
HÉCATOMBE D’OLIVIERS COUPÉS, INONDATIONS DÉSASTREUSES 
ET COLÈRE CONTRE LE PROJET D’AÉROPORT À KASTELLI (CRÈTE)  
 
Le chantier pharaonique du nouvel aéroport de Crète fait des dégâts considérables actuellement, à 40km d’Héraklion. La barre des 100 000 oliviers coupés a été atteinte le mois dernier. Nous en sommes aujourd’hui à 120 000 arbres arrachés, ce qui génère des montagnes de souches d’une part et des étendues désertes d’autre part, aplanies n’importe comment par les bulldozers. 
 
 Les conséquences ne se sont pas faites attendre : la région alentour a été frappée à plusieurs reprises par de violentes inondations, notamment fin septembre et début novembre. L’écoulement des eaux a tellement dysfonctionné que, le 20 septembre, 50 des 80 maisons de Sklaverochori (un village à côté de Kastelli) ont été inondées. L’eau entrait même par les fenêtres ! Des dizaines de voitures étaient emportées par les flots boueux ! Les serres étaient ravagées et des animaux d’élevage noyés !
 
 La colère commence à gronder dans la zone, autrefois amadouée par les promesses en tous genres. Les habitants de Kastelli constatent par exemple que les travaux ne fournissent pas du travail à 1000 personnes comme promis, mais à 6 seulement ! De leur côté, les habitants d’Héraklion découvrent que l’espace libéré par l’ancien aéroport (si le nouveau venait à être fini, ce qui n’est pas encore certain) serait transformé en Riviera de luxe, avec des hôtels, des yachts et des terrains de golf, et non en poumon vert de la ville au service du grand nombre ! Les masques tombent. Tout confirme que construire ce nouvel aéroport est une absurdité. Pour dix fois moins cher, il eut été aisé d’ajouter une piste supplémentaire au précédent, avec quelques rochers sur la mer (comme à Nice, par exemple). Nous en avions parlé dans L’Amour et la Révolution, il y a deux ans. Film visible gratuitement ici :
(au sujet du projet d’aéroport à Kastelli, c’est à partir de 43:50) 
 
Au niveau du montage financier, les firmes françaises ne sont pas en reste. Alors qu’une filiale de Vinci participe aux travaux, le groupe Aéroport de Paris (qui a racheté la société indienne GMR Airports) vient de rejoindre le projet à hauteur de 17,5%.
 
Les opposants à l’aéroport de Kastelli parient sur une victoire sur le terrain juridique, au moyen de plusieurs recours. Mais la Justice grecque fait traîner au prétexte de la pandémie qui ralentit la procédure, ce qui retarde d’autant l’action juridique suivante, cette fois à l’échelle européenne, avec plus de chance de victoire pour les opposants. Cette stratégie du pourrissement et de la terre brûlée rappelle celle de l’État français dans le Tarn en 2014, quand la zone humide du Testet était inexorablement détruite sans attendre l’issue des recours juridiques. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de barrage à cet endroit, mais le mal est fait. À Kastelli, il n’y aura peut-être jamais d’aéroport, mais la zone est d’ores-et-déjà saccagée. 
 
Malheureusement, les maigres tentatives de lancer une ZAD sur la zone des travaux n’ont pas réussi. Toutes les constructions, symboles, cabanes, clôtures, pierres diversement assemblées ont été détruites. À l’instar des pouvoirs toujours plus autoritaires en Europe, le gouvernement grec ne veut pas permettre le moindre début d’implantation sur son chantier. Après plusieurs destructions partielles, la cabane que nous avions construite avec le convoi de mai 2018, puis reconstruite avec celui de février 2019 a été complètement rasée il y a quelques semaines. Vidéo de la construction ici, à 1:08:39 :https://youtu.be/wNSfoTYY3hA?t=4119
 
UNE NOUVELLE CRISE HUMANITAIRE FRAPPE LES PRÉCAIRES SUITE AUX RESTRICTIONS ANTICOVID ET AUX POLITIQUES ANTISOCIALES
 
Dix ans après le début de la « crise grecque », une nouvelle crise commence à s’abattre sur la base sociale dans le pays. Nous faisons face à un afflux énorme de personnes en grandes précarité dans toutes les lieux solidaires autogérés ! Des familles entières sont à la rue, des personnes âgées, des jeunes ou encore des personnes handicapées montrent des signes inquiétants de faim et d’épuisement. Les témoignages se multiplient, les langues se délient. Alors que nous entrons dans l’hiver, la catastrophe pressentie se confirme : la Grèce entre dans une nouvelle crise qui sera peut-être encore plus violente que la précédente.
 
Parmi les causes principales, les restrictions anticovid sont très souvent citées. Beaucoup de gens ont été ruinés cette année, se retrouvant avec des ressources insuffisantes, et sombrent maintenant dans la précarité. Le niveau d’endettement étant déjà élevé depuis une dizaine d’années en Grèce, la chute des revenus a fait le reste. En quelques semaines, toute une partie de la population a été frappée de plein fouet, malgré les maigres compensations financières d’un État trop occupé à acheter des rafales à Dassault et à renforcer l’équipement de sa police anti-émeutes.
 


Ces jours-ci, cette photo a circulé montrant un policier donnant un coup de pied à un sans-abri endormi pour le réveiller avant l’ouverture des magasins de la rue Ermou, l’une des plus chères et luxueuses du centre d’Athènes.

La politique antisociale du nouveau gouvernement est également en cause. Depuis le retour de la droite au pouvoir, les plus pauvres sont encore plus en difficultés, laissés pour compte et traqués sur les trottoirs des rues passantes. Il en est de même pour les migrants. Le gouvernement Mitsotakis frappe simultanément toutes les formes de solidarité : évacuation massive des squats de réfugiés (même si le Notara 26 résiste encore à Exarcheia), harcèlement incessant des actions solidaires autogérées (dont les nôtres), pression sur les ONG avec interdiction pour leurs membres de révéler ce qu’ils voient dans les camps de migrants en Grèce (oui, vous avez bien lu, et ce, depuis le décret du 30 novembre 2020). 

 
À Lesbos, rien n’a changé : le sinistre camp de Moria (détruit par un incendie) a simplement été remplacé par celui de Kara Tepe, entassant actuellement plus de 10 000 hommes, femmes et enfants dans le froid, la boue et la censure la plus totale. Il y a quelques jours, nous avons appris qu’une pénurie d’eau avait frappé les personnes enfermées dans ce camp construit sous les auspices de l’Union européenne !
 
SOLIDARITÉ : APPEL À SOUTIEN URGENT !
 
Une fois de plus, c’est le mouvement social qui est en première ligne de la solidarité, dans l’autogestion et l’horizontalité. Dans ce contexte extrêmement difficile, nous appelons à soutien de toute urgence. En effet, nous n’avons plus du tout les moyens de poursuivre nos actions sur tous les terrains comme les années précédentes (squats, cuisines sociales, aides aux précaires grecs et migrants, aides aux compagnons de lutte réprimés, convois de fourgons solidaires…). 
 
 
Le contexte est particulièrement frustrant : sans la pandémie et les longues restrictions de cette année 2020, nous aurions réussi à sortir un nouveau film accompagné d’une nouvelle tournée parmi vous. Mais cela n’a pas été possible. Les membres des collectifs grecs participants au film et plusieurs des collectifs souhaitant nous accueillir en France, Suisse et Belgique, à l’unisson, ont préféré reporter la sortie en 2021 pour nous permettre de faire les choses correctement : permettre au nouveau film d’être un outil d’animation des luttes à l’ouest de l’Europe (comme pour les trois films précédents depuis 7 ans qui ont rencontré de belles affluences : Ne vivons plus comme des esclaves, Je lutte donc je suis et L’amour et la Révolution) et d’être un moyen majeur de solidarité à l’autre bout, en Grèce. Nous n’avons pas peur des ruines sortira dès que possible durant cette année 2021. Nous vous l’annoncerons dès que nous serons prêts, notamment pour construire la tournée et vous faire découvrir les bandes-annonces et extraits. 
 
 
Sachez néanmoins que ce film est en cours tournage complémentaire. En effet, nous avons repris la caméra au poing pour compléter les événements depuis juillet 2019 (date de l’arrivée de la droite au pouvoir) : nous sommes allés un peu partout en Grèce, à la demande de nos compagnons et camarades, et nous incluons la période actuelle et ses conséquences.
 
 
Voilà pourquoi, nous sommes contraints de lancer cet appel, démunis face à l’urgence. Si vous voulez et pouvez soutenir nos initiatives solidaires, c’est ici (procédez plutôt par virement ou paypal que par chèque, c’est plus rapide) :
 
1- Pour effectuer un virement à ANEPOS 
IBAN : FR46 2004 1010 1610 8545 7L03 730
BIC : PSSTFRPPTOU 
Objet : « Action Solidarité Grèce »
 
2- Pour participer via PAYPAL, suivre le lien : 
 
 
3- Pour envoyer un chèque à l’ordre de ANEPOS
Objet : « Action Solidarité Grèce »
Adresse postale : ANEPOS – Action Solidarité Grèce – 6 allée Hernando – 13500 Martigues
 
Tél. Grèce (0030) 694 593 90 80 / Tél. France 06 24 06 67 98
 
 
Liste des lieux et collectifs aidés matériellement et/ou financièrement durant l’année écoulée (principalement de février à septembre 2020), malgré un contexte particulièrement difficile :
– Centre social autogéré Alimoura à Ioannina (nous avons financé la réparation du local qui avait été saccagé par une attaque fasciste) ; 
– Usine autogérée Bio.Me à Thessalonique (soutien et achat de savons et produits fabriqués par les ouvriers, alors que l’électricité venait de leur être coupée) ; 
– Mikropolis à Thessalonique (soutien au plus grand espace social libre de Grèce qui est actuellement en train de déménager) ; 
– Initiative antifasciste d’aide aux réfugiés près d’Évros (au moment où ces derniers étaient pris au piège entre les deux états grecs et turcs, et où des identitaires européens étaient venus pour tenter de pratiquer la chasse à l’homme, ainsi qu’à Lesbos) ; 
– Réseau Solidaire de Crète (et soutien à la création de nouveaux lieux dans l’île, dont nous vous reparlerons) 
– Initiative de Kastelli en Crète contre le nouvel aéroport (nous avons participé au financement de la procédure de Justice contre l’aéroport qui est en train de basculer à l’échelle européenne, alors que 120.000 des 200.000 oliviers ont déjà été coupés et que l’opinion est de plus en plus opposée au projet, nous avons également participé à plusieurs réunions et actions sur place, et soutenu les paysans en lutte contre ce projet) ; 
– Centre Social autogéré Favela au Pirée (soutien financier et achat de tee-shirts pour épauler ce lieu situé dans une zone où les fascistes rôdent souvent et où l’un d’entre nous, a été agressé violemment en juin 2019 par un groupe de néo-nazis qui lui avait tendu un guet-apens avant que les passagers d’une rame de tramway ne parviennent à le sauver) ; 
– K*Vox à Athènes (base d’un des groupes les plus actifs en Grèce) ; 
– Aide aux frais de Justice de plusieurs compagnons de luttes , notamment pour leur éviter d’aller en prison suite à des actions pourtant exemplaires ; 
– squat Notara 26 à Athènes (le plus ancien lieu d’accueil des réfugiés dans le quartier d’Exarcheia) ; 
– Plusieurs cuisines sociales, dont L’Autre Humain (soutien financier et livraison de produits alimentaires) ; 
– Structure autogérée de santé d’Exarcheia (soutien financier et livraison de matériel médical) ; 
– Réseau École Buissonnière-Pédagogie Freinet (soutien financier et livraison de fournitures en aide aux enfants précaires) ; 
– actions solidaires à Lesbos (nombreuses initiatives depuis mars et, surtout, après l’incendie du sinistre camp de Moria et l’errance de nombreuses familles en difficultés). 
 
 
À savoir également qu’une collecte de fournitures et matériels sera peut-être organisée en février 2021 en France, si les conditions de déplacement le permettent. Nous vous en reparlerons si cela s’avère faisable. Auquel cas, une liste des besoins sera rapidement diffusée et une dizaine de fourgons se chargeront du ramassage des denrées et objets nécessaires. Par contre, si ce n’est pas possible, l’appel de ce message va être notre seul et unique moyen d’action cet hiver.
 
UN PEU D’HUMOUR, APRÈS CES MAUVAISES NOUVELLES
 
Ça circule en ce moment en Grèce (où nous sommes encore en quarantaine avec des attestations nécessaires pour circuler) :
Humour toujours : en France, l’Église de la Très Sainte Consommation (collectif satirique) va bientôt décerner ses Doigts d’or. Il a été difficile pour le jury de départager les candidats malgré eux pour choisir les pires, tant cette année 2020 a été mémorable en délires de puissance et d’argent ! L’occasion de rire de cette société absurde en attendant sa transformation radicale le plus tôt possible :
Merci de votre soutien, quelle que soit la forme, ne serait-ce qu’en relayant l’info. Pour la partager où bon vous semble, vous pouvez aussi utiliser la publication de cette lettre ici : nouveau lien du blog  (vous y trouverez aussi les images en plus grand format)
 
Courage pour 2021 et au plaisir de vous retrouver ! 
 
Solidairement,
 
Maud et Yannis Youlountas po/ collectif artistique et solidaire ANEPOS avec les membres et soutiens des convois de mars, juillet et septembre 2020
 
 
Yannis Youlountas | 29/12/2020 à 10:36 | Catégories : Alerte | URL : https://wp.me/p6quRu-2tE

Crise du capitalisme et perspectives de rupture

Éric Toussaint : « La crise multidimensionnelle du capitalisme doit nous permettre d’avancer la perspective de ruptures »

14 décembre par Eric Toussaint , NPA  


Intervention d’Éric Toussaint (Porte-parole du CADTM international) lors de la conférence « Continuités et nouveautés : comprendre la crise économique actuelle » du 24 août 2020 à Port Leucate (France), dans le cadre de l’université d’été du NPA.

Lors de cette conférence, Éric Toussaint considère que la crise multi-dimensionnelle du capitalisme est une opportunité pour la gauche radicale d’avancer des propositions de ruptures en faveur des populations et plus largement de l’ensemble des êtres vivants. Pour cela, il est fondamental d’analyser les différences entre les mesures mises en place par les gouvernements lors de la crise financière de 2007-2008 et la crise actuelle. En ce sens, il faut réfuter l’analyse selon laquelle on assisterait à un retour du keynésianisme. L’ensemble des mesures prises par les gouvernements du Nord visent d’une part à sauver sans concession les principaux acteurs financiers et d’autre part à approfondir dans un second les politiques d’austérité par une socialisation des dettes privées, le tout sans aucune concession en faveur des travailleurs. Pour la gauche révolutionnaire européenne, il est clair qu’il faut désobéir aux traités de l’UE. L’annulation des dettes publiques tout autant que la démonstration de leur illégitimité sont fondamentales pour obtenir l’adhésion des populations. Il faut également se saisir de la question de l’annulation des dettes étudiantes, des dettes hypothécaires. Pour y parvenir, une réponse consiste à socialiser le secteur bancaire. Il faut exclure les capitalistes des activités de la banque et des assurances et mettre en place un contrôle des citoyen-ne-s sur un système bancaire socialisé. Reprendre le contrôle sur ce secteur serait à la fois une réponse au plan sanitaire pour contrer le Big Pharma, et au plan écologique pour financer la recherche et les infrastructures en faveur des énergies renouvelables.

Auteur.e Eric Toussaint 

Source https://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-La-crise-multidimensionnelle-du-capitalisme-doit-nous-permettre

L’illusion d’un « retour à la normale », après le Covid

Corona Crise (Europe) : l’illusion d’un « retour à la normale », après le Covid

par Martine Orange

Alors que l’Europe est menacée d’une deuxième récession en moins de six mois, les responsables européens continuent de sous-estimer la nature et l’ampleur du choc provoqué par la pandémie. Des pans entiers des économies européennes sont menacés. Mais aucune réponse politique ne se profile.

Tout a de nouveau déraillé. Alors que l’Europe se retrouve à l’épicentre de la deuxième vague du Covid-19, que l’ensemble des pays du continent renouent, l’un après l’autre, avec un confinement plus ou moins strict, la menace d’une deuxième récession en moins de six mois prend de plus en plus consistance. Le 5 novembre, la Commission européenne a été obligée d’acter ce nouveau choc : elle a révisé ses prévisions à la baisse. Selon elle, il ne faut plus compter sur un retour de la croissance en 2022, mais plutôt en 2023.

Ces prévisions se veulent lucides et raisonnables. Mais le sont-elles vraiment ? Les responsables comprennent-ils, admettent-ils le moment de rupture auquel nous assistons ? « Les vieux tabous et les vieux schémas restent toujours d’actualité. C’est toujours la même vision gestionnaire », déplore l’économiste Aurore Lalucq, députée européenne (S&D) .

Derrière les prévisions avancées par la Commission se cache une solide conviction, partagée par la plupart des dirigeants : la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 n’est qu’une mauvaise passe. Le deuxième confinement les a contraints à renoncer à l’idée d’une simple parenthèse, comme ils l’espéraient au printemps, mais ils n’ont pas renoncé à croire au caractère passager de la crise sanitaire.

Il suffit de voir l’euphorie boursière après l’annonce de la découverte d’un vaccin par les laboratoires BioNtech et Pfizer pour le mesurer. Pour beaucoup, il ne s’agit désormais que d’une question de temps : il suffit de tenir en attendant qu’un vaccin soit à disposition du public. Il faudra certes passer le « sombre hiver » de 2020, comme a prévenu le nouveau président américain, Joe Biden, dès son premier discours présidentiel. Mais après, tout pourra repartir comme avant.

La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, ne dit pas autre chose : « Le principal défi pour les responsables politiques est d’assurer la transition jusqu’à ce que la vaccination soit bien avancée, et que la reprise ait trouvé sa dynamique. La BCE était là lors de la première vague, elle sera là pour la deuxième », a-t-elle assuré.

Déjà, les prévisionnistes ont repris leurs modèles. À défaut d’être en V comme ils l’avaient escompté au début de l’année, la reprise pourrait être en W, en K, selon eux. Peut-être même en coquille d’escargot ou toute autre lettre de l’alphabet cunéiforme, l’imagination en ce domaine étant sans limite.

Un effondrement pire qu’en 2008. © Eurostat

La réalité, pourtant, bouscule tout. Jamais, en temps de paix, les économies européennes, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’ont connu un tel effondrement. Les chiffres donnent le vertige. L’Espagne a enregistré une chute de 22 % de son PIB au cours du deuxième trimestre, la France de 19 %, l’Italie de 17 %, l’Allemagne de 11 %. Pour l’ensemble de la zone euro, la chute était déjà de 15 %. Et c’était avant la deuxième vague de l’épidémie. Comment croire que tout cela sera effacé rapidement ?

De nombreux économistes mettent en garde contre cette illusion de « retour à la normale », dans un temps plus ou moins long, caressée par beaucoup de responsables. Une normalité qui avait d’ailleurs déjà des allures de bizarrerie. Depuis la crise de 2008, toutes les économies européennes ont besoin du soutien constant et immodéré de la politique monétaire pour ne produire qu’une très faible croissance. Et malgré les taux zéro, l’argent gratuit, elles sont, à l’exception de la sphère financière, en déflation, contrairement à toutes les théories classiques. Pour ces économistes, le choc subi par l’économie mondiale avec la crise du Covid-19 s’inscrit dans cette trajectoire longue. Mais il est tellement hors norme qu’il est impératif de sortir des schémas préétablis.

Adepte de la théorie de la régulation, l’économiste Robert Boyer considère, dans son livre Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie (La Découverte), que recourir aux concepts classiques pour cette crise est une faute « car cela indique que l’on espère appliquer des remèdes connus, qui seront donc inefficaces ». « Le terme de “récession” s’applique au moment où un cycle économique, arrivé à une certaine étape, se retourne pour des raisons endogènes – ce qui suppose que l’étape suivante sera mécaniquement la reprise, également pour des raisons endogènes, avec un retour à l’état antérieur. Or il ne s’agit pas ici d’une récession, mais d’une décision prise par les instances politiques de suspendre toute activité économique qui ne soit pas indispensable à la lutte contre la pandémie et à la vie quotidienne », explique-t-il dans un entretien au Monde.

Benjamin Coriat, professeur d’économie à l’université Paris-VIII, qui vient de publier La Pandémie, l’anthropocène, le bien commun (Les liens qui libèrent) (lire son entretien ici), est encore plus tranchant : c’est un changement de monde qui s’annonce. « Nous n’avons pas vu la grande accélération de l’anthropocène, les destructions exponentielles de la planète, des écosystèmes auxquelles cela a conduit. Nous sommes entrés dans l’ère des pandémies, comme nous en avertissent les études de la plate-forme intergouvernementale des biodiversités et des écosystèmes (IPBES). L’ancienne économie ne se remettra pas en place. Des pans entiers ne se relèveront pas », affirme-t-il.

La sidération qui a saisi le monde au moment du premier confinement a empêché de prendre la pleine mesure de ce qui était à l’œuvre. En quelques jours, l’essentiel du secteur marchand, une grande partie des capacités productives – c’est-à-dire les moteurs de l’économie – se sont retrouvés gelés, mis en cocon par décision gouvernementale. Industries, transports, commerces, tout a été mis à l’arrêt, la santé, les services publics essentiels, jugés jusqu’alors comme des « charges », se retrouvant en première ligne.

Face à cette situation sans précédent, l’Europe a mis entre parenthèse ses tabous, ses préjugés, ses principes. En apparence. Tous les pays européens ont adopté des politiques de soutien plus ou moins généreuses, plus ou moins ambitieuses, mais qui s’inscrivent toutes dans le même cadre : avec le soutien de la BCE, garante en dernier ressort, les différents gouvernements ont mis d’immenses moyens budgétaires pour compenser l’arrêt brutal de l’économie. Financement du chômage partiel, prêts aux entreprises, plans de soutiens : des centaines de milliards d’euros ont été débloqués en quelques semaines, dans l’espoir de préserver les capacités de production, les commerces, les services, les activités culturelles. Au prix d’endettements publics qui se chiffrent en dizaines de points de PIB.

Cela devait être temporaire. Mais le deuxième confinement, même allégé, a obligé les gouvernements à prolonger, compléter, améliorer les dispositifs existants, se transformant en assureurs en dernier ressort de tout. Sans que cela donne lieu à débat. Depuis le sommet de juillet qui a acté la création d’un plan européen de relance et la mutualisation partielle de la dette, aucune nouvelle grande réunion n’a été programmée entre les responsables européens.

Il ne se passe pas grand-chose non plus lors des réunions de l’Eurogroupe, tous les ministres se contentant de répéter que l’heure est désormais à la « digitalisation de l’économie », à la transition écologique et à la reconquête des entreprises stratégiques. Pas un mot, en revanche, n’a été dit sur l’importance des secteurs « non marchands », de la santé en particulier, mise à mal par les politiques d’austérité imposées depuis 2010, et qui se retrouvent aujourd’hui en première ligne, constituant les derniers stabilisateurs de nos économies effondrées.

« Les gouvernants ne se sont pas soudain tous convertis à la dette, à la relance keynésienne, pas plus qu’ils n’ont renoncé à l’économie de marché et décidé de se rallier au dogme de l’intervention, de la socialisation et peut-être demain de la collectivisation des moyens de production. Rien n’a été prémédité. Ce revirement ne tient qu’au pragmatisme et à une fuite en avant dans l’action pour sauver ce qui peut être sauvé », explique l’économiste Olivier Passet de Xerfi. Sans savoir, insiste-t-il, sur quoi déboucheront ces réponses bricolées dans l’urgence.

Les effets retards de la crise

Ce nouveau paradigme né de la crise sanitaire vient raviver les vieilles plaies européennes, les profonds déséquilibres mis à nu lors de la crise de l’euro et qui n’ont jamais été soignés. Car, dans les faits, chaque gouvernement agit avec ses moyens. Bien que la politique monétaire de la BCE soit censée égaliser les chances de chacun en ramenant les taux à zéro ou presque pour tous, les pays se sont retrouvés chacun face à sa situation.

L’Allemagne, riche de ses excédents passés, a brisé sans hésitation son tabou de la dette et a débloqué au plus vite plusieurs centaines de milliards d’euros. Ces différentes mesures représentent l’équivalent de 8 % de son PIB. Mais à l’autre bout, les petits pays de l’Europe de l’Est ou les pays de l’Europe du Sud peinent à soutenir leurs engagements. L’endettement de l’Italie risque de dépasser les 156 % du PIB en 2021 et celui de l’Espagne les 120 %.

Ces deux pays attendent beaucoup du plan de relance européen de 750 milliards d’euros : ils devraient en être les principaux bénéficiaires et recevoir quelque 140 milliards d’euros de prêts et de subventions. Une somme nettement insuffisante au regard des besoins, selon de nombreux économistes.

D’autant que l’argent tarde à arriver. Le Parlement européen a voté le plan cette semaine, mais la Pologne et la Hongrie menacent toujours de mettre leur veto à un plan qui subordonne le versement des sommes au respect des règles européennes de droit. Au mieux, les premiers versements ne devraient pas avoir lieu avant la fin du premier trimestre 2021 et s’étaler sur six ans.

Pendant ce temps, l’écart entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud continue de se creuser inexorablement.

Les statistiques consolidées ne disent rien ou pas grand-chose de ces disparités. À la sortie du confinement, toutes les économies européennes ont vivement rebondi, portées par une reprise de la consommation et de l’activité, qui avaient été bridées par plusieurs mois de confinement. Au troisième trimestre, la France a enregistré une croissance de 18,2 % de son PIB, l’Espagne de 16,7 %, l’Italie de 16,1 %, l’Allemagne, qui avait subi un effondrement moindre au cours du premier semestre, de 8 %. « Une croissance historique », s’est félicitée l’Europe.

Mais, à y regarder de plus près, les différences n’ont fait que s’exacerber. L’activité industrielle s’est redressée, même si elle n’a pas retrouvé son niveau antérieur. Parce que le deuxième confinement a été allégé, que l’activité dans les usines a pu être maintenue à la différence du printemps, les entreprises continuent de travailler. En Allemagne, l’industrie affichait encore une croissance de 1,6 % en septembre.

Les services, en revanche, ne sont jamais parvenus à sortir la tête hors de l’eau. Des pans entiers des services, à commencer par le tourisme, les transports, l’hôtellerie et la restauration, les activités culturelles, subissant les restrictions imposées par les mesures sanitaires, n’ont pas compensé leurs pertes antérieures. Des activités qui pèsent particulièrement lourd dans les économies de l’Europe du Sud.

En Espagne, le secteur du tourisme, qui représente 12 % du PIB et 13 % des emplois, a enregistré une chute de 70 % de son chiffre d’affaires au cours des neuf premiers mois de l’année. Le secteur risque d’afficher des pertes de l’ordre de 100 milliards d’euros à la fin de l’année, selon l’association Exceltur, qui regroupe les principaux groupes touristiques espagnols. En Grèce, l’activité touristique (20 %), qui avait rapporté plus de 18 milliards d’euros au pays en 2019, devrait atteindre avec difficulté les 3 milliards d’euros en 2020, selon les prévisions de la Banque centrale grecque.

Or, ce sont à nouveau ces secteurs qui sont frappés les premiers par les mesures de fermeture, de couvre-feu, de confinement imposées dans toute l’Europe à partir de la mi-octobre. Comment croire que toutes ces activités, que ce soit les petits commerces, l’artisanat, les théâtres ou les cinémas, les soins à la personne ou les loisirs, sans réserve financière, déjà grevées de dettes et d’arriérés, pourront en réchapper ? Les rébellions, les contestations, les témoignages de désespoir qui ont accueilli ces nouvelles restrictions dans chaque pays donnent la réponse. Personne n’y croit.

Les plans sociaux spectaculaires qui s’empilent depuis le printemps, les appels à l’aide de secteurs entiers, à commencer par l’aérien ou la restauration, les 15,6 millions de personnes au chômage en Europe, selon les statistiques officielles, la montée de la précarité et de la pauvreté ne sont que la partie émergée des drames économiques et sociaux qui se jouent actuellement. Car, pour l’instant, une grande partie de l’économie est placée sous assistance respiratoire financière, grâce aux prêts garantis par les États, aux aides, aux reports de charges fiscales et de loyers.

Cela permet d’assurer la survie, mais, pour une partie de ces acteurs économiques, une survie artificielle. Nombre d’entreprises, de commerces sont menacés de devenir des entreprises « zombies », c’est-à-dire sans réelle activité économique, survivant par le biais des aides et des prêts.

« Chacun se dit qu’il faut essayer tenir, coûte que coûte. Les prêts bancaires, les factures auprès des fournisseurs, les arriérés de loyer sont suspendus. L’incertitude sur l’avenir, sur la durée de cette crise, complique encore le problème. Puis, un moment, certains ne pourront plus faire face. Les pertes vont arriver avec retard, dans un an, un an et demi peut-être. On sous-estime le mécanisme de propagation de cette crise. Car les fournisseurs, les sociétés immobilières, les banques risquent d’être à leur tour touchés. Cet effet retard n’a toujours pas été mesuré », s’inquiète David Cayla, professeur d’économie à l’université d’Angers et auteur d’un nouveau livre, Populisme et néolibéralisme (Deboeck supérieur). Son analyse porte sur la situation en France. Mais une grande partie du constat qu’il dresse peut être généralisée au reste de l’Europe.

Le déni le plus flagrant est dans le monde bancaire. Au troisième trimestre, les grandes banques européennes ont toutes présenté des résultats en hausse. Euphorisées par les marchés en hausse permanente et l’argent gratuit des banques centrales, rendues optimistes par le rebond des économies européennes à la sortie du premier confinement, toutes ont décidé que la crise était achevée : elles ont diminué les provisions sur les risques d’impayés et les créances douteuses. Ne doutant pas une seconde de l’avenir, certaines, à l’instar de la banque italienne UniCredit, se sont même aventurées à avancer des prévisions de résultat pour 2021. Avec un objectif : convaincre les régulateurs européens qu’elles étaient en situation de reprendre le paiement de leurs dividendes, après avoir été forcées par la BCE de les suspendre en avril.

Mais leurs arguments n’ont pas convaincu. Au lendemain de cette série de résultats, les régulateurs européens se sont fendus d’un avertissement à toutes les banques du continent, leur demandant de ne pas céder à la complaisance et de renforcer encore leur bilan. « Les prévisions macroéconomiques sont incertaines et nous ne pouvons pas exclure une très faible reprise avec une augmentation significative des créances douteuses », a prévenu Andrea Enria, responsable de la supervision bancaire à la BCE. Selon le scénario le plus pessimiste du moment de la Banque centrale, les mauvaises créances et les impayés dans les bilans bancaires pourraient atteindre jusqu’à 1 400 milliards d’euros. Face à de tels montants, tout le système bancaire est susceptible de se retrouver sous tension. Ou pire encore.

Mais ces montants ne sont rien par rapport à la destruction économique et sociale qui menace l’ensemble du continent. Des pans entiers d’activités risquent de s’effondrer. La mise à mal des organisations économiques, des capacités de production, des savoir-faire, mais aussi des activités culturelles, de tout ce qui crée les liens dans la société, pourrait laisser des traces indélébiles pendant des années, préviennent des économistes. « Cette crise remet en cause nos économies, nos institutions, notre cohésion sociale. C’est le moment où il faut repenser tout, comment nous réorganiser pour sauver tout le monde, pour sauver la démocratie », dit Aurore Lalucq.

Pour l’instant, les responsables européens n’en prennent pas le chemin, préférant prendre la voie du court-termisme, en attendant que les choses reprennent leur « cours normal ».

Source : Blog Mediapart de Martine Orange via ESSF

Source https://www.cadtm.org/Corona-Crise-Europe-l-illusion-d-un-retour-a-la-normale-apres-le-Covid

Chassez le libéral, il revient au galop

par Jean-Marie Harribey

L’idée que l’État devra rembourser sa dette est erronée.

Pendant le premier confinement, les sirènes néolibérales s’étaient, sinon tues, du moins mises en sourdine. L’intervention de l’État pour sauver l’économie paralysée, les salaires des travailleurs confinés pris en charge collectivement, la dette publique portée à 120 % du PIB, tout cela était jugé nécessaire. Et, suprême accroc à l’orthodoxie monétaire, la BCE rachetait sans fin des titres de la dette publique. Pire encore, l’idée qu’elle pourrait financer directement les dépenses publiques liées à la crise sanitaire, à l’instar de la Banque d’Angleterre, devenait audible. Le tabou de la monétisation des dépenses publiques était bousculé.

Las ! Ça n’a pas duré. Avec le deuxième confinement, le retour à l’ordre s’est organisé, orchestré autour de deux cibles essentielles. La première est l’exigence de rembourser la dette. Avec des arguments erronés. Nous laisserions une dette à nos enfants. Or nous leur transmettons un actif matériel et culturel (infrastructures, systèmes éducatif et de santé). Les titres de dette sont simultanément des titres de créances et l’important est que la dépense publique soit un investissement utile et que la fiscalité soit juste pour que, s’il y a remboursement, il ne soit pas acquitté par les pauvres pour les riches. Mais l’État n’ayant pas d’horizon fini, il ne rembourse en fait jamais sa dette, il la renouvelle et paie des intérêts qui doivent être le plus bas possible, ce qui est le cas aujourd’hui.

La seconde cible est le rôle de la banque centrale. Les sirènes chantent trois couplets délirants.

Le grossissement du passif de la BCE au fur et à mesure qu’elle rachète des titres l’endetterait auprès des banques et des ménages. Faux : en rachetant des titres aux banques, la BCE ne leur emprunte rien, elle crée potentiellement de la monnaie qui augmente les réserves des banques ; quant aux ménages, aucun ne détient de créance sur la BCE. Au fond, c’est croire qu’il faut un stock de dépôts préalablement à la création de monnaie.

Une banque centrale qui achèterait trop de titres verrait sa rentabilité s’éroder et devrait être recapitalisée. C’est confondre une banque centrale et une banque ordinaire. La première possède, par délégation de la souveraineté politique, le pouvoir d’émettre la monnaie ultime, celle dans laquelle elle refinance les banques ordinaires. Aucune contrainte de capital ni de rentabilité ne pèse sur elle. La « planche à billets » serait inflationniste ? Impossible en situation de sous-emploi et avec de tels besoins sociaux à satisfaire.

Enfin, si la banque centrale créait de la monnaie à taux zéro pour l’État, celui-ci ne recevrait plus de profits de sa part en tant que propriétaire. Et alors ? Aucune importance puisque l’idée est de se libérer de l’emprise des marchés financiers.

Pourquoi cette discussion théorique est-elle cruciale sur le plan pratique ? Quand la course au vaccin contre le Covid-19 est lancée, il faut réaffirmer les principes qu’il soit un bien public mondial, dit aussi bien commun, dont le prix reflète le coût et non des dividendes, et qu’il y ait une recherche publique qui puisse se reposer sur la maîtrise collective de la monnaie et de sa création (1).

(1) Voir La monnaie, un enjeu politique__, J.-M. Harribey, E. Jeffers, J. Marie, D. Plihon, J.-F. Ponsot_,_ Seuil, 2018 ; J.-M. Harribey, E. Jeffers, P. Khalfa, D. Plihon, « Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est », 4 juin 2020, blog Attac France, blogs.mediapart.fr

Source https://www.politis.fr/articles/2020/11/chassez-le-liberal-il-revient-au-galop-42569/


Communiqué du dispensaire social métropolitain d’Elliviko

Le dispensaire d’Elliniko avait été expulsé pour construire à sa place casino, palaces et maisons de jeux. Il vient de rouvrir, accueilli par la municipalité de Glyfada.
A peine installé il reprend la lutte et voici son premier communiqué de presse :

Communiqué. LE SYSTÈME PUBLIC DE SANTÉ GREC VA S’EFFONDRER
 Dispensaire Social Métropolitain d’Elliniko (MKIE).
Communiqué de presse du 11 novembre 2020

Depuis début octobre notre pays revit le cauchemar de la pandémie qui prend cette fois  une importance particulièrement menaçante avec des dizaines de morts, un nombre à trois chiffres d’intubations et des milliers de contaminations chaque jour.

Alors que les scientifiques avertissaient de la tempête imminente, nous, citoyens, avons connu l’absence de prévention avec des moyens de transport bondés tous les jours, des classes surpeuplées dans les écoles et une mauvaise gestion du tourisme.

Nous avons constaté que la manière envisagée de faire face à la pandémie était essentiellement d’en transférer à nouveau la responsabilité exclusivement aux citoyens. Cela s’est traduit au départ par la prise de mesures ponctuelles et locales pour aboutir finalement à l’imposition d’un second confinement général.

Au-delà des conséquences sociales et économiques désastreuses, cette situation a mis une fois de plus en évidence l’ampleur des insuffisances du système de santé publique et de la protection inadéquate du pays en termes de personnel de santé, d’infrastructures et de planification.

Il est tragique d’attendre l’éclatement de la pandémie pour annoncer l’embauche de médecins en soins intensifs, de dépouiller des structures de soins primaires de santé pour combler les postes vacants dans les hôpitaux (au lieu d’embaucher du personnel permanent), d’assurer les permanences dans un grand hôpital (CHU, Thessalonique) sans lit disponible dans l’Unité de Soins Intensifs ou d’épuiser le personnel médical et infirmier par des gardes continuelles avec risque de burn-out et d’effondrement du système.

 Dans le même temps, le gouvernement tente de couvrir les carences de lits des Unités de Soins Intensifs par des contrats coûteux payés à des cliniques privées et laisse les citoyens à la merci de la spéculation de centres de diagnostics qui ont des tests de dépistage de virus aux prix surévalués.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les problèmes mis en évidence par les médecins responsables qui ont affaire à des malades liés au Covid-19 et à d’autres patients. A savoir la réduction de 80% des interventions chirurgicales qui entraîne une augmentation de l’attente déjà trop longue, et se traduit par des complications fatales et le développement des maladies.  C’est aussi un fardeau supplémentaire pour les patients ayant par exemple une crise cardiaque ou un AVC en raison des difficultés de prise en charge dues à la fermeture d’hôpitaux.

Le MKIE (Dispensaire Social Métropolitain d’Elliniko) signalait dès le mois d’avril les priorités urgentes pour faire face à la pandémie et soulignait :  » maintenant que nous avons gagné du temps il est impératif  de développer le système de santé publique du premier degré « .

C’est le contraire que nous avons découvert et nous sommes étonnés que l’avant-projet de budget 2021 prévoie une réduction des dépenses de 31 millions d’euros pour les hôpitaux et les soins de santé du premier degré.

Les dépenses pour le recrutement de 4 000 agents de santé annoncées par le Premier ministre à la Foire Internationale de Thessalonique n’ont pas été enregistrées. Cela alors que les Soins de Santé du premier degré en Grèce sont au dernier rang des États européens et des pays comme l’Espagne et l’Italie. Des problèmes financiers aussi énormes plombent tout le secteur de la santé d’une quantité de milliards d’euros supplémentaires.

Voilà pourquoi nous appelons maintenant à un renforcement et un soutien substantiels du Système Public de Santé à tous les niveaux quantitativement et qualitativement avec
§ l’augmentation des crédits du budget de la santé publique
§ le recrutement de personnel médical et infirmier permanent pour combler les postes vacants dans les services de santé et de soins de santé primaires et secondaires
 § la création de lits pour les Unités de Soins Intensifs dans les hôpitaux publics, et dotation en personnel

Le MKIE, dispensaire autogéré, qui dispense gratuitement soins et médicaments,  proche de ses patients et de la société grecque, continuera de lutter, avec le même engagement envers ses principes et son but, pour un Système Public de Santé moderne et efficace, doté de tous les moyens nécessaires.

Traduction Solidarité Grèce 67

 Dispensaire Social Métropolitain d’Elliniko
Tsitsanis et Karaïskakis 34
Glyfada, ΤΚ 16675
http://www.mkiellinikou.org
Email: mkiellinikou@gmail.com

Source Les dispensaires autogérés grecs KIF

Réforme des retraites Une provocation pendant le confinement

URGENT. Le Sénat remet la réforme des retraites à l’ordre du jour par un amendement surprise

Ce samedi 14 novembre à 19h, le Sénat a imposé le retour à des concertations sur la réforme des retraites majoritairement rejetée par la population et par une mobilisation historique notamment des grévistes de la RATP et de la SNCF. C’est lors du vote sur le budget de la Sécurité sociale pour 2021 qu’un amendement surprise intégrant cette réforme des retraites a été voté par les sénateurs de droite, majoritaires au Sénat.

Crédits photos Laurence Cohen.

« Budget de la sécurité sociale : à 19h la majorité de droite du sénat fait rentrer par un amendement la réforme des retraites rejetée par les Français : report de l’âge de départ et allonger la durée des cotisations. Très choquant en pleine crise », explique Laurence Cohen sénatrice PCF.

Comme le relate Public Sénat, « le Sénat a décidé, en séance, de réactiver la conférence de financement sur l’équilibre et le financement des retraites, suspendue au printemps dernier, que le gouvernement souhaitait en parallèle de sa réforme sur un système universel. En cas d’échec de cette conférence des partenaires à formuler des propositions, le rapporteur LR pour la branche vieillesse, René-Paul Savary, a fait adopter par l’hémicycle ses propres remèdes. Tout en concédant que ses amendements n’avaient aucune chance de survivre à la navette parlementaire. »

Le site d’information officiel du Sénat ajoute : « Selon ses pistes, il s’agirait à la fois de repousser progressivement l’âge légal de départ à la retraite jusqu’à 63 ans en 2025. Mais aussi d’accélérer l’allongement de la durée de cotisations pour atteindre 43 annuités dès la génération 1965. »

L’amendement a été voté par les seuls groupes LR et Union centriste (200 voix pour) selon Public Sénat. « Les groupes de gauche et les sénateurs LREM ont voté contre (118 voix) », tandis que le groupe écologiste n’a pas pris part au vote.

Nous relayons ci-dessous le post de Nantes Révoltés qui récapitule les évènements.

🔨LA RÉFORME DES RETRAITES IMPOSÉE PAR SURPRISE AU SÉNAT

- Les casseurs sont au pouvoir-

Lors du vote sur le budget de la sécurité sociale pour 2021, ce samedi 14 novembre à 19H, les sénateurs droite, majoritaires au sénat et estimant que Macron ne va pas assez vite, ont fait rentrer par un amendement de dernière minute la réforme des retraites massivement rejetée par les Français :

➡️ Report de l’âge de départ à 63 ans
➡️ Allongement de la durée des cotisations à 43 annuités
➡️ Attaque contre les régimes protecteurs
➡️ Etc …

Une véritable provocation en plein confinement, alors que la liberté de contester est drastiquement réduite, et que la crise sanitaire engendre une crise sociale catastrophique. Une provocation également, car cette réforme avait mis des millions de personnes dans les rues, suscité des mois de grève, et était contestée par l’immense majorité de la population. C’est une accélération : après ce coup de force, il ne reste plus qu’un vote à l’Assemblée avec la majorité En Marche/Le Républicains pour faire passer définitivement la casse des retraites.

Source https://www.revolutionpermanente.fr/URGENT-Le-Senat-remet-la-reforme-des-retraites-a-l-ordre-du-jour-par-un-amendement-surprise

 


Accord de libre-échange : grâce à la mobilisation, une première victoire

par Maxime Combes

Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté. Le 9 novembre, sous la pression de l’opinion publique, les ministres des 27 États-membres n’ont pas pu avaliser le projet entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Une première victoire qui peut en amener d’autres, selon Maxime Combes, chroniqueur de Basta !.

Le lundi 9 novembre aurait dû marquer l’ouverture du processus de ratification de l’accord de libéralisation entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Cela n’a pas été le cas. La mobilisation citoyenne et le rejet toujours plus massif de ces accords visant à approfondir la mondialisation néolibérale et productiviste ont empêché dans l’immédiat la Commission européenne et les lobbys économiques européens de parvenir à leurs fins. C’est une victoire, certes partielle et non définitive, comme il y en a peu.

Opacité des négociations

Rembobinons le film. Cela fait 20 ans que les négociations pour un accord d’association entre l’UE et le Mercosur sont sur les rails. En 1999, date où la Commission européenne obtient des États-membres de l’UE mandat de négocier, près de 70 % du commerce mondial était l’apanage des États-Unis, de l’UE, du Japon et du Canada. La Chine, le Brésil ou l’Inde n’étaient pas encore des puissances mondiales. La crise climatique, l’effondrement de la biodiversité ou l’aggravation des inégalités mondiales passaient sous le radar médiatique d’une période où les élites nous promettaient une « mondialisation heureuse » (selon le titre du livre d’Alain Minc publié en 1997).

Interrompues à de multiples reprises, ces négociations ont été marquées d’une grande opacité. Il a fallu attendre que ce soit la société civile qui rende public en 2019 le mandat de négociation avec lequel la Commission négocie. Il ignore allègrement le défi climatique et fleure bon les réflexes néolibéraux pavloviens des années 1990. Quant à l’étude d’impact commandée par la Commission, de médiocre qualité, elle n’a été rendue publique qu’une fois les négociations finalisées alors qu’elle est supposée éclairer le débat public et les négociateurs.

« Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté »

C’est en juin 2019 que la Commission a annoncé que l’essentiel du contenu de l’accord était finalisé. La quasi-totalité des gouvernements européens ont alors salué un « bon accord commercial, bon pour nos entreprises et nos emplois », selon les mots d’Emmanuel Macron [1]. L’histoire semblait alors écrite : écologistes et altermondialistes allaient critiquer l’accord, mais la Commission et les États-membres tiendraient bon et l’accord serait ratifié rapidement, créant un vaste marché entre deux blocs régionaux qui représentent un quart du PIB mondial et près de 775 millions d’habitants.

Mais rien ne s’est passé comme prévu. Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté : selon un sondage publié le 10 septembre 2020, et réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne), près de 80 % des personnes interrogées souhaitent que cet accord soit abandonné [2]. Depuis juin 2019, on ne compte plus les chefs d’État européens et membres de gouvernements, Emmanuel Macron en tête, obligés de prendre leurs distances.

Une majorité de citoyens aspire à des formes de relocalisation des activités économiques et d’autonomie alimentaire

Vendre des voitures pour importer plus de viande ne fait plus recette . Déstabilisation des marchés agricoles, destruction d’emplois dans les secteurs industriels, aggravation des dérèglements climatiques et pollution aux pesticides, droits humains sacrifiés, multinationales s’arrogeant de nouveaux marchés au détriment des entreprises locales, les critiques documentées ne manquent pas [3]. Elles ont rendu cet accord toxique et anachronique.

La multiplication des violations des droits humains et des feux de forêts depuis l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil et la pandémie de Covid-19 ont aussi contribué à amplifier cette lame de fond. L’opinion publique semble avoir massivement basculé sur tous ces sujets : il y a désormais 8 à 9 sondés sur 10 qui aspirent à des formes de relocalisation des activités économiques et d’autonomie alimentaire pour ne plus dépendre des marchés mondiaux.

La Commission européenne avait pourtant bon espoir de passer outre. Le 6 juillet dernier, elle indiquait avoir « terminé le nettoyage juridique » du texte et entamé sa traduction afin que la phase de ratification puisse débuter à l’automne. L’Allemagne avait d’ailleurs fait de la ratification de cet accord une priorité de la présidence de l’UE qu’elle exerce pour six mois depuis le 1er juillet.

Mais lors du Conseil de l’UE des ministres des Affaires étrangères consacré aux affaires commerciales de ce lundi 9 novembre, les ministres des 27 États-membres ne vont pas pouvoir avaliser ce projet d’accord et le transmettre pour ratification au Parlement européen. Celui-ci vient d’ailleurs de voter contre « sa ratification en l’état », un vote indicatif qui s’ajoute à ceux de plusieurs Parlements nationaux (Autriche, Pays-Bas, Irlande, Wallonie).

Engager les collectivités territoriales dans la bataille

Ne nous y trompons pas : que les États-membres de l’UE ne puissent avaliser 20 ans de négociations menées par la Commission est une victoire. Les arguments du mouvement altermondialiste et pour la justice climatique ont marqué les esprits : l’heure n’est plus celle d’une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et aux droits des populations.

Certes, la Commission européenne et les ministres du Commerce des États-membres de l’UE, qui ne veulent pas « jeter à la poubelle 10 ans de travail », s’activent pour sauver ce projet d’accord : vont-ils chercher à le compléter d’un protocole additionnel ou d’une déclaration interprétative, comme ce fut le cas pour le CETA sans que cela ne change la nature de l’accord ? Sans doute. Mais de telles difficultés illustrent les contradictions dans lesquelles ils sont en train de se débattre.

Il est donc de notre responsabilité collective de ne rien lâcher et d’appuyer les initiatives en cours pour interpeller Emmanuel Macron et le gouvernement [4] et pour engager les collectivités territoriales dans la bataille en leur proposant de voter une résolution disant : « Non à l’accord UE-Mercosur – Oui à la Relocalisation écologique et solidaire » [5]. Pour que cette première victoire en amène d’autres.

Maxime Combes, économiste, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec, et porte-parole d’Attac

- Cette chronique a initialement été publiée dans Politis, la semaine du 2 novembre 2020, et actualisée par la rédaction de Basta !, en accord avec son auteur.

Photo : CC Rock Cohen

Source https://www.bastamag.net/Accord-libre-echange-liberalisation-commerce-UE-Mercosur-mobilisation-citoyenne-premiere-victoire-relocalisation

Le système de santé malade du Covid-19 ou du capital (2/2) ?

par

Contretemps publie la deuxième partie de cette analyse approfondie dans laquelle Nicolas Da Silva revient sur la situation du système de santé face à la crise du coronavirus, ainsi que sur les luttes des soignant-e-s pour le défendre (en particulier la lutte historique commencée en 2019). On pourra lire ou relire la première partie de ce texte ici.

Nicolas Da Silva est maître de conférences en économie à l’Université Paris 13

Seconde partie : Les échecs du capitalisme sanitaire face à la pandémie

Dans la première partie de ce texte, l’analyse historique du système de santé en France a permis de mettre trois principaux résultats en évidence :

1. La sécurité sociale est une institution politique issue de conflits non institutionnalisés. En ce sens tous les débats techniques sont importants mais sans commune mesure avec la question politique du « qui décide » de la façon dont la société s’organise pour produire de la santé. L’avènement de la sécurité sociale n’a pas été d’abord le fruit de conflits institutionnalisés mais celui d’actions illégales en rupture avec l’ordre établi.

2. L’histoire du système de santé en France depuis 1945/6 peut se lire comme celle de la réappropriation de la sécurité sociale par l’État. L’État social s’oppose à la sécurité sociale et organise les soins en s’appuyant sur le capital. Cela se traduit par la bureaucratisation, la marchandisation et la persistance de fortes inégalités. L’opposition pertinente n’est pas marché versus État mais sécurité sociale versus capitalisme sanitaire, entendu comme le couple État/marché.

3. Dès lors on peut s’attendre à ce que toute amélioration substantielle de la situation du système de santé provienne d’une lutte non institutionnalisée contre l’État et le capital (résistance) et/ou d’un évènement majeur imposant à l’État d’activer sa main gauche pour rester hégémonique (comme une guerre qui a permis de développer l’État social).

Dans cette seconde partie, l’objectif est d’analyser la crise sanitaire que l’on vit actuellement à partir de ce cadre théorique. Il faut néanmoins commencer ce travail par un retour en arrière d’un an avant le début de la pandémie, lorsqu’en mars 2019 commence l’un des plus grands mouvements de contestation à l’intérieur de l’hôpital public. Ce texte cherche à souligner trois points importants :

1. Malgré son caractère historique, la lutte entamée 2019 n’a pas imposé à l’État de prendre des mesures significatives d’amélioration du système de santé alors que la pandémie, associée à un état de guerre, l’a contraint à le faire – même si les mesures prises pendant la pandémie demeurent faibles au regard des besoins exprimés. Il est probable que cet échec du mouvement social soit lié à son répertoire d’action, complètement institutionnalisé (grève, manifestation, pétitions, actions symboliques, etc.).

2. La gestion de la pandémie par l’État a été particulièrement mauvaise, que l’on parle des mesures d’anticipation de la pandémie ou de la réaction une fois que celle-ci s’est développée sur le territoire. La médiocrité de la réponse s’explique probablement par la fusion du couple État-capital : d’un côté, les bureaucraties sanitaires ont été incapables de prendre des décisions claires et efficaces, de l’autre côté, le capital n’a jamais été mis à contribution. Alors que l’État aurait pu se servir des outils de l’économie de guerre (nationalisations, réquisitions, etc.), il a préféré la guerre sociale. Cela est d’autant plus dommageable qu’après l’accalmie de la pandémie au cœur de l’été, il semble que l’impréparation reste grande pour le regain de l’automne. Sans parler de l’hiver à venir.

3. La pandémie a eu des effets différenciés en frappant, en plus des professionnels de santé eux-mêmes, les plus pauvres qui sont en réalité les plus exploités dans le mode de production capitaliste. La réponse à la pandémie a donc bien été une réponse de classe puisqu’elle a protégé le capital, jamais mis à contribution, et elle a envoyé en première ligne les personnes les moins en mesure de s’opposer aux injonctions du capital et de l’État.

D’un point de vue méthodologique il faut absolument noter en quoi cette seconde partie de notre article s’oppose à la première. Alors que la première partie s’appuie sur de nombreux articles et livres ayant été discutés dans la communauté scientifique, cette seconde partie s’appuie principalement sur le recueil d’informations parues dans la presse depuis deux ans. La crise a permis de mesurer à quel point, le temps académique ne se recoupe pas avec le temps de l’action politique. Il faudra des années de recherche pour confirmer ou infirmer les hypothèses avancées ici et c’est tout à fait naturel.

Dans la première section, je propose de rappeler les enjeux et les résultats de la lutte historique de 2019 entamée par des paramédicaux dans services d’urgences d’hôpitaux publics. Après plus d’un an de lutte, ils n’ont pas obtenu un euro de plus pour l’hôpital public. Dans la deuxième section, il s’agira de lister les raisons expliquant l’impréparation face à la pandémie alors que des nombreuses institutions nationales et internationales préviennent depuis des années de l’augmentation du niveau de risque. La troisième partie, la plus longue, est consacrée à l’analyse de l’échec massif de l’État et de ses alliés marchands dans la gestion de la pandémie. La section 4 montre en quoi le covid-19, comme d’autres maladies, exacerbe les inégalités et concerne avant tout les plus exploités. Dans la section 5, je propose de montrer en quoi le « plan massif » promis par le président Emmanuel Macron le 25 mars est en réalité introuvable en dépit des annonces, notamment celles du Ségur de la santé. Les problématiques posées par les professionnels mécontents en 2019 n’ont toujours pas de réponse fin 2020. La conclusion proposera quelques pistes pour penser des formes d’action plus susceptibles d’imposer le réinvestissement dans la sécurité sociale, contre le capitalisme sanitaire.

Un an d’une lutte historique, pas un euro de plus pour l’hôpital

La pandémie du covid-19 se déploie en France à un moment de haute conflictualité sociale. Les deux phénomènes doivent être articulés. Si l’on peut se passer d’une analyse détaillée du mouvement des gilets jaunes et de celui contre la réforme des systèmes de retraite, il est nécessaire de se rappeler que la crise sanitaire s’installe presque un an après le début de l’un des plus grands mouvements sociaux qu’ait connu le système de santé, et, plus particulièrement, l’hôpital public.

Les tensions sociales sont nombreuses depuis des années à l’hôpital public. Les coupes budgétaires, les réorganisations, les fermetures de lits, le manque d’effectif, la difficulté à embaucher, la faiblesse des salaires, etc. incitent ceux qui le peuvent à partir dans le privé et accroissent la pression sur ceux qui restent. Cette situation n’est pas homogène entre hôpitaux et entre services, certains souffrent plus que d’autres. Les services des urgences sont parmi les plus touchés par la politique budgétaire restrictive. Tandis que le nombre de passages aux urgences a doublé au cours des vingt dernières années, le nombre de lit a baissé de 67 000 entre 2003 et 2016. L’activité des hôpitaux a cru de 11% mais l’emploi que de 4% (Juven et al., 2019).

Malgré les mobilisations éparses et l’abondance de documentation attestant d’un sous-financement de l’hôpital public, la politique du gouvernement d’Emmanuel Macron reste dans les pas de celles de ses prédécesseurs. Le 5 avril 2018, alors qu’il est en visite au CHU de Rouen, le président de la République répond à une aide-soignante qui l’interpelle sur le manque de moyen pour travailler convenablement : « A la fin c’est vous qui les payez aussi, vous savez. Il n’y a pas d’argent magique. Un pays qui n’a jamais baissé son déficit public et qui va vers les 100% de dette rapportée à son produit intérieur brut… c’est vos enfants qui le payent quand ce n’est pas vous »[1]. Autrement dit, il n’y aura pas, car ce n’est pas nécessaire et c’est dangereux financièrement, d’augmentation significative du budget pour l’hôpital public.

Entre temps le président est rattrapé par le mouvement des gilets jaunes qui débute le 17 novembre 2018. Un des aspects importants de ce mouvement est le sentiment d’abandon de certaines zones du territoire où les services publics viennent à manquer. Les uns après les autres les services d’hôpitaux ferment sans qu’il n’y ait d’alternative viable en ambulatoire. Non seulement, cela accroît la distance spatiale et financière aux soins mais aussi cela peut avoir des conséquences dramatiques d’un point de vue sanitaire. Le cas de la maternité de Die (Drôme) a donné une audience glaçante à cette réalité. Le 18 février 2019, un an après la fermeture de la maternité, une femme perdait son enfant in utero parce qu’elle n’a pas pu rejoindre la maternité de Montélimar à temps[2]. Ce cas n’est pas isolé et la problématique a donné lieu à une importante activité militante, comme par exemple avec la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité[3].

Si la tension sociale est forte depuis de nombreuses années à l’hôpital public, ce n’est qu’au début de l’année 2019 que va se produire l’étincelle à l’origine d’une des plus longues luttes de son histoire. Le 13 janvier deux infirmières et une aide-soignante ont été agressées dans le service d’urgence de l’hôpital Saint-Antoine à Paris[4]. Ces évènements ont conduit à la constitution d’un réseau informel de professionnels visant à partager les difficultés rencontrées au travail, la question de l’insécurité étant un aspect parmi d’autres des conditions de travail[5]. Les difficultés s’accumulant, le 18 mars la CGT, FO et Sud appellent à une grève illimitée du personnel travaillant au service d’urgence de Saint-Antoine. Les revendications portent sur l’amélioration des conditions de travail et l’augmentation des salaires. Très rapidement des services d’urgences d’autres hôpitaux rejoignent la lutte et créent, en dehors des syndicats, le collectif inter-urgence[6]. Composé de personnel paramédical, le collectif vise à défendre « l’amélioration des conditions de travail et d’accueil au sein des structures d’urgences. » Le collectif demande l’accroissement des effectifs, notamment par la pérennisation des emplois précaires, mais aussi l’augmentation du point d’indice de 80 points pour tous les paramédicaux, correspondant à 300 € net. L’accent sur le point d’indice (et non des primes) est important du fait des droits associés (en particulier la retraite). Le chiffre 300 € net correspond, pour les infirmiers, à l’augmentation minimum permettant d’attendre la moyenne du salaire infirmier européen.

La première annonce du gouvernement pour éteindre le feu des revendications ne vient pas du ministère de la santé mais des résultats du « Grand Débat » rendus publics le 6 mai 2019. Parmi les mesures destinées à répondre aux gilets jaunes, une d’entre elles porte sur l’hôpital : « Pas de fermeture d’école ou d’hôpital jusqu’à la fin du quinquennat, sans l’accord du maire »[7]. Cette formulation laisse donc ouverte la possibilité de fermer de hôpitaux (avec l’accord du maire), des services d’hôpitaux et des lits (sans l’accord du maire), ce qui a effectivement continué à se dérouler, accroissant par là même les tensions déjà vives chez les professionnels.

Tandis que le nombre de service d’urgence en grève croît régulièrement, les urgentistes doivent attendre le 14 juin 2019 pour obtenir la deuxième annonce du gouvernement. La ministre de la santé Agnès Buzyn lance une « mission nationale de refondation des urgences »[8] dont le budget provisoire s’élève à 70 millions d’euros. Cette somme doit servir en priorité à verser une prime de 100 € net pour les professionnels des services d’urgence (hors médecins), soit 30 000 personnes et 55 millions d’euros. Les 15 millions d’euros restant sont destinés à augmenter les effectifs. La politique de la prime est loin de satisfaire les revendications et le mouvement progresse à l’approche de l’été. Une manifestation nationale a lieu le 16 juin 2019[9], l’inter-urgence annonce 154 services d’urgences en grève le 2 juillet[10], 217 le 21 aout[11].

Lors de la présentation du projet de loi de finance de la sécurité sociale le 10 septembre 2019, la ministre annonce un « Pacte de refondation des urgences » estimé à 600 millions d’euros ainsi qu’une hausse des rémunérations du même montant[12]. Ces chiffres doivent être mis au regard du budget hospitalier : en 2018, la dépense hospitalière représentait 95,5 milliards d’euros (public et privé confondus). Le « Pacte de refondation » représentait donc à peine 1% du budget annuel hospitalier. Le trompe l’œil ne s’arrête pas là. Alors que le ministère communique sur les fonds nouveaux accordés aux urgences, l’ONDAM[13] exige plus d’1 milliard d’euros d’économie à l’hôpital[14]. Pour comprendre le tour de passe-passe, il faut s’arrêter sur le calcul de l’ONDAM. Tous les ans, le prix des biens et services médicaux augmente, ainsi que les salaires (du fait de l’ancienneté). Cela implique que pour le même niveau de production d’une année sur l’autre, il faut un budget en augmentation – liée à l’augmentation tendancielle des composantes du budget[15]. Pour le budget 2020, l’augmentation tendancielle à l’hôpital (pour rester au même niveau d’offre de soin) s’élevait à 3,3% mais l’ONDAM hospitalier voté par le parlement n’atteignait que 2,1%. L’augmentation du budget n’étant pas suffisante pour produire le même niveau de soin, l’hôpital doit rogner sur ses dépenses. Voilà au passage en quoi il n’est absolument pas contradictoire de voir des budgets publics augmenter et, en même temps, de voir les services concernés souffrir de l’austérité budgétaire. Au total, le « Pacte de refondation des urgences » était financé intégralement par des mesures d’économies : rien de plus pour l’hôpital !

Évidemment, les professionnels de santé ne sont plus dupes de ces artifices comptables après tant d’années d’austérité. Ce n’est pas parce que le budget augmente que ça va mieux ! En plus du collectif inter-urgence, d’autres collectifs se sont constitués entre temps : collectif inter-hôpitaux, blouses noires, collectifs inter bloc, etc.

Le collectif inter-hôpitaux[16], créé en septembre 2019, illustre l’élargissement du mouvement social, au-delà des services d’urgences, au-delà des paramédicaux. Ce collectif comprend des représentants des usagers, des paramédicaux, des personnels administratifs, des internes, des médecins titulaires, des étudiants, etc. Dans sa motion constitutive du 10 octobre, il demande une hausse de l’ONDAM d’au moins 4%[17], une hausse des salaires de 300€, la fin des fermetures de lits, l’embauche de personnel et l’intégration des usagers et soignants dans les décisions et projets de soins.

Le 14 novembre 2019 une marrée blanche dans la rue témoigne de la colère des professionnels non seulement face à leur situation mais aussi face à l’inadéquation des réponses du gouvernement[18]. En plus des différents collectifs de lutte, de nombreux syndicats répondent à l’appel : SNPI CFE-CGC, AMUF, APH, CFE CGC, CFDT, CGT, SUD, SN PHARE, UNSA.

Le même jour, soit un et demi après la déclaration sur l’absence d’argent magique, Emmanuel Macron reconnaît lors d’un déplacement à Épernay, que « la situation est encore plus grave que celle que nous avions analysée »[19]. Face à la gravité de la situation le premier ministre Édouard Philippe, accompagné d’Agnès Buzyn, annonce un « Plan d’urgence pour l’hôpital » le 20 novembre 2019[20]. Ce plan s’organise autour de trois mesures phares : une hausse du budget de l’hôpital de 1,5 milliards d’euros, une prime annuelle de 800 € net pour 40 000 infirmiers et aide soignants vivant à Paris et proche banlieue gagnant moins de 1 900 € par mois et, la reprise de 10 milliards de dette hospitalière (sur un total de 30 milliards).

Encore une fois, derrière le poids des mots se cache le choc de la réalité. La hausse de 1,5 milliards est lissée sur 3 ans, dont 300 millions en 2020. Au mieux, ces 300 millions viennent porter l’exigence d’économie présenté dans l’ONDAM de 1 à 0,7 milliards. Toujours rien de plus pour l’hôpital. Concernant l’augmentation des rémunérations, celle-ci est limitée géographiquement, elle est sous forme de prime et non de salaire (point d’indice) et elle est loin de la revendication de 300 € (66 € par mois). Enfin, l’annonce de reprise de la dette hospitalière relève de la stratégie du pompier pyromane : après avoir sous-financé l’hôpital public pendant des années, celui-ci a dû s’endetter pour faire face à ses obligations de soins. La reprise de la dette ne permet aucun investissement nouveau et le fardeau des intérêts de la dette est compensé par une conditionnalité mortifère : seuls les hôpitaux qui acceptent les plans de restructurations seront éligibles à la reprise de la dette[21].

Dans ces conditions, les professionnels de soins ont poursuivi les manifestations pendant l’hiver. Alors que commençait le 5 décembre le mouvement contre la réforme des retraites auquel certains collectifs et syndicats issus du monde de la santé ont participé, le 17 décembre les soignants étaient à nouveau massivement dans la rue[22]. En plus des manifestations et du fait de la difficulté à faire grève étant donné la spécificité de leur activité, les personnels hospitaliers en lutte se sont signalés par de nombreuses formes d’actions symboliques : plusieurs hôpitaux ont lancé un SOS sur la façade de leur établissement en jouant sur l’éclairage des fenêtres, le 7 janvier plus de 1000 médecins hospitaliers dont 600 chefs de services ont démissionné collectivement de leurs responsabilités administratives[23], des jetés de blouses blanches ont été organisé à l’occasion des vœux des différents institutions de santé, comme à l’hôpital Saint-Louis de Paris le 14 janvier pour les vœux du directeur d’hôpital[24], etc.

La détermination des personnels a été renforcée durant l’hiver par les défaillances de l’hôpital incapable de prendre en charge l’épidémie de bronchiolite chez les nouveaux nés[25]. Face à l’afflux de malades et à la pénurie de lits de réanimation pédiatrique, certains enfants d’Ile-de-France ont dû être transférés en province. Dans une tribune publiée par Libération, des parents d’enfants malades se sont indignés de la situation et ont demandé la réouverture de lits[26]. D’autres cas plus ponctuels montraient bien avant la pandémie de covid-19 les effets délétères de la politique d’austérité à l’hôpital public. Le 15 juin un homme est décédé dans le Maine sur le parking d’une clinique privé après ne pas avoir été pris en charge par le service des urgences du CHU d’Angers[27]. Un homme est de 86 ans est décédé à Brest le jeudi 5 décembre après avoir passé six heures sur un brancard[28]. Le 22 décembre 2019 une fillette de 11 ans est décédée à l’hôpital Necker suite à plusieurs passages aux urgences sans que son cas ne soit suffisamment pris au sérieux[29].

Le mouvement social à l’hôpital public s’est poursuivi en début d’année 2020, en se liant de plus en plus avec celui contre les réformes des retraites. Néanmoins, le 14 février, le service d’urgence de Saint-Antoine sort de la grève après 11 mois de combat. Si le protocole d’accord a été signé par la CFDT (favorable à la fin de la grève dès décembre) et par Sud santé, un communiqué du collectif inter-urgence précise que « La sortie de grève est […] davantage liée aux pressions exercées sur des équipes épuisées qu’à la satisfaction des besoins, et s’inscrit plus largement dans la volonté du gouvernement de laisser pourrir le conflit. Stratégie contestable sachant qu’en bout de course ce sont les usagers qui continuent d’en souffrir »[30].

Quinze jours plus tard, le gouvernement recensait le premier décès français du covid-19, un homme de 60 ans enseignant dans un collège de l’Oise[31].

Le mouvement social né en 2019 est historique par son ampleur dans l’histoire du système de santé et de l’hôpital public. Il est important de souligner que ce mouvement est né en dehors des institutions traditionnelles de lutte – les syndicats. Les syndicats ont pu soutenir le mouvement, l’aider à grandir mais c’est par des voies non institutionnalisées qu’il a émergé. Si ce mouvement a montré son originalité par la lutte, notamment en multipliant les actions symboliques, son répertoire d’action est resté dans le strict cadre syndical et légal (manifestation, grève, communication, actions symboliques, etc.). Au total, en dépit d’une expérience rare, il faut constater l’échec du mouvement en termes de capacité à tordre la volonté du gouvernement (voir la synthèse de l’encadré 1). En un an de mobilisation, pas un euro de plus n’a été octroyé à l’hôpital public, sauf à considérer la reprise de la dette conditionnée à des restructurations. Bien sûr le gouvernement a multiplié les déclarations solennelles mais, au final, il y a un grand écart entre les mots et les choses[32].

Encadré 1 : Synthèse des réponses gouvernementale à la crise de l’hôpital public (2019)

Première annonce : Grand débat (6 mai 2019) – aucune fermeture d’hôpital sans l’autorisation du maire. Pas de moratoire sur les fermetures de lits, de service ou d’hôpital.

Deuxième annonce : Mission nationale de refondation des urgences (14 juin 2019) – 70 millions d’euros pour des primes de 100 € mensuels et des recrutements, uniquement pour les services d’urgence.

Troisième annonce : Pacte de refondation des urgences (10 septembre 2019) – 600 millions d’euros, plus 600 millions de hausses de rémunérations. Parallèlement, l’ONDAM prévoit 1 milliards d’euros d’économie pour l’hôpital. Les fonds nouveaux pour les urgences sont autofinancés par des économies ailleurs dans l’hôpital.

Quatrième annonce : Plan d’urgence pour l’hôpital (20 novembre 2019) – 1,5 milliards sur 3 ans (300 millions pour 2020), une prime de 800 euros annuelle pour les paramédicaux de Paris et de proche banlieue gagnant moins de 1 900€, reprise de 10 milliards d’euros de dette sous conditions de restructuration. Cela porte les économies demandées à l’hôpital à 700 millions d’euros.

En un an de mobilisation, toutes les annonces sont autofinancées par les économies demandées à l’hôpital dans le cadre de l’ONDAM. Plutôt que de donner des moyens nouveaux à l’hôpital, les annonces ont opéré un transfert entre postes de dépense. Seule la reprise de la dette aurait pu donner des marges de manœuvre, mais celle-ci est conditionnée à des restructurations. Plutôt que de se restructurer en raison de l’obligation de rembourser la dette, les hôpitaux devront se restructurer sous l’autorité de l’État et de son bras armé, l’ARS.

Une pandémie loin d’être imprévisible

Le ciel nous serait-il tombé sur la tête ?

D’après plusieurs ex-ministres de la santé interrogés le 30 mars 2020 par Le quotidien du médecin, la pandémie du covid-19 était imprévisible et il serait inapproprié de critiquer l’action de l’État et de ses administrations. Selon Roselyne Bachelot, ministre de la santé entre 2007 et 2010, il était impossible de prévoir la catastrophe sanitaire : « Pas plus moi que d’autres n’avaient imaginé qu’on pourrait affronter une crise de cette violence, de cette ampleur. […] Comment voulez-vous anticiper une situation imprévisible ? On regarde ces choses-là déferler sur nous comme une sorte de tsunami. »[33] Même diagnostic pour Claude Evin, ministre de la santé entre 1988 et 1991 : « [Cette crise] est extraordinaire. On n’a jamais connu ce type de situation aussi bien à l’échelle mondiale que dans notre pays. Les crises sanitaires que nous avons connues étaient de moindre ampleur et nécessitaient des mesures moins complexes et moins fortes que celles que prennent les pouvoirs publics aujourd’hui. »[34] Lorsque le journaliste lui demande ce qu’il pense de la doctrine du gouvernement ou bien de la réaction de l’ARS Ile-de-France, qu’il a dirigée entre 2010 et 2015, l’ancien ministre répond qu’on « ne peut jamais se préparer réellement à une situation de ce type. » Marisol Touraine, ministre de la santé entre 2012 et 2017 est plus mesurée. Si elle concède que depuis « le SRAS en 2003, on redoutait un scénario comme celui-ci, et l’on s’y préparait », elle regrette que « certains cherchent à accuser les autres [par exemple sur] la polémique des masques, qui deviennent le symbole de ce que certains auraient fait ou pas fait »[35]. Pour Elisabeth Hubert, éphémère ministre de la santé en 1995, ceux qui prétendent que l’on aurait pu « imaginer une crise d’une telle ampleur […] sont des donneurs de leçons »[36].

Contrairement à ce que la solidarité entre anciens ministres de la santé laisse penser, le premier échec de la politique publique est de ne pas avoir pris les mesures nécessaires permettant de répondre à une pandémie que de nombreuses institutions nationales et internationales attendaient.

Chaque année l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie un rapport sur les risques sanitaires majeurs à venir ainsi que sur l’état de préparation ou d’impréparation des différents pays du monde. Dans le rapport de septembre 2019, l’OMS souligne combien le risque de pandémie mondiale croît chaque année[37]. Entre 2011 et 2018, l’institution a recensé 1 483 évènements épidémiques dans 172 pays (SRAS, MERS, Ebola, Zika, peste, fièvre jaune, etc.) ce qui serait annonciateur d’une nouvelle ère d’épidémies à fort impact (propagation rapide et gestion difficile). L’OMS écrit très clairement dans ce rapport comme dans d’autres que le risque pandémique mondial augmente (p. 15). Or, si les populations vivant dans les pays pauvres souffrent le plus de cette situation, toutes les économies y sont vulnérables. En 2003, le coût du SRAS a été évalué à 40 milliards de dollars (53 milliards pour Ebola entre 2014 et 2016 ; 45 à 55 milliards de dollars pour la grippe H1N1 en 2009). L’OMS rapporte également une étude de la Banque mondiale selon laquelle une épidémie semblable à la grippe espagnole de 1918 coûterait entre 50 et 80 millions de vies et 3 000 milliards de dollars (notamment du fait de l’impact sur le tourisme et le commerce). Malgré ces avertissements les auteurs du rapport estiment que le monde n’est pas prêt à faire face à ce type de pandémie – d’autant moins que la confiance dans les gouvernements, les médias et les scientifiques semble s’éroder.

Ces avertissements n’étant pas neufs, les institutions nationales ont depuis de nombreuses années réfléchi à cette problématique. Pour en rester aux années 2000, plusieurs rapports ont été publiés sur le risque pandémique, tant par des parlementaires que par des services de l’État (comme le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale)[38]. Devant la réalité du risque, ces rapports insistent tous sur la nécessité d’établir une doctrine efficace de protection en attendant que puisse être mis au point des stratégies médicales de soin (vaccins, médicaments). Le port d’un masque très protecteur (type FFP2) est alors plébiscité comme moyen de limiter le développement de la pandémie et il incombe à l’État de disposer à tout moment d’un stock suffisant.

La gestion de la crise H1N1 en 2009 modifie la doctrine. Roselyne Bachelot qui était ministre de la santé à l’époque a commandé massivement des vaccins et des masques pour se préparer à une éventuelle pandémie (pour un coût estimé à 1 milliards d’euros, dont 150 millions pour des masques). La crise sanitaire ayant été finalement assez modérée, elle a fait l’objet de critiques sur le montant dépensé qui ont ensuite justifié une évolution de la doctrine. Après 2009, l’État s’est désengagé de la constitution de stocks des produits de prévention (masques, médicaments, gants, etc.) qui repose désormais en priorité sur les employeurs privés et publics, notamment les hôpitaux qui souffrent parallèlement de contraintes budgétaires fortes et sont susceptibles d’arbitrages défavorables à la prévention.

Notons au passage que s’il a été effectivement reproché à Roselyne Bachelot d’avoir beaucoup, peut-être trop, dépensé à l’occasion de la grippe H1N1 en 2009, l’essentiel de la critique portait sur ses conflits d’intérêts avec l’industrie. La presse a fait état à son sujet d’une activité de lobbyiste pour l’industrie pharmaceutique au moins sur les périodes 1969-1976 et 1984-1989[39]. Selon le sénateur François Autain, médecin généraliste de profession, il aurait rencontré Roselyne Bachelot pour la première fois alors qu’elle travaillait pour Astra Zaneca qui, en 2009, faisait partie des plus importants vendeurs de vaccins contre la grippe H1N1. L’association pour une formation médicale indépendante, a rappelé à cette occasion qu’en 2009 la ministre avait répondu la chose suivante à un sénateur qui exigeait que, conformément à loi, soient publiés les liens d’intérêts des experts qui écrivent des rapports officiels : « C’est sous Staline que l’on dressait des listes »[40]. La question des conflits d’intérêt ne concernait pas que Roselyne Bachelot, c’est le moins que l’on puisse dire. Les frères de Nicolas Sarkozy étaient également très implantés dans le secteur de la santé et de la protection sociale[41]. Guillaume Sarkozy était délégué général du groupe Malakoff Mederic et au conseil d’administration de Korian (groupe privé à but lucratif prenant en charge dépendance). François Sarkozy était lui implanté dans le secteur pharmaceutique (BioAlliance et AEC Partners). Évidemment l’expérience de la grippe H1N1 a constitué un tournant dans l’anticipation des crises sanitaires, mais il n’y a pas de raison pour autant, sans réponses aux questions posées à l’époque, de réhabiliter Roselyne Bachelot[42].

Indépendamment des revirements stratégiques sur le plan national, depuis au moins trois décennies de nombreux chercheurs et journalistes travaillent sur les « virus émergents » et les conditions de leur émergence : changement climatique, urbanisation, condition animale, mais, à la manière des problématiques écologiques, cela n’a pas suffi à ce que les États se préparèrent à faire face[43]. Comme le souligne Alain Badiou, « le vrai nom de l’épidémie en cours devrait indiquer qu’elle relève en un sens du ‘rien de nouveau sous le ciel contemporain’. Ce vrai nom est SARS 2, soit « Severe Acute Respiratory Syndrom 2 », nomination qui inscrit en fait une identification « en second temps », après l’épidémie de SARS 1, qui s’était déployée dans le monde au printemps 2003. Cette maladie avait été nommée à l’époque ‘la première maladie inconnue du XXIe siècle’. Il est donc clair que l’épidémie actuelle n’est aucunement le surgissement de quelque chose de radicalement nouveau, ou d’inouï. »[44] Il faut en conséquence chercher au cœur de la logique « normale » du capitalisme sanitaire les raisons de l’impréparation à une pandémie loin d’être imprévisible.

L’échec massif de l’État et de ses alliés marchands

Dans cette section, je propose d’expliquer l’échec massif de l’État et de ses alliés marchands en montrant d’abord que celui-ci a refusé de voir la pandémie arriver puis il a refusé d’utiliser les outils de l’économie de guerre. Dans ce contexte, les bureaucraties sanitaires et le capital privé ont montré tous les deux leur incapacité à résoudre les problèmes posés. Face à cette situation, l’auto-organisation a permis de résoudre certaines défaillances de l’État et du marché.

1) De l’hésitation à voir l’épidémie au refus de l’économie de guerre

En début d’année 2020, l’État français a longtemps minimisé le risque pandémique alors que les institutions internationales et d’autres pays l’alertaient vigoureusement[45]. Dès le mois de décembre 2019 certains médecins chinois signalent l’apparition d’un nouveau virus potentiellement dangereux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est informée officiellement des évènements le 31 décembre. Des cas sont recensés rapidement en dehors de la province du Hubei mais aussi en dehors de Chine (Thaïlande, Japon, Corée du Sud, États-Unis, etc.). Le 24 janvier la ministre de la santé Agnès Buzyn déclare : « Le risque d’importation de cas depuis Wuhan est modéré, il est maintenant pratiquement nul puisque la ville, vous le savez, est isolée […]. Les risques de propagation dans la population sont très faibles »[46]. Quelques heures plus tard, trois premiers malades sont déclarés en France. Le 14 et le 26 février, les deux premiers morts sont recensés sur le sol français. Le 30 janvier l’OMS déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale, le 26 février elle annonce que plus de cas sur la journée sont déclarés hors de Chine qu’en Chine. Le 8 mars l’Italie enregistre 133 morts quotidien, 366 décès au total. Le 11 mars l’OMS classe l’épidémie de Covid-19 comme une pandémie[47].

En France, il a fallu attendre le 23 février pour que soit déclenché le premier stade du plan Orsan destiné à gérer les risques épidémiques[48][49]. A ce stade, le virus est considéré ne pas être en circulation générale dans la population. Les malades diagnostiqués sont invités à rester confinés chez eux. Le stade 2, déclenché le 29 février (100 cas diagnostiqués et 2 morts), prend acte de la circulation du virus et cherche à en contenir la propagation. La méthode consiste à confiner les foyers de contamination (cluster), par exemple en fermant ponctuellement des écoles et en interdisant des grands rassemblements (seuil national à 5 000 le 29 février, abaissé à 1000 le 9 mars). Le 6 mars le plan blanc est déclenché dans les hôpitaux. La situation se dégradant, le 11 mars les visites en EHPAD sont interdites, le 12 mars le président de la République annonce la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités. Les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits, le télétravail est fortement recommandé. Le 14 mars, avec 4 500 cas confirmés et 91 décès à l’hôpital, le stade trois est déclenché. Le virus est en circulation générale et l’objectif consiste à limiter les effets sur la population et sur le système de santé déjà en tension. Le 16 mars, à 20 heures, le président Emmanuel Macron déclare que la France est en guerre et annonce l’interdiction de déplacement pour toutes les activités non essentielles[50]. Le confinement durera 55 jours : du 17 mars au 11 mai 2020.

La lenteur du gouvernement à prendre acte de la gravité de la situation sanitaire peut s’expliquer par le fait qu’en janvier et février 2020 il était occupé à d’autres activités : la préparation des élections municipales prévues les 15 et 22 mars ainsi que la réforme des systèmes de retraite.

Concernant les municipales, le président de la République Emmanuel Macron craignait une lourde défaite électorale et réfléchissait précocement à un argumentaire pour la relativiser : « Les élections municipales ne sont pas une élection nationale. Je n’en tirerai pas de manière automatique des conséquences nationales »[51]. Un enjeu symbolique était le cas de la ville de Paris où Benjamin Griveaux était candidat. Cependant, le 14 février ce dernier a dû renoncer à sa candidature du fait de la diffusion de vidéos intimes remettant en cause son honneur[52]. Très rapidement, les bruits de couloir faisaient de la ministre de la santé Agnès Buzyn une piste pour prendre la relève. Le 14 février la ministre déclare qu’elle ne peut « pas être candidate aux municipales. […] J’ai beaucoup de réformes aujourd’hui dans le ministère et s’est rajouté un surcroît de travail inattendu, malheureusement, qui est cette crise du coronavirus qui aujourd’hui m’occupe énormément »[53]. Le 16 février la ministre annonce officiellement sa candidature à la mairie de Paris et le député de l’Isère Olivier Véran est nommé nouveau ministre de la santé. La passation de pouvoir à lieu le 17 février, en pleine épidémie du Covid-19. Ajoutant de la confusion à la confusion, une fois candidate aux municipales, Agnès Buzyn a reproché à la maire de Paris, Anne Hidalgo, de n’avoir pas préparé avec le ministère de la santé un plan contre le covid-19. Or, un courrier signé de l’ex-ministre en date du 12 février saluait la « vive mobilisation de la mairie de Paris »[54]. La campagne électorale justifie-t-elle d’entretenir la confusion sur la préparation face à l’épidémie ?

L’autre dossier ayant occupé le gouvernement est la réforme des retraites. Ce projet était d’autant plus important et difficile qu’il a donné lieu aux plus grandes grèves en France depuis au moins le plan Juppé de 1995. Les grèves se sont multipliées à partir du 5 décembre, sans discontinuer ni pendant les vacances de fin d’année ni pendant celles d’hiver. Après plus d’un an de négociations, marquées notamment par la démission du gouvernement le 16 décembre 2019 de Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire aux retraites, soupçonné de conflits d’intérêts, le gouvernement présente le texte de sa réforme le 24 janvier. Celui-ci est lourdement critiqué par le Conseil d’État. L’examen à l’assemblée nationale est aussi douloureux en raison du dépôt de près de 40 000 amendements. Le 29 février, lors d’un Conseil des ministres extraordinaire consacré à l’épidémie du covid-19, le premier ministre décide d’engager la responsabilité du gouvernement sur la réforme des retraites par la procédure dite du 49.3[55]. Cette procédure permet d’adopter le texte sans vote et sans examen des amendements, sauf si une mention de censure est déposée et adoptée. Deux motions de censure sont déposées mais aucune d’elle n’aboutit. Le texte est adopté alors même que les rassemblements de plus de 5 000 personnes sont interdits – ce qui induit l’impossibilité de manifester contre le gouvernement. Le premier ministre a donc utilisé l’opportunité du covid-19 pour proposer en conseil des ministres l’accélération de la réforme des retraites.

Ce contexte explique probablement les hésitations du gouvernement face à l’épidémie. Le 6 mars le président de la République incite la population à aller au théâtre malgré le covid-19[56], le 11 mars, il déclare qu’il ne faut pas renoncer « aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été »[57]. Mais, comme on l’a rappelé plus haut, le 12 mars toutes les établissements scolaires et universitaires sont fermés, le 17 mars commence le confinement. Au sujet du premier tour des élections municipales, maintenu le dimanche 15 mars, Agnès Buzyn a déclaré le 25 mars au journal Le Monde : « Quand j’ai quitté le ministère […] je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. […] Le 30 janvier, j’ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. »[58] Si les choses étaient si évidentes, pourquoi tant d’hésitations, surtout devant la gravité de la situation ? La France bénéficiait par ailleurs des expériences (malheureuses) de la Chine et, surtout, de l’Italie qui ont été touchés avant par l’épidémie. Dans son intervention du 16 mars Emmanuel Macron suspend la réforme des retraites[59] probablement trop tard, des études sont en cours pour évaluer l’importance des municipales dans la diffusion du covid-19[60]. Selon Richard Horton, rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, toutes les informations nécessaires pour combattre l’épidémie étaient disponibles depuis le 31 janvier et pendant 6 semaines les pays occidentaux n’ont rien fait. « Pourquoi les gens ne sont-ils pas davantage en colère à ce sujet ? Qui demande des comptes au gouvernement ? »[61].

Face à l’impréparation du gouvernement, le 17 mars le confinement constitue une césure fondamentale d’un point de vue sanitaire mais aussi économique. Du côté sanitaire, la pénurie se fait rapidement ressentir et l’enjeu du confinement est aussi d’alléger la charge sur les hôpitaux en limitant le nombre de contaminations. Du côté économique, entre le 19 février et le 18 mars, l’indice boursier CAC 40 perd 30% de sa valeur. Une grande partie de l’activité marchande et non marchande est suspendue, ce qui engendre des difficultés de trésoreries tant pour les organisations privées que publiques. Très rapidement de nombreux économistes anticipent une dépression inédite en temps de paix et s’interrogent sur les meilleurs moyens pour y faire face.

Une des principales pistes de réflexion a consisté à comparer la pandémie à une économie de guerre[62]. La 4 mars l’économiste étatsunien James Galbraith compare la pandémie à l’attaque de Pearl Harbor durant la seconde guerre mondiale[63]. L’attaque est soudaine et l’impréparation est totale. Les chaînes d’approvisionnement internationales sont cassées et les pénuries de produits essentiels comme les masques ou les médicaments sont déjà importantes. Le fonctionnement habituel des marchés n’est plus en mesure de réaliser l’allocation des ressources. L’auteur souligne alors l’importance de basculer en économie de guerre pour limiter les dégâts humains et financiers. Sans perdre de temps il faut passer d’une économie décentralisée où la coordination se fait majoritairement par des prix fixés librement à une économie fondée sur le commandement. Dans le but d’assurer à la société les moyens de sa substance, une autorité centrale doit être en mesure d’imposer la planification, des nationalisations, des prix administrés, une réaffectation de la force de travail et du capital, la limitation des libertés publiques, etc.

Dans une tribune dans Le Monde du 28 mars (p. 25), Robert Boyer invite également à penser la comparaison entre la pandémie et les périodes de guerre : « Il faut prendre au sérieux la métaphore de la ‘guerre contre le virus’ et se souvenir que la comptabilité nationale, la modélisation macroéconomique et le calcul économique public, qui ont favorisé la modernisation de l’État, trouvent leur origine dans l’effort de guerre puis de reconstruction – primat de l’intérêt collectif sur l’individualisme, par la réquisition et le contrôle du crédit et des prix. Penser que le marché connaît la sortie de crise serait une naïveté coupable. »

La comparaison de la situation pandémique à une économie de guerre a été vivement critiqué en raison du refus du principe même de la guerre[64]. La situation pandémique ne met pas face à face des armées avec des soldats solidement équipés. Il n’y a pas eu de déclaration de guerre. Il n’y a pas de sens à déclarer la guerre au virus. Ces critiques manquent l’essentiel. L’économie de guerre ne signifie rien de plus que la nécessité d’un passage brutal et soudain d’une coordination marchande au commandement, sous peine de danger de mort. L’économie doit être mobilisée et réorganisée en conséquence. Une économie de guerre ne signifie pas forcément une économie avec de la guerre. Certains économistes préfèrent parler d’économie des catastrophes mais cela ne change pas le fond de la problématique.

En fait, derrière la critique de l’économie de guerre se cache le refus, tout à fait légitime, du nationalisme, parfois de l’État et, surtout, de l’union nationale. Évidemment, lors de son discours du 16 mars, en martelant l’état de guerre Emmanuel Macron désire créer une unité nationale – alors même qu’il est responsable de la situation. Mais, l’économie de guerre ne suppose pas l’unité nationale, bien au contraire[65]. Tout l’enjeu est de savoir quelles sont les procédures de décisions dans une économie fondée sur le commandement : est-ce l’État qui doit décider ? Parler de commandement, est-ce recommander l’étatisation des moyens de production ? Ou alors, faut-il introduire les travailleurs, leurs syndicats, les employeurs, tous les citoyens ? Fallait-il procéder à des nationalisations ou des socialisations ? En appeler au commandement pour répondre à une situation de guerre ne dit rien sur le type de commandement qui est nécessaire.

Ces questions ont été posées de façon très claire dans le débat. Cédric Durand a par exemple insisté sur l’importance de la centralisation et de la planification tout en regrettant l’absence d’action de l’État : « Où est le quartier général de la lutte contre la pandémie ? Quels sont les organes chargés de recenser les ressources et d’organiser leur mobilisation ? Pourquoi, en France, la participation des industriels à l’effort se fait sur la base du volontariat et non de la réquisition ? » [66] Mais faut-il réellement confier les clefs du pourvoir à l’État ? Pour Benjamin Coriat c’est l’État qui est coupable de la situation actuelle ce qui implique de redéfinir le « public » et remettre en cause l’idée que « le seul garant de l’intérêt général, le garant de l’intérêt public, c’est l’État, l’administration et ses fonctionnaires : cette fable désastreuse doit cesser. » Il en appelle à une refondation du service public à partir des communs. Dans le cas du système de santé, Benoît Borrits critique encore plus radicalement l’État et le capital pour aller vers « une santé publique autogérée dans une économie démocratique »[67].

L’impérieuse nécessité d’une économie de guerre, ne dit donc rien sur les modalités d’organisation du pouvoir qui peut tendre entre deux extrémités : captation entière par l’État ou socialisation.

A la mi-mars 2020, avec Philippe Batifoulier et Mehrdad Vahabi nous écrivions que les « fautes politiques et économiques dans la gestion de la crise proviennent de l’hésitation du gouvernement à basculer dans l’économie de guerre. […] En refusant de procéder à la nationalisation des grandes entreprises influant dans la gestion du risque sanitaire (comme par exemple l’industrie pharmaceutique, les hôpitaux, etc.) et d’administrer l’allocation et la production des ressources, le pays s’est rapidement retrouvé en pénurie de matériels essentiels (masques protecteurs et gel hydroalcoolique d’abord, lits d’hôpital équipés d’assistance aspiratoire bientôt). Le rationnement n’a pas été décrété ce qui a causé entre autres phénomènes l’inflation du prix des masques et leur mauvaise allocation »[68]. Il est possible maintenant d’aller plus loin : le gouvernement n’a pas seulement hésité à basculer en économie de guerre, il a refusé de le faire et c’est l’une des raisons principales qui explique la gestion catastrophique de la crise.

En dépit des proclamations guerrières, le chef de l’État n’a que marginalement utilisé les outils de l’économie de guerre. Par contre, il a renforcé les tendances autoritaires permises par la Ve République. Le 23 mars est votée la loi créant l’État d’urgence sanitaire[69] : elle consacre l’extension du pouvoir de l’exécutif sans contreparties. Le président a complètement ignoré l’opposition politicienne[70], syndicale[71] et ou scientifique[72]. Les partis politiques d’opposition ont été ignorés, les syndicats n’ont pas été invités à participer aux prises de décisions et les scientifiques (notamment via la création du Conseil scientifique covid-19) ont été instrumentalisés. Notons enfin qu’Emmanuel Macron n’a pas utilisé la rhétorique guerrière pour entamer la guerre sociale, comme peuvent le penser certains critiques du concept d’économie de guerre, il a simplement continué le chemin tracé depuis son élection (Godin, 2019). Dans ce cadre général, les deux sections suivantes illustrent le double échec du capitalisme sanitaire – l’échec des bureaucraties et du capital.

2. Échecs de la bureaucratie sanitaire

Mis à part l’incapacité à anticiper l’épidémie, le plus grand naufrage de la bureaucratie sanitaire réside dans le désaveu du pouvoir politique. La justification habituelle de la massification des bureaucraties sanitaires est la séparation de la décision politique, réputée non éclairée et susceptible d’être trop sensible aux résultats électoraux, de la décision scientifique. L’un des aspects importants de la littérature liée à la Nouvelle Gestion Publique consiste à promouvoir les agences indépendantes (Benamouzig et Besançon, 2005). Or, quel a été le premier réflexe du pouvoir lorsque la pandémie s’est renforcée ? Créer par la loi sur l’état d’urgence sanitaire un Conseil scientifique covid-19 balayant de fait l’expertise des agences de santé. Inauguré le 11 mars par Olivier Véran, le Conseil scientifique covid-19, présidé par Jean-François Delfraissy[73], a pour objectif d’« éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire ». Il prend la place que devrait occuper le Haut conseil de santé publique (HCSP). Fondé en 2004, le HCSP a pour mission de « fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu’à la conception et à l’évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire »[74]. Outre le HCSP, d’autres agences sanitaires déjà existantes auraient pu largement contribuer à la gestion de la crise sanitaire, notamment la Haute autorité de santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et Santé publique France (née en 2016 à la suite de la fusion de plusieurs agences dont l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires et l’Institut de veille sanitaire). La création d’un Conseil scientifique ad hoc prenant la place des agences existantes tend à démontrer que la justification habituelle des agences sanitaires n’est peut-être pas si évidente. Plutôt que de séparer le politique du scientifique, les bureaucraties sanitaires semblent avoir surtout pour objectif de produire des normes visant à contrôler la production de santé et le travail des professionnels et par là même de participer aux contrôles des dépenses de santé.

Les masques

Parmi les déboires de la bureaucratie sanitaire, celui qui risque de rester le plus longtemps dans les mémoires concerne l’incapacité à résorber la pénurie de masques. Selon les enquêtes de Mediapart, corroborées par d’autres sources, la gestion des masques constitue non seulement un mensonge d’État[75] – sur l’ampleur de la pénurie – mais aussi un fiasco d’État[76] – sur l’incapacité à se procurer des masques. Alors qu’à la fin janvier le ministère de la santé constate à la fois la faiblesse des stocks de masques et l’envergure de l’épidémie à venir, les commandes de masques se font encore à un volume très faible. Si en début d’année, l’État dispose d’un stock d’environ 100 millions de masques, Santé publique France semble incapable de passer des commandes et une cellule interministérielle est créé le 4 mars. Au 21 mars elle n’a réussi qu’à réunir 40 millions de masques supplémentaires – en ignorant les offres de services d’entreprises françaises ayant des contacts en Chine.

Le 3 mars le gouvernement publie un décret de réquisition des stocks et de la production de masques sur le territoire (pas des entreprises productrices). Le 20 mars il autorise à nouveau les importations de masques, notamment par les collectivités territoriales qui peuvent passer directement par leurs contacts dans les pays producteurs. Si les décrets de réquisition ont été publiés ils ont été utilisés de façon modérée : le ministère de la santé a décidé de réquisitionner les stocks de l’industrie mais cela a été refusé dans certains secteurs pourtant très consommateurs comme l’agroalimentaire et l’aéronautique. Le cas de l’aéronautique interroge particulièrement dans la mesure où la plupart des avions étaient cloués au sol et que la construction de nouveaux avions ne paraissait pas faire partie des « activités essentielles ». Concernant les réquisitions, il faut aussi noter qu’à partir du décret du 20 mars seules les commandes de plus de 5 millions de masque faisaient l’objet d’une déclaration et d’une réquisition potentielle.

La stratégie destinée à pallier la pénurie a donc peu reposé sur les principes de l’économie de guerre. Il n’y a pas eu de nationalisation et les réquisitions ont été très partielles, d’autant plus que certains secteurs non essentiels n’étaient pas concernés. Le choix de l’exécutif a été de faire confiance à l’ajustement marchand en achetant massivement des masques aux producteurs habituels. Cependant, cette stratégie d’association public-privé a buté sur la surchauffe du marché. Les prix se sont envolés, les livraisons ont été lentes, certaines commandes ont été vendues aux plus offrants, etc.

La situation est d’autant plus problématique que dans un article du 9 mai 2020, Le Monde rapporte que Jérôme Salomon, membre de l’équipe de la ministre de la Santé Marisol Touraine (2013-2015), puis directeur de Santé Public France (2016-), connaissait la situation et avait alerté le candidat Emmanuel Macron. Alors qu’en « mai 2019 le Haut conseil de la santé publique recommande 1 milliards de masques », les destructions de masques n’ont pas cessé, même pendant l’épidémie. Les auteurs en concluent au « sentiment d’une faillite de l’État ».

Voyant la pénurie arriver et ne voulant pas la reconnaitre, le pouvoir politique a préféré minimiser l’intérêt du port du masque pour la population non malade. Dès le 24 janvier le ministère de la santé explique que « ‘le port de ce type de masque par la population non malade afin d’éviter d’attraper la maladie n’est pas recommandé’, et que ‘son efficacité n’est pas démontrée’ »[77]. Le 24 février le ministre de la santé affirme à nouveau que « [le] port du masque par la population non-malade n’ayant pas voyagé dans les zones à risque n’est pas recommandé car son efficacité n’est pas démontrée »[78]. Entre janvier et mars la politique de l’exécutif est de ne recommander le masque que pour les soignants et les malades alors que les médecins savent que le masque est indispensable pour toute la population dans le but de limiter la propagation de la pandémie[79].

Comment ne pas comprendre la méfiance des citoyens face aux annonces sanitaires du gouvernement quand à partir d’avril, dans l’optique du dé-confinement du 11 mai, le masque devient progressivement obligatoire ? Le port du masque devient obligatoire dans les transports en commun, dans les collèges, pour les députés, en université, dans les lieux clos (commerces notamment), sur les chaînes de production, etc. En août le port du masque se généralise peu à peu dans la rue, d’abord par des décisions localisées (Paris, Bordeaux, Strasbourg, etc.) puis par des décisions nationales. Face à l’opposition de certaines entreprises, l’obligation est remise en cause dans un certain nombre de cas particuliers[80]. Ce revirement est d’autant plus étonnant que pendant le confinement l’inspecteur du travail Anthony Smith a été sanctionné par sa hiérarchie pour avoir voulu appliquer l’obligation du port du masque dans une entreprise de service à domicile. Cette situation ubuesque s’est soldée par la relaxe de l’inspecteur du travail et par la démission du Directeur général du Travail (DGT), Yves Struillou, mécontent de l’issue de ce dossier[81].

Entre temps, pris en étau entre la pénurie et l’obligation de port du masque, l’État a décidé de valider le principe de « masques grand public »[82]. Faute de masques FFP2 et de masques chirurgicaux, le pouvoir a organisé une concertation entre 242 entreprises textiles françaises[83] pour produire des masques d’un type nouveau qui ont la particularité de ne respecter aucune norme sanitaire en vigueur avant l’épidémie. La qualité de ces masques est si peu fiable qu’ils sont interdits pour les soignants. Nous vivons donc depuis cette date une situation où si la quasi-intégralité de la population porte un masque dans la rue, on ne sait pas quelle est leur efficacité. Comme les masques jetables certifiés, les masques lavables ont une durée de vie très courte et il est impossible de savoir quel est le niveau de protection des masques portés quotidiennement. Au-delà de la controverse sur la qualité des masques grand public, la pénurie de masque et la rupture des chaînes de production internationales a attiré l’attention sur l’extrême dépendance de la France vis-à-vis des producteurs étrangers. Cela a conduit à valoriser les filières locales mais uniquement pendant une période très courte puisque dès la mi-août les entreprises françaises regrettaient que l’État préfère se fournir auprès de producteurs étrangers au risque de détruire l’emploi dans l’hexagone[84].

Les tests

Un aspect majeur de la lutte contre la pandémie, martelé par l’OMS, est la capacité à tester largement la population pour isoler les personnes contaminées. Là encore la bureaucratie sanitaire a montré son impréparation et son incapacité à réagir massivement. Face à la pénurie de tests, la doctrine a consisté à ne tester que les cas suspects permettant au virus de se diffuser par les cas asymptomatiques. À la fin avril, après 2 mois de pandémie, le gouvernement demeurait dans l’ignorance des capacités de test et a demandé un audit à un cabinet privé à ce sujet (cabinet de conseil Bain)[85]. A quoi servent les agences sanitaires si elles ne disposent pas d’informations sur les capacités de production du système de santé ? Au 28 avril, la France teste environ 9,1 personnes pour mille contre 23,1 pour mille en moyenne des pays de l’OCDE. Le 29 mars le gouvernement refuse l’offre de service des cabinets vétérinaires départementaux, les laboratoires de recherche public et privé ont également été mis à l’écart jusqu’au 27 mars.

Alors qu’Olivier Véran affirme que la politique de test est la bonne et qu’il sera possible de réaliser rapidement 700 000 tests par semaines, le Professeur Froguel (CHU de Lille et Imperial College of London), interrogé par France info le 1er mai, dénonce les mensonges du gouvernement[86]. Selon lui, le nombre rapporté de test est surévalué et il ne sera pas possible de réaliser l’objectif de test avant le 11 mai. La désorganisation étant la règle, les pénuries sont toujours importantes – tout comme les difficultés à s’approvisionner en réactifs sur les marchés.

D’après les calculs rapportés dans un article de France Culture, entre le 24 février le 11 mai, 831 174 tests ont été réalisé[87]. Les enquêteurs demandent alors comment penser qu’il sera rapidement possible de réaliser chaque semaine autant de tests que depuis le début de l’épidémie ? La stratégie du gouvernement repose notamment sur la commande de 20 machines chinoises permettant de réaliser plus de 2 000 tests par jours. Cependant, plusieurs professionnels regrettent le coût de ces machines et le temps de formation nécessaire avant de pouvoir les utiliser. Selon Vincent Thibault, chef de service du laboratoire de virologie au CHU de Rennes : « on nous a envoyé une machine et un fournisseur qu’on ne connaissait pas. Si on m’avait donné le budget débloqué pour cette plateforme, j’aurais pu mettre en place quelque chose de beaucoup plus fiable et maitrisé. On a l’impression qu’une décision a été prise par des technocrates qui n’ont jamais mis les pieds dans un laboratoire et qui se sont dit : ‘Comme il faut faire 700 000 tests par semaine, on va balancer 20 automates à des hôpitaux.’ D’autres solutions étaient possibles pour arriver à 2 000 tests quotidiens. » » Il se trouve par ailleurs que la machine demande des consommables (écouvillons) eux-mêmes en pénurie.

Les lits

Etant dans l’incapacité de contrôler l’épidémie avant qu’elle n’arrive à un stade critique, l’État et ses bureaucraties sanitaires sont responsables de la pénurie de lits de réanimation dans les hôpitaux. C’est probablement le type de pénurie le plus difficile à mettre en évidence. Deux indicateurs permettent néanmoins de l’illustrer. D’abord, le confinement est la stratégie de dernier recours quand toutes les étapes précédentes ont échoué. Sans masques ni tests, la pandémie s’est développée et le confinement, en diminuant le nombre de malade, permet de ralentir l’afflux vers les hôpitaux en tentions. Plus que l’usage spectaculaire de TGV médicalisés[88] et d’hôpitaux de campagne[89], le second indice de la pénurie de lits est le tri des patients à soigner ou non.

Dès la mi-mars plusieurs articles rapportent des témoignages de professionnels s’apprêtant à trier les patients à soigner. Dans un article du 20 mars Mediapart mentionne plusieurs cas d’hôpitaux mettant en place des procédures de sélection des patients[90]. Selon une documentation interne de l’hôpital de Perpignan, certains décès ont qualifié de « Morts évitables : auraient pu être évités en cas de soins de meilleure qualité ou de meilleurs organisation »[91]. Selon un témoignage anonyme d’un professionnel de CHU, la consigne de priorisation des malades est implicite mais elle existe : « On ne le dit pas, car on ne peut pas mais la consigne tacite, c’est de ne plus prendre les plus de 75 ans à l’hôpital, de les laisser dans les EHPAD ou chez eux, c’est-à-dire de les laisser mourir. » D’après une infirmière de l’hôpital de Mulhouse, « Les personnes âgées atteintes d’un Covid en EHPAD ne sont plus transportées à l’hôpital. On se contente de leur donner des soins de confort, pour soulager la douleur. C’est très difficile : on n’est pas là pour choisir celui qui doit vivre et celui qui doit mourir. »

La stratégie non assumée de gestion de la pénurie de lits a donc été la priorisation en fonction de l’âge. Cela explique probablement en partie la situation catastrophique des EHPAD en termes de mortalité. D’après le démographe Jean-Marie Robine, la moitié des personnes décédées sont résidentes en EHPAD (mortes sur place ou à l’hôpital lorsqu’elles ont pu être transférée), soit 13 226 personnes sur 26 280 ; au 10 mai)[92]. L’absence de publication de chiffre précis au sujet des EPHAD s’expliquerait par la volonté de dissimuler l’absence de protection des maisons de retraites – le matériel de protection en pénurie ayant été dirigé vers les soignants.

S’il est difficile d’établir un bilan, plusieurs articles font état de vies qui auraient pu être sauvées en EHPAD s’il n’y avait pas eu de tri des patients. Certains centres de régulation du SAMU ont refusé d’hospitaliser des résidents d’EHPAD jusqu’à fin mars, certains professionnels expliquant que face aux refus répétés de prise en charge, ils ont cessé de demander de l’aide à l’hôpital public[93]. Dans ce cadre général, plusieurs EHPAD ont été débordés si bien que les hécatombes se sont succédées tant dans le public que dans le privé. Dans l’EHPAD privé de Crouy-en-Thelle, les familles ont appris par la presse le décès d’une vingtaine de personnes au cours de la pandémie[94].

En plus des résidents d’EHPAD, d’autres catégories de patients ont pu être victime de la pénurie de lits. Selon un article de Bastamag, ce serait le cas des personnes en situation de handicap, alors que le handicap n’est pas un facteur de risque pour le covid-19[95].

Le drame de la pénurie de lits s’est doublé de sa gestion par la bureaucratie sanitaire : une gestion dans le plus grand silence. Jamais des consignes claires et assumées de hiérarchisation des patients n’ont été officialisées, ce qui peut cacher des situations d’inégalités extrêmes face à la maladie. On peut comparer la situation française au cas britannique où le National Health Service a publié très rapidement des guides pratiques de prise de décision en situation de pénurie.

Ces guides sont glaçants mais ils ont le mérite d’assumer l’existence d’une pénurie à organiser. Dans ces documents, les professionnels de santé sont invités à calculer un score à point en fonction de plusieurs critères (âge, échelle de fragilité, comorbidité). Les personnes jugées les moins à risques sont, dans ce cadre, prioritaires sur l’usage des ressources rares. Il ne s’agit pas ici de défendre le principe du calcul médico-économique, largement répandu outre-manche[96], mais simplement de souligner le fait que la gestion de la pénurie en France s’est faite dans le plus grand silence – sans explicitation des critères de justice sous-jacents.

Les médecins

Des travaux spécifiques devraient être consacrés à la pandémie en outre-mer. La situation y est différente et, pour certains territoires, bien pire. En attendant, on peut simplement souligner que la France, après avoir hésité, a accepté fin mars l’aide de médecins Cubains pour les territoires de Martinique, Guyanne, Saint-Pierre-et-Miquelon[97]. 15 premiers médecins sont arrivés en renfort en Martinique en juin pour une mission de deux mois[98].

StopCovid

Dès les premières semaines de l’épidémie, les pouvoirs publics se sont intéressés aux stratégies numériques mises en place par d’autres pays permettant d’endiguer la progression de l’épidémie. A Singapour par exemple, l’application TraceTogether permettrait de « détecter si deux individus sont restés à proximité l’un de l’autre durant plus de quinze minutes. » [99]

Lancée le 15 mars, l’application a été téléchargée par seulement par 20% de la population (5,6 millions de personnes), bien en dessous de l’objectif de 60% permettant réunir la quantité suffisante de données pour être efficace. Le 21 avril l’application devient obligatoire, alors que des doutes se multiplient sur l’éventualité d’une surveillance de masse dépassant le strict objectif sanitaire.

D’autres pays se sont lancés dans ce traçage généralisé comme la Chine, la Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan, Singapour, etc. L’objectif initial est toujours le même : retracer l’itinéraire du virus ce qui permet de tester les personnes et de les isoler en cas de contamination. Le risque sur les libertés publiques est également toujours le même.

Si on peut largement douter de l’utilité de ces usages du numérique pour la santé publique[100], l’État français a décidé, après que le ministre de l’Intérieur ait déclaré que le traçage numérique ne se ferait pas car cela ne fait pas partie de la « culture française »[101], de lancer une application nationale de traçage nommée StopCovid. Présentée le 8 avril dans un entretien au journal Le Monde, Olivier Véran explique qu’il s’agit de « limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission »[102].

Autre symbole de l’incapacité de tester massivement la population et de lui procurer des masques, l’application StopCovid renforce l’idée d’un nouvel échec du duo État/capital. Le lancement de l’application, prévue pour le début du dé-confinement le 11 mai, est finalement lancée le 2 juin[103]. Même si le gouvernement a tardé à le reconnaître, il s’agit d’un nouveau revers pour le pouvoir. Jean Castex, premier ministre depuis le 3 juillet 2020 en remplacement d’Édouard Philippe, le reconnait le 26 aout[104]. À cette date l’application n’avait été téléchargée que 2,3 millions de fois (avec très peu de mises en service réelles) et alerté uniquement 93 personnes.

En plus d’une efficacité très faible, l’entretien de l’application a été très coûteuse eu égard aux standards habituels[105]. L’association Anticor a même saisi la justice à ce sujet pour soupçon de favoritisme[106]. Initialement, l’application devait être développée bénévolement par des entreprises françaises du secteur (Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studio, Orange, Withings) mais il semblerait que les coûts d’entretien soient largement surfacturés, ce qui laisse penser à un paiement rétroactif.

La défense inconditionnelle du capital

Durant toute la période de la crise, la contrainte que s’est imposée le plus haut sommet de l’État est de ne jamais remettre en cause le capital. C’est pourquoi il n’est pas possible analytiquement de séparer l’échec de la bureaucratie sanitaire de la défense inconditionnelle du capital.

Le refus des outils de l’économie de guerre s’est vu à l’Assemblée alors que l’opposition portait des projets modestes de nationalisation, de réquisition et d’imposition[107]. Socialistes, communistes et insoumis ont proposé ensemble ou séparément la nationalisation de Luxfer (fabricant des bouteilles d’oxygène), de Famar (fabricant une molécule à la base de la chloroquine), la réquisition d’entreprises du textile, la création d’un pôle public du médicament, etc.

Dans le but de faciliter financièrement le confinement pour les ménages modestes, un moratoire sur les loyers a été demandé, tout comme l’augmentation du salaire minimum et la distribution de chèques vacances et bons alimentaires pour les étudiants apprentis et boursiers. Enfin, la réintroduction de l’Impôt de solidarité sur la fortune devait permettre de partager le financement des mesures de crise[108].

Aucune de ces mesures n’a été envisagée par le gouvernement. Toute l’action du gouvernement a consisté à s’en remettre aux volontés des marchés, c’est-à-dire des détenteurs de capitaux. C’est ainsi que le 31 mars Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, a lancé un appel au don pour financer un fond d’indemnisation pour les travailleurs indépendants[109]. Fondé sur le volontariat, ce fond a été moquée en coronathon : refusant d’imposer une taxation supplémentaire, l’État a décidé de basculer dans l’appel à la charité[110].

En plus de la charité, le gouvernement attend des fonds pour l’hôpital par la vente de mobilier national théoriquement inaliénable[111]. En effet, le Mobilier national, service rattaché au ministère de la Culture, organise une vente aux enchères au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France. Prévue fin septembre, cette vente concernera des meubles des époques Louis-Philippe et XIXè siècle. Au-delà du symbole d’une charité privée venant au secours du bien public, certains commentateurs n’ont pas hésité à interroger la légalité du procédé. Il est possible que cette action relève de la prise illégale d’intérêt dans la mesure où Emmanuel Macron, président de la République, organise une vente de biens publics au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, présidée par Brigitte Macron[112].

A l’hôpital de Montauban, une initiative du même esprit a provoqué la colère des soignants[113]. Après avoir reçu des dons d’entreprises et de particuliers, la direction de l’hôpital a décidé de distribuer les gains sous forme d’une tombola. Plusieurs lots étaient en jeu comme des bons d’achat, des séances d’ostéopathie, un séjour pour les vacances, etc. Cela a provoqué l’indignation des riverains et des professionnels dans un contexte où des « dizaines de milliers d’heures supplémentaires effectuées sont en attente de paiement pendant des mois, et tout aussi régulièrement des services, des lits et des postes sont supprimés sous le prétexte que l’hôpital serait en déficit. »

La charité n’a pas seulement été mobilisée pour renflouer les caisses de l’État ou pour pallier la faiblesse des salaires des professionnels de santé mais aussi pour pallier aux pénuries de masques et de gel hydroalcoolique. À la mi-mars, alors que le gel vient à manquer, la firme LVMH satisfait à sa promesse de don en distribuant ses premiers flacons[114]. Les gels ont été produit sur les sites de production de marchandises de luxe (Dior, Guerlain et Givenchy) et livré gratuitement aux hôpitaux de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Si une polémique a éclaté lors de la vente par un supermarché Carrefour des gels LVMH alors qu’ils devaient être gratuits[115], l’essentiel n’est pas là : plutôt que de réquisitionner, nationaliser et taxer, la politique du gouvernement a consisté à laisser l’initiative au capital – avec les résultats que l’on connait.

Le couple État / capital a été également très inefficace dans la gestion de la pénurie de masques. Comme nous l’avons évoqué dans la section précédente, le recours à l’ajustement marchand en période de pandémie a conduit à des retards de livraison, à la perte de commande au profit de plus offrants et à l’augmentation des prix. En plus de cela, la stratégie de mise à disposition des masques produits et achetés doit être évoquée. En effet, alors que les soignants faisaient face à la pénurie de masques, les supermarchés ont été en mesure d’en stoker des millions en vue de les mettre en vente libre à partir de 3 mai.

Le 30 avril, un communiqué rassemblant les principaux ordres professionnels de la santé (médecin, sages-femmes, infirmiers, Chirurgiens-dentistes, masseurs-Kinésithérapeutes, pédicure-podologues, pharmacien) a critiqué violemment les grandes enseignes de distribution :

« Toute guerre a ses profiteurs. C’est malheureusement une loi intangible de nos conflits. Comment s’expliquer que nos soignants n’aient pas pu être dotés de masques quand on annonce à grand renfort de communication tapageuse des chiffres sidérants de masques vendus au public par certains circuits de distribution. »[116]

D’après les annonces publicitaires 515 millions de masques seraient en vente début mai, dont au moins 65 millions le 4 mai[117]. Etant donné les contraintes logistiques (acheminement, stockage, mise en rayon, etc.), comment explique-t-on que les grands distributeurs aient pu se procurer autant de masques alors les professionnels de santé en étaient privés ?

À défaut de masque ou de gel, le groupe de luxe Kering a fait un don d’une soixantaine d’imprimantes 3D à l’AP-HP[118]. Ces machines peuvent fabriquer des embouts et composants essentiels pour les respirateurs. Encore une fois, la charité est censée remplacer la planification.

Pendant que le capital pouvait organiser tranquillement les actions qu’il souhaitait mener dans le cadre de la pandémie, il a été fortement protégé par l’État : report de cotisations, d’impôt, garanties d’État sur les emprunts bancaires, etc. Mais ce n’est pas tout, le contrôle des conditions de travail n’a pas été un objectif prioritaire. En plus du cas d’Anthony Smith mentionné plus haut, plusieurs travailleurs ont été sanctionnés pour avoir demandé le respect des règles sanitaires. Cela a été le cas par exemple à Toulouse où deux infirmiers qui demandaient des masques et dénonçaient les conditions sanitaires dans l’EHPAD où ils travaillaient ont été licenciés[119].

Autre aspect important de la relation État-capital, la recherche d’un vaccin pose également des questions tant la réputation de l’industrie pharmaceutique est sulfureuse. Sans pôle public du médicament, il s’est installé une concurrence malsaine entre les industriels du médicament dans le but capter le plus de ressources publiques possibles. On se rappelle par exemple que le mercredi 13 mai le directeur de Sanofi a déclaré « qu’il distribuerait en priorité un éventuel vaccin contre le coronavirus aux États-Unis, car ils ont investi 30 millions de dollars dans ses recherches. Une exclusivité qui aurait pu être de plusieurs jours voire plusieurs semaines »[120].

Les relations public-privé sont la règle dans ce secteur où l’on a appris que le laboratoire américain Merck a acheté les droits des travaux de l’Institut Pasteur, en partie financé par le l’Etat français[121]. Comme le souligne un article dans Le Monde du 25 juin « les laboratoires vendent des promesses, les États achètent de l’espoir ». Les États financent sans contrepartie sur le partage des données, sur la règlementation des prix, sans réflexion sur le ciblage des premiers approvisionnements.

Par ailleurs, les recherches ne portent pas tant sur un objectif de guérison que celui de réduction de la sévérité de la maladie. En concentrant les recherches sur la volonté de détourner le virus des poumons, il tout à fait possible qu’il se développe autre part et que cela soit plus grave : « Et si, scénario cauchemar rencontré il n’y a pas si longtemps avec la dengue, le vaccin augmentait le risque d’une infection plus grave ? »

Ni l’État, ni le capital : l’auto-organisation pendant la pandémie

Si l’État et le capital ont échoué à endiguer rapidement la pandémie, il faut souligner la multiplication d’initiatives auto-organisées. Dans un article du 19 avril Hadrien Clouet et Maxime Quijoux ont relaté des initiatives de salariés déterminés à faire face à la pandémie[122]. Dans la Creuse, des couturières au chômage technique se sont remises au travail pour produire des masques. Des salariés d’un McDonald’s ont utilisé leur lieu de travail comme lieu de production alimentaire alternatif destiné aux plus démunis. Les auteurs ont montré par ailleurs que dans les entreprises rompues à l’auto-organisation des salariés, la révision des conditions de travail en fonction des contraintes sanitaires ont été largement facilités :

« À Rennes, la coopérative funéraire a récemment mis en place toute une série de dispositifs à la fois d’entraides pour ses salariés – masques, etc. – mais aussi pour les familles de défunt·e·s afin de pouvoir assister aux obsèques. Plusieurs fédérations d’employeurs coopératifs, comme celle du Bâtiment, plaident pour obtenir des pouvoirs publics un durcissement du périmètre des entreprises laissées en activité. Contrairement aux grands groupes capitalistes financiarisés, ces employeurs tentent de limiter l’activité, afin de lever la tension entre santé publique (au niveau du pays) et parts de marché (au niveau de chaque entreprise individuelle). »

Ces mouvements auto-organisés ont parfois été entravés par l’État comme dans le cas de la production de visières pour le personnel soignant. A l’aide d’imprimantes 3D de nombreuses visières ont été imprimés au plus fort de la pénurie. Mais le 23 avril la direction générale du travail et la Direction générale des entreprises ont révisé les normes de production des visières de façon à empêcher le don ou la vente à prix coutant. La logique à l’œuvre est de protéger les industriels classiques, désormais capables de prendre le relais, d’une « concurrence déloyale » provenant de bénévoles[123].

Ce mouvement d’auto-organisation a été qualifié de « mutation très politique de la société française » par François Bonnet[124]. L’auteur énumère les secteurs d’activité où des initiatives par le bas ont émergés, bien sûr chez le personnel soignant, mais aussi ailleurs :

« Car ce que disent aussi cette floraison d’initiatives et de mobilisations, ces capacités d’auto-organisation et d’innovation, c’est combien cette crise sanitaire a achevé de dévoiler l’archaïsme dangereux de notre système politique. Un pouvoir arrogant et prétentieux d’un coup mis à nu par une pénurie de masques. Un pouvoir vertical et centralisateur soudain obligé de s’en remettre aux élus locaux qu’il méprisait et aux citoyens qu’il sermonnait. »

Dans cet esprit, pour Yohann Emmanuel, le piège de la période consiste à voir un retour de l’État alors que celui-ci ne fait que continuer « à remplir sa fonction de garant du système capitaliste, même s’il le fait d’une manière directe et particulièrement visible »[125] :

« Plus encore que celle de 2008, la crise actuelle démontre que, malgré toutes ses défaillances, si l’État ne peut pas tout, il peut beaucoup, mais que sa puissance est au service du système capitaliste. Elle révèle donc ce qu’ont de faux les deux idéologies dominantes symétriques : le discours néolibéral qui veut faire oublier le rôle de l’État ; le discours étatiste-souverainiste qui veut laisser penser que l’État est parfaitement autonome. »

Au total, on peut se demander dans quelle mesure l’échec du capitalisme sanitaire ne peut-il pas faire renaitre l’idée de l’auto-organisation – contre l’État et contre le capital ?

Inégalités et covid-19

Le développement du covid-19 à partir de début mars a eu un effet tétanisant sur la société. L’énumération quotidienne du nombre de morts en Italie puis en France a semblé être un puissant unificateur. Ne serions-nous pas tous égaux face à la maladie ? Cela ne justifie-t-il pas en conséquence une action massive de l’État afin de protéger une population également en danger ?

D’une certaine manière le début du confinement a fait mentir des décennies de politique publique visant à responsabiliser les individus de leur état de santé. On ne choisit pas d’être malade comme on choisit d’aller voir tel ou tel film au cinéma. Cela fait échos aux travaux en économie politique de la santé qui insistent sur le fait que la santé est un besoin et non une préférence (Batifoulier et al., 2012).

Pour la théorie économique dominante tout se passe comme si les individus avaient un capital santé à gérer tout au long de leur vie en fonction de leurs préférences. Or, si la maladie est de la responsabilité du malade, car il a préféré prendre un risque plutôt que d’adopter un comportement prévenant, il doit payer plus pour les soins et cela justifie une dépolitisation de la santé. Avec la pandémie du covid-19, pendant un bref instant, on a pu penser que la maladie frapperait de façon homogène la population. D’où le moment bref de résurgence du politique et d’oubli de la contrainte économique.

Néanmoins, assez rapidement il a été mis en évidence que comme pour la plupart des pathologies, le covid-19 choisit ses victimes. Non seulement il est possible de montrer que certains groupes sociaux sont plus touchés que d’autres mais aussi que l’accès aux soins est inégalitaire. Que sait-on sur la dimension inégalitaire du covid-19 ?

La plus flagrante des inégalités a déjà été évoquée dans la section précédente. Il s’agit de la sélection des patients : certains ont été soignés d’autres pas en raison de leur âge, de leur résidence dans un EHPAD, de leur situation de handicap, etc. Une autre inégalité importante porte sur les reports de soins : en raison de la pénurie de lits pour traiter les patients atteints de Covid-19, de nombreux soins qualifiés de non-urgents ont été déprogrammés. Or, les retards de soins sont souvent synonymes de dégradation de la qualité de vie et de perte de chance.

La CNAM a alerté au moins depuis le mois de juin sur les effets négatifs des reports de soins d’un point de vue sanitaire et organisationnel[126]. Pendant le confinement, le nombre d’actes de chirurgiens-dentistes a chuté de 80 à 90%, les généralistes et la sages-femmes ont baissé leur activité de 30%, la vaccination contre le papillomavirus a chuté de 43%, la vaccination ROR (rubéole, oreillon, rougeole) a chuté de 16%, le nombre de dépistage du cancer colorectal est descendu de 75 000 par semaine au début de l’année contre 5 000 par semaine à la mi-mars, etc.

Dans un article de Libération du 17 septembre 2020, Sophie Crozier, membre du collectif inter-hôpitaux s’est alarmée des conséquences de déprogrammation : « On commence à mesurer les dégâts de cette stratégie ce sont des cancers pris avec retard, des maladies chroniques qui se sont aggravées, des pertes de chance à la pelle. On a fait du tri parce que l’on ne comptait que les morts Covid à la télé ». En d’autres termes, pendant le confinement la priorité était de traiter les cas covid-19 au détriment des autres – sans qu’aucun critère de justice n’ait été débattu publiquement.

La CPAM 93 a publié le 24 avril des données liées à l’activité en ville permettant d’avoir une idée de la baisse de la consommation de soin pendant le confinement[127]. Les données comprenaient le nombre de consultations réalisées par les médecins généralistes, spécialistes et centres de santé (2019 vs 2020) avec à chaque fois l’évolution des téléconsultations et la situation spécifique des patients en Affection longue durée. De façon attendue, avec le confinement, toutes les formes de consultations baissent drastiquement à partir du début du confinement (semaine 12)[128]. En semaine 15 (6-12 avril), l’activité a baissé de 43% pour les généralistes, de 73% pour les spécialistes, de 76% pour les centres de santé.

Alors que la baisse du volume d’acte pour les spécialistes est moins forte pour les patients ALD que pour les autres, elle est plus forte pour eux pour les actes généralistes et de centre de santé. On observe une hausse massive des téléconsultations, plus forte chez les généralistes que chez les spécialistes. Pour les généralistes, entre la hausse des téléconsultations et la baisse des autres formes d’activité, la téléconsultation représente 29% du total en S12 contre 0% en début d’année.

Certaines des villes les plus pauvres (Bobigny, Aubervilliers, Clichy sous-bois) semblent montrer un décrochage plus fort que la moyenne. Ce lien reste à confirmer car c’est l’inverse qui se passe à La Courneuve (plus pauvre) et aux Lilas (plus riche). En tous cas, la baisse des consultations en hôpital se double d’une baisse des consultations en ville (généraliste, spécialistes, centre de santé), malgré la hausse des téléconsultations. Les patients ALD sont susceptibles d’être plus frappés que les autres, sauf pour les soins spécialistes.

La DRESS a publié en juillet une veille documentaire sur les inégalité sociales face au Covid-19[129]. Elle souligne la double dimension des inégalités dans le cas de cette pandémie : l’inégalité face au virus (exposition différentielle, vulnérabilité différentielle, accès inégal aux soins) et l’inégalité face au confinement.

Les inégalités sociales face au virus comprennent le risque d’exposition plus élevé pour certaines activités professionnelles. Les risques sont plus élevés pour le personnel soignants et les travailleurs précaires. Dans le secteur agro-alimentaire 50% des travailleurs étaient encore sur site pendant le confinement (40% dans la santé et l’action sociale, 30% dans le transport). Le rapport de la DREES cite une étudie de l’INED selon laquelle 1/3 des cadres ont été obligés de sortir de chez eux pendant le confinement contre ¾ des employés et 96% des ouvriers.

Les conditions de vie et la promiscuité sont une autre inégalité sociale face au virus : les chances d’être contaminés sont plus élevées dans lorsque l’on réside en logements collectifs ou en établissements fermés. Le mal logement et le surpeuplement sont des situations à risque. L’inégalité d’accès aux mesures de protection constitue un autre facteur d’inégalité face au virus. Il s’agit de l’accès au matériel de protection (masques, gel hydro alcoolique, gants, produits d’hygiène, etc.) mais aussi la compréhension des mesures sanitaires de prévention et la confiance vis-à-vis des autorités. L’inégalité d’accès aux soins se mesure aussi par le fait d’avoir une complémentaire santé permettant de financer la part non remboursée par la sécurité sociale.

Concernant les inégalités sociales face au confinement, la DREES souligne plusieurs points d’attention. Des risques accrus sur la santé mentale semblent probables tant chez les personnes conservant une activité que les autres (anxiété, trouble du sommeil, de la concentration, tristesse). Le confinement accroît les risques sur la sécurité physique des personnes (suicide, violence sur les femmes et les enfants principalement, etc.). Enfin, la DREES pointe le risque d’augmentation significative du travail domestique à la charge des femmes.

Les craintes de la DREES ont été confirmées par les premiers résultats obtenus. Une étude menée par Nadine Levratto et ses collègues a mis en évidence les effets différenciés de la pandémie sur les inégalités territoriales[130]. À partir d’une approche d’économie spatiale, les auteurs montrent que le taux d’hospitalisation est positivement corrélé à la part des ouvriers dans la population active. Dans ces territoires, le télétravail était moins fréquent et les plans de continuité de l’activité plus fréquents. De même, les auteurs trouvent que dans les zones où il y a moins de service d’urgence, il y significativement plus d’hospitalisation, suggérant qu’une meilleure prise en charge permet de réduire le risque d’évolution dangereuse de la maladie.

D’autres travaux ont également cherché à montrer le lien entre pauvreté et covid-19. Par exemple, dans une étude de Paul Brandily et collègues[131], les auteurs montrent que la surmortalité due au covid-19 est significativement plus forte dans les communes faisant partie des 25% les plus pauvres (+88% contre +55%). L’essentiel de cette différence s’explique par le surpeuplement des logements et la fréquence des contacts sociaux liées aux métiers. Les auteurs parlent ainsi d’« une pandémie de la pauvreté »[132].

Pour le temps du confinement, le fait que les classes populaires soient plus touchées par la pandémie en raison de leur maintien au travail a mis en avant le sentiment d’un retournement des représentations : ce sont les classes populaires qui permettent aux classes dirigeantes de vivre et pas l’inverse. Comme l’a souligné la sociologie Marie-Hélène Bacqué par exemple,

« Malgré la pandémie, le RER ne s’est jamais arrêté de circuler car il est un fil indispensable pour faire vivre la métropole. […] Ce sont les populations aisées, avec des emplois qualifiés, qui sont dépendantes des personnes qui occupent des emplois précarisés. Les livreurs, les aides-ménagères, les femmes de ménage, les gardiens… Toutes ces personnes ont continué à travailler pendant le confinement et ont permis aux autres de rester confiné. Et le RER est le fil qui relie ces deux mondes. »[133]

La parenthèse n’a pas durée et les promesses de lendemain qui chante se sont estompées. Ce changement regard doit être l’opportunité d’interroger le lien entre pauvreté et risque d’être atteint du covid-19. Ce n’est peut-être pas parce qu’ils sont pauvres qu’ils sont malades, mais parce qu’ils sont exploités. Comme on l’a vu, les travaux montrent qu’il existe un lien statistique entre le niveau de revenu et la probabilité d’être atteint du covid-19.

Néanmoins, ce n’est pas la pauvreté monétaire, c’est-à-dire le fait d’avoir peu d’argent, qui explique que l’on tombe malade du covid-19. Le virus ne regarde pas le compte en banque des gens. La pauvreté monétaire n’est qu’un indicateur d’une réalité sociale plus importante : la place dans le rapport de production – autrement dit le capitalisme – et la capacité de résister aux ordres des propriétaires des moyens de production.

Le virus se diffuse par contacts longs et rapprochés. Quelles sont les métiers qui supposent le plus de contacts non réductibles par le télétravail, la suspension de l’activité ou l’amélioration des conditions d’hygiène ? L’hôtellerie-restauration, le transport et la logistique, les services à la personne, l’entretien, l’industrie agro-alimentaire, etc. Dans tous ces secteurs, la grande mode du confinement a été de reconnaitre qu’ils étaient essentiels (donc impossible à suspendre ; stay at work !) mais très mal rémunérés.

Le rapport de force des travailleurs avec le capital y est défavorable depuis longtemps et il a été extrêmement difficile d’obtenir la suspension de certaines de ces activités, le télétravail ou le respect de conditions d’hygiène drastiques. C’est d’ailleurs parce que le rapport de force y est défavorable que ces travailleurs ont aussi de petites rémunérations et peu de reconnaissance sociale. Ces petites rémunérations impliquent que ces travailleurs habitent en périphérie, qu’ils utilisent plus souvent les transports en commun bondés et qu’ils vivent dans des logements surpeuplés.

Ce n’est donc pas la pauvreté qui rend malade, c’est l’intensité de l’exploitation Qu’est-ce que cela change d’un point de vue d’économie politique ? L’augmentation des salaires est bonne à prendre mais elle ne changera pas les rapports de production et tout ce qu’ils impliquent de subordination dans la division sociale du travail. La prise en charge gratuite des soins est bonne à prendre mais elle arrive trop tard : en quoi le fait de rembourser les soins gratuitement implique-t-il l’obligation de prendre un risque pour sa santé ?

Quand il faudra recommencer à envoyer les plus exploités en première ligne, rien n’aura changé d’un point de vue sanitaire… même si les salaires sont meilleurs, même si les soins sont gratuits. D’où l’intérêt de focaliser l’attention sur les rapports de production plutôt que sur les inégalités monétaires qui n’en sont qu’une conséquence. Ce n’est qu’en renversant les rapports de production qu’il sera possible pour les travailleurs de définir eux-mêmes sous quelles conditions le travail n’engendre pas de risques démesurés pour la santé – peu importe leur niveau de rémunération et la gratuité des soins. La santé aussi c’est la lutte des classes.

L’introuvable « plan massif » pour l’hôpital

Le confinement a été marqué par une parenthèse de la contestation politique. En dehors des tribunes et des plateaux-télés, la population a été prise en étau entre l’injonction du « restez chez vous » et la conduite autoritaire du pouvoir (cf. section 3.1.). L’interdiction des rassemblements étant justifiée par la volonté de réduire le développement de la pandémie, l’un des faits majeurs du confinement a été la quasi-impossibilité de s’opposer à l’État.

Alors que près d’une année de grève contre l’austérité à l’hôpital n’avait pas suffi à attirer l’attention sur les professionnels de santé, pendant le confinement, ils ont été héroïsés. D’abord par les applaudissements aux fenêtres, copiés sur le modèle italien. Le président de la République a lui-même pris sa part, notamment en décalant ses interventions télévisées quelques minutes après 20 heures pour ne pas briser l’hommage[134].

Mais surtout, Emmanuel Macron a développé la métaphore guerrière lorsqu’il a fallu chercher à dissoudre toute forme de protestation. Il a utilisé la rhétorique guerrière sans utiliser les outils de l’économie de guerre. Le 25 mars il proclame à nouveau l’état de guerre contre le virus, il annonce que trois premiers soignants sont tombés dans la région Grand-Est et il demande à ce que la population refuse la division. En contrepartie, il concède les erreurs du passé et promet un « plan massif » pour l’hôpital :

« Nous serons là aussi au rendez-vous de ce que nous devons, au-delà de cette reconnaissance et du respect. J’ai demandé au gouvernement d’apporter une réponse claire et forte de court terme pour l’ensemble des personnels soignants comme pour l’ensemble des fonctionnaires mobilisés afin de majorer les heures supplémentaires effectuées et sous forme d’une prime exceptionnelle, pour pouvoir accompagner financièrement cette reconnaissance. Mais plus largement, nos soignants qui se battent aujourd’hui pour sauver des vies se sont hier battus hier pour sauver l’hôpital, notre médecine. Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons. C’est ce que nous devons à la nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. »[135]

Ces promesses doivent être mises au regard du bilan de la crise pour les professionnels de santé. Entre le lancement du plan Blanc le 6 mars et la fin du confinement le 11 mai, les personnels hospitaliers ont dû faire face à la pandémie malgré le manque de lit, le manque de personnel et les pénuries (de masques, de respirateur, blouses, de gants, etc.). En plus des conséquences sur les malades (refus et reports de soins), les conditions de travail ont engendré des contaminations de personnels hospitalier (soignants ou non) et des décès. Aucun bilan national fiable et définitif n’est pour l’instant disponible.

Au 20 avril 2020, 4 275 professionnels de l’AP-HP avaient été infectés (4% du total des effectifs) pour trois décès[136]. Au 3 juin, selon la Caisse autonome de retraite des médecins de France, 26 médecins libéraux en activité seraient également décédés du covid-19[137]. 6 000 auraient demandé un arrêt de travail du fait du Covid-19. Au 11 juin, BFM TV annonce au moins 50 000 soignants infectés[138]. Dans les établissements de santé, Santé publique France comptabilise 33 210 infectés au 7 septembre dont 16 décès (5 médecins, 4 aides-soignants, 1 professionnel de santé « autre » et 6 personnels non soignants)[139]. Cette disparité dans les chiffres s’explique par des méthodes de comptage différentes, et peut-être également par l’enjeu financier pour l’État de reconnaissance ou non en maladie professionnelle[140].

Jusqu’au dé-confinement du 11 mai, le gouvernement a cherché à désamorcer la contestation latente des professionnels de santé par des annonces multiples. Cependant, il faut rappeler qu’une semaine après la promesse du « plan massif » pour l’hôpital, Mediapart a révélé une note de la Caisse des dépôts faisant craindre l’approfondissement de la politique de santé contre laquelle beaucoup de professionnels se sont battus[141]. Avant même de critiquer les pistes évoquées par cette note, l’économiste Jean-Paul Domin a soulevé l’existence d’un problème inhérent au rapprochement du capital et de l’État dans le capitalisme sanitaire :

« N’y a-t-il pas un évident conflit d’intérêt à demander un rapport à la CDC sur l’hospitalisation ? La CDC, via une de ses filiales Icade santé, est un acteur majeur de l’hospitalisation privée lucrative. Icade santé est détenue à hauteur de 38,8 % par la CDC et pour 18,4 % par Prédica SA (la filiale assurance du Crédit agricole). Icade s’est spécialisée sur le marché de l’immobilier sanitaire. Elle possède un portefeuille de 135 établissements de santé valorisé à hauteur de 5,5 milliards d’euros. Elle est déjà partenaire de marques reconnues (Elsan, Ramsay santé, Vivalto) ainsi que des groupes régionaux. Icade souhaite également investir le marché des Ehpad et annonce un accord de partenariat avec le groupe Korian. »

Avec cette note, il est apparu difficile de penser à un changement radical de la politique de santé. Ce sentiment a été confirmé par le 4 avril par les déclarations du directeur de l’ARS Grand-Est Christophe Lannelongue selon lequel la restructuration du Centre hospitalier régional universitaire de Nancy, prévoyant la suppression de 598 postes et la fermeture de 174 lits, n’avait aucune raison de ne pas se poursuivre malgré la pandémie[142]. Si quelques jours plus tard il a été limogé[143], on ne peut que se demander si son éviction n’est pas lié davantage à la stratégie de communication de crise du gouvernement qu’à une divergence sur la politique sanitaire.

Il aura fallu attendre le 15 avril pour que le gouvernement précise les déclarations du président du 25 mars et annonce un plan de 110 milliards d’euros, dont 8 milliards pour la santé[144]. Ces financements nouveaux sont destinés à couvrir les dépenses exceptionnelles, tant en termes de matériel que de primes. La prime s’élève de 500 à 1 500 € en fonction de critère géographiques afin de distinguer les territoires très touchés des autres. À cela s’ajoute une majoration de 50% des heures supplémentaires. Dans les deux cas, les versements sont défiscalisés et désocialisés. Encore une fois, la politique de la prime s’impose face au salaire.

Sans revenir sur l’attribution de médailles qui a été assez largement considérée par les professionnels comme une initiative insultante[145], la prime a fait l’objet de nombreuses critiques plus ou moins radicales. Le collectif Hôpital ouvert s’est dit choqué et humilié car la prime n’est qu’une une réponse ponctuelle à la crise sanitaire et permet au gouvernement d’occulter la nécessité de répondre à la crise structurelle que connait notre Hôpital[146]. Il refuse par ailleurs l’héroïsation portée par le gouvernement et l’idée même que l’engagement professionnel soit en mesure d’être acheté :

« […] nous, soignants de l’hôpital public, sommes des fonctionnaires d’État, et à ce titre, travaillons à une mission de service public, en l’occurrence le soin. Notre mission est indépendante de la charge de travail, physique ou psychologique qu’elle implique. Aussi, notre actuelle mobilisation n’a rien d’héroïque, elle fait partie intégrante de notre engagement professionnel. Nous ne la menons pas par motivation financière, mais par engagement social et humain. Vouloir y répondre par une gratification monétaire est un affront que nous fait le gouvernement. »

Les annonces ont en outre pris du temps à être suivi d’effets : annoncée le 25 mars, adopté en conseil des ministres le 15 avril, les décrets d’application n’étaient pas publiés au 5 mai[147]. Dans certains hôpitaux les directions ont prévenu qu’elles ne pourraient pas payer les heures supplémentaires qui devraient se transformer en jours de repos. Alors qu’au cœur de la crise la conflictualité entre l’administration et les professionnels de santé avaient été suspendue, progressivement le contrôle budgétaire a refait surface avec les tensions qui y sont liées. Pour ces raisons, les professionnels ont repris le travail de mobilisation pour éviter « le retour à l’anormal, comme avant » [148].

Le 17 mai est annoncé un Ségur de la santé visant à produire par la concertation le « plan massif » proposé par le président le 25 mars. Au moment même où allait commencer les débats, le gouvernement faisait savoir que la dette accumulée pendant la période du covid-19 serait supportée par la Sécurité sociale, via la CADES, et non l’État. Or, l’augmentation massive de la dette est liée à la décision de l’État de suspendre le versement des cotisations et d’améliorer certaines prises en charge.

Pourquoi ce n’est pas à l’État de supporter les coûts de son incapacité à anticiper et gérer la pandémie ? L’économiste Michael Zemmour souligne qu’en faisant ce choix la Sécurité sociale devra payer près d’une dizaine de milliards d’euros par an pour le remboursement de la dette contre seulement un milliard si l’État l’avait prise à sa charge[149]. Le remboursement de la dette devra se faire au détriment du versement de prestations sociales et au prix de nouvelles mesures d’austérité budgétaire. Dès la fin du mois de mai, il était donc entendu que la Sécurité sociale continuerait à subir le fardeau de la dette.

Les négociations du Ségur de la Santé, dirigées par l’ancienne dirigeante de la CFDT Nicole Notat[150], ont été longues (25 mai – 10 juillet) et ont été rythmées par des manifestations, notamment les 16 et 28 juin. Les deux mesures principales sont l’augmentation de la rémunération des professionnels à hauteur de 8,2 milliards d’euros annuels (7,6 milliards pour les métiers non-médicaux, 450 millions pour les médecins et 200 millions pour les étudiants) et un plan d’investissement de 19 milliards d’euros[151]. Mais comment juger les résultats du Ségur ? Peut-ont parler d’un « changement de philosophie » comme l’indique le journal Le Monde[152] ?

Concernant les 19 milliards d’euros d’investissements, 13 milliards d’euros portent sur la reprise de la dette (c’est-à-dire des investissement passés) et 6 milliards d’euros sur des investissements nouveaux. Ces 6 milliards d’euros devront être partagés entre l’investissement numérique (2 milliards) et le secteur médico-social (1,5 milliards). Il n’y aura donc que 2,5 milliards d’euros d’investissements nouveaux pour l’hôpital, le tout étant lissé sur 5 ans – soit 500 millions d’euros par an.

Du côté des 13 milliards d’euros de reprise de la dette, il faut se rappeler que 10 milliards d’euros de reprise avaient été prévus en novembre 2019 (cf. section 1.). N’ayant pas d’éléments permettant de penser que les 13 milliards du Ségur s’ajoutent aux 10 milliards de novembre 2019, il s’agit très probablement d’une rallonge de la reprise de la dette de 3 milliards d’euros. Rappelons enfin d’ailleurs que la reprise de la dette est conditionnée par l’acception de plans de restructuration décidé par l’État.

Concernant les 8,2 milliards d’euros de revalorisation des rémunérations, la communication du gouvernement a massivement insisté sur les 180€ nets d’augmentation par mois pour les personnels non médicaux. C’est une hausse significative, surtout si on se rappelle des faibles résultats de mobilisation historique de 2019, mais elle est loin de la revendication de 300 €, qui n’a pour objectif que de ramener les salaires français à la moyenne des pays de l’OCDE. L’augmentation aura lieu en deux fois et les soignants devront attendre mars 2021 pour percevoir l’intégralité des 180€. Cette rémunération prendra vraisemblablement la forme de primes et non de salaires.

Il reste une incertitude sur les bénéficiaires de ces hausses. Les stratégies d’externalisation de certains métiers (entretien, restauration, hôtellerie, etc.) vont-elles exclure ces salarié·e·s ? Les négociations sur les grilles salariales sont renvoyées à plus tard. Encore une fois, la question des salaires est esquivée au profit d’une stratégie de primes. Comme dans le reste de la fonction publique et du privée, la lutte contre le salaire, mesuré au point d’indice ou non, reste la règle. Autre point important, le Ségur prévoit 15 000 embauches mais il s’agit en réalité de 7 500 supports de postes nouveaux, la différence étant le nombre de postes vacants avant la crise – soit 7 500 postes supplémentaires pour 1,115 millions d’agents de la fonction publique hospitalière.

Au total, le prétendu « plan massif » pour l’hôpital est constitué de primes pour les professionnels à hauteur de 8,2 milliards, de 500 millions d’euros d’investissements par an pendant 5 ans et de la reprise de 3 milliards d’euros de dette. Il faut rajouter aux mesures du Ségur, le plan de 10 milliards de reprise de la dette hospitalière décidé en novembre et les 3,5 millions d’investissements prévu par le Ségur mais ne concernant pas exclusivement l’hôpital. Notons enfin qu’à aucun moment n’est faite la distinction entre l’hôpital public et l’hôpital privé.

Si les mesure du Ségur de la santé sont significatives par rapport à l’histoire récente de l’hôpital, il faut les relativiser à l’aune de la situation : 20 ans d’austérité et… une crise sanitaire et économique inconnue en France depuis la Seconde Guerre mondiale. De plus, le Ségur de la santé esquive beaucoup de problèmes centraux dans l’organisation du système de soin[153].

Rien n’a été dit sur la structure du pouvoir dans les hôpitaux. Si les hôpitaux sont devenus des petites entreprises, ils sont pieds et poings par leur hiérarchie : ARS et ministère. A quand une démocratisation de l’hôpital public ? A quand une re-démocratisation de la sécurité sociale ? Il ne suffit pas de dire qu’il faut plus de financement, il faut encore que ces financements puissent être utilisés en dehors des logiques marchandes et bureaucratiques. Pourquoi ne pas redonner le pouvoir aux travailleurs et aux cotisants ?

Rien n’a été dit sur le financement des mesures annoncées. Jusqu’à maintenant, chaque dépense nouvelle dans l’ONDAM était financée par des économies sur d’autres postes de l’ONDAM – si bien que les ministres peuvent dire sans mentir qu’ils augmentent les budgets alors qu’ils les baissent ! La gloire de l’hôpital public a été fondée sur l’augmentation progressive de la cotisation sociale – et non par de l’impôt ou de l’emprunt (public ou privé). Si à court/moyen terme on peut laisser filer la dette, est ce que cela sera au prix de plus d’austérité demain ?

Rien n’a été dit l’hôpital entreprise. Le premier problème de l’hôpital est le niveau des dépenses, trop faible (ONDAM). Le fait d’imposer à l’hôpital de se comporter comme une entreprise à but lucratif, avec par ex la T2A, n’est en fin de compte qu’une méthode de rationnement. Si la question du budget est plus importante, celle de l’organisation compte énormément pour les travailleurs. Va-t-on en finir avec l’industrialisation des soins ? La gestion par objectifs quantifiés de productivité ? la logique de concurrence ? Le minutage de tous les temps ?

Rien n’a été n’a été dit sur l’articulation ville-hôpital. La souffrance à l’hôpital provient de l’absence complète de régulation de la médecine de ville – où il est plus difficile de contrôler l’évolution des dépenses. On peut vouloir réduire la place de l’hôpital, uniquement à condition que les structures de ville suivent (médical, médico-social, etc.). Or, en raison des coûts et de la désorganisation du système, l’hôpital public est souvent un refuge nécessaire pour de nombreuses personnes (malades ou non).

Rien n’a été dit sur l’articulation du privé et du public. Au contraire, certains syndicats se sont plaints de l’absence de séparation des mesures. Il faut dire que le privé à but lucratif s’organise depuis plusieurs années pour se développer où c’est rentable, au risque d’accroître les inégalités.

Si on peut comprendre que certains syndicats aient signé les accords de Ségur, ce qui est pris n’étant plus à prendre, il serait illusoire que de croire que les mesures du Ségur seront suffisantes pour améliorer le système de santé. L’accord salarial permet aux travailleurs de serrer les dents un peu plus dignement mais que va-t-il se passer avec tout le reste ?

Pour toutes ces raisons la mobilisation des professionnels hospitaliers a connu un regain significatif dès avant la fin du Ségur de la Santé. Par exemple, le syndicat Sud Santé Sociaux a déposé un préavis de grève illimité à compter du 22 mai au CHU de Bordeaux pour protester contre les primes et la faiblesse de la réponse politique à la crise sanitaire[154]. Par un communiqué du 26 mai, le collectif inter-urgence s’indigne de ne pas être invité aux négociations du Ségur au motif qu’il serait une organisation sectorielle (services des urgences) alors qu’il a été à l’origine du mouvement de 2019. Le 29 mai, tandis que la CFDT se dit prête à accepter des accords locaux pour remettre en cause les 35 heures, les autres syndicats s’insurgent contre cette perspective et préparent de futures mobilisations dans la rue[155]. Le 2 juin, le syndicat Sud Santé Sociaux décide de quitter les négociations du Ségur en raison d’écart trop important entre les revendications et les propositions du gouvernement[156].

Avec l’assassinat de Georges Floyd le 25 mai aux États-Unis et la naissance du mouvement Black lives matter, la reprise des manifestations s’accélère en France. Les mobilisations du 2 et du 13 juin autour du comité Vérité pour Adama ont supprimé l’effet tétanisant du covid-19 sur la contestation politique. Le 16 juin a lieu la première grande manifestation de soignants depuis le début de la crise sanitaire. Plus de 220 rassemblements ont été organisés comptabilisant au total plusieurs dizaines de milliers de personnes[157].

Le 20 juin l’association Attac et le collectif inter urgence ont aspergé du faux sang sur l’entrée du ministère de la santé[158]. Une nouvelle grande manifestation est organisée le 30 juin[159], à ce moment-là le gouvernement propose 6,3 milliards d’euros de revalorisations (8,2 milliards au final). La fin du Ségur n’apaise que très modérément les tentions durant l’été. Le 14 juillet des contre-manifestations sont organisées pour protester contre les honneurs réservés lors des cérémonies officielles aux soignants[160]. Le 19 aout, France info révèle que plusieurs services d’hôpitaux se mettent en grève illimitée, notamment à Laval en Mayenne où la pandémie reprend son développement. La signature des accords du Ségur est un trompe-l’œil car les signataires n’avaient pas pris part au mouvement de grève entamé en 2019[161]. Les professionnels craignent une éventuelle reprise de l’épidémie à l’automne. Le 23 aout le Collectif inter-hôpital publie un communiqué démentant l’affirmation du ministre de la Santé Olivier Véran selon lequel les hôpitaux seraient prêts pour la deuxième vague.

Malgré ces protestations, aucune annonce nouvelle n’est venue répondre aux inquiétudes des professionnels mobilisés. Le 3 septembre dernier le gouvernement a présenté son plan de relance de l’économie à 100 milliards. De cette somme, pas un euro de plus n’est consacré à l’hôpital. Le volet santé du plan est constitué par les annonces du Ségur. De même la santé est, d’après un article paru dans Le Monde, la « grande oubliée du plan de relance européen » [162].

A la fin de l’été 2020, le « plan massif » pour l’hôpital est introuvable. La politique sanitaire semble par ailleurs rester sur ses dynamiques antérieures : puissance des bureaucraties sanitaires, absence de distinction entre public et privé ce qui permet le développement en silence du capital, approfondissement des investissements numériques (notamment via la télémédecine), promotion de la prime contre le salaire, gouvernement par la dette, refus de la démocratisation des décisions sanitaires, etc.

Il faut reconnaitre que les mesures prises pendant la crise du covid-19 sont nettement plus fortes que celles liées au mouvement historique de 2019. Il faut donc dire que c’est la guerre contre le virus bien plus que la lutte sociale qui a rendu possible l’amélioration des rémunérations à l’hôpital. Évidemment, ces mesures restent trop faibles pour faire face aux enjeux de l’hôpital public. On peut se demander si les professionnels pourraient résister à une nouvelle secousse semblable à celle de mars/avril. Cette question est d’autant plus importante que le Plan blanc a été réactivé dès la mi-août dans les Bouches du Rhône[163] faisant craindre un retour massif de l’épidémie à l’automne[164].

Conclusion

Une grande grève et une pandémie plus tard, l’État n’a toujours pas pris des décisions permettant de répondre aux problématiques du système de santé. Cette situation est liée à l’incapacité au refus d’opposer capitalisme sanitaire et sécurité sociale mais surtout à l’oubli des fondements de la sécurité sociale : le conflit non institutionnalisé – contre l’État, contre le capital.

A la suite de la gestion catastrophique de la crise une commission d’enquête parlementaire a été créée[165] et des plaintes ont été déposés contre des ministres, notamment Édouard Philippe[166] et Jean Castex[167]. Mais, pense-t-on réellement que les institutions (parlement, justice, bureaucraties sanitaires, etc.) qui ont co-produit la situation actuelle sont en mesure d’évaluer les responsabilités devant la crise sanitaire et la contribution des années de casse de la Sécurité sociale ?

La pandémie a montré que le gouvernement passe une grande partie de son temps à mentir. Il ment soit directement, par exemple en disant en moins de trois mois que les masques sont inutiles puis qu’ils sont obligatoires sous peine de contravention, soit indirectement par la manipulation des chiffres et des mots, par exemple en annonçant à intervalle régulier des plans d’urgence pour la santé qui sont au mieux très insuffisants et qui au pire supposent de faire des économies ailleurs dans le système de santé.

Il faut s’interroger sur les répertoires d’action des militants favorables à l’extension de la Sécurité sociale. Ce n’est pas facile de critiquer les professionnels qui se sont mobilisés et qui ont tenu l’hôpital à bout de bras pendant la pandémie. Mais ce n’est pas leur rendre service que de ne pas constater que toutes ces mobilisations, comme celles contre la réforme des retraites et de l’université, n’ont pas été efficaces. Pour quelles raisons les militants prennent encore au sérieux le gouvernement en acceptant ses problématiques et les règles du jeu qu’il impose par la loi – quitte à faire évoluer la loi pour étouffer la contestation ?

On a vu cette année à quelle vitesse les applaudissements quotidiens ont laissé place aux coups de matraque pour les soignants pourtant héroïsés[168]. La volonté du monde de la santé de montrer sa légitimité a atteint ses limites. Les jetés de blouses ou les SOS des hôpitaux n’ont pas eu d’effets avant la crise. La crise que l’on connaît aura à peine suffi à arracher quelques milliards, comme d’autres secteurs pourtant moins sollicités. Peut-être faut-il penser à des stratégies de lutte moins institutionnalisées, plus en phase avec l’histoire de la sécurité sociale ?

Notes

[1] https://www.liberation.fr/direct/element/y-a-pas-dargent-magique-repond-emmanuel-macron-a-une-soignante-qui-deplore-le-manque-de-moyens-des-h_80049/

[2] https://reporterre.net/La-maternite-de-Die-a-ferme-et-le-petit-Aime-est-mort

[3] On pourra consulter ici le site internet de l’association qui relaie les actions locales et nationales des militants : http://coordination-defense-sante.org/.

[4] https://www.lci.fr/population/paris-aphp-hopitaux-les-urgentistes-de-l-hopital-saint-antoine-en-greve-illimitee-agressions-2116103.html

[5] https://www.whatsupdoc-lemag.fr/grand-format/inter-urgences-cest-quoi

[6] On pourra consulter ici le site internet du collectif qui relaie les actions locales et nationales des militants : https://www.interurgences.fr/.

[7] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/05/06/les-annonces-apres-le-grand-debat-national

[8] https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/06/14/urgences-le-gouvernement-debloque-70-millions-d-euros-pour-des-mesures-immediates_5476242_3224.html

[9] https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-aux-urgences/hopitaux-quelles-sont-les-revendications-des-soignants-engreve_3484345.html

[10] https://www.interurgences.fr/2019/08/communique-de-presse-03-juillet-2019/

[11] https://www.interurgences.fr/2019/08/communique-du-21-aout/

[12] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/pacte-de-refondation-des-urgences

[13] Objectif national de dépenses d’assurance maladie ; le budget de la santé. Voir la première partie du texte.

[14] https://blogs.alternatives-economiques.fr/rcerevue/2020/05/31/les-crises-de-l-hopital-public-entretien-avec-brigitte-dormont

[15] Si une année tel médicament vaux 1€ et que l’année suivante il en vaut 2€, pour être en mesure de prodiguer le même nombre de boite de ce médicament il faudra plus d’argent. Si le budget reste identique, on devra diminuer la distribution des médicaments d’une année sur l’autre.

[16] On pourra consulter ici le site internet du collectif qui relaie les actions locales et nationales des militants : https://www.collectif-inter-hopitaux.org/.

[17] Soit plus que l’augmentation tendancielle pour 2020 (3,3 %), autrement dit une augmentation réelle du budget.

[18] https://www.syndicat-infirmier.com/Preavis-greve-infirmieres-jeudi-14-novembre-2019-hopital-cliniques-Ehpad.html

[19] https://www.midilibre.fr/2019/11/14/hopital-emmanuel-macron-admet-que-la-crise-est-plus-grave-quil-ne-le-pensait,8541807.php

[20] https://www.gouvernement.fr/partage/11283-plan-d-urgence-pour-l-hopital-ma-sante-2022-discours

[21] https://blogs.alternatives-economiques.fr/rcerevue/2020/05/31/les-crises-de-l-hopital-public-entretien-avec-brigitte-dormont

[22] https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-du-5-decembre/greve-du-17-decembre-les-personnels-de-l-hopital-mobilises_3748977.html

[23] https://sante.lefigaro.fr/article/hopital-plus-de-1000-medecins-menacent-de-demissionner-de-leurs-responsabilites/

[24] https://www.nouvelobs.com/societe/20200115.OBS23498/des-medecins-jettent-leurs-blouses-blanches-contre-le-manque-de-moyens-a-l-hopital.html

[25] https://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/epidemie-de-bronchiolite-plus-de-5000-enfants-amenes-aux-urgences_3769665.html

[26] https://www.liberation.fr/debats/2020/01/03/l-appel-des-parents-pour-la-reanimation-pediatrique_1771374

[27] https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/angers-apres-le-deces-d-un-patient-passe-aux-urgences-la-direction-reagit-6404153

[28] https://www.20minutes.fr/faits_divers/2674055-20191213-brest-apres-six-heures-passees-brancard-urgences-homme-86-ans-decede

[29] https://www.francebleu.fr/infos/societe/video-negligence-incompetence-une-petite-fille-de-11-ans-meurt-a-l-hopital-necker-sa-maman-temoigne-1580396858

[30] https://www.interurgences.fr/2020/02/communique-de-presse-24-fevrier-2020/

[31] https://www.la-croix.com/France/Le-premier-Francais-mort-coronavirus-etait-enseignant-lOise-2020-02-26-1201080624

[32] On peut d’une certaine manière tirer les mêmes conclusions à propos du mouvement contre la réforme des systèmes de retraite et, dans une moindre mesure, du mouvement des gilets jaunes.

[33] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/roselyne-bachelot-personne-nimaginait-une-crise-de-cette-violence

[34] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/claude-evin-une-reponse-adaptee-et-proportionnee

[35] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/marisol-touraine-loccasion-de-penser-une-veritable-europe-sanitaire-et-sociale

[36] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/elisabeth-hubert-olivier-veran-le-bon-ton-et-la-bonne-demarche

[37] https://apps.who.int/gpmb/assets/annual_report/GPMB_annualreport_2019.pdf

[38] https://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-dÉtat-134371

[39] https://www.fakirpresse.info/Le-vrai-CV-de-Roselyne-Bachelot

[40] https://formindep.fr/un-ministre-de-la-sante-ca-ose-tout-cest-meme-a-ca-quon-le-reconnait-2/

[41] http://www.slate.fr/france/52325/nicolas-sarkozy-conflits-dinterets-transparence

[42] Notons que cet épisode n’est pas sans lien avec la remarque de l’OMS sur la perte de confiance dès les gouvernements.

[43] https://www.nationalgeographic.fr/sciences/2020/04/les-experts-parlent-du-risque-pandemique-depuis-des-decennies-pourquoi-netions

[44] https://qg.media/2020/03/26/sur-la-situation-epidemique-par-alain-badiou/

[45] On trouvera ici le calendrier des actions entreprises par le gouvernement : https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/les-actions-du-gouvernement.

[46] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/coronavirus-agnes-buzyn-a-t-elle-sous-estime-le-risque-de-propagation-en-france_3851495.html

[47] Selon l’OMS, la différence entre pandémie et épidémie est l’ampleur géographique du phénomène. Une pandémie est une épidémie généralisée à large partie de la planète.

[48] https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-maladies/2622449-plan-orsan-reb-definition-signification-qui-declenche-coronavirus-definition-duree/

[49] https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/02/25/coronavirus-quel-dispositif-sanitaire-en-cas-d-epidemie-en-france_6030770_1651302.html

[50] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html

[51] https://www.lefigaro.fr/elections/municipales/guillaume-tabard-le-casse-tete-municipal-des-ministres-20200120

[52] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/14/benjamin-griveaux-renonce-a-la-mairie-de-paris-apres-la-diffusion-d-images-privees-a-caractere-sexuel_6029533_823448.html

[53] https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/jy-vais-pour-gagner-buzyn-remplace-griveaux-dans-la-bataille-de-paris-et-devrait-quitter-le

[54] https://www.lexpress.fr/actualite/politique/coronavirus-quand-agnes-buzyn-remerciait-vivement-anne-hidalgo-pour-sa-mobilisation_2119239.html

[55] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/29/reforme-des-retraites-le-gouvernement-annonce-recourir-a-l-article-49-3-pour-faire-adopter-son-projet_6031362_823448.html

[56] https://www.bfmtv.com/people/emmanuel-et-brigitte-macron-au-theatre-pour-inciter-les-francais-a-sortir-malgre-le-coronavirus_AN-202003070063.html

[57] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/11/premiere-journee-nationale-dhommage-aux-victimes-du-terrorisme-suivez-la-ceremonie-au-trocadero

[58] Le chemin de croix d’Agnès Buzyn, Le monde, 18 mars 2020.

[59] https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-la-reforme-des-retraites-suspendue-annonce-macron_fr_5e6fd329c5b60fb69ddc13c9

[60] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/15/les-municipales-n-auraient-pas-contribue-statistiquement-a-la-propagation-du-covid-19_6039720_823448.html

[61] « Cette pandémie est un désastre que nous avons nous-mêmes créé », Le monde, 24 juin 2020.

[62] http://nakedkeynesianism.blogspot.com/2020/03/world-war-ii-not-new-deal-is-model-for.html?m=1 ; https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/24/coronavirus-crisis-change-world-financial-global-capitalism; https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/12/economie-de-pandemie-economie-de-guerre/

[63] https://www.project-syndicate.org/commentary/covid-19-america-response-wwii-mobilization-by-james-k-galbraith-2020-03?barrier=accesspaylog

[64] https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/200320/non-nous-ne-sommes-pas-en-guerre-nous-sommes-en-pandemie-et-cest-bien-assez

[65] Par ailleurs, l’idée selon laquelle l’économie de guerre conduit à l’union sacrée oublie qu’historiquement, si les États cherchent à réaliser l’union sacrée derrière leur projet, de nombreuses résistances populaires s’y refusent.

[66] https://www.mediapart.fr/journal/economie/030420/cedric-durand-l-enjeu-de-cette-crise-est-de-planifier-la-mutation-de-l-economie?onglet=full

[67] https://www.contretemps.eu/sante-publique-economie-democratique/

[68] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190320/comment-gerer-une-economie-de-guerre-quelle-union-sacree

[69] https://www.vie-publique.fr/fiches/273947-quest-ce-que-lÉtat-durgence-sanitaire

[70] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/25/la-crise-sanitaire-ne-peut-pas-etre-la-porte-ouverte-a-tout-l-opposition-politique-monte-au-creneau-contre-les-ordonnances-gouvernementales_6034415_823448.html

[71] https://www.liberation.fr/france/2020/03/26/droit-du-travail-les-syndicats-mefiants_1783233

[72] https://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-entre-macron-et-le-conseil-scientifique-des-divergences-de-fond-08-05-2020-8313033.php

[73] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/olivier-veran-installe-un-conseil-scientifique

[74] https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Hcsp

[75] https://www.mediapart.fr/journal/france/020420/masques-les-preuves-d-un-mensonge-d-État?onglet=full

[76] https://www.mediapart.fr/journal/france/100420/masques-apres-le-mensonge-le-fiasco-d-État

[77] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/faut-il-porter-un-masque-pour-se-proteger-du-coronavirus_3798505.html

[78] https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-dans-quels-cas-faut-il-porter-un-masque-sanitaire_AN-202002240098.html

[79] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/08/29/six-mois-de-consignes-sur-le-masque-en-france_6050316_3224.html

[80] https://www.ouest-france.fr/sante/masques-de-protection/entreprises-elisabeth-borne-envisage-des-assouplissements-sur-le-port-systematique-du-masque-6952772

[81] https://www.ladepeche.fr/2020/09/12/on-vous-explique-laffaire-anthony-smith-cet-inspecteur-du-travail-dont-la-sanction-a-provoque-une-polemique-9066791.php

[82] https://www.mediapart.fr/journal/france/030520/covid-19-des-masques-grand-public-pour-cacher-la-penurie

[83] L’effort de production s’est aussi reporté sur le travail gratuit des détenus de la prison de Val de Reuil : https://www.sudouest.fr/2020/04/21/les-detenus-d-une-prison-normande-participent-a-l-effort-national-en-fabriquant-des-masques-7429000-10618.php.

[84] https://www.publicsenat.fr/article/debat/en-pleine-surproduction-de-masques-en-tissus-made-in-france-l-État-distribue-650-000

[85] https://www.mediapart.fr/journal/france/290420/tests-covid-19-la-defaillance-organisee-au-sommet-de-l-État?onglet=full

[86] https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/interview-covid-19-tests-monde-ment-on-ne-pourra-pas-faire-700-000-tests-affirme-pr-froguel-1823368.html#xtor=RSS-3-%5Blestitres%5D

[87] https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-700-000-tests-par-semaine-un-objectif-trop-ambitieux

[88] https://www.liberation.fr/france/2020/04/02/dans-les-coulisses-des-tgv-medicalises_1784031

[89] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/23/coronavirus-voici-a-quoi-ressemble-l-hopital-militaire-installe-a-mulhouse_6034110_3244.html

[90] https://www.mediapart.fr/journal/france/200320/les-services-de-reanimation-se-preparent-trier-les-patients-sauver

[91] La typologie comprend trois autres cas : les morts acceptables (patients très âgés ou polypathologiques), les morts inévitables (patient au-delà̀ de toutes ressources thérapeutiques du fait de la sévérité́ de la maladie ou du terrain) et les morts inacceptables (patients jeunes sans comorbidités majeures dont la mort était évitable).

[92] https://www.notretemps.com/famille/guide-aidants/la-moitie-des-personnes-decedees-sont-des-residents-d-ehpad,i218915

[93] https://www.marianne.net/societe/des-personnes-agees-auraient-probablement-pu-etre-sauvees-le-refus-d-hospitalisation-de

[94] https://www.leparisien.fr/oise-60/coronavirus-rien-de-transparent-dans-les-deces-de-l-ehpad-a-crouy-en-thelle-selon-les-familles-03-04-2020-8293851.php

[95] https://www.bastamag.net/tri-des-patients-covid-handicap-reanimation-deces-etabissements-medicaux-sociaux?utm_source=actus_lilo

[96] A ce sujet, un article paru en juillet estime que le cout médico-économique du confinement a été supérieur à ses avantages médico-économiques. Ce calcul, qui suppose d’attribuer une valeur monétaire aux années de vies, peut être consulté ici : https://www.dailymail.co.uk/news/article-8555171/The-cost-lockdown-Britains-economy-not-worth-lives-saved-study-claims.html.

[97] https://www.rfi.fr/fr/france/20200331-coronavirus-la-france-accepte-m%C3%A9decins-cubains-d%C3%A9partements-doutre-mer

[98] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-cuba-envoie-15-medecins-en-renfort-en-martinique-une-premiere-sur-un-territoire-francais_4023489.html

[99] https://planetes360.fr/singapour-le-tracage-par-appli-degenere-en-surveillance-de-masse/?feed_id=29769&_unique_id=5eb65f58123ec

[100] https://www.contretemps.eu/big-data-coronavirus-sante-publique/

[101] https://www.bfmtv.com/tech/vie-numerique/christophe-castaner-le-tracage-numerique-contraire-a-la-culture-francaise_AN-202003270132.html

[102] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/08/stopcovid-l-application-sur-laquelle-travaille-le-gouvernement-pour-contrer-l-epidemie_6035927_3244.html

[103] https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/stopcovid-premier-bilan-pour-l-application-de-suivi-des-contacts-n150985.html

[104] https://www.rtl.fr/actu/politique/stopcovid-le-premier-ministre-jean-castex-admet-l-echec-de-l-application-7800749612

[105] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/stopcovid-un-flop-qui-coute-cher_4005091.html

[106] https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/stopcovid-anticor-saisit-la-justice-pour-des-soupcons-de-favoritisme-7800587523

[107] https://www.mediapart.fr/journal/france/170420/l-assemblee-les-gauches-dessinent-une-autre-politique-face-la-crise

[108] Rappelons que la création de l’impôt sur le revenu en France date de 1914 dans un contexte de guerre.

[109] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/fonds-de-solidarite-lappel-aux-dons-de-gerald-darmanin-conteste-1190586

[110] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/le-decryptage-eco-le-coronathon-de-gerald-darmanin_3872175.html

[111] https://www.lefigaro.fr/culture/le-mobilier-national-cede-certains-de-ses-tresors-pour-soutenir-les-hopitaux-20200430

[112] https://lvsl.fr/brader-la-culture-pour-soutenir-les-hopitaux-la-vente-du-mobilier-national-est-un-faux-choix/

[113] https://www.humanite.fr/lhopital-de-montauban-la-tombola-de-la-honte-pour-les-soignants-689986

[114] https://www.parismatch.com/Actu/Sante/Le-gel-hydroalcoolique-produit-par-LVMH-commence-a-etre-distribue-1679224

[115] https://www.huffingtonpost.fr/entry/du-gel-hydroalcoolique-lvmh-vendu-chez-carrefour-le-groupe-plaide-lerreur_fr_5ece2923c5b6367232b0c46a

[116] http://www.ordre.pharmacien.fr/content/download/500436/2275475/version/2/file/CP-CLIO-sant%C3%A9-masques.pdf

[117] https://www.mediapart.fr/journal/france/030520/masques-l-État-s-efface-derriere-les-supermarches?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-67

[118] https://www.leparisien.fr/high-tech/l-ap-hp-va-imprimer-en-3d-les-equipements-qui-manquent-dans-ses-hopitaux-03-04-2020-8293692.php

[119] https://www.leparisien.fr/societe/toulouse-deux-infirmiers-qui-demandaient-des-masques-dans-un-ehpad-ont-ete-licencies-06-07-2020-8348394.php

[120] https://www.ladepeche.fr/2020/05/17/coronavirus-sanofi-sexcuse-apres-avoir-annonce-la-priorite-du-vaccin-aux-États-unis,8891579.php

[121] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/06/24/coronavirus-la-guerre-sans-merci-des-laboratoires-pour-un-vaccin_6043964_3244.html

[122] https://www.contretemps.eu/lutte-classes-travail-covid/

[123] https://www.lesimprimantes3d.fr/fin-mouvement-makers-visieres-3d-20200518/

[124] https://www.mediapart.fr/journal/france/160520/les-mutations-tres-politiques-de-la-societe-francaise

[125] https://www.contretemps.eu/crise-covid19-economique-sanitaire-État/

[126] https://www.liberation.fr/amphtml/france/2020/06/26/pour-l-assurance-maladie-les-recours-aux-soins-ne-reviendront-pas-a-la-normale-avant-l-automne_1792377

[127] http://www.odds93.fr/?babrw=racine/menuhaut/realisations-/portrait-social/babArticle_263

[128] Les résultats présentés ici concernent les données disponibles au 24 avril. Depuis les données ont été régulièrement mises à jour.

[129] Les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19 – État des lieux et perspectives, DREES (10-07-20).

[130] https://theconversation.com/le-coronavirus-revelateur-des-inegalites-territoriales-francaises-137315

[131] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.07.09.20149955v1

[132] https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/05/une-pandemie-de-la-pauvrete/

[133] https://www.streetpress.com/sujet/1589211379-sans-rer-et-banlieusards-coeur-paris-s-arrete-de-battre

[134] https://www.voici.fr/news-people/actu-people/emmanuel-macron-pourquoi-a-t-il-retarde-le-debut-de-son-allocution-ce-lundi-678408

[135] https://www.youtube.com/watch?v=7lm1cScE92o

[136] https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-environ-4-des-personnels-de-l-ap-hp-ont-ete-infectes-par-le-covid-19-6816052

[137] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/26-medecins-liberaux-en-activite-sont-morts-du-covid-19-en-france-20200605

[138] https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-au-moins-50-000-soignants-contamines-en-france_AN-202006110067.html

[139] https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/recensement-national-des-cas-de-covid-19-chez-les-professionnels-en-etablissements-de-sante

[140] https://www.leparisien.fr/societe/le-covid-reconnu-maladie-professionnelle-pour-certains-soignants-11-09-2020-8382861.php

[141] https://www.mediapart.fr/journal/france/010420/hopital-public-la-note-explosive-de-la-caisse-des-depots?onglet=full

[142] https://www.estrepublicain.fr/edition-nancy-et-agglomeration/2020/04/04/l-avenir-du-chru-de-nancy-la-meme-vision-exigeante

[143] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/08/l-elysee-decide-de-limoger-christophe-lannelongue-directeur-de-l-ars-grand-est_6036037_3244.html

[144] https://www.lefigaro.fr/economie/Édouard-philippe-annonce-une-prime-de-500-a-1-500-euros-pour-les-soignants-20200415

[145] https://www.publicsenat.fr/article/politique/primes-et-medailles-des-mesures-gadgets-pour-les-soignants-182529 ; https://www.europe1.fr/sante/les-soignants-recompenses-par-des-medailles-derriere-le-geste-symbolique-la-foret-des-revendications-3968785

[146] https://blogs.mediapart.fr/hopital-ouvert/blog/070520/covid-la-colere-en-primes-opposition-de-soignants-aux-primes-covid

[147] https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/coronavirus-les-soignants-sans-prime-ni-reconfort-1202327

[148] https://www.mediapart.fr/studio/portfolios/de-nuit-entre-deux-gardes-des-soignants-infatigables-relancent-leur-mobilisation-pour-lhopital

[149] https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/26/michael-zemmour-les-assurances-sociales-n-ont-pas-a-supporter-la-dette-due-au-covid_6040735_3232.html

[150] Elle était secrétaire générale de la CFDT lors du plan Juppé de 1995 qu’elle a soutenu.

[151] https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/segur-de-la-sante-les-conclusions/

[152] « 33 mesures pour réformer le système de santé », Le monde, 23 juillet 2020.

[153] https://www.alternatives-economiques.fr/segur-de-sante-faux-semblants-vrais-enjeux/00093002

[154] https://www.revolutionpermanente.fr/Preavis-de-greve-au-CHU-de-Bordeaux-pas-de-primes-mais-des-moyens-pour-l-hopital-public

[155] https://www.revolutionpermanente.fr/Hopital-public-La-CFDT-prete-a-des-accords-locaux-pour-remettre-en-cause-les-35h

[156] Parce que nous voulons continuer à défendre l’hôpital public, la Fédération SUD santé Sociaux claque la porte du Ségur, Communiqué presse SUD santé, 2 juin 2020.

[157] https://actu.fr/societe/manifestation-des-soignants-retour-en-images-sur-la-mobilisation-du-16-juin-en-france_34323551.html

[158] https://www.midilibre.fr/2020/06/20/attac-et-inter-urgences-aspergent-lentree-du-ministere-de-la-sante-de-faux-sang,8941580.php

[159] https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/manifestation-des-soignants-a-paris-nos-images-a-retenir_34664296.html

[160] https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/en-direct-14-juillet-a-paris-une-manifestation-de-soignants-et-de-gilets-jaunes_34936085.html

[161] https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-le-blues-des-soignants-avant-une-rentree-a-hauts-risques_fr_5f3fb65ec5b6763e5dc22584

[162] https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/08/21/la-sante-grande-oubliee-du-plan-de-relance-europeen_6049543_3244.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1598036774

[163] https://marsactu.fr/bref/covid-19-le-plan-blanc-active-dans-les-hopitaux-des-bouches-du-rhone/

[164] https://legrandcontinent.eu/fr/2020/08/31/covid-19-deuxieme-vague/

[165] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/24/commission-d-enquete-sur-le-covid-19-au-senat-agnes-buzyn-et-sibeth-ndiaye-sous-le-feu-des-critiques_6053388_823448.html

[166] https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-63-plaintes-deposees-contreÉdouard-philippe-et-ses-ministres_3963977.html

[167] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/17/une-association-de-victimes-du-covid-19-porte-plainte-contre-jean-castex_6052587_3224.html

[168] https://www.frustrationmagazine.fr/nos-heros-soignants-ont-ete-gazes-matraques-et-tires-par-les-cheveux-par-nos-policiers-republicains/

Un travailleur grec sur huit gagne 200 euros par mois

Rapport sur l’impact de la pandémie  

La Grèce a enregistré une augmentation spectaculaire du nombre de personnes vivant avec un salaire inférieur au seuil de pauvreté : un travailleur sur huit gagne 200 euros par mois, selon le rapport annuel de l’Institut du travail du syndicat du secteur privé GSEE.

« Une grande partie de la population grecque est menacée d’appauvrissement permanent », avertissent les chercheurs du rapport annuel sur l’économie et l’emploi en Grèce.

Le rapport décrit la situation du marché du travail dans le contexte de la pandémie de coronavirus et parle de réduction des salaires, de détérioration du niveau de vie, de l’abolition de facto des 8 heures de travail et d’une augmentation spectaculaire du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

En analysant les données, les chercheurs soulignent que des mesures immédiates doivent être prises pour améliorer le niveau de vie des ménages, faute de quoi l’appauvrissement d’une grande partie de la population sera permanent et la cohésion sociale sera perturbée.

Les chercheurs soulignent qu' »une très grande partie de la population active est soit absente du marché du travail (contrats de travail suspendus pendant plus de 3 mois en raison de la pandémie), soit enregistrée comme chômeur ou travaille pour des salaires inférieurs au seuil de pauvreté ».

Plus de 100 000 salariés ont « quitté » le marché du travail et vivent avec une aide d’État de 534 euros par mois depuis plus de 3 mois.

Le salaire mensuel moyen a diminué de 10 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au même trimestre 2019.

3 travailleurs sur 10 perçoivent un salaire inférieur au salaire minimum, dont le montant – malgré l’augmentation de 2019 – est inférieur au seuil de pauvreté.

7 sur 10 ont un salaire inférieur à 1 000 euros.

Selon les données du rapport annuel, au deuxième trimestre 2020, le salaire mensuel moyen est passé de 885 euros au deuxième trimestre 2019 à 802 euros au deuxième trimestre 2020, soit une baisse d’environ 10 %.

Au cours de la même période, le pourcentage d’employés recevant de 0 à 200 euros a été multiplié par 12, passant de 1 % à environ 12 %.

Les travailleurs recevant des salaires entre 200 et 1 200 euros ont diminué de 11,3 points de pourcentage.

La baisse la plus importante a été enregistrée chez les personnes dont le salaire net se situait entre 400 et 600 euros, car cette catégorie est passée de 16,3 % au deuxième trimestre 2019 à 12,3 % au même trimestre 2020.

Le pourcentage de personnes ayant reçu entre 601 et 800 euros a diminué de 24,8 % à 23,5 %, tandis que celui des personnes ayant reçu entre 801 et 1 000 euros est passé de 21,8 % à 18,3 % respectivement.

Il est à noter qu’au deuxième trimestre 2020, 72,9 % des salariés avaient un salaire net inférieur à 1 000 euros.

Presque toutes les échelles salariales ont pu être affectées négativement, mais le principal fardeau de la compression salariale a affecté les bas salaires.

« En supposant que la profondeur de la récession ne dépasse pas 9 %, l’Institut estime que le taux de chômage officiel augmentera à 21,2 % d’ici la fin de 2020. », indiquent les chercheurs dans leur rapport.

L’expansion de la population économiquement inactive est particulièrement importante pour la façon dont le marché du travail sera façonné dans un avenir proche.

En 2019, on a constaté une diminution constante du nombre de chômeurs et une diminution parallèle des personnes économiquement inactives, mais dans une moindre mesure.
Le taux de chômage officiel a diminué de 2 points de pourcentage en moyenne.

Cependant, à partir de décembre 2019, le nombre d’inactifs a commencé à augmenter progressivement, avec pour résultat qu’en février 2020, environ 79 000 personnes ont quitté la population active.

En même temps, le coût de la perte d’un emploi est particulièrement élevé en Grèce, puisqu’après deux ans de chômage, les chômeurs ont perdu 47 % de leurs revenus. Ce résultat place la Grèce au troisième rang des pays les plus pauvres de la zone euro.

« Le risque élevé de chômage de longue durée, combiné à l’inefficacité du filet de sécurité sociale, conduit à la conclusion que, si des mesures immédiates ne sont pas prises pour améliorer le niveau de vie des ménages, l’appauvrissement d’une grande partie de la population sera permanent. La cohésion sociale va éclater, tandis que l’impact de la crise pandémique sur l’économie aura une durée plus longue et des conséquences plus néfastes », concluent les chercheurs.

Plus de données du rapport ici en grec.  here

La traduction et la rédaction de ce rapport par PS m’ont rappelé les rapports dramatiques sur les revenus et les conditions de travail pendant la crise économique grecque. 200 euros par mois ? Christine Lagarde, en tant que chef du FMI, ne pouvait pas y penser même dans ses rêves les plus fous de compétitivité…

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2020/10/22/greece-workers-salaries-200euros-pandemic-report-impact/

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