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Archives de catégorie Austérité-Neolibéralisme

Pour la sauvegarde Hellénikon

COMITÉ COMMUN DES CITOYENS POUR LE SAUVEGARDE DE « HELLÉNIKON » 

(archéologues, architectes, élus des communautés locales, des scientifiques de l’environnement, des universitaires, des artistes et représentants des mouvements pour la ville et l’environnement en Attique)

LA LUTTE CONTRE LA SOUSTRACTION DE « HELLÉNIKON » CONTINUE

HELLÉNIKON » est une zone de 620,00 hectares en Attique, composée de l’ancien aéroport et de la plage d’Agios Kosmas. C’est le seul espace public libre de grande échelle dans la région, qui pourrait contribuer de manière significative à freiner la dégradation résidentielle et environnementale et à lutter contre le changement climatique, tout en renforçant les activités économiques en répartissant les avantages sociaux dans toute la région d’Attique.

Il est en cours d’exploitation / concession à la Société « Lamda Development » dans le cadre des mémorandums d’engagements du pays. Un mouvement important de résistance contre la vente de « HELLÉNIKON » a été développé, ce qui a rendu l’affaire publique, au niveau national et international.

Aujourd’hui, la lutte engagée se trouve à une phase critique et les procès judiciaires, qui font partie du processus cinématique, doivent continuer. Nous demandons un soutien national et international par des moyens tels que la publicité et le soutien financier.

– A « HELLÉNIKON », une cité privée sera construite dans laquelle les espaces libres à usage public, les espaces publics et les services publics gratuits n’appartiendront pas à la municipalité, mais à un organisme spécial contrôlé par la Société.

– La cité privée comprend toutes les utilisations possibles: résidences de différentes hauteurs, bureaux, éducation, commerce, centres commerciaux, bâtiments de loisirs, de sports et de culture, santé, hôtels et autres installations touristiques, utilisations mixtes, services publics, etc. Toutes ces utilisations fonctionneront de manière compétitive et endommageront radicalement les activités économiques, déjà réduites, de la région de l’Attique

– La nouvelle ville va considérablement aggraver les indicateurs du changement climatique

– L’espace bâti prévu arrive jusqu’à 3.000.600 m² et il peut être augmenté.

– Les hauteurs des bâtiments (22,5, 26, 50, 70 m, 6 gratte-ciel de 200 m) affectent durement le paysage doux du front côtier, déstructuré aujourd’hui dans une large mesure, comprenant d’importants monuments naturels et culturels.

– Le parc annoncé aura une superficie de seulement 66,8 ha.

– Le front de mer, pour la première fois dans son histoire, sera bâti : 190.000 m² de maisons individuelles et d’immeubles d’habitation, une tour résidentielle, un centre commercial, deux hôtels seront construits. La côte ne sera plus accessible au public.

– Toutes les zones vertes existantes, la foresterie et d’autres seront détruites.

– Les principaux monuments récents seront démolis.

– Il y a un sérieux problème de protection des antiquités.

– L’unité spatiale protégé du bassin d’Athènes sera abolie. Il va également à l’encontre de la Convention européenne de Florence pour la protection du paysage.

Support financier :
Banque Nationale IBAN : GR5901101570000015794587780
Portaliou Heleni pour “HELLINIKO”
Eurobank IBAN : GR7502606300000000103731729

Carnaval La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Dans cette rubrique il évoque notamment la menace de guerre de la Turquie à la Grèce.

Carnaval

Lundi dit Pur déjà passé (19 février), la Grèce vient de célébrer de la sorte son carnaval (des jours précédents) à l’image plutôt trouble de notre ultime monde. “Nous sommes encore vivants” ont cependant suggéré et même hurlé certains participants à la traditionnelle (grande) parade qui se tient chaque année à Patras. D’autres groupes carnavalesques qu’y paradaient également, autant que faire se peut avec la même autodérision, accrochés visiblement (et) si fièrement à bord de leur… carrosse, qu’ils l’ont dénommé pour l’occasion: “Bateau des inégalités sociales”. Fractures, disons exclusivement calendaires.

“Nous sommes encore vivants”. Carnaval de Patras, février 2018 (presse grecque)

Durant la semaine passée le “Lundi Pur” (19 février), aurait incarné cette traditionnelle coupure calendaire et autant symbolique marquant le début du carême orthodoxe d’avant Pâques. C’est alors une bien grande fête populaire qui se tient le premier lundi de cette période de jeûne orthodoxe, lorsque d’ailleurs la météo l’autorise, comme souvent cette année. Premier jour du Grand Carême dans les Églises d’Orient donc, et un peu partout à travers le pays, c’est l’occasion d’organiser des repas et des pique-niques de nourriture parfois végétarienne et surtout sans aucune viande animale, sans oublier la “lagana” (le fameux pain du jour fabriqué sans levain). Sans enfin oublier, les milliers de cerf-volants que font voler petits et grands enfant partout en Grèce.

Et c’est autant le symbole en quelque sorte de la purification et de l’élévation supposée (des âmes vers le ciel), purification autant recherchée par le jeûne. En ce 2018, les bien rares enfants du pays réel ont ainsi fait voler leurs cerf-volants comme ils l’ont pu, dans le bas ciel actuel, d’après la coutume largement retravaillée, et supposées finalement traditionnelle non sans effort il faut avouer.

Pour rester dans l’actualité non festive, c’est alors et pratiquement dans l’ensemble de la presse du moment, que l’on découvre ces dessins copieusement ironiques, faisant largement la part belle, aux épisodes très actuels, par exemple des intrusions de l’aviation de guerre turque dans l’espace aérien grec en mer Égée. Dans le même ordre d’idées, et d’ailleurs pas sans faire (si faussement) mésusage des symboles pour tout dire tant exténués, qu’un certain Alexis Tsipras s’est rendu sur l’île de Skyros pour y fêter, ce que sans doute croît-il, être (encore) son… carnaval.

Cette figure de la piètre marionnette Tsipras, laisse toutefois trahir cette évidence de plus en plus perceptible: son visage humain reflète désormais bien manifestement sa souffrance psychique, individu peut-être profondément ébranlé. Et pourtant, la propagande environnante, de type largement soviétique (comme autant occidental) dont font preuve les médias dans leur but à exhiber un Premier ministre supposé radieux de son bain de foule au défilé carnavalesque dans les ruelles de Skyros, ces efforts médiatiques ont même eu en réalité l’effet exactement opposé. La félicité ne s’improvise pas, l’honnêteté non plus.

Car à cette occasion, toute la Grèce a encore découvert cet ixième Tsipras, passablement déplorable dans son suffisant ridicule, s’efforçant à prolonger entre autres… le sourire, cela il faut dire, au beau milieu d’une foule dont personne n’avait vraiment envie de rire. Tragédie et autant hybris que plus aucun temps carnavalesque ne peut désormais camoufler. Carnaval.

Le bateau des inégalités sociales. Carnaval de Patras, février 2018 (presse grecque)
Traditionnel cerf-volant du Lundi Propre et avion turc. Quotidien “Kathimeriní”, février 2018
Alexis Tsipras à Skyros. Février 2018 (presse grecque)
Alexis Tsipras à Skyros. Février 2018 (presse grecque)

Et voilà que le mois le moins long de l’année se termine au beau milieu cet autre carnaval permanent, celui d’un “Parlement” où durant toute une journée et autant soirée, les “élus” se sont prononcés d’après l’initiative du “gouvernement”, sur le bien fondé de la culpabilité présumée de certains ténors de la (pseudo) opposition, dans l’affaire du dit “scandale Novartis”. Lors même d’un échange au sein de l’hémicycle, Anastasia Christodoulopoulou (SYRIZA) alors présidant la séance, a pu lancer au moment où elle coupait son microphone (qui n’était pourtant pas tout à fait fermé) au député Charalambos Athanassíou (Nouvelle Démocratie) : “Vas au Diable”.

La presse, et plus largement les médias ont évidemment reproduit ce document audiovisuel… carnavalesque, et Christodoulopoulou a aussitôt exigé à qu’on efface sa dernière phrase, du compte-rendu officiel des séances. Dans les médias grecs à l’instar de la radio 90.1 FM (21 février), on ironisait volontiers sur “le cynisme alors abyssal qui caractérise cette bande d’escrocs, incultes et en même temps saltimbanques qui font semblant de gouverner, alors qu’ils travaillent d’abord au bénéfice de leur seule et unique poche, et finalement, au bénéfice des puissances mondialisatrices étrangères qui occupent le pays et qui elles-seules alors comme on sait, produisent et imposent le droit à un pseudo-Parlement, dont le rôle n’est que cosmétique, et encore”.

En Grèce, depuis SYRIZA et surtout depuis 2015, nous savons, nous subissons, et en conséquence, nous ne pouvons plus nous permettre en l’état actuel des choses, à cautionner davantage ce carnaval grotesque qui consiste à faire croire que le régime demeure démocratique, ou que les institutions, Constitution comprise, fonctionnent alors encore.

Et il faut dire enfin, que le pays largement réel, alors vomit (et) de plus en plus la classe politique dans son ensemble, et déjà, les Grecs sont bien nombreux à ne plus vouloir se rendre aux urnes (quel que soit d’ailleurs le type de scrutin). Car cautionner de la sorte le bon fonctionnement d’un gouvernement Quisling, lui offrant (en plus à nos dépens), tout ce lustre “démocratique” dont il a encore besoin, ce n’est visiblement guère possible.

La bande des politiciens chantant ‘Jetez du poison sur l’Assemblée’. Quotidien “Kathimeriní”, février 2018
“Alors, vous n’avez plus de respect, c’est le Premier ministre qui s’exprime au Parlement”. Presse grecque, février 2018
Mur à Athènes, années de crise 2010-2018.
Exercice des élèves de l’École des Sous-officiers basée à Trikala, Février 2018, Internet grec

Au même moment, c’est à travers l’Internet grec, d’abord local et par la suite plus ample, que les instantanées issus de l’entraînement annuel et hivernal des aspirants Sous-officiers à l’École militaire homonyme établie à Trikala (Thessalie), ont été largement et si positivement accueils par la presse ; l’entraînement a lieu chaque année dans les imposantes montagnes enneigées de la Thessalie occidentale, .

On y découvre ainsi (propagande ou pas), ces images plutôt parlantes, comme on y découvre également par la même occasion, la cérémonie de la bénédiction officielle des troupes de l’École des Sous-officiers de Trikala, faite par le Métropolite de la région . Une situation démontrant une fois de plus qu’aux yeux des Grecs (c’est-à-dire pour près du 80% des sondés à travers les enquêtes d’opinion , et cela en dépit de la propagande ambiante), les institutions auxquelles les Grecs accordent encore leur confiance, ne sont alors autres, que l’Armée (80%) et dans une moindre mesure (50%) l’Église Orthodoxe, contrairement par exemple aux partis politiques (18%).

La société grecque se lézardant, l’usurpation européiste des faits et des réalités, comme autant son l’idéologie-terminale de la postmodernité, ont d’abord et très concrètement chassé près de 700.000 Grecs de leurs foyers, les incitant et les obligeant à quitter le pays depuis 2010 (la Grèce compte près de dix millions d’habitants).

Ensuite, la guerre sociale (contre la société) sur terre brûlée de l’économie se poursuit-elle (mais alors jusqu’à quand ?), et aussitôt le carnaval (celui de la tradition) terminé, le fisc “grec” vient d’entamer une nouvelle procédure de saisie obligatoire (et en réalité confiscation, rien que par l’ampleur de la mesure), sur les biens meubles et immobiliers (coffres de banque compris), sur ce que les Grecs possèdent encore, sous prétexte de dette envers l’État. Notons que cette mesure concerne plus d’un million de personnes, autrement-dit plus du 10% de la population du pays (presse grecque de la semaine) .

Imagerie de… carnaval. Années de crise, Athènes, 2010-2018
Petit mézé grillé du Lundi-Propre en Grèce du Sud
Temps lourd, février grec

Au pays si beau et toutefois mourant, une partie de la population se voit désormais même rêver d’un (autre) régime… forcément fort. Car la situation “d’en bas” est alors telle, qu’au très hypothétique cas de figure, où une petite poignée de (prétendus ou pas) patriotes, qui plus est, militaires, irait confisquer le pouvoir, remplaçant par la force nos ultimes marionnettes du régime de la pseudo-démocratie (après huit années de dictature économique, institutionnalisée entre autres à travers le diktat d’un certain Eurogroupe d’ailleurs sans la moindre légitimité juridique), eh bien, dans une telle éventualité, les Grecs, dans un premier temps en tout cas, ne s’y opposeront peut-être guère. Postmodernité d’un entre-deux-guerres encore plus funeste alors réitéré ?

Et pendant qu’au Pirée, des Aubedoriens ont assailli dimanche dernier (25 février) un lieu de rencontre appartenant au milieu anarchiste causant cinq blessés , dont l’avocate de la famille de Pavlos Fyssas (musicien assassiné par les néonazis de l’Aube Dorée en septembre 2013), le grand carnaval grec des politiciens… ne finit pas d’en finir.

Lundi soir (26/02), Rania Antonopoulou, jusque là secrétaire d’État au Travail (?), a été limogée par Tsipras, quand il est apparu qu’elle avait perçu 1000 euros par mois d’indemnité logement depuis deux ans. Il faut préciser qu’elle forme avec son mari, Dimitris Papadimitríou (établi aux États-Unis depuis plus de quarante ans) et pour sa part ministre de l’Économie depuis novembre 2016, un de ces couples de nantis néogauchisants, manifestement recherchés pour compléter les (derniers ?) “gouvernements” si opératoires (et d’opérette) de l’ère métadémocratique.

Rania Antonopoulou. (Presse grecque, février 2018)
Vieux lustres ! Athènes, 2018
Expression évidente aux premières manifestations anti-Troïka. Athènes, 2011

Tous deux universitaires en congé du “Levy Economics Institute of Bard College” (dans l’État de New York aux États-Unis), ils ont déclaré un portefeuille de quelque 2,7 millions de dollars et un revenu annuel de plus de 450.000 dollars. Alexis Tsipras se montant agacé de cette affaire, il a congédié Rania Antonopoulou, puis, dans la nuit du 26 au 27 février, il a annoncé dans un communiqué qu’il avait également “accepté la démission” de Dimitris Papadimitríou .

Vraisemblablement dans la logique du couple parachuté en Grèce (et d’ailleurs par qui réellement ?) en plein territoire administré, cette… prime au logement servant à occuper un appartement loué à Kolonáki (le quartier chic historique d’Athènes, et pendant que les intéressés possèdent une villa dans les Cyclades), s’apparente à ces indemnités reliées aux postes et aux déplacements, habituellement proposées aux cadres dirigeants des entreprises et des autres méta-structures transnationales. D’où d’ailleurs l’embarras que Rania Antonopoulou a exprimé dès le début de cette affaire il y a deux jours, d’où encore, la non-automaticité assumée de sa démission.

Elle a certes indiqué qu’elle n’avait fait que “bénéficier d’une loi accordant une subvention pour leur loyer aux députés et aux ministres – ‘Je n’ai jamais eu l’intention d’insulter le peuple grec’”, a-t-elle assuré dans un communiqué, cette loi avait été cependant été introduite par SYRIZA/ANEL en 2015 sans trop de publicité à son sujet, histoire d’en rajouter aux privilèges de sa caste, entre politiciens marionnettes et arrivistes. Dans sa précipitation de sauver les meubles, le “gouvernement” annonce qu’il fera rapidement abroger sa propre loi, peine comme on sait totalement perdue.

Les Grecs, à en juger déjà (et) rien que par les messages que les auditeurs adressent à chaud à leurs journaux et autres médias, et notamment les radions au matin du 27 février 2018, en sont plus que tout simplement outrés: “Nous payons pour eux, nous nous paupérisons, nous mourons pour engraisser ces salopards de SYRIZA, ces politicards en plus qui haïssent ouvertement notre patrie et autant son peuple et qui besognent uniquement au bénéfice de leur poche et à celui des puissances et institutions étrangères comme la Troïka” (Radio 90.1 FM, zone matinale, émission de Yórgos Choudalakis, 27/02, cité de mémoire). Image ainsi plutôt trouble de notre ultime monde, sauf que comme le hurlent encore certains et en plein carnaval: “Nous sommes encore vivants”.

Symboles. Athènes, 2018
Réserves alimentaires. Athènes, 2018
Regard. Athènes, 2018

Lorsqu’une journaliste (Radio 90.1 FM, zone matinale, émission de Yórgos Choudalakis, 27/02), a évoqué en direct le remaniement gouvernemental en gestation, ainsi que les noms probables des ministrables qui circulent, un auditeur a aussitôt réagi formulant toute sa colère à travers son message lu en direct: “Nous en avons assez de tout cela, ces noms et les ministres ne font plus parte de notre vie, de tout ce que nous endurons, de tout ce dont nos mentalités et représentations sont désormais fabriquées au quotidien. Leur monde n’est plus du tout le nôtre. Arrêtez d’en parler, basta !”.

Temps carnavalesques, temps lourds, temps supposés morts. Mon ami Th. va de mal en pis, sans travail depuis des années et sans espoir d’en trouver car le travail n’existera plus, ou sinon, à travers la généralisation fulgurante des salaires de 327€ par mois pour déjà les 636.000 employés (sur deux millions que compte le pays) en temps (théoriquement partiel), d’après les chiffres officiels , le tout, sous le ministère du Travail de Rania Antonopoulou entre autres.

Les Grecs s’occupent et s’occuperont davantage de leurs affaires, celles autant de la juste survie (sauf pour le 30% de la population, et encore), ils cultiveront leur jardin des réalités et des autres curiosités parfois carnavalesques, et peut-être qu’ils attendront encore un temps leur (supposé ?) moment venu… sous le regard bien curieux des animaux adespotes et si fiers de l’être. En attendant, ils finissent même par constituer (parfois) leurs pauvres réserves de base (surtout de base), en cas d’effondrement interne, et/ou sinon, déclenché par les tératogenèses géopolitiques en cours dans la région. Et dans une telle probabilité, c’est évident, les “gouvernants” actuels seront littéralement chassés d’une façon ou d’une autre.

Lundi dit Pur déjà passé, et le carnaval même célébré, le pays attend désormais Pâques et peut-être même la résurrection… nécessairement accompagnée de la crucifixion de la classe politique.

Neige au nord du pays, pluies au sud, nous garderons ce sourire qui en dit long… sourire aussi devant Mimi (elle dort souvent, bien plus souvent que le jeune Hermès), animaux comme on sait attitrés de ‘Greek Crisis’ carnaval ou pas d’ailleurs !

Mimi de ‘Greek Crisis’. Athènes, 2018
* Photo de couverture: Carnaval en Grèce (années de crise)

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Grèce : Le rapport choquant sur les conditions de vie

Rapport choquant sur la Grèce : les indicateurs macroéconomiques sont trompeurs car les conditions de vie continuent à se dégrader

4 février par Confédération hellénique des cadres, artisans et marchands

Soupe solidaire, Athènes 2017

La société grecque est en déclin économique : trois personnes sur quatre sont des chômeurs de longue durée. 51% des ménages dépendent des retraites. Un ménage sur cinq a peur de perdre sa maison. 70 % des jeunes Grecs veulent chercher un travail à l’étranger. 16,3 % disent ne pas pouvoir couvrir une dépense extraordinaire de 500 euros.

Ces données choquantes sont tirées d’un sondage d’opinion mené par GSEVEE, la Confédération hellénique des cadres, artisans et marchands. Le sondage a été réalisé en collaboration avec Marc sur un échantillon de 1006 ménages entre le 15 et le 21 novembre 2017.

Les données de l’enquête confirment que malgré l’amélioration des indicateurs macroéconomiques, les « fruits de l’austérité et des réformes » n’ont pas atteint le Grec moyen.

L’élargissement des disparités entre les bas et moyens revenus menace le modèle de développement communautaire selon les résultats de l’enquête sur le climat économique menée par le GSEVEE.

Malgré les signes d’amélioration des indicateurs macroéconomiques, trois éléments importants montrent que l’amélioration n’a pas atteint le Grec moyen :

70 % des jeunes veulent chercher du travail à l’étranger,
51% des ménages dépendent des retraites malgré les coupes que celles-ci ont connues
3 chômeurs sur 4 sont en chômage de longue durée.

« La bombe qui menace les fondements de la cohésion sociale, c’est qu’un ménage sur cinq craint de perdre sa maison », a déclaré le président du GSEVEE, Giorgos Kavvathas, lors de la présentation du rapport.

Un ménage sur quatre est incapable de remplir ses obligations.

Revenu – Situation économique des ménages

Une amélioration marginale est observée en termes de mobilité du revenu. Plus d’un ménage sur trois (34,2 %) déclare vivre avec un revenu familial annuel qui les place dans la tranche la plus basse sur l’échelle des revenus (jusqu’à 10 000 €).

· 62,4 % des ménages ont déclaré en 2017 un revenu inférieur à celui de 2016

· un taux croissant (35,6 % contre 22,2 % dans l’enquête de 2016) indique une stabilisation de leur revenu.

La baisse globale des revenus se reflète également dans les chiffres annuels publiés dans le système public ERGANI pour 2017 : le salaire mensuel moyen brut s’élevait à 1021,13 €, légèrement inférieur à celui de 2016 (1057,21 €).

Il y a une nette tendance à l’élargissement de l’inégalité en faveur des groupes à revenu élevé (la catégorie des plus de 30 000 € a augmenté de 14,1 %). Les ménages avec un membre du ménage sans emploi sont particulièrement vulnérables.

· Seulement 3,1% de la population parviennent à économiser de l’argent.

· Dans une étude récente de la Banque de Grèce (juillet 2017), il est noté que les ménages grecs ont perdu 26 % de leurs revenus et 37,5 % de la valeur de leurs actifs depuis le début de la crise.

La pauvreté

14,6 % des ménages indiquent que leur revenu est insuffisant pour subvenir à leurs besoins de base, une constatation associée au taux d’extrême pauvreté dans le pays (fixé à 40 % du revenu médian, ELSTAT). Selon les données officielles de l’enquête Eurostat sur le revenu et les conditions de vie, le seuil de pauvreté relative est passé de 7 178 euros en 2010 à 4 500 euros en 2016, ce qui indique une réduction significative des revenus moyens. En prenant le seuil de pauvreté de 2010 comme mesure de comparaison, environ la moitié des ménages seraient considérés comme pauvres aujourd’hui (48 %).

Le phénomène de la pauvreté monétaire apparaît systématiquement élevé.

· En ce qui concerne la possibilité d’un paiement extraordinaire de 500 euros : 16,3 % ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas se le permettre, tandis que 52,2 % couvriraient cette dépense avec beaucoup de difficultés.

Plus de 6 ménages sur 10 (61,1 %) sont obligés de faire des coupes pour assurer le strict nécessaire. Il est à noter que les grands ménages (plus de 5) et les ménages avec les chômeurs sont confrontés à un problème plus sérieux de satisfaction des besoins fondamentaux.

Attentes

Les attentes des ménages pour 2018 sont restées négatives :

· 63,6 % en 2017 (73,5 % en 2016) anticipent une dégradation de la situation économique.

· 27,9 % croient qu’elle restera stable

· 5,1 % s’attendent à une amélioration du potentiel économique

Ces résultats sont liés aux prévisions des ménages quant à leur capacité à faire face aux engagements actuels et futurs, ainsi qu’aux faibles espoirs d’amélioration des finances des ménages.

Les retraites alimentent des familles entières

La pension de retraite demeure la principale source de revenus pour plus de la moitié des ménages, malgré des coupes individuelles. Elle continue à rester comme substitut à l’État providence et à la protection sociale.

· Sans les pensions, le taux de pauvreté serait de 52,9 % de la population.

Activités commerciales

Les ménages déclarant que le revenu d’une activité commerciale constitue leur principale source de revenu restent à un taux très bas de 5,9 %, ce qui suggère que les ménages grecs sont incapables de développer des activités commerciales viables et rentables dans l’environnement économique actuel. Il est évident que pour une grande partie des ménages, la création d’entreprise constitue un moyen supplémentaire de revenu (sous la forme d’une allocation).

Emploi – Chômage

29,9 % des ménages, soit environ un million de ménages, comptent au moins un chômeur dans la famille. Le taux de chômage de longue durée est de 83,5 %. Pour tous les membres du ménage sans emploi, l’allocation de chômage est limitée à 7,3 %.

Près de 3 chômeurs sur 4 sont en situation de chômage de longue durée, ce qui menace de déprécier le tissu productif et le capital humain du pays.

La marginalisation économique concerne non seulement la population au chômage, mais aussi les groupes de travailleurs.

· Plus d’un ménage sur cinq (21,5 %) a un membre de la famille qui travaille pour un salaire inférieur au salaire minimum, officiellement fixé à 586 euros (490 euros net).

Migration économique

9,0 % des ménages déclarent avoir au moins un membre ayant migré à l’étranger pour trouver du travail. Ceci est lié à un changement dans les conditions de vie de plus de 400 000 familles.

Selon les données officielles des services statistiques, on estime à plus de 710 000 les citoyens grecs ayant émigré depuis le début de la crise (2010-2016).

La tendance à la poursuite du phénomène est préoccupante, le flux migratoire ne semblant pas maîtrisé.

40,1 % des ménages envisageraient sérieusement d’émigrer s’il y avait des possibilités de trouver un emploi.

Chez les jeunes de 18 à 34 ans, ce chiffre atteint 72,3 %.

Il est caractéristique que les groupes les plus riches et les plus éduqués de la société sont les plus susceptibles d’émigrer.

Obligations financières

- 19,6 % des ménages ont des dettes en souffrance au fisc, alors que 55,6 % de ces débiteurs ont été en négociation avec les services fiscaux, indiquant que la plupart des débiteurs sont dans une situation d’endettement permanent et cherchent des solutions en leur allongeant les délais de remboursement.

Comme les dispositifs mis en place pour les ménages en 2015 ne sont plus en vigueur, le pourcentage de citoyens ayant des arriérés de dettes devrait augmenter.

31,1% (contre 27,3 % en décembre 2016) des ménages endettés ont des dettes en souffrance auprès des banques (environ 450 000 ménages). Le problème est accentué pour les ménages les plus pauvres et les célibataires (avec des taux supérieurs à 40 %).

Un ménage sur quatre pense qu’il ne sera pas en mesure de respecter ses obligations fiscales l’an prochain

14,8 % des ménages possédant leur propre propriété déclarent ne pas être en mesure de payer des impôts sur leur propriété (ENFIA).

20,2 % des propriétaires sont deux fois redevables pour leurs biens : en plus du paiement d’ENFIA, ils doivent également rembourser le prêt hypothécaire.

32,2 % pensent qu’ils ne seront pas en mesure de faire face à leurs obligations de dette l’année prochaine.

Consommation – Qualité de vie

Malgré l’amélioration relative de certains indicateurs de consommation, la tendance à la baisse de la demande intérieure se poursuit pour un large éventail de biens et de services. En ce qui concerne les tendances de consommation, une grande partie de la population a enregistré des baisses des dépenses de chaussures (61,3 %), de loisirs (48,3 %), de produits alimentaires (40,2 %) et d’articles ménagers (40,1 %). A cela s’ajoute l’achat de produits de qualité inférieure.

Pour la quatrième année consécutive après les soi-disant « réformes » des soins de santé qui ont effectivement réduit les dépenses publiques pour ce secteur depuis 2012, le nombre de ménages ayant déclaré avoir augmenté leurs dépenses privées de santé et de soins pharmaceutiques a augmenté. Tout comme le nombre de ceux qui ont augmenté leurs dépenses de chauffage (une taxe spéciale sur le mazout a été imposée en 2012).

Cette constatation souligne la nécessité d’une activation immédiate du programme de soins de santé primaires nouvellement établi pour l’ensemble de la population, ainsi que du rétablissement de la confiance du public dans les structures de santé publique. Cette tendance à la hausse des dépenses privées pour garantir les besoins sociaux comme les soins de santé et le chauffage a un effet dissuasif sur le bien-être social en général.

· 47,8 % des ménages ont déclaré avoir reporté ou retardé l’obtention de conseils et de traitements médicaux en raison d’une faiblesse économique.

Plus d’un ménage sur trois a retardé la réparation d’un appareil électroménager ou l’entretien de la voiture.

Plus d’un ménage sur quatre est en retard pour payer les services publics et l’entretien des maisons.

Sur la base des statistiques ELSTAT, les ménages des tranches de revenus les plus faibles ont augmenté leurs dépenses de 17 % pour les services publics et de 25 % pour les transports depuis 2009.

Dans l’ensemble, les citoyens approuvent le soi-disant dividende social ou excédent social pour les groupes vulnérables de la société, comme les chômeurs et les personnes à faible revenu.

La première priorité des citoyens est que les impôts fonctionnent « mutuellement », en particulier dans le secteur des soins de santé (73,2 %), dans l’éducation (45,8 %) et dans les mesures visant à stimuler l’emploi et l’investissement (40 %).

PS : Pour chaque citoyen moyen vivant en Grèce, cette enquête confirme simplement notre réalité grecque quotidienne.


Revue de presse hellénique 02/02/2018

133 milliards d’euros (soit 74 % du PIB) : c’est le montant des dettes cumulées des contribuables envers l’État dont 101,8 milliards envers le fisc et 31,28 milliards envers les caisses d’assurance. Pour la seule année 2017, le montant des impôts impayés s’est élevé à 13 milliards d’euros (Kathimerini, Le Journal des Rédacteurs, Avghi).

Source : Confédération hellénique des cadres, artisans et marchands

cité en anglais par le site Keep Talking Greece

Traduction de l’anglais par Claude Quémar pour le CADTM.

Le démantèlement méthodique et tragique des institutions grecques de santé publique

Par Noëlle BURGI, publié dans la revue de l’IRES Institut de recherches économiques et sociales 

Le système national de santé grec a été démantelé par l’application d’un ensemble de mesures imposées depuis 2010 par les créanciers de la Grèce dans les secteurs de santé primaire, secondaire et pharmaceutique. Ce texte présente une analyse critique des principales mesures de compression budgétaire mises en place dans ces secteurs et introduit un débat sur des initiatives communautaires censées renforcer certains déterminants sociaux de la santé (indemnités de chômage, assurance maladie, revenu minimum garanti). Il apparaît que les politiques mémorandaires ont manqué le but d’efficience et d’efficacité affiché, mais peut-être pas le projet implicite de construire un « nouveau modèle social européen » réduit à quelques prestations tout juste suffisantes à la survie des dépossédés. En s’appuyant sur de nombreux travaux scientifiques, des entretiens en Grèce auprès de militants et dans des établissements de soin et une enquête en cours dans des quartiers ouvriers du Pirée, l’article conclut à l’épuisement – passager ? – des forces luttant pour la survie des droits sociaux démocratiques.

Depuis 2010, la Grèce est soumise à un régime de discipline et de contrôle de ses finances et politiques publiques sans équivalent dans l’histoire européenne d’après 1945. Peu après la révélation en 2009 des « vrais » chiffres, jusque-là maquillés, du déficit public grec 2 par le gouvernement tout juste élu de Georges Papandreou, la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international3)  des institutions créditrices du pays a mis le pays sous tutelle à travers une série de plans d’ajustement structurel ou mémorandums (2010, 2012, 2015 4) censés résoudre le problème de sa dette et le remettre sur le chemin de la croissance. Les objectifs affichés de ces programmes n’ont pas été atteints, au contraire. Sept ans après leur mise en œuvre, la Grèce se trouve dans une situation bien pire qu’en 2010.

Ce n’est pas faute d’avoir appliqué les mesures contenues dans les mémorandums, ou d’avoir prolongé à souhait leur mise en œuvre. La troïka se dit régulièrement « impatiente » et reproche au gouvernement grec ses retards dans la mise en œuvre des « paquets » de réformes prescrites, mais elle ne lui laisse pratiquement aucune marge de manœuvre. En effet, l’approche générale des mémorandums est celle d’un « système de surveillance intense et quasi permanent ». Joaquin Almunia, alors commissaire européen chargé des Affaires économiques et monétaires, avait utilisé cette formule en février 2010 pour désigner le régime qui serait bientôt infligé à la Grèce : celle-ci devrait « quantifier » et « préciser » les mesures annoncées, « envoyer le calendrier » de leur mise en œuvre, rendre compte très régulièrement de l’état d’avancement de son programme et s’engager à prendre incessamment des mesures supplémentaires si ces objectifs n’étaient pas atteints 5. « C’est la première fois que des instruments de surveillance économique et budgétaire sont utilisés simultanément et de manière intégrée », se félicitait pour sa part la Commission européenne. De fait, pour éviter tout retour en arrière et rendre les effets des programmes d’austérité irréversibles, la méthode appliquée en Grèce (puis à d’autres pays vulnérables) consiste à concentrer les mesures (frontloading) et à en vérifier constamment la bonne exécution, notamment à la veille des versements du prêt, prévus par tranches en principe tous les trimestres. L’état d’avancement du programme d’austérité est lui-même subordonné à l’appréciation qu’en donnent les experts et contrôleurs de la troïka, installés à plein temps dans les ministères et soutenus dans leur tâche par d’autres experts. Ce qui conduit les créanciers du pays à des actes répétitifs d’intimidation et de chantage. Ils exigent régulièrement des mesures d’austérité plus convaincantes à leurs yeux, reportent les versements, menacent de couper les vivres.

Les mémorandums font partie d’une stratégie plus globale fondée sur une doctrine dite d’« austérité expansionniste » en vertu de laquelle une baisse des coûts relatifs par rapport à d’autres économies permet de créer les conditions d’une reprise par les exportations. En l’absence d’une dévaluation de la monnaie, elle suppose que soient appliquées des politiques austéritaires 6 dites de dévaluation interne : coupes plus ou moins importantes dans la protection sociale, la santé, l’éducation et d’autres services publics, baisses des salaires et des retraites, augmentation des impôts indirects sur la consommation, dérégulation des relations professionnelles et du droit du travail… Cette doctrine a été discréditée sur les plans méthodologique et empirique (Jayadev, Konczal, 2010 ; FMI, 2012 ; Herndon et al., 2013) : comme l’avait noté Paul Krugman, ses prédictions « ont été entièrement contredites par la réalité, et la recherche académique invoquée pour soutenir [cette] position s’est révélée truffée d’erreurs, d’omissions et de statistiques suspectes ». Entre autres difficultés, la dévaluation interne ne peut pas fonctionner si tous les pays d’une même zone économique l’adoptent simultanément : dans ce cas, son seul effet est de conduire à une baisse des niveaux de vie et à réduire l’accès des populations aux biens publics essentiels. C’est néanmoins la voie qui fut choisie en réponse à la crise financière de 2007-2008 pour tous les États membres de l’Union économique et monétaire (UEM). En Grèce, les programmes d’austérité sans fin et toujours plus intenses ont entraîné une dépression économique et une récession sociale jamais vues en Europe en temps de paix (Ioakeimoglou, 2017). Persistantes, les institutions créditrices du pays lui appliquent encore ces mesures.

La société grecque a pourtant résisté au traitement subi. Le pays fut secoué par une impressionnante vague de grèves et de manifestations qui dura jusqu’en 2012 malgré une tout aussi impressionnante répression policière (Kotronaki, 2014). Le système politique se fractura. Tandis qu’aux élections de 2012 le Parti socialiste panhellénique (Pasok) s’effondrait et que les conservateurs de Nouvelle démocratie (ND), quoique plus résistants, s’affaiblissaient, le parti de la gauche radicale Syriza devenait le premier parti d’opposition. Emmené par Alexis Tsipras et porté par le mouvement social, il venait de connaître une ascension fulgurante : tout juste entré au Parlement en 2009 avec 4,6 % des voix, il obtint 27 % des suffrages en juin 2012. Sa montée se poursuivit jusqu’aux législatives de janvier 2015 qui le portèrent au pouvoir. Syriza incarnait l’espoir qu’un gouvernement formé par une nouvelle génération de politiciens de gauche, jeunes et non corrompus, rendrait sa dignité et sa souveraineté au pays et mettrait fin aux mémorandums. Cependant, n’ayant réussi à obtenir aucune concession pendant les six premiers mois de stériles négociations avec la troïka, Alexis Tsipras organisa un référendum le 5 juillet 2015 à l’issue duquel les citoyens grecs dirent massivement « Non » (61,5 % des voix) à la poursuite de l’austérité. Le Premier ministre n’avait pas prévu ce résultat et ne pouvait ni ne voulait affronter ses créditeurs au point d’envisager une sortie de la Grèce de l’euro (le « Grexit »). Sept jours plus tard, il transformait le « Non » en « Oui » et cédait face à l’Union européenne. Il acceptait l’ultimatum du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, en vertu duquel la Grèce renonçait à sa souveraineté et se pliait, en contrepartie d’un nouveau mémorandum (incluant un prêt de 86 milliards d’euros étalés sur trois ans et servant uniquement à rembourser la dette), au programme d’ajustement structurel le plus austère jamais exigé d’un pays européen. Alexis Tsipras ne démissionna pas. Il remporta de nouvelles élections en septembre, juste avant la mise en œuvre des premières mesures d’austérité du troisième programme. Depuis, il applique les prescriptions de ses créditeurs – les véritables gouverneurs de la Grèce –, creusant le désespoir d’une société atteinte dans sa substance, désorganisée et vaincue par ceux-là mêmes qui promettaient de la défendre.

Cet article analyse les principales mesures appliquées au système national de santé grec, secteur d’une importance capitale en période de crise des finances publiques et miroir dans lequel se reflètent les conditions d’existence des populations. Le texte questionne la rationalité en vertu de laquelle les gouverneurs de l’UEM persistent à « faire comme si » la dévaluation interne était la seule voie possible et à se montrer aveugles aux effets délétères de celle-ci. L’hypothèse, défendue ailleurs plus en détail (Burgi, 2014a), est que nous assistons à la culmination d’un effort long de désinstitutionalisation des régimes de protection sociale, poursuivi graduellement depuis au moins trois décennies, qui s’accélère à la faveur des choix politiques arrêtés par les puissances hégémoniques d’Europe pour gérer les effets de la crise financière de 2007-2008. Cet effort est lié à un projet néolibéral de refondation complète des principes, des modalités et des finalités de l’intervention de l’État d’après 1945. Également appelé « fondamentalisme de marché 7 », il préconise la sujétion de toute la vie sociale et de toute la sphère publique, y compris l’État, aux mécanismes du marché. Parmi les nouvelles attributions de l’État, l’une des règles essentielles commande que sa politique sociale soit entièrement remodelée pour accompagner « de façon active » et porter à leur paroxysme les mécanismes de concurrence. Avant 2010, quasiment tous les gouvernements occidentaux, chacun à leur rythme et avec leurs modalités propres, ont cherché à progressivement reconfigurer leurs systèmes nationaux de protection sociale pour les conduire dans cette direction et les mener vers la constitution d’un nouveau « modèle social européen » dans lequel les prestations à vocation universelle des États sociaux construits après 1945 sont remplacées par un filet social minimal, par un « minimum vital » (Hayek, 1985 [1946]:89-90).

Ce minimum n’est pas conçu comme un moyen de lutte contre la précarisation et la paupérisation des masses car il n’est pas question de s’attaquer à leurs causes ni de revenir sur la régulation néolibérale. Au contraire, dans le cadre du « fondamentalisme de marché », le minimum vital a pour fonction de faire en sorte que personne, en principe, ne tombe définitivement hors-jeu – hors du jeu de la concurrence généralisée. Pour le dire autrement, le problème théorique et pratique posé à la gouvernementalité 8 néolibérale dans la redéfinition des politiques de protection sociale est de savoir, non pas comment combattre le chômage de masse ou contenir l’extension des zones de précarité et de vulnérabilité, mais jusqu’où il est possible et/ou souhaitable d’abaisser le « seuil de pauvreté “absolue” 9 » en dessous duquel l’État devra imposer un filet social minimal, au sens d’un régime de soutien (et de contrôle étroit et punitif) des plus démunis, certes financé par la collectivité, mais juste suffisant pour le marché.

La déconstruction méthodique, quoique parfois anarchique, des institutions grecques de santé publique s’inscrit dans cette évolution. Au rythme dicté par les institutions de la troïka, les gouvernements grecs ont taillé dans les dépenses de santé « avec des couteaux de boucher », selon l’expression d’un ancien ministre de la Santé (2010-2012), Andreas Loverdos, et cela, au moment même où les déterminants sociaux de la santé – les conditions de vie, fortement dégradées sous l’effet des politiques austéritaires dans leur ensemble – se répercutaient sur la santé de la population. Pour reconfigurer le secteur, des recettes « clé en main » de la Banque mondiale et du FMI (partage des coûts, principe de dissociation entre acheteurs et fournisseurs, tarification à l’activité, privatisation des services…) ont été plaquées sur le système public de santé grec dans l’intention prioritaire de réduire les coûts, d’extraire des ressources et de réorienter les comportements vers la consommation d’assurances et de services privés.

L’ampleur des coupes budgétaires et la logique qui leur est sous-jacente sont présentées dans un premier temps (I). Une deuxième partie étudie plus en détail les contradictions et les effets des politiques relatives aux médicaments et aux secteurs secondaire (hospitalier) et primaire (II). Abordant en dernier lieu la question des déterminants sociaux de la santé (III), la réflexion, centrée sur la mise en place d’un filet social équitable qui reste très largement insuffisant, débouche sur un questionnement portant sur le sens et les perspectives d’une société dite résiliente.

I. Des « couteaux de boucher » pour tailler dans les dépenses

Depuis sept ans, le secteur de la santé publique est l’une des principales cibles des programmes dits d’ajustement structurel dictés à la Grèce par les institutions de la troïka dans le cadre des mémorandums de 2010, 2012 et 2015. Le premier avait exigé que les budgets de santé publique passent de 6,8 % du PIB en 2010 à 6,0 % en 2012. À l’époque, des chercheurs internationalement reconnus avaient jugé « arbitraire » et « anormalement bas » un tel objectif (Stuckler, Basu, 2013, trad. fr. 2014 ; Karanikolos et al., 2013 ; Kondilis et al., 2012, 2013 ; Kentikelenis et al., 2014). Il fut cependant atteint en 2012 puis largement dépassé. En 2014, le ratio des dépenses de santé publique rapportées au PIB était de 4,9 %, son niveau le plus bas depuis 2004. Il est remonté à 5,0 % en 2015, 5,1 % en 2016 et les prévisions pour 2017 le situent à 5,4 % du PIB. Cela se compare à une moyenne de 6,5 % dans l’Union européenne (UE) et à des ratios (stables) bien plus élevés dans les pays les plus riches de l’Union, notamment la France et l’Allemagne (tableau 1). On soulignera que la contraction des budgets de santé publique a été plus implacable encore en Grèce que ne l’indiquent ces pourcentages : dans la mesure où le PIB a lui-même perdu 27 points de pourcentage depuis 2010. En valeur réelle, les dépenses de santé ont donc chuté de près de moitié en quelques années.

tableau1

Cette compression a donné lieu à une recomposition des dépenses de santé. Selon Giannis Kyriopoulos 10, ancien doyen de l’École nationale de santé d’Athènes, alors que le financement des hôpitaux publics a chuté de plus de moitié entre 2009 et 2014 et que les dépenses totales de santé (publiques et privées) sont en forte baisse, le secteur hospitalier a connu un accroissement de sa part (+41 % entre 2008 et 2013) dans les dépenses totales, devenant (sans moyens supplémentaires) le dernier recours pour les malades. Cela reflète un moindre accès non seulement aux soins hospitaliers privés (qui ont baissé de 28 % pendant la même période), mais encore aux soins primaires (services médicaux de base, soins dentaires, diagnostics, physiothérapies et autres) pour lesquels les dépenses ont chuté de 56 % au cours de ces années. Dans le même temps, la désorganisation des structures de soin a accentué la corruption et la quête de passe-droits avec des paiements formels et informels aux médecins du secteur privé, en hausse de 52 %.

Aussi indispensables soient-elles, les données agrégées ne permettent cependant pas de saisir l’ampleur de la crise sanitaire. On constate par exemple en 2014 que la chute des dépenses publiques de santé après 2010 les ramènent, en valeur relative, à leur niveau de 2004 (graphique 1). Or en 2004, les Grecs, dans l’ensemble, avaient accès aux soins médicaux. Ce n’est plus le cas en 2014, et moins encore en 2017.

graphique1

La différence entre 2004 et 2017 tient aux dimensions qualitatives du démantèlement récent des structures de santé publique – non-recours aux soins en temps utile, carences et dysfonctionnements des services médicaux… –, dont un des indices clés se constate dans l’augmentation significative après 2010 des cas de mortalité dus à des événements indésirables survenus en cours de traitement (Laliotis et al., 2016). Mais la santé publique dépend aussi très largement de facteurs sociaux plus généraux : accès à l’éducation, conditions de travail et loisirs, logement, perspectives d’avenir, état des communautés, des villages et des villes. Ces conditions structurelles de la vie quotidienne constituent « les déterminants sociaux de la santé et sont responsables pour une part importante des inégalités de santé entre pays et à l’intérieur des pays » (Commission on Social Determinants of Health [CSDH], 2008:1 ; Daniels et al., 1999). Or, dans le contexte des politiques austéritaires généralisées exigées par l’UE et ses membres les plus influents pour gérer les effets de la crise financière de 2008, la Grèce, classée première par l’OCDE (2015:126) pour sa « réactivité globale aux priorités de réformes » entre 2007 et 2014, est allée plus loin que tous les autres pays de l’organisation internationale dans la mise en place de mesures d’austérité, exceptionnellement sévères en ce qui la concerne. Au-delà des services de santé stricto sensu, elles ont provoqué une abrupte dégradation des conditions de vie (des déterminants sociaux de la santé) (comparaison des données Elstat 11 entre 2012 et 2017 ; Burgi, 2014c). Pratiquement du jour au lendemain, le taux de chômage a grimpé pour devenir le plus élevé d’Europe (il frappe le quart de la population, la moitié des jeunes et sa durée s’allonge : les chômeurs étaient à 73,5 % de longue durée en 2015), les niveaux de vie se sont effondrés de plus de 30 % en moyenne, la pauvreté relative et surtout l’extrême pauvreté ont connu une progression spectaculaire 12, les services publics ont été démantelés et le droit du travail et de la négociation collective quasiment liquidé (Kapsalis, Kouzis, 2014), le tout entraînant une importante fuite des cerveaux (Koniordos, 2017) et des capitaux et une « catastrophe » sanitaire (expression de Médecins du Monde, notamment).

Les conséquences sur la santé des politiques d’ajustement structurel ont été largement ignorées, voire niées par les gouverneurs 13 européens et grecs. Ils ont presque 14 toujours soutenu, contre l’évidence, que les politiques austéritaires ne touchent en rien les services essentiels : « nécessaires » au bien commun, elles auraient au contraire permis de préserver l’avenir grâce à des gains d’efficience et d’efficacité du système de soins.

Cette ligne d’argumentation n’est pas nouvelle ni limitée à un pays. Elle reflète un changement profond dans la manière de concevoir et d’aborder les problématiques relatives à la santé publique. L’idéal inscrit dans la déclaration d’Alma Alta (1978) en vertu duquel la santé, considérée comme un droit humain fondamental, devrait être accessible à tous en fonction des besoins de chacun, s’est mué en une représentation de la santé assimilée à une transaction économique. Cette approche, portée par des institutions puissantes comme la Banque mondiale et le FMI, est devenue hégémonique dans les années 1990 et 2000. La première a réussi à imposer au monde sa vision économiciste de la santé et ces mêmes préceptes se retrouvent dans les prescriptions standardisées des programmes d’ajustement structurel du FMI : maximisation des prestations privées, frais modérateurs 15, priorité aux marchés et à la concurrence. Le but serait d’accroître la rentabilité des dépenses afin de créer les conditions d’un développement économique soutenable. Cependant, comme le montre la littérature académique qui a analysé les conséquences de ces mesures, les dispositifs de type marchand ont accru plutôt que réduit les coûts, notamment les coûts bureaucratiques ; ils ont miné la recherche médicale et les services publics de santé existants et approfondi les inégalités (Lister, 2008 ; Sachs, 2005 ; Commission on Social Determinants of Health [CSDH], 2008).

II. Construction et déconstruction du système de santé

Les reproches adressés aux opérations « clé en main » de restructuration des institutions de santé publique n’induisent pas qu’il ne faudrait pas améliorer ou réformer les systèmes existants. Ils portent sur la méthode, les finalités et les effets des mesures introduites sans considération pour les droits fondamentaux et le bien-être physique, mental et social des citoyens dans leur ensemble. S’agissant du système national de santé grec, il n’a jamais été particulièrement cohérent ou efficient. Mais les dispositions prises depuis 2010 par les gouvernements successifs sous l’égide de la troïka – politique du médicament, restructuration hospitalière, rationalisation des soins primaires – ont considérablement aggravé les problèmes de fonctionnement, d’efficacité et d’accès aux soins médicaux observables à la veille des mémorandums.

II.1. Déboires et succès du système national de santé grec (ESY) à la veille des mémorandums

Créé en 1983, l’ESY représente incontestablement le plus important effort tenté en Grèce pour établir un véritable système national de santé. À l’origine, le projet ambitionnait d’unifier une pléthore de caisses professionnelles et de remplacer l’incohérente infrastructure de soins primaires existants par un réseau entièrement nouveau de centres de santé urbains et ruraux qui donneraient à tous les citoyens un égal accès aux soins, gratuits au point d’utilisation. Cependant, la résistance de groupes d’intérêt puissants (médecins pratiquant dans des cabinets privés, fonds d’assurance autonomes, fonctionnaires, syndicats, ainsi que des politiciens au pouvoir ou dans l’opposition) contraria cette visée initiale (Mossialos et al., 2005) et le système finalement mis en place associa de façon complexe trois types de structures : (a) des structures de type beveridgiennes financées par l’impôt (l’ESY proprement dit) ; (b) des organismes de type bismarckien regroupés dans le réseau des assurances sociales obligatoires financées par des cotisations de sécurité sociale ; et (c) les services de santé privés 16.

Avant 2010, l’ESY comprenait : 201 centres de santé ruraux et trois centres de santé urbains qui formaient des unités décentralisées des hôpitaux régionaux de l’ESY ; 1 478 postes médicaux ou chirurgicaux rattachés aux centres de santé ; et les cliniques ambulatoires de 140 hôpitaux publics. Les centres de santé, les postes médicaux et chirurgicaux offraient à la population rurale des services préventifs, curatifs, d’urgence et de réhabilitation gratuits au point d’utilisation. Les cliniques ambulatoires des hôpitaux publics proposaient des services de spécialistes ou de diagnostic à la population urbaine et semi-urbaine. De jour, l’accès était gratuit ou soumis à une participation financière minimale et, de nuit, il fallait acquitter un copaiement.

Le réseau de sécurité sociale consistait en 36 caisses professionnelles couvrant les soins primaires de 95 % de la population selon diverses formules. L’affiliation à ces caisses, structurées par branche ou par catégorie socio-professionnelle, était obligatoire. Par ordre d’importance, la première des quatre principales caisses était l’IKA (ou Fondation de Sécurité sociale, créée en 1934), la caisse la plus importante des travailleurs du secteur privé. Elle avait sa propre infrastructure de soins et ses propres médecins (surtout des spécialistes), tous salariés et autorisés à ouvrir des cabinets privés à mi-temps. Les trois autres caisses couvraient respectivement les travailleurs agricoles (l’OGA), les professions libérales (l’OAEE) et les employés du secteur public (l’OPAD). Tous les centres de santé achetaient partiellement ou exclusivement des services auprès de laboratoires ou de médecins privés. Les assurés avaient gratuitement accès à une vaste gamme de services, principalement curatifs et de diagnostic. Si les patients étaient redirigés vers des laboratoires et médecins privés, ils versaient un copaiement.

Enfin, le secteur privé comprenait environ 25 000 médecins, 12 000 dentistes, entre 400 et 700 laboratoires et 167 hôpitaux avec leurs départements ambulatoires. Des centres de diagnostic privés hautement rentables contrôlaient presque tout l’équipement biomédical du pays. Ces centres et les médecins privés passaient des contrats avec les caisses d’assurances sociales et les assurances privées et facturaient leurs interventions sur la base d’un forfait fixe par service payé conjointement par les usagers et les caisses. Le secteur primaire privé absorbait plus de 65 % des dépenses privées totales de santé (Kondilis et al., 2012).

Pour diverses raisons, ce système compliqué, fragmenté et peu coordonné connaissait des difficultés permanentes avant 2010. La part importante du secteur privé, la carence de généralistes, d’importantes différences dans le nombre et la qualité des services et dans l’étendue de la couverture garantis par les différents régimes d’assurance, et de réelles carences dans les zones rurales rendaient le système inefficient et inégalitaire. En outre, les très faibles salaires du personnel de l’ESY et du réseau primaire des assurances sociales avaient causé des problèmes structurels : difficultés permanentes de recrutement dans les hôpitaux, sous-effectifs importants, surtout d’infirmiers et de docteurs, manque d’unités de soins intensifs (du fait des sous-effectifs), longues listes d’attente… conduisant à l’habitude de glisser une enveloppe (fakelaki) entre les mains des médecins afin de contourner la liste d’attente et (espérer) obtenir un meilleur traitement.

S’il ne fait pas de doute que le système national de santé avait besoin de changement, il avait malgré tout contribué à une amélioration remarquable de la santé publique entre 1983 et 2009. Les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquent une importante progression de l’espérance de vie pendant cette période grâce à la chute des mortalités évitables (causées par des maladies traitables), en particulier un remarquable déclin de la mortalité infantile et néonatale (passées respectivement de 17,94 à 2,65 et de 13,58 à 1,79 morts pour 1 000 naissances), et de la mortalité postnatale et maternelle. De même, dans le Rapport sur la santé dans le monde publié par l’OMS en 2000, la Grèce figurait en excellente position dans le classement des 191 pays membres de l’Organisation selon la qualité des soins médicaux dispensés. Elle était alors 14e. La France figurait au premier rang, suivie par l’Italie ; l’Espagne était septième ; le Portugal, précédé de la Norvège, 12e. La Suède arrivait en 23e position, l’Allemagne en 25e, les États-Unis, pays notoirement connu pour son système de santé mercantile, 37e.

II.2. Restrictions budgétaires et délais de paiement : des médicaments de moins en moins accessibles

Les dysfonctionnements de l’ESY avaient favorisé une surconsommation de médicaments en Grèce. En 2009, les dépenses médicamenteuses étaient les plus élevées des pays de l’OCDE (2,4 % du PIB contre 1,6 % en moyenne). Ce phénomène s’explique notamment par les pratiques des médecins du réseau primaire des assurances sociales : ils avaient été nombreux à chercher une compensation à leurs faibles salaires 17 en ouvrant les après-midis des cabinets privés. Du coup, les consultations publiques du matin devenaient un vivier de recrutement de patients pour leurs consultations privées : schématiquement, le patient était rapidement reçu le matin avant de repartir avec un rendez-vous pour une consultation privée, ou à défaut avec une grosse ordonnance de médicaments.

La réduction des dépenses pharmaceutiques fut programmée dès le premier mémorandum. La troïka voulut une baisse de près de moitié des dépenses en deux ans (de 4,37 milliards d’euros en 2010 à 2,88 milliards d’euros en 2012 – cet objectif fut atteint) puis à 2 milliards d’euros en 2014 (Kentikelenis et al., 2014) en agissant sur les prix, les prescriptions et le monitoring (Carone et al., 2012:50-52). Parmi les autres mesures figurait une liste régulièrement modifiée de médicaments remboursables conçue pour servir l’objectif prioritaire, en Grèce comme ailleurs, du recours aux génériques ; un système de rabais sur tous les médicaments vendus aux caisses de sécurité sociale ; et un droit de recouvrement par l’État lorsque les dépenses du budget pharmaceutique public excédaient un plafond périodiquement révisé.

Le prix des médicaments est maintenant basé sur la moyenne des trois plus bas prix de l’Union européenne. Des économies substantielles ont ainsi été réalisées sans toutefois assurer un meilleur accès du public aux médicaments. Les raisons en sont complexes. Les hôpitaux délabrés ne sont pas en mesure de commander des médicaments dont les patients ont besoin et laissent ces derniers essayer de résoudre le problème. Les pharmacies sont en difficulté : d’un côté, elles ont accumulé des dettes du fait des délais de remboursement des organismes de sécurité sociale (actuellement, quatre à cinq mois de retard en moyenne, mais cela peut atteindre dix ou onze mois) qui leur doivent un total évalué en 2015-2016 à 500 millions d’euros (Karamanoli, 2015 ; Mantas, entretien 2016). De l’autre côté, les fournisseurs accordent un délai de un à trois mois, mais exigent le plus souvent un règlement immédiat. Les pharmacies sont alors forcées de payer leurs commandes d’avance en attendant le remboursement des assureurs sociaux, ou de s’organiser informellement avec d’autres pharmacies, parmi lesquelles les pharmacies solidaires aujourd’hui très bien organisées 18, pour trouver ou échanger les médicaments ; ou encore d’exiger des patients d’avancer les fonds ; ou enfin de les envoyer tenter leur chance ailleurs. Ces solutions sont fragiles : un très grand nombre de pharmacies a fermé. Beaucoup d’autres ont survécu en apparence mais ont été rachetées par des firmes multinationales de grossistes privés. Ces derniers ont réagi aux bas prix et aux longs délais d’apurement des créances en se tournant vers d’autres marchés plus lucratifs. Pendant un temps, les fabricants ont fixé des quotas censés couvrir les besoins du marché grec, et, par conséquent, ils ne livraient pas nécessairement les commandes en totalité. Pour se justifier, ils disaient ne pas avoir suffisamment de stocks, et parmi eux quelques-uns avaient arrêté de vendre des médicaments coûteux à la Grèce. Un problème particulier se pose au sujet des nouveaux médicaments entrant sur le marché grec (83 ces trois dernières années) parce que la Grèce figure au plan international parmi les pays de référence pour l’établissement et la négociation de leur prix 19. Ainsi, la firme Novartis s’est alliée avec des agents publics et des docteurs grecs pour vendre en Grèce certains nouveaux produits à des prix exorbitants qui lui ont assuré des profits élevés dans des pays plus peuplés (comme par exemple la Turquie, et plus encore le Brésil). Le scandale Novartis 20 fait actuellement l’objet d’une enquête pour établir les faits et déterminer les responsabilités. En attendant, des initiatives internationales sont prises pour tenter de modérer les appétits des fabricants du fait de la crise générale des finances publiques. En Grèce, la pression (et le mécontentement des fabricants) est encore plus forte parce que, en sus de son droit de recouvrement, l’État demande aux fabricants une réduction de 25 % pour chaque nouveau médicament dont le prix est fixé en Grèce.

Ajoutons enfin que l’industrie pharmaceutique grecque est structurellement vulnérable aux firmes multinationales et aux politiques gouvernementales. Elle produit des génériques de haute qualité et constitue un vivier de main-d’œuvre effectif et potentiel, mais elle n’est pas en mesure de se défendre contre des menaces telles que le dumping sur les prix des firmes pharmaceutiques mondiales. Elle a aussi été affaiblie par le droit de recouvrement de l’État dont le montant pour 2014 a été estimé à 30 % du budget national pharmaceutique (Anastasaki et al., 2014). Des opportunités de croissance endogène se perdent ainsi, tandis que la société est dépossédée d’un fournisseur de qualité.

Pour aggraver la situation, les nouvelles politiques ont transféré une partie des coûts aux patients qui doivent assumer une part croissante de la dépense totale non remboursée au risque de se priver de soins. Le panier de soins a été modifié pour introduire des frais modérateurs et exclure certains produits et services, en particulier les tests cliniques et pharmacologiques, de la couverture publique (les assureurs privés ont aussi restreint leur couverture). En moyenne, le ticket modérateur acquitté par les assurés est passé de 9 % du prix du médicament en 2011 à 25 % en 2013 et 35 à 40 % en 2015. Dans les cas extrêmes, le ticket modérateur peut atteindre 75 % du prix du médicament. En raison des effets combinés des pénuries, des stratégies des firmes, et de la règle stricte de l’alignement du médicament sur les trois plus bas prix de l’UE, les médicaments prescrits sont régulièrement introuvables sur le marché. Par exemple, ce sont les vaccins, surtout les vaccins pour enfants (en 2017), ou encore l’insuline, les anticoagulants, les produits antidiabétiques et anticancéreux, les immunosuppresseurs et d’autres produits essentiels qui ne sont plus en circulation ou ne s’obtiennent que très difficilement. Le dysfonctionnement du système est particulièrement dangereux pour les personnes atteintes de maladies chroniques.

II.3. Les hôpitaux en sursis permanent

Des mesures drastiques ont été introduites pour restructurer les hôpitaux publics et le reste de l’ESY. Au cours des dernières années, on a assisté à la fermeture de grands hôpitaux à Athènes, Thessalonique et ailleurs, la suppression et/ou la fusion d’un grand nombre de cliniques ou d’unités spécialisées, le regroupement de centaines de laboratoires, et l’élimination d’au moins 2 000 lits. Des mécanismes de surveillance managériale ont été mis en place : les budgets des hôpitaux sont maintenant gérés par une firme privée (Karakioulafis, 2014:90) et des techniques variées permettent d’inspecter l’activité hospitalière et celle des médecins, dont un système de collecte mensuelle des données pour contrôler l’activité et les dépenses hospitalières à travers des procédures électroniques obligatoires. Comme ailleurs en Europe (Math, dans ce numéro), deux instruments clés ont été actionnés par les gouverneurs pour ralentir la croissance des dépenses hospitalières : la tarification à l’acte et la compression du personnel.

La tarification à l’activité

La tarification à l’activité ou diagnosis related groups (DRGs) est un outil budgétaire importé des États-Unis au début des années 1980 qui s’est substitué au prix de journée habituellement pratiqué en Europe. Elle s’est imposée partout, bien que la recherche scientifique et les évaluations indépendantes mettent depuis longtemps en lumière sa nuisibilité tant pour les finances publiques que pour les patients. Elle consiste à lier directement les recettes des hôpitaux au volume d’activité (nombre d’actes et de consultations) enregistrées pour chaque groupe homogène de malades. Le critère est purement comptable et ne permet pas de distinguer entre une activité technique, facilement quantifiable, mesurable, et une autre plus complexe exigeant plus de temps et l’appel à des compétences pluridisciplinaires. En France, par exemple, où un financement analogue a été introduit, toute consultation, pour être rentable, ne devrait pas dépasser douze minutes. Dans le contexte de l’injonction politique d’un retour à « l’équilibre financier », il n’est donc plus vraiment question de soins mais d’augmentation du nombre d’actes rentables (Grimaldi, 2009). En Grèce aussi, cette politique organise le renoncement à la qualité de bien public inhérente aux services de soin pour les transformer en entreprises capitalistes (Ioakeimoglou, 2010).

Cette transformation est cependant coûteuse. Comme le note le neurologue Makis Mantas (entretien, 2014), coordinateur jusqu’en juillet 2015 du programme de soins primaires de Syriza, le système de paiement à l’acte « … a accru les déficits publics [grecs] et multiplié les coûts hospitaliers par sept. Il favorise les hôpitaux privés. Prenez le cas du strabisme. Il s’agit d’un acte très simple. Dans le passé, l’opération coûtait entre 70 et 90 euros en Grèce. Aucun hôpital privé ne s’y intéressait. Aujourd’hui, la même opération coûte dix fois plus cher. Soudainement, les hôpitaux publics qui prenaient en charge toutes ces opérations le font de moins en moins ; ils cèdent la place aux hôpitaux privés. »

Les hôpitaux privés y trouvent leur compte et en tirent des profits élevés parce qu’ils peuvent facilement se spécialiser dans les traitements relativement simples et peu risqués de maladies courantes et prévisibles. Ce qui pénalise les hôpitaux publics et universitaires auxquels incombent les traitements plus complexes, coûteux et risqués, alors que leurs ressources et celles de la recherche médicale ont diminué.

Des coupes drastiques dans les salaires et les effectifs du secteur public de santé

Autre instrument majeur visant la baisse des coûts, les coupes salariales et la liquidation des droits des travailleurs dans tout le secteur public ont été, dès le premier mémorandum, l’une des principales priorités de la troïka. En 2011, il apparaissait déjà que la chute des dépenses publiques hospitalières avait été obtenue spécialement au moyen d’une diminution de 75 % des coûts salariaux (plutôt que d’un accroissement de l’efficience) (Kondilis et al., 2013). Les salaires des professionnels de santé publique, qui étaient les plus faibles d’Europe occidentale avant la crise financière, ont été réduits d’au moins 40 % depuis 2010. Charis Matsouka (entretien, 2014 21) affirmait qu’elle gagnait 2 000 euros par mois, frais professionnels inclus, alors qu’elle avait atteint le sommet de la carrière hospitalière. Aujourd’hui, le salaire moyen d’un nouveau médecin référent ou d’un professeur de médecine débutant s’élève environ à 1 100 euros (Ifanti et al., 2014 ; entretiens, 2016, 2017).

La compression du personnel dans le secteur de la santé publique a été dramatique, avec une perte de 30 % des effectifs consécutive au gel des embauches, au non-remplacement de fait des travailleurs partant à la retraite et au non-renouvellement des contrats temporaires. En 2011, l’Association médicale d’Athènes estimait qu’en cette seule année, 26 000 agents du secteur de la santé publique, dont près de 9 100 médecins, allaient perdre leur travail (Triantafyllou, Angeletopoulou, 2011). La réduction du nombre de médecins a été beaucoup plus importante que celle prévue par la troïka (Correia et al., 2015) à cause de la détérioration rapide de l’environnement et des conditions de travail. Nombre de docteurs et d’infirmiers ont pris des retraites anticipées. À cela s’ajoute un exode massif depuis 2010 de jeunes grecs hautement qualifiés, parmi lesquels des médecins spécialistes et autres personnels médicaux à la recherche de conditions de travail meilleures hors de Grèce. On estime à plus de 7 500 le nombre de médecins grecs ayant émigré jusqu’en 2014, notamment vers l’Allemagne où ils sont employés dans des postes en deçà de leurs qualifications et à des taux de rémunération inférieurs à ceux de leurs collègues 22.

Des conditions de travail et sanitaires déplorables

Les sous-effectifs, un afflux considérable de patients et les pénuries ont poussé les hôpitaux publics au point de rupture. Les conditions de travail y sont précaires et dangereuses. Les hôpitaux sont à court des fournitures les plus élémentaires : draps, ciseaux, antalgiques, tensiomètres, équipement stérilisé, médicaments vitaux, dépistage du cancer et équipement approprié pour les interventions chirurgicales… Le nombre d’heures travaillées a considérablement augmenté. Le temps de travail des médecins, incluant les périodes de garde, peut atteindre 32 heures ininterrompues, et lorsqu’ils sont en service d’astreinte la durée du travail peut atteindre 93 heures par semaine. Alertée, la Commission européenne a porté le problème devant la Cour de justice qui a jugé ces pratiques illégales 23. Jusqu’ici, cela n’a pas été suivi d’effet : alors que taux de chômage est élevé parmi les médecins et le personnel soignant, les recrutements de médecins statutaires n’ont pas augmenté, des milliers d’embauches sont toujours en attente et les internes quittent l’ESY. À la mi-2017, une loi destinée à réduire le temps de travail légal des médecins grecs pour le rendre conforme aux normes européennes (48 heures) était en préparation. Mais comme il n’est toujours pas possible de recruter du personnel statutaire, le projet de loi prévoit une option en vertu de laquelle les médecins qui le souhaitent auront la possibilité de travailler 60 heures hebdomadaires à condition de signer un document attestant qu’ils font eux-mêmes le choix de travailler plus (auparavant, ils y étaient obligés). Par ailleurs, la pratique consistant à recruter du personnel non statutaire auto-employé sur des contrats à court terme se généralise. Des unités de soins intensifs, des laboratoires et même des départements hospitaliers entiers ferment ou menacent constamment de fermer. Les divers services luttent constamment pour obtenir les financements indispensables à leur survie. Comme le dit une femme médecin dans un entretien :

« Nous devons sans arrêt nous battre pour obtenir des fonds additionnels du gouvernement. (…) Ça se passe tous les trois mois. Donc nous avons constamment un horizon de trois mois devant nous. C’est épuisant. Et déprimant… »

Certains centres publics de traitement du cancer n’arrivent même pas à nourrir leurs patients. Le manque de ressources les amène parfois à fermer abruptement leurs services à divers moments de la journée et à annuler des consultations sans les reporter à une autre date. En janvier 2016, l’hôpital universitaire général Laiko à Athènes a renvoyé des dizaines de patients atteints du cancer parce qu’il ne pouvait pas pratiquer les chimiothérapies vitales prévues pour eux 24. Dans certaines circonstances extrêmes, des nouveau-nés ont été retirés à leur mère jusqu’à ce qu’elle puisse payer la facture hospitalière ; le cardiologue Georgos Vichas, qui dirige la clinique métropolitaine solidaire d’Hellinikon, a rapporté des situations où des patients atteints du cancer avaient été expulsés de l’établissement de soins où ils devaient subir une opération chirurgicale parce qu’ils ne pouvaient pas payer 1 800 euros. Conséquence de la forte proportion de personnes non assurées, ces dernières situations sont cependant restées exceptionnelles grâce à l’ingéniosité des médecins grecs qui trouvent des moyens créatifs de contourner les régulations.

II.4. Le démantèlement du système de soins primaires

Inégalitaire et fragmenté avant 2010, le réseau des services de soins primaires a connu, depuis, une série de réorganisations. En 2011-2012, les quatre principales caisses d’assurances sociales (IKA, OGA, OAEE et OPAD) furent transférées avec leurs effectifs et leur infrastructure à une nouvelle et unique Organisation nationale pour la prestation de services de santé (EOPYY). L’intégration des structures de soins primaires avait été espérée depuis au moins la création de l’ESY en 1983 car elle portait une promesse d’universalité et d’égalité d’accès à la santé. La promesse ne fut pas honorée dans le contexte des mémorandums. Légalement obligées de déposer 77 % de leurs avoirs disponibles à la Banque de Grèce, les caisses d’assurance maladie absorbées par l’EOPYY perdirent 53,5 % de leurs avoirs au moment de la restructuration (« la décote ») d’une partie de la dette grecque en mars 2012. Elles ne reçurent aucune compensation pour leurs pertes (environ 10 milliards d’euros en trois mois), contrairement aux banques. Par ailleurs, la diminution des prestations couvertes par les caisses, l’augmentation des frais modérateurs, la compression des personnels soignants et les baisses de salaire détériorèrent, comme dans le
secteur hospitalier, la qualité des prestations et l’accès aux soins primaires publics (Kaitelidou, Kouli, 2012 ; Kondilis et al., 2013).

En 2014, dans la ligne des principes promus par la Banque mondiale, le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, dissocia les fonctions d’acheteur et de fournisseur ou prestataire de soins. La fonction d’acheteur resta de la compétence de l’EOPYY, tandis que les prestations de santé furent confiées à un nouveau Réseau national de soins de santé primaire (PEDY). Le ministre manœuvra habilement pour provoquer le départ « volontaire » de la moitié des médecins des centres de santé intégrés à l’EOPYY deux ans plus tôt. En février 2014, il ferma du jour au lendemain toutes les unités du réseau de soins primaires et renvoya chez eux quelque 6 500 à 8 000 médecins. Il annonça que ceux-ci pourraient être embauchés à l’ouverture du nouveau réseau (PEDY), à condition d’accepter des contrats de travail à plein temps et de fermer leurs cabinets privés. L’idée de créer un statut d’emploi exclusivement public dans le secteur des soins primaires était populaire et en général bienvenue, mais cela impliquait que les docteurs dorénavant se contentent du même (bas) salaire (1 100 euros), renoncent à des sources supplémentaires de revenus (en fermant leurs cabinets) et oublient les perspectives de carrière 25. Ils furent nombreux à « s’auto-licencier », pour citer la formule d’un de mes interlocuteurs, c’est-à-dire à « choisir » de perdre leur emploi. Aujourd’hui, le réseau PEDY compte quelque 2 700 médecins.

En dehors de réussir un « coup » avec la suppression d’un nombre conséquent d’employés du secteur public, l’initiative d’Adonis Georgiadis s’est révélée problématique. D’abord, les structures de soins primaires (c’est-à-dire principalement celles de l’ancienne IKA) ont pratiquement cessé de fonctionner en raison de l’importance des sous-effectifs. Autrefois dotées de moyens, notamment humains, suffisants, elles sont désormais pratiquement vides. Par conséquent, de très nombreux patients doivent attendre longtemps pour une très brève consultation 26. Les médecins n’ont pas le temps de faire davantage que de contrôler les carnets de santé ou les anciennes ordonnances, et en faire de nouvelles. De plus, ils sont étroitement surveillés par une plateforme électronique : ils ne peuvent pas prescrire de médicaments ou d’examens au-delà de ce qu’autorise leur budget 27. S’ils s’y hasardent, le système commence par lancer un avertissement avant de se bloquer, et le médecin, alors passible d’une amende, ne peut plus rien prescrire. Dans les services de santé primaire (comme à l’hôpital), des auxiliaires précaires sont embauchés pour des périodes courtes allant de huit mois (ce qui évite de les garder l’été) à un an et demi au mieux : ceux-là ne veulent pas risquer leur emploi ou avoir une amende. Les autres 28 sont également piégés par le système, de sorte que la plupart des médecins ne peuvent pas soigner leurs patients. Si nécessaire, ils les envoient à l’hôpital où il est encore possible de prescrire librement des médicaments ou des examens. Mais c’est un cercle vicieux, car les médecins hospitaliers estiment à juste titre qu’ils n’ont pas le temps de recevoir les gens pour simplement leur délivrer des ordonnances, et que ce n’est pas leur rôle.

Même quand ils n’étaient pas dirigés à l’hôpital par leur médecin traitant, et parce que les soins primaires ne fonctionnent pas, les patients se sont massivement tournés vers les urgences hospitalières. C’est le deuxième grand écueil de la réorganisation conduite par Adonis Georgiadis. Pour décongestionner les urgences et pallier les conséquences des sous-effectifs dans les soins primaires, le ministre de la Santé a cru trouver une solution en incitant les médecins du secteur privé à passer des conventions avec l’EOPYY : ils s’engageaient à examiner 200 patients par mois contre une rémunération de 2 000 euros mensuels. Cette mesure extrêmement coûteuse pour le système de santé publique s’est aussi avérée très inefficace car la plupart des médecins « se débarrassaient » des 200 patients en une semaine, sinon plus vite, et pendant le restant du mois les malades n’avaient d’autre choix que de payer le prix d’une consultation privée, d’aller à l’hôpital ou de tenter leur chance dans un centre de soins primaires.

Telle était encore la situation au printemps 2017 quand l’actuel ministre de la Santé, Andreas Xanthos, lançait un nouveau projet de loi quadriennal dit « Soins primaires de santé » 29. Son objectif prioritaire consiste toujours à désengorger les urgences hospitalières mais le gouvernement entend aussi remettre à plat tout le système en vue de son amélioration (encadré). L’initiative est bienvenue : elle simplifie l’organisation des soins primaires, vise leur intégration à un système national de santé unique et pourrait corriger certains dysfonctionnements. Mais les fortes contraintes budgétaires indiquent que la perspective reste celle d’un rationnement des soins de santé publique. Les besoins du pays tout entier ne sauraient être couverts par le recrutement de seulement 1 300 nouveaux médecins, même si les profils privilégiés (généralistes, internistes, pédiatres) correspondent à un manque avéré, tant le déséquilibre est grand entre, d’un côté, les spécialistes en surnombre et, de l’autre, les généralistes souvent inexistants dans les services de soins primaires. Avec seulement trois praticiens, le rôle des unités locales de santé risque de se ramener à celui de pourvoyeur d’ordonnances et de garde-barrière empêchant le tout-venant de se rendre spontanément aux urgences hospitalières. On ne sait pas encore ce que devrait impliquer la restructuration de ces dernières, actuellement à l’étude. Elles pourraient devenir des unités autonomes dotées d’un personnel propre, distinct des équipes soignantes des hôpitaux. Dans l’ensemble, la précarisation des personnels soignants ira en augmentant. Même si les contrats des médecins conventionnés sont révisés, il manquera au système national de santé, et singulièrement au secteur des soins primaires, la masse critique indispensable à des prestations publiques de qualité. La dépendance à l’égard du secteur privé n’en sera que renforcée. On s’achemine très probablement vers un système à deux vitesses comprenant des services publics rudimentaires, sinon gratuits du moins à faible coût, et des prestations privées ou mixtes accessibles seulement aux plus aisés.

De fait, la logique d’une participation maximale du secteur privé s’installe progressivement dans le secteur des soins primaires. Les dépenses non remboursables se multiplient. Les copaiements pour les consultations ambulatoires sont passées de 3 à 5 euros en 2011 (le gouvernement Syriza a supprimé cette taxe qui vient d’être réintroduite). Les prescriptions médicales sont limitées à trois médicaments. S’il en faut davantage, le médecin doit établir une ou plusieurs nouvelles ordonnances, chacune coûtant 1 euro au patient. Il y a aussi d’autres coûts moins visibles, comme le prix d’un appel téléphonique pour programmer un rendez-vous chez le docteur. Il sera bientôt possible de le faire par voie électronique, solution difficile pour les personnes âgées ou démunies. L’assurance privée croît lentement dans le marché des soins primaires avec des formules bon marché. Par exemple, on a vu des journaux comme Proto Thema ou Anexartisia offrir aux lecteurs dans leurs éditions du week-end des coupons à collectionner pour obtenir une carte de santé « gratuite » donnant un accès annuel limité et à faible coût à des médecins et des centres privés de diagnostic. Les banques aussi offrent à leurs clients différents types de polices d’assurance maladie (selon un éventail de prix variant de 85 à 800 euros annuels).

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Les montants de ces contributions acquittées par le patient peuvent paraître négligeables. Cependant, elles pourraient bien avoir un but pédagogique. Comme a pu le dire un médecin grec au cours d’un entretien : « Le projet consiste à habituer les gens à payer jusqu’à ce que le système [de santé publique] soit finalement supprimé. » Dans sa contribution aux travaux du réseau Globalization and Health Knowledge Network, John Lister note : « Il ne fait pas de doute qu’en promouvant des frais modérateurs, la Banque mondiale et d’autres agences entendaient notamment nourrir l’apparition de polices d’assurance, même dans les pays les plus pauvres […]. [Par exemple], à l’occasion d’un atelier majeur financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui s’est tenu au Zimbabwe, l’une des conclusions principales relatives aux “enseignements” tirés de la réflexion sur le financement des soins de santé était que “les frais modérateurs sont vitaux pour l’introduction de n’importe quel type de système assurantiel” » (McEuen et McGaugh, cité par Kondilis et al., 2013 ; Lister, 2008:34).

Tout aussi importantes ont été d’autres mesures prises en Grèce pour aller dans la même direction. La dérégulation des services privés de santé a commencé très tôt au début du premier programme d’ajustement structurel. Par exemple, Kondilis et alii (2013) mentionnent la suppression de toutes les limites à l’établissement de laboratoires, de centres médicaux et d’unités de dialyse par des entrepreneurs privés, et la levée des restrictions relatives à l’expansion des hôpitaux privés. Les auteurs relèvent également l’introduction en 2011 de contrats passés par les établissements publics avec les compagnies d’assurance privées pour leur transférer des services hospitaliers publics. Ils leur ont attribué des centaines de lits hospitaliers de luxe. Avant même la loi « Soins primaires de santé » d’Andreas Xanthos, deux grandes cliniques privées aux spécialités multiples fonctionnant en lien avec d’importants prestataires d’assurance privées avaient été créées en remplacement des structures du réseau PEDY à Athènes et à Thessalonique.

III. Survivre sous conditions

L’importance des déterminants sociaux de la santé pour le bien-être physique, mental et social des communautés humaines a été soulignée plus haut. Avec l’aide et une certaine complicité du gouvernement grec (Burgi, 2014a), la troïka a prétendu pallier les effets de la « crise » (les effets de la quasi-liquidation, effective ou en instance, de la protection sociale) en agissant sur ces déterminants dans l’intention de renforcer la « résilience » de la population. Les mesures phares initiées à cette fin – indemnisation et accès des chômeurs aux soins médicaux, instauration d’un revenu minimum garanti (RMG) – tracent, dans leur version grecque, les contours matériels et idéels du « nouveau modèle social européen » appelé à se substituer à l’État social décrété « révolu » par le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, en 2012. Ce modèle est évoqué dans le mémorandum d’août 2015 qui consacre une petite section à un « authentique filet de sécurité sociale » et à « une société plus équitable ». Embrassant la notion promue par la Banque mondiale d’un « ensemble de prestations de base » (essential package) pour les plus démunis, il assure tout juste la survie des plus pauvres.

III.1. La reconfiguration des indemnités de chômage et de l’assurance-maladie

Avant juillet 2011, la durée maximale d’indemnisation du chômage, qui conditionnait l’accès aux prestations de santé, n’excédait pas un an, mais les patients en fin de droit et privés de ressources financières pouvaient encore être traités dans les hôpitaux. Après juillet 2011, de nouvelles dispositions exigèrent que les non-assurés paient intégralement leurs soins et en mars 2012, les montants de l’indemnisation furent réduits (de 561 à 360 euros 30). Entretemps, les taux de chômage et le nombre de personnes non assurées grimpèrent en flèche et restèrent énormes jusqu’à aujourd’hui. Médecins de Monde estime qu’il y a environ 3 millions de non-assurés, si l’on inclut les auto-employés qui ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels du chômage ; Makis Mantas estime la proportion de non-assurés toutes catégories confondues à 35 % de la population en 2016, parmi lesquels 60 % de professions indépendantes et d’auto-employés ; les rapports officiels de l’UE ou de l’OCDE avancent généralement le chiffre de 2,5 millions de non-assurés (sur une population totale de 11 millions d’habitants).

Sous la pression sociale, le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, introduisit par décret ministériel en 2013 puis en 2014 un système de coupons censés permettre aux non-assurés d’accéder aux soins primaires (2013) puis également aux soins hospitaliers (2014). Ces coupons, administrativement ingérables et en pratique inaccessibles au plus grand nombre, se révélèrent une mesure palliative 31. Les patients se retrouvèrent dans des situations où ils devaient payer formellement ou informellement – en signant une reconnaissance de dette envers l’établissement public de soins – une partie sinon la totalité de leur traitement hospitalier, diagnostic et médicamenteux.

Finalement, c’est au gouvernement Syriza qu’est revenue la responsabilité de mettre en place un plan dit d’accès « égal et universel à la santé ». Amélioration significative, la loi n° 4368/16 complétée par un arrêté ministériel du 2 mars 2016 offre à tous les citoyens légalement installés en Grèce la possibilité d’être pleinement couverts sur simple présentation de leur numéro de Sécurité sociale. Les réfugiés récemment entrés et enregistrés en Grèce le sont au même titre que les autres citoyens dépourvus d’assurance sociale. Par contre, les immigrés sans papiers plus anciens, Pakistanais, Indiens ou autres, ne sont pas couverts.

Sauf pour les très pauvres, la gratuité des soins n’inclut pas les médicaments dont le coût est en moyenne supporté pour moitié par les patients. La dispense des frais modérateurs est subordonnée à des conditions telles que seul un petit nombre, estimé 32 à quelque 170 000 personnes, est concerné (sur au moins 2,5 millions de bénéficiaires potentiels, comme on vient de le voir). La gratuité des médicaments est soumise aux critères suivants : (1) les revenus ne doivent pas excéder 2 400 euros annuels pour une personne seule (le double pour un couple avec deux enfants) ; (2) si une personne n’a pas de revenus mais possède un bien immobilier d’une valeur de 150 000 euros et plus, ou si une personne a un compte en banque comprenant des avoirs équivalents à trois fois le critère annuel des 200 euros mensuels (donc un solde créditeur de 7 200 euros), elle doit participer aux frais modérateurs ; (3) les handicapés dont le taux de handicap est évalué à moins de 67 % ne sont pas couverts à 100 % (avec une légère différence en leur faveur s’il y a des enfants) ; (4) l’accès à la consultation de spécialistes est restreint : la prestation de services publics de santé gratuits est rigoureusement limitée aux ressources publiques existantes et ne s’étend pas à des services que les hôpitaux ou les centres de santé contractent auprès de prestataires privés. Dans tous les cas où les patients habitent une contrée dépourvue du service ou du spécialiste recherchés, ils se voient obligés ou bien de voyager s’ils le peuvent pour se rendre dans une grande ville, ou bien de se passer de soins spécialisés.

III.2. L’Allocation de solidarité sociale, un revenu minimum garanti 

Censé refléter l’ambition de « justice sociale » des rédacteurs du troisième mémorandum, le revenu minimum garanti (RMG) incarne bien l’idéal d’une protection sociale réduite à un plancher de prestations minimales. La Commission européenne le décrit comme un « exemple typique d’investissement social » (Ziomas et al., 2015a). L’« investissement social » est alors l’antithèse des droits (durement conquis) à des revenus de transfert inconditionnels qui sont, eux, désobligeamment appelés « consommation sociale ». La finalité de cet « investissement social » ciblé exclusivement sur la pauvreté extrême (ibid.) n’est pas de combattre l’indigence, mais de réduire l’indicateur mesurant « l’écart de pauvreté » (Ziomas et al., 2015b), c’est-à-dire l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté.

Le RMG est entré en application en 2017 33 sous l’appellation « allocation de solidarité sociale » (KEA selon l’acronyme grec). Il avait préalablement été l’objet d’une expérimentation pilote dans treize gouvernements locaux entre novembre 2014 et avril 2015. Le dispositif comprend une allocation dégressive inférieure au seuil de pauvreté extrême 34 n’excédant pas 200 euros mensuels pour une personne seule, et par exemple 400 euros pour une famille de quatre personnes ou 500 euros pour un couple et quatre enfants mineurs. Il comprend également une aide sociale en nature et une aide à la recherche d’emploi. Les conditions d’attribution des aides sont analogues à celles mentionnées précédemment au sujet du programme d’accès universel à la santé. Le revenu déclaré du ménage au cours des six mois précédant la demande ne doit pas excéder six fois le montant de l’allocation 35 ou un plafond fixé à 5 400 euros quel que soit le nombre de personnes composant le ménage. À cela s’ajoutent des critères portant sur la propriété, qui varient aussi en fonction de la composition du ménage. Ils incluent la valeur taxable des biens immobiliers en Grèce ou à l’étranger 36, le coût objectif de tous types de véhicules privés 37 et le montant total des dépôts en banque ou dans toute autre institution de crédit 38. La mise en œuvre du dispositif est confiée aux municipalités.

Les volets aide sociale et aide à la recherche d’emploi n’avaient pas été inclus dans l’expérimentation pilote : celui sur la recherche d’emploi parce que la Grèce est plongée dans une dépression économique durable et que les structures de ce type sont quasiment inexistantes, en tout cas inopérantes ; celui sur l’aide sociale (principalement des opérations de distribution alimentaire), parce que les conditions d’ouverture respectivement du droit au revenu minimum garanti et du droit à l’aide sociale n’étaient pas encore harmonisées. Depuis l’entrée en application du dispositif KEA, les listes de bénéficiaires du revenu minimum garanti sont utilisées par les services sociaux municipaux pour l’attribution d’une aide sociale et sont parfois croisées avec des listes établies par d’autres structures, dont les églises, pour éviter que le même individu puisse profiter simultanément de plusieurs programmes d’aide. À partir de début 2018 aura lieu le renouvellement du droit à l’allocation KEA de solidarité sociale. À cette occasion, les bénéficiaires admis en 2017 qui n’auraient pas su qu’ils devaient, ou n’auraient pas voulu déclarer une éventuelle modification de leur situation dans le cours de l’année, ou ceux dont on s’apercevra que le dossier déposé en 2017 comporte des erreurs, quelles qu’elles soient et même si c’est à leur insu 39, seront sommés de rembourser les sommes qui leur ont été versées 40. On ne sait pas ce qu’il adviendra de ces bénéficiaires ni comment le problème sera géré. En tout état de cause, l’adjonction de l’aide sociale au revenu minimum n’est pas de nature à consolider les déterminants sociaux de la santé.

III.3. Le cadre de la survie

De ce qui précède, il est permis de penser que l’allocation de solidarité sociale, composante centrale de ce qui est présenté comme un filet social, est appelée à devenir un dispositif intégré de coordination de politiques dites de protection sociale ciblées sur la misère, qui produisent, normalisent et contrôlent le statut de dépossédé ; un dispositif de gestion limité aux 15 % de la population classés comme extrêmement pauvres. Les conséquences sociales des politiques austéritaires se réduiraient à la « résilience » défectueuse d’une minorité.

Notion polysémique, la résilience sociale peut s’entendre comme la capacité des individus ou des groupes de résister à l’adversité en mobilisant et en inventant de nouvelles ressources et manières de faire et d’agir pour préserver leur bien-être matériel, physique et psychique, ainsi que la dignité conférée par la reconnaissance de soi et d’autrui comme membre à part entière d’une communauté de semblables. Bien sûr, les réponses individuelles et collectives à la déstabilisation des cadres sociaux diffèrent sensiblement d’une société à l’autre (Hall, Lamont, 2013). Pour ce qui concerne la santé publique en Grèce, la création, évoquée plus loin, d’un réseau de structures de soins solidaires dans tout le pays a été portée par l’espoir de préserver la substance de la société et défendre ses droits.

Ce n’est pas ainsi que les institutions dominantes conçoivent la notion de résilience. Elles donnent à ce vocable un sens normatif inférant une soumission allant de soi à l’ordre établi. Dans son acception politico-administrative, la résilience désigne la résistance avant tout psychologique des individus à l’infortune (euphémisme pour injustice) au sens de leur aptitude à réaliser un « ajustement positif » pour s’adapter et « rebondir » dans les contextes les plus difficiles – qui ne sont pas, eux, questionnés (par exemple Burgi, Soumara, 2015). Cette grammaire de la résilience induit la conviction qu’il faut s’accommoder de la (grande) précarité, contrôler le « désordre », les comportements « antisociaux », les troubles à l’ordre public, et légitimer si nécessaire des mesures d’exception et/ou le recours à la force. Il appartiendrait à chacun et à tous de se prendre en charge. Seules les catégories sociales totalement démunies (à l’exclusion des réfugiés et autres immigrés) pourraient espérer, sous d’austères conditions, une aide matérielle parcimonieuse financée par la communauté.

La troïka trouve dans ces préceptes un moyen parmi d’autres de passer sous silence sinon de nier les conséquences de ses politiques. Avant la crise financière, les gens allaient chez le médecin malgré les carences des soins primaires. Maintenant, ils doivent se résoudre à une mort à échéance plus ou moins précoce. Même les assurés sociaux, souvent incapables de couvrir les dépenses non remboursables, ont tendance à négliger les examens préventifs, à les reporter à plus tard (ou trop tard) ; ils réduisent leurs traitements, les prennent de façon discontinue, les remplacent par des substituts moins chers, les arrêtent même. Des maladies que l’on croyait éradiquées comme la malaria réapparaissent, le VIH s’est répandu. L’état de la santé mentale est désastreux. Dès le premier mémorandum, les médecins hospitaliers constataient une augmentation des pathologies cardiaques et accidents vasculaires cérébraux liés à l’anxiété et au stress 41. Le taux de dépressions majeures est passé entre 2009 et 2014 de 3,5 % à 12,5 % de la population et le taux de suicides s’est accru de 35 % entre 2010 et 2013 (Economou, Peppou, Fousketatki et al., 2013 ; Economou, Madianos, Peppou et al., 2013 ; Economou et al., 2016 ; Madianos et al., 2014). La consommation de « drogues de la crise » – substances synthétiques très bon marché comme la métamphétamine (1 à 5 euros) fabriquées dans des laboratoires de fortune et même dans les cuisines des particuliers – pourrait détruire une génération entière d’adolescents, comme le sisa en Argentine (Matsa, 2014). La désintégration de la société et le désastre sanitaire nourrissent la violence interpersonnelle (homicides et violence domestique). Le psychiatre Spyros Sourlas (entretien, 2015) a observé un accroissement de 30 % des troubles psychosomatiques (maux de tête, de ventre) parmi les enfants, dont un tiers finit à l’hôpital. Gerasimos Kolaitis et Georges Giannakopoulos (2015), tous deux pratiquant dans d’importants services hospitaliers de psychiatrie infantile à Athènes, rapportent qu’ils rencontrent un « nombre toujours grandissant de familles confrontées à des adversités psychosociales compliquées » et d’enfants maltraités ou négligés admis dans le plus grand hôpital pédiatrique de Grèce au titre de la protection de l’enfance…

Les traités font obligation à la Commission européenne d’évaluer les effets sociaux et sanitaires de toutes les politiques publiques, y compris celles de la troïka. Elle y a rechigné. Une étude d’impact social a fini par être réalisée a posteriori en 2015, mais elle fut pour le moins « décevante à bien des égards », comme le note dans sa déclaration de fin de mission sur l’état social et humain de la Grèce Juan Pablo Bohoslavsky (2015), expert indépendant sur la dette extérieure et les droits humains auprès des Nations unies. Elle « ne mentionne pas une seule fois la notion de “droits humains” » fondamentaux, poursuit l’expert, dont le rapport pointe au contraire une violation systématique de ces droits 42. La « vertigineuse liste de normes, règles, lois grecques, européennes et internationales piétinées par les mémorandums » (CADTM, 2015) est aujourd’hui assez bien répertoriée (par exemple Salomon, 2015 ; Ghailani, 2016) mais mal connue du grand public mieux informé sur l’interprétation dominante des abondantes données économiques et financières que sur les atteintes à la démocratie.

Pour leur part, les gouvernements grecs se sont montrés tout aussi cyniques et indifférents au sort de la population. Ils ont par exemple reporté sur les femmes et les migrants la responsabilité de la crise sanitaire. En 2012 et 2013, ils orchestrèrent des campagnes de « nettoyage » contre les consommateurs de drogue et les migrants. Ils mirent le pays en garde contre la propagation du Sida – qui « peut être transmis par une femme migrante illégale au consommateur grec, à la famille grecque » – et contre les « bombes à retardement sanitaires » menaçant les hommes grecs et les ménages. Un décret (39A) de 2012 permettant à la police de détenir n’importe qui en vue de procéder à des tests forcés de dépistage des maladies infectieuses et de rendre publiques les données personnelles des sujets atteints du VIH entraîna de multiples rafles, des poursuites pénales, et l’arrestation, l’emprisonnement, la stigmatisation et l’humiliation de milliers de personnes (Vasilopoulou, 2014:225-227). Il fut définitivement abrogé en avril 2015 par le gouvernement Syriza, à qui fut cependant transférée par les puissances dominantes de l’UE la charge et la responsabilité de « traiter » au moins 60 000 réfugiés actuellement bloqués en Grèce où ils sont confrontés à la politique de détention automatique dans des camps inhumains et aux plus grandes difficultés d’accès (si tant est qu’ils accèdent) à des soins médicaux essentiels. Alors qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la migration et l’importation de maladies contagieuses (par exemple Langlois et al., 2016 ; Rechel et al., 2011 ; Grove, Zwi, 2006), ces traitements spéciaux pourraient bien rendre encore plus critique la crise sanitaire et finir par mettre en danger la société tout entière.

Conclusion

Loin de cette logique mortifère, une partie de la société a pris un chemin d’une tout autre nature pour défendre la santé publique et ses conditions de possibilité. Dans un élan de solidarité remarquable, des hommes et des femmes bénévoles, médecins, soignants ou simples citoyens ont œuvré pour créer et faire fonctionner à partir de 2009 une quarantaine de cliniques et pharmacies autogérées dans tout le pays. Toute personne nécessitant des soins médicaux sans y avoir accès pour une raison ou une autre y est accueillie indépendamment de sa nationalité, de son statut social ou de ses origines. Ces structures ont sauvé des milliers de vies, mais leurs maigres ressources, provenant exclusivement de dons de la population et de réseaux militants nationaux et internationaux (dont le collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé) ne leur permettent de répondre qu’à une part minime des besoins de la population. La lutte ainsi engagée au nom de la santé pour tous n’a pas eu pour objet de construire une alternative au système public de santé. Elle a été pensée, menée et vécue comme un acte de résistance positive contre un pouvoir despotique, un acte susceptible d’amener les habitants à se relever et défendre par leurs pratiques solidaires leurs droits et les principes démocratiques. Cet espoir s’essouffle depuis que le gouvernement Syriza et son Premier ministre, choisissant de conserver le pouvoir après la capitulation d’Alexis Tsipras en juillet 2015, appliquent un troisième programme mémorandaire plus violent et punitif encore que les deux précédents. L’apathie gagne du terrain. Les militants et bénévoles, épuisés, quittent les organisations de solidarité. Nul ne sait par quels moyens la société grecque cherchera dans le dénouement de cette tragédie à se défendre contre les atteintes portées à sa substance même.

Noëlle BURGI1

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Stuckler D., Basu S. (2014), Quand l’austérité tue. Épidémies, dépressions, suicides : l’économie inhumaine, Paris, Autrement ; traduit de Stuckler D., Basu S. (2013),The Body Economic: Why Austerity Kills: Recessions, Budget Battles, and the Politics of Life and Death, New York, Basic Books.

Triantafyllou K., Angeletopoulou C. (2011), « IMF and European Co-workers Attack Public Health in Greece », The Lancet, vol. 378, n° 9801, October, p. 1459-1460, https://doi.org/10.1016/S0140-6736(11)61639-5.

Vasilopoulou C. (2014), « L’emprisonnement des prostituées séropositives stigmatisées et la création d’un camp de détention pour sans-papiers et autres exclus », in Burgi N. (dir.), La grande régression : la Grèce et l’avenir de l’Europe, Lormont, Le Bord de l’eau, p. 225-227.

Ziomas D., Sakellis I., Bouzas N., Spyropoulou N. (2015a), ESPN Thematic Report on Minimum Income Schemes: Greece 2015, European Commission, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion, Brussels.

Ziomas D., Sakellis I., Bouzas N., Spyropoulou N. (2015b), ESPN Thematic Report on Social Investment. Greece, European Commission, Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion, Brussels.

1. CNRS, CESSP.
2. Surestimé à 15,8 % du PIB après de troublantes révisions à la hausse, mais tout de même bien supérieur à la limite des 3 % autorisée par le traité de Maastricht. Pour une analyse approfondie,
voir le site du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) et en particulier le Rapport CADTM 2015.
3. Rejointe par le Mécanisme européen de stabilité (MES) en 2015, elle est devenue un Quartet.
4. De très nombreux documents sont associés aux mémorandums (CADTM, 2015). Pour les deux premiers mémorandums, on peut consulter les documents de la Commission européenne (European Commission, 2010, 2012). Pour le troisième, on dispose d’une version commentée par Yanis Varoufakis, ex-ministre des Finances du premier gouvernement Tsipras, du Communiqué
de l’Eurogroupe et du mémorandum (https://varoufakis.files.wordpress.com/2015/08/mou-annotated-by-yv.pdf) et de sa traduction française sur le blog de Paul Jorion (http://www.pauljorion.
com/blog/2015/07/16/communique-sur-la-grece-avec-les-annotations-de-yanis-varoufakis/).
5. Joaquin Almunia est largement cité dans la presse quotidienne du 12 février 2010. Sur l’approche méthodique et punitive des mémorandums et, au-delà, de la « nouvelle gouvernance européenne »
entérinée par le Traité budgétaire européen (2012), voir Greer et al. (2016) ; Stamati, Baeten (2014) ; Burgi (2014a, 2014b), ainsi que les mémorandums eux-mêmes (voir note précédente).
6. Au sens où ces politiques sont imposées par la contrainte (Lochard, Pernot, 2010).
7. Le fondamentalisme de marché s’enracine dans divers courants théoriques, dont l’ordolibéralisme, théorisé par des économistes allemands et autrichiens rejoints par Friedrich Hayek
dès avant la seconde guerre mondiale. Longtemps marginales, leurs thèses ont trouvé leur point d’appui politique dans les « révolutions conservatrices » des années 1970 et 1980 impulsées
par Thatcher et Reagan.
8. La notion foucaldienne de « gouvernementalité » désigne, au-delà des structures politiques et de la gestion des États, et des formes instituées et légitimes d’assujettissement politique ou économique,
un art de gouverner consistant à « conduire des conduites », à agir sur les possibilités d’action des individus et des groupes, et donc à structurer leur champ d’action éventuel.
9. L’expression est proposée par Michel Foucault (2004:207-213) dans un passage où il discute la question du minimum vital, qu’il appelle « clause de sauvegarde » ou de « non-exclusion ».
La notion de pauvreté « absolue » ne s’entend évidemment pas au sens de la théorie économique. L’idée doit se comprendre comme une opération consistant à agir sur la paupérisation
des masses, considérée comme un des effets de la régulation néolibérale, sans toutefois chercher à en modifier les causes. Il s’ensuit que le tracé du seuil de pauvreté résulte d’un choix et
d’une appréciation politiques.
10. G. Kyriopoulos, « Υγεία: “νικητές” και “ηττημένοι” της κρίσης » (« Santé: gagnants et perdants de la crise »), The Huffington Post, 19 juin 2015 (en grec), http://www.huffingtonpost.gr/gianniskyriopoulos/-_
583_b_7619170.html.
11. http://www.statistics.gr/en/living-conditions-in-greece.
12. Selon l’étude détaillée de Matsaganis et al. (2016), le taux de pauvreté extrême n’excédait pas 2,2 % en 2009 ; il était de 8 % en 2011 et de 15 % en 2015. On en trouvera une synthèse en
anglais dans Georgakopoulos (2016). Sur l’évolution du seuil de pauvreté, voir Parlement hellénique (2014) et Matsaganis, Leventi (2013).
13. J’emploie le mot gouverneurs pour marquer le déploiement en un ordre de bataille quasi-militaire des injonctions et des mesures d’austérité.
14. Depuis septembre 2015, le gouvernement d’Alexis Tsipras tient un double discours, « réaliste » ou « résistant », selon l’auditoire auquel il s’adresse.
15. Les frais modérateurs désignent la partie des coûts assumée par les patients pour les services couverts par les régimes publics d’assurance maladie : ticket modérateur (représentant un pourcentage
fixe du coût du service), copaiement (montant forfaitaire exigible quel que soit le coût du service, par exemple 5 euros), franchise (coût total assumé à hauteur d’un certain plafond),
surfacturation, etc.
16. La description qui suit est empruntée pour l’essentiel à Kondilis et al. (2012).
17. 1 100 euros mensuels dans les unités de soins de l’IKA, sans augmentation jusqu’à la retraite, non comprise l’assurance maladie obligatoire entièrement à leur charge (contrairement à tous les autres salariés), et sans indemnités en cas de licenciement.
18. Elles sont brièvement évoquées à la fin de ce texte.
19. Sur ces pratiques, voir par exemple Gandjour (2013).
20. Voir par exemple http://www.cardiobrief.org/2016/03/29/us-doj-expands-investigation-into-phony-novartis-speaking-events/.
21. Directrice du service d’hématologie de l’hôpital universitaire général Alexandra à Athènes.
22. Les données de l’OCDE sur l’émigration du personnel médical ne sont pas disponibles pour la Grèce.
23. Jugement de la Cour (Neuvième Chambre) du 23 décembre 2015, European Commission v Hellenic Republic, case C-180/14. La directive 2003/88/CE dispose qu’une période de travail
de 24 heures doit être entrecoupée d’au moins 11 heures consécutives de repos et que le travail ne doit pas excéder 48 heures par semaine.
24. « Yet Again, Cancer Patients in Desperation at Laiko Hospital », MCCH, April 11, 2016, http:// www.mkiellinikou.org/en/2016/04/11/yet-again-cancer-patients-in-desperation-at-laiko-hospital/.
25. Pour cette raison, les médecins et le personnel soignant avaient depuis novembre 2013 lancé des grèves reconductibles. Ils protestaient contre les plans du ministre et les licenciements,
mises en disponibilité et mobilités forcées qui se profilaient. Nombre d’entre eux avaient cependant gardé ouverts leurs cabinets privés, ce qui a peut-être délégitimé le mouvement aux yeux
d’une partie de l’opinion publique, les docteurs pouvant donner l’impression d’être mus par des motivations individuelles dans ce conflit.
26. Il faut se représenter ce que cela signifie : j’ai vu un médecin généraliste s’occuper de 24 personnes en une heure un quart, ce qui revient à une durée moyenne de trois minutes par consultation.
Ce n’est pas exceptionnel. Le travail du médecin est aussi pénible que l’est la situation pour le malade. Les patients pour la plupart savent ce qu’ils ont et viennent seulement renouveler 

leurs ordonnances. Mais il y a toujours au moins une minorité qui ne sait pas ce qui lui arrive et qui ne trouvera ni l’attention ni l’écoute dont elle a besoin.
27. Il est alloué à chacun en fonction de sa spécialité.
28. Ceux qui ont accepté les conditions posées par Adonis Georgiadis et ont été embauchés dans le nouveau réseau national (PEDY) après avoir le cas échéant fermé leur cabinet privé, et un
second (petit) groupe de médecins et soignants qui avaient réintégré les services de soins primaires sur la base de plusieurs jugements des tribunaux condamnant le ministre pour leur licenciement
de fait. Ces derniers ont bénéficié des mêmes conditions de travail (salaire et possibilité de conserver leur cabinet privé) pendant plusieurs années éventuellement renouvelables. Les
personnels soignants ont donc des statuts d’emploi différenciés et inégalitaires.
29. D. Terzis, « Ετοιμάζουν… ΤοΜΥ στην Πρωτοβάθμια Υγεία » (« Ils préparent… Des ToMy dans le secteur primaire de la santé »), Efsyn, 12 avril 2017, http://www.efsyn.gr/arthro/etoimazoyntomy-
stin-protovathmia-ygeia. Les ToMY sont des « unités locales de santé » (voir encadré).
30. Et la durée des indemnités de chômage fut étendue pour couvrir sous de strictes conditions certaines catégories de chômeurs de longue durée en fin de droit (200 euros mensuels).
31. En colère, les médecins des cliniques sociales solidaires dénoncèrent « une goutte dansl’océan ». « Le ministre de la Santé, dirent-ils en 2013, espère nous impressionner avec une
aspirine, quand une cure beaucoup plus radicale est nécessaire » (MCCH, archive 2013, http://www.mkiellinikou.org/en/category/mcch/page/2/).
32. Estimations attribuées par la presse au ministre de la Santé Andreas Xanthos et à la viceministre,Theano Fotiou.
33. Arrêté ministériel du 24 janvier 2017 relatif à la loi n° 4320/15.
34. Selon les résultats de l’enquête de Matsaganis et al. (2016), le seuil d’extrême pauvreté varie selon les localités considérées : Athènes, « Autres zones urbaines », « Zones rurales et périurbaines» dans leur étude. Pour une personne seule, il se situait en 2015 respectivement à 222, 216 et 182 euros ; pour un couple avec deux enfants : 640, 614 et 524 euros. Ces chiffres
concernent la population qui ne doit payer ni loyer ni emprunt immobilier. Avec un loyer ou un emprunt immobilier, les seuils sont plus élevés.
35. 1 200 euros pour une personne seule, un peu plus selon la composition du ménage, par exemple 3 000 euros pour un couple et quatre enfants.
36. 90 000 euros pour une personne seule, avec un plafond fixé à 150 000 euros.
37. Voitures, et même bicyclettes : il ne doit pas excéder 6 000 euros.
38. 4 800 euros pour une personne seule, 9 600 euros pour deux adultes et deux enfants mineurs, 14 400 euros pour deux adultes et six enfants mineurs, avec des plafonds intermédiaires renvoyant à la composition des ménages.
39. Les demandeurs ont la possibilité de faire leur demande en ligne soit par eux-mêmes, soit avec l’aide d’un comptable, soit en passant par un centre de services aux citoyens (KEP), soit directement à la mairie. Il semble que les comptables et les KEP, peu familiers de la procédure, aient mal questionné ou informé les demandeurs et involontairement omis de mentionner des détails
relatifs à leurs obligations et à leur situation (sources de revenus ou autres). Or, les demandeursdoivent signer un formulaire attestant de la véracité de la déclaration, et sont considérés comme
responsables en cas d’inexactitude.
40. Entretiens effectués en octobre 2017 dans les municipalités portuaires de Perama et Keratsini- Drapetsona dans le cadre d’une enquête qualitative en cours effectuée par l’auteure de ces
lignes avec l’historienne Eleni Kyramargiou, chercheure à la Fondation nationale de la recherche historique en Grèce.
41. Entretiens à l’hôpital universitaire de Thessalonique, 2011.
42. C. Filoni, « Résumé du Rapport de l’expert de l’ONU sur la dette sur la Grèce », CATDM, 18 juillet 2014, http://www.cadtm.org/Resume-du-Rapport-de-l-expert-de-l.

Le document en pdf IRES janv 2018 Le démantelement

N° de la Revue de l’IRES N° 91-92 consacré au thème « Crise et réformes au prisme de la santé”:

La santé mentale en danger en Grèce

Thomas Jacobi , le 08/01/2018

Le budget de la psychiatrie a été divisé de près de moitié en Grèce depuis le début de la crise économique. En parallèle, les demandes d’admission ont triplé.

Il fait presque froid et il pleut. Quand il pleut en Grèce, l’humeur est sombre, un peu à l’image des sinistres bâtiments de la partie abandonnée de l’hôpital psychiatrique de l’île de ­Leros, en mer Egée. Le psychiatre Yannis Loukas s’arrête longuement devant le bâtiment 16, un bloc aux couleurs passées, vide et lugubre. « C’est ici qu’étaient cachés ceux qu’on appelait les statues de bronze, des patients nus, été comme hiver, hommes et femmes mélangés, commente-t-il. On ne leur parlait pas, on ne les traitait pas. On les lavait le matin au jet d’eau et leur jetait de la nourriture. » C’était à la fin des années 1980.

Il a fallu livrer bataille, contre les autorités et contre le corps psychiatrique grec, complice. De purgatoire des âmes rejetées, l’asile de Leros où s’entassaient 2 800 malades est devenu un centre de traitement exemplaire qui compte 280 patients permanents. « Depuis que je suis directeur, personne n’est attaché et nous avons ouvert 13 maisons individuelles dans toute l’île pour que les patients puissent y vivre dignement, poursuit Yannis Loukas. Ces anciens du bloc 16 vivent désormais normalement. Certains travaillent dans notre coopérative. »

Il ne reste que 3 établissements psychiatriques sur 8

Le directeur s’arrête de parler pour convaincre un patient qu’il doit rentrer chez lui car il fait froid. Il le tutoie, le patient aussi. Ils se sourient. Yannis Loukas aime ses patients. À un an de la retraite, il s’inquiète pour eux, et il y a de quoi : en neuf ans de récession, le budget de la santé a été réduit d’un tiers et celui de la santé mentale de 45 %, alors que les départs à la retraite du personnel ne sont pas remplacés.

« Une petite unité de soins psychiatriques, avec des appartements où les patients peuvent vivre près de leur famille et près de leur travail, coûte de l’argent. Il faut des fonds et du personnel qualifié pour ce genre de thérapie, mais personne ne nous écoute », lâche le psychiatre. Suivant la tendance européenne, les grands asiles ferment les uns après les autres en Grèce. Sur les huit établissements que comptait le pays, il n’en reste plus que trois désormais, dont celui de Leros. Et rien n’est proposé aux patients qui sont renvoyés chez eux.

Quatre fois plus de dépressions depuis 2008

Pourtant, les besoins augmentent du fait de la crise. « On voit arriver de plus en plus de jeunes avec des dépressions, s’alarme Yannis Loukas. Ils sont sans travail, sans ressources, incapables de subvenir aux besoins de leurs proches, avec des parents qui ne peuvent plus les soutenir. Certains pensent au suicide. On doit les traiter avec des médicaments. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de suicide a augmenté de 35 % depuis le début de la crise économique et celui des dépressions a quadruplé, épousant la courbe du chômage. « La pauvreté mène à l’exclusion sociale qui favorise les troubles mentaux », constate le psychiatre Stelios Stylianidis.

Alors que les demandes d’admission ont triplé dans le pays, la plupart des départements ne disposent pas d’unités psychiatriques. Reste comme ultime recours la demande d’internement forcé. Réservée en principe aux malades dangereux, cette mesure est étendue de fait à de nombreuses personnes qui n’auraient sans cela jamais obtenu de lit. Les internements forcés représentent désormais 65 % des admissions à l’hôpital psychiatrique en Grèce, contre 11 % en France.

Recevoir les migrants en consultation

À cette situation dramatique s’ajoute la question des réfugiés qui arrivent avec leur lot de traumatismes à soigner, sans parler des dépressions qui se déclarent dans les centres d’accueil car ils redoutent un renvoi en Turquie. À Leros, le hot spot (centre d’enregistrement des migrants) est dans la cour même de l’asile psychiatrique. Ici, pas besoin d’attendre six mois pour une consultation. « Au premier signe, je les reçois, explique Yannis Loukas. Le plus difficile est de détecter les vrais appels à l’aide des tentatives de suicide simulées pour partir sur le continent. »

D’une guerre à l’autre La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Dans cette rubrique il évoque notamment la menace de guerre de la Turquie à la Grèce.

D’une guerre à l’autre

Ce Printemps grec prochain peut s’avérer fort mouvementé. L’affaiblissement du pays, son affaissement multiple, moral, social, économique et culturel, conduisant tout droit… vers la menace de sa diminution territoriale par la guerre, telle est l’idée la plus rependue en ce moment et pour cause. L’inquiétude du “petit peuple” est grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive.

Le temps de la protestation souriante. Athènes, 2011

Le “gouvernement” avait comme on sait préparé (avec l’aval des États-Unis ?) le scandale dit “Novartis” (mettant en cause les politiciens Nouvelle Démocratie et PASOK), pour le faire éclater très exactement au lendemain du grand rassemblement populaire d’Athènes début février, le tout, dans un imbroglio de vraies comme de fausses nouvelles, d’après son (seul) calendrier politicien. Il est bien loin le temps de la protestation souriante des premières années troïkannes, comme il est bien loin le temps où par exemple, Éric Toussaint et son réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, étaient reçus à Athènes en héros par les cercles Syrizistes d’Athènes.

La marionnette Tsipras s’accroche à son pseudopouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel il aurait été préparé par les élites mondialisatrices, au demeurant, plusieurs années avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes. D’où d’ailleurs cette précipitation dans le calendrier, à la fois mémorandaire (en interne) et géopolitique (en externe).

L’inquiétude du “petit peuple” ne pet être que grande, devant cette historicité fort finissante ainsi déployée, d’autant plus que les incidents entre les forces armées grecques et turques se multiplient en Mer Égée, et que la rhétorique des dirigeants de la Turquie fait part désormais très ouvertement de sa non-reconnaissance des frontières entre les deux pays.

Déjà, la dite “crise de la dette”, n’est qu’une forme de guerre d’anéantissement faite contre les sociétés, les peuples, les pays, les économies réelles (et l’euro incarne de la sorte le rôle d’une arme à destruction massive au profit d’un seul pays l’Allemagne), tout cela, je l’avais signalé dès 2011 sur ce… triste blog. Donc et en quelque sorte… ce ne serait logiquement que d’une guerre à l’autre.

Éric Toussaint à Athènes en mai 2011
Protestation populaire des premières années de mémorandum. Athènes, 2011
Manifestants syndicalistes sous le regard du sans-abri. Le Pirée, 2013
Sur la dette grecque. Athènes, 2011

L’incident le plus grave s’est produit le 12 février, lorsqu’un navire de guerre turc (long de 90 mètres) a volontairement heurté un patrouilleur de la Garde-côte grecque (long de 58 mètres) près de l’îlot d’Imia (Mer Égée orientale) . Cet îlot, tout comme, tant d’autres îles grecques de la Mer Égée, est ouvertement et très officiellement revendiqué par la Turquie. “L’Occupation économique par la Troïka depuis 2010 aux effets funestes et connus, puis, ce gouvernement SYRIZA/ANEL qui brade une souveraineté déjà en lambeaux, et voilà qu’au bout du processus, il peut y avoir même une guerre, depuis que l’agressivité de la Turquie actuelle de déchaîne comme nous le constatons, d’épisode en épisode”.

“Pays – car il faut aussi le rappeler – dont l’armée occupe illégalement près du 40% du territoire de la République de Chypre (invasion de juillet 1974), pays qui vient de violer l’intégrité territoriale de la Syrie voisine (2018), et qui a également envahi (2016) le territoire de l’Irak, pays enfin, dont les dirigeants (le Président Erdogan le premier), remettent très pompeusement en cause les traités internationaux, dont celui signé à Lausanne en 1923, fixant entre autres, les frontières entre la Turquie et ses voisins.” (Radio 90.1 FM, matin du 16 février)

Ces pratiques pirates de la Turquie actuelle (pour tout dire, pratiques des dirigeants de ce pays), ne passent pas inaperçues, y compris par la presse internationale. Et d’après ce que les médias grecs rapportent de l’incident du 12 février lequel fait suite à bien d’autres (presse grecque) , le navire de guerre turc fonçait intentionnellement sur le milieu de la coque (en aluminium) du bateau grec dans le but de le couler ou sinon, de provoquer victimes et dégâts matériels (donc un acte de guerre), et ce n’est que parce le commandant grec s’est aperçu des intentions précises du commandant turc et il a ainsi pu réagir littéralement à la dernière seconde, que le navire grec n’a été finalement heurté qu’à sa poupe.

Patrouilleur de la Garde côtière grecque, heurté par un navire de guerre turc. Mer Égée, 12/13 février 2018 (presse grecque)
Patrouilleur grec Gavdos, heurté par un navire de guerre turc. Mer Égée, 12/13 février 2018 (presse grecque)
La classe politique grecque… et la situation actuelle. “Kathimeriní”, 14 juillet 2018

Les dirigeants politiques et militaires de la Turquie du moment avaient d’ailleurs (et) au préalable suffisamment communiqué via la presse, au sujet de la (supposée) “capacité des forces armées turques à mener simultanément la guerre sur deux fronts, à savoir la Syrie et la Grèce en mer Égée” (8/9 février 2018). Au même moment ces derniers jours, près d’Évros, fleuve qui marque les frontières terrestres entre les deux pays depuis le Traité de Lausanne, l’Armée turque y a dépêché ses blindés, en exercices officiellement baptisés “entrainement à l’invasion et occupation d’un territoire étranger” (presse grecque du 16 février 2018).

Fouilles sur l’île de Kéros. Mer Égée, février 2018 (presse grecque)
Fouilles sur l’île de Kéros. Mer Égée, février 2018 (presse grecque)
Fouilles dans les Cyclades, années 1950. Exposition, Musée Byzantin 2018

Mer Égée, Crète et Chypre… aux multiples beautés et richesses archéologiques, aux paysages poétiques… et aux hydrocarbures réellement existants et avérés (pétrole et gaz naturel). Ceci expliquant en partie cela, tout comme (toujours en février 2018), cette autre affaire, où à Chypre, Ankara bloque un navire italien d’exploration gazière. “Le géant italien de l’énergie ENI a indiqué à l’agence de presse chypriote qu’un de ses bateaux avait reçu l’ordre vendredi par des navires turcs de s’arrêter en raison ‘d’activités militaires’ dans ce secteur.” (RFI, le 12 février).

La situation n’est donc pas à prendre à la légère, et aux frontières de la Grèce… il n’y a ni la Belgique, ni le Danemark. Comme le fait remarquer sur son blog l’analyste en géopolitique Dimitris Konstantakópoulos, “les États-Unis sont à présent représentées en Grèce par l’ambassadeur Geoffrey Pyatt, mondialement connu pour son mandat précédent à Kiev. Durant son mandat, les événements en Ukraine ont été les suivants: une révolte, un coup d’État, une guerre civile, un avion civil abattu, ainsi que la plus grande crise des trente dernières années dans les relations russo-occidentales.”

“En ce moment, M. Pyatt se rend à Ankara pour négocier l’avenir de la Grèce et de Chypre accompagnant Rex Tillerson secrétaire d’État des États-Unis de l’administration du président Donald Trump, dans ses pourparlers avec M. Erdogan. La présence d’Athènes et de Nicosie était évidemment jugée inutile dans ces discussions. Ces deux autres capitales seront informées rétrospectivement de ce qu’elles doivent tout juste savoir… et quant à nous, nous subirons les suites.”

“Erdogan, Tillerson et Pyatt mettront tout sur le tapis pour déterminer ce qu’ils donneront de la Grèce et de Chypre à la Turquie afin que le Sultan (Erdogan) puisse donner son accord, ce qui d’ailleurs n’est pas certain. Dans l’éventualité d’un accord entre la Turquie, l’Occident et Israël, nous ici, nous paierons une partie de la facture, et à défaut d’accord, il ne peut pas être exclu qu’une… belle guerre gréco-turque puisse par la suite être organisée.” (Dimitris Konstantakópoulos, “Grèce: tout droit vers le précipice”, 15 février 2018).

Mentalités et représentations. Années sous la Troïka. Athènes, 2010-2018
Et au bout c’est la Junte. Athènes, années sous la Troïka, 2010-2018
‘Urne électorale’. Athènes, année sous la Troïka, 2010-2018
‘Dictature’, roman de fiction politique. Athènes, éditions Aparsis, février 2018

L’expérience grecque ainsi que l’analyse qui est celle de ce blog depuis ses débuts (2011), c’est que l’austérité (euphémisme en toute évidence qui cache une réalité beaucoup plus apocalyptique), la prise du contrôle total des finances du pays (et des pays), des institutions, des mentalités (mécanique sociale), l’annulation (dans les faits) de la Constitution, la marionnettisation surpassant le ridicule de la classe politique (en réalité apolitique), la fin des droits sociaux, ce n’est qu’une palier dans cette guerre asymétrique que les pays, nations et sociétés subissent… au risque de disparaître même entièrement… en succombant, à défaut de résister.

Et lorsque cette mainmise sur les ressources, sur les cultures, sur les populations, sur les mentalités atteint le niveau visé (par certains pays supposés grands et pas la dite élite mondialisatrice pour qui les petits gens ne sont que “de la vermine”, c’est bien connu), eh bien, il ne restera que le chaos provoqué comme provoquant. Plus évidemment la guerre tout court… faite par d’autres moyens. D’où à notre avis, le handicap (en réalité assumé) des analyses (supposées marxisantes) que la gauche à la SYRIZA adopte ici ou là, histoire tout naturellement de (mal) dissimuler son appartenance consubstantiel (mais bientôt cosmétique) au méta-monde de l’hybris, comme de la piraterie généralisée, qui est le “nôtre”.

Les Grecs l’ont si bien compris qu’ils ne manifesteront plus jamais nous semble-t-il, à l’appel des partis de gauche ou des syndicats. Désormais, ce sont les questions identitaires, celles liées à l’ultime existence ainsi acculée, qui véhiculent, véhiculeront et canaliseront l’immense douleur des années troïkannes, ce que les grands rassemblements à propos de la question Macédonienne ont déjà prouvé à Thessalonique et surtout à Athènes.

Apprendre l’autodéfense. Athènes, années de Troïka, 2010-2018
Monument du Soldat Inconnu. Athènes
Monument… du Citoyen Inconnu. Athènes, 2014

Inutile de dire combien et comment une déflagration gréco-turque en Égée (même de courte durée), en Thrace ou à Chypre, pourrait devenir ce catalyseur qui balaiera, non seulement le “gouvernement” SYRIZA/ANEL, mais peut-être bien, l’ensemble du régime politique grec. Un peu comme l’invasion turque à Chypre et la courte guerre gréco-turque en 1974, ont balayé le régime de l’autre junte, celle des Colonels.

Il n’y aura pas de retour en arrière dans ce processus qui est le nôtre actuellement, et nous irons très probablement jusqu’au bout. Les Grecs n’ont même plus d’illusions quant à l’état du monde, quant au simulacre de la démocratie, ou quant aux enjeux géopolitiques dans cette région du monde. Tsipras et les siens sont désormais haïs (et non seulement politiquement rejetés) par plus du 70% de la population. La situation à Athènes… étant sans cesse observée, les Ambassades à Athènes devraient autant le savoir.

Enfin, ce que les Grecs savent (si ce n’est que par intuition), ce que Tsipras (visiblement davantage que Samaras), après avoir paraphé tant de mémoranda coloniaux, il aurait en même temps, donné son accord à un agenda géopolitique dissimulé, au détriment des intérêts, voire, de l’intégrité territoriale du pays. Pour une “majorité” réelle (et non pas forcément électorale) se basant sur près du 10% des Grecs (et encore), tout cela ne passe absolument pas, d’où ce qualificatif lequel revient ainsi sans cesse en ce moment en Grèce pour designer les Syrizistes: “Traîtres”.

Protestation aux premiers temps du mémorandum. Athènes 2011
Repas festif et solidaire aux premiers temps du mémorandum. Athènes, 2012
La situation à Athènes… sans cesse observée! Janvier 2018
Passerelle de commande d’un navire. Le Pirée, années 2000

Antiquité tardive (finale ?) dans un sens. Époque alors charnière, suffisamment perceptible par exemple depuis Athènes… mais pas vraiment à Paris nous semble-t-il. Où en sommes-nous ? (la question est autant celle si nettement formulée par Emmanuel Todd).

Peut-être que c’est le moment de la mutation en cours, et cependant mutation inachevée, aux réactions ainsi prévisibles (ou même moins prévisibles). On se souviendra peut-être d’André-Jean Festugière (1898-1982) comme de son œuvre, philosophe et dominicain français, philologue, spécialiste du néoplatonisme, notamment de Proclus, auquel on doit la traduction et l’édition des écrits attribués à Hermès Trismégiste.

Mimi et Hermès (dit Trismégiste) de ‘Greek Crisis’. Athènes, 2018

Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain. Un choc… ainsi gobé:

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme ?”

“Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées. Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils.”

Friche industrielle et… nouveautés. Attique (Lávrion), 2018
Grèce rurale. Crète, 2012
Albert Einstein à bord de son voilier (source Internet)

“Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Il fut un temps, Albert Einstein naviguait à bord de son voilier, temps peut-être bien lointain. Depuis la passerelle de commande du navire Grèce, c’est visiblement le brouillard, sauf que ceux “d’en bas”, hommes et alors femmes n’étant plus encadrés, soutenus, comme ils l’étaient dans leurs petites patries où tout le monde se connaissait de père en fils, y distinguent du moins la supercherie, tout comme (partiellement certes) l’hybris.

Printemps grec prochain, peut-être fort mouvementé. Sauf aux yeux des chats de ‘Greek Crisis’, encadrés, soutenus, comme ils le demeurent dans leur petite patrie.

Mimi de ‘Greek Crisis’ à Athènes
* Photo de couverture: Grèce rurale… autonome. Années de ‘crise’. 2010-2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Yannis Youlountas et son nouveau film bientôt à Grenoble

 » L’amour et la révolution  » c’est le titre du 3eme film de Yannis Youlountas qui sort en salle le 25 février. Le collectif de Grenoble communiquera prochainement sur le lieu de la projection-débat en présence du réalisateur : date envisagée 23 avril.

Une mention figure sous le titre du film  » Non rien n’est fini en Grèce » interrogé à ce sujet Yannis Youlountas a donné un entretien à lundimatin  que l’on retranscrit ici .

Après Ne vivons plus comme des esclaves et Je lutte donc je suis, le réalisateur franco-grec Yannis Youlountas revient avec un nouveau long métrage : L’amour et la révolution. Vous pouvez voir la (longue) bande annonce qui suit ainsi que ses réponses aux quelques questions que nous lui avons envoyées.

La bande annonce ( longue) se trouve ici https://www.youtube.com/watch?v=4LHHR9LBga4&feature=share

lundimatin : Bonjour Yannis. Tu viens de terminer ton prochain film « L’amour et la révolution ». Sur l’affiche, on peut lire le sous-titre « Non, rien n’est fini en Grèce ». Qu’est-ce qui n’est « pas fini » selon toi ?

Yannis Youlountas : Ce sous-titre est notre réponse aux médias occidentaux qui, en Europe, laissent croire que tout est fini en Grèce. Cette désinformation intervient de deux façons. Tout d’abord un silence impressionnant, par rapport aux années précédentes, signifiant qu’il ne se passe plus grand-chose et que la situation s’est améliorée. Ensuite, quand la Grèce est brièvement évoquée, il ne s’agit que de chiffres incomplets et de déclarations mensongères. Les agences de presse parlent de croissance. Mais quelle croissance ? La croissance pour qui ? La croissance de quoi ? Avec la chute de moitié du coût de la main d’œuvre et des infrastructures, la Grèce est devenue un paradis pour les capitalistes, mais un enfer pour la plupart de ceux qui y vivent. Tsipras et les dirigeants européens claironnent depuis leurs salons feutrés que le plus dur est passé, alors qu’il ne fait que commencer. La situation sociale et écologique est dramatique, mais au milieu des ruines, des initiatives montrent que rien n’est terminé. Par exemple, depuis deux ans et demi, le mouvement social a accueilli de façon formidable, dans de nombreux squats, des dizaines de milliers de réfugiés et migrants qui ont ainsi pu échapper aux camps que l’Etat grec a mis en place ; des camps indignes conçus, pour la plupart, par des technocrates français envoyés par Bernard Cazeneuve début 2016. Et puis il y a les nouvelles résistances, mais là encore, motus en occident.

lundimatin : Dans la (longue) bande annonce que tu viens de mettre en ligne, une grande importance est donnée au groupe Rouvikonas. Peux-tu nous en parler un peu plus, étant donné que leurs actions semblent avoir une grande résonance en Grèce, mais restent fortement méconnues ici ?

Yannis Youlountas : Le groupe Rouvikonas est né il y a trois ans. Son nom signifie Rubicon en français, ce fleuve romain qui représentait la limite à ne pas dépasser. C’est une organisation politique anarchiste qui se définit comme une « opposition dans la rue » à l’action du gouvernement et de l’Etat. Une opposition directe qui frappe par surprise, mais sans jamais faire de victimes, tous les lieux où s’organise la destruction des conquis sociaux et du bien commun. Par exemple, Rouvikonas a détruit les locaux de Tirésias, organisme au service des banques qui avait conçu un grand fichier des personnes surendettées, ou encore le bureau du Taiped chargé de la privatisation du bien commun, ainsi que beaucoup d’autres temples de la bureaucratie au service du durcissement du capitalisme. Ces derniers mois, Rouvikonas a multiplié sabotages, occupations, y compris au sommet du pouvoir, blocages d’événements, par exemple les négociations avec la troïka. Rouvikonas défend aussi les victimes de la violence des patrons en organisant des représailles et soutient parallèlement des actions de solidarité indépendantes du pouvoir et des ONG. La plupart des membres de Rouvikonas sont des ouvriers, des étudiants, des chômeurs, hommes et femmes, qui ont simplement choisi avec courage et persévérance de ne pas laisser faire, quoi qu’il en coûte. Ils sont de plus en plus nombreux. Yorgos, l’un des fondateurs, qui intervient dans « L’amour et la révolution » est, à lui seul, sous le coup de 40 procès et risque plusieurs années de prison. Notre film comme les précédents a pour but, entre autres, de soutenir ces luttes à la fois en les faisant connaître, mais aussi de les aider à payer les amendes et les cautions. Nous ne sommes pas des reporters venus filmer à la sauvette pour faire du fric sur le dos de ceux qui résistent. Nous sommes des membres du mouvement social que nous connaissons bien et au service duquel nous agissons, d’Est en Ouest et d’Ouest en Est. Le cinéma est une arme. Une arme pour riposter, donner à voir et à penser autre chose, susciter l’envie d’agir en suggérant de multiples formes. C’est une arme contre la résignation, à condition de ne pas nous enfermer dans l’uniformité et le sectarisme, car il y a plein de façon d’agir. C’est aussi un moyen de soutenir nos prisonniers politiques, ainsi que nos principales initiatives solidaires autogérées : squats de réfugiés et de migrants, cuisines sociales, structures autogérées de santé, automédias. Fin 2013, nos compagnons d’Exarcheia ont commencé à utiliser l’expression « film solidaire ». Une expression qui nous plait bien et qu’on a conservée depuis.

 

Lundimatin : Le quartier d’Exarcheia est connu pour être le foyer contestataire et subversif historique d’Athènes. Tu sembles dire qu’il serait en « danger », qu’entends-tu par là ?

Yannis Youlountas : En effet, le pouvoir en Grèce et en Europe veut en finir avec Exarcheia, comme avec toutes les zones de résistance et d’expérimentation. En plus, ce quartier d’Athènes que la police peine à pénétrer sert de base à la plupart des groupes révolutionnaires qui le harcèlent, visibles ou invisibles, dont le plus connu est Rouvikonas. En Grèce, la propagande médiatique contre Exarcheia est énorme. Souvent ridicule. Parfois abominable. Par exemple, il est dit qu’Exarcheia est l’épicentre de la drogue à Athènes, alors que nos compagnons font la chasse aux dealers de drogues dures qui sont, à l’inverse, protégés par les flics à l’ouest du quartier, de façon très visible. L’État et la mafia ont tout intérêt à répandre l’aliénation et l’illusion dans les rangs de ceux qui leur résistent. Bref, c’est tout le contraire de ce que raconte la télé. L’épée de Damoclès au-dessus du quartier est double. La stratégie des conseillers de Tsipras est de gentrifier progressivement Exarcheia : projet d’une station de métro, grands travaux, aménagements, mais aussi achats de nombreux logements par des hommes d’affaires chinois invités de la dernière foire économique de Thessalonique (consacrée aux relations Grèce-Chine) pour les transformer en Airbnb, et par conséquent hausse des loyers… Pendant ce temps, le chef de la droite, Kiriakos Mitsotakis, promet solennellement de « nettoyer Exarcheia dès [son] premier mois », sitôt la future alternance passée, en évoquant un immense déploiement de forces de police, une opération quasi-militaire. Même si on prend sa menace au sérieux, la première des réponses a été une tornade de caricatures et de parodies satiriques. Bref, un grand éclat de rire dans le quartier et bien au-delà en Grèce.

 

Lundimatin : Après les émeutes massives de 2008, les mouvements sociaux quasi continus et l’effondrement économique du pays, de nombreux observateurs extérieurs s’attendaient à de possibles grands bouleversements politiques. Certains mettaient leurs espoirs dans Tsipras pendant que d’autres voyaient dans son élection une impasse inéluctable dans la politique classique. Trois ans plus tard, qu’en est-il ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de doute possible : l’élection de Tsipras a été une catastrophe. Après six mois d’agitation stérile aux côtés du pitre Varoufakis, la « capitulation » de Tsipras a assommé une grande partie de la population. Un choc qui a provoqué une immense résignation, une sorte de dépression, d’apathie profonde durant de longs mois pendant lesquels la plupart des pires lois sont passées comme une lettre à la Poste, sans résistance ou très peu. Même l’aile de gauche de Syriza qui a fait sécession a été laminée par le TINA de Tsipras et ses larmes de crocodile à la télé grecque. Dans le mouvement social, avant son arrivée au pouvoir, les avis à ce sujet étaient partagés. Malgré nos divergences fondamentales, certains se disaient naïvement qu’il limiterait un peu la casse en attendant mieux, d’autres ne croyaient pas du tout à une amélioration mais pensaient que l’arrivée de son parti aux affaires ferait tomber les masques et ouvrirait un boulevard aux composantes révolutionnaires. Mais la plupart craignaient ce qui allait finalement arriver : l’anesthésie quasi-totale du mouvement social durant plus d’un an, d’abord devant le spectacle de la bataille, puis celui de la défaite. Depuis, nous avons pris acte et essayons d’activer la résistance et les solidarités sous de nombreuses formes. L’Etat ayant abandonné la plupart de ses prérogatives sociales pour ne garder que les plus répressives, nous proposons l’autogestion et l’auto-organisation parmi les moyens non seulement de survivre, mais aussi d’expérimenter un autre futur.

Lundimatin : Ton film met en lumière des pratiques d’auto-organisation et de lutte très diverses, de l’aide aux migrants à la lutte contre la construction d’un aéroport, d’actions offensives et symboliques contre les lieux de pouvoir aux manifestations émeutières. Comment tout cela s’articule ?

Yannis Youlountas : Il n’y a pas de recette miracle ni de vérité absolue. A chacun d’essayer, d’inventer, d’expérimenter là où il se trouve, avec ceux qui l’entourent. La lutte contre le projet d’un nouvel aéroport à Kastelli, en Crète, n’est pas exactement la même que celle que j’ai pu voir à Notre-Dame-des-Landes. Par exemple, il n’y a pas à proprement parler de ZAD, d’occupation effective des terrains concernés (600 hectares sur lesquels 200 000 oliviers seraient coupés). Les gens qui résistent vivent dans la ville principale et les villages alentours, ils cultivent les terres qu’ils refusent de céder, organisent des concerts et des débats, et sabotent autant que possible les conférences des bureaucrates envoyés pour convaincre les habitants. L’abandon du projet d’aéroport en France a été une immense joie pour eux, car ils suivaient depuis longtemps la lutte exemplaire de Notre-Dame-des-Landes ; même si, on le sait, rien n’est fini, notamment pour l’avenir de la ZAD. Autre différence : en Grèce, le mouvement social se divise beaucoup moins sur la question de la violence. Les émeutes sont rarement décriées dans nos rangs. La diversité des formes d’actions est plutôt admise comme légitime, respectable et même nécessaire. D’autant plus que la violence subie, politique, économique et sociale, provoque une immense colère un peu partout. Tout le monde ne descend pas dans la rue dans le but de brûler une banque, mais peu râlent quand ils assistent à cela. De toutes façons, nos compagnons émeutiers ne sont pas là pour discuter sur le macadam : ils ne veulent plus de ce monde, de ses banques, de ses boutiques de luxe arrogantes ; ni des symboles du pouvoir ni des valets casqués qui le servent. Ils font ce qu’ils jugent bon de faire, sans que personne ne les gêne. Quant aux migrants, lors de leur arrivée massive en 2015, nous avons rapidement perçu cette nouvelle épreuve comme un défi : celui de montrer concrètement de quoi nous étions capables. Le mouvement social a rapidement ouvert un grand nombre de nouveaux squats, à commencer par le Notara 26 à Exarcheia dès le mois de septembre 2015, pour accueillir ces visiteurs et les inviter à s’organiser eux-mêmes avec le soutien des « solidaires ». C’est depuis une expérience formidable d’émancipation individuelle et sociale. Ce mélange de population est une grande richesse à Exarcheia et ailleurs en Grèce. Il permet d’échanger, de multiplier les initiatives et de propager l’idée de changer la vie bien au-delà des convaincus, des férus de politique et d’Histoire, parmi les premiers opprimés du capitalisme : les migrants de la guerre et de la misère.

 

Lundimatin : C’est une impression lointaine et donc peut-être erronée, mais il semble que la situation grecque soit étrangement « gelée ». D’un côté il y a un gouvernement réduit à une impuissance évidente, de l’autre des forces subversives nombreuses et bien organisées, mais restreintes à un état « minoritaire ». A quoi ressemble, selon toi, l’avenir à moyen terme du pays ?

Yannis Youlountas : Le monde n’a jamais changé du fait d’une majorité. De plus, il faut souvent bien peu de choses pour que tout bascule très vite. Le plus souvent quand on ne l’attend pas. En Grèce, nous assistons à une véritable gestation depuis neuf ans, bientôt dix. Nous sommes passés par toutes les étapes. Des étapes très formatrices : des émeutes qui ont fait trembler le pouvoir mais n’ont pas réussi à le faire tomber, des grèves générales répétées mais sans lendemain, des occupations et des assemblées sur des places qui ont attiré beaucoup de monde mais qui tournaient un peu en rond, des lieux autogérés qui proposaient des alternatives alléchantes mais sans vraiment gêner le système économique dominant, des tentatives syndicales et électorales qui ont échoué lamentablement, des démonstrations d’ouverture et d’accueil par-delà les frontières mais sans parvenir à obtenir des papiers pour tranquilliser nos amis migrants, des actions de sabotage et de blocage qui ont montré que le pouvoir est un géant aux pieds d’argile et que sa puissance n’est bâtie que sur du vent et des simulacres, mais beaucoup n’ont pas osé faire de même par peur des conséquences juridiques. La leçon de cette période exceptionnelle est sans doute qu’une seule façon d’agir ne suffit pas, que la diversité est notre richesse, que le respect mutuel parmi ceux qui luttent devrait nous accompagner partout et qu’on ne sait pas d’où viendra la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Mais une chose est certaine, c’est que pour sortir de l’impasse mortifère, changer profondément la société et sauver la vie, nous n’avons pas d’autre choix que l’amour et la révolution.

 

Pour se tenir au courant de la sortie et de la diffusion du film, consultez www.lamouretlarevolution.net

 

Instantanés helléniques La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Instantanés helléniques

À Athènes, et plus généralement au sud de la Grèce, c’est le moment des premières floraisons. Temps doux, bourgeons du moment, autant que cette autre… renaissance naturelle, celle des rassemblements contestataires massifs face au pouvoir en place. C’est vrai que la ville d’Athènes n’avait pas connu un tel rassemblement populaire comme celui qui s’est tenu dimanche dernier et qui a rassemblé près de 600.000 personnes, depuis bien longtemps. Printemps des… peuples ?

Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

Ce rassemblement, faisant suite à celui de Thessalonique, comme je le soulignais dans mon article sur ce blog du 28 janvier dernier, cristallise dans la forme déjà, l’opposition à la réouverture des négociations entre la Grèce et la Macédoine slave, et surtout à l’utilisation par cette dernière du nom historique de “Macédoine”. Autrement-dit, l’ex-République Yougoslave de Macédoine, et c’est au sujet de sa désignation définitive officielle (et ainsi enfin acceptée par les deux pays).

Sur l’histoire complexe de l’affaire macédonienne, les lecteurs du blog peuvent également lire l’analyse complète et argumentée (sur le site de LVSL) de mon ami historien et écrivain Olivier Delorme, publiée ce même jour (7 février 2018).

Dans les faits, il s’agit d’un très grand rassemblement populaire, dont les composantes patriotique et identitaire, dominaient essentiellement, ce fut autant et surtout une manière de défendre une certaine (et ultime ?) dignité piétinée depuis les années des mémoranda, et surtout depuis la trahison SYRIZA.

Peuple alors pathétique et plutôt de droite (comme autant celui de l’Église Orthodoxe), car la gauche ne mobilise plus comme on sait depuis 2015. Le tout, lorsque l’orateur principal du rassemblement était Míkis Theodorakis, mondialement connu pour ses engagements (non exhaustifs) à gauche, ancien élu communiste… mais également sporadique élu du parti de la Nouvelle Démocratie (droite), et même ministre (certes un peu cosmétique) au gouvernement de Konstantinos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie) dans les années 1990. Ceci n’explique certainement pas cela, sauf que ces autres engagements de l’homme politique (plus que du compositeur) méritent le rappel des faits.

Míkis Theodorákis. Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

La société grecque étant acculée, par conséquent, elle ne raisonnera (et résonnera) désormais qu’en termes identitaires, les enquêtes et autres sondages d’opinion démontrent que pour plus de 70% des personnes interrogées, “les organisateurs du rassemblement ont raison dans leurs positions soutenues”, et par ailleurs, les institutions auxquelles les Grecs font davantage confiance sont d’abord l’Armée et en ensuite l’Église, tandis que les partis, les syndicats, l’Assemblée nationale, les élus, arrivent très loin derrière.

D’après les reportages du moment (radio 90.1 FM du 6 février 2018 entre autres), la présence masculine dimanche dernier à Athènes, frôlait les deux tiers des participants, tandis que la même proportion lors du mouvement dit des Places et/ou des Indignés de 2011, avait été différente et plus équilibrée: une présence à 55% masculine et à 45% féminine. De même, le public plus proche de l’âge mûr (voire très mûr) dimanche dernier avait été majoritaire, voilà pour certaines données déjà mesurables.

Voilà donc pour la sociologie et ainsi démographie de ce 4 février 2018 à Athènes. Masculinité, militaires actifs et à la retraite très visiblement représentés, élus de la Nouvelle Démocratie également (pourtant par ailleurs mémorandistes), puis, des orateurs aux propos forts, tel le constitutionnaliste Yórgos Kasimatis pour qui: “Il y a une décision politique qui consiste à offrir notre identité à des étrangers. Ce nom (Macédoine) après la deuxième guerre mondiale, avait été offert tel une friandise au peuple de Skopje par Tito, ceci, pour que la Yougoslavie puisse un jour… revendiquer en son sein l’ensemble de la Macédoine (géographique). Aujourd’hui, toute la Grèce se retrouve présente ici pour ce rassemblement. Même ceux qui ne peuvent pas agir en notre sens, ils sont pourtant d’accord avec nous. C’est enfin aujourd’hui la première fois que l’article 120 de notre Constitution enfin s’applique-t-il.”

Article 120 de la Constitution grecque : “Le respect de la Constitution et des lois qui y sont conformes, ainsi que le dévouement à la patrie et à la République constituent un devoir fondamental de tous les Hellènes. L’usurpation, de quelque manière que ce soit, de la souveraineté populaire et des pouvoirs qui en découlent est poursuivie dès le rétablissement du pouvoir légitime, à partir duquel commence à courir la prescription de ce crime. L’observation de la Constitution est confiée au patriotisme des Hellènes, qui ont le droit et le devoir de résister par tous les moyens à quiconque entreprendrait son abolition par la violence.”, (note de ‘Greek Crisis’).

Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs et réservistes, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)
Grand rassemblement, militaires actifs, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

“C’est notre réponse du ‘NON’, lorsqu’en face, nous avons des gouvernements qui disent ‘OUI’ à l’esclavage et cela dure depuis 2010. Aujourd’hui, le peuple grec prend le contrôle de sa souveraineté. La Grèce est ici présente et entière pour ne pas céder la moindre terre grecque aux étrangers. Car l’ensemble du pays est en ce moment sous le point d’être vendu, cédée. (Si l’on accepte la réalité de la Macédoine géographique pour les voisins Slaves) alors la Turquie devrait s’appeler l’Ionie et la Sicile la Grande Grèce. Et il n’y a pas un seul spécialiste des relations internationales pour nous apporter le moindre exemple d’un pays dont le nom n’a aucun rapport avec l’histoire de son peuple. Aujourd’hui, les Européens sont alors devenus aveugles.”

“Les noms mixtes concoctés de la sorte, abolissent la vieille Macédoine, abolissent l’identité de la Grèce. Donc, nous nous opposons au moindre usage mot Macédoine de quelque façon que ce soit par le pays voisin. Qui ne voit-il pas enfin la boulimie expansive des grandes puissances qui exigent alors la contraction de la Grèce ?” (Kasimatis, le 4 février 2018 à Athènes) .

La veille du rassemblement, un slogan revendiqué comme anarchiste, avait été apposé sur une façade de la maison de Míkis Theodorakis: “Ton histoire commence à la montagne des résistants (de gauche en 1941-1944), pour finir dans la gadoue nationale de la Place de la Constitution.” “J’ai toujours combattu toute forme de fascisme, et en ce moment, le fascisme le plus dangereux est gauchisant car venu des Syriziste”, a-t-il répondu Theodorakis depuis la Place de la Constitution le lendemain. Non sans une certaine… moquerie, le député (néonazi) de l’Aube Dorée Ilías Kassidiáris a ainsi twitté: “Míkis (Theodorakis) a débuté (sa vie politique) au sein de l’EON, organisation de la jeunesse du régime du Général Metaxás (1936-1941), pour ainsi la boucler ici même sur la Place de la Constitution, aux côtés des patriotes et des nationalistes. Toutes ses autres positions politiques intermédiaires peuvent être effacées”, “Quotidien des Rédacteurs” du 4 février 2018 .

La maison de Míkis Theodorakis taguée. Le 4 février 2018 (presse grecque)
“Président ‘Macédonien’, Je renomme mon chien d’Alexandre en Alexis”. Quotidien “Kathimeriní”, 2018
Grand rassemblement, Athènes, le 4 février 2018 (presse grecque)

L’Aube Dorée croit sans doute reboire du petit lait (comme… du petit peuple), sauf que c’est très probablement d’un lait alors caillé qu’il s’agit. Un grand vide politique identitaire serait pourtant en gestation en vue d’accoucher (ou pas) à… une nouvelle souris (de droite cette fois-ci), à la manière de la souris SYRIZA à gauche… au résultat ainsi acquis on dirait.

Cela dit, ce regain populaire (visiblement) organisé (et/ou récupéré) n’est pas tout à fait spontané, telle est mon intuition disons ethnographique d’après mon vécu de tant d’années (déjà) mémorandaires, métapolitiques et para-démocratiques. C’est tout de même curieux qu’aucun grand rassemblement n’ait pu s’organiser, si ce n’est que pour alerter de la gestation géopolitique teratomorphique pour ce qui est de Chypre par exemple, et cela depuis plus d’un an, comme les lecteurs assidus de ce blog peuvent peut-être se souvenir car j’avais évoqué cette question en janvier 2017.

Je ne possède pas… (toutes !) les qualités de l’oracle de Delphes, sauf que je respire suffisamment l’air du temps (mauvais), pour savoir que très probablement le vide politique laissé depuis la trahison SYRIZA, un vide souverainiste existe bel et bien, de droite (si l’on se base sur la classification du siècle qui est déjà bien derrière nous), et que ce vide ne peut pas ne pas être en quelque sorte “travaillé” par les tenants du vrai pouvoir. Ce qui n’exclurait pas un certain et potentiel “accident” dans l’événementialité supposée acquise… tout comme requise, comme parfois lorsque les peuples montent sur le devant de la scène… pour aussitôt s’éclipser (ou se faire trahir par la suite).

En tout état de cause, ce qui est ressenti à travers les convulsions de la société grecque, c’est comme une forme de “culture de guerre” à visage à peine couvert. La notion (toute proportion gardée pour ce qui est du cas grec) appartient aux historiens de la Grande Guerre, dont Stéphane Audoin-Rouzeau (il était mon directeur de Thèse en Histoire), s’agissant d’un ensemble de représentations, de pratiques, d’attitudes, de productions littéraires et artistiques qui a servi de cadre à l’investissement des populations européennes dans un conflit.

Musée de la Guerre. Athènes, janvier 2018
Trière, navire de guerre antique représenté sur poterie. Musée Byzantin, Athènes, janvier 2018
Surveillance du territoire et Garde Evzone. Athènes, janvier 2018

Cette culture de guerre larvée, elle est d’abord et principalement tournée vers l’intérieur (face au personnel politique, face à d’autres catégories de la population). Ensuite, exprimée vers l’extérieur par la primauté entre autres d’un discours identitaire, surtout défensif devant l’occupation troïkanne que la Grèce connait depuis 2010 (accentuée depuis SYRIZA/ANEL), devant aussi ce qui est considéré comme de l’usurpation de l’identité et de la culture helléniques (par les voisins de la Macédoine slave), et autant face à une menace explicitement formulée de la part de la Turquie sous le régime Erdogan. Situation en somme déjà assez complexe et potentiellement explosive, comme également l’admet l’éditorialiste de “Kathimeriní” du 6 février 2018 (pourtant grand quotidien systémique), évoquant “un courant puissant et incontrôlable.”

Tout le monde admettra (lorsqu’on discute sérieusement) que la Grèce aura tout intérêt à que l’État voisin de la Macédoine slave puisse se maintenir, tiraillé comme il est, entre la Bulgarie et l’Albanie, sauf qu’en plus (ou que d’emblée), la programmation actuelle géopolitique OTANesque dans les Balkans, prime sur tout le reste et que cette… programmation, ne serait pas forcément compatible avec les intérêts des peuples, ni (toujours) avec la coexistence, espérons-le pacifique entre eux.

Fouilles à Délos. Exposition, Musée Byzantin, 2017-2018
Exposition sur l’histoire des fouilles dans les Cyclades. Musée Byzantin, Athènes, 2017-2018
Poisson… Chrétien. Musée Byzantin. Athènes, 2018

Le grand rassemblement du 4 février à Athènes a enfin déjà, et autant matérialisé cette énorme rupture entre une large partie de la population (deux tiers je dirais) et le système politique, pour ne pas dire le régime politique tout simplement. C’est également une manière que de signifier de manière comptable et palpable dans la rue, toute l’étendue du divorce ainsi forcé (et non pas à l’amiable) prononcé en 2015, entre le peuple grec et la Gauche, l’ensemble de la Gauche d’ailleurs, et non pas seulement SYRIZA. Je l’avais souligné tôt, dès juillet/août 2015, et c’est ainsi.

En l’état actuel des choses, à travers la presse et les espaces Internet des partis et mouvements de gauche en Grèce, le grand rassemblement du 4 février est tout de même synonyme de choc. Et toute une campagne de dénigrement réunissant les Syrizistes et les autres formations de la gauche en Grèce, tirent à… boulets rouges sur Míkis Theodorakis, lequel n’est pas non plus certes un intouchable, loin de là.

Cependant, mon ami Dimitris Belandís, ancien au Comité Central SYRIZA jusqu’à l’été 2015, remet un peu de sens dans ce débat par un texte qu’il publie sur sa page Facebook , estimant “qu’il ne faut pas perdre de vue, que derrière la déconstruction si agressive de la figure de Theodorakis, c’est en réalité l’ultime déconstruction des symboles et des luttes des années 1940 à nos jours, en passant alors sous silence, l’incontestable et bien réelle crise existentielle de la gauche”.

Instantanés Cycladiques, exposition. Athènes, de novembre 2017 à février 2018
Travaux. Athènes, janvier 2018
Vue athénienne. Janvier 2018
Offre… du moment. Athènes, janvier 2018

Comme souvent dans l’histoire, nous nous contenterions… de l’offre du moment, comme des rares travaux de voirie à Athènes, faute de mieux. Instantanés ainsi helléniques !

Un supposé énorme scandale vient d’éclater à la seule initiative du “gouvernement”, comme par hasard trois jours après le rassemblement du 4 février. L’affaire ainsi nommée Novartis, met en cause un certain nombre d’hommes politiques du PASOK et de la Nouvelle Démocratie “pour corruption passive, liée à l’attribution du marché des produits vaccinaux en Grèce, cela au profit de la firme Novartis” entre 2006 et 2015.

L’enquête déjà transmise au “Parlement” est ouverte par le Parquet, et parmi les présumés coupables (et sous le coup d’inculpation), on y découvre alors Samaras (ex-Premier ministre Nouvelle Démocratie/PASOK lequel contre-attaque en portant plainte à son tour), Stournáras (de la Banque de Grèce, comme… de la banque tout court), Venizélos le Pasokien, Avramópoulos (Commissaire actuel à l’immigration à Bruxelles), Pikramménos (président du Conseil d’État en 2009 et ex-Premier ministre technique au moment des élections de 2012), et bien d’autres, (presse grecque du moment à l’instar du quotidien “Kathimeriní”) .

Très jeune petit… peuple. Chypre vers 1950, photo du poète Yórgos Séféris (exposition, Athènes, janvier 2018)

Le… dit petit peuple en rigole, du pompiste du coin à la coiffeuse de quartier à Athènes, on sait que cette affaire (vraie ou pas peu importe), s’inscrit bien dans la ligne politicarde du “gouvernement” SYRIZA/ANEL, à travers notamment son (ultime ?) tentative pour demeurer au pouvoir, si possible jusqu’aux élections législatives de l’automne 2019. Le tout, lorsque ce gouvernement qui embauche massivement des contractuels… clients politiques dans la large fonction publique en ce moment (sans visiblement de réaction de la part de Bruxelles), est un gouvernement très largement haï (et non plus seulement rejeté politiquement) par les deux tiers de la population.

La question (ou sinon… l’autre question) serait également de savoir dans quelle mesure le cercle dirigeant (et atlantiste) de SYRIZA, bénéficie ou pas de l’aval des États-Unis dans cette mise en cause de telles personnalités politiques, très européistes et germano-compatibles avérées (Samaras, Pikramménos, Avramópoulos entre autres). Nous n’avons pas de réponse (pour le moment).

Le monde de jadis. Cyclades en exposition, Musée Byzantin, Athènes, nov. 2017 – févr. 2018
Humains et animaux représentés. 6ème siècle avant notre chronologie. Musée Byzantin, 2018
L’archéologue et son chat… cycladique. Exposition, musée Byzantin, Athènes, 2018
Exposition. Musée Byzantin, Athènes, 2018

Athènes, ses premières floraisons en son temps (métrologique) bien doux. Plongée ainsi historique et possible… à Délos et dans les Cyclades plus généralement, grâce à la belle exposition qui se tient au Musée Byzantin (jusqu’au 28 février), une autre manière (personnelle) pour ainsi prendre de la nécessaire distance (tout comme un éloignement très temporaire d’Athènes, les raisons sont familiales).

Mimi de ‘Greek Crisis’. Athènes, janvier 2018

Délos, obscure et glorieuse, toujours entre humains et animaux, dont les chats des archéologues de jadis. Comme ceux de ‘Greek Crisis’ pour les archéologues du futur, Mimi qui se fatigue parfois, et Hermès (dit le Trismégiste)… infatigable.

Renaissance naturelle, instantanés helléniques !

Hermès de ‘Greek Crisis’. Athènes, février 2018
* Photo de couverture: Rassemblement à Athènes le 4 février 2018 (presse grecque)

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

« Sur la route d’Exarcheia » à la MDA

Le collectif Grèce-austérité de Grenoble soutenu par Attac 38 et CADTM38 

 vous invite à la projection-débat du film

Sur la route d’Exarcheia

Récit d’un convoi solidaire en utopie

Le Mardi 6 mars 2018 à 20 h

à la Maison des associations de Grenoble 6 rue Berthe de Boissieux Salle de conférence

suivie d’un débat avec Eloïse Lebourg réalisatrice et un des convoyeurs

Le film (57mn) – Le 28 mars 2017, un mystérieux convoi de 26 fourgons venus de France, Belgique, Suisse et Espagne arrive au centre d’Athènes, dans le quartier rebelle d’Exarcheia. Les chaînes de télé grecques évoquent une grave menace. Le ministre de l’intérieur annonce qu’une enquête est ouverte. La fabrique de la peur tourne à plein régime.

En réalité, il s’agit d’un convoi solidaire qui vient apporter un soutien matériel, politique et financier au mouvement social grec et aux réfugiés bloqués aux frontières de l’Europe. Parmi les 62 visiteurs, 4 enfants participent à cette aventure humaine : Achille, Nino, Capucine et Constance. Ce film raconte cette odyssée fraternelle et rend hommage aux solidarités par-delà les frontières.

Production MEDIACOOP – Réalisation de Éloïse LEBOURG avec le soutien de Maxime GATINEAU et Mathias SIMONET.Images de Maxime GATINEAU, Éloïse LEBOURG, Roman STACHA. Montage et mixage de Mathias SIMONET.Enregistrement voix off MIX & MOUSE. Voix de Constance et Capucine.
Avec le soutien du collectif solidaire ANEPOS. Remerciements à Maud et Yannis YOULOUNTAS et tous les convoyeurs.

Le débat – Au-delà du récit de ce convoi solidaire (notre collectif a participé à la collecte), il sera aussi question de la quasi colonisation de la Grèce par les intérêts financiers et sur les conséquences concrètes pour la population des mesures d’austérité décrétées par l’Union européenne et mises en œuvre par le gouvernement grec.

Les actions du collectifs – Vous trouverez dans la salle :

* des  produits VIOME + information sur leur situation et sur la prochaine commande groupée,
* des confitures vendues au profit des dispensaires autogérés grecs ( frais postaux),
* des tracts de présentation du collectif , ses objectifs, ses actions ,
* des tracts d’appel aux dons pour les dispensaires autogérés grecs,
* un chapeau pour la participation aux frais de la soirée ( droit et déplacements),
* les panneaux d’information du CADTM 38 sur la situation en Grèce. 

Merci de diffuser l’information dans vos réseaux avec cette affiche Sur la route d’Exarcheia_affiche_A4

Grèce. La droitisation de SYRIZA: un gouffre social, moral et idéologique

Publié par Alencontre le 1 – février – 2018

Par Antonis Ntavanellos

Le 15 janvier 2018 a été soumis au Parlement grec, et par la suite adopté par la majorité de SYRIZA-ANEL [Grecs indépendants], le projet de «loi-valise», par lequel le gouvernement Tsipras assure le «bon» déroulement de la 3e évaluation de la situation économique grecque par les créanciers. Ainsi, ce gouvernement suit sa route vers la fin formelle du programme du 3e mémorandum (signée le 14 août , annoncée pour août 2018.

D’ici à cette date le gouvernement doit encore éviter deux récifs. D’une part, les «stress tests» (tests de résistance bancaire) des banques grecques [Banque nationale de Grèce, Piraeus Bank, Alpha Bank et Eurobank], où il espère que les créanciers et la Commission européenne accepteront l’application de critères moins stricts, afin d’éviter le scénario d’une nouvelle recapitalisation des banques qui ferait exploser la vision optimiste de l’économie grecque actuellement diffusée. D’autre part, la stratégie de communication de Tsipras qui, malgré tous les problèmes, est déjà en train de préparer les prochaines élections. Il a encore en perspective la 4e évaluation (au printemps 2018), qui débouchera sur de nouvelles mesures d’austérité supplémentaires.

A condition que le gouvernement arrive à surmonter ces risques, il pourrait espérer obtenir une promesse favorable à des mesures «d’allégement» de la dette grecque, principalement un plus grand étalement dans le temps des indispensables remboursements. Dans tous les cas, les créanciers, pour l’instant, déclarent que le débat sur la dette sera officiellement ouvert après août 2018.

Il convient de noter que la fin formelle du 3e mémorandum ne signifie pas la fin des politiques mémorandaires brutales. Comme il a été explicitement convenu lors de la signature par Tsipras du 3e mémorandum, la totalité des lois, règles et règlements, associés au mémorandum, l’ensemble des contre-réformes néolibérales des huit dernières années, resteront en vigueur, au même titre que la mise sous «surveillance» de l’économie grecque jusqu’en… 2060 (c’est-à-dire jusqu’à ce que soient remboursés au moins les 75% de la dette) !

Le projet de «loi-valise»

Les dispositions mises en place lors de la 3e évaluation comportaient plusieurs mesures brutales:

• L’article le plus controversé dans cette loi est celui qui autorise les banques et les administrations publiques de procéder par voie électronique à la mise aux enchères des domiciles des familles populaires qui sont dans l’incapacité de régler leurs dettes. Le gouvernement a déjà essayé de procéder à des ventes aux enchères en grand nombre. Mais il a rencontré une résistance importante, entre autres par des mobilisations (au sein desquelles l’Unité Populaire – LAE – a tenu le premier rôle) qui ont empêché les tribunaux de tenir audience et de rendre les décisions de mises aux enchères. Le gouvernement a tenté la répression, et il a lamentablement échoué, provoquant la présence encore plus nombreuse des manifestant·e·s devant et à l’intérieur des tribunaux. Aussi, l’apparition du Parti communiste grec (KKE) dans ces actions, qu’il a rejointes avec beaucoup de retard, a aidé à affermir la conviction que nous pouvions arrêter les décisions gouvernementales sur cette question, cruciale pour les banques et les créanciers. Le gouvernement tentera d’éviter cet affrontement en organisant dès à présent des ventes aux enchères électroniques, dans des centaines d’études de notaires de tout le pays. Mais le programme de vente aux enchères concerne un tel grand nombre de cas qu’existe l’espoir réaliste que le mouvement de résistance se déplacera vers les quartiers pour y livrer la bataille afin de mettre un cran d’arrêt aux expulsions.

• Un emblématique tournant réactionnaire a été également la modification radicale de la loi qui régissait le droit de grève. Cette loi a été conquise de hautes luttes ouvrières pendant la période ayant suivi la chute de la dictature [1974]. Aujourd’hui, un gouvernement, dont seul le nom renvoie au terme de gauche, a décidé que pour qu’une grève soit déclarée, 50% +1 des travailleurs d’une entreprise ou d’une branche doivent être présents et approuver la décision d’entrer en grève. Une telle réglementation fut pendant des décennies le souhait des cadres dirigeants capitalistes les plus extrémistes, un souhait qui semblait jusqu’à présent irréalisable.

Incontestablement, la «loi-valise» contient bien d’autres mesures critiques, telles que des coupes majeures dans les allocations familiales et les retraites, ainsi que des modalités facilitant encore plus les privatisations au sein des «secteurs stratégiques» comme ceux de l’électricité ou de l’eau.

La grève

Cette politique gouvernementale a été systématiquement aidée par la direction des bureaucraties syndicales des secteurs public et privé qui, sous la houlette d’une coalition de cadres du PASOK, de Nouvelle Démocratie et de SYRIZA, ont tout fait pour faire obstacle au démarrage et à l’organisation de sérieuses mobilisations. Ainsi les grandes confédérations se sont abstenues de décider la grève en laissant sans protection et appui les travailleurs et travailleuses qui avaient l’intention de s’engager dans de telles luttes.

Tout le poids est retombé sur les épaules des syndicats de base où la gauche est une force motrice. Mais, encore à ce niveau, l’attitude du KKE proposant une seule journée de grève au moment du vote de la «loi-valise», sans mobilisations préalables, réduisait l’importance de cette grève, la transformant en action symbolique «pour l’honneur». Tenant compte de toutes ces données et de notre expérience, nous estimons que la participation à la grève était plus grande que prévu, mais largement insuffisante à l’aune de ce qui aurait fallu pour arrêter l’offensive gouvernementale.

La grève s’est étendue en particulier dans les transports publics (près de 100%) et dans le secteur de la navigation. Néanmoins, cette grève dans transports faisait obstacle à la possibilité de se rendre sur les places où étaient appelées les manifestations. Ainsi, les rassemblements se sont essentiellement appuyés sur les militants déterminés de la gauche politique.

Une fois de plus l’expérience de l’après 2015 a été confirmée en Grèce: les gens sont indignés et en colère, mais pour l’heure cela ne se traduit pas dans une action directe de masse, car pèse sur eux la déception durable provoquée par la défaite de 2015, et le manque d’une alternative politique convaincante pour le renversement de la brutale austérité.

La droitisation

Tsipras, en capitalisant sur la déception populaire et ouvrière, opère donc un déplacement rapide de sa base sociale et se tourne vers les classes dominantes.

SYRIZA a déjà organisé autour d’elle une alliance avec le cercle de capitalistes qu’elle appelait avant 2015 «la face obscure de l’entrepreneuriat». Des capitalistes qui ont construit des fortunes sur divers trafics, sur le jeu, sur le blanchiment d’argent, sur leur présence forte dans le football et qui, toujours, dépendent des bonnes relations avec les gouvernements respectifs.

SYRIZA étend ses relations en direction des «familles» les plus traditionnelles de la bourgeoisie, mettant ainsi à profit ses relations avec les banques et une instrumentalisation particulière des privatisations. C’est-à-dire qu’elle prend soin, tout en attirant des investissements étrangers, d’assurer une place et un rôle des capitalistes autochtones en tant que «partenaires locaux» des fonds internationaux et des transnationales, prétendant ainsi résister, face aux forces supérieures des «marchés internationaux», à «la déshellénisation des entreprises».

Mais principalement, la direction de SYRIZA met en avant sur tous les tons l’argument de la stabilité. C’est-à-dire l’affirmation que le gouvernement SYRIZA-ANEL a appliqué à vive allure les dispositions mémorandaires, tout en réduisant sensiblement les réactions populaires et des masses laborieuses, en installant dans le pays un climat de «paix sociale» pour la première fois depuis des années.

L’ambition de servir les intérêts de la classe dominante dans son ensemble se prolonge, sans que ce soit un hasard, jusqu’au soutien à des velléités les plus inflexibles du nationalisme grec dans la région.

Le gouvernement, avec pour figures de proue les ministres de la Défense Panos Kammenos (Anel) et des Affaires étrangères Nikos Kotzias (SYRIZA), a poursuivi sans problème la politique de la droite à propos du Moyen-Orient et de la Méditerranée Orientale: le soutien ouvert aux Etats-Unis, l’intensification de la présence de l’OTAN en mer Egée, le renforcement de «l’axe» avec l’Etat d’Israël et avec la dictature de Sissi, avec pour but l’isolement de la Turquie d’Erdogan, instable et ambivalente. Le gain serait la participation au partage du pétrole et du gaz en Méditerranée orientale et du sud-est, et le renforcement du centre de gravité grec au niveau des développements et des perspectives à Chypre.

Récemment la diplomatie grecque se tourne vers l’ouest des Balkans. Elle se réjouit de prétendre résoudre le différend avec la République de Macédoine au sujet du «nom», sur la base des termes dictés par l’Etat grec.

Avec le plein soutien des Etats-Unis, de l’UE et de l’OTAN, les «négociateurs» grecs exigent un nouveau nom pour le pays voisin, un «nom composé» (il semblerait celui de «Nova Makedonja») qui remplacerait celui de «République de Macédoine», pour tous les usages (erga omnes: à l’intérieur du pays et à l’échelle internationale, dans le langage officiel comme au quotidien), qui serait écrit en alphabet cyrillique (?) et utilisé à l’international tel quel sans pouvoir être traduit ni conjugué.

Le changement de l’appellation de l’Etat voisin devrait se reporter obligatoirement sur la qualification de sa langue et celle de la citoyenneté. Cette violation absurde du droit démocratique à l’autodétermination vise seulement à garantir l’usage grec exclusif du terme Macédoine.

Cet «arrangement» a pour vrai objectif l’intégration immédiate de la République de Macédoine à l’OTAN (probablement lors du prochain sommet, de juillet 2018) et le démarrage du processus de son intégration dans l’UE.

La véritable négociation s’est faite entre les grandes puissances occidentales et l’Etat grec, au sujet des contreparties suffisantes pour la levée du veto à l’intégration de la Macédoine à l’OTAN, émis par le gouvernement Karamanlis pendant le sommet de Bucarest, en 2008.

C’est pour cela qu’aujourd’hui l’OTAN et l’UE exercent une pression implacable sur le gouvernement de Zoran Zaev (en utilisant même l’influence des partis albanais qui se soucient peu de l’autodétermination «macédonienne»), afin qu’il accepte les conditions de la Grèce, en indiquant au gouvernement de Skopje qu’«il n’y a pas d’alternative».

En suivant cette politique, et par l’affirmation que l’extension de l’OTAN dans les Balkans renforcera la paix (!) et la démocratie (!!) dans la région, le gouvernement Tsipras s’efforce d’inclure dans son bilan une «réussite nationale», par la résolution, sur la base de la ligne des Etats-Unis, d’un problème qui stagnait pendant des décennies [1].

Ces mouvements tactiques font pression sur la direction de Nouvelle Démocratie, incarnée par Mitsotakis. En ayant conscience des bénéfices attendus par le capitalisme grec, Kyriakos Mitsotakis garde une «attitude responsable». Mais l’aile droite du parti et l’extrême droite nationaliste au-delà de Nouvelle Démocratie réagissent au plan idéologique, en organisant des rassemblements nationalistes [21 janvier à Thessalonique, avec 100’000 manifestants selon la police], en collaboration avec l’Eglise. Mais même ceux-là prennent soin de ne pas trop hausser le ton: d’une part, pour ne pas saborder par des provocations la politique du gouvernement, d’autre part, pour ne pas réduire les perspectives d’une victoire électorale de Nouvelle Démocratie.

Il s’agit d’une véritable incursion de Tsipras dans le projet politique de la droite. A travers celle-ci SYRIZA tente de suppléer à la perte de son influence parmi les couches populaires et laborieuses, ou de les réduire. Toutefois, tout porte à croire que cette tactique n’a pas de résultats spectaculaires, ou pas encore. Selon les déclarations d’un analyste critique radical, Tsipras est sur le chemin d’une bataille politique et électorale où il fera le constat que la faiblesse de la résistance des classes populaires est une chose, mais leur assentiment, fût-il seulement électoral, est tout autre chose.

Ce dont il y a toujours besoin en politique grecque, du point de vue des intérêts des travailleurs, c’est la création d’un pôle massif de la gauche radicale, qui servirait d’appui aux secteurs importants qui soutenaient SYRIZA, aujourd’hui déçus par sa politique et par son déplacement accéléré vers la droite. (Janvier 2018. Traduction par Manolis Kosadinos)

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[1] Selon Jaklina Naumovski dans Le Courrier des Balkans, «le mercredi 24 janvier, en marge du sommet de Davos, sept ans après la dernière rencontre à ce niveau, les chefs de gouvernement macédonien et grec, Zoran Zaev et Alexis Tsipras, se sont retrouvés pour poursuivre le dialogue autour du conflit du nom de la Macédoine, montrant ainsi un nouveau signe de détente dans les relations entre les deux pays. Cette rencontre qui intervient à peine trois jours après la manifestation massive de Thessalonique, et à quelques jours de la visite dans les deux capitales du médiateur des Nations unies, Matthew Nimetz, qui doit faire part de ses nouvelles propositions pour résoudre le principal litige diplomatique entre les deux pays… Alexis Tsipras a confirmé son intention de soutenir son voisin du nord dans le processus d’intégration euro-atlantique. Ainsi, parmi les mesures allant dans ce sens, il a annoncé l’ouverture du poste frontière Markova noga à Prespa. Il a également précisé son engagement à « soutenir les procédures suspendues par son gouvernement, plus précisément la candidature de son voisin à l’Initiative Adriatique-Ionienne (ESS) et faire en sorte que la deuxième phase de l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’UE soit ratifiée par le Parlement grec ». Ils ont conclu que les réunions continueraient dans les semaines à venir, notamment au niveau des ministères des affaires étrangères. Une rencontre saluée unanimement par les représentants de l’UE.»

La manifestation de Thessalonique est certes significative. Elle a reçu, selon des informations de la presse, le soutien de celui qui veut racheter le port de cette ville et qui a des liens avec Poutine: Ivan Savidis, plus russe que grec. Il est aussi le propriétaire de l’équipe de football PAOK Salonique, un des trois plus importants clubs de Grèce, et cultive les rapports avec l’Eglise orthodoxe. En outre, il a opéré de nombreux rachats d’immeubles et d’hôtels, ainsi que de firmes dans les secteurs du tabac et du sucre. Tout cela n’empêche pas – au contraire, pourrait-on dire – qu’il entretienne une relation avec Tsipras. Le projet politique pourrait être de constituer une droite dure au nord – qui ne se mélange pas avec la figure criminalisée d’Aube dorée – et qui fasse obstacle, lors des prochaines élections, à une percée victorieuse de la Nouvelle Démocratie de Mitsotakis. Tsipras est «capable de tout»!

Une des personnalités de premier plan de cette manifestation était le militaire à la retraite, nationaliste affirmé: Frangos Frangoulis (ou Fragos Fragoulis selon la translitération). Il a occupé des postes importants dans l’armée, dans les troupes spéciales, et dans l’état-major et les services de renseignement et fut général en chef des armées. Il occupa le poste de ministre de la Défense, brièvement, dans le gouvernement de transition de P. Pikramenos (mai-juin 2012). Mise en perspective historique, cette manifestation est toutefois loin d’avoir eu l’ampleur de celle de 1992.

Une autre manifestation se prépare, pour le dimanche 4 février à Athènes, et dans ce cas la Nouvelle Démocratie veut faire la démonstration de sa capacité d’opposition à Tsipras, tout en laissant entendre qu’elle ne veut pas faire obstacle à l’élargissement de l’OTAN. Aube dorée sera présente, dans les marges. L’Eglise orthodoxe participe à l’opération. Comble de la confusion politique Mikis Théodorakis sera l’un des principaux orateurs. Manolis Glezos, invité, a refusé. (Rédaction A l’Encontre)

source https://alencontre.org/laune/grece-la-droitisation-de-syriza-est-un-gouffre-ideologique-et-moral-sans-fond.html

Ne touchez pas au droit de grève Athènes 15/1/2018

Manifestation devant un tribunal pour empêcher une vente aux enchères de logements

Rencontre entre Zoran Zaev et Alexis Tsipras, le 24 janvier 2018

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