Avec le budget 2020, le gouvernement confirme sa ligne antisociale par Romaric Godin
Ce budget 2020 est la confirmation d’une priorité donnée aux réformes structurelles et à la destruction de l’État social français.
Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, n’a cessé, jeudi 26 septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances 2020, d’insister sur la « continuité » de l’action économique du gouvernement. Les slogans – « politique de l’offre », « le travail doit payer », « maîtrise des comptes publics » – étaient d’ailleurs les mêmes que lors des trois années précédentes. Il n’était pas là question d’acte II. Face aux journalistes qui lui reprochaient d’avoir abandonné ses ambitions de réductions de déficit, il a répondu qu’il fallait bien faire face au ralentissement économique et à la crise sociale. Mais aussitôt il repartait à l’assaut : « Les gouvernements précédents n’ont jamais autant réduit les dépenses publiques en rapport avec le PIB. » Et de fustiger cette droite qui réclame plus de coupes dans les dépenses et ne le soutient pas lorsqu’il le fait : « Nous sommes seuls lorsque nous coupons dans le logement social »…
Et Bruno Le Maire a raison sur ce point. Ce budget 2020 n’a aucune apparence d’un tournant social ou keynésien. C’est un budget profondément néolibéral, à l’image de la politique du gouvernement et des idées d’Emmanuel Macron. Sa logique est simple. En réduisant les impôts progressifs sur la classe moyenne, il tente d’acheter l’adhésion à ses réformes structurelles et à la forte défiscalisation du capital, et en faisant payer cette baisse d’impôt aux budgets sociaux, il affaiblit durablement la solidarité nationale.
À quoi servent les baisses d’impôts ? S’il s’agissait de simplement faire face au « trou d’air » conjoncturel, un autre moyen, plus efficace et plus logique, s’offrait à l’exécutif : celui de profiter des taux d’intérêt bas pour investir massivement, notamment dans la transition écologique. Il aurait pu aussi dynamiser l’activité par un investissement d’un autre type, dans l’éradication de la pauvreté, du mal-logement ou encore dans une vraie et massive action de formation. C’est à cela que sert la politique monétaire de la BCE : abaisser le coût de l’investissement pour relancer la croissance et l’inflation.
Mais Bruno Le Maire ne fait rien de tout cela et il ne lui sert à rien de se cacher derrière l’argument désormais éculé – mais qui lui donne facilement bonne conscience – de « l’Allemagne-doit-investir-parce-qu’elle-seule-le-peut ». Les taux français concernent l’État français et ils sont bas. Et si la zone euro existe, alors la France doit prendre ses responsabilités. Mais en réalité, le gouvernement ne souhaite pas investir parce qu’il mène une autre politique, une autre stratégie : celle qui consiste à déconstruire l’État social français et à garantir une baisse de la fiscalité des entreprises et des plus riches à long terme. Or, pour cela, la baisse de l’impôt sur le revenu est le meilleur choix possible.
Dans un premier temps, les baisses d’impôts doivent apaiser la colère qui s’est manifestée dans les rues depuis le 17 novembre 2019 et élargir l’adhésion, toujours étroite, à la politique du gouvernement. Mais les baisses d’impôts progressifs, y compris à la « classe moyenne », ont toujours été des moyens de miner les solidarités. L’argent du bien commun est reporté vers la dépense individuelle. En termes économiques, c’est de la dépense, sauf que l’une est le fait de la collectivité et l’autre de l’individu. Ces baisses d’impôts sont le vecteur de l’individualisation de la société.Ce budget 2020 le prouve avec éclat. La recherche d’économies s’est concentrée sur la sphère sociale. Alors que le gouvernement se montrait très prudent sur la fin des niches fiscales pour les entreprises, il gelait quasiment l’ensemble des prestations sociales, réduisait massivement les dépenses d’assurance-chômage, piochait encore dans les APL.
L’objectif du gouvernement, ce sont les « réformes structurelles » qui visent in fine à favoriser le capital sur le travail et à défaire l’État social. Et contrairement à ce que pensent beaucoup d’observateurs, le choix n’est pas de baisser les impôts plutôt que le déficit, le choix est de préserver ces réformes et d’assurer que d’autres soient mises en place plutôt que de réduire le déficit public. Cela a été le choix cohérent de nombreux leaders néolibéraux de Margaret Thatcher à Gerhard Schröder qui ont su qu’il fallait acheter le consentement aux réformes par un déficit plus élevé pour faire passer leurs réformes. Ces dernières assurent ensuite la baisse du déficit par le redimensionnement des dépenses sociales.
L’exécutif n’a abandonné aucune de ces réformes engagées depuis 2017 et surtout par la défiscalisation du capital via la réforme de l’ISF et la « flat tax » sur les revenus du capital. Et ce n’est pas un hasard s’il attend l’été 2020 pour lancer la réforme des retraites : il compte s’appuyer sur l’effet bénéfique des baisses d’impôts. Mais la priorité reste toujours la même : la transformation de l’économie française au détriment de la solidarité nationale. Ce budget n’est donc ni un budget d’attente, ni un budget de pause, ni un budget de changement : c’est un budget offensif qui confirme l’orientation du gouvernement.Un budget qui montre aussi la fébrilité d’un exécutif passant en force, qui sait qu’il est, sur le fond, sans égards par rapport au corps social français. Le « couac » sur la fin de la niche fiscale sur les aides à domicile des personnes âgées montre bien cette crainte que l’incendie allumé le 17 novembre ne reprenne. D’ailleurs, ce budget est aussi celui du « réarmement du régalien », comme le dit si joliment Bercy, celui d’un gouvernement enfermé dans ses certitudes et retranché derrière sa police. Car ces baisses d’impôts constituent un pari : faire accepter à la majorité des Français une marchandisation et une individualisation de la société. Il n’est pas sûr qu’ils acceptent ce troc en forme de marché de dupes.