Des soutiens européens à une coopérative grecque
À Thessalonique, l’usine Vio.Me devait fermer, mais ses ouvriers l’ont reprise et continuent de la faire tourner. Avec l’appui d’autres pays…
« Cela fait presque sept ans que l’on fait des rondes toutes les nuits, dit-il riant, mais là, on ouvre les yeux plutôt deux fois qu’une ! » Le rire de Makis Anagnostou, la cinquantaine bien tassée, résonne dans le hangar de l’usine Vio.Me située dans les faubourgs de Thessalonique, dans le nord du pays. Il vérifie que toutes les portes sont bien fermées, les lève-palettes garés, les stocks de produits prêts à partir à l’exportation rangés, et sourit de satisfaction. « Ola kala », tout va bien.
Enfin presque. Il redoute une coupure du courant qui arrêterait cette expérience d’usine autogérée, qui dure depuis plus de six ans. « Depuis l’arrivée au pouvoir de Nouvelle Démocratie (parti conservateur qui a remporté les législatives), en juillet dernier, on s’attend d’un moment à l’autre à ce qu’ils coupent l’électricité », explique Makis, qui fait office de porte-parole de Vio.Me, avant d’assurer : « C’est la première chose qu’ils feront pour arrêter la production. »
La barbe poivre et sel, ses mains calleuses dans les poches de son bleu de travail, il a du mal à cacher son inquiétude : « On reçoit via les réseaux sociaux des menaces de leurs députés, du type : ”Vous allez dégager ! La fête est finie, vous n’aurez ni eau ni courant”. Des tas de choses comme ça. On s’y attendait mais quand même, ça fait bizarre. »
Un symbole au-delà des frontières grecques
Du coup, un appel a été lancé sur tous les réseaux sociaux d’Europe, cet été, pour trouver un générateur d’électricité de 120 kW. But de l’opération : faire tourner l’usine, même en cas de coupure de courant définitive. Une délégation de Vio.Me est attendue en Allemagne dès le 15 octobre prochain pour une tournée d’information dans sept villes, et des réseaux solidaires français recherchent aussi activement une solution pour aider Vio.Me. Car cette usine est devenue un symbole bien au-delà des frontières grecques.
En France, elle fait rêver les nombreux collectifs de soutien aux Grecs qui se sont créés dès le début de la crise, en 2010. Ainsi Claudine et Hervé Ricou, deux Bretons retraités, qui font régulièrement le trajet de Rennes (Ille-et-Vilaine) à Thessalonique pour s’approvisionner. Lorsque Claudine parle de Vio.Me, elle se met à rêver : « À l’époque de Lip, j’avais acheté des actions. Nous sommes les derniers à avoir acheté un Solex à notre fils, quand on espérait encore que l’usine allait s’en sortir. Maintenant j’achète des savons et du liquide vaisselle. C’est le même combat. »
Même mobilisation à Paris et dans le sud de la France, (*) à Montpellier notamment, où les collectifs locaux approvisionnent toute la région et achètent des médicaments qu’ils envoient aux dispensaires grecs, avec les bénéfices engrangés. Idem à Berlin, ou trois boutiques en ligne relaient les produits Vio.Me.
En Grèce, de nombreux volontaires vont, à leur frais, chercher ces produits à Thessalonique pour les déposer dans des épiceries alternatives. Bien sûr, il n’y a pas une fête populaire, pas un marché, pas un festival sans ces petites savonnettes bio sur les étalages. « On ne vend pas que des savons », souligne Makis avec un grand sourire, avant de préciser : « On vend une part d’utopie qui peut devenir réalité. Dans tous nos produits, nous mettons une petite note qui explique ce que l’on fait et quels sont les enjeux de notre travail. » Et, de fait, l’enjeu est de taille.
« Quand on a commencé, on espérait tenir six mois, grand maximum »
Au départ, en 1961, Vio.Me était une usine de colle à carreaux qui marchait bien, mais la concurrence chinoise a changé progressivement la donne : « Il était impossible de concurrencer leurs prix », se souvient Christina Philippou, ancienne patronne de l’usine. Puis la crise de 2010 est arrivée. Les commandes baissaient et la famille Philippou, lâchée par les banques et ses partenaires britanniques, songeait à se déclarer en faillite pour se délocaliser en Bulgarie.
Les nouvelles lois d’austérité qui venaient d’être votées lui donnaient ce droit, sans avoir à dédommager les salariés. Dimitris Kourmatsiolis, 49 ans, ouvrier depuis l’âge de 14 ans, s’en étrangle encore : « Nous avions accepté d’abord une baisse des salaires, puis pendant plusieurs mois on a continué à travailler sans être payés, pour sauver l’usine. Les commandes arrivaient et les nouvelles machines avaient même été commandées… »
Alors, un soir, la grande décision de l’occupation de l’usine a été prise. Dimitris a encore du mal à y croire : « Vous vous rendez compte ? Cela fait presque sept ans que nous nous battons, que nous maintenons cette usine ouverte, que nous faisons vivre nos familles. Jamais on n’aurait cru tenir aussi longtemps ! » La voix de Makis est plus grave : « Quand on a commencé, on espérait tenir six mois, grand maximum, car on voulait toucher nos salaires impayés. Mais alors qu’on attendait qu’une solution vienne d’en haut, on s’est dit : et pourquoi ne pas se prendre en main ? »
Le terrain de l’usine de nouveau mis aux enchères
La première décision prise collectivement a été de payer les machines qui devaient venir, puis d’honorer les commandes. « On paniquait, se souvient Makis. On n’avait jamais vu des livres de comptes, ni fait des bilans, mais on a appris. Des camarades d’autres expériences autogérées, d’Europe et même d’Amérique latine, sont venus nous apprendre. Et on a prouvé que si nous, des ouvriers qui ont à peine terminé l’école primaire, avons réussi, alors tout le monde peut le faire. »
Pour Christina Philippou, ces arguments n’ont aucune valeur : « Vio.Me a un permis pour faire de la colle, pas pour fabriquer des savons. Ils ne payent pas l’électricité, ils occupent mon usine depuis presque sept ans… Comment est-ce possible ? » Même si elle est aigrie, l’ancienne patronne de l’usine affirme avoir tourné la page, ajoutant même : « Il faut qu’une solution soit donnée aux ouvriers, et à moi qui ai tout perdu. J’ai payé pour les autres. On m’a condamnée à dix ans de prison pour quatre millions de dettes envers la Sécurité sociale, alors qu’en Grèce, même si tu tues ta mère, tu n’as pas une telle peine. Cette histoire est politique… »
Sur ce dernier point, Makis est d’accord, mais pas pour les mêmes raisons. Malgré tout le soutien international et un succès commercial inespéré, tout peut encore s’écrouler. Le 19 octobre prochain, le terrain de l’usine sera de nouveau mis aux enchères. « On fera capoter la vente, comme on a fait capoter toutes les autres, même s’ils ne cessent de baisser les prix pour trouver des acheteurs. On va résister jusqu’au bout. Notre succès les gêne, mais on tiendra le coup. »
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Des produits locaux, bios et coopératifs
Comment ?
Vio. Me emploie 15 salariés à temps plein, qui touchent tous le même salaire, environ 500 €. Tout le monde tourne sur tous les postes de production. Les décisions sont toutes prises collectivement le matin, autour d’un café. Les ouvriers produisent 1 600 savons par semaine et en gardent 3 000 en stock. En 2014, ils créent une société coopérative dotée d’un compte en banque, mais ils ne sont pas propriétaires de leurs actifs.
Pourquoi ?
En 2011, la maison mère de Vio. Me, Phillkeram Jonhson, entreprise gréco-britannique de carrelage, dépose le bilan. Les 70 salariés de la filiale, qui fabriquait de la colle pour carrelage, sont licenciés sans indemnités. Ils décident, pour éviter que les machines ne soient vendues au poids ou délocalisées, d’occuper l’usine. Avec un seul mot d’ordre, devenu leur logo : « Occuper, Résister, Produire. »
En 2012, ils décident, sous l’impulsion d’autres coopératives autogérées, notamment d’Argentine, de produire seuls des produits d’entretien écologiques, car le BTP s’est écroulé et que personne n’achetait plus de la colle à carreaux. Ils travaillent dès lors avec des produits locaux, dont l’huile d’olive bio, qui proviennent de régions économiquement sinistrées.
Et vous ?
Quelque 60 % de la production de Vio. Me part à l’exportation (Allemagne, France, Italie, Espagne, Suisse, Roumanie, Bulgarie) et ses produits sont disponibles au supermarché parisien La Louve, par exemple.
et bientôt dans le nouveau supermarché coopératif parisien » Les grains de sel « dans le 13ème http://www.lesgrainsdesel.fr/
Thomas Jacobi, correspondant à Thessalonique (Grèce),
(*) Le collectif de Grenoble continue à soutenir la lutte des VioMe en organisant pour la 4eme année une commande groupée de leurs produits. Une projection-débat est en cours de programmation dans la 1ere quinzaine d’octobre pour le lancement de la commande.Les informations seront données prochainement sur ce site.