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Une frontière flottante pour stopper les migrants

La Grèce veut ériger une frontière flottante sur la mer pour limiter l’afflux de migrants Par Anne-Diandra Louarn 

Le ministère grec de la Défense a rendu public mercredi un appel d’offres pour faire installer un « système de protection flottant » en mer Égée. L’objectif : réduire les flux migratoires en provenance de la Turquie alors que la Grèce est redevenue en 2019 la première porte d’entrée des migrants en Europe.

C’est un appel d’offres surprenant qu’a diffusé, mercredi 29 janvier, le ministère grec de la Défense : une entreprise est actuellement recherchée pour procéder à l’installation d’un “système de protection flottant” en mer Égée. Cette frontière maritime qui pourra prendre la forme de « barrières » ou de « filets » doit servir « en cas d’urgence » à repousser les migrants en provenance de la Turquie voisine.

Selon le texte de l’appel d’offres, le barrage – d’une “longueur de 2,7 kilomètres” et d’une hauteur de 1,10 mètre dont 50 cm au dessus du niveau de la mer – sera mis en place par les forces armées grecques. Il devrait être agrémenté de feux clignotants pour une meilleure visibilité. Le budget total comprenant conception et installation annoncé par le gouvernement est de 500 000 euros.

“Au-delà de l’efficacité douteuse de ce choix, comme ne pas reconnaître la dimension humanitaire de la tragédie des réfugiés et la transformer en un jeu du chat et de la souris, il est amusant de noter la taille de la barrière et de la relier aux affirmations du gouvernement selon lesquelles cela pourrait arrêter les flux de réfugiés”, note le site d’information Chios News qui a tracé cette potentielle frontière maritime sur une carte à bonne échelle pour comparer les 2,7 kilomètres avec la taille de l’île de Lesbos.

Sur cette photo vous pouvez voir la taille relle
                dun barrage de 2 700 mtres par rapport lle de Lesbos
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“Sur cette photo, vous pouvez voir la taille réelle d’un barrage de 2 700 mètres par rapport à l’île de Lesbos”, écrit Chios News. Crédit : Google Maps / ChiosNews.com

La question des migrants et des réfugiés est gérée par le ministère de l’Immigration qui a fait récemment sa réapparition après avoir été fusionné avec un autre cabinet pendant six mois. Devant l’ampleur des flux migratoires que connaît la Grèce depuis 2015, le ministère de la Défense et l’armée offrent un soutien logistique au ministère de l’Immigration et de l’Asile.
Mais la situation continue de se corser pour la Grèce qui est redevenue en 2019 la première porte d’entrée des migrants et des réfugiés en Europe. Actuellement, plus de 40 000 demandeurs d’asile s’entassent dans des camps insalubres sur des îles grecques de la mer Égée, alors que leur capacité n’est que de 6 200 personnes.

Le nouveau Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, élu à l’été 2019, a fait de la lutte contre l’immigration clandestine l’une de ses priorités. Il a déjà notamment durci l’accès à la procédure de demande d’asile. Il compte également accélérer les rapatriements des personnes qui « n’ont pas besoin d’une protection internationale » ou des déboutés du droit d’asile, une mesure à laquelle s’opposent des ONG de défense des droits de l’Homme.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/22441/la-grece-veut-eriger-une-frontiere-flottante-sur-la-mer-pour-limiter-l-afflux-de-migrants?fbclid=IwAR222VN34-q3HvqeNk9Yfv_7NkV-N-fgZ_JcNnQLBiTe4z9tnBGz3vSeODw&ref=fb

SOS MEDITERRANEE : Garder le cap en 2020

En ce début d’année, près de 300 personnes ont été secourues par des navires humanitaires en Méditerranée centrale. Dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne, le contexte est de plus en plus flou et nos équipes sont la plupart du temps livrées à elles-mêmes dans leurs missions de recherche et de sauvetage. Malgré tout, les marins-sauveteurs de l’Ocean Viking tiennent le cap, car notre présence en mer reste vitale.

Premiers sauvetages de l’année et toujours pas de mécanisme de débarquement  

A peine commencée, l’année 2020 était déjà marquée par de premiers sauvetages en Méditerranée centrale. Les 9 et 10 janvier, tandis que notre navire se trouvait en Sicile pour une courte escale, les navires des ONG espagnole Proactiva Open Arms et allemande Sea Watch, ont porté secours à 237 personnes au cours de cinq opérations de sauvetage. Après deux jours d’attente inutile, deux ports en Italie, Tarente et Messine leurs ont finalement été assignés pour débarquer les rescapés. Deux solutions ad hoc puisqu’il n’existe toujours pas de mécanisme concerté, prévisible et pérenne concernant le débarquement des rescapés secourus en Méditerranée.

Arrivé en zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes le dimanche 12 janvier dans la soirée, l’Ocean Viking s’est rapidement trouvé être le seul navire humanitaire présent en Méditerranée centrale. Dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 janvier, il a reçu une alerte concernant 39 personnes sur une embarcation de bois en détresse. Vers 4h30 du matin, les équipes de SOS MEDITERRANEE ont réussi à mettre toutes les personnes en sécurité à bord de l’Ocean Viking. Parmi ces 39 personnes secourues, 19 d’entre elles sont des mineurs non accompagnés. Autrement dit, 19 mineurs qui auraient pu perdre la vie, dans l’anonymat le plus total, si notre navire n’avait pas été là pour leur porter assistance.

La Libye n’est pas un lieu sûr pour débarquer des rescapés

Et immanquablement, l’histoire se répète : les équipes de l’Ocean Viking, qui ont envoyé une demande pour un lieu sûr afin de débarquer les rescapés, se sont vues assigner Tripoli par les autorités maritimes libyennes. Or, il est inenvisageable de débarquer des rescapés dans un pays en proie aux conflits tel que la Libye. Le droit international est on ne peut plus clair : « Tout rescapé doit être débarqué dans un « lieu sûr » dans les meilleurs délais, où ses droits fondamentaux seront     respectés.[1] »

Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), tout comme l’Organisation internationale des migrations (OIM) ont d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises que ce pays ne peut pas être considéré comme un lieu sûr.
Les équipes de l’Ocean Viking ont donc sollicité une alternative auprès des autorités maritimes compétentes. Lundi 20 janvier dans la soirée, le port de Pozzalo en Sicile a finalement été assigné à notre navire pour débarquer les 39 rescapés.

Au-delà de ce cas précis, comment est-il possible d’envisager de renvoyer des personnes secourues en mer, dans le pays qu’elles ont justement fui au péril de leur vie ? Un pays dans une situation tellement désastreuse, qu’un sommet international pour la paix se tenait à Berlin, ce dimanche 19 janvier. Si les observateurs évoquent un « appel fragile de la communauté internationale pour relancer la paix en Libye », force est de constater que le chemin vers une issue du conflit est long, et que des êtres humains subissent les pires atrocités dans ce pays, comme nous l’ont raconté la plupart des rescapés à bord de l’Aquarius et aujourd’hui de l’Ocean Viking.

Un trou noir en Méditerranée centrale

La situation en mer Méditerranée centrale est aussi à déplorer. Au quotidien, le centre de coordination de recherche et de sauvetage libyen, le JRCC, ne fonctionne pas de manière efficace. La plupart du temps, il ne répond pas aux appels des équipes de l’Ocean Viking et ces dernières ne reçoivent quasiment plus les signalements de cas de détresse connus.

Ce manque de coordination empêche toute prise en charge rapide et efficace des personnes à bord d’embarcations en détresse, et augmente par conséquent le risque de noyade.

Par ailleurs, l’absence de relais de coordination dans cette zone par d’autres centres de coordination compétents, comme ceux de l’Italie et de Malte apparaît également problématique. Il en résulte un trou noir en Méditerranée centrale où les navires humanitaires et les ONG se débattent, avec leurs propres moyens, pour détecter des situations de détresse et réussir à porter secours aux rescapés dans les temps, et à les protéger. Ainsi, plus d’un tiers des opérations de sauvetage menées par l’Ocean Viking ont été repérées par nos équipes à la jumelle.

Si d’autres acteurs sont aussi présents sur cette zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes, leur rôle n’est pas le même. En effet, les garde-côtes libyens, qui interceptent régulièrement des embarcations surchargées de personnes qui tentent de fuir l’enfer libyen, les ramènent systématiquement en Libye.
Le 14 janvier 2020, l’OIM annonçait que près de 1000 personnes avaient été interceptées et renvoyées en Libye depuis le début de l’année.

Un triste décompte, qui n’est pas sans rappeler que notre présence en mer, ainsi que celle des autres navires humanitaires, restent indispensables.

En 2020, SOS MEDITERRANEE aura déjà cinq ans. Au commencement, nous n’étions qu’une poignée de citoyens. Nous avons affrété un navire, l’Aquarius, pour débuter notre mission. En 2018, nous avons dû nous en séparer. En 2019, nous avons pu reprendre la mer avec l’Ocean Viking. En 2020, nous sommes plus que jamais mobilisés pour continuer notre mission en Méditerranée centrale.

INFO DE DERNIERE MINUTE 24/01/2020 : l’Ocean Viking vient de secourir 92 personnes, dont 5 femmes enceintes et 38 mineurs, sur un canot pneumatique surchargé à 30 milles nautiques de la Libye. Extrêmement faibles et recouverts d’essence, beaucoup souffrent d’hypothermie et de mal de mer. 


[1] Amendement de 2004 porté à la Convention SAR

Source http://www.sosmediterranee.fr/

 

Retraite : la liberté réduite au portefeuille

Retraite la réforme de trop : La liberté réduite au portefeuille par Martine Bulard,

.Dans l’art de prendre les Français pour des idiots, les syndicalistes pour des courroies de transmission, et les parlementaires pour des pantins, le couple Macron-Philippe est devenu champion. Pour tenter de casser le mouvement social, le premier ministre a annoncé le retrait — très provisoire — de l’« âge pivot ». Mais dans le projet de loi, il a introduit l’« âge d’équilibre », qui lui ressemble de manière troublante. Et il ne s’est pas contenté de le mentionner en passant : l’expression est citée 56 fois et elle constitue l’un des deux piliers de la réforme — avec l’introduction de la retraite par point. L’axe central, scandé tout au long des 145 pages du projet, étant « l’équilibre financier » du système, avec plus de retraités et pas de financements supplémentaires. Comment le patron de la CFDT, M. Laurent Berger, qui a combattu l’âge pivot peut-il défendre l’âge d’équilibre ? Mystère.

Quant aux parlementaires, ils sont appelés à faire de la figuration, chaque décision précise étant systématiquement renvoyée à de futures ordonnances où l’exécutif peut décider ce qu’il veut sans l’aval des élus. Le pouvoir devrait y avoir recours pas moins de 102 fois, si l’on en croit le texte du projet. Ainsi toute la période de transition, entre 2025 et 2037, est renvoyée à une ordonnance et donc au bon vouloir des duettistes de choc.

Difficile de détailler ici tous les articles de ce projet de loi. Certaines dispositions constituent un progrès : 1 000 euros pour une pension complète minimale (même si cette base est assortie de nombre de conditions), l’attribution de points pour les congés maternité (1)… Mais elles se comptent sur les doigts d’une main. Pour le reste, la régression est en marche.

Dès le préambule, après avoir égrené des promesses de justice, le projet rappelle que l’âge légal est maintenu à 62 ans, mais que le gouvernement a fait « le choix de la liberté donnée à l’individu en fonction de son parcours, et en incitant les Français, sans les y forcer, à travailler un peu plus longtemps ». Sa majesté est trop bonne ! Grâce à la « liberté donnée », les Français auront donc le choix entre partir à 62 ans avec une retraite rabougrie ou travailler plus longtemps. Personne ne les forcera… sauf leur compte en banque. Encore faudrait-il qu’ils aient un emploi — ce qui, aujourd’hui, n’est pas le cas pour près d’un Français sur deux au moment où il demande à toucher sa retraite. Ce qui n’empêche pas d’aligner les grands principes dans l’article 1 : régime par répartition maintenu, équité défendue, solidarité assurée, « niveau de vie satisfaisant » garanti (on ne parle pas de pouvoir d’achat chez ces gens-là), liberté de choix renforcée (la liberté réduite au portefeuille) — le tout subordonné à l’objectif suprême : l’équilibre financier.

Tous égaux, mais déjà quelques gagnants…

Dans les articles 2 à 7, les rédacteurs du projet de loi précisent que le système s’appliquera à tous, y compris aux salariés disposant de régimes spécifiques (SNCF, RATP, Opéra de Paris…), selon un calendrier rendu public par le premier ministre : en 2022 pour les actifs nés en 2004 ; en 2025 pour ceux nés après le 1er janvier 1975 (une partie de leur retraite sera calculée selon le système actuel). Pour les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux dont l’âge légal de retraite est 57 ou 52 ans aujourd’hui, la première génération concernée sera celle née en 1980 ou 1985, selon les cas.

Par peur d’une extension du mouvement de protestation, le premier ministre a d’ores et déjà maintenu le système actuel pour les militaires et les policiers, les pilotes et personnels navigants, et presque intégralement pour les contrôleurs aériens ; les danseurs de l’Opéra et les cheminots, les salariés de l’énergie ont obtenu une sorte de clause « du grand père » plus ou moins longue qui diffère la mise en place du nouveau système. Toutefois les articles 38 et 39 autorisent le gouvernement à « organiser par ordonnances », là encore, l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général.

Le flou pour les enseignants

Quant aux enseignants, il est stipulé qu’ils bénéficieront « de mécanismes permettant de garantir une revalorisation de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite équivalant à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à ces corps comparables de la fonction publique ». On ne peut trouver plus alambiqué, plus vague. « Faut-il comprendre que les primes des enseignants vont passer de 10 % à 40 % de leur traitement » pour s’aligner sur les autres fonctionnaires d’État ?, s’interroge Henri Sterdyniak qui s’est livré à une fine analyse du projet de loi (Alternatives économiques, 13 janvier).

Des comptes d’apothicaires

Comment sera calculée la pension ? Dans cette langue limpide dont M. Phillipe a le secret, l’article 10 stipule que « le système fonctionnera autour d’une référence collective, correspondant à l’âge auquel les assurés pourront partir à “taux plein” et autour de laquelle s’articulera un mécanisme de bonus/malus ». Exit l’âge légal, bonjour la « référence collective » ! Celle-ci fixera l’âge d’équilibre « en fonction des projections financières du système » — étant acté par aillleurs que l’on ne peut « augmenter le coût du travail », traduisez augmenter les cotisations sociales. La situation sera pire encore puisque le pouvoir baisse des cotisations payées par l’entreprise (c’est-à-dire le salaire brut des salariés) sans compenser le manque à gagner par les caisses de retraites. Conclusion : l’âge d’équilibre sera fixé en fonction de la situation financière du système et en fonction de la durée de vie estimée de chaque génération (à raison des deux tiers des gains d’espérance de vie — si les experts estiment qu’une génération a gagné trois mois d’espérance de vie, l’âge d’équilibre sera reculé de deux mois)

Un malus de 5 % sera appliqué pour tous ceux qui, bien qu’ayant le droit à la retraite, partent avant l’âge d’équilibre ; et un bonus de 5 % pour ceux qui partent après ; ce qui accentue encore les inégalités car il est plus facile de prolonger son activité quand on a un travail peu ou pas pénible, intéressant et bien payé que quand on est maçon, infirmière ou caissière… Le pouvoir assure la main sur le cœur qu’il va revoir les critères de pénibilité, mais refuse de revenir sur ceux que les députés avaient voté et qu’il a supprimé d’un trait d’ordonnance. Pour l’heure, le travail de nuit des infirmières, par exemple, leur donnera le droit à prendre leur retraite deux ans plus tôt (au maximum) mais comme l’âge d’équilibre sera reculé d’au moins deux ans… Pour les éboueurs ou les égoutiers, qui ont en moyenne 17 années d’espérance de vie en moins selon l’Inserm, et qui peuvent partir aujourd’hui cinq à dix ans plus tôt, la réforme sonne comme une condamnation : « Vous prenez dix égoutiers qui sont partis à la retraite à 54 ans. Vous revenez dix ans plus tard, y en a à peu près sept ou huit qui sont décédés. On va mourir dans les égouts en fait », résumait l’un d’eux au micro de France Inter ce jeudi 16 janvier.

Une règle d’or qui n’en est pas une

L’article 11 du projet de loi « contient une règle d’or garantissant que le niveau des pensions ne pourra jamais être baissé ». Certes, une fois la retraite liquidée, celle-ci ne pourra être directement diminuée (même si des hausses de cotisations et autres prélèvements peuvent entraîner une baisse du pouvoir d’achat), cependant, elle ne sera pas alignée sur l’évolution moyenne des salaires, contrairement à ce qui avait été indiqué auparavant, mais sur l’inflation (formule nettement moins favorable).

Cette « règle d’or » ne veut donc pas dire qu’il y aura maintien du niveau des retraites par rapport au salaire — ce que l’on appelle le « taux de remplacement ». Du reste l’expression n’existe pas dans le projet de loi. Selon le Conseil d’orientation des retraites, ce taux tomberait au dessous de 50 % en 2025 (49,8 %) contre 51,4 % en 2018 et… 70 % il y a trente ans.

Un coup de pouce à la capitalisation

Pour les hauts salaires, la cotisation sur la part de rémunération qui se situe au dessus de trois fois le plafond de la sécurité sociale, soit 10 000 euros par mois, ne sera plus que de 2,8 % (au lieu de 28,1 %), selon l’article 13. Certes, ces cadres n’auront aucune pension sur cette partie de salaire, mais cela ne compensera pas, loin s’en faut, les pertes pour le système, évaluées entre 5 et 7 milliards d’euros. Et surtout, cette disposition les pousse à opter pour des surcomplémentaires, c’est-à-dire des fonds de pension. C’est une attaque contre le système de répartition, comme l’explique très bien M. François Hommeril, secrétaire général de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Le coup est d’autant plus important que l’article 15 prévoit que le gouvernement pourra « modifier les règles d’assujettissement à cotisations et contributions sociales ». Autrement dit : le pouvoir pourra baisser le plafond au-dessus duquel les salariés paieront moins de cotisations, à 8 000 euros ou 5 000 euros par mois (au lieu de 10 000). De plus, de nouvelles dispositions sont prévues pour faciliter l’épargne retraite (et notamment des déductions fiscales).

Une étatisation prononcée

Non seulement le recours aux ordonnances est systématique, mais la création d’une Caisse nationale de retraite universelle, fusionnant les caisses actuelles tout en en maintenant certaines (avocats, professions libérales, agriculteurs), sonne la fin du paritarisme. Certes, l’introduction du patronat dans la gestion de ces caisses en 1967, l’attitude de syndicats sensibles à la parole patronale, le poids grandissant des experts de la Commission européenne sur les finances publiques ont pour une part miné le système. Il reste que l’étatisation se renforce. Ce n’est pas la création d’un Comité d’expertise indépendant des retraites qui changera la donne. Au contraire. Il sera composé d’un président nommé par le président de la République, deux membres de la Cour des comptes, le directeur de l’Insee (nommé par le président de la République), trois personnes désignées par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental). Pas un seul syndicaliste ! Pas même une petite place pour M. Berger…

Rencontre Mitsotakis Macron

Mitsotakis et Macron : deux hontes côte à côte par ·

Nouvelle rencontre entre le premier ministre grec et le président français, aujourd’hui à Paris, tous deux fiers d’annoncer un rapprochement qui ne promet rien de bon.

MITSOTAKIS ET MACRON : DEUX HONTES CÔTE À CÔTE

La première de ces hontes, c’est celle qui repose sur les épaules des dirigeants français successifs pour leur influence particulièrement nuisible sur ce qui se trame dans la péninsule hellénique. La France a joué un rôle majeur sur ce qui s’est passé de pire depuis dix ans en Grèce :
— ventes d’armes avec rétro-commissions ;
— nombreuses magouilles des banques françaises avec divers prêts pourris ;
— rôle déterminant de Hollande dans la capitulation de Tsipras ;
— nombreux investissements des firmes tricolores dans le dépeçage du bien commun (Suez, Véolia, EDF, Vinci et maintenant Total qui s’apprête à ravager les rivages de Crète avec des forages pétroliers au large de l’île) ;
— dumping social accéléré depuis l’arrivée de sociétés comme Leroy Merlin (au centre de nombreuses polémiques pour son comportement brutal envers les travailleurs à Athènes) ;
— création des premiers hot-spots de la mer Égée, notamment le camp de Moria à Lesbos par Cazeneuve et des fonctionnaires français, avec des conséquences humaines désastreuses ;
— supplément d’équipement de la police grecque made in France pour une bonne partie (et courses à Eurosatory) ;
— surveillance accrue des opposants politiques et des solidaires internationaux, pressions diverses (on en sait quelque chose).

La seconde des hontes dans ce tableau parisien ridicule, c’est bien sûr la fin du discours de Mitsotakis, deux minutes avant la fin de la conférence de presse. Ce n’est pas un hasard si, en guise de conclusion, le premier ministre grec rend subitement hommage aux victimes d’Auschwitz. En réalité, ce n’est pas du tout pour saluer la mémoire des malheureux déportés, mais tout simplement parce qu’il sait parfaitement ce que pensent de plus en plus d’Européens sur l’horreur des camps en Grèce. En effet, de plus en plus de voix s’élèvent contre ce qui se passe à Lesbos et ailleurs :
https://www.illustre.ch/magazine/jean-ziegler-avons-recree-camps-concentration?

Même si nous sommes encore loin des terribles génocides du passé, la situation se détériore et se durcit sans cesse, mois après mois, de façon très inquiétante. C’est pourquoi Mitsotakis tente de désamorcer les critiques, à côté du chef de l’État français (co-responsable de ce drame), mais ça ne marchera pas. Les camps de la mer Égée sont odieux et de plus en plus d’enfants et d’adultes y souffent et y meurent. Chaque semaine, des dizaines d’adolescents tentent de s’y suicider. Chaque semaine, en été comme en hiver :

Honte à l’État grec, honte à l’État français, honte à l’Union européenne, honte à tous ceux qui prétendent nous gouverner.

En France comme en Grèce et dans beaucoup d’autres régions du monde, la révolte gronde. Le pouvoir devient sans cesse plus arrogant, plus violent, plus oppressant. Partout, le pouvoir est un voleur de vies.

Ce réseau international de nuisibles assure le maintien de la domination et de l’exploitation qui nous écrase et nous épuise, et établit des partenariats entre états contre la plupart d’entre nous : opposants, révoltés, précaires, travailleurs, retraités, étudiants, migrants…

N’attendons plus. Prenons nos affaires en main, débarrassons-nous des chaînes qui nous étranglent, unissons-nous par-delà les frontières pour faire tomber tous les murs, de Paris à Athènes et de Santiago à Hong-Kong.

Tournons la page du vieux monde et de ses gardiens zélés.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2020/01/29/mitsotakis-et-macron-deux-hontes-cote-a-cote/

Lesbos : la honte de l’Europe

Jean Ziegler: «Nous avons recréé des camps de concentration»

Il est rentré bouleversé d’une mission pour l’ONU sur l’île grecque de Lesbos, où se trouve le tristement célèbre camp de réfugiés de Moria. Jean Ziegler accuse l’Europe de bafouer les droits de l’homme et publie «Lesbos, la honte de l’Europe». Rencontre avec un rebelle dont la colère ne faiblira jamais.

– Jean Ziegler, vous qui avez beaucoup voyagé et été témoin de crises humanitaires majeures, pourquoi écrire un livre sur Lesbos aujourd’hui ?

– Dans ma fonction de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, j’ai vu des choses horribles, c’est vrai. J’ai vu des enfants mourir de faim dans la Sierra de Chocotan au Guatemala ou dans les bidonvilles de Dacca au Bangladesh. Des choses absolument terribles. Mais lorsque je suis allé à Lesbos, dans le camp de réfugiés de Moria, j’ai été terrifié de comprendre que ce genre de choses se passait aussi en Europe et, pire, au nom de l’Europe. En tant qu’Européen, je me suis tout d’un coup senti complice de la stratégie de terreur, de ce refus du réfugié et de la chasse à l’homme qui règne sur les îles grecques.

– Que se passe-t-il sur ces îles grecques justement? Qu’avez-vous vu dans le camp de réfugiés de Moria?
– Des barbelés, de la nourriture avariée, des conditions d’hygiène absolument affreuses. A Moria, les toilettes sont insalubres et ne ferment pas. Il y en a une pour plus de 100 personnes. Les douches sont à l’eau froide. Le camp se divise en deux. A l’intérieur du camp officiel, plusieurs familles se partagent un seul container, ce qui ne leur laisse que 6 m2 pour vivre. A l’extérieur, ce que les officiels appellent poétiquement «l’oliveraie», c’est un bidonville à l’image de ceux de Manille ou de Dacca. Les enfants jouent dans les immondices entre les serpents et les rats, et lorsqu’il neige, les tentes s’effondrent. Ces camps de réfugiés qu’on appelle des «hot spots» sont de véritables camps de concentration. Les suicides s’y multiplient, les enfants s’y automutilent. C’est le seul endroit, dans le monde entier, où Médecins sans frontières a une mission spécifiquement pédopsychiatrique pour essayer de détourner la volonté de suicide des enfants et adolescents.

– Mais pourquoi donc ces camps ne ferment-ils pas?
– L’Europe crée ces conditions dans un seul but: décourager les réfugiés de quitter leur enfer. Les «hot spots» sont donc un repoussoir, mais c’est complètement inefficace, parce que si vous vivez sous les bombes à Idlib ou dans les attentats quotidiens de Kaboul, vous partez de toute façon, quelles que soient les nouvelles qui vous viennent de Moria. D’ailleurs, les gens continuent d’arriver par centaines à Lesbos.

– Vous parlez beaucoup de responsabilité personnelle. Comment nous, simples citoyens, sommes-nous responsables de ce qui arrive aujourd’hui aux réfugiés de Moria?
– Notre responsabilité est totale. Nous refoulons les réfugiés vers l’enfer auquel ils ont essayé d’échapper avec une stratégie de la terreur. Nous créons de véritables camps de concentration avec des conditions totalement inhumaines. Voyez ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, à Idlib: ces bombardements sont affreux mais on ne peut pas dire que nous en sommes responsables. En Grèce, ni vous ni moi ne sommes à l’origine des crimes qui se commettent à Moria, mais nous sommes Européens et donc complices. Ce silence qui couvre ce crime-là est effrayant, intolérable. Mon livre est un appel, un livre d’intervention, une arme pour provoquer le réveil de la conscience collective européenne.

– Vous accusez l’Europe de violer les droits de l’homme mais aussi le droit d’asile et la Convention des droits de l’enfant quotidiennement à Moria. De quelle façon?
– L’hypocrisie des Etats européens est renversante. Nous fêtons cette année le 30e anniversaire de la Convention des droits de l’enfant. Savez-vous que dans le camp de Moria, 35% des 18 000 occupants sont des femmes et des enfants qui ont moins de 10 ans? Pourtant, il n’y a pas la trace d’une école, d’une crèche. Rien du tout. Les gouvernements des pays européens, qui fêtent aujourd’hui cette convention qu’ils ont signée et ratifiée avec des cérémonies un peu partout, créent des conditions qui sont la négation des droits de l’enfant et qui assurent son dépérissement et sa souffrance. Le droit à l’alimentation est aussi violé. Le camp de Moria est une ancienne caserne. C’est donc le Département de la défense qui est en charge de la nourriture distribuée aux réfugiés et qui vient du continent. Très souvent, le poulet, le poisson sont avariés. J’ai assisté à une dizaine de distributions de nourriture. Les gens attendent trois à quatre heures dans la queue, il y a souvent des bagarres et, quatre fois sur dix, j’ai vu des gens jeter directement leur nourriture et ne garder que les pommes de terre, le riz ou les spaghettis qui l’accompagnent. L’Union européenne paie mais les généraux grecs, souvent corrompus, s’accordent avec des sociétés de traiteurs et détournent une partie de l’argent envoyé par l’UE. Ce que les réfugiés reçoivent comme nourriture est scandaleusement insuffisant et personne ne peut rien y faire car l’armée grecque est souveraine.

– On peut imaginer qu’il n’est pas toujours facile d’organiser des distributions de nourriture pour autant de personnes. Surtout quand tout cela doit venir du continent, à plus d’une dizaine d’heures de bateau, non?
– N’allez pas me dire que faire parvenir de la nourriture sur des îles depuis le continent est difficile! Ces mêmes sociétés de traiteurs alimentent des milliers de complexes hôteliers des îles et du continent. La Grèce est un pays touristique hautement développé.

– Et donc, le droit d’asile est lui aussi violé?
– Il est liquidé. Nombre de réfugiés sont repoussés en pleine mer par les bateaux de guerre de l’agence européenne Frontex*, de l’OTAN, des gardes-côtes grecs et turcs sans avoir eu la possibilité de déposer leur demande d’asile. Je cite le droit d’asile: «Quiconque est persécuté pour des raisons ethniques, religieuses ou politiques dans son pays a le droit de chercher protection dans un Etat voisin.» Il n’y a donc pas de traversée illégale d’une frontière dans ce cas. Bien entendu, l’Etat qui reçoit le réfugié est en droit de l’accepter ou de le refuser, mais il a comme devoir d’examiner la demande du réfugié. Les droits fondamentaux, des valeurs sur lesquelles l’Europe est fondée, sont violés et c’est très dangereux.

– Mais que doit-on faire? D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, basé à Genève, jamais autant d’êtres humains, 60 millions, ne se sont trouvés au même moment en fuite. Les pays européens semblent incapables de trouver une solution à une telle situation.
– Il faut fermer immédiatement les «hot spots». La stratégie de la terreur ne fonctionne pas. Elle crée des situations totalement inhumaines et détruit les valeurs fondatrices de l’Europe. La seule manière de créer des conditions d’accueil conformes au droit est d’organiser un plan de répartition de ces réfugiés, ce que l’Union avait fait en 2016. Chaque pays européen doit accepter un nombre de réfugiés selon son PIB.

– La Suisse avait respecté son quota de réfugiés en 2016, mais beaucoup d’autres pays avaient refusé de se plier aux exigences de la Commission européenne et cette solution s’était avérée être un échec total…
– Le gros problème, ce sont les pays de l’Est qui refusent toute relocalisation des réfugiés. Le premier ministre polonais ne souhaite pas accueillir de réfugiés pour, je cite, «sauvegarder la pureté ethnique de la Pologne». Il évoque la pureté ethnique comme l’avaient fait les nazis en Allemagne. Viktor Orban, premier ministre hongrois, a dit que celui qui passait illégalement la frontière se rendait coupable d’une peine de 3 ans de prison. Ces pays, je les appelle des Etats mendiants: ils vivent presque uniquement des subventions de l’aide régionale européenne qui vise à rééquilibrer les situations économiques entre les Etats membres. L’année dernière, cette aide s’élevait à 63 milliards d’euros. Je propose donc de suspendre ces versements pour forcer ces pays à accepter la répartition des réfugiés.

– Dans ces pays, les partis populistes et eurosceptiques continuent leur ascension. Leur couper les vivres ne pourrait-il pas créer une crise diplomatique?
– La population est déjà braquée. C’est la seule solution, car nous sommes dans un rapport de force. Mais la Suisse est aussi fautive. Notre parlement a voté une participation au fonds régional. C’est- à-dire que 1,3 milliard de francs suisses ont été envoyés, sans aucune condition, à ces Etats mendiants. Tout ça, c’est l’argent du contribuable suisse! Mes impôts, les vôtres financent donc des gouvernements fascistes qui sont les vrais responsables de la concentration des réfugiés dans ces zones. Nous, Suisses, donnons de l’argent à Viktor Orban pour qu’il installe des barbelés, construise des prisons pour réfugiés, forme des brigades d’intervention spéciales, dresse des chiens contre des humains sans défense. C’est inadmissible et moi, contribuable suisse, je ne veux pas participer à ça.

– En Suisse, les nouvelles demandes d’asile baissent considérablement et les centres d’accueil ferment leurs portes. Peut-on imaginer que notre pays fasse un geste pour les habitants de Moria?
– La Suisse devrait accepter les réfugiés par contingents. C’est ce qui avait été mis en place à la fin des années 1990 avec la population kosovare. Les gens n’ont pas à prouver qu’ils ont été individuellement victimes de torture ou autre, ils ont juste à prouver leur provenance géographique et le processus n’est pas individuel. C’est ce que nous devrions faire pour ceux venant d’Idlib, de Kandahar ou de Kaboul. Des régions où la vie humaine est mise en danger en permanence par des bombardements ou des attaques.

– Croyez-vous que cela soit réaliste alors que le thème de la migration n’a même pas été abordé lors de la campagne pour les élections fédérales? Les Suisses n’en ont-ils pas assez d’entendre parler de ça?
– Je trouve honteux et scandaleux qu’aucun parti ne se soit penché sur ce sujet alors que c’est l’un des drames les plus effroyables de notre époque. Si le Secrétariat d’Etat aux migrations fait un travail remarquable, le Conseil fédéral manque cruellement de courage et a peur de l’UDC comme le lapin face au serpent. Quant à l’opinion suisse, vous avez raison, elle ne veut pas savoir, elle refoule. Dans une lettre à Oskar Pollak, Franz Kafka écrivait ceci: «Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.» Si seulement le mien pouvait aider à briser ce mur d’indifférence, ce serait déjà beaucoup.

– La Suisse est-elle toujours un pays à tradition humanitaire?
– Non, il faudrait une insurrection des consciences. D’ailleurs, vous regardez le téléjournal, les journaux, le drame des réfugiés est complètement absent. Cette tragédie se déroule tous les jours dans une normalité glacée en Europe. Et c’est cela qui est incroyable. Cela ne se déroule pas dans un sultanat lointain. C’est sur notre sol. Et la situation est entretenue par des Européens, au nom d’une Europe qui devait être l’incarnation des valeurs des droits de l’homme. Et moi, je suis Européen, merde!

– Votre capacité d’indignation reste intacte. A votre âge, 85 ans, comment expliquer que vous ne soyez pas blasé ou amer?
– Ce qui nous sépare des victimes n’est que le hasard de la naissance. J’ai eu cette chance d’être né dans un pays libre et, du fait de ma carrière universitaire et de mes livres, d’avoir un droit d’expression considérable, un pouvoir d’analyse et de persuasion. J’ai occupé des positions qui m’ont donné une tribune. Aujourd’hui, si j’arrêtais de me battre, aussi puissant que soit l’adversaire, je ne pourrais pas me regarder dans un miroir. C’est très banal, finalement, je veux mourir vivant.

* Frontex est l’agence européenne de gardes-frontières des Etats membres de l’UE et de l’espace Schengen. Si elle dispose d’une réserve de 1500 agents aujourd’hui, son déploiement est progressif et devrait atteindre le nombre de 10 000 agents en 2027. La Suisse vient d’ailleurs d’accroître le montant de sa participation, à 75 millions de francs en 2024 contre 14 millions en 2019.

Source https://www.illustre.ch/magazine/jean-ziegler-avons-recree-camps-concentration?utm_source=Newsletter+L%27illustr%C3%A9&utm_campaign=2176895fae-NEWSLETTER_ACTU&utm_medium=email&utm_term=0_2df58ceca6-2176895fae-118489717&fbclid=IwAR2ozTPep0gDwDkxvpE3lAlh3mvSMsEwRT3J_jJYK_5mxem0wjkkZJm4988

Répression, expulsion et dépossession dans la Grèce de nouvelle démocratie

Auteur  : Theodoros Karyotis

La dernière attaque contre le mouvement de squats en Grèce est le préambule d’une opération massive de dépossession de logements par le gouvernement de droite.

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Dimitris Indares était encore en pyjama lorsque la police a frappé à sa porte dans le quartier de Koukaki, à Athènes, aux premières heures du mercredi 18 décembre. Peu de temps après, il était allongé sur le sol de la terrasse de sa maison, avec la botte d’un policier des opérations spéciales sur la tête. Lui et ses deux fils adultes ont été battus, menottés, les yeux bandés et placés en garde à vue. Quel était le crime d’Indares ? Il avait refusé de laisser passer la police à son domicile sans mandat dans le cadre de son opération d’expulsion du squat qui se trouvait juste à côté.

Le profil d’Indares n’est pas celui d’un squatteur. Un réalisateur de 55 ans et professeur d’école de cinéma, un propriétaire d’une maison, politiquement modéré avec des vues conservatrices, travaillant dur pour que ses fils aillent à l’université. On pourrait dire qu’il est un membre typique de la classe moyenne grecque instruite et un électeur typique du parti au pouvoir Nouvelle Démocratie. Ce fait n’a pas empêché la police de porter des accusations criminelles fabriquées contre lui, accompagnées d’une opération de diffamation.

Le ministre de la Protection des citoyens lui-même a menti sans honte en disant  que la police avait un mandat, que Indares avait résisté à son arrestation et tenté d’arracher l’arme à un policier, que ses deux fils se trouvaient à l’intérieur du squat voisin et qu’ils avaient attaqué la police. Malgré de nombreux témoignages du contraire et la fuite d’un enregistrement audio du moment où Indares a été détenu qui réfute les accusations, les mensonges du ministre ont été répétés avec force par la machine de propagande du gouvernement : les médias de masse appartenant à une poignée d’oligarques alliés au parti au pouvoir.

Même lorsque Nikos Alivizatos, le Médiateur pour les violences policières nommé quelques mois plus tôt par le ministre lui-même, a menacé de démissionner au vu des preuves de brutalité policière, la presse grand public n’a pas tardé à qualifier le professeur de droit constitutionnel de gauchiste qui se range du côté des squatters.

Le cas de Indares a fait l’objet d’une  grande publicité, beaucoup dénonçant les mensonges. Cependant,  le gouvernement et ses faiseurs d’opinion ont refusé de faire marche arrière. Ce qui est préoccupant ici, c’est que cette vague massive de soutien n’est venue que lorsqu’un « père de famille moyen » a vu ses libertés civiles violées.

Depuis que  Nouvelle Démocratie a été élue avec un programme « loi et ordre » en juillet dernier, la police agit comme une armée d’occupation dans les villes grecques, violant régulièrement les droits de l’homme et la dignité. Les détentions arbitraires, la torture,les passages à tabac, les attaques au gaz lacrymogène, les descentes dans les cinémas et les boîtes de nuit,l’humiliation publique,les insultes verbales ont été à l’ordre du jour.

Malgré tout, tant que la violence arbitraire de la police était dirigée contre les manifestants,les jeunes, les étudiants, les squatters,les homosexuels,les immigrants ou les marginaux,  la réaction de l’opinion publique  face aux violations flagrantes et quotidiennes des droits de l’homme était au mieux timide. Malheureusement, de telles pratiques odieuses sont rendues possibles par le soutien actif ou passif d’une partie de la société grecque qui a été convaincue que dans la lutte contre l’ennemi intérieur, tous les moyens sont légitimes, même la violation des droits constitutionnels et de la dignité humaine.

Indares lui-même, dans des déclarations à la presse après sa libération en attente de son procès, semblait confus quant à ce qui l’a vraiment frappé. Il est évidemment consterné par la campagne de diffamation menée contre lui, mais il semble se considérer comme la victime innocente d’une guerre juste. Dans l’enregistrement audio divulgué du moment de son arrestation, on l’entend reprocher à la police d’« agir comme des anarchistes », alors que la possibilité que des anarchistes entrent par effraction chez lui, le battent et le kidnappent est inexistante. Dans son désir de rester modéré, Indares ne reconnaît pas le caractère arbitraire de la répression policière ni la fonction de distorsion de la réalité des médias, tant que les gens pacifiques et travailleurs comme lui, restent à l’abri de cette violence.

Mais ce sont précisément les citoyens  épris de paix comme lui qui ont le plus à perdre dans ce nouveau cycle de dépossession en Grèce.

LA DOCTRINE  « LOI ET ORDRE »

Aujourd’hui en Grèce, plus rien ne rappelle les mobilisations massives et diverses de 2010-2015 contre le programme d’ajustement structurel. Cependant, les conditions matérielles ne se sont pas améliorées pour la majorité de la population, et les politiques d’austérité n’ont pas été inversées. Au contraire, l’austérité a été « naturalisée » : elle n’est plus vue pour ce qu’elle est — une opération massive de transfert de richesse des classes populaires vers le capital national et international — mais comme une catastrophe naturelle, un peu comme une inondation qui balaie tout et vous laisse devoir  reconstruire à partir de zéro.

Le mandat de Syriza au gouvernement a grandement contribué à cette situation. Malgré ses réformes socialement progressistes en matière de droits individuels, l’incapacité de Syriza à contester l’austérité et la poursuite de politiques prédatrices ont eu un « effet TINA » — convaincre la population qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité. La seule ligne de conduite possible, leur fait-on croire, est d’élire la force politique qui peut le mieux la gérer; et les médias de masse, mettant à  l’ordre du jour les sujets de la  sécurité, de l’immigration et du nationalisme, ont convaincu la plupart des électeurs que le meilleur gestionnaire de l’austérité est Nouvelle Démocratie  de Kyriakos Mitsotakis, de droite qui a remporté les élections de juillet.

Mitsotakis, issu d’une longue lignée de politiciens, est né avec une cuillère d’argent dans la bouche. En 1999, tout juste sorti de ses études à Harvard et Stanford, il a obtenu un emploi de gestionnaire de fonds d’investissement à Athènes en utilisant les relations de son père, gagnant l’équivalent de 10 000 euros par mois. Au cours de la dernière décennie, il  s’est forgé l’image de l’héritier qui vient revigorer  l’ancien régime discrédité. Ce que d’autres appelleraient privilège et  népotisme, il  l’a vendu comme « excellence » : c’était le cri de ralliement de sa campagne électorale, avec la promesse d’appliquer la loi et l’ordre.

L’incarnation actuelle du parti Nouvelle Démocratie est une alliance entre ses courants néolibéraux et d’extrême droite, marginalisant le courant de centre-droit qui était dominant dans les années 2000. Mitsotakis et sa troupe de technocrates aristocratiques  se sont entourés de personnalités de la télévision ultra-conservatrices, alarmistes, moralisatrices et nationalistes

Il convient de noter qu’il ne s’agit pas d’une alliance temporaire autour du partage du pouvoir, mais d’une alliance fondée sur un projet commun solide. Le point commun des deux factions est une sorte de darwinisme social, dans lequel les appels à la rationalité économique sont alternés dans le discours du gouvernement avec des truismes racistes et sexistes pour justifier et naturaliser ses politiques répressives et d’exclusion. De plus, les deux factions s’accordent sur le renforcement des valeurs conservatrices et de la structure familiale traditionnelle en tant qu’institution qui absorbera les chocs sociaux permanents de l’ère post-mémorandum.

Outre son discours technocratique et sa promesse de croissance économique, Nouvelle Démocratie a utilisé une rhétorique anticommuniste qui rappelle la guerre froide, ainsi qu’un révisionnisme historique qui cherche à éliminer la résistance populaire de l’histoire récente du pays. Grâce à des récits nationalistes, xénophobes et homophobes, elle a réussi à débaucher les électeurs du parti néo-nazi Aube dorée, qui, acculé par les actions du mouvement antifasciste, un procès en cours, une division interne et la montée de nouvelles formations politiques d’extrême droite, n’a pas réussi à entrer au parlement en Juillet, pour la première fois depuis 2012.

À cet égard, la doctrine « loi et ordre » est un élément essentiel de la stratégie du gouvernement. Comme pour les gouvernements précédents, sa capacité d’exercer sa propre politique est extrêmement limitée, car, malgré la fin formelle des « mémorandums » de sauvetage, les politiques économiques et étrangères sont toujours dictées par les « partenaires » et les « alliés » du pays, et il y a une surveillance et évaluation constantes de la législation et des résultats budgétaires par des organes étrangers nommés de l’extérieur. La « sécurité intérieure » est donc le seul domaine où le gouvernement peut réellement mettre son énergie et légitimer son pouvoir aux yeux de sa clientèle électorale de plus en plus conservatrice.

Le déploiement des forces de police dans les zones urbaines s’est donc  transformé en un grand spectacle, le mouvement anarchiste étant identifié comme le principal adversaire. Le ministre de la Protection des citoyens, Michalis Chrisohoidis, notoirement autoritaire, a lancé un ultimatum de 15 jours à tous les squatteurs pour qu’ils quittent volontairement leurs bâtiments sous peine d’expulsion forcée.

L’ultimatum devait expirer le 6 décembre, date anniversaire de l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos par la police en 2008, date qui attire régulièrement des foules de manifestants dans les centres-villes. Cependant, le plan s’est retourné contre lui après les expulsions de Koukaki ; face à une mobilisation accrue et à des critiques généralisées de la violence policière, le ministre a dû mettre le plan en attente pour redéfinir ses tactiques répressives.

Squatter sur le terrain de la petite propriété

Incidemment, ce sont les émeutes de 2008 qui ont incubé le mouvement des squatters en Grèce; squatter a persisté comme une pratique d’auto-organisation populaire dans les années de mobilisation qui ont suivi.  Aujourd’hui, il y a des centaines de squats en Grèce, parmi lesquels des logements pour les habitants et les immigrants, des centres sociaux, des fermes urbaines et des usines.

Les squats sont une partie importante de l’infrastructure sociale mise en place par les mouvements contestataires qui cherchent à libérer l’activité humaine et la  vie en société de la marchandisation et du consumérisme, et à expérimenter des structures de prise de décision et de coexistence plurielles. Malgré leur caractère expérimental et incomplet, les squats sont un rappel vivant qu’il peut exister des espaces sociaux et des relations en dehors de la règle du capital, en dehors du cycle travail-consommation-sommeil

Les squats sont également  des lieux où les habitants et les immigrants coexistent et où les demandeurs d’asile créent leurs propres structures d’autogestion, en réponse aux conditions inhumaines imposées aux nouveaux arrivants dans les camps de réfugiés. Tous les gouvernements de l’ère des mémorandums s’entendent pour dire que les alternatives sociales doivent être réprimées. La présente campagne d’expulsions est donc une intensification des tactiques des gouvernements précédents, y compris celle de Syriza.

Même si la grande majorité des espaces squattés sont des bâtiments  abandonnés, non entretenus,  appartenant à l’État, à des fondations privées, de riches héritiers ou l’église, les  petits propriétaires en sont venus à voir le squat comme une menace à leurs propres intérêts. Cela peut être dû au fait que la petite propriété immobilière est fondamentale dans la société grecque. Après la Seconde Guerre mondiale, contrairement aux politiques de logement social de l’Europe du Nord, l’État grec a activement promu l’auto-construction, considérant la propriété immobilière comme le facteur de compensation  qui garantirait la réconciliation nationale d’un peuple profondément divisé et marqué par la guerre civile.

En conséquence, la Grèce se caractérise par la dispersion de la petite propriété et l’un des taux les plus élevés de propriétaires en Europe, même si un quart de la population est sans propriété et condamné à un secteur locatif très volatile sans politique de logement en place comme  filet de sécurité. Bien que les mesures d’austérité aient transformé la propriété immobilière d’un actif en un passif par la surtaxation et la baisse des prix de l’immobilier, la propriété  reste toujours un signe majeur  dans l’imaginaire du progrès pour une majorité de Grecs.

La propriété immobilière signifie donc beaucoup plus qu’un logement. C’est la mesure de la réussite d’une famille, son moyen de mobilité sociale, l’atout à transmettre à la génération suivante et, en l’absence de politiques adéquates de protection sociale de l’État, la couverture contre un avenir incertain. Cela peut  expliquer en grande partie  l’opposition de principe de la plupart des Grecs à la pratique du squat, malgré le fait que la petite propriété familiale n’est jamais la cible des squatteurs. Mais cela peut aussi aider à expliquer le fait que depuis le début de la crise, une loi spéciale sur l’insolvabilité protège la résidence principale hypothéquée des débiteurs à faible revenu en retard de paiement contre  la saisie  et la liquidation par les banques.

Bien que, dans de nombreux cas, des saisies aient encore eu lieu, cet arrangement a contribué à maintenir la paix sociale en empêchant les expulsions massives de familles  des classes ouvrière et moyenne. Étant donné que la famille occupe une place prépondérante en Grèce et qu’elle a supporté le poids de l’ajustement structurel, tous les gouvernements jusqu’à présent, quelle que soit leur orientation politique, ont respecté cet arrangement. Toutefois les choses sont sur le point de changer.

PROBLÈMES FAMILIAUX

La prééminence de la famille sur le plan socio-économique grec n’est pas due à une « psyché » grecque prétendument centrée sur la famille, mais elle est le produit d’un mode de développement économique historique « familial », dans lequel l’unité familiale élargie a été rendue responsable de la protection et du bien-être de ses membres et a assumé des tâches de reproduction qui, dans les pays d’Europe du Nord, étaient assurées par l’État providence.

Dans la seconde moitié du 20e siècle, ce modèle de développement soigneusement conçu et mis en œuvre a permis à la Grèce d’atteindre des taux élevés de croissance économique basés sur une main-d’œuvre bon marché avec un coût minimal pour l’État et les employeurs. Dans ce contexte, le clientélisme, l’évasion fiscale, la corruption, le laxisme dans l’application des règlements et autres  » particularités  » grecques n’étaient pas des comportements pathologiques, comme les manuels économiques voudraient nous le faire croire, mais des comportements adaptatifs parfaitement rationnels, sanctionnés par l’État, de la famille qui cherchait à rivaliser et à maximiser sa richesse afin de fournir du bien-être à ses membres, en l’absence de tout autre mécanisme de redistribution.
Les effets secondaires malsains d’un tel arrangement sont apparus à la fin des années 2000, avec un grand nombre de travaux théoriques et artistiques critiquant la structure patriarcale oppressive de la famille grecque. L’incarnation de cette critique se trouve dans le mouvement cinématographique connu sous le nom de  » Greek weird wave « , lancé par le film primé de Giorgos Lanthimos, Dogtooth, une parabole sur les complications claustrophobes et de distorsion de la réalité de la famille patriarcale co-dépendante. La volonté de critiquer et de dépasser la formation familiale traditionnelle et de célébrer les nouvelles identités et les nouveaux arrangements sociaux s’est manifestée dans la mobilisation et l’expérimentation des mouvements sociaux au cours de la décennie suivante.

Cette critique a cependant été de courte durée. Pour l’alliance des néolibéraux et de l’extrême droite qui dirige actuellement le pays, la recomposition de la famille traditionnelle est une pièce centrale.

Les raisons de l’extrême droite sont claires : la famille patriarcale est le laboratoire biopolitique de base de la nation, renforçant les tâches reproductives des femmes, contrôlant les aspirations et les comportements de ses membres, imposant le genre et l’orientation sexuelle  » corrects « , la langue et la religion uniques.

Pour les néolibéraux, les raisons sont un peu plus profondes : malgré l’accent discursif mis par le néolibéralisme sur l’individu rationnel qui s’est fait tout seul, la famille reste la structure chargée de faciliter ses projets de privatisation et d’éradication de toutes les prestations sociales. En plus du travail  non rémunéré, la famille, par l’investissement, l’endettement et la redistribution interne, absorbera une fois de plus les chocs de l’ajustement structurel et protégera ses membres dans la guerre totale qu’est l’économie privatisée, atténuant ainsi la crise de la reproduction sociale qui est synonyme d’expansion néolibérale. Dans la société d’individus isolés et égoïstes envisagée par le néolibéralisme, la famille traditionnelle est le filet de sécurité ultime ; son autorité sur ses membres est donc activement renforcée.

L’austérité a déjà ouvert la voie à une telle renaissance des valeurs familiales conservatrices. La baisse des revenus et les taux de chômage élevés ont condamné toute une génération de jeunes à rester économiquement dépendants de leurs parents ; ils sont souvent contraints de vivre avec eux jusqu’à une trentaine d’années. Cela renforce l’autorité morale de la famille patriarcale sur les membres dépendants de la famille.

Cependant, la renaissance des valeurs familiales traditionnelles a également nécessité un renforcement externe : tout au long des périodes de crise, les médias ont maintenu le peuple grec dans un régime constant de nationalisme, de religion et de panique morale. Des récits réactionnaires homophobes, anti-avortement ou misogynes ont fait leur chemin dans tous  les recoins de la culture de masse et des hordes de personnes influentes d’extrême droite ont promu la fable selon laquelle la culture patriarcale traditionnelle est l’objet de persécutions politiques de la part de la gauche.

Ce fut le substrat d’un processus continu de construction de  » l’ennemi intérieur  » :  toute personne qui ne contribue pas à la reproduction culturelle et physique de la nation : les mouvements sociaux, les immigrants, les anarchistes, les personnes LGBTQ, les personnes aux prises avec des maladies mentales, les toxicomanes et les Roms. A côté de la biopolitique de la cellule familiale traditionnelle, il y a la thanatopolitique – une politique de mort – de l’État et des néo-nazis. Aux meurtres très médiatisés du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas et du militant des droits des homosexuels Zak/Zackie Kostopoulos, il faut ajouter les milliers d’habitants et d’immigrants qui sont jugés indignes de vivre et à qui on refuse les droits et l’aide de base, souvent avec des conséquences fatales.

Comme dans beaucoup d’autres pays, l’austérité en Grèce n’a pas conduit à des solutions positives tournées vers l’avenir, mais à une régression conservatrice accélérée. Malgré l’apparition d’un large consensus social autour des valeurs conservatrices, la classe dirigeante sait que ce nouvel équilibre est très délicat, car la politique de dépossession de la majorité sociale par le capital local et international est loin d’être terminée. Et le prochain cycle de dépossession en Grèce se concentre sur ce qui est le plus cher aux Grecs : le logement.

INTENSIFICATION DE LA DÉPOSSESSION DU LOGEMENT…

L’effet net des politiques d’austérité en Grèce a été une vaste redistribution des richesses vers le haut. Selon les données de l’ONU, entre 2007 et 2017, malgré des taux de croissance du PIB essentiellement négatifs, le 1 % de la population ayant les revenus les plus élevés a vu ses revenus augmenter de 6 %, tandis que les 40 % ayant les revenus les plus faibles ont perdu 44 %.

En raison de la baisse des revenus, ainsi que des pratiques de prêt  inconsidérées des banques en temps de pré-crise, les Grecs ont commencé à ne plus pouvoir effectuer des paiements. Les prêts hypothécaires non performants ont explosé, passant de 5 % de tous les prêts hypothécaires en 2008 à 45 % en 2019. La tragédie sociale a été évitée grâce au cadre juridique de protection de la résidence principale mentionné ci-dessus, qui a permis une décote modérée, une renégociation et une subvention des prêts hypothécaires pour les propriétaires à faible revenu surendettés. Malgré cette mesure, à la fin de 2019, 350 000 prêts hypothécaires, d’une valeur de 25 milliards d’euros, étaient toujours en souffrance, ce qui compromettait la sécurité du logement pour une grande partie de la population.

Toutefois, la protection des propriétaires n’était pas la seule motivation derrière le cadre de protection de la résidence principale ; cet arrangement a également servi à protéger les intérêts du secteur bancaire. Au plus fort de la crise de la dette, les prix de l’immobilier avaient chuté et la liquidation des actifs hypothéqués aurait donc été très dommageable. Les banques ont dû gagner du temps jusqu’à ce que les prix de l’immobilier remontent. Et cette condition a été remplie en 2018, lorsque, malgré la faible demande intérieure, les prix ont été poussés à la hausse par les pressions croissantes sur le marché immobilier : le déploiement des Real Estate Investment Trusts à la suite d’importantes réductions d’impôts, un programme de  » Visa d’or  » offrant une résidence aux citoyens non européens qui investissent plus de 250 000 € dans l’immobilier, et, surtout, une forte augmentation des locations à court terme, notamment par le biais d’Airbnb.

Avec la remontée rapide des prix, les banques ont travaillé dur pour accélérer les saisies et les ventes aux enchères de logements hypothéqués, ainsi que pour vendre des  » paquets  » d’actifs déjà saisis à des fonds étrangers. Sous la pression des  » partenaires  » internationaux de la Grèce, le gouvernement abolit le premier cadre de protection des résidences en mai. Jusqu’à 200.000 maisons sont menacées de saisie au cours de l’année prochaine.

Cela représente une intensification de la tendance à la dépossession de logements qui a déjà changé le visage des villes grecques au cours des dernières années. Koukaki, le quartier de Dimitris Indares, est un exemple de cette tendance. En l’absence de protection des locataires, Koukaki a vu de nombreux locataires jetés dehors, leurs maisons achetées par des investisseurs étrangers ou locaux et transformées en appartements touristiques. Les loyers exorbitants – souvent supérieurs au salaire moyen – chassent les habitants du quartier, aspirant ainsi la vie d’un quartier autrefois animé, désormais de plus en plus orienté vers le service aux touristes à la recherche de  » l’expérience athénienne authentique « .

Lors d’une manifestation anti-Airbnb en juillet 2019, des voisins pacifiques ont été confrontés à des violences policières non justifiées. L’expulsion de trois squats au petit matin du 18 décembre à l’aide de balles en caoutchouc – l’opération qui s’est terminée par le raid au domicile d’Indares – a fait partie intégrante de l’effort du gouvernement pour réprimer toute résistance au violent développement touristique. D’autres quartiers, tels que le centre du mouvement social Exarchia, ont des histoires similaires à raconter.

…ET LE RENFLOUEMENT DES BANQUES, ENCORE

En décembre dernier, le Parlement a approuvé le plan « Hercule » de vente de 30 milliards d’euros de prêts non performants à des fonds, l’État se portant garant. Les prêts seront vendus à une fraction du prix nominal, et les fonds auront toute latitude pour en exiger le remboursement intégral, ce qui entraînera des saisies et des ventes aux enchères de biens immobiliers en garantie, y compris des propriétés commerciales et résidentielles.

Le symbolisme du nom est clair : comme le mythique Hercule a détourné deux rivières pour nettoyer les écuries  d’Augeas de tonnes de fumier, de même le gouvernement détourne jusqu’à 12 milliards d’euros de ses réserves pour garantir ces  prêts toxiques et nettoyer les comptes des banques. Ce n’est pas simplement « l’argent du contribuable » : c’est l’argent du sang extrait du peuple grec par des mesures d’extrême austérité.

Le paradoxe est que, alors que la loi interdit aux banques d’offrir de généreuses  et des renégociations aux débiteurs, elles sont maintenant autorisées à vendre les créances douteuses même à 7 ou 10 pour cent de la valeur nominale pour les sortir de leurs livres, et l’État utilise ses réserves pour garantir ce transfert de richesse à taux réduit vers des fonds étrangers spécialisés dans les « actifs en difficulté ». Le plan « Hercule » constitue donc une recapitalisation indirecte des banques grecques, la quatrième depuis le début de la crise, toujours avec l’argent du contribuable.

Ce plan – avec l’abolition imminente de la protection de la résidence principale, la grande vague de saisies immobilières qui est déjà en cours, et la vente  de  » paquets  » de biens immobiliers déjà saisis par les banques à des fonds – constitue une opération bien orchestrée de dépossession de logements en Grèce. Des milliers de familles sont menacées d’expulsion, leurs maisons étant finalement détenues par des sociétés étrangères à des prix bien inférieurs à leur valeur marchande.

Alors que les acteurs immobiliers se préparent à attaquer, le modèle de logement grec – caractérisé par une petite propriété généralisée et un pourcentage élevé d’occupation par les propriétaires – va commencer à vaciller. Cela ne manquera pas de générer des souffrances humaines, car le contexte est celui d’une montée en flèche des prix des loyers et d’une absence totale de politiques de logement efficaces pour absorber le choc.

Partout dans le monde, là où le néolibéralisme s’installe, les solidarités sociales s’effondrent, les inégalités s’intensifient et les gouvernements déploient une force de police militarisée, brutale et sans obligation de rendre des comptes pour contenir le mécontentement populaire. L’année 2019 a été riche en exemples de ce genre, du Chili et de l’Équateur au Liban et à la France. Dans le contexte grec, l’attaque permanente du gouvernement contre le mouvement des squats a une double fonction : d’une part, elle vise à neutraliser  » l’ennemi intérieur  » et à éliminer l’un des rares bastions  de critique et de résistance à la dépossession, à l’embourgeoisement et à la  » rénovation urbaine « . D’autre part, ils essaient  les tactiques répressives qu’ils vont employer dans la vague imminente de saisies de logements, testant les réflexes de la société à la violence extrême et arbitraire, et envoyant un message positif aux  » investisseurs  » potentiels qu’aucun effort ne sera épargné pour protéger leur  » investissement « .

Paradoxalement, si la tendance actuelle à la dépossession des logements se poursuit, Dimitris Indares et de nombreux citoyens pacifiques comme lui vont se rendre compte que, malgré leurs désirs et leurs aspirations, leur sort est davantage lié à celui des squatters d’à côté qu’à celui du gouvernement grec et des organisations financières internationales qu’il sert.

Theodoros Karyotis

Theodoros Karyotis est un sociologue, traducteur et activiste qui participe à des mouvements de base. Il mène actuellement des recherches sur la propriété et le logement à Thessalonique, en Grèce.

Source https://popularresistance.org/repression-eviction-and-dispossession-in-new-democracys-greece/

Rappel réunion du collectif le 22 janvier

La prochaine réunion du collectif se tiendra le mercredi 22 janvier 2020 à 15h Salle 123 à la  Maison des associations, 6 rue Berthe de Boissieux à Grenoble.

L’ordre du jour sera celui initialement prévu pour la réunion du 16 décembre 2019 exceptionnellement annulée : le fonctionnement du collectif

  • le devenir,
  • les partenaires,
  • les types d’actions.

Le nouveau système de retraite est un piège pour les syndicats

Par Romaric Godin

Après son « compromis » bâti avec le gouvernement, la CFDT a basculé, le week-end du 11 janvier, dans le camp néolibéral. Car le projet de loi confirme que le futur système des retraites sera réduit à la gestion des conséquences, sur les pensionnés, de la politique de compétitivité.

Pour saisir la nature du « compromis » trouvé entre la CFDT et le gouvernement samedi 11 janvier, il faut interroger sa signification sur le fonctionnement futur du système de retraite. Quel a été le vrai prix à payer par la centrale de Belleville pour le « retrait provisoire » de l’âge pivot dans le système actuel ? Il est plus élevé qu’on peut le penser, car ce qui a été accepté, bien davantage qu’une question technique sur les retraites, c’est un projet d’ensemble, économique et social.

La « règle d’or » financière : un nouveau carcan pour le système des retraites

Pour obtenir sa victoire symbolique, la CFDT a effectivement accepté un cadre très précis de gestion du système d’assurance-maladie, puisque le syndicat a décidé de conclure ce compromis une fois connus les deux projets de loi (organique et ordinaire). Il n’y a donc aucune ambiguïté possible sur ce qui a été rejeté et ce qui a été accepté.

Or, deux éléments clés ont été adoptés par la centrale de Belleville qui risquent rapidement de se transformer en pièges. Le premier, c’est la « règle d’or » financière, présente dans l’article 1 de la loi organique, qui interdit tout déficit sur cinq années consécutives, quelle que soit la situation macroéconomique. Ce cadre est très restrictif. En effet, l’ampleur des chocs conjoncturels oblige souvent le système à afficher un déficit plus large en raison de la baisse des recettes liée à la hausse du chômage. Comme le rappelle l’économiste Henri Sterdyniak dans une note publiée lundi 13 janvier, le déficit du système des retraites a été, durant la période 2009-2013, de 0,6 % du PIB. Avec, rappelons-le, un PIB qui a reculé de 2,2 % en 2009, forcément beaucoup plus que le montant des prestations à payer aux retraités.

Cette capacité d’absorption de la crise n’était pas anecdotique pour l’économie française. D’abord, parce qu’elle entraîne une dégradation relativement modérée des comptes publics. Mais surtout parce qu’elle permettait de maintenir les revenus des retraités et, ainsi, d’amortir les effets de la crise sur la consommation des ménages. Elle jouait le rôle de « stabilisateur automatique » qui ne peut fonctionner que si on laisse filer les déficits.

Une fois la croissance revenue, les recettes suivent et le déficit se résorbe. Entre 2016 et 2018, le régime général de l’assurance-vieillesse a ainsi affiché un excédent cumulé de 2,9 milliards d’euros. Avec la nouvelle règle d’or, c’en sera terminé : en cas de crise, il faudra trouver des solutions rapides de réduction des déficits. Cela induira des mesures rapides. Mais il faudra aussi dégager des excédents à la mesure des déficits causés par la crise. Autrement dit : cette règle d’or signifie une austérité permanente et la mort d’un des principaux stabilisateurs automatiques de l’économie française.

Car la CFDT a accepté, dans ce compromis, un autre élément en forme de piège : elle a agréé aux conditions du retour à l’équilibre financier en 2027 « sans augmentation du coût du travail ». En acceptant cette condition, la CFDT reconnaît l’impossibilité d’ajuster le système par les recettes.

Certes, cette concession est limitée au système actuel. Sauf que la règle d’or financière, elle, s’applique dès 2025 à l’ensemble du système des retraites, autrement dit pas seulement au système par points. Certes, l’autre condition est le refus de « baisser les pensions ». Mais que signifie ce terme ? S’agit-il de préserver un niveau nominal ou réel ? S’agit-il de préserver un taux de remplacement des salaires ? Il existera de nombreux moyens d’ajuster par le montant des pensions le système. Dans ce cas, les retraités seront sans doute amenés à compléter leur retraite par des emplois. Le projet de loi ordinaire contient, au reste, et sans surprise, dans son article 25, des mesures pour améliorer « l’attractivité du cumul emploi-retraite ».

Inévitablement, c’est bien l’allongement de la durée de cotisation ou de l’âge légal pour l’ancien régime par annuités qui permettra d’équilibrer, en cas de crise, l’ensemble du système des retraites. Autrement dit : on a abandonné l’âge pivot pour prendre des mesures d’allongement de la durée du travail, seule possibilité qui sera laissée à la conférence de financement.

Or, cet allongement de la durée du travail comme le cumul emploi-retraite n’ont qu’une fonction macroéconomique : augmenter « l’armée industrielle de réserve » en faisant pression sur le marché du travail et donc sur les salaires d’embauche. Le système des retraites est désormais axé sur cette seule obsession qui, in fine, risque de réduire les revenus réels des travailleurs et des retraités.

Une gouvernance très encadrée

Et c’est ici que se referme le second piège : celui de la gouvernance future du système. La CFDT soutient un système par points au nom de l’universalité du régime revendiquée par les fondateurs de la Sécurité sociale. Mais ces derniers se sont toujours refusés à un système étatisé : de 1945 à 1967, ce sont les salariés seuls qui ont géré le système. Or, le projet de loi crée bel et bien un système où l’État a le dernier mot.

On pourrait y voir un élément positif, dans la mesure où l’État pourrait incarner l’intérêt général issu du débat démocratique. Mais cela relève de la naïveté à plus d’un titre. En réalité, le système universel de retraite tel qu’il apparaît dans le projet de loi semble plusieurs fois verrouillé pour empêcher toute hausse des cotisations et des dépenses liées aux retraites.

Certes, l’article 55 du projet de loi évoque formellement la possibilité pour le conseil d’administration de la caisse nationale de retraite universelle (CNRU) de jouer sur le taux des cotisations d’assurance-vieillesse pour rééquilibrer financièrement le système. Mais cette option semble la moins probable. D’abord, parce que la gestion de ce conseil d’administration est paritaire et que le patronat français refuse tout relèvement du coût du travail au nom de la compétitivité externe. Ce n’est pas là un processus nouveau. Lorsque le paritarisme a été établi en 1967, c’était bien pour faire valoir les intérêts du patronat et donc préserver les taux de marge. Si néanmoins, on parvenait à imposer, à force de lutte, une telle augmentation, il surgirait immédiatement une deuxième difficulté : c’est le gouvernement qui prend la décision par décret « après avis du Comité d’experts indépendants ».

Or, ce Comité ignore la représentation syndicale. C’est pourquoi, en langage néolibéral, il est « indépendant ». Il ne l’est pourtant ni de l’État, ni d’une certaine idéologie, puisqu’il sera constitué, selon l’article 56, de quatre membres nommés par le président de la République (le président de ce Comité), celui de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Conseil économique, social et environnemental, ainsi que deux membres de la Cour des comptes. Encadré par cette dernière institution, ce comité sera clairement là pour fermer la porte à toute tentation de hausse des dépenses et des cotisations. C’est d’ailleurs lui qui fixera le cadre à long terme de l’action de la CNRU. C’est un des moyens les plus courants du néolibéralisme pour encadrer les décisions politiques : avoir recours à ces conclaves d’experts chargés de faire respecter la bonne route sous couvert d’expertise indépendante et de vision « rationnelle ». Dès lors, et c’est bien l’objet de ce type de comités, on voit mal l’État aller contre les experts. 

Et c’est là le dernier verrou : l’État n’est pas, à notre époque, le simple reflet de choix démocratiques. Il est encadré par des contraintes qui en font une puissance au service du capital, puisque les intérêts de ce dernier sont perçus comme l’intérêt général (à travers des phrases comme « ce sont les entreprises qui prennent les risques et créent des emplois »). Les limites de déficit, les divers comités « indépendants », l’incapacité à jouer sur la politique monétaire, la nécessité de fixer des orientations pluriannuelles des finances publiques (qui s’impose au cadre de la CNRU selon l’article 55) sont autant d’éléments qui renforcent et assurent cette tendance. Les tentatives avortées de sortie du cadre, de l’expérience de 1981 à celle de Syriza en Grèce, soulignent combien les choix de l’État, lorsqu’il veut briser ce cadre, sont contraints par les investisseurs et la compétition internationale. Seule la démocratie sociale représenterait alors un vrai contre-pouvoir. Et on a vu combien ce projet réduit cette dernière.

Dès lors, on parvient à ce paradoxe typique du néolibéralisme : l’étatisation conduit à une dépolitisation des choix économiques et sociaux. En centralisant les retraites sous le contrôle de règles financières contraignantes et de gardiens « indépendants », on ôte la capacité du système à prendre des choix alternatifs.

Les syndicats, limités à la gestion du désastre

Mais cela va encore plus loin. Car le dernier piège se referme avec l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2020 voté l’automne dernier. Cet article met fin au principe de la loi Veil de 1994 qui établissait la compensation de toutes les baisses de cotisations par l’État. Le gouvernement peut désormais, sans en aviser les partenaires sociaux, décider de réduire les cotisations sociales et choisir ou non de les compenser.

Or, l’article 1 du projet de loi organique sur les retraites, s’il fixe le cadre financier par la règle d’or, ne donne aucune garantie sur les ressources. On ne rétablit pas le principe de la compensation. Si donc, comme c’est hautement probable, le gouvernement poursuit sa politique de compétitivité-coût par la baisse du coût du travail, le conseil d’administration du CNRU sera chargé d’ajuster le système par des mesures qui font payer les retraités ou les futurs retraités. Ce sera d’abord l’allongement de la durée du travail grâce à l’âge d’équilibre qui reste bien dans le projet de loi pour le système par points et imposera ainsi un système de bonus/malus. L’âge d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie (article 10).

Ce sera ensuite la baisse du taux de remplacement des retraites par rapport au dernier salaire. De ce point de vue, le projet de loi en son article 9 offre certes une garantie en promettant une évolution positive des taux d’acquisition et de service (ou de conversion) des points acquis. Mais c’est en réalité une faible protection. D’ici à 2045, les deux taux seront compris entre l’inflation et le revenu moyen par tête. À partir de 2045, ils seront par défaut égaux au revenu moyen par tête. On assure que cette situation est meilleure que la revalorisation à l’inflation actuelle.

Mais il existe trois réserves. D’abord, les retraites de l’ancien système continueront à être revalorisées au niveau de l’inflation, ce qui va concerner pendant longtemps une grande majorité des retraités (les premières pensions issues en partie du système par points arriveront en 2037). Ensuite, la revalorisation au salaire moyen est la règle en Allemagne et cela n’a pas empêché une forte chute du taux de remplacement des salaires et même une baisse de la moyenne des pensions versées pour deux raisons : l’éclatement du marché du travail et la modération salariale. Les réformes du marché du travail vont donc jouer contre les futurs retraités.

Enfin, l’article 9 prévoit que le gouvernement aura finalement la main sur les taux d’acquisition et de service « en l’absence d’approbation » d’une délibération du CA de la nouvelle caisse de retraite universelle. Bref, l’État pourra, pour financer sa politique de compétitivité, réduire le taux de service du point.

Autrement dit : le système de retraite qui sera en place dès 2022 sera un système géré par les coûts et uniquement par les coûts. C’est d’ailleurs le vrai intérêt du système par points dit à cotisations définies. Les cotisants ignorent absolument le montant de leurs pensions et le taux de remplacement jusqu’au moment de leur retraite. C’est donc ce critère qui sert de variable d’ajustement. Pour s’en convaincre, on rappellera que les régimes complémentaires par points existant en France ont vu leur taux de remplacement se réduire d’un tiers entre 1993 et 2018.

Le système est centré sur l’équilibre financier et non sur le maintien du niveau de vie des retraités qui n’est pas évoqué dans le projet de loi. Et comme les syndicats n’auront aucune maîtrise, ni aucune garantie sur les ressources, ils ne seront que les gérants du désastre ou les accompagnateurs de l’ajustement du système par les retraités.

Accepter un tel système revient donc purement et simplement à accepter cette logique : le maintien d’un coût du travail faible permettra de créer assez d’emplois et de richesses pour équilibrer le système sans baisser le niveau de vie des retraités. C’est donc un aveu de confiance dans la logique de la politique de l’offre et de la défiscalisation du capital comme politique économique. Cette confiance semble étrange. Les cas suédois et allemand montrent que les retraités ont fait les frais de cette logique avec l’explosion du risque de pauvreté chez les personnes âgées de ces deux pays. C’est pourtant le choix implicite de la CFDT.

De ce point de vue, le gouvernement a remporté samedi 11 janvier une éclatante victoire. Car s’il a, pendant des mois, multiplié les concertations et cherché des compromis, ce n’est pas réellement par hésitation ou incertitude sur la réforme elle-même. Le projet de loi publié le 10 janvier reprend très largement les conclusions du rapport Delevoye dont les grands principes étaient en réalité prêts dès 2017.

Cette recherche du compromis ne visait donc pas à modifier le projet, mais en réalité, à faire accepter une politique économique centrée sur la compétitivité externe et la protection du capital aux syndicats. Son modèle, c’était la concertation suédoise de 1991-1992 qui avait débouché sur le système qui a constitué l’inspiration de la réforme française. Cette concertation avait créé un large consensus, allant de la droite jusqu’aux syndicats, autour de la nécessité de la stabilité financière et de la préservation du coût du travail. Mais, malgré son adhésion au système par points, la CFDT ne pouvait accepter officiellement des mesures d’économies puisqu’elle défendait une réforme de « justice sociale ». C’était sa position en novembre dernier. Dès lors, elle rejetait effectivement une logique qui est celle de la gestion par les coûts. Avec la tragicomédie de « l’âge pivot », sa position a changé.

En acceptant de discuter de mesures d’économies dans le cadre restrictif de l’équilibre financier sur cinq ans, d’une gouvernance encadrée et de la préservation du coût du travail, la confédération bascule ouvertement dans le consensus néolibéral. Jadis, le réformisme entendait contraindre le capitalisme à améliorer le sort des travailleurs. Il a aujourd’hui un autre sens : accepter de soumettre davantage les travailleurs à la loi du capital en espérant que ce dernier se montrera reconnaissant. Mais cette victoire du gouvernement pourrait n’être qu’une victoire à la Pyrrhus dans un pays qui n’est pas dupe des intentions de l’exécutif.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/130120/le-nouveau-systeme-de-retraite-est-un-piege-pour-les-syndicats?onglet=full

Grèce : 19.000 personnes entassées dans le plus grand camp d’Europe !

Cette semaine à Lesbos, le nombre d’adultes et d’enfants confinés dans des conditions épouvantables vient d’atteindre un nouveau record.

GRÈCE : 19.000 PERSONNES ENTASSÉES DANS LE PLUS GRAND CAMP D’EUROPE !

Le camp de Moria, conçu par l’Union Européenne avec un rôle prédominant de la France (à l’époque de Bernard Cazeneuve), était prévu au départ pour accueillir moins de 3000 personnes. Depuis 2016, les souffrances, violences et décès se sont succédés sans qu’un terme ne soit réellement donné à cette honte.

Parallèlement, depuis l’été passé, le nouveau gouvernement grec a amplifié les représailles contre les squats qui accueillent réfugiés et migrants dans l’autogestion*, notamment au sein du quartier rebelle et solidaire d’Exarcheia qui rassemble environ la moitié des squats d’Athènes.

Pour le pouvoir, en Grèce comme ailleurs, nous ne sommes que des chiffres, des machines à produire, des corps à torturer ou à éliminer. Libérons-nous, entraidons-nous, prenons nos vies en mains, par-delà les frontières.

Yannis Youlountas

Source http://blogyy.net/2020/01/18/grece-19-000-personnes-entassees-dans-le-plus-grand-camp-deurope/

* Exemple du squat Notara 26 qui résiste encore à Exarcheia, malgré les agressions, les menaces et les ultimatums :

France : réforme des retraites et fonds de pension

Attac publie une note qui démontre à quel point le projet de loi va favoriser les fonds de pension, assurances et gestionnaires d’actifs.

[Note] Axa, AG2R, Amundi, BlackRock : qui seront les grands gagnants du développement de la retraite par capitalisation ?

Cette courte note vise à faire un tour d’horizon des acteurs de l’épargne-retraite et de la capitalisation en France et expliquer pourquoi les assurances, les banques et les gestionnaires d’actifs ont des intérêts manifestes dans le projet de loi instituant un système universel de retraite proposé par le gouvernement. Un projet qui, sur l’épargne-retraite, vient compléter et finaliser les mesures prises depuis plusieurs années, notamment lors de la loi PACTE.

De Amundi à Blackrock, les gestionnaires d’actifs sont intéressés par le développement de la capitalisation en France. Mais ils sont loin d’être les seuls : les assureurs et autres filiales de banques qui proposent des produits d’épargne-retraite le sont tout autant, et sans doute plus directement. Les mécanismes de retraite par capitalisation peuvent être collectifs (dispositifs d’entreprise) ou individuels. Les banques et assurances qui proposent ces produits peuvent ensuite gérer elles-mêmes cette épargne sur les marchés financiers et/ou en confier tout ou partie à des gestionnaires d’actifs. Ces derniers sont alors rémunérés sur la base d’un pourcentage des fonds gérés et/ou en fonction des résultats obtenus.

1) Les dispositifs par capitalisation existent déjà mais sont peu développés

En France, il n’y a pas à proprement parler de régime de retraite par capitalisation. L’essentiel fonctionne par répartition : les cotisations des actifs financent les pensions des retraités, aussi bien pour le régime de base que pour les régimes complémentaires (Agirc, Arrco). Il existe une exception notable : la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), obligatoire, instituée en 2003 par François Fillon et qui est entrée en vigueur en 2005 [1].

Tous les autres dispositifs existants sont facultatifs. Ce qui ne veut pas dire secondaire. Si 12,5 millions de personnes détiennent un produit d’épargne-retraite en France, la capitalisation ne concerne qu’un faible pourcentage du total des pensions de retraite. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les sommes versées annuellement dans le cadre d’un de ces produits d’épargne-retraite s’élèvent à 6,6 milliards d’euros, à mettre en rapport au total de 325 milliards d’euros de pensions de retraite versés en 2018 [2].

Une autre façon de juger du poids de la capitalisation est d’évaluer le montant des actifs financiers relevant de l’épargne-retraite au regard du PIB. L’étude de l’OCDE « Pension at a glance 2019 » évalue ces actifs à 43 500 milliards de dollars, soit en moyenne environ 126% du PIB des pays de l’OCDE, en augmentation de 85% sur 10 ans [3]. Le Danemark (198% du PIB), les Pays-Bas (173%), l’Islande (161%) sont ceux qui ont le plus développé l’épargne-retraite. L’Allemagne est dans le bas du classement avec 7% du PIB, tandis que la France compte pour l’équivalent d’environ 10% de son PIB placés en actifs d’épargne-retraite. Soit environ le montant de 230 milliards d’euros évoqués régulièrement et que la loi PACTE prétend faire grimper à 300 milliards d’ici à 2022. À titre de comparaison, l’assurance-vie représente 1 700 milliards d’euros et les livrets réglementés (livret A, LDD) environ 400 milliards.

2) La loi PACTE réforme l’épargne-retraite

Jusqu’à la loi PACTE, il existait de nombreux produits différents d’épargne-retraite. Ainsi, depuis 1967, les fonctionnaires bénéficient du Préfon qui est un contrat d’épargne retraite qui permet de se constituer une retraite complémentaire sous forme de rente. Les autres produits existants (article 83 ou article 39 du Code Général des Impôts, plan d’épargne retraite populaire (Perp), contrat Madelin, etc.), disposaient quasiment à chaque fois d’une fiscalité spécifique, et n’offraient le plus souvent que peu de flexibilité sur la façon d’en profiter à échéance.

Ils ont été revus par la loi PACTE pour être simplifiés et développés [4] : la loi PACTE refond ces produits d’épargne et crée de nouveaux plans d’épargne-retraite (PER) individuels et collectifs qui ont une fiscalité commune et des mêmes règles, offrant notamment une plus grande flexibilité de gestion (portabilité intégrale, possibilité d’une sortie en rente ou en capital, en une fois ou de manière fractionnée etc). A partir du 1er novembre 2020, les produits d’épargne-retraite anciens ne pourront plus être commercialisés mais pourront toujours être abondés.

Ces nouveaux produits d’épargne-retraite offrent une sortie en capital (on récupère son épargne en une seule fois), dans certaines conditions, et pas seulement une rente viagère (complément de revenu régulier). La plupart des anciens produits d’épargne-retraite comprenaient jusqu’ici un taux minimum garanti (par exemple un rendement de 2,5 à 3,5 % par an). Les nouveaux produits n’offrent plus ces taux garantis : ce sont donc des produits plus risqués offrant moins de garanties aux épargnants. Une partie de l’épargne constituée peut donc être perdue en fonction des évolutions du marché.

Les épargnants qui avaient souscrit des contrats dits Madelin (travailleurs non salariés, professions libérales, petits chefs d’entreprise, agriculteurs) risquent d’y perdre si leur contrat est transformé en PER : ceux qui ont un contrat à titre individuel pourront refuser mais une grande partie des contrats d’épargne-retraite sont en « gestion associative » et ces associations sont souvent intrinsèquement liées aux assureurs qui auront un fort intérêt à changer l’ancien produit d’épargne en PER.

L’objectif de la loi PACTE est de rendre le PER plus attrayant pour l’épargnant et de faire grimper les encours de l’épargne-retraite de 70 milliards d’euros d’ici à 2022, pour atteindre les 300 milliards. Soit une augmentation voulue de plus de 30%. Si l’on ne regarde plus les encours, mais la collecte annuelle de l’épargne pour atteindre un tel encours d’ici à deux ou trois ans, on se rend compte que cette collecte doit tripler. Ce qui revient à promettre un taux de croissance annuel à deux chiffres pour ceux qui sauront profiter de l’aubaine.

Le gouvernement a donc inclus dans le dispositif un avantage fiscal conséquent : les versements sont déductibles des impôts. Cette déduction fiscale est proportionnelle à la tranche marginale d’imposition (TMI). Pour le dire autrement, pour un versement donné, plus le revenu déclaré est élevé plus la déduction fiscale sera conséquente. Voilà donc un avantage fiscal qui est d’autant plus avantageux que l’on est riche. Prenons un exemple : pour 1000 euros versés, un contribuable payant l’impôt sur le revenu obtiendra 300 euros de déduction d’impôt s’il se trouve dans la tranche à 30 %, 410 euros s’il est dans la tranche à 41%, 140 euros s’il est dans la tranche à 14 %. Ces mesures de déduction fiscale sont clairement destinées à encourager les plus riches à se tourner vers l’épargne-retraite plutôt que l’assurance-vie. C’est l’inverse pour ceux qui sont faiblement imposés ou pas imposés du tout.

La loi PACTE prévoit également une incitation pour les épargnants à transférer leur épargne de l’assurance vie vers l’épargne-retraite : jusqu’au 1er janvier 2023, tout rachat d’un contrat d’assurance vie de plus de 8 ans fera l’objet d’un abattement fiscal doublé par rapport aux règles habituelles, si les sommes sont réinvesties dans un nouveau PER [5]. Le gouvernement n’a donc pas lésiné sur les avantages fiscaux pour tenter de faire basculer une part conséquence de l’épargne française vers l’épargne-retraite.

3) Vers des fonds de pension à la française ?

La création de fonds de pension à la française est une antienne régulièrement énoncée depuis des dizaines d’années par les gouvernements successifs. Un fonds de pension est dédié à la seule épargne constituée en vue d’une retraite par capitalisation. C’est l’outil qui permet de gérer collectivement, et en capitalisation, l’épargne-retraite. Il fonctionne en recevant les versements des employés ou des employeurs, en contrepartie desquels le bénéficiaire recevra une rente viagère lorsqu’il sera à la retraite. Faisant appel à l’épargne publique, les fonds de pension sont soumis à des règles prudentielles et à un contrôle par les autorités compétentes.

En 2015, alors qu’il était ministre de l’économie, Emmanuel Macron ne cessait d’affirmer que l’épargne-retraite est insuffisamment développée. Par ailleurs, si l’épargne est très développée en France, elle serait trop peu investie en actions, ce qui limiterait, selon les partisans du développement de l’épargne-retraite dont Emmanuel Macron fait partie, l’accès des entreprises françaises à du capital leur permettant d’élargir leurs fonds propres et de financer leurs innovations. L’idée est relativement simple : augmenter les encours de l’épargne-retraite et flécher une partie de l’épargne classique vers des fonds de pension à la française pour faciliter le développement rapide d’acteurs français de l’investissement en capital capables de rivaliser avec les investisseurs américains : « il faut développer une forme de fonds de pension à la française et adapter le cadre fiscal à ce changement », disait-il en novembre 2015, lors de la présentation des orientations de la loi Macron 2 [6].

En 2015, Manuel Valls a mis son veto à une loi Macron 2 et Emmanuel Macron n’a pu alors totalement concrétiser son engagement en la matière. Néanmoins, la loi Sapin 2 a créé par ordonnance les mutuelles et unions de retraite professionnelle supplémentaire (MRPS et URPS) ainsi que les institutions de retraite professionnelle supplémentaire (IRPS) permettant ainsi, aux entreprises d’assurances, sous réserve d’obtenir un agrément délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), de proposer des « fonds de retraite professionnelle supplémentaire » (FRPS) qui sont les véhicules financiers du développement de ces « fonds de pension à la française » [7].

Il restait alors à « adapter le cadre » comme l’évoquait Emmanuel Macron. Au cours de l’été 2019, le gouvernement a ainsi pris plusieurs ordonnances relatives à l’épargne-retraite. Il s’agissait d’abord de transposer plusieurs directives européennes, dont une, dite IOPR II, portant sur la surveillance des institutions autorisées à développer ces fonds de pension [8] et des nouvelles facilités offertes aux FRPS [9]. Ensuite, de mettre rapidement en œuvre les dispositions prévue par la Loi PACTE rendues nécessaires pour un développement facilité de l’épargne-retraite.

Les FRPS sont donc placés sous le régime prudentiel de la directive européenne IORP II qui est moins contraignant que le régime « Solvabilité 2 » qui s’applique au secteur européen de l’assurance, celui-ci exigeant plus d’immobilisation de fonds propres. Le gouvernement justifie cette exigence moindre en affirmant que cela va favoriser les investissements de long terme. Et il a imposé avec la loi PACTE que les assureurs séparent définitivement, au plus tard le 31 décembre 2023, leurs actifs liés à l’épargne-retraite de leurs actifs liés par exemple à l’assurance vie.

À ce jour, peu l’ont fait. Seuls cinq agréments ont été délivrés ou sont en cours : Aviva, Malakoff Médéric, Sacra ainsi que les institutions prévoyance de la Banque populaire d’un côté et Austerlitz de l’autre [10]. Beaucoup d’autres acteurs du secteur assurantiel et bancaire sont plus réticents ou ont pris plus de temps pour explorer cette piste. Pour certains acteurs, il semblerait que rester quelques temps de plus sous le régime assurantiel Solvabilité 2 serait néanmoins plus avantageux que développer tout de suite un fonds de pension de plein exercice soumis au régime IOPR II [11].

Toutes ces ordonnances seront ratifiées si le projet de loi instituant un système universel de retraite de l’actuel gouvernement est voté. Après plusieurs années qui ont vu le gouvernement de François Hollande puis celui d’Emmanuel Macron vouloir « adapter le cadre fiscal et réglementaire » pour développer des fonds de pension à la française, la loi PACTE et le projet de loi sur les retraites viennent ainsi conclure la séquence. Il ne reste plus qu’aux acteurs de l’assurance et de la finance à s’emparer de ces nouveaux produits.

4) Le projet de loi « retraites »

Le gouvernement affirme vouloir « sauver » le système par répartition, c’est-à-dire un système où les pensions des retraités sont financées par les cotisations des actifs. A ce jour, le cœur de la réforme ne chamboule pas ce principe de la répartition : même avec un système par points, les cotisations des actifs continueront à financer les pensions des retraités. Néanmoins, le gouvernement ne se cache pas de vouloir faire plus de place à l’épargne-retraite et la capitalisation. Ainsi, plusieurs évolutions du système actuel pourraient conduire à un élargissement, limité mais non négligeable, des dispositifs de capitalisation.

Le projet de loi retraites encourage l’épargne-retraite et la capitalisation

Dans la version du projet de loi instituant un système universel de retraite rendu public le 9 janvier, l’article 64 du chapitre 2 du titre 5 indique précisément que le gouvernement appelle le secteur de l’assurance à généraliser le recours à l’épargne-retraite : « le secteur de l’assurance est appelé à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules [permettant d’assurer désormais tout type de plan d’épargne retraite] se généralise et que l’économie française puisse ainsi bénéficier pleinement du dynamisme de l’épargne retraite généré par la loi PACTE » [12].

Cela fait des semaines que le gouvernement prétend que son projet vise à « sauver le régime de retraite par répartition » et qu’il n’est pas question de développer la retraite par capitalisation, ou encore que le lien entre les retraites et Blackrock relève du « fantasme ». Pourtant le projet de loi rendu public montre précisément le contraire : en encourageant les assurances à développer massivement les dispositifs d’épargne-retraite, le gouvernement a bien pour objectif avec ce projet de loi que de plus en plus d’actifs recourent à des produits individuels ou collectifs (via les entreprises) de retraite par capitalisation.

Ce faisant, le gouvernement reconnaît ce qu’il se refusait à admettre jusqu’ici : son projet fait peser de graves risques sur le niveau futur des pensions. Son objectif de long terme, que le contenu de la loi PACTE confirme, se clarifie : affaiblir le régime de retraite par répartition pour faire de la place aux dispositifs de retraite par capitalisation, jusqu’ici peu développés en France.

Le plafonnement des cotisations et droits à la retraite pour les plus hauts revenus

Jusqu’à présent, les cotisations sur les retraites sont perçues pour des rémunérations allant jusqu’à 27 000 euros par mois, soit huit fois le plafond de la Sécurité sociale. Ces cotisations obligatoires seraient désormais limitées aux rémunérations perçues jusqu’à 10 000 euros par mois, soit trois fois le plafond de la Sécurité sociale. Au-delà, une cotisation de « solidarité » de 2,8 % serait introduite, n’ouvrant pas de droits à la retraite. Environ 300 000 personnes seraient concernées, les 300 000 plus haut revenus (dont 200 000 salariés environ). La réduction de ces cotisations va augmenter leur revenu imposable de façon conséquente : une augmentation de revenu qui sera taxée dans les tranches marginales supérieures de l’impôt sur le revenu, les incitant fortement à se tourner vers l’épargne-retraite pour conjointement compenser leurs baisses de pension tout en défiscalisant au maximum cette augmentation de revenu. Il est probable qu’elles se tournent encore plus largement qu’aujourd’hui vers l’épargne-retraite pour compléter le manque à gagner.

Cette disposition fait naître un manque à gagner pour le régime par répartition : ce sont autant de cotisations en moins provenant de personnes en âge de travailler, alors qu’il faudra continuer à payer les importantes pensions de leurs alter-ego déjà retraités et ayant cotisé au régime général dans le cadre actuel (pour leurs rémunérations allant jusqu’à 27 000 euros par mois). Selon les estimations de l’Agirc-Arrco parues dans la presse, cet abaissement des cotisations sur les plus hauts salaires représenterait un manque à gagner en cotisations (parts salariés et employeurs comprises) d’environ 4 milliards d’euros en 2025 et 5 milliards en 2040. Soit 72 milliards sur quinze ans. Voilà des sommes loin d’être négligeables sur lesquelles les assureurs et gestionnaires d’actifs mettraient volontiers la main.

Il faut noter que l’article 15 du projet de loi donne la possibilité au gouvernement de légiférer par ordonnance pour « modifier les règles d’assujettissement à cotisations et contributions sociales, ainsi qu’à l’impôt des versements des salariés et de leurs employeurs dans le cadre de dispositifs de retraite supplémentaire ». Il est précisé que ces décisions seraient prises « en compensation des moindres cotisations acquittées sur la part de rémunération comprise entre 3 et 8 plafonds de la sécurité sociale », établissant un lien extrêmement clair entre la baisse de cotisations pour les plus hauts-revenus et la volonté d’adapter le cadre fiscal pour développer de façon adéquate l’épargne-retraite.

La baisse des pensions pour un grand nombre de retraités

Une baisse généralisée des pensions conduirait nécessairement une part des cotisants actuels, les plus solvables, à se tourner vers des produits d’épargne-retraite pour essayer de « sécuriser » un revenu ou un capital futur. Les Français le font déjà sous la forme de l’assurance vie et, de façon indirecte, via les investissements dans l’immobilier. C’est d’ailleurs un des enjeux majeurs pour les organismes proposant des produits d’épargne-retraite que de faire basculer une part de cette épargne sur leurs propres produits. Si à ce stade, les Français y sont plutôt rétifs, comme le montrent les montants relativement limités consacrés à l’épargne-retraite, que vont-ils faire demain alors qu’ils sont nombreux à se sentir menacés par l’incertitude créée par le passage à un système par points, à cotisations définies et prestations indéfinies, et par le risque d’une baisse généralisée des pensions.

5) Quels sont les acteurs financiers intéressés par le développement de l’épargne-retraite ?

L’objectif consistant à passer d’un encours de 230 milliards à 300 milliards d’épargne-retraite entre 2020 et 2022 doit-être perçu pour ce qu’il est : un développement exponentiel du secteur. Pour que l’encours (ensemble de stock d’épargne-retraite) gagne plus de 30% en deux ans, il faut que les ventes annuelles de produits épargne-retraite explosent littéralement. Avec la possibilité de vendre les nouveaux plans d’épargne-retraite (PER) depuis le 1er octobre 2019, ce sont deux types d’acteurs qui sont aux aguets, prêts à bondir sur un marché bientôt en pleine croissance : les vendeurs de produits d’épargne-retraite et les gestionnaires d’actifs.

Assureurs et filiales des grandes banques sont impatients de pouvoir offrir des produits d’épargne plus risqués. Quant aux gestionnaires d’actifs, ils voient d’un bon œil une manne supplémentaire qui pourrait leur être confiée. Ces derniers mois, BNP Paribas, Amundi et d’autres n’ont cessé de multiplier les messages auprès de leurs clients pour les inciter à adopter très rapidement les nouveaux PER collectifs.

Les vendeurs de produits d’épargne-retraite

Pour que le PER ne reste pas au fond du tiroir des assureurs, Bruno Le Maire les a invité en novembre 2019 à ce qu’il soit « diffusé dans l’ensemble des principaux réseaux bancaires et assurantiels d’ici la fin du 1er trimestre 2020 », en insistant sur le fait que « les épargnants bénéficient d’un conseil adapté aux caractéristiques et à l’horizon de ce placement ». Il a annoncé qu’un suivi régulier sera effectué au cours de l’année 2020, pour pousser les assureurs à faire feu de tout bois.

Depuis le 1er octobre 2019, de nombreux acteurs du marché ont annoncé le lancement de leur offre de PER : Eres, Predictis, MeilleurPlacement, Apicil, Groupama, SwissLife, Predictis, Agipi/Axa, Generali, MACSF, Garance, Crédit Mutuel, Amundi, Oradéa, Société générale, LCL, Crédit agricole, Aviva, BNP Paribas ont tous mis sur le marché leur offre de PER.

On ne compte pas non plus le nombre d’assureurs, jouant sur l’actualité et la crainte d’une baisse des pensions, pour inviter leurs clients à souscrire un PER. L’assureur Axa, dans une de ses documentations tout en illustrations évoque très clairement « la baisse programmée des futures pensions » suite à la mise en œuvre de ce qu’Axa appelle encore la « réforme Delevoye sur les retraites », pour inciter ses clients à épargner pour leur retraite à travers un PER. La période « va être marquée par de profondes modifications sur le marché de la retraite avec de belles opportunités à saisir » indique le directeur Epargne et prévoyance d’Axa France [13].

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Les gestionnaires d’actifs

Il existe en France plus de 600 sociétés de gestion d’actifs qui emploient, fin 2018, selon l’AMF, près de 18 000 salariés [15]. Sur un marché de la gestion d’actifs représentant près de 4 000 milliards d’euros, ce sont les acteurs français qui sont les plus importants : Amundi, leader européen de la gestion d’actifs, dispose de plus de 1500 milliards d’encours, dont près de 900 en France. C’est une filiale cotée du Crédit agricole. Natixis IM, filiale du groupe BPCE, dispose de 800 milliards d’encours, tandis que la filiale de gestion d’Axa en a 700 milliards. Celle de BNP Paribas suit avec 500 milliards d’euros. De son côté, Blackrock est encore un nain de la gestion d’actifs en France, avec 27,4 milliards d’actifs sur le sol français (mais une bien plus forte présence au capital des entreprises du CAC40).

Il est possible de regarder quels sont les gestionnaires d’actifs les mieux positionnés sur le marché de la gestion de l’épargne-retraite, comptant pour 140 milliards d’euros environ. Selon les données de l’Association française de la gestion financière, Amundi, Natixis et BNP Paribas se partagent la moitié du marché. Et on compte un seul gérant d’actifs étrangers, HSBC, dans les 15 plus importants gérants d’épargne-retraite. Ce classement montre que les filiales de groupes bancaires ont été largement avantagés par le contrôle qu’ils exercent sur les réseaux de distribution qui favorisent leurs propres produits d’épargne, ce qui limite considérablement la capacité des gérants étrangers de s’immiscer dans le jeu.

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