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Le Conseil grec pour les réfugiés et la nouvelle loi sur l’asile

Le Conseil grec pour les réfugiés dénonce la violation des droits découlant de la nouvelle loi sur l’asile, alors que cette loi a déjà été votée au Parlement grec

Commentaires du GCR sur le projet de loi modifiant la législation sur l’asile

Athènes, 27 avril 2020-Le Conseil grec pour les réfugiés (GCR) exprime sa profonde inquiétude concernant le nouveau projet de loi qui modifie notamment la législation sur l’asile[1], qui a été soumis à une consultation publique en pleine crise de santé publique, alors que la principale préoccupation est la protection des demandeurs d’asile et de l’ensemble de la population contre les risques et les effets de la pandémie, et que les inquiétudes concernant les demandeurs d’asile qui restent dans des sites surpeuplés et/ou en détention administrative au milieu de la pandémie augmentent.

Le nouveau projet de loi du ministère de la migration et de l’asile intervient moins de 4 mois après l’entrée en vigueur (1er janvier 2020) de la loi L. 4636/2019 « Sur la protection internationale », c’est-à-dire la loi qui a entraîné des modifications importantes de la loi grecque sur l’asile, qui n’est pas en soi un exemple de bonne législation, et qui en pratique invalide l’objectif invoqué de systématisation et de codification de la législation pertinente (voir l’exposé des motifs de la loi 4636/2019).

En outre, malgré le fait que la L. 4636/2019 a été constamment et substantiellement critiquée par tous les organismes nationaux et internationaux et par les organisations de la société civile, en raison de ses nombreuses réglementations problématiques ayant conduit à la déréglementation du système d’asile grec, à l’affaiblissement des garanties de la protection des réfugiés en Grèce et à « mettre en danger les personnes nécessitant une protection internationale »[2], les modifications proposées ne rétablissent en aucun cas les dispositions extrêmement problématiques de la L. 4636/2019.

Au contraire, les modifications introduites sont une fois de plus et à de nombreux égards contraires à l’acquis communautaire dans le domaine de l’asile, et constituent en ce sens une violation directe du droit communautaire et des directives « asile » et « retour », en affaiblissant les garanties fondamentales pour les personnes ayant besoin de protection, en introduisant des obstacles procéduraux supplémentaires et en reflétant, au niveau législatif, l’intention maintes fois affirmée de généraliser la détention et d’accroître les retours, en empêchant l’accès effectif à la protection internationale. En conséquence, le titre du projet de loi « Améliorer la législation sur les migrations, etc. » ne peut être considéré que comme un euphémisme.

Parmi un ensemble de dispositions extrêmement problématiques, les suivantes sont mises en évidence à titre indicatif :

La possibilité pour un Service non compétent (Services régionaux d’accueil et d’identification), qui contrairement au Service d’asile n’a pas le statut d’Agence indépendante, d’enregistrer les demandes de protection internationale, sans même s’assurer que cette procédure puisse être menée à bien par un personnel dûment formé ou que les garanties nécessaires à la bonne fin de la procédure soient respectées (article 5 du projet de loi)

La dérogation à l’obligation de fournir une interprétation dans une langue que le demandeur comprend et la limitation de l’obligation de mener un entretien personnel avec le demandeur avant de prendre une décision sur une demande de protection internationale (articles 7 & 11 du projet de loi), en violation directe de la directive sur les procédures (directive 2013/32/UE).

Les modifications proposées dérogent aux garanties minimales prévues par la directive sur les procédures, en permettant que l’entretien personnel soit mené dans la langue officielle du pays d’origine du demandeur « s’il s’avère impossible de fournir une interprétation dans la langue de son choix » et qu’une décision soit rendue sans avoir préalablement mené un entretien personnel, « si le demandeur ne souhaite pas mener l’entretien dans la langue officielle de son pays d’origine », indépendamment du fait que le demandeur soit effectivement capable de comprendre cette langue. Il est rappelé que le commissaire compétent de la Commission européenne a récemment rappelé que « en ce qui concerne l’interprétation, la directive sur la procédure d’asile prévoit que la communication a lieu dans la langue préférée du demandeur, à moins qu’il n’existe une autre langue que le demandeur comprend et dans laquelle il peut communiquer de manière claire et concise »[3], alors que la directive ne déduit en aucun cas que la langue comprise par le demandeur est la langue officielle de son pays d’origine. Les Kurdes syriens, qui constituent la plus grande minorité en Syrie et qui, dans une large mesure, ne parlent pas/comprennent la langue officielle de leur État (l’arabe), mais seulement le kurmanji, un dialecte kurde, sont un cas typique de ce genre.

Il est en outre noté que les cas dans lesquels une décision de première instance en matière d’asile peut être rendue sans qu’un entretien personnel soit nécessaire sont régis de manière restrictive par l’article 14 de la directive 2013/32/UE. L’omission proposée de l’entretien personnel, en vertu de l’article 11 du projet de loi, ne constitue pas l’un des cas prévus par la directive, et il n’est pas non plus laissé à la discrétion des États membres de prévoir des exceptions supplémentaires à l’obligation de mener un entretien personnel. En tout état de cause, la possibilité de rendre une décision sans mener d’entretien personnel avec le demandeur d’asile fait courir aux demandeurs d’asile un risque accru de retour, en violation du principe de non-refoulement.

L’entrave au droit à l’aide juridique et au droit à un recours effectif (article 9 du projet de loi). Comme cela a été documenté à plusieurs reprises, les autorités grecques n’ont pas encore garanti à ce jour un véritable accès à l’aide juridique gratuite en deuxième instance, comme le prévoit le droit communautaire. Au contraire, en 2019, seuls 33 % des demandeurs d’asile ayant fait appel d’une décision négative ont pu bénéficier d’une aide juridique gratuite en deuxième instance, et seulement 21 % en 2018. Un fait qui démontre « une pratique administrative incompatible avec le droit de l’UE et qui, dans une certaine mesure, est de nature permanente et générale ». [5]

Toutefois, au lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit à l’assistance judiciaire gratuite, la modification proposée introduit une restriction supplémentaire à ce droit, en exigeant que les demandeurs soumettent, dans un délai très court et exclusif de deux jours, après la notification de leur décision négative, une demande d’assistance judiciaire, qui n’est accordée par le président de la commission des recours « que si l’on estime probable que le recours aboutira ». Dans ce cas, et afin de fournir une assistance juridique au demandeur, l’avocat désigné a la possibilité de soumettre un mémorandum, qui peut exclusivement inclure des demandes « tardives (οψιφανείς et και οψιγενείς) ».

Plus précisément, il convient de noter que a) L’amendement inverse la règle et la norme de preuve énoncées à l’article 20, paragraphe 3, de la directive 2013/32/UE, qui stipule que « les États membres peuvent prévoir que l’assistance et la représentation juridiques gratuites ne sont pas accordées lorsque l’appel du demandeur est considéré par une juridiction ou une autre autorité compétente comme n’ayant aucune perspective tangible de succès », et que l’assistance juridique est limitée non pas lorsque l’appel « n’a aucune perspective tangible de succès », mais simplement lorsqu’il est « présumé que l’appel n’a aucune perspective de succès ».

b) La modification de l’article 9 du projet de loi introduit un obstacle procédural supplémentaire à l’accès à l’assistance juridique et au droit à un recours effectif, en ce qui concerne les demandeurs, ainsi qu’une charge de travail supplémentaire en ce qui concerne les comités de recours. Les demandeurs sont tenus de présenter une demande en grec (et, à cet égard, dans un délai de deux jours seulement à compter de la notification de la décision), à la suite de quoi l’existence des conditions préalables substantielles pour la fourniture d’une assistance juridique gratuite sera examinée. Sans l’assistance d’un avocat, sans connaissances juridiques spécialisées et sans connaissance de la langue, il est évident que cette demande, dans le cas le plus favorable, sera nécessairement limitée à une forme standardisée, privant essentiellement le demandeur de la possibilité de développer les raisons de sa rencontre, dans le cas spécifique, les raisons substantielles pour lesquelles l’aide juridictionnelle est accordée.

c) Dans la proposition d’amendement, il est indiqué que la demande d’aide judiciaire est « examinée par le président du comité devant lequel le recours est pendant » et « n’est accordée que si le recours est présumé susceptible d’aboutir », alors que si la demande est accordée, l’avocat qui représente le demandeur, dans le cadre de l’aide judiciaire, ne peut que « présenter un mémoire sur le recours, avec lequel il peut faire des réclamations « tardives et postérieures (οψιφανείς et και οψιγενείς) ». Sur cette base, il semble que la disposition indique que la demande d’aide judiciaire est présentée après que l’appel a déjà été interjeté (car, dans le cas contraire, il ne peut être statué sur l’appel, ni examiner la probabilité de succès d’un appel qui n’a pas encore été interjeté). Toutefois, il est rappelé que, conformément à l’article 93 (c) L. 4636/2019, le recours doit notamment citer les « raisons spécifiques sur lesquelles le recours est fondé », ce qui exige en soi la rédaction d’un document juridique en grec [6], sauf si le recours doit être rejeté comme irrecevable, c’est-à-dire rejeté sans avoir préalablement examiné le fond du recours. Par conséquent, même si la demande d’aide juridique gratuite est finalement accordée, le contenu de l’aide juridique finit par être dénué de sens, en violation de l’article 20, paragraphe 1, de la directive 2013/32/UE, qui prévoit que l’aide juridique gratuite « comprend au moins la préparation des documents de procédure requis […] ».. En revanche, conformément à la modification introduite, l’absence de « raisons spécifiques » dans le recours initial ne peut être corrigée par l’avocat désigné, et la possibilité de développer des revendications potentielles dans le mémoire n’est même pas prévue, comme le prévoit actuellement l’article 99 L. 4636/2019 ; au lieu de cela, l’avocat ne peut faire que des « réclamations tardives (οψιφανείς και οψιγενείς) », c’est-à-dire des arguments nouveaux ou ultérieurs, sous la crainte évidente et réelle que, même après avoir accordé l’aide juridictionnelle gratuite, le recours puisse être rejeté comme irrecevable ; c’est-à-dire sans examiner le bien-fondé des prétentions du requérant en deuxième instance, privant pratiquement le requérant d’un accès réel à un recours effectif, en violation de la directive 2013/33/UE et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

La suppression rétroactive de la possibilité pour le demandeur d’être renvoyé pour la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires, en cas de rejet de sa demande de protection internationale (article 33). La possibilité de renvoi pour la délivrance d’un permis de séjour pour raisons humanitaires est à ce jour une garantie importante et complète les obligations de l’État grec au vu de ses engagements internationaux en matière de protection des personnes qui, bien que non reconnues comme bénéficiaires d’une protection internationale, relèvent du principe de non-refoulement (par exemple, les mineurs non accompagnés, les personnes ayant un lien particulier avec le pays – droit à la vie privée ou familiale en vertu de l’article 8 de la CEDH, les raisons de santé graves) qui empêchent leur éloignement. La suppression de la disposition concernée contribue à créer un groupe important de personnes qui ne peuvent être éloignées du pays, mais qui, privées de leurs droits fondamentaux, restent dans un état prolongé d’insécurité et de péril.

La généralisation de la possibilité d’imposer des mesures de détention et la réduction des garanties fondamentales lors de l’imposition d’une telle mesure (articles 2, 21 et 52 du projet de loi). Les modifications proposées visent à renforcer encore la législation en matière d’imposition de mesures de détention, en violation des garanties fondamentales inscrites dans le droit communautaire et le droit international des droits de l’homme. À titre indicatif, l’article 2 propose la suppression de l’obligation de fournir un « raisonnement complet et approfondi » lorsqu’il s’agit d’ordonner la détention de demandeurs d’asile. La disposition de l’article 52 tente de renverser la règle selon laquelle la détention administrative en vue du retour est appliquée, exclusivement, comme une mesure exceptionnelle, et seulement si la possibilité de mettre en œuvre des alternatives à la détention a été épuisée, tout en essayant de limiter le contrôle de la légalité. Au vu de la jurisprudence de la CJUE, sur la base de laquelle la directive « retour » prévoit « une gradation des mesures à prendre pour exécuter la décision de retour, gradation qui va de la mesure qui laisse le plus de liberté à la personne concernée, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, aux mesures qui restreignent le plus cette liberté, à savoir la détention dans un établissement spécialisé »[7], la disposition proposée est en contrôle du respect des normes minimales de protection garanties par l’UE.

1] « Améliorations de la législation sur les migrations, modifications des dispositions des lois 4636/2019 (A ‘169), 4375/2016 (A’ 51), 4251/2014 (A ’80) et autres dispositions ».

2] Voir UNHCR, UNHCR urges Greece to strengthen safeguards in draft asylum law, 24 October 2019, disponible sur : https://www.unhcr.org/gr/en/13170-unhcr-urges-greece-to-strengthen-safeguards-in-draft-asylum-law.html ; GNCHR Observations [en grec] sur le projet de loi du Ministère de la protection des citoyens : « Sur la protection internationale : dispositions sur la reconnaissance et le statut des ressortissants de pays tiers ou des apatrides en tant que bénéficiaires d’une protection internationale, sur un statut unique pour les réfugiés ou les personnes ayant droit à une protection subsidiaire et sur le contenu de la protection fournie, unification des dispositions sur l’accueil des demandeurs de protection internationale, la procédure d’octroi et de retrait du statut de protection internationale, restructuration de la protection judiciaire des demandeurs d’asile et autres dispositions », 24 octobre 2019, disponible sur : http://www.nchr.gr/images/pdf/apofaseis/prosfuges_metanastes/Paratiriseis%20EEDA%20sto%20nomosxedio%20gia%20Asylo%2024.10.2019.pdf ; GCR, commentaires du GCR sur le projet de loi « Sur la protection internationale, 22 octobre 2019, disponible sur : https://www.gcr.gr/media/k2/attachments/GCR_on_bill_about_International_Protection_en.pdf.

3] P-004017/2019, réponse du commissaire Johansson au nom de la Commission européenne, 5 février 2020, disponible à l’adresse : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/P-9-2019-004017-ASW_EL.pdf

4] Rapport AIDA sur la Grèce, Update 2019, à venir et Rapport AIDA sur la Grèce, Update 2018, mars 2019, disponibles sur : https://www.asylumineurope.org/reports/country/greece.

[5] Voir l’affaire C-525/14, Commission contre République tchèque, UE C 2016 714, considérant 14.

[6] A titre indicatif, voir GCR, commentaires du GCR sur le projet de loi « Sur la protection internationale », op. cit.

[7] CJUE, El Dridi, C-61/11, considérant 41.

Source https://www.gcr.gr/en/news/press-releases-announcements/item/1434-gcr-s-comments-on-the-draft-law-amending-asylum-legislation

Grèce: exploitation pétrolière

Le gouvernement grec profite du coronavirus pour faciliter l’exploration pétrolière dans ses eaux 8 mai 2020

Le Parlement grec a adopté mardi 5 mai une réforme controversée de la politique pétrolière, suscitant les protestations des groupes environnementaux qui accusent le gouvernement d’avoir profité du blocage du coronavirus pour le faire passer.

La loi, qui, selon les groupes écologistes, encouragera l’exploration pétrolière dans les zones protégées, a été adoptée par 158 voix contre 56 au sein de l’organe de 300 membres dominé par le parti conservateur Nouvelle Démocratie, dont beaucoup ont voté en ligne.

Des dizaines d’ONG climatiques, dont Greenpeace et le WWF, ont organisé une manifestation devant le Parlement lundi 4mai pour demander le retrait du projet de loi. Ils affirment que la loi mettra en danger les zones Natura 2000 protégées pour leur biodiversité par la législation européenne.

Greenpeace s’est plaint que le projet de loi a été rédigé après que le pays ait été mis en quarantaine le 23 mars, ce qui, selon elle, «sape les procédures démocratiques».

Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a rejeté les critiques comme étant «injustifiée ». «La bureaucratie est l’ennemi de la croissance et de la protection de l’environnement», a déclaré Mitsotakis à un parlement peu nombreux, ajoutant que la loi simplifie les procédures pour les investisseurs tout en respectant les normes européennes.

Fofi Gennimata, chef du parti de centre-gauche Kinal, a déclaré que les réformes dites de «modernisation de la législation environnementale» sapent la protection de l’environnement et ont une odeur de « copinage ». Le chef du principal parti d’opposition de gauche, Syriza, Alexis Tsipras, a critiqué le gouvernement pour avoir débattu «d’un projet de loi aussi important à un moment où le Parlement ne fonctionne pas normalement ».

La section grecque de Greenpeace a souligné que la Grèce s’était engagée, avec ses partenaires de l’UE, à cesser l’utilisation des hydrocarbures d’ici 2050, mais que la loi « encourage les compagnies de forage de pétrole et de gaz naturel à opérer dans des zones protégées, ce qui affaiblit le rôle des autorités locales ».

Ces dernières années, Athènes a conclu des contrats cédant les droits d’« exploration et d’exploitation » des hydrocarbures au large de l’île de Crète, en mer Ionienne, avec le géant américain ExxonMobil, le français Total et l’italien Edison, au grand dam des militants locaux.

 Source : Vietnam News

Source https://reporterre.net/Le-gouvernement-grec-profite-du-coronavirus-pour-faciliter-l-exploration-petroliere-dans?utm_source=actus_lilo


Voir sur le même sujet l’article https://www.grece-austerite.ovh/un-projet-anti-environnemental-en-grece/

Des mesures de justice fiscale

Interpellez votre député·e pour que le Parlement adopte des mesures de justice fiscale

Une troisième loi de finance rectificative devrait être votée au mois de mai. Nous demandons aux député·e·s d’adopter six mesures de justice fiscale qui permettraient de dégager, selon nos estimations, au moins 128 milliards d’euros par an.

  • J’interpelle mon/ma député·e

Source https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/des-mesures-de-justice-fiscale-face-a-la-crise-du-coronavirus

Démasquer le mythe de la « bonne gestion » du coronavirus en Grèce

par A. Sartzekis sur NPA

Ces derniers jours, une grande partie de la presse française a tressé de nombreux éloges à Kostas Mitsotakis, le Premier ministre grec, pour sa gestion de l’épidémie en Grèce, où ce dimanche, le nombre de morts n’est « que » de 144, pour un pays de 11 millions d’habitantEs.

Cette « bonne gestion » relève en grande partie du mythe ; d’abord parce que les chiffres sont aussi bas dans presque tous les pays de la région ; ensuite parce que, même si la droite a pris à temps des mesures de prudence1, c’est la chance qui a permis d’éviter jusqu’à maintenant une explosion de cas dans les camps-prisons pour les réfugiéEs et les prisons, et bien sûr c’est le travail intense des soignantEs qui a permis aux hôpitaux de faire face. Mais, comme en France, le personnel hospitalier refuse les discours hypocrites sur les « héros » et, le 28 avril, il s’est de nouveau largement mobilisé dans tout le pays. Augmentation des lits de réanimation, embauche de personnel permanent, réquisition immédiate des cliniques privées, fourniture du matériel nécessaire dans tous les lieux de santé publics, paiement des gardes : les « héros » rappellent entre autres qu’ils et elles n’ont pas été payés depuis sept mois pour ces gardes, et que celles-ci se sont multipliées ces derniers mois…

La droite des copains et des coquins

L’image de ministre prévoyant, dépeinte dans la presse française, rend service à Mitsotakis, qui en aura encore plus besoin pour les mois qui viennent, la crise économique ne pouvant que s’aggraver, ce qui accentuera les tendances lourdes à l’œuvre avant même la crise sanitaire : renforcement de la répression et du pouvoir de la police, comme on vient de le voir avec un motard du gouvernement, un mini-Benalla, qui a agressé un jeune ; confiscation de la parole publique, avec une grande partie de la presse écrite et audiovisuelle aux mains des requins financiers amis de la droite. La télé publique, pendant une dizaine d’années lieu de la parole critique, est (re)devenue la voix de son maître… Et, bien sûr, Mitsotakis gouverne pour satisfaire le patronat, avec son organisation SEV, qui vient d’obtenir que les patrons puissent se prêter leurs salariéEs en fonction de leurs besoins ! Mais en même temps, ce gouvernement affairiste exploitant la situation pour son propre compte multiplie les scandales, la presse aux ordres tentant de les étouffer : 36 millions étaient prévus pour des prétendus organismes de formation, dispensée à des employéEs en chômage partiel, mais ces organismes se sont révélés être proches de la droite, et même du ministre du Travail ! La mesure a dû être annulée… Autre exemple : l’importation de Chine de deux lignes de fabrication de masques par deux sociétés proches de la famille Mitsotakis…

Les masques n’étouffent pas la colère

Face à cela, des mobilisations ont lieu, par exemple contre la réforme élaborée par la très réactionnaire ministre de l’Éducation. La journée du 1er Mai représentait un enjeu important, alors que le gouvernement voulait la déplacer… le 9 mai. Pas question pour les syndicats et la gauche ! Malgré l’interdiction, plusieurs milliers de manifestantEs se sont rassemblés le 1er Mai, à Athènes et à Thessalonique, et sous forme de petits rassemblements ici et là. Un grand succès pour le mouvement social dans les conditions actuelles ! Cela reste à renforcer, et dès cette semaine, des dizaines d’associations environnementales et la gauche anticapitaliste appellent à se rassembler devant le Parlement : un effroyable projet de loi y sera discuté, qui permettrait de supprimer de nombreuses mesures de protection de l’environnement, pour laisser le patronat rapace et le secteur privé polluer en toute impunité virale ! À l’heure où même le KKE (PC), resté fort stalinien, fait désormais campagne sur le mot d’ordre « socialisme ou barbarie », on criera demain très fort : écosocialisme ou barbarie !

À Athènes

Source https://npa2009.org/actualite/international/demasquer-le-mythe-de-la-bonne-gestion-du-coronavirus-en-grece

Expulsions collectives des centres grecs

Communiqué de presse : Expulsions collectives des centres grecs 

5 mai 2020

En réponse à la montée en flèche des expulsions collectives de la Grèce vers la Turquie, le réseau de surveillance de la violence aux frontières, dont les membres sont l’équipe mobile d’information et l’organisation Wave Thessalonique, a publié un témoignage et des preuves photographiques indiquant l’existence d’expulsions collectives volontaires. En l’espace de six semaines, les équipes ont reçu les rapports de 194 personnes déplacées et rapatriées en Turquie depuis le camp de réfugiés de Diavata et le centre de détention provisoire de Drama Paris. Dans le cas de Diavata, les personnes interrogées déclarent avoir été retirées de ce centre d’hébergement par la police, qui les a informées qu’un document leur serait délivré pour régulariser temporairement leur séjour (connu de manière informelle sous le nom de « Khartia »). Au lieu de cela, ils partagent l’expérience d’avoir été battus, volés et détenus avant d’être emmenés dans un autre endroit où le personnel militaire a utilisé des bateaux pour les ramener en Turquie, sur le fleuve Evros, tandis qu’un autre grand groupe a été arrêté à Drama Paranesti et expulsé avec ces mêmes moyens. Avec la divulgation actuelle du bureau d’asile grec et les mesures de restriction d’accès à la COVID-19, l’expression des demandeurs d’asile et de la communauté de transit semble avoir atteint un sommet dans ces cas :

GRK – TURDATE : 31 mars 2020 [Lire le rapport complet]

Les interrogés avaient vécu plusieurs semaines (pendant le mois de mars) dans un camp de Diavat, lorsque les officiers les ont emmenés dans un fourgon sous prétexte d’obtenir un document officiel : « Où est votre Kartia ? La police grecque a utilisé la violence contre le groupe, ignorant les demandes d’asile verbales. 40 personnes ont été détenues dans un établissement fermé à Alexandroupolis (GR). Les interrogés ont rapporté qu’après plusieurs jours de traitements humains, ils ont été conduits à la frontière, battus à moitié nus et emmenés sur des bateaux vers la Turquie. « Les autorités grecques ont utilisé des matraques et des poings pour frapper certains membres du groupe
Pushback GRK – TURDATE : 16 avril 2020 [Lire le rapport complet]

Environ 50 personnes ont été emmenées du camp de Diavata le matin selon un autre interrogé  et déplacées vers un poste de police où elles ont reçu l’ordre de se coucher sur le sol – « Sleephere,don’t move ». Ils ont été détenus toute la nuit dans une cellule située à la frontière et ont été battus par des officiers de l’armée grecque. Le lendemain, les autorités avec : « Uniforme militaire, masques, pistolets, pistolet électrique » leur ont fait traverser le fleuve pour se rendre en Turquie . La police a été expulsée de Diavata le 28 avril 2020 [Voir la vidéo complète]A la fin du mois d’avril, les résidents du camp ont filmé d’autres incursions de la police sur place, avec un nombre encore plus important de personnes arrêtées, cette fois-ci avec plus de force. L’un d’entre eux a déclaré avoir vu un agent de police en train de fouiller une trentaine de personnes et de les conduire dans un lieu inconnu. Le contact avec la police et la direction du camp a produit des informations non transparentes sur ce qui s’était passé, pourquoi les personnes avaient été emmenées et où elles se trouvaient maintenant.

Drama Paranesti CasePushback GRK-TURDATE : 23 avril 2020 [Lire le rapport complet]

Les interrogés ont indiqué que le nombre de personnes emmenées du centre de pré-déplacement de Paranesti à Drama (photo) vers la région frontalière d’Evros était en augmentation. Ici, les autorités grecques les auraient torturés pendant une période de six heures en utilisant des appareils électriques et d’immersion, ainsi que des coups de bâton. Les personnes interrogées ont été environ 24, mais il s’agit d’une pratique standard et environ 400 personnes ont été soumises au même processus au cours de ces dernières semaines, transportées transportant en Turquie. Rappelant la menace que les agents ont fait peser sur le centre de détention concernant leur retour au cours du Ramadan, la personne interrogée a expliqué comment :Ils nous disent : « Nous allons vous laisser aller jeûner avec Erdogan » :

GRK – TURDATE : 28 avril 2020 [Lire le rapport complet]

Dans ce cas, les interrogés partagent le fait que 30 autres personnes ont été enlevées du camp de Diavata pour  le poste de police proche  avec la promesse de leur délivrer un nouveau document Il ont déclaré : « Ils ne nous ont pas pris à l’intérieur, juste à l’extérieur, et ils ont pris nos affaires et nous ont ensuite transférés. » Bien que possédant un  Kartia valide, l’intérrogé  a été conduit pendant près de trois heures et demie sur l’Évros, et affirme avoir été battu à plate couture lorsque les autorités grecques l’ont embarqué avec les autres dans de petites embarcations  « En dix minutes, ils ont emmené tout le monde en Turquie » :

GRK – TUR17th April 2020 [Read Full Report]

Emmené hors du camp de Diavata l’interrogé parle des officiers : « Ils ont poussé de force [les gens] dans le fourgon pendant que les policiers leur donnaient des coups de pied et leur criaient dessus » Ils ont été retenus, forcés de signer des documents non traduits et ont ensuite été renvoyés à la rivière Evros la nuit dernière. Les autorités turques les ont renvoyés en Grèce dans les jours qui ont suivi, mais les rapports suivants montrent qu’ils ont été renvoyés de Grèce

Si vous avez des questions concernant ce communiqué de presse, ou si vous souhaitez obtenir des commentaires supplémentaires de la part des organisations concernées, veuillez contacter l’organisation suivante : Border Violence Monitoring Network:press@borderviolence.eu+447592389699

« .1 Le BVMN est un réseau d’organisations de surveillance actives en Grèce et dans les Balkans occidentaux, telles que NoName Kitchen, Rigardu, Are You Syrious, Mobile Info Team, Wave Thessaloniki, Infokolpa, Escuelacon Alma et le Centre for Peace Studies, qui travaillent ensemble pour documenter la violence aux frontières.

Source https://www.borderviolence.eu/wp-content/uploads/Press-Release_Greek-Pushbacks.pdf

 

Un projet anti environnemental en Grèce

Adopté au parlement le 5 mai 2020

Pour comprendre l’enjeu le texte de la pétition qui demandait son retrait :

LE RETRAIT IMMÉDIAT DU PROJET DE LOI ANTI-ENVIRONNEMENTAL INTITULÉ « MODERNISATION DE LA LÉGISLATION ENVIRONNEMENTALE »

Le projet de loi, intitulé « Modernisation de la législation environnementale », que le gouvernement grec s’apprête fébrilement à soumettre au vote d’un parlement pratiquement fermé pour cause de quarantaine, ne devrait pas être adopté, car :

1. Il élimine essentiellement la protection des sites Natura 2000 et promeut même l’exploitation minière et l’extraction d’hydrocarbures dans les zones de conservation de la nature. Il introduit des utilisations du sol qui permettront l’étalement urbain, en créant 4 zones de protection « modulables » qui permettent des activités d’investissement importantes telles que l’exploitation minière, touristique et commerciale et des infrastructures inutiles à l’intérieur de celles-ci.

2. Elle abolit l’autonomie des organismes de gestion des zones protégées (PAMB). Les Organismes de gestion des zones protégées (PAMB), qui étaient des organismes scientifiques/environnementaux indépendants, supervisaient les zones protégées et consultaient sur leurs plans de gestion ainsi que sur toute activité qui s’y déroulait, sont déclassés par ce projet de loi. Le projet de loi laisse la place à une gestion rigoureuse, en réduisant le nombre de ces organismes, en les affaiblissant et en augmentant l’étendue des zones qu’ils supervisent. Leurs responsabilités sont concentrées au sein du ministère de l’environnement, ce qui supprime leur indépendance et leur efficacité.

3. Elle permet de détruire l’environnement au nom de projets d’investissement à volonté, en confiant le contrôle des évaluations des incidences sur l’environnement (EIE) à des entités privées et en imposant des délais serrés pour les avis/recommandations requis des services publics concernés. Elle établit l’institution de l' »évaluateur privé » de l’évaluation des incidences sur l’environnement (EIE), transformant ainsi l’ensemble du processus d’autorisation en une procédure opaque et perforée. Elle resserre encore les délais pour les avis/recommandations requis des services publics concernés, sans leur donner les outils nécessaires pour les compiler, ce qui rend leur rôle décoratif.

4. Elle encourage l’expansion inconsidérée des sources d’énergie renouvelables (SER) industrielles, en particulier l’énergie éolienne, qui ont déjà provoqué une dégradation de l’environnement et une charge financière pour les consommateurs afin de garantir des profits excessifs aux investisseurs

5. Elle légalise la construction illégale dans les zones forestières et, dans certains cas, dans les zones humides et les cours d’eau. Elle rétablit la légalisation des « densités résidentielles » qui ont été rejetées par le Conseil d’État hellénique (Symvoulio tis Epikrateias), la Cour administrative suprême de Grèce. De plus, en maintenant les constructions illégales et les intrusions dans les cours d’eau, il augmente le risque d’inondation et rend la canalisation « nécessaire » pour les projets de voies navigables.

6. Elle simplifie les procédures de gestion des déchets solides et ne prend pas de mesures contre la dégradation/détérioration des cours d’eau due à l’élimination incontrôlée des déchets urbains et industriels qui s’y trouvent. Elle ne garantit pas la prévention des déchargements illégaux de déchets dans les cours d’eau et autres espaces publics/privés, qui, ces dernières années, ont transformé toutes les zones périurbaines en vastes décharges. Elle supprime l’autorisation de transfert des déchets, en la remplaçant par une simple inscription dans un registre. Elle ne prend pas de mesures pour l’élimination illégale des déchets dans les cours d’eau.

7. Il viole les dispositions constitutionnelles, les directives européennes et les conventions internationales. A titre indicatif : Article 24 de la Constitution grecque, directives européennes sur la protection des habitats et des espèces 92/43/CEE, sur la protection des oiseaux sauvages 2009/147/CE, sur les eaux 2000/60, sur la stratégie marine en Méditerranée 2008/59, Convention internationale de Ramsar sur les zones humides, Traité de Barcelone pour la protection de la Méditerranée.

La crise mondiale actuelle montre la nécessité immédiate d’un changement de cap dans la gestion de l’environnement : Nous devons veiller à ce que l’environnement soit maintenu, protégé et restauré et ne pas permettre aux gouvernements de sacrifier l’environnement sur l’autel d’intérêts économiques éphémères. Le multiprojet de loi « Modernisation de la législation environnementale » va clairement dans la deuxième direction.

Étant donné qu’il est soumis au vote dans une situation sans précédent où, en tant que citoyens, nous n’avons pas le droit d’exercer nos droits constitutionnels/démocratiques fondamentaux, de convoquer des réunions/assemblées, de nous réunir dans nos organes collectifs, d’inviter à des rassemblements, etc. l’ensemble du processus d’adoption d’un projet de loi très important sur toutes les questions environnementales ne peut être qualifié que d’antidémocratique.

Pour toutes ces raisons, nous demandons le retrait immédiat du projet de loi intitulé « Modernisation de la législation environnementale » dans son intégralité.

Comment ce pays si riche…»

Un appel de Vincent Lindon: «Comment ce pays si riche…»

Par Fabrice Arfi

Le comédien a confié à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne). Un texte puissamment politique, avec un objectif: ne pas en rester là.

«Spécialiste en rien, intéressé par tout », comme il se définit lui-même, Vincent Lindon cultive une parole publique rare que la crise insensée que nous vivons a libérée. Radicalement absent des réseaux sociaux – il n’est ni sur Facebook, ni sur Twitter, ni Instagram, ni nulle part de ce genre –, le comédien a décidé de confier à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne).

Ce n’est pas un comédien qui s’exprime ici, et encore moins un artiste coincé dans son écosystème, celui de la culture ; le mot est d’ailleurs absent de son texte. Non pas que le sujet ne lui soit pas d’une importance cruciale – il l’est, vu le péril qui guette (voir nos articles ici, ici, ou ) –, mais c’est au-delà de cet horizon que regarde le comédien.

Vincent Lindon parle à hauteur de citoyen. Un citoyen qui, d’où il est – et qui sait d’où il vient et où il est –, regarde la cité tétanisée par une crise sanitaire agissant au fil des semaines comme le puissant bain révélateur d’autres crises (sociale, politique et morale) qui sourdent dans le pays depuis si longtemps.

L’homme qui, probablement comme peu d’acteurs avant lui, a su incarner les voix indignées et les corps fourbus que le néolibéralisme détruit le temps d’une vie, livre ici un texte puissamment politique, au plus beau sens du terme. Il y est évidemment question de la crise de l’hôpital, mais aussi des institutions de la Ve République, du présidentialisme, de répression policière, de justice fiscale ou de corruption. En creux, de cette « décence commune » chère à Orwell qui semble tant manquer à notre époque.

Pour écrire son texte, Vincent Lindon s’est fait un peu journaliste – il a interrogé des spécialistes de médecine ou d’économie avant de prendre la plume. Il est aussi un peu politique – il ne fait pas que s’indigner, il propose.

C’est, en d’autres termes, un citoyen total, qui veut apprendre pour comprendre, comprendre pour juger, juger pour proposer, avec un objectif : ne pas en rester là. Afin que le monde d’après ne soit pas celui des idées d’avant qui ont concouru à cette perte que la pandémie fait ressentir à chacun de nous, bien sûr à des degrés divers, jusque dans son intimité confinée.

Images et montage: Max Jouan ; production : Pierre Cattan

* * * *

Ci-dessous la retranscription du texte de Vincent Lindon :

Comment ce pays si riche…

Traversé par le flot incessant des commentaires, désorienté par l’addition d’analyses souvent contradictoires, j’ai tenté de réfléchir à la question la plus banale : mais comment avons-nous pu en arriver là ? À cette situation inédite, littéralement stupéfiante.

Spécialiste en rien, intéressé par tout, il m’a paru pourtant utile de contribuer en faisant entendre une voix simplement citoyenne. Suis-je légitime pour interpeller nos dirigeants, tous professionnels de la chose publique, tous diplômés des meilleures écoles ? Pas plus qu’un autre sans doute, mais pas moins non plus, ayant pris soin de consulter nombre d’avis autorisés, notamment dans le domaine de la santé, où André Grimaldi [professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière – ndlr] m’a apporté son éclairage.

Comment ce pays si riche, la France, sixième économie du monde, a-t-il pu désosser ses hôpitaux jusqu’à devoir, pour éviter l’engorgement des services de réanimation, se résigner à se voir acculé à cette seule solution, utile certes, mais moyenâgeuse, le confinement ? Nous qui, au début des années 2000 encore, pouvions nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé du monde.

C’était avant.

Avant que s’impose la folle idée que la santé devait être rentable, puisque tout désormais devait être marchandise, jusqu’à la vie des hommes.

Un espoir s’était pourtant levé avec le nouveau chef de l’État Emmanuel Macron, et son programme promettant un « investissement massif dans le système de santé ». Hélas, l’élection acquise, il préféra poursuivre l’action de ses prédécesseurs. S’il n’est donc que le dernier avatar d’une même politique, il porte pourtant une responsabilité particulière, pour avoir ignoré tous les signaux d’alerte.

Douze mois de grève des urgences ? Les patients patienteront.

1 200 chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives ? Moins de paperasse.

Présence massive des soignants dans toutes les manifestations ? Sortez les LBD et les grenades de désencerclement…

Au-delà de la santé, c’est l’ensemble du secteur public qui subit depuis des décennies les coups de boutoir des présidents qui se succèdent avec toujours la même obsession : réduire la place de l’État dans l’économie. La recette est simple : privations pour ce qui coûte (l’éducation, la justice, la police, l’armée, la santé…) et privatisations pour ce qui rapporte.

Tandis que les budgets des ministères régaliens sont comprimés et les salaires de leurs fonctionnaires bloqués, la grande braderie est ouverte. Villepin solde les autoroutes, Nicolas Sarkozy fait absorber Gaz de France par un groupe privé, Suez, et enfin François Hollande, sous la férule de Macron, démembre Alstom pour le plus grand profit de l’américain General Electric.

Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, la fête continue. Deux entreprises publiques, la Française des jeux (FDJ) et Aéroports de Paris (AdP), sont très rentables ? Vendez-les !

Pour comprendre l’attachement aveugle de notre président à cette ligne idéologique, il est nécessaire de revenir sur trois années d’exercice de son pouvoir, que notre Constitution a voulu absolu.

Qu’en retenir ?

Dès les premiers jours, une évidence : le goût du nouveau président pour la pompe et les rites de la monarchie, se mettant régulièrement en scène dans les décors de la royauté ; ainsi a-t-il choisi le palais du Louvre pour son intronisation, marchant seul devant la pyramide, le château de Versailles pour recevoir Vladimir Poutine, l’empereur du Japon ou 150 millionnaires high-tech et, enfin, celui de Chambord pour célébrer son 40e anniversaire.

Une prédilection annoncée par des déclarations antérieures – en 2015, il affirmait déjà : « Dans la politique française, l’absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort » – et confirmée jusque dans son programme, qui prévoyait de rétablir les chasses présidentielles. Ce qui n’a rien d’un détail.

L’ego comblé, le jeune homme allait pouvoir s’attaquer à son grand œuvre : bâtir cette « start-up nation » où les « premiers de cordée » allaient tirer vers les cimes ces « Gaulois réfractaires ». Au pas de charge : suppression de l’ISF et allègement de l’impôt sur les profits financiers pour les uns, réformes restrictives du droit du travail ou des allocations chômage et baisse des APL pour les autres. Cinq euros en moins sur les APL ! Mais qu’est-ce qui peut bien passer par la tête d’un dirigeant pour accoucher d’une aussi mauvaise idée ? La brume des sommets obscurcit-elle le jugement au point de lui faire oublier le poids des symboles ? C’était donc ça le « en même temps » macronien, des offrandes pour ceux qui n’ont besoin de rien, des sacrifices pour ceux qui ont besoin de tout ?

Mais c’est le premier été du quinquennat, et tout semble encore permis au conquérant de l’Élysée. Malgré quelques protestations, le nouveau monde impose ses lois grâce au soutien de sa majorité obéissante et reconnaissante.

Premier grain de sable à l’été 2018, l’affaire Benalla et son traitement rocambolesque, qui jette une lumière crue sur la conception et les pratiques du pouvoir.

Avec l’automne, un vent se lève, une révolte inattendue et pourtant évidente : des femmes et des hommes en jaune envahissent les ronds-points et les Champs-Élysées, naturellement accompagnés par une très faible minorité qui prétexte le port de la chasuble pour casser plutôt que pour revendiquer, une revendication légitime qui emporte l’adhésion de l’opinion, contraignant le gouvernement à un repli tactique : 10 milliards jetés à la hâte pour tenter d’éteindre la colère sociale.

Trop tard. Les sacrifiés de la mondialisation ultralibérale veulent plus. Plus de moyens, certes, mais aussi plus de pouvoirs, notamment celui de contrôler ceux dont la mission est de les représenter.

Après la carotte, vient le temps du bâton. Une répression brutale, policière, avec mains arrachées et manifestants éborgnés, mais aussi judiciaire, avec une distribution massive de condamnations fermes. Pendant que les pouvoirs exécutif et judiciaire répriment, les législateurs ferraillent pour imposer une réforme des retraites dont une majorité des Français ne veut pas.

Occupés à bâtir leur nouveau monde, les responsables n’accordent qu’une attention distraite à un virus agressif qui, parti de Chine, va très vite ravager la planète et envahir la totalité de l’espace politique, donnant à nos gouvernants l’occasion de montrer l’étendue de leur compétence.

Dans les hôpitaux, la situation est dramatique. On manque de tout, de masques, de gel, de tests, de respirateurs, de lits et de personnels en réanimation. Le 29 février, après que le Covid-19 a fait ses premières victimes en France, Édouard Philippe convoque un conseil des ministres extraordinaire consacré au virus. Une grande décision en ressort : utiliser le 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites !

Alors que l’épidémie progresse, se faisant pandémie, le pouvoir s’affole, s’agite comme un poulet sans tête. Sur quoi s’interroge l’exécutif aux premiers jours de mars ? Mais sur le maintien des municipales, bien sûr ! La veille du premier tour, le premier ministre joue les contorsionnistes, invitant les Français à rester chez eux, mais, en même temps, à aller voter. Chapeau l’artiste !

Pendant que nos voisins allemands se mettent en ordre de bataille, le gouvernement français peaufine sa communication.

Une seule stratégie, mentir.

Relayant le discours présidentiel, l’équipe gouvernementale multiplie les déclarations absurdes et contradictoires. Ainsi affirme-t-on successivement qu’il ne s’agit que d’une « grippette », que l’épidémie, comme le nuage de Tchernobyl, ne touchera pas la France – alors même qu’à notre frontière sud, l’Italie est frappée –, puis qu’elle est « sous contrôle », avant de devoir avouer la gravité de la situation.

Sur la question cruciale des masques de protection, la parole officielle est schizophrène : aux premiers temps, leur utilité est affirmée. D’ailleurs, il y en a des millions en stock, prêts à être distribués à la population en cas de besoin. La menace virale se précisant, les masques sont soudain déclarés inutiles, voire dangereux puisqu’on ne sait pas s’en servir. Ce qui est fort opportun, puisque les stocks se sont volatilisés.

Pschitt…

Plus de masques.

Pas même de quoi équiper tous les soignants qui doivent monter au front armés de leur seul courage. Bon, d’accord, pas de masques, mais ils arrivent. Quand ? Mais demain, bien sûr ! Hélas, les jours et les semaines passent, la pénurie persiste. Ignorés, méprisés et matraqués quelques semaines plus tôt, les soignants sont désormais portés aux nues.

Pour le commun des Français, le confinement est la règle, chômage technique pour les uns, télétravail pour les autres. Tous les Français ? Non. Pour les caissières, les livreurs, les éboueurs, les policiers ou les pompiers, l’activité doit se poursuivre, quels que soient les périls. Eux qui formaient le gros des bataillons en gilet jaune, naguère vilipendés, sont désormais officiellement essentiels. Exit les premiers de cordée, place aux premiers de corvée.

Le 23 avril, dans une adresse solennelle à la nation, le président Macron annonce enfin le déconfinement pour le 11 mai. Pourquoi le 11 plutôt que le 5 ? Pourquoi mai plutôt que juin ? Parce que.

Deux semaines plus tard, le premier ministre en dévoile les conditions. Acte 1 : réouverture des crèches et des écoles primaires. Curieux puisqu’elles avaient été les premières à être fermées, avant même le début du confinement, au motif qu’elles étaient un lieu hautement favorable à la propagation du virus… Évidemment économique – il s’agit bien sûr de libérer les parents de l’obligation de garder leurs jeunes enfants, pour leur permettre de reprendre le travail –, la véritable raison de ce choix sera passée sous silence, voire niée, alors même qu’elle est audible : vouloir éviter l’effondrement total de l’activité et son cortège de drames est après tout une motivation hautement respectable.

Empêtré dans ses mensonges et ses omissions, le pourvoir tergiverse. Très vite, le discours s’infléchit : l’obligation de retourner en classe ne s’appliquera pas systématiquement. Les maires, les préfets pourront décider, ou non, de s’y conformer.

Mieux, les parents seront libres de garder leurs enfants à la maison. Dans les milieux favorisés, on n’hésitera guère. Mais dans les milieux plus modestes, le dilemme est cornélien. Alors que le chômage enfle, dois-je exposer mon enfant au risque de tomber malade, ou accepter l’éventualité de perdre mon emploi ? Et si les parents sont d’avis contraires, le couple pourra-t-il résister, notamment si les choses tournent mal ? Questions sans réponses…

Une bonne nouvelle, pourtant : les masques arrivent. Des masques en tissu, lavables et réutilisables. Efficaces ? « Oui, dit le Pr Grimaldi, contre la transmission du virus. Mais comme ils n’empêchent pas le porteur d’être infecté lui-même, la mesure ne vaut que si elle s’impose à tous, dans l’espace public au moins. » Prisonnier de son discours récent, le gouvernement ne peut se résoudre à rendre obligatoires partout ces masques qu’hier encore il déclarait inutiles. « Pourtant, ajoute le Pr Grimaldi, on a le droit de se tromper, mais le devoir de reconnaître ses erreurs. »

Au rythme où s’enchaînent les événements, ce droit à l’erreur pourrait bien m’être utile, mes propos risquant de devenir rapidement caducs, tant les stratégies gouvernementales oscillent, sinon à la vitesse de la lumière, au moins à celle où se propage le virus.

En termes de gestion et de communication de crise, je ne sais pas qui aurait pu faire mieux, mais je ne vois pas qui aurait pu faire pire.

En mettant au jour ses insuffisances, cette crise pourrait-elle être l’occasion d’une refonte radicale de notre démocratie ? Dans un discours célèbre, Churchill affirmait que c’était là « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». Mais, ajoutait-il aussitôt, « la démocratie n’est pas un lieu où on obtient un mandat déterminé sur des promesses, puis où on en fait ce qu’on veut ».

Si l’on s’accorde pour ne pas changer de système, alors il faut changer LE système.

Mais l’urgence est ailleurs. Déjà insupportables, les inégalités ont explosé avec la pandémie. Confinés dans des logements exigus ou contraints d’affronter les périls, les plus fragiles vivent des jours terriblement difficiles. Et leurs lendemains ne chantent pas. Après la crise sanitaire, ils seront sûrement les premières victimes de l’inévitable catastrophe économique et sociale.

Que faire ?

L’État ne pouvant pas tout, il me paraît impératif d’innover. Comment ? En demandant aux plus grosses fortunes une solidarité envers les plus démunis. Cette idée, juste et légitime, pourrait prendre la forme d’une contribution exceptionnelle, baptisée « Jean Valjean », conçue comme une forme d’assistance à personnes en danger, financée par les patrimoines français de plus de 10 millions d’euros, sans acrobaties, à travers une taxe progressive de 1 % à 5 %, avec une franchise pour les premiers 10 millions d’euros.

À période exceptionnelle, contribution exceptionnelle. Même si j’applaudirais évidemment tout amendement visant à pérenniser cet effort de réduction des inégalités. Après tout, une fois peut devenir coutume.

D’après les économistes que j’ai pris soin de consulter, cette contribution devrait représenter environ 36 à 37 milliards d’euros, qui seront distribués aux quelque 21,4 millions de foyers trop pauvres pour être assujettis à l’impôt sur le revenu.

Compte tenu de l’urgence, l’État assurerait la trésorerie et abonderait marginalement la collecte, leur distribuant sans délai et sans prélèvement, la somme de 2 000 €, à charge pour lui de recouvrer ultérieurement le produit de la contribution « Jean Valjean ».

Même si je ne doute pas un instant que les plus riches de nos concitoyens se réjouiront de l’occasion ainsi offerte de montrer leur patriotisme et leur générosité, il me paraît prudent que les législateurs mettent en place des sanctions suffisamment dissuasives pour décourager les improbables mauvaises volontés. Je pense ici, surtout, à nos compatriotes domiciliés fiscalement à l’étranger, évidemment conviés à manifester leur solidarité.

Mon rôle n’est évidemment pas d’entrer dans le détail de ces sanctions. Je voudrais néanmoins en proposer une, essentiellement symbolique – car je crois, moi, à la force du symbole : alléger les réfractaires de leurs pesantes décorations (Ordre du mérite ou Légion d’honneur, par exemple) pour leur permettre de gambader librement dans les couloirs des hôpitaux étrangers, voire français, où ils seraient évidemment les bienvenus après avoir refusé de financer notre système de santé national et plus généralement notre service public. En un mot, leur pays.

Bien sûr, je sais que ces précautions seront sans nul doute inutiles, tous ces privilégiés étant bien conscients de ce qu’ils doivent au pays qui les a formés et souvent enrichis. Mais la confiance n’excluant pas la prudence, de telles dispositions ne sauraient nuire.

Après cette mesure d’urgence, il sera temps de nous pencher sur les moyens de réparer notre démocratie. Comment ? On pourra s’étonner que je me pose la question et plus encore que j’essaie d’y répondre. Alors, sans prétendre détenir des solutions – j’ai gardé le sens du ridicule –, je me risque à évoquer quelques pistes de réflexion.

Instituer des contre-pouvoirs. La Constitution de la Ve République avait été taillée sur mesure pour le général de Gaulle. Un costume bien trop grand pour ses récents successeurs. D’autant que, depuis l’instauration du quinquennat, le président dispose toujours, et pendant toute la durée de son mandat, d’une franche majorité au Parlement. Élue en même temps que lui, grâce à lui et sur son programme, l’Assemblée nationale a logiquement la même couleur que l’Élysée et le législatif n’a donc pas vocation à s’opposer à l’exécutif.

Quant au pouvoir judiciaire, son indépendance n’est que théorique, tant il est simple de le contrôler par le jeu des nominations et des promotions. Depuis Montesquieu, qui a théorisé la séparation des pouvoirs (il n’en connaissait que trois, lui), un quatrième s’est imposé : la presse. Problème : neuf milliardaires en possèdent l’immense majorité, on ne s’étonnera donc pas que l’intérêt des puissants soit ménagé dans le traitement de l’information. Impuissante politiquement, la contestation s’exprime là où elle le peut encore, dans la rue et dans les sondages d’opinion.

Responsabiliser les élus. Les élus devront être comptables de leur action devant le peuple dont ils ont obtenu la confiance. Une élection, c’est quoi ? C’est l’histoire d’un mec qui arrive et qui dit : « Faites-moi confiance, voilà ce que je vais faire », et qui, une fois élu, ne le fait pas. À la place, il fait autre chose ou rien. Eh bien non, ça ne peut plus marcher comme ça. En cas de défaillance, il est nécessaire qu’ils puissent être démis de leur fonctions, démocratiquement, c’est-à-dire si une fraction de citoyens le propose et si une majorité d’électeurs l’exige.

Insistons : cette mesure doit s’appliquer à tous les élus, jusqu’au président de la République, qui, en France, ne peut être démis par personne en cours de mandat, ni même être jugé depuis la scandaleuse décision du Conseil constitutionnel sous la présidence du douteux Roland Dumas.

Sanctionner sévèrement les dérives, pour interdire l’alliance mortifère entre les copains et les coquins. Depuis des décennies, aucun élu, même le plus corrompu, ne craint les rigueurs de la loi. Il y a à cela une excellente raison : la prison, c’est pour les autres. Eux pourront toujours solliciter les meilleurs avocats et multiplier les procédures des décennies durant, jusqu’au moment où les juger n’aura plus aucun sens.

D’où une proposition en trois points :

  1. Rendre passible de longues années de prison ferme tout acte de corruption avérée d’un élu. Parce qu’elle menace dangereusement la démocratie, en décourageant le vote notamment, la corruption politique me paraît un crime plus grave qu’un braquage de banque. Excessif ? Je ne pense pas. Enfant, je me souviens que, sur les billets de banque, il était inscrit que « la fabrication de fausse monnaie [était] passible des travaux forcés à perpétuité ». Pas une goutte de sang versée, pourtant, mais une atteinte criminelle au bien commun.
  2. Définir des couloirs judiciaires dédiés, pour éviter qu’on ne juge que des cadavres. L’ensemble des procédures, appel et cassation compris, devra être bouclé dans les 12 mois suivant l’ouverture de l’instruction.
  3. Augmenter fortement la rémunération des hommes et des femmes qui choisiront de servir la collectivité avec compétence, zèle et intégrité. Pourquoi ? Pour avoir les meilleurs. Pour leur éviter la tentation. Et pour rendre inexcusable qu’ils y cèdent.

Constitutionnelles, électorales ou judiciaires, ces propositions de réforme peuvent apparaître éloignées des préoccupations immédiates, en ces temps troublés surtout.

Je les crois pourtant essentielles. Même si elles ne résolvent pas l’ensemble des problèmes auxquels notre époque est confrontée, elles m’apparaissent nécessaires pour rétablir l’indispensable confiance du peuple en ses représentants, enfin comptables de leurs promesses comme de leur action, et responsables de leurs erreurs.

Source https://www.mediapart.fr/journal/france/060520/un-appel-de-vincent-lindon-comment-ce-pays-si-riche

Un printemps chaotique en Méditerranée

De SOS Mediterranée

Alors que les combats se poursuivent en Libye, de nombreuses personnes continuent de fuir ce pays par la mer, au péril de leur vie. Dans le contexte d’épidémie mondiale de Covid-19, les navires humanitaires de sauvetage en mer se trouvent quasiment tous en incapacité d’opérer, ce qui augmente considérablement le risque de sombrer en Méditerranée pour ces hommes, ces femmes et ces enfants qui tentent la traversée. Chronique d’un printemps chaotique en Méditerranée centrale.

Des centaines de personnes tentent de fuir la Libye   

C’est un fait malheureusement avéré et dont SOS MEDITERRANEE est le témoin depuis plusieurs années : l’arrivée des beaux jours est propice aux départs depuis les côtes libyennes. Et malgré la situation inédite de pandémie de Covid-19, cette situation se répète. En effet, ne serait-ce qu’au cours du premier week-end de mai, plusieurs centaines de personnes ont failli perdre la vie en mer, entre la Libye et les côtes européennes.
Dans la nuit du 2 au 3 mai, l’ONG Alarm Phone, qui gère une hotline téléphonique pour les personnes en détresse en mer, a reçu un nouvel appel au secours : 78 personnes étaient à bord d’une embarcation en détresse, dont une femme enceinte avec un besoin urgent d’assistance médicale. Ces personnes ont été secourues par un navire marchand, le Marina, et sont bloquées à son bord, dans l’attente d’un port sûr où débarquer, à l’heure où nous écrivons ces lignes.
57 personnes sont également bloquées en mer à bord de l’Europa II, navire de tourisme maltais sur lequel elles ont été transférées après avoir été interceptées par un navire de pêche mandaté par le gouvernement maltais, le jeudi 30 avril. Vendredi 1er mai, le Premier ministre maltais, Robert Abela, a déclaré que l’Europa II resterait ancré en dehors des eaux territoriales avant de pouvoir débarquer : « jusqu’à ce que l’Union européenne trouve un moyen de les relocaliser » en évoquant les personnes secourues[1].
Au cours de ce même week-end, des navires des garde-côtes italiens et de la patrouille de la police financière italienne ont également secouru 69 personnes.
Par ailleurs, plusieurs arrivées autonomes ont été constatées depuis plusieurs semaines à Lampedusa.

Quelques semaines plus tôt, l’organisation internationale pour les migrations (OIM) exprimait son extrême préoccupation dans un communiqué de presse diffusé le 17 avril[2]. L’OIM déclarait que, sur la semaine précédente, au moins 800 personnes avaient quitté la Libye pour tenter la traversée vers l’Europe. L’organisation indiquait que près de 400 avaient été renvoyées en Libye où elles sont désormais détenues, et ajoutait « au moins 200 d’entre elles se sont retrouvées dans des centres non officiels et sont maintenant également portées disparues ».

Absence de navires humanitaires en zone de recherche et de sauvetage

En ces temps de pandémie, le contexte opérationnel est toujours très complexe pour les navires humanitaires intervenant en Méditerranée centrale comme pour l’ensemble du monde maritime (mises en quarantaine, graves perturbations dans l’accès aux services logistiques et portuaires, impossibilités d’effectuer les relèves d’équipage), mais aussi du fait de la fermeture des ports italiens et maltais qui offrent habituellement des lieux sûrs pour le débarquement des rescapés. Pour toutes ces raisons, la majorité des ONG de recherche et de sauvetage en mer ont mis en pause leurs activités en Méditerranée centrale. Seuls les navires Alan Kurdi, de l’ONG allemande Sea-Eye, et Aita Mari, de l’ONG basque Salvamento Maritimo Humanitario étaient présents en Méditerranée centrale au début du mois d’avril.

Le 6 avril, l’Alan Kurdi portait secours à 150 personnes en deux opérations de sauvetage. Le 14 avril, l’Aita Mari secourait à son tour 43 personnes. A bord de chacun de ces deux navires, l’attente pour une solution de débarquement a été longue et douloureuse. Plusieurs évacuations sanitaires ont dû avoir lieu en urgence et les rescapés ont finalement été transbordés sur un ferry italien, le Raffaele Rubattino, ancré en face du port de Palerme, pour y être placés en quarantaine. D’après les informations recueillies par les médias italiens, tous les rescapés ont été testés négatifs au Coronavirus.
Les équipes de l’Alan Kurdi et de l’Aita Mari ont quant à elle été mises en quarantaine à bord de leurs navires respectifs.
Les 183 personnes ont finalement pu débarquer dans la soirée du lundi 4 mai à Palerme, en Sicile, après avoir frôlé la mort, puis vécu un mois en mer, dont quatorze jours de quarantaine. A l’heure où nous écrivons, l’information sur une éventuelle répartition de ces personnes dans les différents pays de l’Union européenne n’a pas été communiquée.
Mardi 5 mai, l’agence de presse italienne ANSA a rapporté que les autorités italiennes ont immobilisé le navire Alan Kurdi de l’ONG Sea Eye, après que les garde-côtes italiens ont constaté des « irrégularités » lors d’une inspection effectuée à bord du navire qui est donc désormais bloqué à quai dans le port de Palerme.
Mercredi 6 mai, plusieurs médias italiens ont rapporté que les autorités italiennes ont également immobilisé l’Aita Mari de l’ONG Salvamento Maritimo Humanitario, qui est aussi bloqué à quai dans le port de Palerme.

A ce jour, il n’y a donc plus aucun navire de sauvetage présent en Méditerranée centrale.

Un week-end pascal meurtrier en Méditerranée

Dans un communiqué publié le 24 avril 2020[3], l’OIM établissait les faits tragiques qui se sont déroulés durant le week-end de Pâques. L’organisation indique que 12 personnes, qui étaient bloquées sur une embarcation pneumatique en détresse, ont perdu la vie entre la Libye et Malte au cours du week-end. Elles faisaient partie d’un groupe de 63 personnes, parties de Qarapoli, en Libye. Dans la nuit du 10 au 11 avril, elles ont joint la hotline téléphonique de l’ONG Alarm Phone en formulant un appel de détresse. Près de quatre jours plus tard, le 14 avril, c’est un navire de pêche qui les a pris en charge à son bord, à 20 milles marins au sud de Lampedusa, dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise. Ils ont alors découvert les corps sans vie de cinq hommes.
Les survivants – 40 hommes, huit femmes et trois enfants – tous érythréens et soudanais, ont été renvoyés en Libye le lendemain. Au total, 12 personnes ont perdu la vie dans la tentative de traversée, les survivants ayant rapporté que sept personnes s’étaient noyées au moment de la prise en charge.

Interceptions et refoulements vers la Libye

A ces nouvelles tragiques viennent s’ajouter les révélations parues dans le New-York Times le 30 avril 2020. Dans une enquête édifiante[4] basée sur le travail d’un journaliste maltais, Manuel Delia, et d’un journaliste italien, Nello Scavo, le journal américain rapporte que « le gouvernement maltais a réquisitionné trois chalutiers privés pour intercepter les migrants en Méditerranée et les forcer à retourner dans une zone de guerre, selon des responsables et un capitaine de bateau ».

Ces activités ont été documentées pour la première fois dans la soirée du 12 avril, d’après le New-York Times, au cours de ce même week-end de Pâques où plusieurs personnes ont perdu la vie en Méditerranée centrale.

Un ancien fonctionnaire maltais, Neville Gafa, dit avoir été mandaté par le cabinet du Premier ministre maltais et précise que « les chalutiers ont été envoyés pour intercepter un bateau de migrants tentant de rejoindre Malte depuis la Libye – et qui avait émis des appels de détresse depuis environ 48 heures – puis de ramener ses passagers en Libye ».
L’embarcation mentionnée plus haut, sur laquelle 12 personnes ont perdu la vie, et qui a été renvoyée en Libye au cours du week-end de Pâques, a donc été interceptée par l’un de ces chalutiers mandatés par le gouvernement maltais.

La Libye n’est pas un lieu sûr

En Libye, les combats continuent à faire rage dans la région de Tripoli. Les bombardements ont notamment touché le port de la capitale du pays, si bien que les garde-côtes libyens ont déclaré eux-mêmes après l’interception d’embarcations en détresse au large de leurs côtes, que les rescapés ne pourraient y être débarqués, Tripoli ne pouvant être considéré comme un port sûr[5]. Une déclaration qui n’a pas pour autant stoppé les interceptions d’embarcations et retours forcés de personnes, pratiqués par les garde-côtes libyens ces dernières semaines. Par ailleurs, des structures de santé ont également été touchées par les bombardements à plusieurs reprises ces dernières semaines.

Dans ce contexte extrêmement préoccupant, une majorité de députés européens a insisté sur le fait que la Libye n’est pas un « pays sûr » pour le débarquement des personnes secourues en mer et a demandé que la coopération entre l’Union européenne et les garde-côtes libyens cesse, lors d’un débat qui s’est déroulé au sein de la Commission des libertés civiles lundi 27 avril[6].

Le même jour, trois ONG, le Global legal action network (GLAN), l’Association pour les études juridiques sur l’immigration (ASGI) et l’Association italienne des loisirs et de la culture (ARCI) déposaient une plainte pour « infractions aux règles financières de l’UE » auprès de la Cour européenne des comptes[7]. Soutenues par une dizaine d’ONG de défense des droits de l’Homme, dont Amnesty international[8], elles réclament un audit sur le financement des garde-côtes libyens par l’Union européenne.

Face à cette situation particulièrement grave en Méditerranée centrale, les équipes de SOS MEDITERRANEE mettent tout en œuvre pour que l’Ocean Viking reprenne ses opérations de sauvetage le plus rapidement possible. Nous sommes en train de constituer une nouvelle équipe médicale à bord pour prendre soin des futurs rescapés, de poursuivre la mise en place des protocoles de prévention face au Covid-19 et de nous préparer au mieux à reprendre notre mission urgente et fondamentale : sauver des vies en mer. 

Crédits photo : Julia Schaefermeyer / SOS MEDITERRANEE


[2] Communiqué de presse de l’OIM, 17 avril 2020 : https://www.iom.int/news/migrants-missing-libya-matter-gravest-concern

[4] Article du New-York Times publié le 30 avril 2020 : https://www.nytimes.com/2020/04/30/world/europe/migrants-malta.html

[7] Communiqué de presse commun du GLAN), de l’ASGI et de l’ARCI), 27 avril 2020 : https://c5e65ece-003b-4d73-aa76-854664da4e33.filesusr.com/ugd/14ee1a_e8f5cf3c8e76459496c241d4b57450c6.pdf

Source http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/printemps-chaotique

 

 Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches

« Suspendre le paiement des dettes et taxer les riches » pour affronter la crise sanitaire

Eric Toussaint interviewé par Karen Mendez Loffredo

Lorsque l’urgence sanitaire liée au COVID-19 passera, de nombreux pays du monde entier seront confrontés à un autre défi majeur : la crise économique laissée par le coronavirus. Pour l’éviter, de nombreuses propositions sont sur la table : le non-paiement de la dette en fait partie.

Éric Toussaint, historien belge et docteur en sciences politiques de l’Université de Liège (Belgique), a passé une bonne partie de sa vie à auditer les dettes de différents pays du monde et à demander leur annulation/répudiation en raison de leur caractère « illégitime et odieux ».

Aujourd’hui, alors que le monde est confronté à l’une des pires crises sanitaires et économiques depuis la Seconde Guerre mondiale, cette demande commence à résonner dans différentes régions du monde.

Récemment, le pape François, lors de la messe du dimanche de Pâques, a demandé l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres. Un appel qui, peu de temps auparavant, avait déjà été lancé depuis l’Amérique latine par plusieurs anciens présidents et dirigeants politiques mondiaux tels que Rafael Correa, Gustavo Petro, Evo Morales, Álvaro García Linera, Dilma Rousseff, Fernando Lugo, José Luis Rodríguez Zapatero et Ernesto Samper, entre autres https://www.cadtm.org/L-heure-est-v…

Dans cette campagne, menée par le Centre stratégique géopolitique latino-américain (CELAG https://www.celag.org/wp-content/up… ), le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement ont été invités à annuler la dette extérieure.

«Nous ne pouvons pas exiger des pays qu’ils mettent en place des politiques de santé publique efficaces pour faire face à la pandémie actuelle et, en même temps, qu’ils continuent à respecter leurs obligations en matière de dette ; nous ne pouvons pas exiger d’eux qu’ils mettent en œuvre des politiques économiques qui compensent les dommages de cette catastrophe tout en continuant à payer leurs créanciers», ont déclaré ces dirigeants politiques dans une lettre publiée fin mars.

Karen Mendez Loffredo s’entretient avec Éric Toussaint, porte-parole du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), au sujet de cette nouvelle réalité à laquelle l’humanité est confrontée:

Vous avez récemment déclaré que pour faire face à la crise économique que la pandémie COVID-19 laissera derrière elle, il était «urgent de libérer des moyens financiers, mais de recourir le moins possible à plus de dettes». Comment y parvenir au milieu d’une situation aussi difficile ?

Il existe deux moyens fondamentaux:

1. suspendre le paiement de la dette et utiliser ces fonds pour investir dans l’achat de matériel médical et sanitaire, et faire les dépenses nécessaires pour faire face à la crise sanitaire et économique que le coronavirus va laisser.

2. En appliquant une taxe exceptionnelle sur les personnes les plus riches afin de disposer des fonds nécessaires.

Pour vous donner un exemple: en France, la personne la plus riche s’appelle Bernard Arnault et possède un patrimoine de 110 milliards d’euros, ce qui est exactement le chiffre décidé par le président Emmanuel Macron pour intervenir dans la crise en France. Ainsi, imposer une taxe aux plus riches, une poignée puisqu’ils représentent 1% de la population, qui pourrait être versée dans un fonds de lutte contre la crise.

Il y a bien sûr d’autres mesurespour trouver des financements: la banque centrale peut octroyer des prêts à taux zéro aux pouvoirs publics, prélever des amendes sur les entreprises responsables de la grande fraude fiscale, geler les dépenses militaires, mettre fin aux subsides aux banques et à des grandes entreprises,…

En Espagne, la dette publique représente 96 % du produit intérieur brut (PIB). Depuis plusieurs années, vous soutenez que la dette de ce pays est « illégitime et odieuse ». Pourquoi la classer ainsi ?

Car il faut se rappeler qu’avant la crise de 2010, l’Espagne avait une dette publique qui représentait moins de 40 % du PIB. Avec la crise et le sauvetage des banques, des sociétés financières et immobilières en Espagne, la dette a augmenté, a doublé, a presque atteint 100 % du PIB. Elle est donc illégitime et odieuse car il s’agit d’une dette qui a été accumulée pour sauver les banquiers responsables de la crise précédente, celle de 2008-2010. C’est une dette contractée pour servir les intérêts particuliers d’une minorité sans respecter l’intérêt général de la majorité de la population, donc une dette illégitime.

Le juriste russe Alexander Nahum Sack a introduit le terme de dette odieuse dans le droit international dans les années 1920. Pour lui, une dette est odieuse si elle répond à deux critères : elle a été contractée contre l’intérêt de la population ou de la nation, et deuxièmement, les prêteurs savaient (ou auraient dû savoir) que la dette contractée servait des objectifs contraires aux intérêts de la population. C’est pourquoi je dis que la dette espagnole après 2009-2010 est odieuse, car les prêteurs savaient que le gouvernement renflouait les banquiers qui avaient prêté l’argent à l’État pour être renfloués. C’est le même vieux cercle vicieux dans lequel les banquiers accumulent des richesses tandis que l’État et le peuple s’appauvrissent.

 Que voulez-vous dire par « ils ont prêté l’argent à l’État pour être sauvés » ?

 La situation est scandaleuse en ce qui concerne la Banque centrale européenne. Jusqu’à l’année dernière, la Banque centrale européenne accordait des crédits à des banques privées à des taux d’intérêt de 0 % et ces mêmes banques prêtaient l’argent à des États comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, via l’achat d’obligations souveraines, à des taux d’intérêt de 2, 3 ou 4 %.

Grâce aux aides de la Banque centrale européenne, les banques ont pu bénéficier d’un gain important. La situation est pire aujourd’hui car la Banque centrale européenne accorde des crédits aux banques privées à un taux négatif de – 0,75 %, en d’autres termes, une banque qui emprunte à la Banque centrale européenne gagne de l’argent. C’est scandaleux.

 Et que faut-il faire ?

 Ce qu’il faut faire dans ces circonstances de crise majeure, c’est amener la Banque centrale européenne à accorder des crédits directement aux États, à l’Espagne, au Portugal, à l’Italie et aux autres pays de la zone euro, pour combattre la crise, au lieu d’accorder des crédits à des banques privées. Il faut dénoncer le fait que la Banque centrale européenne accorde un monopole aux banques privées avec des privilèges, conformément au traité de Maastricht de 1992, qui stipule que la BCE ne peut pas accorder de crédit directement aux autorités publiques. C’est une politique totalement néolibérale qui doit être combattue car elle va à l’encontre des intérêts de la population.

 Vous faites partie de ceux qui sont favorables à la suspension du paiement de la dette extérieure, mais pour tout gouvernement, c’est une décision très difficile. Quels arguments juridiques les gouvernements pourraient-ils utiliser pour suspendre le paiement de leur dette extérieure ?

 Dans les circonstances actuelles, en pleine crise sanitaire et économique brutale, il y a trois arguments de droit international :

1. L’état de nécessité : c’est un concept qui établit que lorsqu’un pays, un État, est confronté à une crise dans laquelle la vie de sa population est en danger, cet État n’est pas obligé de respecter ses obligations internationales, par exemple, en termes de paiement de la dette parce qu’il doit répondre à la crise humanitaire ou sanitaire.

2. Changement fondamental de circonstances : ce concept établit que lorsque les conditions sont totalement différentes de celles qui existaient lors de la signature du contrat, l’exécution de ce contrat peut être suspendue.

3. Force majeure : il est déterminé ici que pour des raisons de force majeure, un État ne peut plus être en mesure de respecter ses obligations de paiement de la dette. Dans ce cas, le caractère illégitime ou odieux de la dette n’a aucune importance. La dette peut être tout à fait légale, légitime, mais elle peut être suspendue pour ces raisons de force majeure et pour les autres conditions remplies, c’est-à-dire l’état de nécessité et le changement de circonstances.

 Comment évaluez-vous la position de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, a refusé d’émettre des obligations de reconstruction, de mutualiser la dette et a proposé de recourir au mécanisme européen de stabilité sans conditions de paiement ? Comment évaluez-vous le rôle de l’Union européenne dans cette urgence sanitaire ?

L’Union européenne est un désastre. L’UE n’a même pas une équipe de dix médecins à envoyer dans le nord de l’Italie ou en Espagne. L’Union européenne ne dispose pas d’un stock de masques, de respirateurs.

L’Union européenne est un désastre dans cette crise sanitaire. Nous constatons que d’autres États comme Cuba ont envoyé plus de 100 médecins dans le nord de l’Italie et sont en mesure d’apporter leur aide en cas d’urgence. En d’autres termes, c’est un nouveau signe que l’Union européenne est une construction qui travaille en faveur du grand capital, pour intégrer les marchés en faveur des grandes entreprises qui contrôlent les moyens de production et concurrencent les autres puissances économiques. Mais l’Union européenne n’est pas au service de ses propres peuples.

 Il y a un avertissement selon lequel le monde va traverser une crise économique sans précédent. Elle est comparée à la dévastation économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Quelle réponse apporter à cette crise ?

Cette crise va être la plus importante de ces 70 dernières années. Nous sommes confrontés à une crise comme celle des années 1930.

Nous devons faire face à cette crise en rompant complètement avec la normalité qui nous a amenés ici, c’est-à-dire que nous devons repenser et changer fondamentalement le mode de production, les relations de propriété, la relation des êtres humains avec la Nature, la façon de vivre, en relocalisant la production, en donnant une autre dimension aux relations dans la production. Pour moi, cela s’appelle la révolution. Nous avons besoin d’une véritable révolution, non seulement dans l’esprit des gens, mais aussi dans la société, afin que 99 % des habitants de la planète reprennent les rênes de leur destin des mains de ce 1 % qui, jusqu’à présent, a profité de la situation pour accumuler des richesses.

 La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) vient de déclarer que le coronavirus aura un très grand impact négatif sur l’économie du continent latino-américain.

 Il est clair que l’Amérique latine n’entre que maintenant dans la crise qui touche principalement l’Europe et les États-Unis. L’Amérique latine et l’Afrique entrent dans une situation où elles doivent faire face à une épidémie avec un risque élevé de propagation accélérée. Pour des raisons totalement indépendantes de la volonté des peuples, ceux-ci sont directement victimes de la crise sanitaire et économique.

Les exportations de l’Amérique latine vont être très fortement réduites parce que cette région dépend de ses exportations de matières premières ; celles-ci seront brutalement réduites par la crise économique au nord et en Chine, de sorte que les pays vont entrer dans de plus grandes difficultés de paiement, comme le Venezuela et l’Argentine, qui étaient déjà en suspension partielle de paiement. D’autres pays de la région se trouveront également dans cette situation, comme l’Équateur, qui est déjà au bord de la suspension de paiement. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que nous devons utiliser les trois concepts d’état de nécessité, de force majeure et de changement fondamental de circonstances pour déclarer une suspension totale du paiement de la dette extérieure et utiliser ces fonds pour faire face à une crise qui ne fait que commencer.

 Mais il y a d’anciens présidents, comme Juan Manuel Santos, Fernando Henrique Cardoso, Ricardo Lagos et Ernesto Zedillo, qui ont demandé l’aide du FMI pour faire face à la crise sanitaire. Comment voyez-vous cette demande ?

Je suis contre le fait de demander, une fois de plus, l’aide du Fonds monétaire international. Les aides du FMI sont toujours conditionnées à la mise en œuvre d’un modèle néolibéral.

Comme je l’ai expliqué au début, il existe des sources alternatives de financement pour faire face à la crise et ne pas avoir à recourir au FMI, qui fait partie du problème et non de la solution. On peut rappeler qu’en 2018, l’Argentine, avec le gouvernement de Mauricio Macri, a demandé au FMI un crédit d’environ 57 milliards de dollars et qu’elle est maintenant en pleine crise. C’est le FMI qui a ordonné à Lenin Moreno en Équateur d’augmenter le prix du carburant l’année dernière et qui a provoqué une rébellion populaire totalement justifiée. Il n’est donc pas surprenant que d’anciens présidents néo-libéraux tels que Santos ou Cardoso demandent à nouveau l’aide du FMI. Nous devons dire que les peuples n’ont pas besoin de cette aide empoisonnée.

 Nous voyons que la pandémie COVID-19 a accentué la lutte, la confrontation entre les modèles politiques, sociaux et de production. Nous voyons plus que jamais le capitalisme confronté aux propositions socialistes. Comment se présente le monde post-coronavirus ?

 Elle dépendra entièrement de la capacité des citoyens du monde à reprendre leur destin en main. Nous constatons que dans la plupart des cas, les gouvernements sont incapables de faire réellement face à la situation, comme le président brésilien J. Bolsonaro, qui est totalement fou dans le gestion de la crise sanitaire, ou le gouvernement de D. Trump. L’autoorganisation, la participation politique et citoyenne des majorités sont fondamentales pour construire de nouvelles perspectives et de nouvelles expériences.

Traduit par Éric Toussaint avec l’aide de www.DeepL.com/Translator (version gratuite)
Source :https://mundo.sputniknews.com/entre…

Auteur.e Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

Source http://www.cadtm.org/Suspendre-le-paiement-des-dettes-et-taxer-les-riches-pour-affronter-la-crise

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