Publications par auteur⋅ice

Author Archive by rédaction

Des camps d’asile fermés en Grèce

Après la Moria, l’UE va expérimenter des camps d’asile fermés sur les îles grecques

Un « camp fermé » pour les personnes déplacées est en cours d’installation à Samos dans le cadre de la stratégie de l’UE visant à renforcer ses frontières extérieures. Ni les habitants de l’île ni les personnes qui y seront détenues ne veulent de ce camp.

Le site de ce qui sera l’un des premiers nouveaux camps de l’UE pour les personnes déplacées est entouré d’une clôture en fil de fer barbelé de 6 mètres de long. La chaleur de la journée s’accumule dans la vallée, qui n’est desservie jusqu’ici que par une route de gravier. Le futur camp est situé à plus de 5 kilomètres de Samos, la principale ville de l’île du même nom. Lorsque le camp sera construit, les résidents pourront y entrer par des tourniquets aux portes grâce à des brassards à micropuces. La nuit, les portes resteront verrouillées.

D’ici la fin 2020, Samos devrait être la première île grecque à accueillir un « camp fermé ». L’annonce a été faite par le ministre grec de l’immigration, Notis Mitarachi, lors de sa visite sur l’île fin août. La Commission européenne a accordé à la Grèce près de 130 millions d’euros (152 millions de dollars) pour la construction de centres d’accueil et d’identification polyvalents, qui devraient offrir un niveau d’hébergement supérieur à celui des camps précédents, avec des cabines portables, de l’eau courante, des zones séparées et, surtout, plus de sécurité.

Le concept des camps fermés fait partie d’une nouvelle stratégie visant à mieux sécuriser les régions situées aux frontières extérieures de l’Union européenne. Les camps surpeuplés dans ces régions sont devenus un problème chronique depuis qu’un grand nombre de personnes déplacées ont commencé à arriver en Europe à partir de 2015. Au début de l’année, les îles grecques proches de la frontière avec la Turquie accueillaient plus de 40 000 demandeurs d’asile. Dans la ville de Samos, le nombre de demandeurs d’asile dépassait le nombre de personnes qui y vivaient en permanence. Près de 5 000 personnes vivent actuellement dans le camp existant sur l’île – alors qu’il ne devait en accueillir que 650 au départ.

Les résidents ont construit des tentes faites de sacs de couchage, de bâtons et de bâches. Des tuyaux d’eau sortent du sol. Les portes des cabines de toilettes portables s’ouvrent et se ferment au gré du vent. Il y a une odeur de poisson frit et d’urine.

Renvoyez-nous

Omar, qui a demandé que son vrai nom ne soit pas utilisé, était assis sur une palette, buvant du thé avec sa femme et ses enfants près de la tente que la famille – huit membres en tout – partage. La nuit, les rats sont si bruyants qu’ils ne peuvent pas dormir, a déclaré Omar, 58 ans. Après sept mois d’attente depuis que la famille est venue d’Idlib, en Syrie, il en a eu assez. « Il vaut mieux nous renvoyer dans notre pays », dit-il : Il vaut mieux être en danger dans une guerre civile que d’avoir un refuge indéfini dans ce camp.

Les infections cutanées prolifèrent, a dit Omar, et la plupart des gens sont sans douche. Chaque personne reçoit une bouteille d’eau et deux repas par jour – que les membres de la famille font la queue à tour de rôle pendant trois heures pour les obtenir.

Un fils, Mohammed, qui avait étudié à l’université en Syrie, a distribué les bons de repas pour les jours suivants. Alors qu’au début, chaque personne recevait environ 90 euros par mois, cette somme forfaitaire a maintenant été réduite à 75 euros. Omar avait entendu dire que l’argent économisé servait à améliorer les conditions de vie générales. Mais, dit-il, rien n’a changé pour lui. Au contraire : Depuis que des restrictions ont été imposées à la circulation, a-t-il dit, la situation est devenue encore plus tendue. Il a dit que la situation s’est souvent aggravée la nuit – quand il n’y a ni électricité ni lumière.

Les ONG sont-elles autorisées ?

Après la découverte des deux premiers cas de coronavirus dans le camp au début du mois de septembre, les autorités grecques ont imposé un confinement qui doit durer jusqu’à la fin du mois. Au cours de la semaine dernière, y compris dimanche soir, des incendies ont éclaté dans le camp. On ne sait toujours pas ce qui a provoqué ces incendies. Mais les politiciens grecs mettent en garde contre les effets d’imitation suite aux incendies du camp de Moria à Lesbos, et excusent même les résidents du camp de s’être livrés à des incendies criminels pour échapper aux conditions misérables.

À l’avenir, 2 100 personnes seront détenues au camp – 900 d’entre elles dans une zone fermée où elles attendront que des décisions soient prises sur leur cas, selon Jonathan Vigneron, coordinateur du projet de Médecins sans frontières (MSF) sur Samos. Les chiffres sont tirés d’une carte que le ministre des migrations a distribuée lors de sa visite. M. Vigneron a déclaré que tout cela lui rappelait une prison.

« C’est une chose très effrayante à voir », a déclaré M. Vigneron. Il a ajouté que les organisations internationales avaient demandé des éclaircissements sur la question de savoir si des ONG telles que MSF seraient même autorisées à travailler dans le nouveau camp. La procédure d’enregistrement des ONG rend l’accès presque impossible, a-t-il dit. Dans une lettre ouverte, 68 organisations ont écrit que les conditions dans le camp pourraient créer « une situation préoccupante en ce qui concerne la dignité humaine ».

Les personnes déplacées pourraient avoir un meilleur niveau de logement et plus de sécurité dans le camp fermé, a dit M. Vigneron, mais elles n’auraient rien à faire et aucune liberté de mouvement. « Le camp est situé à 5 kilomètres de tout endroit », a déclaré M. Vigneron. « Ce n’est pas marginaliser les gens : C’est de la ségrégation par définition. »

Cet article a été adapté de l’allemand par Tim Jones. Auteur : Ann Esswein

Source : dw.com

Traduit avec www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

Source https://www.infomigrants.net/en/post/27510/after-moria-eu-to-try-closed-asylum-camps-on-greek-islands

Pétition Respectons les droits humains de tous les migrants

La plainte déposée le 22 septembre 2020 à la Commission Européenne pour violation des droits des demandeurs d’asile en Grèce est devenue une pétition

https://act.wemove.eu/campaigns/droits-migrants-moria?utm_source=civimail-32725&utm_medium=email&utm_campaign=20200923_FR

en haut de la pétition, il est possible de choisir sa langue : français, castellano, deutsch, english, italiano, polski, portugues

Grèce-Turquie : mise en garde Européenne pour Ankara…

At summit, EU leaders talk tough on Turkey
The accord on Turkey came shortly before 1 a.m. | Johanna Geron/AFP via Getty Images

Le Conseil européen met en garde Ankara contre des sanctions, impose des pénalités au Belarus.

Par David M. Herszenhorn, Jacopo Barigazzi et Rym Momtaz

.

Les dirigeants européens sont parvenus à un accord *sur la manière de s’attaquer à la Turquie, en convenant tôt vendredi d’avertir tacitement Ankara de sanctions si elle ne parvient pas à résoudre ses différends de longue date avec la Grèce et Chypre, notamment en ce qui concerne les forages énergétiques en Méditerranée.

Mais les dirigeants ont également fait miroiter quelques prunes alléchantes si la Turquie parvenait à apaiser les tensions avec ses voisins de l’UE, notamment en renforçant les liens commerciaux dans le cadre d’une union douanière modernisée et en approfondissant la coopération sur les questions de migration et de réfugiés.

Les dirigeants ont également adopté un langage délibérément ambigu sur les « contacts interpersonnels » qu’Ankara peut interpréter comme un assouplissement potentiel des exigences de visa pour les voyageurs turcs vers l’UE. Certains fonctionnaires de l’UE ont toutefois déclaré qu’une telle analyse serait trop optimiste. Et les diplomates de l’UE se sont vus forcés de réagir négativement à certaines formulations du texte.

La menace de sanctions n’a pas manqué. « En cas de nouvelles actions unilatérales ou de provocations en violation du droit international, l’UE utilisera tous les instruments et les options à sa disposition », ont averti les dirigeants dans leurs conclusions, en citant également les dispositions du traité de l’UE relatives aux sanctions.

« Nous souhaitons vivement avoir une voix plus forte sur la scène internationale », a déclaré le président du Conseil européen, Charles Michel, lors d’une conférence de presse. « Nous sommes prêts à nous engager dans un programme plus positif avec la Turquie, à condition qu’elle s’engage également dans une direction plus positive avec nous, et mette fin à ces actions unilatérales, qui vont à l’encontre du droit international ».

L’UE s’est fermement rangée du côté de la Grèce et de Chypre dans la lutte pour le forage, mais Bruxelles a également essayé de gérer toute une série d’autres tensions avec la Turquie.

L’accord sur la Turquie est intervenu peu avant 1 heure du matin vendredi, après la première journée d’un sommet des dirigeants européens consacré presque entièrement aux affaires étrangères.

L’accord s’est avéré suffisant pour que Chypre cesse de bloquer l’imposition de sanctions dans un autre point chaud de la politique étrangère, le Belarus, en raison de son élection présidentielle contestée – largement condamnée comme frauduleuse – et de la répression violente des manifestants.

*La Grèce et Chypre ont rejeté deux avant-projets de conclusions, estimant qu’ils étaient «trop souples» vis-à-vis de la Turquie, et il a fallu une réunion entre lePremier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, le Président chypriote Nikos Anastasiades, le président duConseil européen, Charles Michel, la chancelière allemande Angela Merkel et le Président françaisEmmanuel Macron, avant de pouvoir finalement aboutir à un texte de compromis.

Un grec consacre sa vie à nourrir ceux qui ont faim

Par Anna Wichmann –Konstantinos Polychronopoulos. Credit: Η Ζωή ειναι Όμορφη/ Facebook

Réalisant la nécessité d’un soutien communautaire après que la tempête destructrice Ianos ait inondé Karditsa ce mois-ci, Konstantinos Polychronopoulos et des volontaires se sont rendus dans la ville, située en Thessalie, pour préparer de la nourriture et nourrir les habitants qui sont dans le besoin.

Les images de Karditsa montrent une destruction généralisée, notamment des bâtiments inondés et des routes en ruine. Les habitants se retrouvent avec une ville méconnaissable, des maisons et des entreprises fortement endommagées, voire complètement détruites.

Interrogé sur son travail à Karditsa et dans toute la Grèce, Polychronopoulos a déclaré au Greek Reporter que « chaque jour, l’Autre Humain sert 3 000 portions de nourriture à ceux qui sont dans le besoin à Karditsa ».

« Les migrants et les réfugiés, les Athéniens, les gens de Thessalonique et de toute la Grèce sont ici en train de cuisiner… toutes ces différentes mains sont unies pour montrer leur solidarité aux habitants de Karditsa », a souligné Polychronopoulos.

Après avoir été témoin du bilan de la crise financière en 2009, Polychronopoulos a développé une banque alimentaire appelée « Ο Άλλος Άνθρωπος », ou « L’autre humain », en 2011. Le groupe ne se contente pas de servir de la nourriture aux affamés, mais la prépare devant eux, créant ainsi communauté et confiance.

Polychronopoulos a vu la nécessité évidente d’un tel travail, car de nombreuses personnes luttaient pour se nourrir et nourrir leur famille, mais il a rencontré des difficultés pour apporter de l’aide.

En ce qui concerne ses premiers travaux, M. Polychronopoulos a déclaré qu’il avait commencé par distribuer des sandwiches précuits. Au début, les gens se méfiaient beaucoup de la nourriture, car ils n’avaient pas vu comment elle était préparée, et ils ne la prenaient qu’après l’avoir vu manger lui-même.

Après cela, il a décidé qu’il ferait cuire la nourriture devant ceux qui en avaient besoin, afin qu’ils puissent voir comment elle était préparée et aussi créer une communauté, en parlant et en créant des liens avec d’autres personnes dans le besoin et avec ceux qui préparent la nourriture.

Il rassembla ses ingrédients en demandant aux vendeurs des marchés de plein air d’Athènes s’ils avaient des restes ou des invendus qu’ils pouvaient lui donner. Aujourd’hui, l’Autre Humain accepte les dons des Grecs et des sympathisants du monde entier.

Partout en Grèce, y compris à Athènes et dans les camps de migrants de Lesvos, des personnes affamées ont été nourries gratuitement par Polychronopoulos et d’autres bénévoles de sa « cuisine sociale ».

Le groupe a également loué un espace dans le quartier athénien de Metaxourgeio, où ils stockent leur nourriture, et toute personne dans le besoin peut prendre une douche et prendre un café ou un petit-déjeuner.

Pour son travail d’alimentation des personnes dans le besoin, réfugiés et Grecs, Polychronopoulos a reçu le « Prix du citoyen européen » pour 2015.

Il a toutefois refusé ce prix en signe de protestation contre le traitement des réfugiés par certains États européens et les mesures d’austérité imposées face à la crise économique.

Il a déclaré qu’il attendait de recevoir le prix de « l’Europe de la solidarité et de la culture… et non de l’Europe du cannibalisme ».

Source https://greece.greekreporter.com/2020/10/02/greek-man-devotes-life-to-feeding-the-hungry/

Sur le monde d’après

Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème par Didier Epsztajn  


(Crédits : Unsplash)

  Sommaire
  • I- Coronavirus, crise économique et crise globale
  • II- Un système dette amplifié par la pandémie
  • III- Les peuples se lèvent face à la crise sanitaire, les dettes illégitimes et la crise (…)

De l’introduction, une-nouvelle-etape-de-la-crise-economique-et-financiere-secoue-la-planete/, je souligne les effets des politiques néolibérales et néocoloniales, la récession à venir, « Le discours des médias dominants tente de nous induire en erreur en expliquant l’effondrement actuel par la seule action du coronavirus. Cependant, il est évident que cette pandémie met à nu le caractère insoutenable du système capitaliste et révèle les ravages causés par l’application de l’idéologie néolibérale avec le profit pour seule boussole », le poids et les effets de la dette et des emprunts actuels, le soutien in fine aux grandes entreprises privées et à leurs actionnaires par de l’argent public, les revendications portées par des mouvements sociaux dont l’annulation des dettes…

 I- Coronavirus, crise économique et crise globale

La perspective transnationale, les exemples inscrits dans différents pays et régions du monde sont d’un apport essentiel contre les visions autocentrées et l’oubli des asymétries construites, entre autres, par les phénomènes de colonisation ou d’imposition de normes néolibérales par les institutions financières internationales.

La crise du capitalisme et de son actuel régime d’accumulation ne peut-être abordée que dans optique globalisante ; ce qui n’interdit pas d’en souligner les déclinaisons et les contradictions au niveau plus régional.

Il ne faut s’y tromper, la crise sanitaire actuelle est un révélateur des effets des politiques néolibérales et un accélérateur de la crise socio-économique. Les politiques d’ajustement structurel ont participé à la destruction des systèmes de santé, les sommes allouées au remboursement de la dette ont grévé les moyens budgétaires, « la dette tue ». Dans certains pays le budget affecté au paiement de la dette est supérieur aux dépenses publiques dans le secteur de la santé. Sans oublier les nouveaux prêts servant à rembourser les dettes du FMI arrivant à échéances…

Je souligne donc les articles sur l’emprise du FMI, son pouvoir de pression sur les gouvernement pour imposer des politiques d’austérité, les plans de sauvetage bancaires et des actionnaires…

Face aux conséquences de la pandémie, les un·es et les autres ne sont pas égales/égaux. La situation aggravée des personnes considérées comme sans papier n’est pas pris en compte par les autorités belges (Lire le texte de la Coordination des sans papiers)…

J’ai notamment apprécié le texte de Verónica Cago et Luci Cavallero (#NiUnaMenos, Argentine) : « Crack up ! Féminisme, pandémie et après ». Les autrices abordent les corps concrets, les machines de mort, la soi-disant normalité. Elles proposent d’étendre la quarantaine à la finance, de réorienter les budgets vers la satisfaction des besoins, « Nous nous voulons vivantes, libres et désendettées ! ». Elles discutent aussi du travail, de la quarantaine et du domestique, « nous savons qu’il existe de multiples formes de quarantaine, segmentées par sexe, classe et race et, plus encore, que tous les corps n’ont pas la possibilité de rester dans une maison et aussi que l’enfermement impliquent pour beaucoup des abus et de la violence machiste », des maisons comme « véritables champs de guerre », de la politisation féministe de l’espace domestique, des tâches historiquement « dépréciées, mal payées, non reconnues ou directement déclarées comme non-travail » pourtant indispensables, de la grève féministe internationale en Amérique du sud, d’horizon futur « ici et maintenant »

Un article est consacré au colonialisme numérique et à la dette écologique, « Le numérique n’a rien de virtuel ou d’immatériel », à l’augmentation des usages de diverses technologies, aux conception linéaires du progrès et des soi-disant retards ou des rattrapages, à l’extractivisme, aux désastres environnementaux liées aux technologies. (En complément possible : Alternatives Sud : Impasses numériques, les-effets-sociaux-de-la-digitalisation-et-de-la-privation-des-donnees-collectees/)…

 II- Un système dette amplifié par la pandémie

Des systèmes sanitaires dé-financés et privatisés, la culpabilisation des citoyen·nes. Je souligne l’article de Gilles Grégoire et Pierre-François Grenson, « Les soins de santé en Belgique : de la privatisation à la socialisation ? ». Les auteurs abordent, entre autres, le chiffrage de la réalité, la réduction des moyens, la demande toujours plus élevée de soins, le vieillissement du matériel et l’augmentation des coûts, les logiques austéritaires et les impacts sur le financement des services publics, le privé dans les secteurs rentables, l’audit citoyen des comptes des hôpitaux, la socialisation du secteur de la santé, la remise de la sécurité social aux mains des citoyen·nes. (En complément possible, Gilles Grégoire : Les soins de santé en Belgique : De la privatisation à la socialisation ?, pour-un-financement-juste-et-perenne-des-soins-de-sante-pour-toustes/)…

J’ai notamment été intéressé par le texte d’ACiDe Belgique. La dette publique, la nécessité d’un moratoire du paiement de cette dette, la réalisation d’audits citoyens de la dette, « à tous les niveaux de pouvoir et pour toutes les structures publiques », les nouvelles ressources, les prêts directs aux États sans passer par les marchés (la suppression de l’article 123 du Traité de Lisbonne), l’annulation immédiate et inconditionnelle de la dette des pays du Sud global, l’arrêt du transfert des ressources publiques vers le privé, « Le problème n’est donc pas le manque de ressources, mais leur captation par les plus riches »

Dans cette seconde partie sont aussi abordés, la loi belge contre les fonds vautours, la privatisation du système de santé dans l’État espagnol, les mantras du libéralisme, la situation au Portugal et en Argentine, la gestion de la crise sanitaire en Guadeloupe, « La santé de notre Peuple est le dernier des soucis du pouvoir colonial. Après avoir contaminé nos sols et nos corps au chlordécone, après avoir repoussé avec dédain, les doléances des travailleurs de la santé, aujourd’hui l’État nous impose des dispositions liberticides pou sové nou apré i pwazonné nou ankò onfwa. » (en complément, COMMUNIQUÉ DU LKP. Coronovirus en Guadeloupe : assassins-criminels, coronovirus-en-guadeloupe-assassins-criminels/), Haïti, la fausse annulation de la dette de pays d’Afrique par Emmanuel Macron…

Ce chapitre se termine sur le Sénégal, le coronavirus accélérateur de la pauvreté, l’insuffisance du budget lié au secteur de la santé, la place des femmes…

 III- Les peuples se lèvent face à la crise sanitaire, les dettes illégitimes et la crise globale

Nicolas Sersiron discute l’annulation « de la dette tsunami » et du changement nécessaire de civilisation. L’auteur détaille un certain nombre de propositions, en dehors du mode d’accumulation néolibéral faut-il le préciser.

Sont aussi abordés, la suspension du paiement des microcrédits au Maroc, les dogmes faisant consensus dans la plupart des cénacles politiques et dans les grands médias, la dette en Afrique, le Kenya, l’Équateur, la situation en Tunisie, les collectivités territoriales en Italie, l’Appel des peuples, organisations, mouvements et réseaux militants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient/région arabe Pour l’annulation de la dette et l’abandon des accords de « libre-échange » (appel-des-peuples-organisations-mouvements-et-reseaux-militants-dafrique-du-nord-et-du-moyen-orient-region-arabe-pour-lannulation-de-la-dette-et-labandon-des-accords-de-libre-echan/) – dont je reproduis le résumé :

Nous, les signataires de cet appel, et en soutien aux acquis des soulèvements populaires pour la démocratie, la liberté et la justice sociale dans notre région, nous revendiquons :

  • Une suspension unilatérale et souveraine du paiement de la dette publique, et l’allocation des fonds à la santé publique, et au soutien des couches vulnérables touchées par la crise de Corona,
  • Un audit citoyen de la dette publique pour déterminer ses parties illégitimes, odieuses et illégales et imposer leur répudiation,
  • Suspension du paiement des dettes privées des familles populaires, des petits producteurs, des petits paysans et des salarié-e-s, envers les banques, les institutions de crédit de logement, de la consommation et les institutions de micro-crédit,
  • Examen de toutes les formes de pillage et les conditions injustes imposées par les institutions du secteur financier dans les contrats de prêts privés, et mettre en évidence leur illégitimité et leur illégalité pour exiger leur annulation,
  • Annulation des accords de « libre-échange » et l’accord de libre-échange complet approfondi pour la Tunisie et le Maroc,
  • Rompre avec le trio au service du capital mondial : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce.

Nous appelons également à :

  • La mise en place d’un large comité populaire pour l’audit de la dette de nos pays au niveau régional qui inclue toutes les couches de la société, les associations, les syndicats, les réseaux, les partis progressistes, les jeunes, les femmes, les chômeurs, etc.
  • Soutenir la campagne de rejet de l’accord de libre-échange complet approfondi en Tunisie, et lui donner une dimension régionale.
  • Organiser une campagne régionale forte, unie dans ses objectifs et son calendrier, pour dénoncer le contenu colonial des accords de libre-échange ainsi que le pillage des richesses de nos peuples par la dette.
  • Organiser un forum populaire, qui se tiendra après la fin de la crise du virus Corona en Afrique du Nord et au Moyen-Orient/région arabe, pour approfondir le débat et échanger des expériences afin d’élargir la lutte contre la dette et les accords de « libre-échange ».

Je souligne aussi les revendications concernant l’Asie (CADTM Asie du Sud, CADTM Pakistan, ATTAC Japon) :

Nous exigeons aussi de :

  • Annuler toutes les dettes illégitimes, ce qui devrait inclure toutes les dettes bilatérales, multilatérales et privées. Former des comités d’audit citoyens de la dette pour en déterminer la part illégitime.
  • Suspendre les remboursements par les ménages des prêts et des microcrédits jusqu’à ce que nous soyons totalement libérés de la pandémie.
  • Remplacer les institutions de microcrédit par des coopératives autogérées par des populations locales et par un service public de crédit accordant des prêts à taux zéro ou très bas.
  • Mettre fin à la privatisation des services publics et à la promotion des partenariats public-privé (PPP) dont le but ultime est de mobiliser l’argent public pour nourrir le secteur privé.
  • Imposer un impôt progressif sur les grandes fortunes.
  • Réduire les budgets de la défense dans la région.
  • Les institutions financières internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et d’autres groupes informels qui alimentent essentiellement les asymétries Nord/Sud, devraient modifier radicalement leurs politiques de prêt actuelles.
  • Fournir un financement supplémentaire d’urgence au Sud – hors aide publique au développement – au moyen de prêts à taux zéro, remboursables en tout ou en partie dans la monnaie souhaitée par les pays débiteurs.
  • Exproprier les « biens mal acquis » par l’élite, les riches et les classes dominantes et les rétrocéder aux populations concernées et sous leur contrôle.
  • Remplacer l’aide publique au développement sous sa forme actuelle par une forme inconditionnelle d’obligations des pays développés dans le cadre de la réparation et de la solidarité.
  • Adopter des politiques pour une transition juste.

Pour ne pas revenir à leur normalité ou dériver vers des situations encore plus inégalitaires et antidémocratiques…

AVP – les autres voix de la planète : Dette, coronavirus et alternatives

Source https://www.cadtm.org/Nous-ne-reviendrons-pas-a-la-normalite-car-la-normalite-c-etait-le-probleme

Sur le conflit Grèce-Turquie

La menace d’une guerre gréco-turque en Méditerranée orientale par

Une guerre gréco-turque destructrice en Méditerranée orientale n’est pas l’issue la plus probable des affrontements dans la région, mais c’est un scénario dont les perspectives ont été récemment évoquées.

Dans les eaux situées au sud du complexe insulaire grec du Dodécanèse [archipel regroupant 160 îles, pour la plupart inhabités], au sud de l’île de Crète et autour de Chypre, les flottes de guerre des deux États se font constamment face. Tandis que de puissants navires de guerre américains et français sont en permanence présents dans les mêmes eaux. En même temps, des «initiatives» diplomatiques et géopolitiques sont à l’ordre du jour quotidiennement.

Les forces armées de la Grèce et de la Turquie sont en état de préparation au combat et les exercices militaires utilisant une véritable puissance de feu sont devenus très fréquents. Dans les médias des deux pays, il y a un défilé quotidien d’officiers vétérans et d’«intellectuels» nationalistes, qui tentent de formater l’opinion des populations des deux côtés de la mer Égée à la perspective paranoïaque d’une guerre totale.

Dans cette situation, la possibilité d’un «incident chaud» (c’est-à-dire un affrontement militaire bref et limité) constitue désormais une menace immédiate – soit comme un «accident», soit comme une «escalade» volontaire de part et d’autre. Le pire est la prolifération des voix en Grèce qui affirment qu’en cas d’«incident chaud», nous devrions éviter une politique de retenue et opter pour une généralisation fougueuse de la guerre «jusqu’à la victoire».

L’alliance internationale qui, pendant la guerre froide, était connue sous le nom de «camp occidental» a pris parti en faveur de la Grèce. Dans ses rangs, il existe différents niveaux de volonté d’affrontement direct avec la Turquie, mais il ne fait aucun doute que ces forces soutiennent les principales positions de l’État grec dans sa compétition avec la Turquie.

Les États-Unis, sous la direction de Donald Trump, ont signé l’accord pour une mise à niveau stratégique de la coopération militaire avec la Grèce. Cet accord prévoit une modernisation de la base militaire américaine de Souda (Crète) et l’établissement de nouvelles bases militaires de l’OTAN et des États-Unis en Grèce continentale. Selon le Département d’État, les États-Unis considèrent l’État grec comme un pilier stratégique dans l’«arc d’endiguement» contre la Russie et la Chine en Méditerranée orientale. L’ambassadeur américain très expérimenté et «hyperactif» à Athènes, Geoffrey Pyatt, a également fait cette affirmation à plusieurs reprises lors d’interventions publiques.

Il est impressionnant de constater que la signature de cet accord et la convergence générale avec la politique états-unienne ont été orchestrées déjà par le gouvernement d’Alexis Tsipras, en accord total avec le parti de droite la Nouvelle Démocratie.

L’Union européenne intensifie sa pression sur la Turquie, avertissant Erdogan que lors du prochain sommet du Conseil européen – les 24 et 25 septembre – elle pourrait décider de sanctions économiques et diplomatiques sérieuses à son encontre.

Les dirigeants allemands – qui assument la présidence de l’UE ce semestre, mais qui ont également d’importants investissements et activités industrielles au sein de l’économie turque – développent une orientation dite de «la carotte et du bâton» pour ce qui est de la position que l’UE devrait avoir à l’égard d’Erdogan. Ici, à Athènes, cette approche est présentée comme «hésitante» face à un affrontement nécessaire. Toutefois, depuis une semaine, des rumeurs semi-officielles laissent entendre qu’une négociation entre Mitsotakis et Erdogan serait du domaine du possible. Cela se jouera dans les jours à venir.

De l’autre côté, la France – sous la direction d’Emmanuel Macron – semble avoir franchi le Rubicon, ce qui provoque un délire d’excitation dans les médias grecs. La France a obtenu une base navale permanente à Chypre, le porte-avions «Charles de Gaulle» (navire amiral de la Marine française) «patrouille» dans la zone lors des moments les plus critiques. Macron a approuvé un programme d’armement massif pour l’État grec, qui comprend la livraison de navires de guerre de pointe (frégates Belharra) et celle d’avions de chasse Rafale.

Les forces euro-atlantiques affirment qu’avec cette politique elles défendent la paix en Méditerranée orientale.

Lors de la récente conférence des «7 de la Méditerranée» (France, Espagne-Pedro Sanchez, Italie-Giuseppe Conte, Portugal-Antonio Costa, Malte-Robert Abela, Chypre-Nikos Anastasiades et Grèce-Kyriakos Mitsotakis) à Ajaccio-Corse le 10 septembre, Macron a invoqué l’idée d’une «Pax Mediterranea», qui a été accueillie avec les acclamations du premier ministre grec Mitsotakis et avec une colère furieuse venant d’Ankara.

La «Pax» de Macron n’a que peu de rapport avec la liberté, l’égalité et la fraternité. Le lendemain de la pompeuse «Déclaration» d’Ajaccio, le camp de Moria à Lesbos a brûlé et les milliers de réfugié·e·s qui y étaient incarcérés – face à l’abjection raciste et à la menace du coronavirus – sont maintenus dans une situation désastreuse et le gouvernement cherche à imposer par la force la reconstitution d’un camp qui ne sera en fait que de détention. Personne n’est autorisé à oublier que la misère qui accable les réfugiés trouve ses racines dans l’accord raciste signé entre l’UE, la Turquie et la Grèce.

Cette «Pax» n’a que peu de rapport avec la démocratie, bien que les gouvernements représentés à Ajaccio puissent prétendre à un mandat démocratique lié à des élections. Le «programme» actuel de la Pax Mediterranea de Macron est promu sur le terrain par une alliance différente, celle de l’«axe» qui, avec la Grèce et Chypre, comprend l’État d’Israël et le régime dictatorial du général Sissi en Égypte. Après les derniers mouvements diplomatiques d’Israël [accord entre Israël et les Emirats arabes unis et Bahreïn], il est possible que cet «axe» s’élargisse, en incorporant certaines des monarchies les plus réactionnaires du monde arabe.

Enfin, la «Pax» de Macron n’est pas si «méditerranéenne». Au-delà de l’alignement militaire et diplomatique évident avec les États-Unis, il y a aussi l’aspect financier. La firme pétrolière française Total et l’italienne Eni, qui se sont empressées de s’engager dans le projet d’extraction des hydrocarbures de la Méditerranée orientale et dans le projet ambigu de construction du pipeline sous-marin de la Méditerranée orientale, opèrent sous la «coordination» (c’est-à-dire sous la supervision) de l’américaine Noble Energy, qui fait partie du géant multinational Chevron.

Telles sont les réalités qui se cachent derrière la démagogie bon marché sur la «paix en Méditerranée».

La rupture

Dans les années 1970, les relations gréco-turques sont arrivées au bord d’un affrontement militaire, après le coup d’État militaire [1974] orchestré par les Grecs à Chypre et l’invasion militaire turque qui a suivi et qui a conduit à la partition de l’île.

La chute de la junte militaire en Grèce (fin 1974), la crainte des dirigeants bourgeois quant aux conséquences dévastatrices d’une guerre totale et la pression exercée par l’Europe et les États-Unis afin de préserver l’unité de l’«aile sud-est» de l’OTAN ont annulé, à l’époque, cette perspective. Les classes dirigeantes des deux côtés de la mer Égée ont été forcées de se contenir dans un contexte de «coexistence compétitive», où deux «sous-impérialismes» se disputaient l’hégémonie régionale, mais limitaient leurs ambitions en fonction du contexte plus large.

Les développements récents sont le résultat de deux facteurs.

Le premier facteur, sous la direction d’Erdogan, il y a eu une rupture dans les relations de la Turquie avec l’État d’Israël, puis avec les États-Unis et le «camp occidental» en général. Après l’échec de la tentative de coup d’État de 2016, cette rupture est devenue plus évidente et elle produit déjà des résultats politiques et diplomatiques. Bien qu’il serait erroné de considérer cette évolution comme un fait définitif. La Turquie est un grand pays, elle occupe une place géographique cruciale, elle reste importante pour l’OTAN et les «changements» soudains de son orientation géopolitique ne sont pas rares dans son histoire.

Le deuxième facteur qui aide à comprendre la crise actuelle est la découverte de réserves d’hydrocarbures au fond de la Méditerranée orientale – dans les eaux israéliennes et égyptiennes d’abord, puis au large de Chypre et dernièrement au sud de la Crète. Le potentiel d’exploitation de ces réserves (un potentiel qui n’est toujours pas clair dans la plupart des cas) a fait apparaître la question des zones économiques exclusives (ZEE), c’est-à-dire des questions de droits souverains dans des eaux qui, jusqu’à présent, étaient traitées comme des eaux internationales.

C’est la combinaison de ces deux facteurs qui a donné vie à l’«axe» militaire/économique/diplomatique Israël-Chypre-Grèce-Égypte. Le projet de pipeline Eastern Mediterranean (East Med) conduit à une délimitation des ZEE en Méditerranée orientale qui divise la mer exclusivement entre les États membres de l’«axe». Ces derniers ont veillé à céder rapidement les droits de recherche, d’extraction et d’exploitation commerciale des hydrocarbures à un puissant consortium de transnationales américaines et européennes du secteur des combustibles fossiles. Pour ce projet, il est crucial de sauvegarder la continuité géographique entre les ZEE d’Israël, de Chypre et de la Grèce, afin que l’installation du pipeline gazier EastMed de 1900 km puisse se concrétiser. Pour ce faire, la Turquie doit être marginalisée en Méditerranée orientale et les droits d’autres pays comme la Palestine, le Liban et la Syrie doivent être sérieusement réduits.

Nous avons écrit à plusieurs reprises qu’il est extrêmement douteux qu’un tel plan puisse se concrétiser de manière pacifique.

La gauche radicale internationale est consciente de la nature réactionnaire et antidémocratique du régime d’Erdogan. Elle connaît ses attaques constantes contre les salarié·e·s, les militants kurdes, le mouvement social et les militants de gauche. La répulsion contre cette situation est justifiée et correcte. Mais il serait erroné de traiter le peuple turc comme une entité unifiée et impuissante, incapable de penser et d’agir par elle-même. Par exemple, des sondages en Turquie ont montré qu’une grande partie de la population était en désaccord avec la poursuite d’Erdogan pour transformer l’ex-basilique Sainte-Sophie en mosquée.

Mais pour ceux d’entre nous qui vivent dans les pays voisins, nos tâches sont plus complexes. Nous devons affronter «l’ennemi chez nous» et nous sommes obligés de lutter contre «notre» nationalisme dangereux.

Nombreux sont ceux qui n’adhèrent pas à la frénésie belliciste et ils espèrent qu’un affrontement militaire sera finalement évité grâce au droit international et aux institutions compétentes. Jusqu’à présent, il s’est avéré que c’était une illusion.

La Turquie n’a pas signé un grand nombre des accords internationaux qui régissent le droit de la mer. Mais aujourd’hui, réalisant le rapport de force négatif qui existe à son encontre et calculant que les exigences maximalistes de la Grèce ne peuvent pas tenir, elle promeut des initiatives qui puissent être traitées devant la Cour internationale de justice de La Haye. Mais elle exige des décisions pour toute la gamme des litiges entre la Grèce et la Turquie.

A l’inverse, la Grèce affirme que ses demandes sont fondées et justifiées par le droit international. Mais elle refuse de participer à toute procédure juridique internationale qui comprendrait des décisions sur des questions que l’État grec a «résolues» par des actions unilatérales (militarisation des îles de la mer Égée orientale, extension de sa souveraineté sur des îles et des rochers contestés, extension de son espace aérien à 10 miles, qui se trouve au-delà de ses eaux territoriales qui elles s’étendent à 6 miles). Dans le même temps, une partie de la bureaucratie étatique, sachant pertinemment que les revendications grecques concernant sa ZEE sont maximalistes, résiste à toute perspective de recours à la Cour internationale, avertissant que dans une telle procédure juridique, le résultat pourrait être un compromis «préjudiciable aux intérêts de la nation».

Cela signifie que l’affrontement se poursuit avec la méthode du «fait accompli» qui consiste à imposer unilatéralement des faits sur le terrain. Comme nous l’avons vu cet été, cette méthode implique la menace d’un «incident chaud», qui peut s’avérer difficile à contrôler et conduire à une guerre.

Histoire

Il est tragique et ironique que tout cela se produise 100 ans après la dernière guerre gréco-turque de 1918-1922, pour laquelle les deux peuples ont payé un lourd tribut.

À la fin de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances de l’époque poussaient à la partition de l’Empire ottoman, encourageant ainsi le leader grec Eleftherios Venizelos à envahir l’Asie mineure. L’armée grecque s’enfonça en Anatolie, occupant des portions de terre à l’est de la côte et atteignant la périphérie de la capitale turque Ankara.

Mais lorsque les Anglais, les Français et les Italiens ont obtenu les annexions qu’ils cherchaient, ils se sont tournés vers une normalisation de leurs relations avec le nouveau régime turc de Kemal Ataturk, abandonnant leurs anciens alliés. L’effondrement de l’armée grecque a été immédiat. Lors de la contre-attaque turque, 1,5 million de Grécophones d’Asie Mineure ont quitté leurs foyers et se sont installés comme réfugiés en Grèce. Leur expérience tragique, à cause de cet aventurisme de l’armée grecque, a conduit à leur radicalisation: les réfugiés ont formé l’épine dorsale du mouvement ouvrier et de la gauche communiste durant les années 1930 et 1940.

Mais l’histoire fournit également un autre exemple instructif. En 1930, comprenant qu’une crise financière se profilait, Venizelos et Ataturk ont cosigné un accord de paix et de partenariat qui prévoyait la reconnaissance mutuelle des frontières existantes et une réduction des dépenses militaires. La modernisation capitaliste initiale dans les deux pays a été fondée sur une politique de paix et de coopération. En 1934, le belliciste Venizelos propose à Kemal Ataturk de se porter candidat au Prix Nobel de la paix…

Aujourd’hui, les deux pays sont confrontés à une grave crise économique et sociale. Au milieu d’une telle crise, la politique d’armement est absurde. Un affrontement militaire sera dévastateur pour tous les peuples, des deux côtés de la mer Égée, et pourtant il reste possible.

Prendre position contre la guerre, défendre la paix comme un bien majeur pour les masses populaires, rejeter unilatéralement les armements, rompre avec les alliances impérialistes sont des points irremplaçables du «programme» de toute politique émancipatrice. Dans la situation actuelle de crise climatique, cette politique anti-guerre doit se combiner avec le rejet de la stratégie extractiviste qui menace de nous envoyer à l’abattoir de la guerre comme chair à canon pour les profits du Big Oil.

Source https://www.contretemps.eu/menace-guerre-grece-turquie/

Publié initialement sur le site A l’Encontre

La Sécu, un bien commun

Par Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.

Ce fut, en 1945, une victoire politique du mouvement ouvrier que d’instaurer une socialisation d’une partie du salaire.

Le concept de bien commun a été réhabilité pour désigner à la fois les biens que la collectivité décide d’élever au statut de « communs » et la méthode démocratique pour les gérer collectivement. Mais, le plus souvent, ce concept concerne les biens que la dévastation écologique menée par le capitalisme productiviste menace, condamne et/ou privatise : l’eau, l’air, toutes les ressources naturelles, la terre, la préservation du climat, les connaissances, etc. En témoignent les nombreuses luttes qui sont menées par des communautés, des associations, partout dans le monde, pour en asseoir la légitimité et en assurer la pérennité.

Mais il est une institution à propos de laquelle il est rarement dit qu’elle relève du bien commun dans ses deux acceptions. Il s’agit de la Sécurité sociale, dont nous devrions célébrer le 75e anniversaire pour en rappeler le sens politique. D’une part, la Sécu réalise une mise en commun d’une partie de la valeur ajoutée par le travail, par le biais de la cotisation sociale calculée par un pourcentage du salaire. Ce fut, en 1945, une victoire politique du mouvement ouvrier, grâce à la pression de la CGT et du Parti communiste, que d’instaurer une socialisation d’une partie du salaire. Une socialisation qui est passée en quelques décennies de 0 à 40 % environ de ce salaire, cotisation incluse. Certes, cette avancée politique a été affaiblie idéologiquement par l’invention d’une trouvaille sémantique distinguant cotisation salariale et cotisation patronale, alors que c’est le travail qui paie tout (puisque, de toute façon, il crée toute la valeur économique). Il n’en reste pas moins que le principe de la Sécu est l’une des victoires sociales les plus impressionnantes du XXe siècle, au point d’avoir progressivement permis d’universaliser la protection sociale.

D’autre part, lors de sa création, la Sécu inaugurait un mode de gestion salarial, indépendant de l’État, qui faisait des travailleurs les artisans de leur émancipation grâce à la socialisation d’une partie du fruit de leur travail. L’attaque déclenchée par les forces du capital contre la Sécu a commencé par là : déposséder progressivement les travailleurs de la gestion de leur patrimoine ; depuis 1967, ils n’élisent plus leurs représentants à la Sécu. Ensuite sont venues de multiples érosions du financement de la Sécu par des exonérations de cotisations pour les employeurs, qui atteignent aujourd’hui 60 milliards d’euros par an. La fiscalité remplaçant les cotisations salariales est venue affaiblir encore davantage la visibilité du lien entre travail et protection sociale.

Pour couronner le tout, désormais, c’est le Parlement, donc le gouvernement dans les institutions lézardées de la Ve République, qui fixe le montant des recettes et des dépenses de la Sécu dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, et qui en fait un outil de régulation de ladite dépense publique, au moment où l’idéologie libérale entend la réduire par tous les bouts.

L’enjeu des luttes sur la protection sociale est crucial, d’où leur âpreté, par exemple sur les retraites. Il y aurait beaucoup à gagner si le concept de bien commun n’était pas réservé à l’écologie mais étendu à l’ensemble des conditions de la vie sociale.

Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.

Source http://www.politis.fr/articles/2020/09/la-secu-un-bien-commun-42335/

Grèce : Procès d’Aube dorée, Ils ne sont pas innocents !

29 septembre par Collectif


Le procureur public du procès de l’Aube dorée, Adamantia Oikonomou, a de façon provocante demandé que tous les membres du parti néo-nazi soient acquittés de toute implication liée au meurtre de Pavlos Fyssas, commis par un membre autoproclamé du parti.

Son argument est que l’assassin de Pavlos Fyssas, Giorgos Roupakias, a commis l’acte tout seul, quand il a poignardé le musicien à mort.

Sa recommandation absurde vise à ce que les chefs de l’organisation criminelle néo-nazi soient acquittés. Le procureur prétend que les chefs du parti n’ont donné aucun ordre pour cette attaque.

Aube dorée est une organisation criminelle au sens plein du terme, avec une structure hiérarchique et une formation militaire. Ses membres ont suivi des ordres. Pendant plus d’une année, plein d’évidences contraignantes ont été présentées au tribunal : des photos, des vidéos, des messages qui font preuve de la planification des attaques et leur dissimulation, comme c’était le cas pour le meurtre de Pavlos Fyssas.

Des évidences qui prouvent l’implication des bataillons de l’organisation aux attaques contre les pécheurs égyptiens et les membres du syndicat du parti communiste PAMELe procureur a choisi de ne pas voir ces évidences. Nous disons « NON » à l’acquittement d’Aube dorée.

Nous demandons qu’un exemple soit fait par la condamnation des chefs du parti et des bataillons des meurtres nazi d’Aube dorée.

Source http://www.cadtm.org/Grece-Proces-d-Aube-doree-Ils-ne-sont-pas-innocents

Pour que le Briançonnais reste un territoire solidaire avec les exilés

 Appel à soutiens 

Terre historique de passages d’hommes et de femmes à la frontière entre la France et l’Italie, le Briançonnais a vu se développer sur la période récente un remarquable réseau de solidarité et d’hospitalité venant au secours des exilés qui, au péril de leur vie, ont franchi cette frontière et leur offrant, avec le soutien des autorités locales, un refuge temporaire. Le maire de la ville de Briançon, nouvellement élu, a décidé de fermer ce refuge ainsi que le local des secours. Bénévoles et associations se mobilisent aujourd’hui pour s’opposer à cette décision aux conséquences humanitaires dramatiques.

Depuis cinq ans, plus de 11 000 hommes, femmes et enfants jetés sur les routes de l’exil ont traversé au péril de leur vie la frontière franco-italienne haute-alpine, souvent dans la nuit, le froid, ou la neige, au milieu de montagnes dont ils méconnaissent les dangers. Tous ont ensuite transité une ou quelques nuits par Briançon, brève escale dans leur périple migratoire.

Un élan de solidarité, porté par des centaines de bénévoles, organisé par des associations et soutenu par la Ville et la Communauté de communes du Briançonnais, a permis de mettre à l’abri et d’accueillir dignement toutes ces personnes :

  • Un lieu d’accueil d’urgence offre depuis trois ans à ces exilés de passage, hébergement, nourriture, soins, vêtements, conseils juridiques sur le droit d’asile et chaleur humaine. Installé dans un bâtiment mis à disposition par la Communauté de communes, il est géré par l’association Refuges Solidaires.
  • En amont, dans la montagne, des maraudeurs solidaires portent secours aux exilés en danger – perdus, épuisés, en hypothermie -, avec l’appui de Tous Migrants et Médecins du Monde. Sans les maraudes, le bilan de cinq morts et trois handicapés à vie que la région a connu ces trois dernières années aurait été encore plus terrible. Un local technique a été mis à disposition de Tous Migrants pour le stockage du matériel de secours en montagne.

Il s’agit d’une initiative d’accueil exemplaire, mise en lumière par les médias du monde entier et récompensée par l’attribution de la mention spéciale du prix des Droits de l’Homme 2019 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme à l’association Tous Migrants.

Cette mobilisation est aujourd’hui mise à mal par la décision du nouveau maire de Briançon et président de la Communauté de communes, Arnaud Murgia, de fermer le refuge solidaire et le local technique des maraudes [1].

Il s’agit là une entrave grave aux opérations de secours et d’accueil des exilés, mettant leur vie en danger.

La décision du maire, si elle est exécutée, aurait également pour conséquence de jeter les exilés à la rue, ne leur laissant d’autres solutions que de dormir dans les espaces publics, alors que les températures nocturnes frôlent déjà zéro degré dans Briançon, et qu’il est physiquement impossible de survivre à l’extérieur en plein hiver. Ce faisant, le président de la Communauté de communes créerait les conditions d’un véritable drame humanitaire, avec de nouveaux morts en montagne et à nos portes. Il en porterait l’entière responsabilité morale.

Au-delà, il s’agirait d’une atteinte grave au droit des associations et bénévoles de s’organiser pour porter secours. En exigeant la fermeture de ces deux lieux complémentaires et indispensables au bon fonctionnement des opérations humanitaires, le nouveau maire fragilise l’écosystème associatif et bénévole local, et tourne le dos à la plus élémentaire solidarité montagnarde. Cette attitude fait écho aux récentes interdictions de distribution de nourriture dans le Calaisis, à la fermeture du centre d’accueil de la Croix-Rouge près de Menton, aux amendes infligées aux bénévoles humanitaires durant le confinement et plus largement aux atteintes grandissantes portées aux actions associatives et collectives.

Le devoir d’assistance à personne en danger est un devoir moral et juridique ; il s’impose à toutes et tous : citoyens, associations, mais aussi et d’abord collectivités territoriales et État. Le fait que les gouvernements européens ne respectent pas leurs obligations en matière de sauvetage et d’accueil des personnes, et qu’ils ferment volontairement les yeux sur les drames humains dont l’actualité se fait chaque jour écho, en Méditerranée comme dans les Alpes, n’exonère personne.

Nous, bénévoles et associations actives sur place, dont Refuges Solidaires, Tous Migrants, le Secours Catholique, Médecins du Monde, ne sommes pas résignés. Pour éviter de nouveaux drames, nous continuerons à accueillir, secourir et exiger le respect des droits des personnes exilées.

Parce que nous refusons que nos montagnes deviennent un cimetière, à l’instar de la Méditerranée, parce que nous refusons qu’une personne, quelle qu’elle soit, se retrouve à la rue, nous appelons citoyens, associations, institutions, élus, collectivités à soutenir notre combat pour la mise à disposition des locaux indispensables au secours et à l’accueil digne des personnes exilées et en détresse, le respect de leurs droits fondamentaux et l’arrêt des poursuites contre les bénévoles, les associations et les défenseurs des droits.

Organisations et personnalités signataires : voir ici, à l’adresse de la pétition sur Change.org

Mobilisons-nous pour que le Briançonnais reste un territoire solidaire ! 

A Lesbos, le désespoir des migrants

A Lesbos, le désespoir des migrants après l’incendie du camp de Moria

Par Sepideh Farsi

La réalisatrice iranienne Sepideh Farsi se trouvait en Grèce au moment de l’incendie du camp de Moria sur l’île de Lesbos. Connaissant les lieux pour y avoir tourné un long-métrage de fiction (Demain, je traverse), elle est retournée sur place. Voici son témoignage.

 

Lesbos (Grèce).– La carrure impressionnante de l’homme et la violence des faits qu’il me décrit contrastent totalement avec la finesse de ses gestes et la tendresse qu’il montre vis-à-vis des enfants qui l’entourent. Assis sur un vieux tapis devant sa maisonnette en bois, M. pétrit la pâte à pain, l’étale dans un plateau métallique, la tapote avec ses gros doigts pour y former des creux, avant de la glisser dans un petit four électrique.

On est à Pikpa, un camp de réfugiés géré par une ONG, à l’extérieur de Mytilène, pas très loin du camp de Moria (voir notre portfolio ici).

M., comme tous les réfugiés qui habitent « Pikpa village », est passé par Moria. L’ancien Moria, ils savent ce que c’est. Il me raconte, évitant mon regard, sans doute pour se donner du courage ou par réserve, qu’il a débarqué en Grèce avec sa famille, après avoir perdu ses parents dans un attentat suicide de Daech ayant frappé une mosquée chiite à Herat, sa ville natale. Et après une descente chez lui des milices talibanes et le passage à tabac de sa femme, faute de l’avoir trouvé, lui.

Des pains pour les réfugiés du camp de Moria. © SF Des pains pour les réfugiés du camp de Moria. © SF

Il est à peine 7 heures du matin et devant M., il y a plusieurs pains déjà cuits en train de refroidir. Il a dû commencer à l’aube. Je sais que d’habitude, c’est plutôt sa femme qui fait le pain. Je lui demande où elle est et M. me dit qu’elle se repose, car elle faisait la cuisine jusqu’à deux heures du matin pour préparer des repas pour leurs amis de Moria, deux autres familles afghanes qui ont fait la traversée avec eux.

Mais moins chanceux ou moins vulnérables, ils se trouvaient encore à Moria au moment de l’incendie. La capacité d’accueil de Pikpa (quelque deux cents personnes) est dérisoire par rapport au nombre de migrants parqués sur l’île de Lesbos – ayant atteint 28 000 il y a quelques mois, presque autant que les habitants de Mytilène, il était redescendu à 13 000 au moment où Moria a pris feu, le 8 septembre.

M. me confie que la nourriture distribuée à Moria depuis l’incendie est largement insuffisante et leurs amis de « game » (l’expression qui désigne les groupes formés pour les traversées) restent sans manger.

M. et sa femme ne peuvent pas rester indifférents à leurs appels au secours. Ils ont des petits enfants, me dit-il. Ils sont comme nous. On ne peut pas les laisser tomber. Une fois le pain cuit, il le charge, avec les barquettes de repas et quelques vêtements pour enfants, dans une cagette plastique sur le porte-bagages de son vélo pour filer vers Moria.

Je croise le regard inquiet de sa femme, A., qui s’est réveillée entre-temps. Il arrive qu’il y ait des réactions violentes par des habitants hostiles ou des arrestations arbitraires par des policiers grecs, sur la route. Mais M. est confiant. J’ai le papier de Pikpa, il me dit. Il ne m’arrivera rien. Ils vont me laisser revenir.

A., sa femme, se prépare déjà pour le travail de la journée, qui sera longue. Les habitants et bénévoles de Pikpa ont décidé ensemble d’être solidaires avec les gens de Moria. Dès le premier jour, plusieurs centaines de paquets de vêtements et de rations de nourriture y sont envoyés. C’est un groupe de femmes migrantes, habitantes de Pikpa, aidées par les bénévoles, qui s’en charge, fournissant certains jours jusqu’à mille repas.

Je me mets en route vers Moria. J’ai rendez-vous avec N., un jeune militant américain qui s’est installé à Lesbos il y a cinq ans pour travailler avec une ONG à Moria qui intervient en protection des mineurs. Depuis quelques mois, il s’est même mis à apprendre le persan, pour mieux communiquer avec les Afghans qui constituent la majorité de la population de Moria.

Arrivés au barrage, alors qu’on est à 200 mètres de l’entrée du camp, les policiers nous obligent à faire un grand détour d’une vingtaine de kilomètres pour nous présenter à l’autre entrée du camp. Le chauffeur de taxi qui nous emmène nous dit, comme signe de solidarité, qu’il arrête le compteur à 20 euros, parce qu’il trouve cela injuste de nous faire payer plus alors qu’on était pratiquement arrivé.

Ce jour-là, les policiers grecs décrètent que personne ne passe leurs barrages sauf quelques membres de Médecins sans frontières, et surtout pas les journalistes étrangers ! Et de fait, de l’autre côté aussi, les policiers nous refusent l’entrée. Alors, N. me propose de passer par un chemin de traverse et d’escalader une colline pour accéder au camp.

Depuis l’incendie de Moria, N. opère en solo, en attendant que l’ONG avec laquelle il travaillait obtienne l’autorisation d’intervenir. Ce qui risque d’être long, étant donné la bureaucratie grecque. Chaque matin, il fait des provisions, achetées avec ses propres deniers, autant qu’il peut apporter de ses deux mains et sur son dos, puis grimpe la colline pour les distribuer à ceux qu’il croise.

Parfois, ce sont des « power banks » pour recharger des portables faute de courant électrique. Ce jour-là, ce sont masques, savons et lingettes qu’on achète ensemble. J’ai décidé de ne pas poser de questions, N. m’inspire confiance. La seule chose sur laquelle on diverge : que faire si on se fait repérer par une patrouille mobile de policiers ? N. préfère déguerpir en courant. Moi, je sais que je n’ai aucune chance de semer de jeunes policiers en bonne forme physique, donc le cas échéant, je m’arrêterai pour me laisser interroger. Peu après, on croise de jeunes Afghans qui font le chemin inverse. Je les questionne en persan. « La voie est libre », me disent-ils. On continue à escalader la colline. À un moment, elle surplombe le nouveau camp en construction. Une vingtaine de minutes plus tard, en descendant de l’autre côté, on est soudain au milieu du nouveau Moria.

La route est jonchée de tentes distribuées par des ONG et de campements de fortune, fabriqués à l’aide de toutes sortes de matériaux. Barbelés, bennes à ordure, bâches plastique, branches d’olivier. Tout ce qui peut soutenir un semblant de toit, tout ce qui peut faire de l’ombre et protéger du soleil qui tape encore très fort. Des enfants de tous âges, souvent pieds nus, jouent dans la caillasse.

 © SF © SF

Des tas d’ordures s’amassent tous les quelques mètres. Quelques migrants, ayant le sens des affaires, tirent des cagettes remplies de bouteilles d’huile et des paquets de sucre et de riz, qu’ils se sont procurés on se demande comment, pour les vendre aux autres. Un couple lave un nouveau-né qui hurle au bord de la route. D’autres se disputent l’accès au point d’eau, alors que des adolescents s’aspergent d’eau un peu plus loin pour se rafraîchir.

À peine quelques-uns m’ont-ils entendu parler persan qu’un groupe se forme autour de moi. Les questions et les demandes fusent. Avec quelle ONG je travaille ? Suis-je journaliste ? Qu’est-ce qui va leur arriver ? Comment est le nouveau camp ? Faut-il accepter d’y aller ? De l’eau à boire, du lait en poudre pour les nourrissons, du savon, du shampooing, du papier toilette, des médicaments, et des chaussures, surtout des chaussures pour enfant. Ils n’ont plus rien, ayant tout laissé derrière eux dans les tentes lors de la nuit de l’incendie.

Une jeune femme me fait signe d’approcher. Elle berce un nourrisson. Je m’agenouille près d’elle. Elle me montre son sein. Elle n’a plus de lait. « J’ai accouché juste une semaine avant l’incendie », me dit-elle. Elle a trois autres enfants à nourrir et rien à manger. Son mari me montre un paquet de biscuits entamé et m’explique que c’est tout ce qu’ils ont eu à manger depuis la veille.

Un nouveau camp sur une colline en forte pente

Nous sommes le 15 septembre, une semaine après l’incendie. Elle veut bien que je la prenne en photo, mais cache son visage pour que sa mère, si jamais la photo circule, ne la reconnaisse pas. J’ai trop honte, me dit-elle en se couvrant le visage.

 © SF © SF

Un autre homme me montre une bouteille d’eau minérale, précieusement gardée pour ses enfants. Le volume moyen d’eau potable distribuée par personne est inférieur à un litre par jour, alors que la température dépasse encore les 30 °C en journée. L’eau des rares robinets à leur disposition n’est pas potable, me dit une autre mère. Ses deux enfants ont déjà la diarrhée et elle-même a mal au ventre. Elle me demande si j’ai de l’antidiarrhéique sur moi.

Une autre femme, d’un âge indéfinissable, les traits tirés par la fatigue, me fait signe et me dit à l’oreille : « J’ai une forte hémorragie depuis plusieurs jours et j’ai des vertiges. Je n’ai pas de serviettes hygiéniques. Tu en as ? » Je baisse la tête, impuissante. Elle me dit qu’elle s’emballe avec du plastique, pour ne pas tout souiller dans la tente. Ce qu’elle appelle « tente » est en fait constitué d’une couverture déchirée comme toit et un bout de plastique au sol. C’est là qu’elle vit avec ses deux enfants et sa petite-fille.

Un autre homme vient me voir. Toujours la faim qui les poursuit. Il me reste encore un peu d’argent, me dit-il, et j’ai essayé d’aller acheter de la nourriture dans les magasins du village voisin en grimpant sur la colline, mais les commerçants ne voulaient rien me vendre. Un autre homme me dit qu’il a même été tabassé par les locaux, avant d’avertir la police, qui l’a emmené en garde à vue.

Loin sont les jours, il y a quelques années, où les gens de Mytilène aidaient les migrants échoués sur leurs plages. Ils ont dû baisser les bras, de guerre lasse, face au nombre croissant de migrants qui arrivaient, l’inefficacité des gouvernements successifs, aussi bien de gauche que de droite, étant eux-mêmes dans une forte crise économique, et l’indifférence de l’Union européenne, à laquelle s’est greffée la pandémie.

Une autre femme me dit la gorge serrée qu’il lui reste de l’argent sur son compte, son allocation de demandeur d’asile, disons, mais à quoi bon, puisque sa carte de retrait a brûlé dans l’incendie, et qu’elle n’a plus le droit d’aller en ville pour retirer de l’argent à la banque.

Un père de famille iranien me montre ses papiers. « Mon test d’ADN était positif, mais tous les documents ont brûlé dans l’incendie du centre EASO, là où étaient conservés toutes les demandes d’asile et leurs documents. » « Test d’ADN ? », lui demandé-je étonnée. « Pour prouver que nous sommes bien les parents de mon fils et pouvoir le rejoindre à Athènes », répond-il.

Pour le coup, il doit encore attendre avant de voir son fils de 12 ans, qu’il avait perdu lors de la traversée, il y a trois ans. À l’autre bout du camp dans le secteur où les Congolais et les Somaliens se sont installés, quelqu’un m’interpelle en français. Je m’approche.

Un jeune Congolais m’explique qu’il avait quitté l’hôpital psychiatrique juste avant l’incendie, que ses troubles psychiques s’étaient calmés, mais qu’il ne sait pas combien de temps il tiendra dans cet enfer sans traitement et suivi psychologique. Vous voulez voir mon certificat médical de vulnérabilité, me demande-t-il. Je lui dis que je le crois sur parole.

À la précarité ambiante s’ajoute l’inquiétude des migrants qui savent que leurs procédures vont être retardées. Dans un enfer administratif, ils sont condamnés à rester dans ce camp jusqu’à nouvel ordre. Dans une absence totale de communication de la part des autorités grecques. Certains migrants sont en attente de réponse depuis quatre ans. Moria c’était un cauchemar, mais au moins il y avait de la nourriture et de l’eau et on savait où on allait dormir le soir, disent-ils.
Un groupe de jeunes migrants me racontent les événements du dimanche 13 septembre, lorsque les migrants, à bout de nerfs, ont manifesté paisiblement, demandant à être relogés et ont été confrontés aux tirs de lacrymo des policiers, touchant même des enfants qui se trouvaient à proximité.

 © Photos fournies par les migrants. © Photos fournies par les migrants.

Je donne mon numéro de téléphone à certains migrants pour pouvoir servir de relais d’information. Jeudi soir, premier coup de fil d’un mineur non accompagné que j’ai rencontré et que j’essaie d’aider. Il m’apprend que les migrants commencent à être relogés dans le nouveau camp, mais sans qu’il y ait eu aucune annonce au préalable. Peut-être pour éviter des protestations, car beaucoup des migrants redoutent leur relogement dans le nouveau camp qui semble être un camp fermé et sans équipement aucun. Mon jeune interlocuteur me décrit la technique employée par les policiers grecs : ils déplacent leurs cars pour séparer un groupe de migrants du reste du campement, avant de les rameuter dans d’autres cars et les conduire au nouveau camp. Les migrants, épuisés et affamés, résistent d’abord puis finissent par se laisser faire.

Vendredi soir, un nouveau coup de fil du même jeune mineur m’apprend que le reste des migrants ont déjà tous été contraints de se déplacer. J’appelle un autre migrant qui me confirme les faits. Tous les migrants sont déjà dans le nouveau camp. Capacité initiale annoncée 5 000 personnes. Mais dans les faits, le nouveau camp abrite 13 000 personnes. Il a été construit sur une colline en forte pente, surplombant la mer. Il n’y a pas d’eau courante ni d’électricité. Et la dizaine de sanitaires, à peine installés, sont déjà tous hors service. Les petites tentes sont données à une dizaine de migrants, et les grandes contiennent jusqu’à 250 personnes.
Comme elles sont montées sur la caillasse sans que le sol n’ait été nivelé, il est impossible de s’allonger dans certaines, tellement la pente est raide.

La nourriture fait toujours défaut. Dans le meilleur des cas, ils ont un repas et une bouteille d’eau par 24 heures et ça, lorsqu’il y en a pour tout le monde. Le nouveau camp est totalement fermé. Malgré les tests systématiques de Covid et la mise sous quarantaine des migrants contaminés, tous les résidents du camp sont privés de sortie. Ce qui explique la résistance des migrants qui redoutent un confinement de fait, ce qu’ils ont déjà vécu depuis le mois de février.

D’autres textos m’arrivent au cours du week-end, par G., un mineur non accompagné âgé de 16 ans qui s’est retrouvé par erreur avec les hommes célibataires, dans un secteur du nouveau camp entouré de barbelés. Je lui réponds que j’ai déjà envoyé son nom à une ONG pour qu’il soit transféré, mais cela va prendre quelques jours. J’ai très peur, m’écrit-il, je ne supporte pas d’être avec eux. Les migrants plus âgés m’ont pris mon matelas, je n’ai plus où dormir sous la tente, je ne sais pas comment tenir.

En quittant Lesbos, je repense à M. et sa femme et je me dis que si un tel élan de générosité est possible de la part d’une famille de migrants, eux-mêmes dans le besoin, alors l’Union européenne doit en toute logique pouvoir apporter une aide suffisante pour soulager les besoins immédiats des victimes de l’incendie de Moria, ou les accueillir dans d’autres pays européens, sinon l’Europe aurait perdu tout son sens, voire son essence.

Le matin, en descendant du bateau qui m’emmenait au Pirée, le visage de Hekmat avec ses grands yeux noirs ne me lâche pas. Lui qui du haut de ses huit ans m’avait expliqué qu’il est afghan mais n’a jamais vu son pays, car né en Iran. Puis m’avait dit de but en blanc : «­ Je n’ai pas de chaussures. » Mes yeux avaient glissé alors vers ses pieds qui nageaient dans de grandes baskets.

« Elles sont à ma mère, m’avait-il expliqué. Est-ce que vous pouvez m’apporter une paire de chaussures ? » Je lui avais dit qu’il était peu probable que je puisse revenir. Il m’avait regardé de ses grands yeux noirs et m’avait dit : « D’accord, mais au cas où vous reviendriez, je chausse du 31. »

Source https://www.mediapart.fr/journal/international/220920/lesbos-le-desespoir-des-migrants-apres-l-incendie-du-camp-de-moria?onglet=full

Translate »