Audit, la contagion ?
Pascal Franchet, vice président du CADTM France
Début mai 2015, un rapport parlementaire inédit a été rendu public qui traite de la dette publique.
Ce rapport accompagne une proposition de loi européenne relative à la dette souveraine des Etats de la zone euro, présentée par Nicolas Sansu, député PCF, au nom du groupe Front de Gauche à l’Assemblée Nationale.
Le rapporteur a auditionné plusieurs acteurs de la critique de la dette publique en France, membres du CADTM, d’ATTAC, de l’OFCE, des économistes atterrés, tous militants au Collectif d’Audit Citoyen ainsi que des universitaires et chercheurs spécialisés sur des thèmes voisins de la dette publique, de la Banque Centrale Européenne et de la gouvernance économique européenne.
Ce rapport de 60 pages est une pierre de plus à l’édifice de la mobilisation contre la dette publique illégitime qui frappent les peuples européens. Faisant siennes les conclusions du rapport du CAC sur les causes de l’accroissement de la dette publique française (effets de la financiarisation et fiscalité favorable aux grandes entreprises et aux ménages les plus aisés), le rapporteur condamne également les dispositions issues des traités européens, notamment celles concernant le statut de la Banque Centrale Européenne qui favorisent les marchés financiers au détriment des finances et politiques publiques.
En Argentine, la Commission bicamérale d’audit de la dette pour la période de 1976 à 2014, vient d’être mise en place conformément à la « loi de paiement souverain », adoptée en septembre 2014 , et devra rendre son rapport dans 180 jours.
Avec nos amis argentins, nous plaidons pour que cet audit soit, comme en Equateur, un audit intégral de la dette, non confidentiel et qu’il implique une participation citoyenne active
Dans moins d’un mois (le 18 juin), la Commission pour la Vérité sur la dette publique grecque fera connaître son rapport intermédiaire à quelques jours de l’échéance de l’accord du 20 Février.
Depuis cette date, après avoir privé les banques grecques d’une partie de l’accessibilité aux liquidités, l’Eurogroupe exerce un chantage ignoble envers le gouvernement issu démocratiquement des urnes le 25 janvier, voulant lui imposer un mémorandum supplémentaire du même registre que les précédents qui ont ruiné l’économie du pays depuis 2010 et plongé des millions de grecs dans la précarité, le chômage et la misère.
La proposition de loi européenne présentée par le Front de Gauche, a, de fait, été censurée par le parti socialiste et une partie de la droite. Pour eux, la transparence n’est pas à l’ordre du jour !
En revanche, la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale a accepté la création d’une commission parlementaire d’enquête appelée pudiquement : « mission d’information et d’évaluation ».
Nous ne pouvons qu’approuver cette initiative parlementaire tout en exigeant que son travail et ses résultats ne soient pas confidentiels, que cette mission parlementaire ne limite pas ses investigations et que l’audit soit, comme en Equateur, comme en Grèce, un audit intégral.
Le réalisateur du film » Ne vivons plus comme des esclaves » Yannis Youlountas (voir catégorie « film, vidéo ») prépare un nouveau film à but non lucratif » JE LUTTE DONC JE SUIS ».
Vous pouvez visionner la bande annonce http://jeluttedoncjesuis.net . De plus pour que le film puisse être financé, puis diffusé et mis en ligne gratuitement vous pouvez soutenir cette démarche originale en participant au financement. Les modalités sont décrites sur le même site du film.
Synopsis du film : De Grèce et d’Espagne, un vent du sud contre la résignation souffle sur l’Europe. Dans les villes et les campagnes, dans les îles et les montagnes, au cœur des luttes et des alternatives en actes, des femmes, des hommes, mais aussi des enfants refusent de baisser les bras. Une même devise résume leur courage de résister, leur joie de créer et leur persévérance à toute épreuve : « JE LUTTE DONC JE SUIS » (prononcer « AGONIZOMAI ARA IPARKO » en grec et « LUCHO LUEGO EXISTO » en espagnol). Quelques mots pour vivre debout, parce que rester assis, c’est se mettre à genoux. Une brise marine, souriante et solidaire, de Barcelone à Athènes et d’Andalousie en Crète, qui repousse les nuages du pessimisme. Un voyage palpitant en musique, d’un bout à l’autre de la Méditerranée, en terres de luttes et d’utopie. »
MORATOIRE, AUDIT, ANNULATION pour arriver au bout du processus à une annulation partielle , voire une restructuration d’une partie de la dette
dans de bonnes conditions, nécessité d’articuler ces 3 temps:
– moratoire: suspension unilatérale du paiement des intérêts, sans effet rétroactif,pendant la durée de l’audit
– audit: travail sur les contrats, documents etc..pour mettre à jour les parties illégitimes, illégales, odieuses
– négociation avec les créanciers au vu de ces résultats, pour aboutir à annulation, restructuration …
En effet sans moratoire, la dette continue à gonfler le temps de l’audit ce qui brouille les conclusions;
cette décision unilatérale de moratoire,(c.à.dire de la responsabilité seule du gouvernement) enclenche de fait l’idée de négociations
pour les créanciers, puisqu’on sait que ce sont surtout le paiement des intérêts qui les intéressent
sans précision dès le démarrage de » sans effet rétroactif », possibilité de recours juridiques à posteriori;
négociation et annulation sans audit ( après un défaut de paiement) et donc sans recours à la juridiction internationale possible,
c’est la porte grande ouverte à des complications, (les fonds vautours en Argentine);
Fort des expériences passées, c’est ce tryptique que le CAC a recommandé pour l’examen de la dette publique française.
A noter qu’actuellement en Grèce, s’il y a bien eu mise en place d’une commission d’audit , pas de moratoire du paiement des intérêts.
Créée sous le nom de « Comité pour la vérité de la dette grecque » en avril 2015 à l’initiative de la présidente du Parlement Zoe Konstantopoulou.
A reçu depuis le soutien du Président de la République, du Premier Ministre et de nombreux autres autres ministres grecs.
composition: 15aine d’ étrangers ,15aine de grecs, experts dans différents domaines et produits des mouvements sociaux.
Pas de parlementaires pour une plus grande liberté de manœuvre
mission: identifier dans la dette grecque actuelle quelles dettes sont illégitimes, illégales, odieuses , insoutenables et en rendre compte aux autorités.
conditions de travail:Bénévolat des participants
Information nécessaire de la population grecque et de la communauté internationale
pronostic:
Sans préjuger des résultats, sachant que le Comité pour un audit de la dette a pu démontrer que 59% de la dette française est illégitime, on peut s’attendre à des résultats bien supérieurs en Grèce.
Le rapport final est prévu pour juin 2015, date de la fin du programme en cours après l’accord du 24/2 avec les créanciers : prolongation de l’aide contre engagement de rembourser intégralement et dans les délais prévus dans ce laps de temps.
Il y plusieurs types d’audit de dette publique, selon qui le commande, qui l’exécute et dans quelles conditions.
Exemples:
– Il y a actuellement en Grèce des audits des représentants de l’ex Troika qui examinent si le coût des mesures avancées par le gouvernement est réaliste. Technique et donc sans implication citoyenne.
– En Argentine, suite aux attaques des fonds vautours, mise en place en 2014 d’un audit bicaméral:sénateurs et députés(1) Audit parlementaire
– La campagne du CAC, comité pour un audit citoyen de la dette française: analyse des causes de la dette , calcul des parts relevant de l’illégitimité
pour une proposition d’annulation de cette part. Etude menée par des associations citoyennes, sans implication du pouvoir en place
– En Equateur en 2007, audit intégral de la dette: audit assorti d’un moratoire; commandé par le gouvernement, effectué par des experts sous contrôle citoyen.
– 4 avril 2015 en Grèce: Comité pour la vérité de la dette grecque:voir fiche: « Audit de la dette grecque »
(1) la loi 26.984 de « paiement souverain », entrée en vigueur en septembre 2014, inclut dans son article 12 la constitution d’une Commission bicamérale d’audit de la dette de 1976 à 2014.
L’article 12 stipule :
Est créée dans le cadre du Congrès de la Nation la Commission bicamérale permanente sur la recherche de l’origine et le suivi de la gestion et du paiement de la dette externe de la Nation, laquelle sera composée de huit (8) sénateurs et huit (8) députés, désignés par les présidents des Chambres respectives, sur proposition des blocs parlementaires en respectant la proportion des représentations politiques, et qui sera régie par le règlement interne émis à cette fin.
La Commission bicamérale permanente créée par la présente loi vise à déterminer l’origine, l’évolution et la situation actuelle de la dette extérieure de l’Argentine, depuis le 24 mars 1976 jusqu’à ce jour, en prenant en considération les renégociations, les refinancements, les échanges de dettes, les paiements de commissions, les défauts et les restructurations, et en émettant un avis sur l’effet des montants, des taux et des termes conclus dans chaque cas, ainsi que sur d’éventuelles irrégularités.
Tout d’abord rappelons que les obligations d’un État en matière de droits humains l’emportent sur ses autres engagements, comme le respect d’un contrat de prêt :
Déclaration des Nations unies sur le droit au développement (1986), art.2-3 : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus sur la base de leur participation active, libre et significative dans le développement et la distribution équitables des bénéfices issus de celui-ci. ». + art. 6 : « Les États doivent prendre des mesures pour éliminer les obstacles au développement résultant du non-respect des droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels ».
Pactes internationaux de 1966 sur les droits humains, art.1 : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économiques internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »
Charte des Nations unies, art. 103 : « En cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront. ». Cette charte consacre par ailleurs, entre autres, les obligations de « relèvement des niveaux de vie, le plein-emploi et les conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. »
La force majeure : impossibilité d’agir légalement en cas d’évènement imprévu et extérieur à la volonté de celui qui l’invoque, qui le place dans l’impossibilité de remplir ses obligations internationales (Commission du droit international de l’ONU).
L’état de nécessité : situation de danger pour l’existence de l’État, pour sa survie politique ou sa survie économique (Commission du droit international de l’ONU).
Le changement fondamental de circonstances : changement de la portée des obligations, les rendant plus lourdes + changement portant sur un élément fondamental ayant conditionné l’engagement. Par ex : la décision unilatérale des États-Unis en 1979 de relever les taux d’intérêt.
La dette illégitime :
Les doctrines de la dette illégitime et de la dette odieuse ne sont pas reconnues par les puissances occidentales et les tribunaux. Seuls les États peuvent les invoquer, sous la pression populaire (audits de la dette publique).
Quatre catégories de dettes illégitimes :
illégitimité liée au régime emprunteur (par ex. une dictature -> dette odieuse, dettes de gouvernements criminels, dettes coloniales, dettes de gouvernements sous domination étrangère, dettes d’un gouvernement au service d’une minorité, dettes de régimes renversés par le peuple, ) ;
illégitimité liée à l’absence de consentement des parties (dettes contractées en violation des règles d’un État démocratique, dettes relevant d’un contrat entaché d’un vice du consentement) ;
illégitimité liée aux conditionnalités du prêt (par ex. modalités des PAS au sud et des politiques d’austérité au Nord imposant un appauvrissement de la population au mépris des obligations fondamentales d’un État) ;
illégitimité liée à l’utilisation des fonds empruntés (dettes ayant servi à l’enrichissement personnel, dettes générées par des mesures fiscalement et socialement injustes…).