Par Sotiris Siamandouras publié par Alencontre le 26/8/16
Un an après le référendum (le 5 juillet 2015, avec 61,31% de Non à la politique des «institutions») et le passage du gouvernement SYRIZA dans le camp du TINA («Il n’y a pas d’alternative»), la domination néolibérale en Grèce s’approfondit quotidiennement et sur tous les plans. La deuxième évaluation du programme grec par les «institutions» commencera en septembre. Elle devrait se terminer en octobre.
Elle porte sur de multiples domaines: l’application de la nouvelle loi de sécurité sociale et la création d’un Fonds unifié de sécurité sociale jusqu’au 2017; l’abolition des allocations sociales et leur replacement par un «revenu minimum garanti» qui implique des coupes d’un montant de 900 millions d’euros jusqu’en 2019; l’achèvement d’un vaste programme de privatisations: des aéroports, des ports, des transports, de l’énergie et – probablement – de l’eau; la vente ou la mise en nantissement de 71’500 bâtiments et terrains publics, y compris 597 îles; la transformation du Secrétariat général des revenus publics [taxes, revenus douaniers, etc.] en une institution indépendante – l’Autorité indépendante des revenus publics – qui échappera pour l’essentiel au contrôle politique; l’évaluation de la situation des quatre banques systémiques – Alpha Bank, Eurobank Ergasias, National Bank of Greece and Piraeus Bank – et du FHSF (Fonds hellénique de stabilité financière, une structure établie par le gouvernement grec et la troïka en 2010 afin de stabiliser le système bancaire grec); la finalisation du cadre légal concernant les dettes privées dites rouges [qui concernent, entre autres, les dettes hypothécaires pendantes, donc l’expulsion possible du logement]; les salaires du secteur public et, en particulier, les salaires des militaires, des forces de l’ordre et des pompiers; et, finalement, le nouveau Code du travail.
Parmi ces domaines, nouveaux et anciens, il est légitime de penser que le plus important sera la réforme du Code du travail. Premièrement parce que, dans le cadre de la politique de dévaluation interne, au nom d’un semblant de «croissance» – aux traits inhumains – la réduction du coût du travail est centrale. L’objectif: que les salarié·e·s travaillent plus et avec des salaires réduits. [Selon le ministère du Travail de Grèce, dans une étude datant du mois d’août, 51,6% des nouveaux contrats mentionnent des salaires de 400 euros en moyenne, quasi tous formellement «temporaires», pour la période de janvier à juillet 2016]. Deuxièmement, parce que les instances l’Union européenne ont déjà pris cette décision, non seulement officieusement [1], mais concrètement, comme nous l’avons vu aussi en France, où le gouvernement «socialiste» a insisté jusqu’à la fin et a fait passer la loi «El Khomri». Diminuer le «coût du travail» – sous toutes ses dimensions – est le noyau dur du plan néolibéral, son âme même, le centre de gravité qui organise le reste du système. [Au second trimestre 2016, le PIB grec a reculé de 0,7% par rapport à la même période de 2015, selon l’ELSTAT, l’institut de statistique.]
Cela ne signifie pas que les autres domaines soumis aux contre-réformes soient secondaires. Et il est vrai que chacune d’entre elles suffirait à elle seule à faire trembler n’importe quel gouvernement démocratique. Donc, on peut relever ceux qui croient qu’il y aurait une forte possibilité qu’Alexis Tsipras décide de déclarer à nouveau des élections, puisque la popularité de son gouvernement est déjà en chute libre. Pourtant, il aurait besoin d’un prétexte. Ce qui ne semble pas en vue pour le moment. Avec les forces populaires paralysées sous l’effet du choc de subir le passage d’un «gouvernement de la gauche» dans le camp des forces mémorandaires, la mobilisation populaire a été – tout compte fait – anémique dans la dernière période. En plus, la majorité parlementaire du gouvernement SYRIZA-ANEL (Grecs indépendants) reste solide. Le parlement est composé principalement de forces mémorandaires prêtes à supporter toutes les mesures, si le besoin s’impose. Et le gouvernement n’a pas encore été forcé d’opérer un remaniement ministériel. En fait, la possibilité d’avoir des élections anticipées semble éloignée, même si rien ne peut être exclu à ce propos. Alexis Tsipras continuera à gouverner ce pays saccagé, cette démocratie vendue et ce peuple désespéré. Il aura certes besoin de «diversions».
Parmi elles, la plus importante et la plus dangereuse est probablement la réforme constitutionnelle annoncée par Alexis Tsipras lui-même. Il parle même d’un nouveau référendum sur la Constitution [2]. Et il ne s’agit pas d’une simple diversion. En fait, il s’agit de l’achèvement de la domination néolibérale. Lorsqu’une réforme constitutionnelle est proposée par un gouvernement qui a signé un accord qui dit que tous les projets de loi devront désormais être sanctionnés par les créanciers, quand le rapport des forces entre le capital et le travail se trouve à un point d’équilibre peut-être le plus défavorable au cours de la dernière décennie, quand nous savons qu’à l’échelle internationale la mise en œuvre des politiques néolibérales met en question la démocratie, nous pouvons craindre que cette réforme constitutionnelle ne soit pas une simple diversion. Elle peut traduire un effort de stabilisation du système en inscrivant dans la Constitution même le néolibéralisme et l’autoritarisme technocratique.
De toute façon, le premier ministre a déjà donné l’ordre à son gouvernement de mettre fin à ses vacances et de lui préparer un plan présentable, un plan qu’il pourra défendre lors de la Foire internationale de Thessalonique [3]. Les points fondamentaux de ce plan devraient être la «croissance», le chômage et la réforme constitutionnelle. Il est intéressant de noter que la Foire commence le 10 septembre 2016, un jour après l’Eurogroup où le ministre de l’Economie [Georgios Stathakis est ministre de l’Economie et Euclide Tsakalotos est ministre des Finances ] devrait présenter son rapport officiel sur la mise en œuvre des «réformes». Il sera encore plus intéressant de voir comment Alexis Tsipras va exposer, le jour suivant, son propre bilan et perspective au peuple grec. Et le plus captivant sera la réaction de ce dernier, quand son Premier ministre va l’informer que toute cette destruction économique et sociale est d’importance secondaire et que l’essentiel réside dans le débat sur la réforme constitutionnelle, qui prévoit, entre autres, l’élection du président de la République directement par le peuple. Autrement dit, nous aurions besoin d’un «homme fort». Et qui serait-il, précisément? Qui serrait ce petit Bonaparte, qui voudrait devenir un jour l’empereur de rien du tout? (22 août 2016)
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[1] Voir les GOPE (les Grandes orientations de politique économique de la Commission européenne) et les LDE (Lignes directrices intégrées).
[2] Alexis Tsipras a présenté ce plan le 25 juillet. La procédure proposée devrait commencer en septembre par la création d’un Comité organisationnel. Ensuite il y aura 13 assemblées, une dans chaque circonscription du pays. A la fin du printemps 2017, le Comité organisationnel va codifier les résultats du dialogue public et les apporter au parlement.
[3] D’habitude, les premiers ministres grecs utilisent cette occasion pour présenter et défendre leur politique en donnant des conférences de presse. Une grande manifestation est donc organisée aussi à Thessalonique chaque année, pendant les jours de la Foire, pour rappeler que le mouvement social reste vigilant.