La nouvelle loi sur l’immigration agite l’opposition et les associatifs. Alors qu’une concertation doit démarrer en janvier, une circulaire validée par le ministère de l’Intérieur, permettant de contrôler les populations accueillies dans les centres d’hébergement, notamment pour identifier les migrants, a provoqué une levée de boucliers. « Aucun gouvernement depuis la Seconde Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là », s’indigne mercredi au micro de la matinale d’Europe 1 Patrick Weil, historien et politologue, spécialiste de l’immigration.
Un principe sacré. « On a un principe, qui nous vient peut-être de nos traditions chrétiennes : un enfant, on ne lui demande pas ses papiers quand on l’accueil à l’école, un malade, on ne lui demande pas ses papiers quand il a besoin d’être soigné à l’entrée de l’hôpital, et quelqu’un qui n’a pas de quoi se loger, on ne lui demande pas ses papiers à l’entrée d’un centre d’hébergement d’urgence. Monsieur Macron et monsieur Collomb ont violé ce principe », relève le chercheur. « Si le projet [de loi, ndlr] s’inscrit dans cette lignée, ce sera une régression dramatique », alerte-t-il.
Un président doux dans ses déclarations et violent dans ses actes ? « Monsieur Macron, c’est l’inverse de monsieur Sarkozy. Monsieur Sarkozy était violent verbalement, mais sur le terrain il était pragmatique. Monsieur Macron est doucereux verbalement, et sur le terrain c’est la dague. Il est un peu comme un chasseur à cour qui ferait des messages d’amour, le soir, pour les animaux. C’est ce qu’il fait pour les migrants : il leur souhaite des vœux, il dit bienvenue aux réfugiés et il signe la nuit des ordres qui les mettent dans la rue et les empêchent de se nourrir », estime Patrick Weil.
« On ne touche pas à ça ». Tant que les gens ne sont pas reconduits, notre devoir est de bien les traiter sur des points fondamentaux : l’accueil des enfants à l’école, la santé et l’hébergement d’urgence. On ne touche pas à ça. Après, s’ils sont en situation irrégulière, il faut les reconduire, mais on n’y arrivera pas de cette façon-là », conclut le politologue.
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Migrants: le médecin Raphaël Pitti a rendu sa Légion d’honneur
Le spécialiste de la médecine de guerre proteste contre les « conditions indignes » dans lesquelles les migrants sont accueillis en France.
Le célèbre spécialiste de la médecine de guerre, et soutien d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle, Raphaël Pitti, a annoncé vendredi 29 décembre à l’AFP avoir rendu la Légion d’honneur que le président de la République lui avait remise l’été dernier pour protester contre le traitement des migrants en France.
Le médecin met ainsi à exécution sa décision, annoncée il y a une semaine dans une tribune publiée par Libération. Dans ce texte, intitulé « Pour un bon Noël, monsieur le Président », il expliquait qu’il entendait ainsi dénoncer les « conditions indignes de la République » dans lesquelles les migrants étaient accueillis en France.
« Votre accession cette année aux plus hautes responsabilités se fit à l’aune d’une situation sociale et politique imprévisible et unique », écrivait Raphaël Pitti. « Toutefois, poursuivait-il, huit mois après, la réponse de l’État n’est pas à la hauteur des enjeux. 60 000 migrants ont été accueillis en 2016 dans des conditions indignes de notre République. »
Dans sa lettre, le médecin dénonçait le traitement « dégradant » réservé aux migrants. « J’appelle “dégradant”, en cette fin d’année dans notre République française, les agressions que subissent des gens en transit sur notre sol et auxquels on ne permet pas de satisfaire les besoins les plus fondamentaux tels que l’accès à l’eau, à la protection et à la sécurité, aux toilettes, au chauffage, à un couchage », écrivait-il. « On préfère les reléguer au statut d’ombre, dans les jungles, les forêts, les montagnes, allant jusqu’à condamner ceux qui auraient la bienveillante idée de les secourir. »
Raphaël Pitti s’inquiétait également de la place prise par le ministère de l’intérieur dans la politique migratoire. « Le versant sécuritaire de ce ministère a aujourd’hui pris le pas sur l’accueil et l’intégration, ce qui va à l’encontre de nos valeurs et de notre histoire », estimait-il. « Des maires – ils vous l’ont rappelé récemment –, des autorités – comme le Défenseur des droits –, des associations et des bénévoles pourraient témoigner du mauvais sort fait aujourd’hui aux migrants sur notre sol. Recevez-les, monsieur le Président, écoutez-les : une simple tape dans le dos ou une accolade ne leur suffira pas. »
En annonçant sa décision de rendre la Légion d’honneur qui lui a été remise en juillet dernier, Raphaël Pitti demandait au chef de l’État « de décider durant cette période de grand froid de suspendre toute mesure coercitive et de prendre les mesures urgentes de mise à l’abri de toutes les personnes en situation de fragilité ».Une semaine plus tard, le médecin est donc passé à l’acte. « J’ai été en Belgique et en Allemagne, j’ai vu les conditions d’accueil et j’ai honte de mon pays », réaffirme-t-il à cette occasion à l’AFP. Raphaël Pitti, qui avait rejoint en septembre 2016 les soutiens d’Emmanuel Macron, explique aujourd’hui avoir constaté un virage dans la politique gouvernementale. Le chef de l’État « avait un discours très humaniste, tout ça allait dans le bon sens et voilà que tout a changé mi-décembre », estime le médecin.
Il explique avoir été particulièrement choqué par la circulaire prévoyant, dans le cadre du projet de loi sur l’immigration et l’asile, de recenser les migrants dans les centres d’hébergement d’urgence. « D’entendre le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, dire qu’un Érythréen ou un Syrien peut demander l’asile, mais pas un Sénégalais… ce n’est pas à lui de décider qui a le droit de demander l’asile », fustige Raphaël Pitti.
« Le mouvement migratoire s’est amorcé et va s’amplifier, il faut en faire une cause nationale », plaide le médecin qui demande l’organisation « d’assises nationales de l’émigration et de l’intégration ». Le médecin précise également qu’il doit être reçu le 3 janvier par des conseillers du président.
Raphaël Pitti est un médecin humanitaire qui a travaillé sur nombre de conflits armés, en Yougoslavie ou au Liban. Depuis 2012, il forme du personnel soignant en Syrie. Il est également élu au conseil municipal de Metz.