Cette interview de Giannis Kouzis, réalisée par le sociologue Michel Vakaloulis, décrit la situation très difficile du syndicalisme grec confronté aux politiques d’austérité et aux mémorandum : « un sérieux problème de crédibilité« .
L’impasse grecque et ses effets pervers Un entretien avec Giannis Kouzis
Professeur de sociologie du travail à l’université Panteion d’Athènes.
Après sept années de crise, Giannis Kouzis revient sur les conséquences des politiques d’austérité sur la situation socio-économique de la Grèce, les protections des travailleurs ou encore le système de négociations collectives. Dans ce contexte et sans réorientation de la politique des mémorandums, la société grecque va poser de manière forte et récurrente la question de l’adhésion de leur pays aux institutions européennes.
Entretien réalisé par Michel Vakaloulis.
Deux ans et demi après l’accession de Syriza au pouvoir, quel bilan tirer de la situation socio-économique en Grèce ? Comment la crise impacte les différentes catégories de la population?
Giannis Kouzis – La victoire de Syriza en janvier 2015 a suscité beaucoup d’espoirs pour inverser la situation catastrophique du pays. Mais ces espoirs ont été démentis par la signature du troisième mémorandum avec les créanciers de la Grèce en juillet 2015. Cette évolution a eu comme conséquence la poursuite des politiques d’austérité qui détériorent les indicateurs économiques et aggravent les impasses dans lesquelles se trouve la société grecque depuis 2010 suite à la crise et à sa gestion néolibérale. La paupérisation de la société n’a eu de cesse de progresser avec 35 % de la population confrontée au spectre de la pauvreté. Même si le chômage officiel recule de 28 % à 23,5 %, la reprise significative de l’emploi se fait toujours attendre. D’autant plus qu’environ 400 000 Grecs, notamment des jeunes salariés hautement qualifiés, ont quitté le pays à la recherche d’un meilleur sort professionnel à l’étranger.
Autre indicateur de la profondeur de la crise, les chômeurs de longue durée représentent 74 % des sans-emploi. Le taux de chômage des jeunes atteint 50 % tandis que seulement 8 % des chômeurs perçoivent la faible indemnité de 361 euros qui correspond au 60 % du salaire minimum. La persistance de la crise, les politiques d’austérité et le recours à l’hypertaxation pour regonfler les caisses publiques déclassent violemment les couches moyennes, et plus particulièrement, les petits entrepreneurs et les auto-entrepreneurs dont les taux de chômage et de pauvreté explosent.
Une des conséquences les plus frappantes de la crise est la régression historique des droits des travailleurs. Comment les choses se présentent à l’heure actuelle dans le cadre des rapports de travail ?
Les deux premiers mémorandums jusqu’au gouvernement de Syriza se caractérisent par une vague déferlante de mesures dans le marché du travail qui ont laminé le contenu des relations professionnelles. Par exemple, le salaire minimum a diminué de 22 % (et de 32 % pour les jeunes) tandis que le démantèlement du système de négociations collectives a fait converger les salaires vers les nouveaux minima de rémunération. À cela s’ajoutent les interventions législatives récurrentes en faveur de la flexibilisation du contrat et des horaires de travail qui font reculer les protections des travailleurs.
Cette situation se poursuit avec le gouvernement de Syriza parce qu’il a pris l’engagement, dans le troisième mémorandum, de ne pas changer les lois qui régissent le marché du travail votées par ses prédécesseurs. D’où la dégradation incessante des rapports de travail qui aboutit à une baisse des salaires de 26 % et à une chute du pouvoir d’achat jusqu’à 50 % consécutive au niveau des prix, à la lourde taxation de l’activité professionnelle et à la réduction des services sociaux. Il est caractéristique aujourd’hui que 49 % des salariés reçoivent une rémunération qui ne dépasse pas le salaire minimum de 2012 contre 17 % pour cette année de référence.
Cela s’inscrit dans la logique intrinsèque des mémorandums qui consiste à aligner les salaires des travailleurs grecs sur les salaires des autres pays balkaniques, quitte à transformer le pays en zone économique sui generis au sein de l’euro. Qui plus est, à peine 10 % des salariés sont couverts par des conventions collectives alors qu’avant l’application des mémorandums, l’ensemble des travailleurs étaient protégés par une convention collective nationale et 80 % par des conventions de branches professionnelles. Cela implique une individualisation généralisée des salaires et des rapports de travail.
Quel est le rôle et la portée contestataire du syndicalisme en Grèce durant les années de crise ?
Le mouvement syndical grec est confronté à un sérieux problème de crédibilité qui remonte avant même le début de la crise et qui se poursuit dans la période trouble et agitée des mémorandums où il subit une défaite globale. Le faible taux de syndicalisation (en moyenne 25 %, et surtout, moins de 12 % dans le secteur privé), la fragmentation organisationnelle, la bureaucratisation des directions syndicales, la longue tradition de l’affiliation partisane des syndicats grecs sont les principaux facteurs de cette évolution qui s’additionnent aux difficultés liées à un environnement socio-politique conflictuel et hostile à toute velléité revendicative. Pour retrouver son efficacité, il nécessaire pour le mouvement syndical de se recomposer sur la base de ses propres valeurs constitutives qui ont été dans une large mesure détournées et niées.
Quel est l’état de l’opinion dans ce contexte?
Après le tournant du gouvernement de Syriza qui entérine la poursuite des politiques de mémorandum et le démenti des espoirs suscités par la montée de la gauche radicale au pouvoir, la société grecque se trouve largement dans un état passif sans pour autant être pacifié. Les réactions populaires contre les politiques appliquées sont circonscrites et sporadiques. Cela est également dû à l’absence d’un projet alternatif crédible de sortie de crise.
Qu’en est-il de l’émergence de formes de solidarité dans la société pour compenser l’absence d’un État social digne de ce nom ?
La famille demeure la plus importante institution de solidarité qui remplace largement un État social structurellement déficient en Grèce. Pourtant, la famille grecque traverse une rude épreuve. En fait, il existe environ 600 000 ménages sans aucun membre en activité professionnelle tandis que les retraites, toujours au cœur du chantage des créanciers, ont déjà subi des coupes drastiques. En parallèle, les initiatives de solidarité sociale au niveau local développées dans les années de crise conservent toute leur importance.
Quelles sont les perspectives d’une sortie de la crise dans laquelle la société grecque se trouve placée pour la septième année consécutive ?
Les politiques des mémorandums conduisent inexorablement à des impasses et engendrent de nouveaux problèmes aussi longtemps que la question de la dette est considérée et traitée comme « soutenable ». Dans ces conditions, il est évident que seule une profonde réorientation des politiques européennes pourrait apporter des solutions en dehors des recettes néolibérales. Mais cette réorientation ne se dessine pas aujourd’hui. En son absence, la question de l’adhésion de la Grèce aux institutions européennes sera posée de manière forte et récurrente par la société grecque. Et cela quand on sait que l’« aide financière » accordée à la Grèce par ses « partenaires » est utilisée à 91 % pour rembourser les prêts contractés avec les mêmes bailleurs de fonds, principalement les banques allemandes et françaises.
http://syndicollectif.fr/la-situation-du-syndicalisme-en-grece/