Mémoires du large : la rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Mémoires du large


On se croit en été. Il faut déjà y croire et y faire croire. Pour une fois, c’est vrai quelque part. Nos touristes admirent Athènes, et la Place de la Constitution devant le “Parlement” se révèle un domaine de prédilection pour la réalité augmentée… déjà celle des “selfies”. Cependant, à l’intérieur du bâtiment, la Constitution n’est plus. Été, temps des baignades et des immersions !

Baignades au Pirée. Juin 2017

En ce vendredi 9 juin, la “majorité” Tsipras, a même introduit certains amendements et modifications grammaticales aux lois… adoptées pourtant il y a à peine dix jours. Modifications bien entendu qui ont été imposées par la Troïka élargie. Il faut surtout y faire croire.

À travers les ondes des radios on évoque donc avec amertume cette ultime (?) ridiculisation du régime parlementaire (90,1 FM zone matinale du 9 juin): “Lorsque la moindre virgule ou tournure de phrase doit désormais être directement dictée par les émissaires de la Troïka, le gouvernement grec atteint désormais les sommets de la bouffonnerie. Et cette ridiculisation, elle tient aussi au fait que les textes ainsi modifiés (autant dictés par la Troïka) avaient été votés seulement dix jours auparavant.”

Alexis Tsipras et les siens, (tout comme les Mitsotakis ou les funestes Pasokiens), incarnent alors jusqu’à la moelle ces petites élites locales fort conciliantes, fabriquées et/ou recrutées pour seconder à l’asservissement de “leur” pays, participant de leur manière à la dernière en date… technologie disciplinaire, imposée notamment par le financierisme globalisant.

Cependant, cette dimension… technocoloniale des réalités grecques (et ce n’est qu’un exemple), ne peut plus être dissimulée sous les verbiages à peine tenables des politiciens, et encore moins à travers leur outrance… autant preuve de leur grossièreté. “Nos” calculs en algorithmes… dépasseraient ainsi et de loin, ceux du vieux Diophante d’Alexandrie, à l’instar de son célèbre Épitaphe et à son énigme, sitôt solutionné .

Nos touristes admirent Athènes. Juin 2017
Vieille affiche… oubliée. Athènes, juin 2017
La réalité. “Quotidien des Rédacteurs”, 28 mai 2017
Diophante d’Alexandrie chez un bouquiniste. Athènes, juin 2017

J’avais d’ailleurs soutenu très tôt ici sur ce blog, et cela dès sa création en octobre 2011, que cette “crise grecque” n’est pas une crise, mais seulement et plus exactement, une (nouvelle) forme de guerre, entreprise contre la société grecque et contre le pays (sans parler de la suppression des droits sociaux et du régime de type parlementaire). Avec sept années d’amère expérience depuis… l’avènement troïkan, je dirais alors que l’espace postmoderne à travers ce type de guerre, il comporte décidément de bien nombreuses dimensions: économiques, symboliques, psychologiques, informationnelles (médiatiques), de même que son terrain strictement humain… de la société ciblée.

J’utilise certes également le terme de “crise grecque” car (signe des temps), le champ sémantique (à l’exacte symétrie de celui de la guerre) nous est pareillement suggéré, c’est-à-dire imposé. Les Grecs réalisent seulement à présent que “leur crise” est sans limite de temps (sauf réaction radicale de leur part), car l’objectif à satisfaire peut prendre des années ou des décennies. La “Treuhand” dans sa transposition grecque par exemple, elle contrôlera potentiellement les biens du pays pour une durée de 99 ans, et les mesures adoptées par les Tsiprosaures (ou par les Papandréou et Samaras), se… déclencheront et se suivront sur plusieurs décennies. Cela, très indépendamment des pseudo-scrutins électoraux.

Librairie Grigoríou (homonymie) fermeture définitive. Athènes, juin 2017
Café à Athènes. Juin 2017
Imprimerie. Athènes, juin 2017

La dite “crise” c’est un changement de régime alors durable. Pratiquement toutes les administrations de l’État grec sont tutélisées par les contrôleurs troïkans, et d’ailleurs, les contribuables grecs remplissent et déposent déjà très officiellement leurs déclarations de revenus auprès cette Autorité (dite) Indépendante des Recettes Publiques (conçue directement et contrôlée par la Troïka et par Bruxelles), et non pas, auprès de l’administration fiscale de leur pays dont le caractère régalien et (supposons démocratiquement contrôlée) vient d’être tout simplement supprimé (loi 4389 – 94/Α/27-5-2016 “gouvernement” SYRIZA).

D’après cette loi, (…) “est instituée l’Autorité Administrative Indépendante sans forme juridique sous le nom l’Autorité Administrative Indépendante (A.A.D.E.) dont la mission consiste à l’évaluation et à la perception des impôts, des douanes et autres organismes publics, des recettes relatives à la portée de ses prérogatives. L’Autorité jouit de son entière indépendance opérationnelle, de son autonomie administrative et financière et elle n’est pas soumise au contrôle, ni à la surveillance des organismes gouvernementaux, des agents ministériels ou d’autres autorités administratives.”

“L’Autorité est soumise à un contrôle parlementaire, tel que défini par les Règles de la Chambre et l’article 4 de la présente loi. (…) Par cette institution de l’Autorité, le Secrétariat Général du ministère des Finances (imposition des revenus, taxes est supprimé” (loi 4389 – 94/Α/27-5-2016) . Notons ici que le prétendu contrôle parlementaire de l’Autorité n’est que fumisterie. D’après l’article 4 de cette même loi, “les membres et le président de l’Autorité peuvent être amenés à s’exprimer devant l’Assemblée pour des éclaircissements, voire de collaborer le cas échéant”. Syntaxe suffisamment vague, tout simplement, pour (presque) dire que l’Autorité n’est pas soumise au contrôle du “Parlement”.

Le chat de l’imprimerie. Athènes, juin 2017
Retour à la mer. Marina de Kalamaki (Athènes Sud, mai 2017
La “Villégiature” de Carlo Goldoni. Spectacle à Athènes, mai 2017

Notons surtout, que… l’Autorité n’a pas de forme juridique, ce qui devraient inciter les contribuables de la colonie à ne plus verser un seul sou d’impôt à cette Autorité, et plutôt mettre en place un autre organisme où leurs impôts et autres taxes seraient ainsi versés, organisme citoyen et provisoire (le temps du rétablissement de l’État grec) ; l’idée a été publiquement suggérée, mais comment alors la réaliser concrètement ?

Sauf que dans leur présumée “vraie vie”, les Grecs n’ont plus tout le courage nécessaire pour ainsi suivre à la trace ces tératogenèses engendrées par “leur Parlement”. La vie est un combat (c’est le maître-mot), le pays, tout comme sa société sont suffisamment décousus, autant que leurs secteurs d’activité. La librairie… Grigoríou (homonymie !) au centre-ville d’Athènes a fait faillite, tandis que les professionnels de la croisière en voilier remettent leurs bateaux en mer… en espérant une bien meilleure saison qu’en 2016. C’est aussi le moment tant attendu des premières baignades au Pirée, à défaut d’autres possibilités, sauf que bien souvent le cœur n’y est pas.

Kóstas imprimeur, que je n’avais pas vu depuis près de trois ans et qui ne suit plus vraiment le fil de l’actualité des medias, est accablé par la situation et il n’ira pas se baigner avant longtemps comme il le dit lui-même. “Nous tournons encore, sauf que l’imposition et les cotisations ont considérablement augmenté. Mes salariés embauchés depuis trois ans ne gagnent guère plus que 600€ par mois, je ne peux pas faire mieux… et de leur côté, ils ne sont pas très motivés non plus”.

Les pâtes artisanales de Pavlos. Béotie, juin 2017
Chez Pavlos. Béotie, juin 2017
Le fameux Lion de Chéronée, juin 2017

“Les maisons d’édition produisent… et produisent tant de livres, je sais par contre qu’une bonne partie de cette production reste et restera invendue. En plus, et là c’est grave, ils ne nous payent pas toujours et comme on sait, les banquent ne nous prêtent plus du tout. Ensuite… il y a toujours et surtout en ce moment les circuits parallèles de l’argent que l’on pourrait emprunter mais à de taux alors usuriers. Nous sommes sortis de l’économie réelle dans un sens, rien ne sera plus comme avant, sauf sans doute pour le chat de notre imprimerie.”

Changement de décor, Pavlos, fabricant de pâtes sèches artisanales en Béotie depuis les années 1990 rencontré chez lui, se dit satisfait de la commercialisation de sa production. “Je vends partout aux alentours, toutes les superettes du coin ainsi que certaines autres en Grèce Centrale et à Athènes me connaissent. Je viens de lancer un nouveau produit plus haut de gamme que je commercialise à Mykonos via un traiteur. Oui, c’est par le luxe… lié au tourisme que je vais pouvoir m’en sortir, voire m’enrichir… l’imposition alourdie des entreprises ne me fait pas peur. Ici dans les campagnes, nous nous connaissons tous et nous nous débrouillons”.

Pavlos se montre optimiste, bien plus d’ailleurs que son épouse Rena, optimisme alors seulement de façade ? Il rêve… d’acquérir une Jaguar d’occasion… comme de l’immatriculer en Bulgarie via une société de leasing. En tout cas, rencontrer Pavlos et discuter avec lui, c’est un peu “voyager” dans la Grèce des années 1990-2010.

La demeure de Psipsinos. Athènes Nord, juin 2017
Psipsinos, Athènes Nord, juin 2017

Non loin de chez Pavlos, s’y trouve toujours le fameux Lion de Chéronée, monument thébain, en souvenir de la bataille de Chéronée, en 338 avant notre chronologie Philippe II de Macédoine y remporta la victoire sur la coalition des cités grecques du Sud, dont Athènes et Thèbes. Les… Jaguar mécaniques n’existaient pas encore, le leasing non plus.

On se croit donc en été en dépit des orages, ceux de la météo, comme ceux du… “Parlement”. Dans les quartiers aisés d’Athènes Nord, les amis des bêtes… ont-ils investi pour offrir une demeure à Psipsinos, l’animal adespote (sans maître) du coin, tandis que dans les quartiers des chantiers près du Pirée où certains ouvriers travaillent encore, on y vend ces autres maisons pour chiens au prix de 15€.

Les gros navires y naviguent évidemment, autant que les gros mensonges du “gouvernement grec” on dirait, car il faut ainsi y croire et y faire croire. Nos touristes admirent nos monuments, comme nous pouvons aussi admirer nos tortues de mer, il faut dire invisibles depuis l’Acropole.

Un travailleur. Port de Pérama, près du Pirée, juin 2017
Maisons pour chiens à partir de 15 €. Pérama, juin 2017
Tortue de mer. En Golfe Saronique, juin 2017

Et quant à Mimi, le chat de Greek Crisis, il se montre très attaché en ce moment… aux “Mémoires du large” d’Éric Tabarly . C’était aussi en juin (1998), que le grand navigateur disparaissait en mer d’Irlande, projeté paraît-il dans l’eau, par le pic de la voile aurique de son bateau.

Mimi et… les “Mémoires du large” d’Éric Tabarly. Athènes, juin 2017
* Photo de couverture: Navire quittant la zone industrielle près du Pirée. Juin 2017

mais aussi pour un voyage éthique “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !” http://greece-terra-incognita.com/

rédaction

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