Frontière de l’Evros : roué de coups et déshabillé de force, un interprète afghan de Frontex accuse les garde-frontières grecs
Par la rédaction Infomigrants
Un interprète afghan de l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, a été agressé par les autorités grecques, qui l’avaient pris pour un migrant. Après son arrestation, il a été contraint de monter dans un canot sur la rivière Evros, direction la Turquie.
C’est un incident qui pourrait changer la donne. Un interprète afghan travaillant pour l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex a déclaré avoir été agressé par des garde-frontières grecs, qui l’avaient pris pour un demandeur d’asile, rapporte le New York Times.
Le 3 septembre dernier, alors qu’il se rendait en bus dans la ville grecque de Thessalonique, la police l’a forcé à descendre, avec un certain nombre de migrants. Roué de coups, déshabillé de force, l’interprète a ensuite été emmené dans un entrepôt isolé où étaient détenues « au moins 100 autres personnes, dont des femmes et des enfants ». Tous ont été forcés à monter dans des canots et poussés à traverser la rivière Evros, pour rejoindre la Turquie.
Membre d’une équipe d’experts déployée pour aider les garde-frontières à communiquer avec les demandeurs d’asile, il s’est retrouvé dans le pays sans téléphone, sans argent et sans papiers, que les policiers grecs lui avaient volés. L’homme a fini par atteindre Istanbul, où il a reçu une assistance consulaire des autorités italiennes.
Plusieurs fois durant son arrestation, il a essayé de dire aux policiers grecs qu’il travaillait pour l’Union européenne (UE). Mais « ses tentatives […] se sont soldées par des rires et des coups ».
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Pour le journal américain, ses dires « sont particulièrement problématiques pour les fonctionnaires grecs, car [la victime] est un résident légal de l’UE [il vit en Italie], et employé par une de ses agences ». D’autant plus qu’il dispose de preuves tangibles, sous la forme d’enregistrements audio et vidéo, qui étayent les abus qu’il a subis.
L’affaire a d’ailleurs fait réagir jusqu’aux hautes sphères de l’institution. La commissaire européenne chargée des migrations, Ylva Johansson, a déclaré avoir appelé l’interprète vendredi dernier et s’est dit « extrêmement préoccupée » par son récit. « Son affirmation selon laquelle il ne s’agissait pas d’un cas isolé est un problème grave », a-t-elle ajouté.
Après cette discussion, Ylva Johansson s’est entretenue lundi avec Takis Theodorikakos. Le ministre grec de la Protection des citoyens lui a promis d’enquêter sur les allégations de l’interprète. Mais son cabinet a dans le même temps indiqué dans un communiqué que, d’après les premières enquêtes effectuées, « les faits ne sont pas tels qu’ils sont présentés ».
« Déshabillages de masse »
Des accusations telles que celle-ci sont régulièrement rapportées par les migrants aux ONG et à la presse. En octobre, un ex-policier grec confirmait même à InfoMigrants avoir pratiqué des « pushbacks » illégaux, et renvoyé lui-même 2 000 personnes vers la Turquie. « Régulièrement, mes collègues m’appelaient pour me prévenir qu’ils allaient venir avec des migrants. Ils étaient généralement rassemblés par groupe de 10 environ. Mon rôle était simple : je les faisais monter sur mon bateau, souvent à la tombée de la nuit et je les ramenais vers les côtes turques », avait-il raconté.
Des agressions physiques et des humiliations sont aussi très régulières. En juin, les autorités turques avaient partagé une photo d’un petit groupe de migrants totalement nus. D’après eux, ils avaient été arrêtés en Grèce, battus, déshabillés, privés d’eau et de nourriture, et renvoyés de force de l’autre côté de la frontière. Le procédé est également documenté dans un rapport du Border Violence Monitoring Network. Selon le réseau d’organisations, en 2020, 44% des témoignages enregistrés décrivent des cas de déshabillage forcé. Des « déshabillages de masse, avec jusqu’à 120 personnes enfermées dans le même espace de détention » sont monnaie courante.
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Ces pratiques, pourtant connues depuis de nombreuses années, ont toujours été réfutées par le gouvernement grec. Ce mois-ci, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a une nouvelle fois rejeté les accusations d’abus contre les migrants par les autorités du pays. Il a qualifié sa politique migratoire de « dure, mais juste ».
Cette même politique – couplée à une forte militarisation de la frontière – occasionne, aussi, des morts. À Alexandropoulis, près de la frontière turque, un médecin-légiste se charge de leur redonner une identité. Entre janvier et octobre, il a autopsié 38 corps. Chaque semaine, le médecin reçoit des mails de familles désespérées, et prend le temps de répondre à chacun d’eux. Les corps non-identifiés et non réclamés sont envoyés dans un cimetière de migrants anonymes. Perdu dans les collines, il compte environ 200 tombes.