En Grèce, la colère monte contre le gouvernement du fric, des flics et des passe-droits par A. Sartzekis
Plus d’un an et demi après son retour au pouvoir, la droite ultralibérale de Kyriakos Mitsotakis, dont la seule compétence reconnue est d’être le fils d’un dirigeant historique de la droite, est l’objet d’un début de remise en cause. Sa période de « gouvernement des meilleurs », thème sur lequel les médias aux ordres le glorifiaient, semble achevée. La colère populaire enfle contre toute une série de mesures et de provocations de ce gouvernement de copains et de coquins.
Feu sur le service public d’éducation
Les protestations les plus massives ces dernières semaines concernent l’éducation, avec bien sûr les très fortes mobilisations de tout le monde universitaire, appuyées par le mouvement ouvrier, contre la loi de casse de l’université et de contrôle policier des étudiants (voir notre précédent article). Sans surprise, la loi a été votée la semaine passée, par 166 voix contre 132, les députés de droite se voyant renforcés par le groupuscule Elliniki Lysi (Solution grecque), successeur des nazis de Chryssi Avgi (Aube dorée). La vraie surprise a été la force des manifs, dont celles du mercredi et du jeudi, jour de vote. Cela comme un défi jeté aux diktats du ministre de l’intérieur. La mesure phare de la loi est la création d’un coûteux corps de flics dans les universités, et si on a le moindre doute sur leur caractère pacifique annoncé, il suffit de voir la violence avec laquelle les MAT (CRS grecs) ont frappé les manifestant-e-s pour n’avoir aucun doute sur les intentions du gouvernement. À Tsipras qui protestait contre la création de ce corps, Mitsotakis a osé répondre : « Ce n’est pas la police que nous introduisons à l’université, c’est la démocratie ». On imagine le commentaire d’un Coluche : « Ah, tu la verrais, la gueule de la démocratie ! »…
Dans la presse française on s’émeut un peu de cette mesure, sauf dans Ouest-France, qui a réussi à dénicher un obscur professeur disant tout le bien qu’il pense des flics dans les facs. Alors que l’immense majorité du monde universitaire est vent debout devant cette (ruineuse) création digne des dictatures (admirées par certains membres de ce pouvoir) et que même l’un des universitaires les plus connus de la droite pour avoir fait intervenir les flics contre les étudiantEs de la fac de droit d’Athènes se prononce clairement contre cette mesure !
Par contre, les articles de la presse française oublient le fond de la réforme : comme on l’a expliqué, c’est tout le système relativement ouvert de l’université grecque qui est cassé avec la loi votée, excluant des milliers d’étudiantEs du droit aux études et privilégiant les boites privées, dont les patrons sont des copains du pouvoir. C’est contre cette casse de l’université que les mobilisations ont eu lieu et continueront. Pour beaucoup d’entre eux, les ministres aux commandes, enfants de la bourgeoisie n’ayant jamais mis les pieds dans une école publique ni dans une université grecque, ont un objectif clairement assumé : ils veulent casser l’éducation nationale de la maternelle à l’université, pour la remettre à leurs amis patrons, et dans la foulée de la loi université, la ministre Kerameos prépare une loi sur l’autonomie et la décentralisation du système scolaire, évidemment coupée de toute préoccupation pédagogique. L’objectif serait tout bonnement que les établissements imposent leur auto-financement, avec appel aux sponsors locaux, en faisant dépendre ces établissements du point de vue administratif et programmatique des institutions locales, en gros les offrant aux besoins du patronat local, avec recrutement local du personnel… Blanquer battu sur son propre terrain par des idéologues forcenés de la marchandisation de l’école et de l’asservissement de ses personnels. De riches mobilisations en perspective…
L’incompétence au pouvoir
Mais l’éducation n’est pas le seul secteur où la colère s’exprime. Face à la pandémie, ce gouvernement fait preuve d’une rare incompétence. Si au printemps, la Grèce avait été relativement épargnée depuis la fin de l’été (non pas grâce à une bonne gestion comme l’ont chanté les valets des médias aux ordres, mais grâce à un effet moindre du virus dans tous les Balkans), l’épidémie frappe maintenant très fort. Au lieu de répondre aux exigences de recrutement du personnel soignant — il manque des milliers de médecins dans les hôpitaux et les centres de santé — la droite a décidé de baisser le budget de la santé. Cela alors que celui de l’armée est en nette hausse et qu’il dépense 2,5 milliards pour l’achat de 18 Rafale… De plus, les mesures prises exaspèrent de plus en plus de monde : à peine rouverts, les magasins doivent refermer brutalement. Les écoles étaient restées ouvertes, puis les collèges ont rouvert une semaine — mais pas les lycées — et depuis quelques jours, tous les établissements ont été fermés, sans qu’il soit donné satisfaction à l’exigence de 15 maxi par classe (dans les villes, les effectifs peuvent atteindre une trentaine avec des salles souvent mal conçues). En prime, la mal nommée « Nouvelle Démocratie » de Mitsotakis s’offre des passe-droits de plus en plus choquants : alors que la vaccination piétine, on a vu des cadres de la droite arriver dans leurs grosses berlines pour se faire vacciner sans aucun droit, et le Premier ministre lui-même multiplie ce qu’il ne perçoit même pas comme des provocations : alors qu’un guide de randonnée ayant organisé une excursion avec des participants espacés chacun de plusieurs centaines de mètres reçoit une amende de 5 000 euros, Mitsotakis se fait prendre en photo en montagne avec d’autres cyclistes ne portant pas de masques et mange avec des dizaines de compères dans la maison d’un député de l’ile d’Icaria. Bilan d’Icaria : des huées populaires, que les télés amies ont essayé de cacher, pendant que le ministre Voridis (ancien secrétaire des jeunesses de la junte des colonels…) expliquait que les Icariens voulaient exprimer leur amour pour le Premier ministre et c’est pour cela qu’ils l’avaient invité à venir manger… Cela donne une idée du niveau politique sous cette « nouvelle démocratie ».
La répression et l’appui de l’extrême droite comme seules bouées
Dépourvus de toute stratégie politique alors que la crise s’approfondit dans le pays, ce pouvoir croit pouvoir faire dépendre sa crédibilité avant tout de la propagande assénée par la grande majorité des médias propriétés de ses riches copains, mais même si l’opération bourrage de crâne est massive, des failles se forment dans la grande presse bourgeoise : renvoi d’une rédactrice en chef pour un avis critique, démission d’une autre, les deux très connues. Avec un Premier ministre qui a placé la télé-radio publique ERT sous son contrôle direct, ce pouvoir semble n’avoir qu’une crainte : voir une opposition populaire se développer, et contester son pouvoir. Alors, sa réponse principale, c’est la répression, ce qui vaut d’ailleurs à ce gouvernement de voir le pays désormais classé parmi les « démocraties défectueuses » dans le classement du magazine The Economist. Et bien sûr, cela s’accompagne d’une politique raciste envers les réfugiéEs et de clins d’œil appuyés à l’extrême droite : d’un côté, on refuse au prisonnier politique Dimitris Koufodinas de retrouver la prison dont on l’a extrait pour le confiner sans raison dans une autre ; de l’autre côté, les criminels nazis Pappas et Lagos sont en liberté et un Papavassiliou, condamné à six ans de prison, a vu sa demande de libération satisfaite après quatre mois d’emprisonnement…
Autre preuve d’un autoritarisme qui rappelle aux ancienEs la junte fasciste des colonels (1967-1974) : dans le projet de loi sur l’université était caché un article tentant de criminaliser les paroles de chansons qui pouvaient être assimilées à un éloge du terrorisme… Rage et éclats de rire du côté des artistes, la moindre chanson pouvant comporter des paroles relevant d’un tel soupçon ! Et du coup est née une mobilisation de centaines de chanteurs et chanteuses connus ou pas : résultat, le gouvernement a été obligé de retirer cet article, ce qui constitue une victoire importante et prouve qu’on peut gagner contre ce pouvoir. Ainsi, rien que le fait d’avoir tenu des manifs interdites avec des milliers de manifestantEs contre la loi université est en soi une grande victoire, qui donne le punch pour la suite.
La suite ? À droite, des fissures commencent à apparaître, d’un côté avec les courants les plus nationalistes (l’ancien Premier ministre Antonis Samaras), de l’autre avec la vieille droite caramanliste qui s’inquiète de l’orbanisation du pouvoir et de ses conséquences, ne serait-ce que la radicalisation du mouvement de masse face à ce pouvoir anti-démocratique. Malheureusement, même si le journal de NAR, la principale organisation de la gauche anticapitaliste, titre que les jours de la domination de ce gouvernement sont comptés, les perspectives à gauche sont pour l’instant bouchées, ce qui d’ailleurs renforce le rôle du mouvement de masse et devrait pousser la gauche radicale et révolutionnaire à sortir de ses réflexes d’auto-affirmation peu utiles pour offrir des perspectives crédibles à gauche, à gauche vraiment !
Athènes, le 16 février 2021