Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté. Le 9 novembre, sous la pression de l’opinion publique, les ministres des 27 États-membres n’ont pas pu avaliser le projet entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Une première victoire qui peut en amener d’autres, selon Maxime Combes, chroniqueur de Basta !.
Le lundi 9 novembre aurait dû marquer l’ouverture du processus de ratification de l’accord de libéralisation entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Cela n’a pas été le cas. La mobilisation citoyenne et le rejet toujours plus massif de ces accords visant à approfondir la mondialisation néolibérale et productiviste ont empêché dans l’immédiat la Commission européenne et les lobbys économiques européens de parvenir à leurs fins. C’est une victoire, certes partielle et non définitive, comme il y en a peu.
Opacité des négociations
Rembobinons le film. Cela fait 20 ans que les négociations pour un accord d’association entre l’UE et le Mercosur sont sur les rails. En 1999, date où la Commission européenne obtient des États-membres de l’UE mandat de négocier, près de 70 % du commerce mondial était l’apanage des États-Unis, de l’UE, du Japon et du Canada. La Chine, le Brésil ou l’Inde n’étaient pas encore des puissances mondiales. La crise climatique, l’effondrement de la biodiversité ou l’aggravation des inégalités mondiales passaient sous le radar médiatique d’une période où les élites nous promettaient une « mondialisation heureuse » (selon le titre du livre d’Alain Minc publié en 1997).
Interrompues à de multiples reprises, ces négociations ont été marquées d’une grande opacité. Il a fallu attendre que ce soit la société civile qui rende public en 2019 le mandat de négociation avec lequel la Commission négocie. Il ignore allègrement le défi climatique et fleure bon les réflexes néolibéraux pavloviens des années 1990. Quant à l’étude d’impact commandée par la Commission, de médiocre qualité, elle n’a été rendue publique qu’une fois les négociations finalisées alors qu’elle est supposée éclairer le débat public et les négociateurs.
« Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté »
C’est en juin 2019 que la Commission a annoncé que l’essentiel du contenu de l’accord était finalisé. La quasi-totalité des gouvernements européens ont alors salué un « bon accord commercial, bon pour nos entreprises et nos emplois », selon les mots d’Emmanuel Macron [1]. L’histoire semblait alors écrite : écologistes et altermondialistes allaient critiquer l’accord, mais la Commission et les États-membres tiendraient bon et l’accord serait ratifié rapidement, créant un vaste marché entre deux blocs régionaux qui représentent un quart du PIB mondial et près de 775 millions d’habitants.
Mais rien ne s’est passé comme prévu. Jamais un accord de libéralisation du commerce n’a été aussi contesté : selon un sondage publié le 10 septembre 2020, et réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne), près de 80 % des personnes interrogées souhaitent que cet accord soit abandonné [2]. Depuis juin 2019, on ne compte plus les chefs d’État européens et membres de gouvernements, Emmanuel Macron en tête, obligés de prendre leurs distances.
Une majorité de citoyens aspire à des formes de relocalisation des activités économiques et d’autonomie alimentaire
Vendre des voitures pour importer plus de viande ne fait plus recette . Déstabilisation des marchés agricoles, destruction d’emplois dans les secteurs industriels, aggravation des dérèglements climatiques et pollution aux pesticides, droits humains sacrifiés, multinationales s’arrogeant de nouveaux marchés au détriment des entreprises locales, les critiques documentées ne manquent pas [3]. Elles ont rendu cet accord toxique et anachronique.
La multiplication des violations des droits humains et des feux de forêts depuis l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil et la pandémie de Covid-19 ont aussi contribué à amplifier cette lame de fond. L’opinion publique semble avoir massivement basculé sur tous ces sujets : il y a désormais 8 à 9 sondés sur 10 qui aspirent à des formes de relocalisation des activités économiques et d’autonomie alimentaire pour ne plus dépendre des marchés mondiaux.
La Commission européenne avait pourtant bon espoir de passer outre. Le 6 juillet dernier, elle indiquait avoir « terminé le nettoyage juridique » du texte et entamé sa traduction afin que la phase de ratification puisse débuter à l’automne. L’Allemagne avait d’ailleurs fait de la ratification de cet accord une priorité de la présidence de l’UE qu’elle exerce pour six mois depuis le 1er juillet.
Mais lors du Conseil de l’UE des ministres des Affaires étrangères consacré aux affaires commerciales de ce lundi 9 novembre, les ministres des 27 États-membres ne vont pas pouvoir avaliser ce projet d’accord et le transmettre pour ratification au Parlement européen. Celui-ci vient d’ailleurs de voter contre « sa ratification en l’état », un vote indicatif qui s’ajoute à ceux de plusieurs Parlements nationaux (Autriche, Pays-Bas, Irlande, Wallonie).
Engager les collectivités territoriales dans la bataille
Ne nous y trompons pas : que les États-membres de l’UE ne puissent avaliser 20 ans de négociations menées par la Commission est une victoire. Les arguments du mouvement altermondialiste et pour la justice climatique ont marqué les esprits : l’heure n’est plus celle d’une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et aux droits des populations.
Certes, la Commission européenne et les ministres du Commerce des États-membres de l’UE, qui ne veulent pas « jeter à la poubelle 10 ans de travail », s’activent pour sauver ce projet d’accord : vont-ils chercher à le compléter d’un protocole additionnel ou d’une déclaration interprétative, comme ce fut le cas pour le CETA sans que cela ne change la nature de l’accord ? Sans doute. Mais de telles difficultés illustrent les contradictions dans lesquelles ils sont en train de se débattre.
Il est donc de notre responsabilité collective de ne rien lâcher et d’appuyer les initiatives en cours pour interpeller Emmanuel Macron et le gouvernement [4] et pour engager les collectivités territoriales dans la bataille en leur proposant de voter une résolution disant : « Non à l’accord UE-Mercosur – Oui à la Relocalisation écologique et solidaire » [5]. Pour que cette première victoire en amène d’autres.
Maxime Combes, économiste, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec, et porte-parole d’Attac
Cette chronique a initialement été publiée dans Politis, la semaine du 2 novembre 2020, et actualisée par la rédaction de Basta !, en accord avec son auteur.
Photo : CC Rock Cohen