2 articles celui de Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux pour la mandature 2018-2020 et de Cécile de Kervasdoué journaliste
15/10/19 POINT DE VUE. Je reviens de Moria…
Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, revient du camp de migrants de Moria (Grèce). « L’avenir des droits de l’homme se joue à Moria, à quelques kilomètres des côtes turques qui baignent dans la lumière dorée du soleil d’automne. Et nous ne pourrons pas dire qu’on ne savait pas ! » alerte-t-elle.
Je reviens de Moria. Moria, sur l’île grecque de Lesbos. À 15 km des côtes turques. Une terre de l’Union européenne. Une île où notre droit commun européen s’applique. Celui de l’Union et celui de la Convention européenne des droits de l’homme.
Moria, 14 000 personnes livrées à elles-mêmes dans un camp prévu pour 3 000. 1 000 enfants sans aucun parent. On les appelle les « mineurs isolés ». Des montagnes de poubelles et une foule de gens agglutinés, certains à l’extérieur, devant des grillages, d’autres à l’intérieur de l’enceinte.
Ils attendent d’hypothétiques entretiens qui marqueront le début de leur procédure d’asile. Des entretiens qu’ils attendront pendant des semaines, des mois, parfois même jusqu’à deux ans. 14 000 personnes nourries aléatoirement par l’armée. Avec des files d’attente en moyenne de 3 à 4 heures chaque jour. 14 000 personnes. Douze policiers, trois médecins. Quelques volontaires débordés. Et des avocats bénévoles qui tentent, dans ce chaos, de réinsérer le droit. Le droit… Qui a disparu. Le droit qui a abandonné ces femmes, hommes et enfants.
Lesbos, chez moi, chez vous, chez nous…
Dans une section du camp, une centaine de mineurs isolés. Ils ont entre 8 et 17 ans. Ils ont été rassemblés dans une section « B ». On nous dit que cette section n’est pas surveillée la nuit, faute de budget pour ouvrir un poste de garde. Agressions, violences, viols, parfois même suicides… La nuit, les enfants ont peur. Alors, ils ne dorment pas la nuit pour rester en alerte. Ils dorment le jour.
Il fait chaud à Moria. Pas autant que le mois dernier où la température atteignait 40 degrés. On attend désormais la pluie qui va transformer la zone en marécage boueux. Et le froid. Où sont les droits de l’homme lorsqu’on ne traite plus nos semblables comme des êtres humains ?
À Moria, j’ai constaté la faillite de l’Europe. La faillite de notre système juridique. L’abandon par les autres États membres de l’État grec, débordé face à une situation hors de contrôle. Oui, à Moria – comme ailleurs – les droits de l’homme sont devenus subsidiaires.
En Grèce comme ailleurs, des ministres nous expliquent que leur priorité est la sécurité de leurs concitoyens. Quand j’entends le slogan de certains de nos hommes politiques européens : « La sécurité est la première des libertés », je pense à ces enfants de Moria, sacrifiés sur l’autel de peurs irrationnelles. Privés de leurs droits fondamentaux. Ils ont quitté l’enfer et arrivent dans le néant. Le néant juridique, la fin de l’humanisme, la mort de la fraternité.
L’avenir des droits de l’homme se joue à Moria, à quelques kilomètres des côtes turques qui baignent dans la lumière dorée du soleil d’automne. Et nous ne pourrons pas dire qu’on ne savait pas !
Le Conseil national des barreaux soutient European Lawyers in Lesbos qui mobilise des avocats bénévoles pour accompagner les réfugiés. Nous allons intensifier notre effort, face à une urgence qui est tout à la fois humanitaire, sanitaire et juridique. Mais nous allons aussi interpeller nos dirigeants français et européens.
Le président de la République a souhaité un grand débat national sur l’immigration. Je proposais qu’il commence à Moria. Pour que nous osions regarder au-delà de nos quartiers, de nos peurs et de nos égoïsmes.
Ce qui se passe à Lesbos se passe chez moi, chez vous, chez nous. C’est à Lesbos que l’Europe peut mourir. Mais renaître aussi, si collectivement nous le voulons. »
Source https://redon.maville.com/actu/actudet_-point-de-vue.-je-reviens-de-moria…_54135-3872719_actu.Htm
14/10/19 Insalubrité, manque de nourriture, violences : le calvaire des enfants du camp de réfugiés de Lesbos par Cécile de Kervasdoué
Après un afflux de réfugiés cet été sur les îles grecques, 14 000 personnes se trouvent à Lesbos (Grèce) dans le camp de Moria, prévu pour 3 100 maximum. Tout autour, un bidonville de tentes, détritus et boue ne cesse de grossir. Une jungle où vivent près de 6 000 enfants dont plus de 1 000 mineurs non accompagnés.
Dans la jungle du camps de Moria des enfants s’entassent avec des adultes dans des tentes minuscules sur un terrain en pente parsemé d’oliviers. © AFP / Angelos Tzortzinis
Des enfants partout, qui crient, pleurent et jouent au bord de la route, dans les poubelles, la boue, avec l’odeur des eaux usées qui débordent. La plupart ont moins de 12 ans. Nombreux sont les nourrissons qui survivent et naissent aussi, parfois, dans ce dédale de tentes, installées à la va-vite dans les champs d’oliviers en pente qui bordent l’ancien terrain militaire de Moria, sur l’île grecque de Lesbos.
Contrairement à 2015, où l’afflux de réfugiés se comptait par milliers chaque jour, les arrivées se comptent actuellement en centaines par jour. 10 000 depuis le début de l’été, soit trois fois plus que l’année dernière. À Moria, ce sont, pour l’essentiel, des femmes et des enfants, de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Ils restent plusieurs mois, parfois plus d’une année à survivre dans ces conditions indignes.
Aujourd’hui, officiellement, près de 6 000 enfants sont bloqués dans ce camp. Parmi eux, on compte plus d’un millier de mineurs non accompagnés. La plupart de ces enfants en provenance d’Afghanistan ont moins de 15 ans. Ils ont souvent été séparés de leurs parents à la frontière avec l’Iran et vivent sans aucune protection, dormant dans des tentes collectives avec des adultes qu’ils ne connaissent pas. À même le sol, aussi parfois. Ils sont la proie de tous les trafics, de toutes les maltraitances.
Le froid, la pluie, et les files d’attente interminables
Alice*, jeune afghane de 12 ans est arrivée il y a deux mois :
« La vie à Moria, c’est faire la queue toute la journée avec nos mères. La queue pour les toilettes pendant au moins 2 heures. Dès 5 heures du matin pour un peu de nourriture, la queue pour des couvertures avant l’arrivée de l’hiver, la queue pour l’administration, pour avoir une tente et surtout pour voir un docteur. Parfois ça dure toute la journée et on doit revenir le lendemain… »
La vie dans cette jungle a de quoi traumatiser un enfant. Des tentes de deux places où s’entasse une famille de six personnes avec parfois avec d’autres adultes encore. Le froid, la nuit, pour ceux qui dorment à même le sol sans couverture. La pluie, qui trempe tout et qui fait sortir des serpents s’infiltrant dans les tentes. Le manque de nourriture. Les sanitaires bouchés et sales où les toilettes sont aussi des douches ; il y en a un seul pour 100 personnes. Et surtout, le manque de sécurité.
« Il y a des bagarres entre les communautés syriennes et afghanes. Les hommes boivent et deviennent violents. L’autre jour, ils ont voulu rentrer dans notre tente mais heureusement mon père les a sortis. Je n’ose même imaginer comment ça se passe pour tous les enfants ici qui n’ont pas leurs parents avec eux et qui traînent », raconte Parwana, une jeune afghane de 15 ans.
Trop de monde, pas assez d’investissements publics. Les associations humanitaires prennent donc le relais pour accueillir les réfugiés. Ainsi, pour éviter l’expulsion de la jungle, une ONG hollandaise Movement on the Ground a loué les champs d’oliviers autour du camp de Moria et tente d’organiser des logements sous des tentes plus solides et plus grandes. L’ONG Oxfam conseille les réfugiés dans leur langue d’origine (63% du camp est occupé par les Afghans, 22% par des Syriens) sur le droit d’asile européen.
Désordres psychiques
Le besoin de médecin est le besoin le plus cruel, à Moria. Médecin sans Frontières a donc installé un dispensaire pédiatrique spécialisé dans la santé mentale des enfants. Car il y a les maladies dues aux mauvaises conditions d’hygiène et de logement mais surtout il y a les traumatismes causés ou ravivés par ce camp. De plus en plus d’enfants arrivent au dispensaire de MSF en pleine régression et avec des désordres psychiques liés à leur condition de vie. Plus longtemps ils restent à Moria, plus sévères sont leurs dysfonctionnements.
Dans la file d’attente du dispensaire, un réfugié afghan témoigne :
Je ne sais plus quoi faire. Ma fille fait des crises d’hystérie. Ses jambes ne fonctionnent plus, elle ne peut plus marcher !
À 8 ans, certains enfants du camp de Moria remettent des couches, ne parlent plus, ne jouent plus et évitent de regarder les autres. Il y a ceux qui refusent d’ouvrir les yeux le matin et restent dans un coin de la tente toute la journée. À Moria, il n’y a pas d’endroit pour jouer, pas d’école. Beaucoup de parents culpabilisent et se désespèrent. Pour les médecins et psychologues de MSF, il y a l’impression permanente de ne jamais pouvoir faire assez.
Angela Metaldi est pédopsychologue pour MSF :
« Chaque jour, des parents désespérés nous amènent des enfants de moins de 10 ans qui s’arrachent les cheveux, se frappent, se jettent la tête contre les murs, se scarifient. Ce sont des enfants qui ne veulent plus vivre, qui n’ont plus d’espoir. Il faut les sortir d’ici. Tout de suite. »
Les plus mal lotis sont encore les mineurs non accompagnés. Pour eux, une ONG grecque, Metadrasi, tente de les protéger mais avec trop peu de moyens. Cinq tuteurs et éducateurs spécialisés protègent 40 enfants chacun. Soient 200 enfants pris en charge sur les 1 060 que compte officiellement le camp.
« C’est absurde, nous sommes obligés de choisir les enfants que nous allons protéger. Souvent ce sont les plus vulnérables, les filles ou les enfants déjà victimes de trafic sexuel, les moins de 15 ans et aussi ceux qui ont de la famille en Europe, afin d’obtenir la réunification familiale. Mais on est loin du compte. Beaucoup d’enfants sont abandonnés dans ce camp de l’enfer », explique Sevi Saridaki, tutrice et éducatrice spécialisée au sein de l’ONG Metadrasi.
De nombreux enfants non accompagnés attendent de rejoindre leur famille ailleurs en Europe mais la plupart des États membres font barrage via des procédures de plus en plus complexes. C’est le cas de la France, où les documents ne suffisent plus pour attester d’un lien de famille : il faut également des tests ADN, sur décision d’un tribunal. Résultat, de nombreux enfants sont coincés des mois dans des camps où ils sont en danger en permanence.
Mahathi 15 ans, jeune afghan non accompagné, depuis 9 mois à Moria, ne cache pas son amertume :
« C’est horrible ici, je suis toujours sale, j’ai toujours faim et surtout j’ai peur. Les adultes boivent et deviennent violents. La nuit il y a des bagarres, de la drogue alors beaucoup de jeunes garçons essayent de se cacher dans les coins. On m’avait dit l’Europe c’est la justice et l’humanité mais je ne vois pas ça à Moria. »