5 juillet 2015 – 5 juillet 2016
ΟΧΙ ΓΙΑ ΠΑΝΤΑ / NON POUR TOUJOURS
(vidéos, photos, souvenirs…)
Un an.
Un an déjà que nous avons dit « non » massivement, par-delà nos différences, lors d’un référendum qui n’était pas une élection ni un plébiscite, mais une occasion d’exprimer ce que nous avions sur le cœur : un immense ras-le-bol et un profond désir de rupture.
Dans la chaleur du début de l’été 2015, nous luttions chacun à notre façon, avec des utopies différentes en ligne de mire, mais avec un même mot à la bouche, un mot en trois lettres, un mot qui résumait tout : OXI.
NON. Quelles que soient nos idées sur le monde à venir, nous voulions marquer tout ensemble d’une pierre noire notre refus de celui-là. A défaut d’être d’accord sur le capitalisme, l’état ou la démocratie, nous chantions à l’unisson notre refus du libéralisme, de l’austérité et de la « debtocratie » dévastatrice.
Mes compagnons libertaires venaient de saboter plusieurs manifestations pro-commission européenne, notamment lors d’une infiltration retentissante du groupe anarchiste rubicon le 22 juin au Syntagma. Mes camarades d’AK (mouvement anti-autoritaire pour la démocratie directe) avaient fait de même, quelques jours plus tard, en ridiculisant la manif pour le « oui » au référendum en dépliant discrètement une immense banderole « Restons des esclaves ! » au milieu de la foule. Celle-ci l’avait ensuite portée durant de longues minutes sous les caméras du monde entier.
Parallèllement, l’ami Eric Toussaint venait d’éclairer les dessous des cartes, le 17 et le 18 juin, grâce au véritable réquisitoire de sa commission pour la vérité sur la dette grecque, à l’initiative de Zoé Konstantopoulou (une avocate anti-corruption devenue présidente du parlement), malgré l’hostilité de nombreux ministres vendus et aux aguets (comme on allait pouvoir le vérifier dans les semaines à venir, au summum de la trahison).
Une fenêtre venait de s’ouvrir. Tout le monde croisait les doigts. A Exarcheia, des rebelles évoquaient une possible brèche, un premier domino, un début de décolonisation de l’imaginaire social. D’autres étaient très méfiants, mais regardaient d’un œil attentif ce qui se passait. Le monde entier avait les yeux tournés vers la Grèce.
Le téléphone sonnait sans arrêt, les textos s’échangeaient au fil des heures, en marchant, durant les assemblées, ici et là. La montagne de mails était devenue impénétrable, complètement à l’abandon. Angélique Ionatos croisait les doigts avec son sourire tendre et lumineux.
Manu Chao venait de nous envoyer une chanson de soutien, parmi d’innombrables réponses venues de partout, sans oublier des surprises venues de Palestine, de Tunisie, de France, d’Argentine, de Turquie, du Maroc, d’Espagne ou du Mexique. Les soutiens étaient émouvants, le temps suspendu, les nuits chaudes interminables. Le volcan athénien s’était encore réveillé, même si ce n’était pas de la même façon qu’en décembre 2008, juin 2011, octobre 2012 ou décembre 2014.
Pour moi, il n’était pas question de faire la fine bouche, de pinailler sur nos désaccords, de faire dissensus à un tel moment, mais au contraire de pousser dans la même direction, d’informer et de mobiliser nos lecteurs à l’autre bout de l’Europe, de faire de ce moment une fête. La fête du OXI.
Presque tous les soirs, les rues d’Athènes chantaient le refus de la soumission :
https://www.youtube.com/watch?v=WYohztRavxk
A l’instar d’autres heures historiques en Grèce :
https://www.youtube.com/watch?v=L12DXp1ZXS8
Partout, dans les rues, sur les places, dans le métro, la foule hurlait son dégoût à l’égard des journalistes vendus des mass-médias qui vous désinformaient :
https://www.youtube.com/watch?v=o5J6i-FYfCo
Puis, enfin, la victoire est tombée : 61,3% pour le « non », malgré l’immense propagande en Grèce et en Europe, malgré les mensonges, la peur, la manipulation…
https://www.youtube.com/watch?v=tfwGiP2pojE
Pour ma part, en questionnant Zoé Konstantopoulou à l’issu du résultat, j’ai rapidement perçu que les choses seraient difficiles et que les dés étaient probablement jetés au sein du gouvernement. Un coup terrible allait venir.
Ce coup, nous le pressentions depuis longtemps et nous avions même lancé une alerte avec Stathis Kouvélakis dès le 22 juin, notamment en tournant ensemble une petite vidéo à Paris qui s’intitulait : « c’est le moment d’agir », dans laquelle Stathis évoquait le risque imminent d’une capitulation. Eric Toussaint, dès le 16 juin ne me disait pas autre chose à Athènes : « je suis pessimiste, très pessimiste… ».
Au soir de cette fausse victoire du 5 juillet, en accompagnant Zoé à travers la foule, je l’entendais répondre au gens confiants et radieux : « attendez, ne vous emballez pas trop, ce n’est pas fini, nous n’avons encore gagné. » Mais quelques minutes auparavant, en levant son poing gauche à la sortie du parlement, devant la place noire de monde, elle avait elle-même risqué le geste de la victoire. Une fausse victoire. Un mythe de plus.
Zoé allait être chassée du parlement quelques semaines plus tard, comme tous les opposants à la capitulation. Et Manolis Glézos allait dénoncer ouvertement un « gouvernement de collaboration » en tous points « parjure à son mandat ».
Mais quel mandat ? Peut-on véritablement parler de mandat quand il n’a absolument rien d’impératif, quand les élus ne sont pas révocables, quand les participants aux assemblées ne sont que des professionnels de la politique grassement payés et soigneusement cooptés ? Peut-on parler de mandat quand, à l’instar de celui du 5 juillet 2015, les référendums ne sont que consultatifs ?
Où est la démocratie dont se gargarisent les élus dans leurs fauteuils en se prévalant d’une légitimité illusoire ? Où est la justice, quand les tribunaux punissent invariablement les insurgés qui défendent la vie, les conquêtes sociales et le bien commun face au saccage légal des spéculateurs ? Où est la liberté, l’égalité et la fraternité, quand ces trois mots sont réduits à des décorations pour monuments publics, comme autant de diversions pour occulter ce qui se passe à l’intérieur.
Il n’a de liberté que véritable, d’égalité que réelle, de fraternité qu’universelle. Nous n’avons que faire de droits abstraits, nous voulons des faits. Des faits concrets, comme la misère est concrète, le mépris est concret, la violence est concrète.
Le 15 juillet 2015, dix jours après le référendum, le parlement validait l’odieuse décision de Tsipras et de ses conseillers, ouvrant la voie au troisième mémorandum qui allait suivre, le pire que la Grèce ait jamais connu.
Dès lors, la rue redevenait le théâtre d’affrontements violents, après six mois d’interruption devant un spectacle politique sans issue. Mes compagnons anarchistes et camarades anticapitalistes poursuivaient leur lutte, exactement comme par le passé, face aux armes de la police qui répandait à nouveau des tonnes de gaz lacrymogènes dans les rues d’Athènes…
https://www.youtube.com/watch?v=mlvAUXSfbfg
Et, bien sûr, comme à leur habitude, les mass-médias feignaient d’être étonnés de cette légitime défense qualifiée de « violence provoquée par des groupuscules incontrôlés » :
https://www.youtube.com/watch?v=NCzrxybc6eA
Oui, incontrôlés. Bien sûr que nous sommes incontrôlés. Et nous le resterons tant que ce monde autoritaire continuera à détruire nos vies.
Car les vrais casseurs portent des cravates, c’est à cela qu’on les reconnait. Excepté Tsipras pour qui cette absence d’attribut conventionnel se révéla un excellent moyen de faire croire qu’il ne portait pas de laisse. Mais pas besoin de cravate pour porter une laisse, en politique comme partout ailleurs. Il suffit de raisonner à l’intérieur du cadre, en s’imposant des limites, celles qu’on nous a apprises.
Vivre debout, libre et insoumis, c’est d’abord sortir du cadre et avancer au-delà. Ne pas être dans la posture, mais dans l’action. Ne pas décorer sa vie, mais sortir dans le monde. Ne pas seulement s’indigner, mais se révolter. Lutter chacun à sa façon, sans confondre voisins et ennemis. Apprendre de nos différences. Et ne pas oublier que nous sommes parfois notre propre ennemi.
Rejoindre chacun la lutte qui nous convient et ne jamais se contenter d’espérer, d’attendre et de laisser faire les autres.
Car rien n’est fini. Sous les cendres, la braise brûle encore.
https://www.youtube.com/watch?v=brqtYrjqX74
Yannis Youlountas