Réponse du Dispensaire Métropolitain d’Elliniko a l’interdiction de se présenter a la cérémonie de remise des prix
Chère Madame Sylvie Guillaume,
Nous vous remercions de votre message dans lequel vous nous informez que, suite à notre refus de recevoir le Prix du citoyen européen, vous ne nous permettrez pas d’être présents à la séance de remise des Prix à Bruxelles, nous expliquant par ailleurs que “la cérémonie d’attribution des Prix est une circonstance exceptionnelle qui a pour objet d’honorer ceux à qui ils sont attribués (47 remises de prix cette année) et que cette cérémonie ne peut être utilisée à d’autres fins”.
Ces autres fins auxquelles vous faites allusion sont en rapport direct avec les raisons pour lesquelles nous avons refusé le Prix du citoyen européen. Et nous sommes en droit de supposer que vous ne voulez pas que ces raisons soient communiquées aux participants de la cérémonie.
Étant donné que vous êtes vous-même militante des droits des femmes, et que le contexte politique qui est le vôtre vous a sûrement mis en contact direct avec les luttes que mènent les groupes sociaux les plus défavorisés pour pouvoir survivre dans la société qui est la nôtre, c’est une ironie du sort que vous nous refusiez la possibilité d’exprimer notre opposition aux politiques néolibérales mises en œuvre dans notre pays depuis 2010.
Parce qu’il est bien évident que ce sont ces politiques néolibérales qui ont créé les conditions qui ont conduit 3 millions de grecs à ne plus avoir accès aux services de santé. Que ce sont ces mêmes politiques qui sont responsables de l’état de détresse absolue auquel une grande partie des grecs fait face, conduisant un nombre d’entre eux à la mort, et obligeant des femmes venant juste d’accoucher à laisser leurs bébés dans les maternités publiques à titre de garantie, étant donné qu’elles n’ont pas de quoi payer leur accouchement ( voir l’article du BBC). Et ce sont ces politiques si dures qui ont été à l’origine de la création de notre dispensaire, et aussi de 40 autres dispensaires sociaux dispersés de par la Grèce, ces 4 dernières années.
Les faits que vous ne voulez pas nous voir exposer à Bruxelles, les 14 et 15 Octobre, sont compris dans le communiqué de presse ci-dessous, lequel a pour titre “ Le dispensaire social métropolitain d’Elliniko refuse de recevoir le Prix décerné par le Parlement Européen”
Dans ce communiqué nous expliquons pourquoi nous avons refusé le prix. Nous vous faisons part de son contenu :
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Le Parlement Européen a décidé de nous décerner le prix du Citoyen Européen 2015 en signe de reconnaissance pour le combat que nous menons ces 4 dernières années. Un combat pour le citoyen abandonné par l’État, le citoyen au chômage, le citoyen malade, sans couverture sociale. Un combat pour une société meilleure. Mais ce combat est mené par vous et moi, par nous tous, parce que les politiques qui ont déjà été mises en œuvre dans notre pays, comme d’ailleurs les politiques actuelles, résultent de la pression et des chantages exercés par le FMI (Fond Monétaire International), la BCE (Banque Centrale Européenne), l’U.E. (Union Européenne), des pressions qui ont mené plus de 3 millions de personnes – des personnes sans revenus, de malheureux citoyens – à ne plus être pris en charge pour les soins de santé et l es médicaments.
L’Europe pour nous, comme pour la majorité des grecs, pourrait être notre maison. Il s’agirait d’une Europe des peuples, d’une Europe basée sur la compréhension réciproque et la solidarité. C’est cette Europe que nous désirons, cette Europe que nous recherchons désespérément. Mais c’est avec tristesse que nous voyons une Europe perdue dans un bourbier administratif, des intérêts économiques et bancaires. C’est avec tristesse que nous réalisons que sa priorité est de trouver des milliards d’euros pour les banques privées, alors même qu’elle met la pression pour que diminue de 50% par rapport à 2009, le budget pour le système de santé national grec.
D’après les données de l’Institut Provlepsis, l’appauvrissement de masse de la plus grande partie du peuple grec a conduit aux chiffres suivants:
- 6 élèves sur 10 dans 64 écoles d’Athènes font face à l’insécurité alimentaire
- 61% des élèves dans ces mêmes écoles ont un parent au chômage, tandis que 17% des familles aucun des deux parents n’a un emploi.
- 11% des enfants ne sont plus assurés,
- 7% a vécu sans électricité pour plus d’une semaine en 2014, alors que 3% continue de vivre sans électricité.
- 406 écoles sur la totalité du territoire grec ont reçu de l’aide en 2014 pour nourrir 61,876 de leurs élèves.
- 1,053 écoles ont demandé à être inclues cette année dans le programme «Diatrofi», pour recevoir des vivres pour 152,397 élèves, pour l’instant seuls 15520 élèves de 150 écoles ont été inclus dans ce programme.
- 42,727 questionnaires ont été complétés par des parents dans 23 départements de tout le pays, 54% de ces familles font face à l’insécurité alimentaire et 21% font face à la faim.
D’après l’étude du “Bureau du budget de l’État” au Parlement:
- 3,8 millions de grecs vivent à la limite du seuil de pauvreté (432 euros par mois et par personne).
- 2,5 millions de grecs vivent sous le seuil de pauvreté (233 euros par mois et par personne, ce qui correspond à de la pauvreté extrême).
- Donc 58% de la population grecque, soit 6,3 millions de citoyens, vivent à la limite du seuil de pauvreté ou sous le seuil de pauvreté.
Cette Europe qui veut nous décerner un prix ne semble nullement troublée ni par les chiffres, ni par les milliers de morts parmi nos concitoyens qui ne sont plus assurés. Des morts qui vont se multiplier telles des avalanches car des suppressions de budget s’annoncent dès les prochains jours – suite aux diminutions du budget de la santé signées par le gouvernement précédent- au total 933 millions d’euros de moins pour le Système de santé national de notre pays.
Il serait hypocrite de notre part de recevoir un prix lorsque l’Europe en question décide de fermer les yeux. Lorsqu’elle décide de ne pas voir les bébés sous alimentés, les décès des patients atteints de cancer, le regard plein de désespoir des patients qui souffrent, de ne pas entendre les histoires des terribles abandons racontés par les familles qui sont obligées de vivre sans courant électrique, sans eau, avec extrêmement peu de nourriture pour une année de plus !
Les paroles de notre représentant, le médecin Giorgios Vixas ont été claires à ce propos : “Les milliers de morts chez les non assurés comme les malades qui sont là, parmi nous, eux tous nous regardent dans les yeux. Et ce sont eux qui ne nous permettent pas d’accepter ce Prix”.
Nous ne tournons pas le dos à l’Europe. Nous ne tournons pas le dos aux peuples européens qui se tiennent à nos côtés et sont d’une solidarité spectaculaire. Nous sommes obligés de tourner le dos aux politiques et aux institutions comme le Parlement Européen, qui depuis bien longtemps assimilent la vie humaine à des chiffres de comptables. Une façon de faire qui devient honteuse, pour la civilisation européenne, ces 5 dernières années. Ce qui est certain, c’est que cette barbarie doit cesser rapidement; si ce Prix était lié à un changement dans ce sens, nous serions heureux de le recevoir.
Aujourd’hui, dans le cadre de notre présentation au Bureau grec du Parlement Européen à Athènes, nous avons tenté d’expliquer, données en main, ce qu’être non-assuré veut dire. Nous n’avons pas accepté ce Prix car nos malades continuent de vivre dans une situation bien plus précaire aujourd’hui. Au cours de notre voyage à Bruxelles, dans un peu moins d’un mois, nous espérons sensibiliser encore plus les citoyens européens, à ce que vit le citoyen grec moyen, à cause des memoranda et des politiques d’austérité!
Il est extrêmement important que ce prix se transforme en un message d’humanité avec des résultats concrets, dans le sens d’un changement radical des politiques et celui du renforcement de la solidarité entre citoyens européens.
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Voici les faits, madame Guillaume, que vous et vos confrères ne voulez pas rendre publics. Et c’est bien compte tenu de ce comportement que nous vous tournons le dos, et que nous ne voulons pas recevoir ce prix.
Nous espérons assister à la cérémonie d’attribution, et espérons aussi que votre refus de nous recevoir sera divulgué par les medias français, comme d’ailleurs votre attitude désobligeante à notre égard – nous, les 300 volontaires qui avons offert gratuitement des soins primaires de santé, des médicaments, des aliments pour nourrisson à 46.000 personnes pendant les 4 dernières années – et que les citoyens français en seront informés.
Cordialement
Christos Sideris, responsable de communication du dispensaire métropolitain d’Elliniko
Traduction du grec ; Eleni Panousi