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Offensive contre « l’ennemi intérieur et extérieur » en Grèce

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L’évolution du pouvoir en Grèce est inquiétante. Avec l’inter- diction du parti nazi Aube dorée, la menace fasciste se recompose mais demeure, tant au Parlement que dans la rue. Ce qui est mis en œuvre pour traquer et enfermer les exilés est révélateur d’une politique de plus en plus sécuritaire. Comme dans d’autres pays, on assiste à une normalisation croissante d’un « état d’exception ».

Article initialement publié dans la revue Études

Après une décennie d’austérité en Grèce, le parti au pouvoir s’extrême-droitise et continue d’appliquer les mêmes recettes néolibérales (1). L’élection de Nouvelle Démocratie (ND), en juillet 2019, a marqué une intensification des violences d’État sans précédent depuis la chute de la dictature des Colonels (1967-1974). Les premières cibles du pouvoir sont les populations exilées et les militants solidaires, radicaux (2) (notamment anarchistes), désignés comme des « ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ».

La Grèce contemporaine peut à la fois être appréhendée comme un laboratoire du capitalisme du désastre (3) et des solidarités (4) ‒ qui se manifestent notamment à travers les squats, les dispensaires de santé et les cuisines autogérés. Christiane Vollaire et Philippe Bazin (5) ont mis en lumière la force et la diversité de ces initiatives populaires en Grèce. En outre, leur ouvrage rappelle la prégnance des idéologies fascistes avec le régime du 4-Août du général Ioánnis Metaxás (1936- 1941) et celui des Colonels (1967-1974). « Cette tradition-là continue d’irriguer les sphères du pouvoir, le parti de droite dure, actuellement au pouvoir, en est largement influencé et infiltré », souligne la philosophe Christiane Vollaire. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’évolution du champ partisan grec, ces dernières années.

Un laboratoire du néolibéralisme, de l’extrême droite et du fascisme

L’organisation nazie Aube dorée (6), troisième force politique du pays entre 2015 et 2019, a commis des pogroms et semé la terreur dans les rues avec ses bataillons paramilitaires. Elle a été jusqu’à assassiner, en 2013, le travailleur pakistanais Shahzad Lukman et le rappeur antifasciste Pávlos Fýssas. À la Vouli (le Parlement grec), Aube dorée a appelé de façon répétée au coup d’État. Alors qu’Aube dorée a été reconnue en octobre 2020 comme « une organisation criminelle » par la justice grecque, plusieurs de ses anciens dirigeants et membres sont actuellement en prison. Pourtant, une partie de son agenda politique continue de se diffuser au sommet de l’État et au sein de Solution grecque, un parti xénophobe et conspirationniste qui possède dix sièges au Parlement hellénique. Son fondateur, Kyriákos Velópoulos, reprend à son compte la rhétorique de Donald Trump et de Viktor Orbán, en utilisant le slogan « Make Europe christian again ». La parenthèse Syriza (2015-2019), qui incarnait avant son élection une autre politique de gauche, s’est refermée avec la poursuite des poli- tiques d’austérité. Depuis, le rouleau compresseur des politiques néo- libérales s’accélère avec le gouvernement de Nouvelle Démocratie (ND), un parti qui s’extrême-droitise et qui a su capter une large part des anciens électeurs d’Aube dorée. Le parti au pouvoir compte dans ses rangs des transfuges du Laos (Laïkos Orthodoxos Synagermos, parti d’extrême droite orthodoxe), comme Ádonis Georgiádis, Makis Voridis et Thanos Plevris. Ce dernier a appelé, par le passé, à tirer à balles réelles sur les exilés et à rouvrir Auschwitz : il occupe aujourd’hui le poste de ministre de la Santé. Quant à Voridis, il était jusqu’en 1990 à la tête du mouvement de jeunesse nostalgique de la dictature des Colonels, affilié au parti Union politique nationale (Ethniki Politiki Enosis, EPEN) du meneur de la junte militaire, Geórgios Papadópoulos (1919-1999). Dans le gouvernement actuel, on retrouve aussi la vice-ministre de l’Immigration et de l’Asile responsable de « l’Intégration », Sofía Voúltepsi. Pour cette dernière, les exilés « sont des envahisseurs non armés, des armes dans les mains de la Turquie (7) ».

Le retour au pouvoir de ND, marqué par une très forte abstention (42 %), s’inscrit dans la reconquête d’une hégémonie culturelle (8) de la classe dominante, en l’occurrence d’une hégémonie néolibérale et éta- tique fragilisée lors de la dernière décennie en Grèce. Le sociologue Theodoros Karyotis parle d’un retour en force de la rhétorique du « There is no Alternative » (« Il n’y a pas d’autre solution »), rendue célèbre par Margaret Thatcher. Dès son élection, le gouvernement de Kyriákos Mitsotákis a immédiatement ciblé « la partie la plus radicale de la société qui, à travers le soulèvement de décembre 2008 et le Mouvement des places de 2011, avait fragilisé cette hégémonie », précise Karyotis. Toutes les voix dissidentes doivent ainsi être réprimées car considérées comme « dangereuses et délirantes ». Le chercheur basé à Thessalonique n’hésite pas à affirmer qu’il s’agit « d’un contexte de totalitarisme » qui passe par un « contrôle de l’information sans pré- cédent depuis la dictature. Les autres opinions doivent désormais dis- paraître du débat public. Aujourd’hui, le Grec moyen dira que le plus grand problème auquel nous devons faire face, c’est l’anarchisme », souligne le sociologue, avec un sourire de dépit. Après l’effondrement de l’espoir institutionnel qu’incarnait Syriza pour la gauche, une opinion s’est encore davantage répandue dans la société : la seule option politique possible serait la voie autoritaire.

« Gérer les indésirables »

Dans ces circonstances, le parti du Premier ministre Kyriákos Mitsotákis a été élu en juillet 2019 sur un programme « Loi et ordre », associant un durcissement des politiques néolibérales et de la répression policière, en particulier dans la gestion des populations présentées comme « indésirables » ou « dangereuses ». Sur quel imaginaire politique et quels ressorts idéologiques s’appuient ces discours et ces politiques sécuritaires ?

L’idéologie sécuritaire régulièrement mobilisée par la classe dirigeante repose sur une représentation péjorative de la ville, systématiquement associée aux crimes, à l’incivilité, à l’insécurité et à l’image fantasmée d’une « vague migratoire ». La sociologie des risques urbains montre que de telles représentations témoignent de la pénétration d’un imaginaire raciste et xénophobe dans certains discours sur la ville ; d’une tendance à l’ethnicisation et à la pathologisation du « risque social ». C’est notamment à travers le capitalisme sécuritaire et le marché mondial de la coercition (9) que le capitalisme urbain se développe dans les métropoles. Cette idéologie sécuritaire est aussi une industrie qui repose sur l’image d’une « ville carte postale », parfaitement sûre, « rationalisée », propice aux flux financiers et à l’accumulation du capital. Cette industrie génère des profits grandissants et se nourrit de plusieurs peurs : celle de « l’étranger », de « l’immigré », du « jeune banlieusard », des « classes laborieuses, classes dangereuses » ou encore du « dangereux militant » (10).

Comme le montre bien le retour au pouvoir de ND en Grèce, cette idéologie sécuritaire est mobilisée à des fins électoralistes. Une rhétorique qui façonne des figures de « l’ennemi intérieur » et « extérieur », dont la désignation conduit à une définition elle-même sécuritaire des inégalités sociales. Pour Philippe Mary, le discours dominant sur les émeutes urbaines, l’économie informelle, les délinquances sexuelles ou encore sur le terrorisme conduit à un nouveau modèle de « gestion des risques ». Ainsi, il ne s’agit pas tant d’agir sur les causes des inégalités sociales que de déterminer des groupes prétendus « à risque » et de renforcer leur contrôle par des dispositifs policiers « avec, comme conséquence, une batterie de nouveaux dispositifs et une approche différente de l’individu et de sa responsabilité (11) ». « L’insécurité » est donc à la fois des discours, des représentations et des outils politiques, techniques et institutionnels au service d’une idéologie sécuritaire. En ce sens, « l’insécurité » est moins un problème ou une réalité qu’une « solution » pour reprendre les termes de Luc Van Campenhoudt (12) : c’est une façon de gérer la « violence urbaine ». Et, de ce point de vue, l’État possède un certain monopole de la parole légitime en matière de discours sur les « risques ».

Technologies pour traquer et enfermer les exilés

Concrètement, en Grèce, l’idéologie sécuritaire se traduit par l’instauration de politiques toujours plus hostiles aux exilés. Le Premier ministre se félicite d’ailleurs « d’avoir réduit les flux migratoires de 80 % en 2020, grâce au soutien de l’agence Frontex (13) ». Dès les premiers mois de son mandat, la majorité parlementaire a ainsi supprimé l’aide médicale universelle gratuite pour les personnes non assurées (dans les faits, le manque de moyens humains et matériels dans les hôpitaux publics rendait souvent inapplicable ce droit fondamental). Suivant la nouvelle circulaire, le numéro de Sécurité sociale est désactivé quand le demandeur est interdit de territoire sur le sol grec. Ainsi, seule une minorité d’exilés ayant obtenu le statut de « réfugiés » en Grèce peut espérer se faire soigner gratuitement dans le système public.

La construction de ce qui s’apparente à des camps de concentration (14) sur cinq îles grecques de la mer Égée illustre aussi cette politique de mise à l’écart, d’enfermement, de contrôle, de criminalisation et d’invisibilisation des exilés. Le premier « camp nouvelle génération » financé par l’Union européenne (UE) a été inauguré sur l’île de Samos : il est équipé de barbelés, de miradors, de caméras de vidéo- surveillance, de scanners à rayons X et de portes magnétiques. Cette politique d’enfermement et de tri des exilés menée par les autorités grecques reçoit le soutien indéfectible de l’État français. Lors de sa visite sur l’île en octobre 2021, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a loué le « modèle grec » : « Si tous les pays travaillaient comme la Grèce pour le contrôle des frontières extérieures, alors la question migratoire serait moins prégnante en Europe (15). » Invité à se prononcer sur la « gestion et le contrôle des flux migratoires » au sein de l’espace Schengen sur ERT (Ellinikí Radiofonía Tileórasi, télévision publique grecque), Emmanuel Macron a lui-même repris à son compte la distinction entre réfugiés et migrants, révélatrice d’un agenda politique sécuritaire des migrations (16).

Il s’agit de prendre la mesure de la violence de ces politiques d’épuisement et d’asphyxie de « l’Europe forteresse » qui rendent la vie impossible aux exilés. En plus d’atteindre aux libertés et à la dignité humaine, cette politique isole les exilés des réseaux de solidarité informelle. Or, en dehors des visites officielles, des observateurs indépendants (journalistes, militants, chercheurs, humanitaires) pourront-ils encore dénoncer les conditions de survie des populations « hébergées » ? Un décret publié au Journal officiel, à la fin de 2020, annonce la couleur. Il menace directement les organisations non gouvernementales de poursuites judiciaires, et empêche « toutes les personnes » (salariées et bénévoles) qui travaillent dans les camps de réfugiés de révéler la moindre « information, document ou donnée » sur leurs résidents. Cette clause de confidentialité demeure valable même à la fin de leur période de travail ou de volontariat. En verrouillant ainsi le droit d’informer, le gouvernement grec semble avoir pris acte de la mauvaise publicité de Mória, « le camp de la honte » de Lesbos.

La militarisation des frontières est particulièrement révélatrice des politiques sécuritaires, surtout aux abords de l’Évros à la frontière gréco-turque, où un mur de quarante kilomètres a été construit en 2020. Le long de ce fleuve, drones, capteurs thermiques et canons sonores sont utilisés pour pourchasser les exilés. Des centaines de militaires sont déployés sur cette zone sous contrôle exclusif de l’armée, bien que « des exilés continuent toutefois de traverser cette fron- tière greco-turque, ils ne reçoivent l’aide d’aucune ONG, d’aucun habitant, interdits dans la zone (17) ». La Grèce est, en effet, devenue un terrain de jeu technologique des entreprises spécialisées dans l’indus- trie sécuritaire. De nombreuses expérimentations de la police grecque sont en cours, avec le soutien de l’agence européenne Frontex, toutes les deux impliquées dans les « refoulements illégaux » à l’extérieur de l’Union européenne (18). La société française Cnim Air Space développe par exemple un modèle de ballon captif Eagle Owl, gonflé à l’hélium, capable de voler jusqu’à six cents mètres de haut. Actuellement utilisé par les autorités grecques et Frontex, il renvoie en continu des images vers une station positionnée au sol, prises avec sa caméra embarquée. Mais ce n’est pas la seule technologie répressive expérimentée contre les exilés en Grèce : le Roborder (contraction de robot et de border, « frontière » en anglais) prévoit pour sa part « un système de surveillance des frontières par un essaim de drones autonomes, capables par l’intelligence artificielle de déterminer les franchissements. Le projet iBorderCtrl ambitionne quant à lui de développer un algorithme capable de détecter les mensonges des migrants lors de leur passage à l’aéroport (19) ». C’est dans un tel contexte que le ministère de l’Immigration et de l’Asile grec a coorganisé, en octobre 2021, le Congrès international de la sécurité des frontières (20), à Athènes. Cet événement a réuni de potentiels clients, tels que des États, et les vendeurs de technologies sécuritaires, des industriels spécialisés dans la « gestion des frontières et de la sécurité ».

Répression inédite des militants radicaux

Report this AdCEn tant que militant solidaire d’un squat, j’ai pu constater les profonds effets de la vague de répression d’État menée à la fois contre les exilés, les universités (21) et les militants radicaux, depuis août 2019. Ainsi, le gouvernement grec procède à une militarisation de la police, à des investissements dans du matériel de surveillance et au recrute- ment de milliers de policiers. Il convient de citer ici les opérations « scoupa » (littéralement, opérations « coup de balai ») qui se réfèrent à l’expulsion, à l’enfermement, au contrôle au faciès et au harcèlement policier des personnes considérées « en situation irrégulière » par l’État grec. Le jour de l’expulsion de plusieurs bâtiments occupés par des exilés et des militants solidaires à Athènes (22), Stavros Balaskas, responsable d’un syndicat policier, a comparé les réfugiés à de la « poussière » et les militants anarchistes à des « détritus » (23). Ce champ lexical du « nettoyage » rappelle les heures les plus sombres du fascisme et montre le visage de la terreur d’État.

Avant même son élection, Kyriákos Mitsotákis avait promis de « nettoyer Exárcheia en un mois24 ». Exárcheia, où s’est focalisée mon étude sociologique, est un quartier du centre-ville athénien réputé pour la présence de nombreux squats et collectifs anarchistes. Depuis 2019, il a été régulièrement occupé par une police militarisée. La répression d’État contre les militants radicaux a été particulièrement violente à la fin de 2020, notamment durant la période annuelle de mobilisation politique pour le 17-Novembre, en référence à la date du soulèvement étudiant à l’Université polytechnique, en 1973, durant la junte militaire. Cette mobilisation a été marquée par une interdiction de manifester arbitraire et des violences policières sans précédent depuis la chute de la dictature des Colonels, en 1974. En outre, le 6 décembre 2020, douze ans après le meurtre par un policier de l’adolescent Alexis Grigoropoulos (25) à Exárcheia, le quartier était occupé par des centaines de policiers (au moins 4 000 policiers à Athènes) et notamment par les services antiterroristes. Dans la seule ville Athènes, 374 personnes (dont des avocats, des syndicalistes, des travailleurs de la santé, des étudiants ou des habitants d’Exárcheia) ont été arrêtées. Ce jour-là, chose exceptionnelle pour un ressortissant de l’espace Schengen, un Français actif dans les luttes en Grèce a été enlevé par la police, emprisonné et expulsé vers la France – avec interdiction de territoire jusqu’en décembre 2027 pour atteinte « à la sûreté nationale et politique » et « danger pour la santé publique » – simplement « parce qu’il était anarchiste (26) ». Au début de mars 2021, la situation du prisonnier communiste Dimitris Koufontinas (27) et des violences policières quotidiennes, répertoriées dans de nombreux quartiers athéniens et dans plusieurs villes grecques, ont provoqué des manifestations importantes et des émeutes. Plusieurs témoignages de manifestants arrêtés font état de tortures au Siège de la police hellénique de l’Attique (28).

La période que traverse la Grèce confirme que les violences d’État ne concernent plus seulement les exilés et les militants radicaux, mais un spectre de plus en plus large de la population. Car c’est bien d’un contexte de normalisation de « l’état d’exception », de l’agenda d’extrême droite et d’un fascisme rampant dont il est question. La journaliste néerlandaise Ingeborg Beugel est bien placée pour en témoigner. Après avoir mis le Premier ministre Mitsotákis face à ses mensonges sur les « refoulements illégaux » d’exilés en mer Égée, elle a été victime en novembre 2021 d’un déferlement de haine en ligne et dans les médias acquis à la cause du gouvernement grec. Quelques jours plus tard, dans la rue, un homme lui a jeté une pierre à la tête en l’insultant de « pute et espionne turque ». Dans la foulée, la journaliste a été contrainte de fuir la Grèce, où elle vit depuis quarante ans, pour se réfugier aux Pays-Bas. Arrêtée en juin 2021 en Grèce, elle est aussi accusée « d’avoir accueilli illégalement » un demandeur d’asile afghan chez elle, ce qui est passible d’une peine de douze mois de prison et d’une amende de 5 000 euros. Illustration que cette offensive contre un « ennemi intérieur » et un « ennemi extérieur » constitue en réalité deux composantes d’une même idéologie répressive. Une guerre d’usure menée simultanément contre les exilés, les militants solidaires et tout observateur indépendant un peu trop critique envers le pou- voir en place.

Nicolas RICHEN


SOURCES

1. Toute réflexion étant le fruit d’un effort collectif, je remercie ici tous mes interlocuteurs cités ou non dans cet article : galériens, travailleurs, militants, exilés, chercheurs (en particulier le géographe urbain Jean-François Pérouse), journalistes, photographes, cinéastes…

2. Contrairement aux usages médiatiques dominants et de sens commun, la « radicalité militante » est employée dans cet article pour désigner un engagement collectif contre l’ordre établi (notam- ment capitaliste et étatique) qui comprend à la fois une critique structurelle (radicalis signifiant « ra- cine »), une autre voie proposée face au statu quo (dimension hétérodoxique). En ce sens, le militant radical ou subversif s’oppose au militant réformiste. Les répertoires de l’action collective (Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, Fayard, 1986) ne délimitent pas a priori ce qui relève de la radicalité militante, bien que celle-ci puisse englober des pratiques politiques qui sortent du cadre légal (manifestation non déclarée, sabotage, destruction matérielle, squat, etc.).

3. Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, traduit par Paul Gagné et Lori Saint-Martin, Actes Sud, 2008.

4. En Grèce, le terme « solidarité » (αλληλεγγύη, allilengýi) est historiquement mobilisé par les mou- vements anarchistes, anti-autoritaires et socialistes. Fortement liée à la notion de lutte des classes, la solidarité repose sur un idéal non hiérarchique, d’autogestion, de participation active, de relation de réciprocité et sur l’internationalisme.

5. Philippe Bazin et Christiane Vollaire, Un archipel des solidarités. Grèce 2017-2020, Éditions Loco, 2020.

6. Dimitris Psarras, Aube dorée. Le Livre noir du parti nazi grec, M éditeur et Syllepse, « Mauvais temps », 2014.

7. Le 31 janvier 2014 sur la chaîne de télévision privée Mega, Voúltepsi commentait ainsi le tragique naufrage près de l’île de Farmakonisi, où neuf enfants et trois femmes sont morts.

8. Notion théorisée par Antonio Gramsci (1891-1937), pour qui la lutte des classes doit inclure une dimension culturelle.

9 Mathieu Rigouste, La domination policière, une violence industrielle, La Fabrique, [2012] 2021.

10. Comme le montre Loïc Wacquant (« La tornade sécuritaire mondiale : néolibéralisme et châ- timent à l’aube du XXe siècle », Mouvements, vol.63, n° 3, 2010, pp.137-154), depuis la fin du XXe siècle, les grandes puissances impérialistes sont entrées dans une nouvelle phase de conquêtes tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de leurs frontières. Un nouveau stade du développement de l’impé- rialisme qui se caractérise principalement par l’émergence de marchés globalisés de la surveillance, de l’encadrement et de la répression (voir aussi : David Harvey, Le nouvel impérialisme, Les prairies ordinaires, 2010).

Report this Ad11. Philippe Mary, « Les figures du risque et de l’insécurité. L’impact sur le contrôle », Informations sociales, vol.126, n° 6, 2005, p.16.

12. Luc Van Campenhoudt, « L’insécurité est moins un problème qu’une solution », Revue de droit pénal et de criminologie, n° 6, 1999, pp.727-738.

13. « Mitsotakis blasts use of migrants as pawns to pressure the EU », Ekathimerini, 21 mai 2021 (en grec, sur http://www.efsyn.gr/politiki/273872_apelasan-gallo-politi-epeidi-einai-anarhikos).

14. Je reprends ici la formule du sociologue Jean Ziegler, qui a réalisé une mission pour l’Organi- sation des Nations unies sur l’île de Lesbos, qui considère que « nous créons de véritables camps de concentration avec des conditions totalement inhumaines ». Voir Camille Pagella, « Jean Ziegler : “Nous avons recréé des camps de concentration” », L’Illustré, 23 janvier 2021 (sur http://www.illustre.ch).

15. Marina Rafenberg, « Gérald Darmanin encense le “modèle grec” des camps ultrasécurisés », Le Monde, 11 octobre 2021 (sur http://www.lemonde.fr).

16. « Macron : nous ferons tout pour soutenir la Grèce », ERT, 24 mars 2021 (sur http://www.youtube.com/ watch?v=pvVEVrwM9Mc).

17. Charlotte Boitiaux, « La frontière de l’Évros, un no man’s land grec ultra-militarisé où “personne n’a accès aux migrants” », Infomigrants, 5 octobre 2021 (sur http://www.infomigrants.net/fr/).

18. Katy Fallon, « Revealed : EU border agency involved in hundreds of refugee pushbacks », The Guardian, 28 avril 2022 (sur http://www.theguardian.com).

19. Hugo Robert, « Contre les migrants, toujours plus de technologie », Reporterre, 25 octobre 2021 (sur https://reporterre.net).

20. https://world-border-congress.com/

Report this Ad21. Après avoir supprimé l’asile universitaire, héritage des années qui ont suivi la dictature, le gou- vernement grec a décidé de mettre en place des unités policières spéciales sur les campus pour lutter « contre l’anarchisme ». Entre 1 000 et 1 500 policiers seront recrutés. D’après le Trésor public grec, le budget 2021 pour l’Enseignement supérieur s’élève à 92 millions d’euros. Le budget pour la police universitaire représente 20 millions d’euros, soit 22 % du budget total de l’enseignement supérieur.

22. Les services antiterroristes, les voltigeurs et la police secrète ont participé à l’expulsion de ces squats.

23. Passage télévisé en grec sur http://www.youtube.com/watch?v=W2HDaqb85NE

24. « Mistotakis on Alpha TV : I will cut taxes and clean up Exarchia (video) », Protothema, 10 janvier 2017 (sur https://en.protothema.gr/).

25. Dimitris Bounias et Nikolas Leontopoulos, « The Murder of Alexandros Grigoropoulos », The Press Project, 6 décembre 2014 (sur https://thepressproject.gr/).

26. Kostas Zafeiropoulos, « Ils ont expulsé un citoyen français parce qu’il était anarchiste ! », Η Εφημερίδα των Συντακτών, 21 décembre 2021 (en grec, sur http://www.efsyn.gr/politiki/273872_apela- san-gallo-politi-epeidi-einai-anarhikos).

27. « M. Koufontinas a été condamné en 2003 à onze peines d’emprisonnement à perpétuité pour participation à onze meurtres. Il est considéré comme le chef des opérations de l’organisation d’ins- piration marxiste-léniniste 17-Novembre ou 17-N, ayant commis des dizaines d’attentats et tué vingt- trois personnes entre 1975 et 2002. Parmi les cibles du groupe : des tortionnaires de la dictature des Colonels (1967-1974) toujours dans la nature après sa chute, le chef d’antenne de la Central Intelligence Agency (CIA) en Grèce – les États-Unis ayant soutenu la junte –, des responsables po- litiques ou hommes d’affaires turcs, grecs, etc.», dans Elisa Perrigueur, « En Grèce, juges, avocats, écrivains et militants au chevet d’un prisonnier d’extrême gauche en grève de la faim », Mediapart, 28 février 2021 (sur http://www.mediapart.fr).

Report this Ad28. Konstantinos Poulis et Thanos Kamilalis, « I confirm what the Greek Police is saying – no one called Dimitris was tortured. But I, Aris, was », The Press Project, 18 mars 2021 (sur https://the- pressproject.gr).

 

Le procès en appel d’Amir Zahiri et Akif Razuli (communiqué)

Communiqué de presse des initiatives Legal Centre Lesvos, Aegean Migrant Solidarity, borderline-europe e.V., You can’t evict Solidarity et Deportation Monitoring Aegean

Le 8 décembre 2022, le procès en appel d’Amir Zahiri et Akif Razuli, reporté à deux reprises, a eu lieu à Mytilini, en Grèce. À la fin, la Cour d’appel composée de trois juges a acquitté Akif, mais a déclaré Amir coupable de « conduite de bateau » et l’a condamné à 8 ans de prison. Par rapport à la décision de toute première instance, sa peine a été considérablement réduite, ce qui signifie qu’il peut bénéficier d’une libération anticipée sur parole. Les initiatives Legal Centre Lesvos, Aegean Migrant Solidarity, borderline-europe e.V., You can’t evict Solidarity et Deportation Monitoring Aegean ont observé le cas de ces deux personnes à Lesvos et se réjouissent de leur prochaine libération de prison.

Après une journée de suspense quant à savoir si le procès allait avoir lieu ou être à nouveau reporté, le procès a finalement commencé jeudi en fin d’après-midi. Quatre témoins ont témoigné pour les accusés, qui étaient représentés par des avocats du Legal Center Lesvos et du Human Rights Legal Project Samos.

À la fin du procès, le procureur a proposé qu’Akif soit déclaré non coupable, en raison de l’absence de toute preuve qu’il conduisait le bateau, et les juges ont accepté.

Malgré les doutes émis quant à la culpabilité d’Amir, le tribunal l’a déclaré coupable d’avoir facilité l’entrée illégale sur le territoire, c’est-à-dire d’avoir conduit le bateau. Ils ont rejeté l’argument selon lequel Amir a été contraint de conduire le bateau par nécessité pour sauver la vie de sa famille et des autres personnes présentes sur le bateau – une raison légale d’acquittement. Toutefois, le tribunal a réduit sa peine à huit ans en raison de circonstances atténuantes, de sorte qu’il peut désormais demander une libération anticipée, compte tenu du temps qu’il a gagné en travaillant et en étudiant pendant son séjour en prison. Ce résultat, bien qu’insuffisant, est une bonne nouvelle pour sa famille.

Bien qu’il n’y ait jamais eu de preuves crédibles contre eux, les deux accusés sont maintenant en prison depuis presque 3 ans.

Le témoin des garde-côtes – le seul témoin de l’État contre Akif et Amir – ne s’est pas présenté une fois de plus pour témoigner au tribunal hier. Lors de leur procès en appel prévu en avril 2022, ledit témoin ne s’est pas présenté, ce qui a servi d’excuse pour reporter le procès.

Il s’agit malheureusement d’une situation courante dans ces affaires de « conduite de bateau », où les garde-côtes ou la police sont les seuls témoins contre l’accusé. Lundi dernier, dans l’affaire A.B., le tribunal de Mytilène a reporté le procès d’A.B. jusqu’en mai 2023, car le témoin des garde-côtes ne s’est pas présenté au procès et n’a pas donné d’excuse pour son absence. Bien que le tribunal ait infligé une amende de 200 euros à l’officier des garde-côtes pour ne pas s’être présenté, il s’agit d’une simple tape sur la main, alors que la vie d’A.B. est à nouveau maintenue dans les limbes pendant six mois supplémentaires.

Hier, le témoin des garde-côtes qui avait fait un témoignage écrit contre Amir et Akif ne s’est pas présenté au procès. Cette fois, heureusement, l’affaire a avancé.

Il est important de rappeler que les accusés ont témoigné lors du premier procès que lorsqu’ils ont atteint les eaux grecques dans leur voyage depuis la Turquie en mars 2020, les garde-côtes helléniques ont tenté de les refouler vers la Turquie et, ce faisant, ont endommagé le bateau qui a commencé à couler. Selon le témoignage des défendeurs, les garde-côtes ont alors été contraints de prendre tous les passagers à bord et de les ramener en Grèce. Il est particulièrement important de noter qu’hier, c’est le Procureur qui a soulevé la question de savoir s’il y a eu ou non une tentative de refoulement par les garde-côtes pendant la traversée d’Amir et Akif, dans son interrogatoire des défendeurs. L’absence continue du témoin des garde-côtes est également à noter, étant donné les implications qu’il pourrait avoir été impliqué dans cette tentative de refoulement – le véritable crime dans cette affaire.

Environ 40 personnes des groupes de solidarité et de la presse étaient présentes à l’intérieur de la salle d’audience et se sont rassemblées à l’extérieur après le procès. À 19 heures, lorsque les verdicts et les peines ont été annoncés, les deux hommes ont été accueillis par des banderoles et des chants célébrant leur liberté.

L’acquittement d’Akif Razuli et la réduction de peine d’Amir Zahiri, hier, constituent une petite victoire. Mais il s’agit d’un tout petit pas dans un contexte où il y a encore des milliers de personnes qui sont emprisonnées en Grèce avec la même accusation, simplement parce qu’elles cherchaient un meilleur avenir. Nous serons aux côtés de tous ceux qui sont en prison pour avoir franchi les frontières et nous lutterons avec eux pour leur liberté.
– Kim Schneider de l’initiative Vous ne pouvez pas expulser Solidarité.

Après presque trois ans, ce résultat est le strict minimum de ce que mérite Akif. Il est venu en Grèce comme réfugié et s’est retrouvé en prison sans aucune preuve contre lui. Nous espérons que la loi injuste contre la contrebande dont lui et Amir ont été accusés sera abolie et que la persécution des réfugiés dans les rouages du système judiciaire grec prendra fin.
-Vicky Aggelidou, du Centre juridique de Lesvos, qui a représenté Akif Rasuli.

    Si je ne considère que ce seul procès, je n’ai rien à critiquer du point de vue de la procédure. Cependant, la poursuite d’Akif Razuli et d’Amir Zahiri n’est pas faite de ce seul procès. Même si les violations précédentes étaient corrigées par l’acquittement d’Akif Razuli, il ne récupérera aucune des presque trois années qu’il a passées en prison sans raison. Et il ne faut pas oublier qu’Amir Zahiri a de nouveau été reconnu coupable. Bien que la peine ait été considérablement réduite et qu’Amir Zahiri puisse maintenant espérer être bientôt libéré sur parole, il s’agit toujours d’une condamnation motivée par des raisons politiques dans un procès qui n’aurait pas dû avoir lieu.    -Annina Mullis, observatrice du procès pour European Lawyers for Democracy and Human Rights et Swiss Democractic Lawyers.

Le procès d’hier a partiellement réparé une grande injustice contre Amir et Akif. Nous espérons qu’à l’avenir, nous ne verrons plus jamais de cas similaires de personnes condamnées sans preuves ni témoins et sans interprétation adéquate, comme ce fut le cas lors du tout premier procès d’Amir et Akif.
-Équipe de pacificateurs communautaires – Aegean Migrant Solidarity

Contact presse :
Lorraine Leete
Centre juridique de Lesvos
@legalcentrelesvos.org
Téléphone : +30 695 5074724
Notre adresse postale est la suivante
info@legalcentrelesvos.org

Propos gravement diffamatoires, injures et menaces proférés contre SOS MEDITERRANEE

Communiqué

« L’association SOS MEDITERRANEE condamne avec la plus grande fermeté les propos gravement diffamatoires proférés publiquement par certains responsables politiques, l’accusant de complicité avec des passeurs ou mettant en cause les conditions de son action en mer Méditerranée, ainsi que les injures et menaces portées contre ses dirigeants et ses salariés. 


Sa mission s’opère dans le strict respect du
droit maritime international. L’association SOS MEDITERRANEE a d’ailleurs été reconnue Grande Cause nationale en 2017 et a reçu le prix UNESCO Félix Houphouët Boigny pour la recherche de la paix en 2017. En octobre 2022, elle s’est vu décerner le prix de la Fédération Internationale du Sauvetage en Mer (IMRF) pour la « contribution exceptionnelle d’une équipe aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ». 

SOS MEDITERRANEE a mandaté ses avocats pour qu’ils étudient toutes actions judiciaires appropriées, en vue de sauvegarder ses intérêts et ceux de tous ses bénévoles et salariés qui, jour après jour, sauvent des vies humaines. 

Nous sommes une association humanitaire, nous ne faisons pas de politique. Face à une situation humanitaire d’urgence en Méditerranée, notre raison d’être est notre mission de sauvetage en mer. »  

François Thomas, Président de SOS MEDITERRANEE France 

Source https://sosmediterranee.fr/communiques-et-declarations/propos-diffamatoires-injures-menaces/

Un amer soulagement

230 rescapés à bord de l’Ocean Viking débarqueront finalement à Toulon : un amer soulagement

10 novembre 2022

Un lieu sûr a enfin été attribué pour permettre le débarquement des 230 rescapés encore à bord secourus au cours de six sauvetages entre le 22 et 26 octobre. Trois personnes dans un état de santé critique et un proche ont du être évacuées ce matin pour recevoir des soins d’urgence à l’hôpital de Bastia, Corse. Les rescapés sont enfin autorisés à débarquer à Toulon, dans le Sud de la France. L’Ocean Viking est en route. Au vu des prévisions météo instables qui s’annoncent, notre navire prévoit d’arriver au port vendredi en fin de matinée.  

C’est avec un mélange de soulagement et de colère que nous accueillons cette nouvelle.

“Nous sommes extrêmement soulagés de ce dénouement à venir grâce à l’attribution d’un port en France, qui met fin à une situation critique sur notre navire. Mais cette solution à un goût amer : les 230 femmes, enfants et hommes à bord de l’Ocean Viking viennent de vivre un véritable calvaire et sont épuisés, tout comme nos équipes. Débarquer près de trois semaines après les sauvetages, si loin de la zone d’opération en Méditerranée centrale est le résultat d’un échec dramatique de la part de l’ensemble des Etats européens, qui ont bafoué le droit maritime d’une manière inédite”, déclare Sophie Beau, co-fondatrice et Directrice Générale de SOS MEDITERRANEE France.

Les bateaux de sauvetage citoyens, portés par des ONG comme SOS MEDITERRANEE, ne font que pallier le désengagement grave et mortel des Etats Européens en Méditerranée centrale. Comme le rappelle la Commission Européenne hier (9 novembre): “L’obligation légale de secourir et d’assurer la sauvegarde de la vie en mer est claire et sans équivoque, quelles que soient les circonstances qui conduisent les personnes à se trouver dans une situation de détresse […] Le caractère sacré de la vie étant de la plus haute importance et de la plus haute considération.”

L’instrumentalisation politique du devoir d’assistance en mer, à laquelle nous avons assisté ces dernières semaines, est inacceptable : c’est un renoncement cynique à un impératif moral, légal et universel. Nous appelons urgemment les Etats membres de l’Union européenne et Etats associés, avec la Commission européenne, à établir enfin un mécanisme de débarquement prévisible en lieu sûr des rescapés, là où leur sécurité n’est plus menacée et où leurs besoins humains fondamentaux peuvent être satisfaits.

Source https://sosmediterranee.fr/communiques-et-declarations/230-rescapes-a-bord-de-locean-viking-debarqueront-finalement-a-toulon-un-amer-soulagement/

Appel SOS MEDITERRANEE Naufragés bloqués en mer

Naufragés bloqués en mer : SOS MEDITERRANEE sollicite l’assistance de la France, de l’Espagne et de la Grèce 

Malgré de multiples demandes d’assignation d’un port sûr envoyées aux centres de coordination de sauvetage de Malte et d’Italie, l’Ocean Viking reste confronté à une impasse. Conformément au droit de la mer, SOS MEDITERRANEE demande aux autorités maritimes de la France, de l’Espagne et de la Grèce, qui sont les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter la désignation d’un port sûr pour le débarquement des 234 rescapés bloqués à bord de l’Ocean Viking. Une solution doit être trouvée sans délai.

Entre le 22 et le 29 octobre, plusieurs navires humanitaires, l’Ocean Viking, le Humanity 1 et le Geo Barents, ont respectivement secouru 234, 179 et 572 femmes, enfants et hommes à bord d’embarcations impropres à la navigation, trouvées en détresse en Méditerranée centrale. Les sauvetages effectués par ces navires ont été menés dans les zones de recherche et de sauvetage libyenne et maltaise. Conformément aux conventions maritimes, les trois navires ont informé les autorités maritimes compétentes à toutes les étapes des opérations de recherche et de sauvetage. Toutefois, les centres de coordination de sauvetage (RCC) libyen et maltais n’ont pas répondu aux demandes de coordination, de partage d’information et de désignation d’un lieu sûr, ce qui ne nous a laissé d’autre choix que de nous tourner vers l’autre RCC le plus à même de porter assistance, à savoir celui de l’Italie, comme le prescrit le droit maritime.

Cependant, le 25 octobre, le nouveau gouvernement italien a pris une position radicale contre les ONG de recherche et de sauvetage. Le nouveau ministre italien de l’Intérieur annonce avoir émis une directive avertissant les forces de police et les autorités portuaires que son ministère évaluait la « conduite » de nos navires de sauvetage afin d’adopter une interdiction d’entrée dans les eaux territoriales. À ce jour, ni le navire de SOS MEDITERRANEE, ni celui de SOS Humanity, ni celui de MSF, n’ont reçu de communication officielle sur une telle décision. Ils sont néanmoins confrontés à un blocage total en haute mer et à une interdiction implicite d’entrer dans les ports italiens.

La situation à bord de l’Ocean Viking se détériore gravement. Les prévisions météorologiques annoncent un vent fort, de hautes vagues et une baisse de température d’ici la fin de la semaine. Et les provisions commencent à manquer.

234 vies sont en danger. De nombreux rescapés présentent des signes de torture, de violence sexuelle et d’abus dus à leur séjour en Libye. Ces temps prolongés en mer ont de graves répercussions sur le bien-être physique et psychique des personnes à bord qui ont échappé de peu à la mort en mer. Et ils mettent en péril la sécurité de vies humaines en mer.

« SOS MEDITERRANEE demande instamment aux autorités maritimes françaises, espagnoles et grecques, ainsi qu’aux autres centres de coordination de sauvetage en mer les plus à même d’apporter leur assistance, de faciliter un débarquement immédiat dans un lieu sûr. Ce blocus en mer n’est pas seulement une honte mais aussi une violation flagrante du droit maritime international et du droit humanitaire. Les rescapés doivent toucher terre sans plus tarder. Nous sommes face à une urgence absolue et toute journée d’attente supplémentaire pourrait avoir des conséquences fatales », déclare Nicola Stalla, coordinateur des opérations de recherche et de sauvetage de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking.

Alors que les autorités italiennes et maltaises ferment les yeux sur le sort de ces personnes, SOS MEDITERRANEE a sollicité officiellement les autorités maritimes les plus à même de porter assistance pour qu’elles interviennent auprès de leurs homologues italiens et maltais afin de coopérer, coordonner et faciliter le débarquement des rescapés bloqués en mer depuis 13 jours sur l’Ocean Viking.

La désignation d’un lieu sûr avec un minimum de déviation par rapport au voyage prévu du navire n’est pas seulement une obligation morale mais c’est aussi une obligation légale. Elle incombe à l’État responsable de la zone de recherche et de sauvetage où le sauvetage a eu lieu mais aussi à toute autre autorité gouvernementale qui peut être en mesure de porter assistance lorsque l’État responsable ne répond pas.

L’actuel blocage en mer de 985 personnes est illégal et inhumain. SOS MEDITERRANEE demande une fois de plus aux membres de l’Union européenne et aux États associés de respecter leurs obligations en mettant en place un mécanisme de débarquement prévisible afin d’alléger la pression sur les États côtiers européens. Un tel mécanisme doit garantir la possibilité de débarquer les rescapés dans le lieu sûr le plus proche d’où sont menées les opérations de recherche et de sauvetage, comme l’exige le droit maritime.

Les personnes ayant échappé à la mort en mer ne doivent plus être instrumentalisées dans des débats politiques.

Notes aux rédactions

– En 2018, après la fermeture des ports italiens, le taux de mortalité en Méditerranée centrale a doublé (5,6%) par rapport au taux de mortalité de 2017 (2,4%). En 2019, le taux de mortalité a été multiplié par quatre (9%). (Source : OIM- Projet Migrants disparus)

Extraits des conventions et résolutions maritimes internationales 

– Obligation de coopération et d’assistance de tous les États en vertu du principe de solidarité avec l’État SAR – Convention SAR chapitre 3 § 3.1.9 :
« Les Parties doivent coordonner et coopérer pour faire en sorte que les capitaines de navires qui fournissent une assistance en embarquant des personnes en détresse en mer soient libérés de leurs obligations avec un minimum de déviation supplémentaire par rapport au voyage prévu du navire, à condition que la libération du capitaine du navire de ces obligations ne compromette pas davantage la sauvegarde de la vie en mer ».

– « dans le cas où le RCC responsable de la zone où les survivants sont recueillis ne peut être contacté, tenter de contacter un autre RCC ou, si cela n’est pas possible, toute autre autorité gouvernementale qui pourrait être en mesure d’aider, tout en reconnaissant que la responsabilité incombe toujours au RCC de la zone où les survivants sont recueillis » [Rés. OMI MSC.167(78) de 2004].

– « Toute Partie devrait autoriser ses centres de coordination de sauvetage à prendre les dispositions nécessaires en coopération avec d’autres RCC pour identifier le ou les lieux les plus appropriés pour débarquer les personnes trouvées en détresse en mer. » [Annexe à la Convention SAR, chapitre 3 – 3.1.6]

Obligation de non-discrimination

« L’obligation de prêter assistance s’applique quels que soient la nationalité ou le statut de ces personnes ou les circonstances dans lesquelles elles se trouvent. » Convention SOLAS Chapitre V, Règle 33.1, 1974 (telle que modifiée en 2006)

– « 6.20 Toutes les opérations et procédures telles que le filtrage et l’évaluation de l’état des personnes secourues qui vont au-delà de la fourniture d’une assistance aux personnes en détresse ne devraient pas être autorisées à entraver la fourniture de cette assistance ou à retarder indûment le débarquement des survivants du ou des navires qui prêtent assistance. » RÉSOLUTION MSC.167(78) de l’OMI (adoptée le 20 mai 2004)

Source https://sosmediterranee.fr/communiques-et-declarations/naufrages-bloques-demande-assistance-france-espagne-grece/

Condamnation pour les agresseurs de SOS MEDITERRANEE

Nous revenons vers vous pour partager les dernières informations concernant le procès des 23 militant.e.s ex-membres de Génération identitaire pour l’irruption violente dans les locaux de SOS MEDITERRANEE à Marseille le 5 octobre 2018, alors que sept salarié.e.s étaient présent.e.s.

Le tribunal correctionnel de Marseille a rendu son jugement hier jeudi 20 octobre.

L’audience ayant démontré l’ampleur des préjudices subis, notre association et les sept salarié.e.s ont été reconnu.e.s victimes de cette attaque. Les 23 prévenu.e.s ont été condamné.e.s pour ces faits de violence.

Pour François Thomas, président de l’association, « Nous sommes soulagé.e.s que justice soit faite. Ce n’est ni une victoire, ni une vengeance, mais il était crucial que les assaillant.e.s soient reconnu.e.s coupables de ces violences. Quatre ans plus tard, les victimes sont toujours profondément choquées. Elles vont désormais pouvoir entamer un processus de reconstruction ».

« Cette opération a porté une atteinte grave à la réputation de l’association et à sa mission », a déclaré Maître Sébastien Mabile, avocat de SOS MEDITERRANEE. À la suite de l’attaque, nous avons dû déménager et mettre en place une série de mesures de sécurité.

« La justice a fait preuve d’une grande fermeté. […] On ne peut pas tirer sur une ambulance », a conclu Maître François de Cambiaire, également avocat de l’association.

Tout au long de cette épreuve, vos nombreux messages de soutien nous ont donné la force de poursuivre malgré tout notre mission. Grâce à vous, l’Ocean Viking patrouille en ce moment même en Méditerranée centrale à la recherche d’embarcations en détresse.

Merci d’être à nos côtés,

L’équipe de SOS MEDITERRANEE
#TogetherForRescue

Source https://sosmediterranee.fr

Alarm Phone 8 ans de lutte!

Il y a huit ans, le 11 octobre 2014, nous inaugurions le lancement de l’Alarm Phone, une ligne d’assistance pour les personnes se trouvant en détresse en mer. Nous avons choisi cette date car elle marquait l’anniversaire d’une catastrophe qui s’était produite le 11 octobre 2013, lorsque les autorités italiennes et maltaises avaient retardé le sauvetage d’un bateau en train de couler. Plus de 200 personnes sont mortes dans le naufrage. Au cours des huit dernières années, nos équipes ont été disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ont aidé plus de 5 000 bateaux en détresse le long des différentes routes maritimes vers l’Europe – la mer Méditerranée, l’Atlantique jusqu’aux îles Canaries et, depuis 2022, également la Manche, de la France au Royaume-Uni. Ces 5 000 bateaux ne transportaient parfois que cinq ou dix personnes, pour la plupart entre 30 et 80 individus, mais aussi fréquemment plus de 100 personnes, parfois même plus de 500 personnes.

Par téléphone, nous avons été témoins de la disparition ou de la noyade de milliers de personnes au cours des huit dernières années. Nous avons écouté leurs parents et amis désespérés, à la recherche de leurs proches ou en quête de réponses. Nous avons également été témoins de refoulements violents, de la manière dont des personnes sont abandonnées à leur sort en pleine mer, ou bien capturées et renvoyées de force vers le pays qu’elles avaient cherché à fuir.

Dans le même temps, nous avons vécu d’innombrables moments de joie, de résistance et de solidarité, avec des personnes ayant pu atteindre l’Europe, ou ayant été secourues à temps. Nous avons été témoins de la façon dont les personnes qui font la traversée se sont organisées de manière collective pour contourner les frontières de l’UE, et comment celles-ci ont construit des structures de soutien tout au long de leur voyage. Et nous avons fait partie de réseaux de solidarité de plus en plus grands, avec une flotte et des avions civils qui sillonnent la mer et le ciel, des équipages de navires marchands, ainsi que des mouvements militants qui se sont rassemblés pour lutter contre la violence des frontières.

En Méditerranée occidentale, entre le Maroc et l’Espagne, nous pouvons encore observer des opérations de sauvetage menées par le Salvamento Maritimo espagnol, souvent le long de la route vers les Canaries. Malgré tout, l’Espagne, et l’UE dans son ensemble, continuent de financer le Maroc pour qu’il joue son rôle de gardien des frontières européennes et nous avons assisté à de terribles brutalités dans cette région, notamment près de Melilla. Le 24 juin 2022, au moins 40 personnes ont été tuées lors d’un massacre à caractère raciste au niveau de la clôture de l’enclave espagnole – une scène insoutenable de violence néocoloniale, menée par les forces marocaines, mais soutenue par les politiques migratoires et frontalières de l’UE. Ces victimes font partie des milliers de personnes qui meurent aux frontières espagnoles chaque année, notamment le long de la route de l’Atlantique.

La guerre contre les personnes qui se déplacent est également une réalité quotidienne en mer Égée, ainsi qu’à la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce. Les gouvernements grec et turc utilisent les personnes qui voyagent comme des pions dans leurs jeux de pouvoir militaristes et nationalistes. Si les refoulements grecs existent depuis longtemps, ils sont devenus systématiques à partir de mars 2020. Même les personnes ayant déjà mis le pied sur les îles grecques sont forcées de monter sur de petits radeaux de sauvetage et abandonnées dans les eaux turques. Ce sont clairement des cas de tentatives de meurtre. Ces crimes qui se déroulent aux frontières sont devenus monnaie courante en mer Égée et dans la région de l’Évros. En mars dernier, la petite Maria, âgée de 5 ans, faisait partie des personnes qui ont perdu la vie à cause de ce régime de refoulement.

En Méditerranée centrale, un régime de refoulement inversé a été mis en place, notamment grâce à une collaboration entre les drones de Frontex, les avions de l’UE, et les soi-disant « garde-côtes libyens ». La flotte civile étant souvent présente dans cette zone frontalière, de nombreux cas de non-assistance et d’interception ont pu être contrés, des personnes secourues, et les crimes frontaliers documentés et dénoncés publiquement. Néanmoins, la route de la Méditerranée centrale reste l’une des plus meurtrières au monde, notamment parce que les États membres de l’UE ne viennent pas secourir les bateaux en détresse dans les zones les plus dangereuses au large des côtes libyennes et tunisiennes.

De plus en plus de personnes ayant survécu à la traversée de l’UE doivent à nouveau utiliser des embarcations précaires pour tenter de rejoindre le Royaume-Uni. Les arrivées par la Manche ont considérablement augmenté ces dernières années. En constatant ce phénomène, nous avons décidé, en 2022, d’intégrer la route de la Manche dans le travail de l’Alarm Phone. Notre équipe WatchTheChannel a effectué des recherches et préparé un manuel de détresse en collaboration avec d’autres réseaux locaux en France et au Royaume-Uni.

Toutes les voies maritimes sont, et restent, des espaces contestés sur le plan politique. Les personnes qui se lancent dans la traversée exercent leur liberté de circulation, tandis que nous, en tant que réseau Alarm Phone, essayons d’instaurer de la solidarité le long des différentes routes. La circulation et la ténacité des personnes migrantes restent les forces motrices de la lutte contre les régimes d’apartheid européens et mondiaux. Des milliers d’arrivées continuent de défier l’étanchéité et l’externalisation des frontières de l’UE. Dans le même temps, les luttes auto-organisées pour le droit de rester et contre l’exploitation raciste à l’intérieur de l’UE se poursuivent. Les parents et les amis des personnes disparues ou mortes continuent d’organiser des actions de commémoration pour se souvenir et rechercher leurs proches, tout en protestant contre la violence aux frontières qui sont la cause de la disparition ou de la mort de ces derniers.

Nous nous sommes battus pendant huit ans.
Nous continuerons.
Nous n’abandonnerons jamais.

Alarm Phone
Octobre 2022

Source alarmphone.org/en/2022/10/11/8-years-of-struggle/

Un dilemme entre une violence inouïe et la mort

Des récits détaillés de survivants mettent en lumière les pratiques brutales et l’infrastructure de la violence contre les personnes en déplacement dans la région d’Evros/Meric.

Ces derniers temps, le téléphone d’alarme a reçu de nombreux appels de détresse de personnes bloquées dans les bois de la région d’Evros. Ces personnes sont souvent en mauvaise condition physique et nécessitent une aide médicale immédiate. Cependant, elles sont souvent refoulées par les unités des gardes-frontières grecs. Cela confirme ce que nous avons dit dans notre rapport sur les crimes frontaliers : Appeler les autorités grecques aujourd’hui signifie mettre la vie des gens en danger. Cependant, dans la région d’Evros, il n’y a souvent pas d’autre choix. Comme le montrent ces témoignages très détaillés, les personnes se trouvent souvent dans des zones reculées et sont soit empoisonnées, soit immobilisées. N’appeler personne, c’est souvent mourir. Appeler quelqu’un, signifie toujours que les autorités frontalières seront informées. C’est un dilemme entre une violence inouïe et la mort.

Le fait que les gens se retrouvent dans ces situations au premier abord est une conséquence directe du régime brutal de refoulement. Il oblige les gens à voyager en groupes toujours plus petits et à être invisibles. Les gens marchent la nuit dans les régions montagneuses, avec toujours la crainte d’être découverts et refoulés illégalement. Les situations décrites par ces personnes sont difficiles à imaginer : non seulement elles sont trouvées et refoulées, mais elles sont volées, dépouillées de leurs vêtements, humiliées et brutalement battues. Si l’on frappe une personne sur un genou blessé ou si l’on s’amuse à déshabiller les gens devant les autres, ce n’est rien d’autre que de la torture.

Le témoignage suivant a été donné par une survivante d’un refoulement brutal. Alarm Phone a été informé de cette détresse le 10 août et a informé sur demande diverses autorités, mais aussi le HCR, Frontex et différentes ONG. Comme le montre le témoignage en complément, même un avocat local a été impliqué et s’est rendu au commissariat d’Alexandroupolis. Mais malgré toutes ces mesures, le refoulement brutal décrit par Majed* dans les lignes qui suivent, n’a pu être évité.

Tout d’abord, je suis désolé, je ne peux pas beaucoup parler car je ressens toujours une douleur dans mon genou.

    Nous avons atteint la frontière grecque de nuit et avons traversé la rivière avec un bateau en caoutchouc. L’armée grecque ne nous a pas remarqués. Nous avons marché 5 km dans les montagnes pendant la nuit, puis nous nous sommes cachés toute la journée et avons marché à nouveau pendant la nuit pour 5 km supplémentaires. Le troisième jour, je suis tombé sur ma jambe, exactement sur le genou droit. Au début, la douleur n’était pas trop intense. Le même jour, nous avons rencontré un autre groupe de 7 personnes, que nous ne connaissions pas. Leur téléphone était cassé et ils n’avaient pas de carte. Ils ont demandé à marcher avec nous parce que nous avions un téléphone – nous avons accepté et nous sommes devenus 14 personnes. La nuit, nous avons fait 10 km. La marche a exacerbé et augmenté la douleur que je ressentais au genou. J’avais vraiment très mal et c’était devenu très fort. La nuit suivante, nous avons marché 14 km. La douleur était très forte, j’ai pris des antidouleurs, et la nuit suivante, nous avons encore marché 19 km. Cette journée a été très épuisante car la route de montagne était dure, c’était un voyage difficile. J’ai terminé le chemin en étant porté par mes amis. Je savais que c’était la fin de mon voyage. La cinquième nuit, j’ai essayé de marcher mais je n’ai pas pu faire un seul pas. Il y a eu un désaccord dans le groupe, mais finalement ils se sont mis d’accord pour me laisser me reposer un jour de plus – ensuite je pourrais continuer à marcher, peut-être avec un autre groupe. Ils m’ont laissé de la nourriture et de l’eau en plus.

    Pendant la journée, j’ai appelé mon cousin. Il m’a donné le numéro d’un avocat. Je l’ai contactée, je lui ai donné les coordonnées de mon emplacement et je lui ai parlé de ma blessure au genou. L’avocate s’est rendue au poste de police d’Alexandropulis. Elle m’a informé que la police allait venir me chercher pour m’emmener au poste de police, puis à l’hôpital, afin que je puisse être enregistré dans le camp en fonction de mon état de santé. Elle m’a dit d’aller près de la route principale et que lorsque vous verriez la police, vous vous rendriez sans problème.

    À sept heures, près de l’autoroute, une personne masquée et cagoulée en uniforme militaire vert avec l’inscription « Police des frontières » est venue me voir. Il a pris le téléphone pendant que je parlais à ma femme. Il l’a cassé et m’a demandé quel genou était blessé, j’ai répondu le droit. Il m’a frappé sur tout le corps, surtout sur le genou blessé. Il m’a demandé de sortir ce qu’il y avait dans mes poches. J’avais des euros et de l’argent turc. Il a tout pris, il m’a volé. Il a vérifié mon sac et n’a rien trouvé de valeur, mais il ne m’a pas laissé prendre quoi que ce soit. Il m’a frappé à plusieurs reprises sur les genoux avec un bâton et sur le dos de manière brutale. Sur la route principale, il y avait une voiture de police et une autre personne dans la voiture, masquée et portant la même tenue. Il a ouvert le coffre de la voiture et m’a mis à l’intérieur. C’était très étroit et je ne pouvais pas respirer. Ils m’ont emmené dans une autre zone. C’était comme une route forestière, une route de campagne. Ils m’ont demandé de descendre et il y avait deux policiers en uniformes noirs normaux. Ils ne faisaient que regarder.C’est là qu’a commencé une séance de torture d’une demi-heure de bastonnades sévères sur tout le corps, avec de nombreux propos racistes et des humiliations sexuelles telles que « Je veux te tuer » ou « Je veux te baiser ».

    Puis un échange de voitures a eu lieu. Les policiers ont pris leur voiture et j’ai été emmené dans un véhicule militaire fermé. On a roulé un peu, puis ils ont installé un poste de contrôle près des deux personnes masquées. La police des frontières fouillait les voitures. Ils ont arrêté trois Afghans, dont l’un ne pouvait pas marcher, et un Syrien dont l’état de santé était critique. Je pense qu’il a été empoisonné par l’eau du marais.

Un autre petit véhicule militaire est arrivé sans aucun orifice d’aération, contenant au moins 30 personnes dans un espace très réduit. Nous mourions de chaleur et d’odeurs. Nous sommes arrivés à une prison près de la frontière. Je ne connais pas l’endroit, mais parmi les Syriens, elle est connue sous le nom de « prison d’Abu Riha », qui a une mauvaise et effrayante réputation. C’est une prison sale. Ils nous ont demandé d’enlever tous nos vêtements et nous ont laissé tout nus et ont mis tous nos vêtements sur une seule pile. Il y avait des enfants et des femmes dans l’autre pièce qui nous regardaient. Puis ils nous ont donné 30 secondes pour nous habiller et les gens ont commencé à prendre les vêtements des autres. Puis ils nous ont mis dans un très petit camion militaire. Nous étions au moins 70 personnes dans un très petit espace de 2/3 mètres maximum.

    Il y avait beaucoup d’autres cas d’évanouissement et de nausée.  

    Une demi-heure plus tard, nous avons atteint la frontière turque. Nous sommes montés dans le bateau en caoutchouc et ils nous ont laissés de l’autre côté. Il y avait une petite rivière après la grande. J’avais très mal à la jambe et il y avait beaucoup d’autres blessés et soudain, les habitants d’un village voisin sont arrivés avec des voitures. Ils transportaient les gens contre rémunération. J’ai pris la voiture en direction d’Istanbul. Je suis allé directement à l’hôpital d’urgence. Maintenant, je prends des analgésiques et j’utilise des béquilles, j’ai les ligaments déchirés et une pression sur l’artère. J’ai aussi du liquide dans le genou.

Je suis resté une semaine sans pouvoir dormir, et maintenant les médecins m’ont dit que j’avais besoin d’au moins 6 mois de repos et que je ne pouvais pas travailler. À la fin, j’ai appelé l’avocate grecque et elle était en colère contre moi parce qu’elle m’avait attendu au poste de police et que la police lui avait dit que je n’étais pas sur les lieux et que je m’étais enfui. Je lui ai dit que je n’avais pas changé mes coordonnées et que je ne m’étais pas enfui, je lui ai raconté l’histoire et elle était choquée. De plus, le soldat encapuchonné / masqué m’a demandé directement si j’étais blessé au genou, ce qui signifie qu’il sait que mon genou est blessé.

***

Le témoignage suivant a été transmis au téléphone d’alarme par une personne qui a été refoulée de Grèce en Turquie fin juillet 2022. Le 30 juillet, le téléphone d’alarme a été informé qu’une personne avait besoin d’une aide médicale urgente près du village grec de Mikro Dereio. Comme cette personne aurait été empoisonnée et aurait demandé une aide immédiate, les autorités régionales ainsi que le HCR, Frontex et diverses ONG ont été informés. Lorsque nous avons appelé le poste de garde-frontières de Metadaxes, ils ont confirmé être au courant de l’affaire, mais ont affirmé n’avoir « trouvé personne ». Comme le prouve le témoignage de Mohanat*, c’était un mensonge. Son histoire montre clairement que les personnes ne sont pas simplement abandonnées, mais souvent transportées avec le groupe pendant des heures ou des jours. Cependant, à un moment donné, les personnes se retrouvent dans un état tel qu’elles ne peuvent plus être transportées. Alors, à la lumière du risque de refoulement et d’attaques par les unités grecques, ils sont laissés sur la route avec l’espoir qu’ils seront trouvés et pris en charge. En outre, son histoire montre le problème des refoulements en chaîne, c’est-à-dire que les gens sont ramassés en Bulgarie, dépouillés de leurs vêtements, volés et battus, puis refoulés vers la Turquie via la Grèce. Il montre également qu’après avoir été refoulées vers la Turquie, les personnes sont poursuivies par les forces turques et craignent d’être expulsées vers la Syrie.

Nous avons traversé la rivière dans un bateau en caoutchouc, et l’armée grecque ne nous a pas remarqués. Nous avons choisi de marcher pendant la journée car la route était très montagneuse et difficile avec des vallées dangereuses. Le premier jour, nous avons marché pendant 7 heures. Le deuxième jour, il n’y avait plus d’eau. Nous n’avions pas d’autre choix que de boire SEULEMENT de l’eau de source sèche. Elle n’était pas potable. Elle était pleine de vers de grenouille et d’insectes. Nous avons tous eu des vomissements après avoir bu cette eau, et j’étais celui qui était dans la situation la plus critique avec beaucoup de fièvre vomitive et de nausées.

    Le troisième jour, je ne pouvais rien manger et les vomissements nauséeux continuaient. Le quatrième jour, nous avons atteint une rivière venant de Bulgarie et passant par la Grèce, dont je ne connais pas le nom. En raison d’une soif extrême, j’ai bu l’eau de cette rivière, ce qui a intensifié mon empoisonnement et j’ai presque perdu connaissance. Je ne pouvais plus me tenir sur mes pieds. Mes amis ne m’ont pas abandonné, ils m’ont porté et ont porté mes affaires. Le cinquième jour, la situation s’est aggravée et je n’ai pas pu continuer le voyage. Les amis ont continué leur voyage, j’ai pris le téléphone, j’ai cherché sur la carte le village le plus proche et j’y suis allé.

    Très épuisé, j’ai atteint une maison et trouvé une famille grecque qui m’a donné de l’eau. En fait, ils étaient gentils avec moi, mais j’ai remarqué que leur voisine passait un appel téléphonique et me regardait beaucoup. J’ai compris qu’elle appelait la police. J’ai décidé d’aller à l’église voisine du village pour me reposer et me cacher un peu, car j’étais vraiment épuisée et gravement malade et sans électricité. Je suis arrivé à l’église et soudain la voiture de police est arrivée. C’était une grande voiture fermée. Un policier et une policière en sont sortis. Je ne me souviens pas bien de la couleur de leurs vêtements car j’étais presque inconsciente. Ils étaient peut-être bleu foncé. Le policier s’est approché de moi et m’a demandé ce que je faisais ici. Je lui ai dit que j’étais dans un état critique et que j’avais besoin de soins urgents. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème, nous allons vous emmener au camp. Ils ont ouvert la porte arrière et là, j’ai trouvé au moins 30 personnes, toutes nues, avec seulement des caleçons sur elles. C’étaient des réfugiés afghans et marocains. J’ai parlé avec l’un d’eux et il m’a dit qu’ils étaient en Bulgarie et que la police bulgare avait pris leur argent et leurs vêtements et les avait ramenés de force en Grèce. La voiture était très chaude et il n’y avait pas de bouches d’aération. Nous ne pouvions pas respirer dans cet espace surpeuplé. Nous sommes arrivés à la prison, nous sommes sortis de la voiture. Ils nous ont déshabillés, ont enlevé tous nos vêtements et les ont posés sur le sol. On nous a complètement fouillés. Puis la police m’a rendu mes vêtements, mais sans la lacets de mes chaussures. Ils m’ont emmené dans une petite cellule surpeuplée sans me donner d’analgésiques, de nourriture ou d’eau.

    Je suis resté dans cette cellule de deux heures de l’après-midi à huit heures du soir. Ils nous ont fait sortir de la prison et nous ont mis dans une voiture fermée sans aucun orifice de ventilation et nous nous sommes dirigés vers la frontière turque. Nous sommes arrivés à un endroit où environ 40 personnes se trouvaient devant nous sur le sol, toutes nues. Il y avait des gens masqués qui les battaient sévèrement. Il faisait si sombre que je ne pouvais pas voir les uniformes des personnes masquées. Ils nous ont rendu de l’argent et ont commencé à nous frapper avec des bâtons pendant un long moment. Ils ont amené les bateaux pour traverser la rivière et m’ont volé même mes chaussures. Ils nous ont escortés dans le bateau vers la Turquie. J’ai atteint la rive turque du fleuve. Nous sommes entrés dans la forêt. La route était très cahoteuse et pleine de pierres, surtout sans chaussures. Nous étions environ 100 personnes, puis nous nous sommes séparés en groupes. Soudain, nous avons entendu le bruit de moteurs, mais des moteurs militaires. Puis nous avons entendu des gens crier derrière nous – ils étaient clairement battus. Je marchais avec des gens du Maroc, mais comme j’étais très malade, je marchais lentement alors qu’ils allaient vite. Puis une voiture militaire blindée est arrivée et les a embarqués après les avoir battus. J’ai réussi à me cacher et ils ne m’ont pas vu. Cette nuit-là, l’armée turque est devenue folle. Il y avait beaucoup de véhicules et de véhicules militaires, et la forêt s’est transformée en champ de bataille. Il y avait beaucoup de soldats et des ratissages continus, et j’ai entendu beaucoup de cris pendant toute la nuit.  Je me suis caché de dix heures du soir à sept heures du matin sans nourriture ni eau et avec une jambe enflée qui m’a rendu très déshydraté. À sept heures, j’ai rassemblé toutes les forces qu’il me restait pour survivre et j’ai couru vers un village voisin. Je suis arrivé dans le village et j’ai demandé de l’aide et de l’eau. J’étais tellement déshydraté. Je ne pouvais pas boire d’eau. J’ai demandé un taxi pour Istanbul. Maintenant, je me soigne tout seul car à l’hôpital, la police turque peut m’arrêter et m’expulser vers la Syrie, ce qui arrive trop souvent ces derniers temps à Istanbul.

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Et ce dernier témoignage fait référence à une attaque survenue en juin. Il fait référence à des crimes commis par la police grecque avec l’aide de mercenaires à la frontière terrestre Evros/Meriç entre la Grèce et la Turquie. L’incident s’est produit au début du mois de juin 2022. À nouveau, les personnes ont été poursuivies, battues, refoulées, agressées et harcelées. De retour en Turquie, le harcèlement a continué, comme l’explique en détail Parzan* :

Nous étions assis dans la forêt à attendre que la nuit passe, quand avant le coucher du soleil, quatre personnes (trois jeunes d’environ 25 ans et un homme d’environ 40 ans) sont sorties de derrière les arbres sans le moindre bruit. Avec des pistolets pointés sur nos visages et des matraques dans leur autre main
L’un d’eux nous a dit à voix basse de nous asseoir, puis a demandé des téléphones et des GPS. Quand ils ont pris nos téléphones et les ont mis dans un sac, ils ont dit : « Comment êtes-vous venus ici ? Avec un passeur ? » Quand nous avons répondu non, ils ont demandé « Avez-vous vu d’autres groupes ? ». Nous avons répondu non. Ensuite, ils nous ont forcés à ouvrir nos téléphones (ils avaient toujours le pistolet dans les mains), ils ont consulté Google Maps, Google Earth et Telegram et ont cherché des points spécifiques sur la carte. Quand ils n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, ils nous ont dit de bouger.

    Ils nous ont emmenés à environ 100 mètres de cet endroit, dans un espace plus ouvert, et nous avons dû enlever nos chaussures et nos vêtements. Ils ont pris tous les euros de nos portefeuilles mais ont laissé les lires turques. Ils ont ouvert nos sacs, pris les outils tels que les scies, les couteaux, le gaz de camping et les batteries et les ont mis dans leur voiture. C’était une camionnette Nissan Navara blanche avec des lignes bleues.

Ils nous ont redonné nos chaussures à ce moment-là et nous ont dit de prendre notre sac. Leur patron a alors informé le fourgon de police de venir. La police a dit : « Pas de problème, on va vous emmener au camp de Thessalonique et vous donner des papiers pour quitter le pays. » – Bien que plus tard, quand nous avons vu la rivière Maritsa**, nous avons su qu’ils nous avaient menti.

Un de nos amis avait déjà été refoulé auparavant, alors il nous a dit de manger tout ce que nous avions car ils ne vous donneront pas de nourriture au centre de déportation. Alors, pendant que nous attendions l’arrivée du fourgon, nous avons ouvert nos gâteaux et nos biscuits et nous avons commencé à manger. Quand un policier nous a vus, il a pris notre nourriture et l’a écrasée avec son pied. Et il m’a donné un coup de pied dans la jambe.

Cela ne m’est pas arrivé, mais d’autres réfugiés m’ont dit qu’il y avait quelque chose appelé « tunnel de la mort » : ils obligent les gens à passer entre deux lignes de policiers et tous les frappent en riant.

Finalement, un grand van noir Mercedes Benz est arrivé et ils nous ont dit de monter dedans. Il n’y avait pas de lumière à l’intérieur du fourgon, toutes les fenêtres étaient recouvertes de feuilles de fer et il n’y avait aucune ouverture pour que l’oxygène puisse entrer. Il n’y avait pas de sièges, le van avait été transformé en boîte de fer. Nous sommes restés dans le fourgon pendant trois à quatre heures, après la première demi-heure, tout le monde était étourdi, effrayé et nauséeux. Mon rythme cardiaque s’est accéléré de façon étrange, si bien que je pouvais sentir mon cœur battre dans mes yeux et ma tête, et j’avais très chaud. Nous étions tous les uns sur les autres, personne ne parlait à personne. Soudain, la camionnette s’est arrêtée, la porte s’est ouverte et une autre personne a été poussée à l’intérieur. La porte est restée ouverte pendant environ 5 secondes et c’est le seul moment où l’air est entré.

La police lui avait cassé la mâchoire et il ne pouvait plus parler. Nous avons eu de la chance car nous ne sommes pas allés au centre de déportation parce qu’il était plein, ils nous ont emmenés directement à la rivière et nous ont battus quand nous sommes sortis de la voiture. Il y avait environ 80 personnes là-bas : Syriens, Iraniens, Afghans, Pakistanais. Une voiture est arrivée et a amené encore plus de gens. Ils nous ont tous alignés, les mercenaires avec leurs visages couverts et la police grecque leur parlant en anglais. Ils ont commencé à nous fouiller, ils ont pris les sacs, ils ont pris les chaussures et les chaussettes, ils cherchaient de l’argent dans les vêtements et ils ont déchiré les vêtements avec des couteaux jusqu’à ce qu’ils trouvent de l’argent, des bracelets, des bagues, des boucles d’oreilles et d’autres objets de valeur à l’intérieur. À ce moment-là, ils ont également pris les lires turques.

Puis les mercenaires ont commencé à nous emmener sur un bateau par groupes de quinze personnes, sans aucun bruit ni lumière, et ils nous ont amenés silencieusement sur les rives de la Turquie, nous ont jetés à l’eau et sont repartis pour amener le groupe suivant. Le bateau était l’Intex Excursion 5. En voici une photo. Je suis sûr que c’était ce bateau.

    Nous avons ensuite marché sans chaussures et sans savoir dans quelle partie de la Turquie nous nous trouvions, ni même quelle heure il était. Finalement, nous avons trouvé la police turque et certaines personnes étaient déjà là avec eux. La police a battu certains d’entre eux aussi. Puis la police turque a dit : « Nous ne donnerons des chaussures qu’aux personnes qui veulent retourner en Grèce maintenant, et les autres seront déportées dans leur pays. » Mais finalement, ils ont donné des chaussures à tout le monde (personne ne se souciait de la taille de vos chaussures, donc si vous aviez de la chance, vous preniez de grosses chaussures, il y avait des gens qui attrapaient des chaussures de filles de 9 ans). Ensuite, la police turque nous a dit de descendre cette route et que nous trouverions un village, mais ils ont menti. Nous y sommes allés et la route s’est terminée au milieu d’une jungle. Nous avons marché jusqu’à ce que nous trouvions un bâtiment d’entreprise et le garde nous a guidés vers un village appelé Meriç.

Après avoir trouvé le village, il y avait des taxis qui attendaient les migrants pour les emmener à Istanbul contre de l’argent, environ 1000 Lires par personne. Lorsque vous arrivez à Istanbul, la police ne vous verra pas si vous avez de la chance, mais si la police vous attrape et que vous n’avez pas de papiers pour rester, alors elle vous emmène dans un camp de déportation. La situation y est terrible : pas de toilettes propres ni de douche pendant des semaines, peu de nourriture, les gens ne peuvent que s’asseoir car il n’y a pas assez d’espace pour marcher ou dormir. Après deux ou trois semaines, ils envoient les gens dans leur pays et ne se soucient pas de savoir si c’est sans danger pour vous ou non.

Une fois de plus, ces histoires détaillées partagées par les gens montrent l’infrastructure de la violence dans la région frontalière d’Evros/Meric. Des personnes, y compris des enfants, sont placées en détention arbitraire ; des personnes sont volées, battues et harcelées par les gardes-frontières grecs, la vie de personnes blessées est mise en danger. Si ce n’est pas cela, quels sont les crimes contre l’humanité ? Il y a une écriture et un système clairs dans ces pratiques violentes. Ils se produisent de manière coordonnée et bien organisée et nécessitent une coopération directe entre les différentes unités et institutions impliquées. Ces crimes frontaliers sont le résultat de processus politiques – pratiquement appliqués par l’État grec, délibérément soutenus et légitimés par son principal partenaire, l’Union européenne. 

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* Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.
** Fleuve Evros en grec

 Source alarmphone.org

 

Migrants empêchés d’entrer en Grèce

Plus de 150 000 migrants empêchés d’entrer en Grèce depuis janvier, selon les autorités

La Grèce a bloqué l’entrée de plus de 150 000 migrants à ses frontières maritimes et terrestres depuis le début de l’année, a déclaré dimanche le ministre grec des Migrations. Rien que pour le mois d’août, ce chiffre s’élève à 50 000.

« L’entrée de 154 102 migrants en situation irrégulière a été évitée depuis le début de l’année », a déclaré dimanche 4 septembre Notis Mitarachi, ministre grec des Migrations, au quotidien Eleftheros Typos. « Environ 50 000 ont tenté d’entrer en Grèce rien qu’au moins d’août », a-t-il ajouté.

Le 24 août, le ministre de la Protection civile avait avancé le chiffre de 25 000 interceptions depuis le début du mois. Chaque jour, « 1 500 à 1 700 tentatives [de franchissement] sont effectuées », avait précisé Notis Mitarachi.

>> À (re)voir : Pour le ministre grec des Migrations, « les migrants n’ont pas besoin d’entrer en Grèce car la Turquie est un pays sûr »

Des chiffres difficiles à vérifier en l’absence de données indépendantes. Les méthodes de calcul de ces tentatives de franchissement soulèvent elles-mêmes des questions. « Une possibilité est que ces chiffres proviennent des alertes générées par le système automatisé de surveillance de la frontière, ou bien qu’ils aient été élaborés par les départements locaux de garde-frontières », expliquait il y a 10 jours Lena Karamanidou, chercheuse spécialiste de la région de l’Evros, contactée par InfoMigrants.

Arsenal anti-migrants

Le contrôle des frontières est présenté comme une des grandes priorités du gouvernement conservateur grec arrivé au pouvoir en 2019 et qui vise sa réélection l’année prochaine. Le gouvernement multiplie les annonces ces dernières semaines.

Le 19 août, le ministre des Migrations avait fait part de son intention d’étendre de 80 km supplémentaires un mur de 40 km le long de la frontière gréco-turque matérialisée par le fleuve Evros. Quelques jours plus tard, le Conseil gouvernement de sécurité nationale grec (KYSEA) avait approuvé cette extension. À terme, l’objectif serait de clôturer l’ensemble des 220 km de frontière, afin de la rendre totalement hermétique.

>> À (re)lire : Frontière Turquie-Grèce : arsenal anti-migrants ultra-moderne le long du fleuve Evros

En outre, le gouvernement va installer de nouvelles caméras thermiques et déployer 250 garde-frontières supplémentaires.

Un ensemble de mesures qui viennent renforcer celles déjà existantes. La Grèce a investi ces dernières années dans un arsenal ultra-moderne : caméras thermiques et radars high-tech accrochés sur les pylônes le long de la frontière, et même deux canons sonores positionnés au sud et au nord de l’Evros.

Une centaine de personnes refoulées quotidiennement en mer

La Grèce est régulièrement pointée du doigt pour sa gestion des frontières. Elle a été accusée à plusieurs reprises de refoulements illégaux sur terre et sur mer par des ONG et des médias.

InfoMigrants a recueilli plusieurs témoignages de migrants affirmant avoir été renvoyés violemment en mer Égée vers les eaux turques. À l’été 2021, une Congolaise avait expliqué à la rédaction comment les garde-côtes grecs avaient refoulé son embarcation en mer, mettant les passagers en danger. « Ils nous ont menacé avec leur armes (…) Ils ont tourné autour de nous, ce qui a fait de grandes vagues et du courant », avait-elle rapporté.

>> À (re)lire : « Ils nous ont jetés à la mer » : deux disparus après un « pushback » de la Grèce vers la Turquie

Fin 2020, un Guinéen avait raconté comment des hommes en uniforme avaient percé le canot dans lequel il se trouvait pour l’empêcher d’atteindre les îles grecques.

Dans un rapport accablant, dont des extraits ont été publiés fin juillet, l’Office européen de la lutte contre la fraude (Olaf) a démontré que l’ancienne direction de l’agence de surveillance des frontières Frontex avait connaissance des renvois illégaux de migrants menés en Grèce vers la Turquie entre 2020 et 2021. Frontex, qui a toujours nié être au courant de ces pratiques, en aurait même co-financé certains. La Grèce, elle, dément tout refoulement illégal à ses frontières.

Selon le dernier rapport de l’ONG norvégienne Aegean Boat Report, qui recense les « pushbacks » en mer Égée, jamais autant de migrants n’avaient été refoulés cet été. En moyenne, « 100 personnes ont été retrouvées à la dérive dans des radeaux de sauvetage et des canots pneumatiques, chaque jour du mois d’août, à la suite de refoulements effectués par les autorités grecques », peut-on lire dans le document. « Seulement 10% de toutes les personnes qui tentent de traverser en bateau vers les îles grecques réussissent et se retrouvent dans un camp », rapporte l’ONG.

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Source Infomigrants

SOS MEDITERRANEE Un été chaud et meurtrier

Pendant qu’en France et dans de nombreux pays européens, les pompiers à terre combattaient les incendies, en Méditerranée, les ONG de sauvetage luttaient pour sauver des vies sans répit, alors que les traversées s’intensifiaient à la faveur des conditions météo estivales. Retour sur un été intense en Méditerranée centrale.

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Un mois d’août surchargé à l’image de cet été 2022 

Onze jours d’attente en mer par des températures qui ont frôlé les 40°C sur l’Ocean Viking. Dix sauvetages en moins de trois jours, dont huit en zone de recherche et de sauvetage maltaise. 466 femmes, hommes et enfants exténué.e.s ayant passé jusqu’à trois jours à la dérive sur des embarcations de fortune sans eau ni nourriture, dont 81 mineur.e.s, des femmes enceintes, des bébés et même une petite fille de trois semaines. 19 nationalités représentées. Une affluence inédite de patient.e.s à la clinique du navire. Trois femmes enceintes évacuées d’urgence… En ce début septembre, les conditions estivales les plus extrêmes perdurent en mer, alors que les dernières personnes secourues fin août par l’Ocean Viking ont enfin été débarquées la nuit du 4 au 5 septembre, à Taranto.

Déshydratation, brûlures, infections cutanées, blessures infectées, maladies chroniques… Sage-femme à bord de l’Ocean Viking, Rebecca n’avait jamais vu autant de personnes rescapées nécessitant des soins affluer à la clinique. (Vidéo tournée le 31 août 2022, alors que 460 personnes secourues attendaient d’être débarquées.)

Dans le communiqué de presse conjoint de SOS MEDITERRANEE et de la FICR* du 2 septembre dernier, Xavier Lauth, le directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE, appelait à la désignation immédiate d’un lieu sûr où débarquer alors que les personnes rescapées étaient bloquées en mer depuis des jours : « ces personnes secourues ont été retrouvées en haute mer dans des situations inimaginables. Dans une tentative désespérée de trouver la sécurité, elles ont failli mourir en mer, soit par noyade, soit par déshydratation. Conformément au droit maritime, leur sauvetage ne sera terminé que lorsqu’elles auront atteint un lieu sûr. »

« Dans une tentative désespérée de trouver la sécurité, elles ont failli mourir en mer, soit par noyade, soit par déshydratation. » Xavier Lauth, directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE

Parties de Syracuse le 21 août sous un soleil de plomb, les équipes de l’Ocean Viking ont fait face à des situations extrêmes lors de sauvetages rapprochés. Le premier de cette mission a eu lieu la nuit du 24 au 25 août et a été suivi d’un second sauvetage d’une embarcation qui était en mer depuis trois jours, puis de deux autres le vendredi 25 août, alors que la houle atteignait deux mètres. Le rythme s’est encore accéléré durant le week end, avec six autres sauvetages d’affilée.

Lire le récapitulatif de la mission 

Photo : Jour et nuit les marins-sauveteurs sont à pied d’œuvre et multiplient les opérations. Ici, le sauvetage de la nuit du 24 au 25 aout 2022 où 41 personnes ont été secourues dans une obscurité complète lors d’une opération à haut risque. Crédit : Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE

Capacités de sauvetage insuffisantes et absence de coordination

Ce rythme effréné perdure depuis le mois de mai. Dès l’arrivée des beaux jours en effet, il n’est pas rare que les navires humanitaires enchaînent plusieurs sauvetages en seulement quelques heures. Ce fut encore le cas pour l’Ocean Viking les 24 et 25 juillet derniers, quand cinq sauvetages se sont succédé en une trentaine d’heures, permettant de secourir 387 personnes en détresse.

Déjà au début de l’été, notre navire avait parcouru des centaines de kilomètres dans les zones de recherche et de sauvetage libyenne et maltaise afin de secourir huit embarcations entre le 24 juin et le 4 juillet. « Des heures angoissantes et épuisantes, à chercher des embarcations sans que les autorités maritimes ne fournissent la moindre coordination pour nous aider à les retrouver », rappelait Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de SOS MEDITERRANEE.

« À l’époque, un port nous était assigné dans les heures qui suivaient les sauvetages, comme le prévoit le droit maritime. » Sophie Beau, directrice et fondatrice de SOS MEDITERRANEE

Jusqu’en juin 2018, la coordination des sauvetages était dévolue aux autorités italiennes, plutôt qu’à Tripoli ; les garde-côtes italiens coordonnaient les opérations de sauvetage des ONG et menaient eux-mêmes des sauvetages. « À l’époque, un port nous était assigné dans les heures qui suivaient les sauvetages, comme le prévoit le droit maritime. » se souvient Sophie Beau. « Aujourd’hui, l’attente en mer peut atteindre plus de 10 jours, et les autorités maritimes compétentes n’assument pas leurs responsabilités. »

En 2016, les équipes de l’Aquarius – ancien navire affrété par SOS MEDITERRANEE – et les garde-côtes italiens collaboraient aux sauvetages de manière régulière. Ici, 112 personnes rescapées secourues par nos équipes étaient transférées vers une navette italienne pour les ramener en lieu sûr, alors que l’Aquarius retournait sur zone de sauvetage en ce 24 décembre 2016.
Crédits : Kevin McElvaney / SOS MEDITERRANEE

Alors que fin juillet/début août 2022, près de 1 500 personnes avaient été secourues par les navires humanitaires de SOS MEDITERRANEE, Médecins Sans Frontières (MSF) et Sea Watch, nos trois associations ont uni leurs voix pour demander, dans un communiqué de presse conjoint, que des moyens de sauvetage étatiques européens soient enfin remis en place, à la mesure de cette situation humanitaire insoutenable.

Lire les récapitulatifs de nos missions dans la rubrique Sauvetage de notre site

Morts en Méditerranée

Le seuil des 1 000 personnes disparues en Méditerranée centrale en 2022 a été franchi en ce début septembre, selon l’Organisation mondiale pour les migrations[1]. Au-delà du manque criant de moyens de sauvetage – seuls quelques navires d’ONG sont présents, en l’absence totale de moyens de sauvetage étatiques européens – doublé du manque de coordination effective des opérations de secours en mer, en été, les risques sont importants, notamment en raison dela déshydratation lorsque les personnes dérivent plusieurs jours sans eau, en plein soleil.  Tous les navires humanitaires, dont celui de SOS MEDITERRANEE, ont fait la tragique expérience par le passé de retrouver des corps sans vie sur les embarcations secourues.

Parfois aussi, les rares secours civils ne pouvant répondre à tous les appels de détresse à temps, il nous arrive de faire face à une embarcation en détresse avec plusieurs personnes tombées à la mer. Ainsi le 27 juin dernier, Médecins Sans Frontières a indiqué être parvenue à secourir 71 naufragé.e.s mais 30 personnes, dont cinq femmes et huit enfants, étaient porté.e.s disparu.e.s. Une femme enceinte est par ailleurs décédée sur le pont de son navire peu de temps après avoir été secourue.  En outre, lors de plusieurs sauvetages opérés par nos équipes, des rescapé.e.s ont déclaré que des personnes étaient tombées à l’eau lors de la traversée avant de pouvoir être secourues.

Et combien d’autres ont sombré sans témoins alors que les États européens détournent le regard ?

L’une des quatre embarcations vides repérées en ce 24 août à proximité d’une position de détresse communiquée à l’Ocean Viking par Alarm Phone dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne dans les eaux internationales. Sans coordination ni la moindre communication des autorités maritimes en charge, le sort des personnes qui étaient à bord reste inconnu.
Crédits : Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE

Lire les derniers numéros de Regards sur le Méditerranée centrale pour les détails du contexte en mer.

Longs blocages avant les débarquements

Loin de remplir leur devoir légal de coordination pour préserver la vie des personnes en détresse en mer, les autorités continuent d’imposer de longs blocages en mer aux navires de sauvetage civils, en l’absence d’un mécanisme systématique de débarquement. « Ces personnes dorment sur le pont, elles dorment sur du bois, elles dorment sur des plaques de métal. Certaines souffrent de déshydratation, beaucoup souffrent d’insomnie, certaines ont été blessées pendant leur voyage et ne peuvent pas dormir du tout. Il y a aussi des enfants qui pleurent constamment parce qu’ils ont été séparés de leurs parents » expliquait Xavier Lauth, dans un énième appel aux autorités pour obtenir un lieu sûr où les débarquer. Il aura fallu sept jours avant que ces rescapé.e.s puissent enfin poser le pied à terre.

Alors que le mois d’août vient de prendre fin, rien ne semble indiquer que les tentatives de traversées vont se réduire en cette rentrée.

* FICR : Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

[1]https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean?region_incident=All&route=All&year%5B%5D=10121&month=All&incident_date%5Bmin%5D=&incident_date%5Bmax%5D=

Photo en haut de la page: Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE

Source https://sosmediterranee.fr/sauvetages/ete-chaud-meurtrier/

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