Frontière de l’Evros : violence, déshabillage, expulsions

Un interprète afghan de l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, a été agressé par les autorités grecques, qui l’avaient pris pour un migrant. Après son arrestation, il a été contraint de monter dans un canot sur la rivière Evros, direction la Turquie.

C’est un incident qui pourrait changer la donne. Un interprète afghan travaillant pour l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex a déclaré avoir été agressé par des garde-frontières grecs, qui l’avaient pris pour un demandeur d’asile, rapporte le New York Times.

Le 3 septembre dernier, alors qu’il se rendait en bus dans la ville grecque de Thessalonique, la police l’a forcé à descendre, avec un certain nombre de migrants. Roué de coups, déshabillé de force, l’interprète a ensuite été emmené dans un entrepôt isolé où étaient détenues « au moins 100 autres personnes, dont des femmes et des enfants ». Tous ont été forcés à monter dans des canots et poussés à traverser la rivière Evros, pour rejoindre la Turquie.

Membre d’une équipe d’experts déployée pour aider les garde-frontières à communiquer avec les demandeurs d’asile, il s’est retrouvé dans le pays sans téléphone, sans argent et sans papiers, que les policiers grecs lui avaient volés. L’homme a fini par atteindre Istanbul, où il a reçu une assistance consulaire des autorités italiennes.

Plusieurs fois durant son arrestation, il a essayé de dire aux policiers grecs qu’il travaillait pour l’Union européenne (UE). Mais « ses tentatives […] se sont soldées par des rires et des coups ».

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Pour le journal américain, ses dires « sont particulièrement problématiques pour les fonctionnaires grecs, car [la victime] est un résident légal de l’UE [il vit en Italie], et employé par une de ses agences ». D’autant plus qu’il dispose de preuves tangibles, sous la forme d’enregistrements audio et vidéo, qui étayent les abus qu’il a subis.

L’affaire a d’ailleurs fait réagir jusqu’aux hautes sphères de l’institution. La commissaire européenne chargée des migrations, Ylva Johansson, a déclaré avoir appelé l’interprète vendredi dernier et s’est dit « extrêmement préoccupée » par son récit. « Son affirmation selon laquelle il ne s’agissait pas d’un cas isolé est un problème grave », a-t-elle ajouté.

Après cette discussion, Ylva Johansson s’est entretenue lundi avec Takis Theodorikakos. Le ministre grec de la Protection des citoyens lui a promis d’enquêter sur les allégations de l’interprète. Mais son cabinet a dans le même temps indiqué dans un communiqué que, d’après les premières enquêtes effectuées, « les faits ne sont pas tels qu’ils sont présentés ».

« Déshabillages de masse »

Des accusations telles que celle-ci sont régulièrement rapportées par les migrants aux ONG et à la presse. En octobre, un ex-policier grec confirmait même à InfoMigrants avoir pratiqué des « pushbacks » illégaux, et renvoyé lui-même 2 000 personnes vers la Turquie. « Régulièrement, mes collègues m’appelaient pour me prévenir qu’ils allaient venir avec des migrants. Ils étaient généralement rassemblés par groupe de 10 environ. Mon rôle était simple : je les faisais monter sur mon bateau, souvent à la tombée de la nuit et je les ramenais vers les côtes turques », avait-il raconté.

Des agressions physiques et des humiliations sont aussi très régulières. En juin, les autorités turques avaient partagé une photo d’un petit groupe de migrants totalement nus. D’après eux, ils avaient été arrêtés en Grèce, battus, déshabillés, privés d’eau et de nourriture, et renvoyés de force de l’autre côté de la frontière. Le procédé est également documenté dans un rapport du Border Violence Monitoring Network. Selon le réseau d’organisations, en 2020, 44% des témoignages enregistrés décrivent des cas de déshabillage forcé. Des « déshabillages de masse, avec jusqu’à 120 personnes enfermées dans le même espace de détention » sont monnaie courante.

>> À (re)lire : La frontière de l’Evros, un no man’s land grec ultra-militarisé où « personne n’a accès aux migrants »

Ces pratiques, pourtant connues depuis de nombreuses années, ont toujours été réfutées par le gouvernement grec. Ce mois-ci, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a une nouvelle fois rejeté les accusations d’abus contre les migrants par les autorités du pays. Il a qualifié sa politique migratoire de « dure, mais juste ».

Cette même politique – couplée à une forte militarisation de la frontière – occasionne, aussi, des morts. À Alexandropoulis, près de la frontière turque, un médecin-légiste se charge de leur redonner une identité. Entre janvier et octobre, il a autopsié 38 corps. Chaque semaine, le médecin reçoit des mails de familles désespérées, et prend le temps de répondre à chacun d’eux. Les corps non-identifiés et non réclamés sont envoyés dans un cimetière de migrants anonymes. Perdu dans les collines, il compte environ 200 tombes.

Source https://www.infomigrants.net/fr/post/36995/frontiere-de-levros–roue-de-coups-et-deshabille-de-force-un-interprete-afghan-de-frontex-accuse-les-gardefrontieres-grecs

Des mobilisations victorieuses en Grèce sur fond d’État policier

 

A. Sartzekis

Les commémorations de la révolte et du massacre des étudiantEs de l’université Polytechnique sous la junte des colonels en 1973 constituent chaque année un assez fiable baromètre de la température sociale et politique en Grèce.

Si l’an passé, le gouvernement de droite extrême de Mitsotakis avait prétexté la pandémie pour interdire les manifs – qui avaient pourtant eu lieu ! –, cette année, le prétexte aurait été trop gros, alors que la politique du Premier ministre commence à être massivement désavouée, quels que soient les efforts des médias aux ordres (auxquels le pouvoir a généreusement distribué 40 millions d’euros). Ce 17 novembre, les manifs ont été massives un peu partout, et bien sûr à Athènes (30 000 manifestantEs), avec présence impressionnante de la jeunesse, et même si Mitsotakis n’a pas osé pousser la provocation (tout en déployant 6 000 policiers), la répression a été forte à Salonique, avec aussi des intimidations pour empêcher les jeunes d’aller aux manifs.

Un automne social prometteur ?

Ce qui change ces derniers mois, c’est avant tout le climat social. Alors que le gouvernement adopte des lois patronales sur mesure, de très grosses mobilisations ont eu lieu récemment : grève générale et totale des marins les 10 et 11 novembre, grève victorieuse des travailleurEs de la zone portuaire du Pirée contre l’entreprise chinoise Cosco, propriétaire de presque tout le port industriel, après la mort d’un ouvrier victime des conditions de travail… Les mobilisations dans le secteur des livraisons et de la restauration ont culminé en septembre, avec une grève exemplaire des livreurEs de la société efood, soutenue par de nombreux clientEs qui ont alors résilié leur abonnement. Résultat : passage en CDI pour plus de 2 000 employéEs, avec prise en compte de l’ancienneté. La mobilisation dans le secteur s’est prolongée contre les conditions du travail précaire : nouvelle grève victorieuse pour des équipements de sécurité le 9 novembre… Et contre le refus de leur direction syndicale d’une mobilisation accrue contre l’évaluation, de nombreux enseignantEs continuent la bataille contre une ministre peut-être pire que Blanquer !

Fuite en avant à droite toute

Face à cette colère croissante, la droite est visiblement inquiète et quelques signes indiquent un début de division. Mitsotakis choisit de renforcer le cours « orbanesque », appuyé sur le courant d’extrême droite dans son parti et au gouvernement. Ainsi, alors que des enquêtes internationales indiquent que c’est en Grèce que l’antisémitisme s’affiche le plus en Europe, il a cet été nommé ministre de la Santé un ancien avocat fasciste (fils de l’idéologue grec du nazisme) connu pour ses déclarations antisémites, provoquant l’inquiétude de la communauté juive, et perçu comme une provocation face à une situation sanitaire fort grave (chaque jour environ 80 à 90 morts du virus), la droite refusant de renforcer l’hôpital public. Une série de lois renvoyant aux périodes sombres ont été votées, telle celle sur un code pénal réprimant la liberté d’expression… Les services de renseignements, placés sous le seul contrôle de Mitsotakis, fliquent des journalistes, des avocatEs, des militantEs. La police semble pouvoir faire ce qu’elle veut : récemment, un jeune Rom a été tué (36 balles tirées) par des policiers ayant d’ailleurs désobéi aux ordres d’arrêter la poursuite… et soutenus par le ministre (ex-député fasciste) du Développement et par le ministre de la Police ! Ce climat d’intimidation lié à une politique ultra-libérale catastrophique, loin de provoquer la soumission recherchée, renforce une combativité évidente au quotidien. Étape suivante : comment dans la période à venir faire s’amplifier et s’organiser largement cette combativité, face à des lois récentes instaurées contre le droit de grève et les syndicats de lutte ? 

Source https://lanticapitaliste.org/actualite/international/des-mobilisations-victorieuses-en-grece-sur-fond-detat-policier

Guadeloupe Martinique Grève générale

Après la Guadeloupe, la Martinique en grève générale : « nous lançons un appel aux travailleurs français »

24 novembre 2021 Maïa Courtois

 Les habitants de Martinique, dans la foulée de la Guadeloupe, lancent une grève générale. La Polynésie française pourrait en entamer une aussi, dès ce mercredi 24 novembre. Sur ces trois territoires, l’obligation vaccinale a été le point d’achoppement à l’origine du mouvement. Mais les revendications dépassent ce seul conflit, et remettent sur la table des enjeux de pauvreté, d’état des services publics et de scandales sanitaires. 

 Dans les rues de Fort-de-France, lundi 22 novembre, près d’un millier de Martiniquais a défilé dans le cadre d’une grève générale initiée par 17 syndicats. Des blocages et des piquets de grève sont apparus, de Fort-de-France à la commune du Lamantin. « Trois ou quatre zones commerciales ont été bloquées, ainsi que le port de Fort-de-France », relate Gabriel Jean-Marie, secrétaire générale de la CGT Martinique (CGTM), premier syndicat du territoire.

Le discours d’Emmanuel Macron du 12 juillet, sur l’obligation vaccinale pour les soignants et l’application du passe sanitaire, en a été le déclencheur. « Dire que l’on va suspendre leur contrat de travail à des gens qui ont 20 ans d’expérience comme soignants, et qui ont bossé pendant des mois sans protection, sans blouses, dans les conditions que vous connaissez… Ça a été la goutte de trop », retrace Gabriel Jean-Marie. « Les soignants sont en première ligne ; mais tous les autres corps de métiers – enseignants, agents territoriaux, pompiers…- sont impactés par ces obligations », précise Thierry Jeanne, à la tête de l’UNSA Territoriaux en Martinique.

Au cours de cette allocution, le chef de l’État avait également évoqué la réforme des retraites ou de l’assurance-chômage. Après plusieurs mois de mobilisation, « nous avons donc ajouté un certain nombre de revendications, et appelé le monde du travail à se mettre en grève générale », souligne Gabriel Jean-Marie. Deux syndicats avaient appelé à la commencer dès le 15 novembre ; la quasi-totalité du monde syndical l’a initiée ce lundi.

 Guadeloupe, Martinique, Polynésie : effet boule de neige ?

 La grève générale martiniquaise se structure en parallèle de celle en cours en Guadeloupe. « Depuis le 17 juillet, des milliers de Guadeloupéens manifestent toutes les semaines, pour demander l’ouverture de négociations, autour de leurs revendications. Ni le préfet, ni les maires, ni personne d’autre ne nous a considérés », affirme Elie Domota, porte-parole du LKP, dans le journal radio de Guadeloupe La 1ère. Là encore, l’obligation vaccinale a été le déclencheur des manifestations. Depuis le 15 novembre, une grève générale a été lancée. Lundi 22 novembre, Emmanuel Macron a dénoncé des « manipulations par certains de cette situation », en martelant : « on ne peut pas utiliser la santé des Françaises et des Français pour mener des combats politiques ».

Assiste-t-on à un effet d’entraînement entre territoires ? La Guadeloupe et la Martinique ne sont distantes que « de plusieurs dizaines de kilomètres, avec beaucoup de contacts entre les familles », rappelle Gabriel Jean-Marie. D’une île à l’autre, « c’est le même combat. Mais il ne va pas forcément prendre la même forme, avec les mêmes débordements, en Martinique », juge de son côté Thierry Jeanne.

En Polynésie française aussi, une grève générale illimitée pourrait être lancée dès ce mercredi 24 novembre. Quatre confédérations syndicales ont déposé un préavis de grève, dont les revendications résonnent avec celles de Guadeloupe et de Martinique. Retrait de la loi sur l’obligation vaccinale, refus de la réforme de la Caisse de Prévoyance Sociale, application de la loi sur la protection de l’emploi local, augmentation du pouvoir d’achat… Sur ce dernier point, il est demandé une « revalorisation du pouvoir d’achat à 4% » côté public ou une « revalorisation des minimas des grilles salariales dans les secteurs d’activités du pays à 5% » côté privé, détaille Tahiti Infos.

 « L’explosion sociale »

 En Guadeloupe, une plateforme de 32 revendications a été présentée. Elle avait déjà été communiquée aux autorités, le 2 septembre. L’accès à des services publics de qualité (dont les défaillances ont été décryptées par Bastamag), est au coeur des demandes.

« Le gouvernement veut réduire la mobilisation à un simple mouvement contre la vaccination, camoufler la profondeur de la crise et les revendications au cœur de l’explosion sociale », estime Sud PTT dans un communiqué de soutien publié le 23 novembre. Or, au-delà des enjeux sanitaires, il s’agit « d’une légitime colère contre les discriminations dont sont victimes les guadeloupéen·e·s, l’état des services publics ou les mensonges d’Etat concernant le chlordécone ». La Poste a ainsi supprimé près de 50 emplois en Guadeloupe courant 2021, malgré le contexte social difficile, souligne le syndicat.

 L’obligation vaccinale, « sujet du jour » ou simple déclencheur ?

 Le 14 novembre, les ministres Olivier Véran et Sébastien Lecornu ont repoussé la date d’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale en Martinique au 31 décembre. Insuffisant pour calmer les esprits : « on demande l’abrogation de cette loi. D’ailleurs, Macron avait déclaré que jamais il ne mettrait en œuvre l’obligation vaccinale…», martèle Gabriel Jean-Marie. Et d’insister : « nous militons contre l’obligation vaccinale ; mais pas contre la vaccination ! »

Les 17 syndicats martiniquais ayant signé le préavis de grève générale présentent dix revendications. Parmi celles-ci : la fin de l’obligation vaccinale, mais aussi la hausse des salaires et des minima sociaux, et la baisse du prix des carburants. Ou encore, la prise en charge totale des tests de chlordéconémie, une maladie liée au chlordécone, cet insecticide utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 qui pollue encore les sols.

Pour Thierry Jeanne, la priorité de cette grève générale doit être « la solidarité avec les soignants ». L’obligation vaccinale est « le sujet du jour » ; les autres revendications doivent rester « en toile de fond ».  Mais toutes les forces en présence ne tiennent pas le même discours. En Martinique comme en Guadeloupe, difficile de déterminer si l’obligation vaccinale est au coeur de la colère sociale, ou si elle n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

 Un « gouvernement d’incendiaires »

 Le dialogue avec les autorités semble, dans tous les cas, rompu. « Dans un courrier daté du 29 septembre 2021, le préfet rejetait l’ensemble des propositions et mettait fin à toutes négociations », rappellent, dans un communiqué du 19 novembre, les Organisations en lutte contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire en Guadeloupe. « La seule réponse des services de l’Etat et des patrons du privé : arrestations arbitraires, harcèlement des travailleurs, violences policières, condamnations, suspension des contrats de travail ».

« Il faut que l’ordre public soit maintenu » en Guadeloupe, a soutenu Emmanuel Macron le 22 novembre. Le GIGN et le Raid ont été envoyés sur place, à l’issue d’une cellule de crise interministérielle le 20 novembre. « Lorsque vous envoyez les unités d’élite, ce n’est pas pour calmer les choses, mais les envenimer », observe Gabriel Jean-Marie. Ce dernier dénonce un « gouvernement d’incendiaires, qui jette de l’huile sur le feu ».

En Martinique, la deuxième revendication affichée par les syndicats dans leur préavis de grève est « l’arrêt de la répression qui frappe les salariés en lutte ». Gabriel Jean-Marie évoque les soignants qui avaient été menottés et interpellés mi-octobre devant le CHU de Fort-de-France. À l’image des forces de l’ordre envoyées en Guadeloupe, tout ceci s’inscrit, à ses yeux, dans une « histoire ancienne de la répression coloniale ».

 De 2009 à aujourd’hui, le défi du front commun

 Les revendications présentées en Guadeloupe comme en Martinique ressemblent à celles mises en avant lors des grèves générales de 2009. Les syndicats ont en tête ce modèle historique de mobilisation populaire. « La pauvreté n’a pas évolué depuis 2009 ; le pouvoir d’achat n’a pas augmenté depuis 2009, malgré beaucoup de promesses. Forcément, ça ne peut que faire écho », estime Thierry Jeanne.

« Nous lançons un appel aux travailleurs de France », répète Gabriel Jean-Marie, qui espère cette fois transformer l’essai. « Le combat que nous menons, c’est celui que mènent de nombreux travailleurs sur leurs conditions de travail précaires ou le prix des carburants ». Mais la jonction avec l’Hexagone n’est pas évidente. En 2019, les Gilets Jaunes avaient repris des revendications et des modes d’action (comme l’occupation de ronds-points) expérimentés aux Antilles en 2009. Avec dix ans d’écart. « Les Gilets Jaunes, c’était une déflagration, mais en différé », observe le leader syndical.

Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? Gabriel Jean-Marie ne désespère pas de faire front commun. « Nous disons aux travailleurs français : le gouvernement qui nous opprime, c’est le même. Plutôt que de s’observer et de lancer des mouvements séparés, unissons nos forces ».

Source https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/apres-la-guadeloupe-la-martinique-en-greve-generale-nous-lancons-un-appel-aux-travailleurs-francais-112411890

France : La dette ne met pas en danger le pays

[Video] Eric Coquerel : « Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne mettra pas en danger le pays »

24 novembre par Eric Coquerel , regards.fr

La dette sera sans doute l’un des grands débats de la campagne présidentielle. À qui appartient la dette ? Faut-il la supprimer ? Éric Coquerel, député de la France insoumise, auteur de Lâchez-nous la dette aux Éditions de l’Atelier, est l’invité de #LaMidinale. Interview et vidéo réalisées par regards.fr

Sur la dette : grave ou pas grave ?

  • « La dette n’est pas grave. »
  • « De manière absolue, la dette globale par rapport à un Etat aussi riche que la France – si on veut bien voir le patrimoine global de la France – est quelque chose que l’on peut très bien assumer. »
  • « Les libéraux nous présentent toujours la dette comme un stock. »
  • « Si vous achetez un appartement sur 30 ans, personne n’aura l’idée de comparer le prix que ça va vous coûter sur 30 ans sur un an de revenus. C’est ce que font les libéraux en permanence. »

Sur la dette Covid

  • « La dette Covid est une bonne méthode. Une méthode que je propose d’appliquer pour la dette globale. »
  • « La dette Covid qui pèse pour 20% de la dette globale, soit environ 700 milliards d’euros et qui n’a pas été utilisée entièrement par le gouvernement, on pourrait l’annuler sans trop de douleur, si ce n’est au prix d’un peu d’inflation. »

Sur les dettes illégitimes

  • « Les dettes illégitimes sont des dettes qui ont été créées non pas pour servir l’intérêt général mais plutôt pour venir au secours de l’économie capitaliste. »
  • « En 2009, après la crise des subprimes, Nicolas Sarkozy décide de venir au secours des banques. L’État prête de l’argent aux banques et on a augmenté le déficit des près de 400 milliards. On a socialisé les pertes des banques sans contraintes. On peut estimer que cette dette-là est illégitime. »
  • « Les dettes causées par la baisse des recettes et des impôts, notamment des impôts des plus riches. On paye avec nos déficits et la dette, les cadeaux aux plus riches. C’est un autre type de dette illégitime. »

Sur la dette privée

  • « Si on parlait de la dette privée en permanence – comme on le fait sur la dette publique – comme un peu dans un roman policier, on dévoilerait le coupable c’est-à-dire le système capitaliste financiarisé. »
  • « Pour continuer à consommer, on contraint les ménages à prendre des crédits de plus en plus dangereux. C’est typiquement la crise des subprimes aux États-Unis. »
  • « La dette privée est le révélateur du rapport de force entre le capital et le travail. »

Sur l’annulation de la dette

  • « Il y a deux façons d’annuler la dette : il y a une façon indolore et qui pourrait presque passer inaperçu. C’est l’idée qu’on laisse rouler la dette de manière éternelle. Elle va s’éteindre d’elle-même (…). Il y a une autre manière qui consiste à créer de la masse monétaire. On va racheter la dette, ça va créer un peu d’inflation mais dans la période, ça sera quelque chose de très faible. »
  • « Si le politique reprend le pouvoir sur la question de la dette – c’est-à-dire la souveraineté du peuple et non celle des marchés – on peut décider d’annuler la dette ou de la prolonger. »
  • « Dans l’histoire, il y a eu des annulations de dette, ne serait-ce qu’en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale. »

Sur les États et la dette

  • « Un État c’est solide. Les investisseurs ne rêvent que d’une chose : c’est de prêter aux États. »
  • « La France ne peut pas être en faillite. Le patrimoine de la France est tellement énorme que la dette ne peut pas mettre en danger le pays. »
  • « Il faut arrêter avec l’indépendance des banques centrales. »
  • « Jusque dans les années 80, la dette n’était pas placée sur les marchés financiers. C’est quelque chose de très nouveau. »

Sur les plans de relance et le quoi qu’il en coûte

  • « Les libéraux ont rompu avec les traités européens. »
  • « Quand les choses vont mal, les libéraux trouvent l’État bien utile pour aider. »
  • « En France, on a très peu utilisé la dette Covid, celle qui a été mise à la disposition de chaque État par la BCE. »

Sur l’utilité de la dette

  • « Il faut définanciariser la dette. On doit pouvoir avoir une maîtrise de notre dette. »
  • « Si la dette sert à faire des cadeaux au capital et à la rente, aux entreprises sans conditions et sans garanties, elle ne sert à rien. Une grande partie du quoi qu’il en coûte a consisté à prêter de l’argent aux entreprises sans contrepartie. En 2021, les entreprises du CAC40 ont fait 51 milliards de dividendes en supprimant dans le même temps 60.000 postes. »

Sur les marges de manœuvre

  • « Revenir à l’ISF, en finir avec la flat tax, revenir sur des niches fiscales, taper sur l’évasion fiscale à travers un impôt sur les entreprises : on peut récupérer facilement 120 milliards d’euros par an. Ça fait des marges de manœuvre pour financer la transition écologique. »

Sur le qui va payer la dette

  • « Pour les cinq ans à venir, les libéraux proposent une baisse historique des dépenses publiques. Et pour être sûr de faire ça, ils proposent une loi pluriannuelle. »


La suite du verbatim est à lire sur www.regards.fr

Source http://www.cadtm.org/Video-Eric-Coquerel-Le-patrimoine-de-la-France-est-tellement-enorme-que-la

 

Italie : la mobilisation exemplaire des travailleurs·ses de GKN et l’Europe néolibérale

La fermeture de l’usine historique GKN, près de Florence, et la mobilisation ouvrière qui s’y déploie constituent un cas exemplaire à bien des égards. Celui-ci montre notamment que l’Union européenne n’est pas un cadre neutre mais un moyen pour les bourgeoisies du continent de mettre en concurrence les travailleurs·ses et les systèmes sociaux des différents pays qui la composent. 

***

« Nous avons les larmes aux yeux, un millier d’histoires humaines à raconter, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Nous ne sommes pas les pauvres travailleurs qui rentrent chez eux. Nous sommes dignité, fierté et résistance. Faites-vous une faveur en vous unissant à notre lutte. Insurgeons-nous ».

Ces phrases sont les premiers mots des centaines de travailleurs et travailleuses de l’usine historique GKN de Campi Bisenzio, près de Florence, lorsqu’ils ont appris par email début juillet la fermeture immédiate de leur usine – et donc leur licenciement.

422 employés, auxquels il faut ajouter au moins quatre-vingts travailleurs et travailleuses en sous-traitance (cantine, nettoyage, etc.). Certains d’entre eux y travaillaient depuis vingt ou trente ans, une vie passée à fabriquer des pièces détachées pour les plus grandes marques automobiles italiennes et européennes. Du jour au lendemain, à la rue. Malgré les raisons invoquées par la multinationale pour expliquer la crise, les travailleurs de GKN sont catégoriques : il ne s’agit pas d’une usine en crise, ici les commandes sont nombreuses et le travail constant.

Face à une décision qui leur semble absurde, les travailleurs et travailleuses décident de se battre : ils occupent l’usine et constituent une assemblée permanente, organisent des rassemblements et des manifestations gigantesques, font le tour de l’Italie pour construire un réseau de solidarité local et national, convoquent une assemblée de juristes solidaires pour rédiger avec eux une loi contre les licenciements et les délocalisations. Et ils obtiennent un large soutien de l’opinion publique et une très grande visibilité médiatique.

À gauche comme à droite, les déclarations de soutien des politiciens se succèdent, et le maire de Campi Bisenzio prend même un arrêté interdisant le transit des camions TIR pour empêcher la multinationale britannique de venir récupérer ses machines. Le gouvernement annonce même une loi anti-délocalisation pour laquelle il prétend vouloir s’inspirer de notre très inefficace « loi Florange ». Et les travailleurs gagnent une première bataille : en septembre, le tribunal du travail de Florence a annulé l’ouverture des licenciements collectifs pour « comportement antisyndical » de la direction. Mais il est évident que la multinationale n’abandonnera pas si facilement, et que la bataille ne s’arrêtera pas là.

De Campi Bisenzio, Birmingham, Offenbach… à Olesnica

On n’en parle pas beaucoup dans les journaux italiens, mais pendant ce temps, dans le nord industriel de l’Angleterre, les travailleurs de GKN-Driveline Birmingham vivent depuis des mois une situation très similaire à celle de Campi Bisenzio. En janvier 2021, GKN a annoncé la fermeture, prévue pour 2022, de son site automobile de Chester Road à Erdington – là encore un site historique de l’industrie métallurgique britannique datant des années 1930. Il s’agirait d’au moins 519 personnes licenciées, et jusqu’à 1 000 autres travailleurs de la chaîne d’approvisionnement qui pourraient perdre leur emploi.

Là aussi, les travailleurs se mobilisent et reçoivent des déclarations de solidarité de droite et de gauche. Le gouvernement propose d’investir dans la formation professionnelle et l’achat de nouvelles machines pour éviter la fermeture. En mai, les travailleurs présentent un business plan alternatif pour sauver leur usine – plan immédiatement rejeté par la multinationale. Il y a quelques semaines, les travailleurs de GKN Erdington se sont exprimés, avec 95 % de votes favorables et 95 % de participation, pour une grève illimitée contre la fermeture de leur usine.

Vu sous l’angle européen, on comprend mieux les enjeux de l’affaire de Campi Bisenzio. Lors de l’acquisition controversée de GKN par le fonds d’investissement britannique Melrose Industries pour 8,1 milliards de livres sterling en 2018, l’acheteur avait promis de mettre en avant le « bien-être des employés » de ses filiales. Ce qui ne l’a pas empêché bien sûr de faire exactement le contraire. Même avant les licenciements de Campi Bisenzio et d’Erdington, en effet, en 2019, la multinationale annonçait la fermeture de son usine GKN-Aerospace de Kings Norton, toujours à Birmingham, qui a fermé ses portes en mars 2021 : au moins 170 personnes ont été licenciées. Enfin, fin 2020, GKN/Melrose supprimait 540 emplois dans sa filiale allemande GKN-Driveline à Offenbach.

Ces licenciements ne sont pas le résultat d’une crise du secteur automobile ou de la multinationale, ou encore moins du site de Florence. Dans une récente interview, le PDG de GKN Automotive, Liam Butterworth, estimait que 102 millions de véhicules seront fabriquées en 2030 contre 89 millions en 2019, et se montrait particulièrement enthousiaste quant aux énormes possibilités offertes par la transition vers les véhicules électriques.

Avec 27 000 travailleurs et 51 sites de fabrication dans 20 pays différents, un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de livres sterling en 2019, l’entreprise se targue de fournir des composants à 90 % des constructeurs automobiles mondiaux pour 50 % des voitures produites dans le monde. Le PDG britannique entend doubler la taille de l’entreprise d’ici 2030 en restant à la pointe de la course à l’électrification. Par ailleurs, le site de Florence était en pleine reprise économique après le ralentissement dû à la pandémie : le premier trimestre 2021 avait montré une augmentation du chiffre d’affaires global de l’entreprise de 7% par rapport au dernier trimestre 2020, et un surplus budgétaire de 14%.

En d’autres termes, ces licenciements ne correspondent évidemment pas à une gestion économique axée sur les besoins des personnes ou de l’environnement, mais à une pure logique de spéculation financière. La devise de Melrose est « buy, improve, sell » : « achète, améliore et vends » – où « améliorer » signifie généralement réduire les coûts de main-d’œuvre et donc gonfler les dividendes des actionnaires. Il est très probable, notamment dans les cas de Birmingham et de Florence, que l’intention de l’entreprise soit de transférer la production vers d’autres pays de l’UE, en partie probablement vers Olesnica en Pologne, où les salaires sont plus bas et les syndicats plus faibles. Le fait est qu’immédiatement après l’annonce des fermetures d’usines, le cours de l’action de Melrose a recommencé à monter en bourse.

Le sort des travailleurs italiens, britanniques et allemands de GKN n’a rien d’original. Au contraire, c’est le sort commun de centaines de milliers de travailleurs dans l’Europe du capital que nous avons construite depuis soixante-dix ans. Une Union européenne qui consacre la libre circulation des marchandises, des capitaux et des entreprises, et qui est fondée sur la concurrence fiscale, sociale et salariale entre les États membres. Dans cette Union européenne, les quelques instruments censés protéger les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont trop faibles et inefficaces pour être d’un quelconque secours à ceux qui tentent aujourd’hui de sauver leur usine à Campi Bisenzio. Et pourtant il aurait pu en être autrement.

Démocratie économique

L’extrême assujettissement des travailleurs et des travailleuses face à la toute-puissance des multinationales et du capital financier en Europe et dans le monde n’est pas le fruit du hasard ou de la fatalité. Il est le résultat de décennies de lutte de classe qui, depuis la seconde moitié des années 1970, a vu la réaffirmation progressive des intérêts du capital aux dépens d’une classe ouvrière de plus en plus fragmentée – et cela non seulement au niveau local ou national, mais surtout à l’échelle transnationale. Dans ce scénario, le rôle de la « construction européenne » a été crucial.

À la fin des années 1960 déjà, l’imbrication croissante des économies européennes et mondiales, ainsi que le pouvoir grandissant des entreprises multinationales en Europe, rendaient évidentes la nécessité pour les gauches de s’organiser de manière transnationale. C’est à cette époque que le projet d’une « Europe sociale » – ou « Europe des travailleurs » – prit véritablement racine à gauche. En lieu et place de l’Europe libérale qui s’était construite depuis la guerre, la plupart des partis et syndicats socialistes, et même certains des partis et syndicats communistes européens, commençaient alors à appeler à une réforme des politiques et institutions de la Communauté européenne (qui ne s’appelait pas encore Union européenne) qui servirait les intérêts des travailleurs et travailleuses.

Ce projet promouvait la redistribution des richesses, la régulation des marchés et la planification économique, l’harmonisation sociale et fiscale, l’augmentation des fonds sociaux et régionaux européens, un plus grand contrôle des mouvements de capitaux, des grandes entreprises et des multinationales, la redistribution du travail par la réduction du temps de travail, etc. Et tout cela, pas uniquement au niveau national, mais au niveau continental ; formant ainsi une idée d’Europe très différente de l’Europe néolibérale qui allait ensuite s’affirmer progressivement, surtout depuis les années 1980.

L’une des principales revendications de cette « Europe des travailleurs » était la démocratisation de l’économie et des entreprises. La question avait été mise en lumière à la suite du réveil de la combativité ouvrière depuis la fin des années 1960 : assemblées de travailleurs, grèves sauvages, occupations d’usines et expériences d’autogestion ouvrière, comme l’emblématique entreprise LIP en France, exprimaient la volonté des travailleurs de peser dans la gestion des entreprises. Cet élan fut repris par la gauche européenne, bien que sous des formes variées et divergentes, y compris en fonction du contexte national. Par exemple, alors qu’en France se répandait surtout l’idée d’autogestion des usines par les ouvriers, en Allemagne, c’est l’idée de la cogestion par des représentants des ouvriers et du patronat qui dominait.

Dans les années 1970, la question inspira de nombreuses propositions de réforme en Europe. En Italie, l’apparition des conseils d’usine après 1968 et le Statut des travailleurs de 1970 renforcèrent le rôle des travailleurs et de leurs représentants syndicaux dans les entreprises. En Allemagne, la loi de 1976 sur la codétermination (Mitbestimmung) étendit la participation des représentants des travailleurs aux conseils de surveillance (mais pas aux conseils de direction) à toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés.

Au Royaume-Uni, le rapport Bullock de 1977, commandé deux ans plus tôt par le Premier ministre travailliste Harold Wilson (mais jamais mis en œuvre), allait beaucoup plus loin que la codétermination à l’allemande, en formulant une proposition connue sous le nom de « 2x + y », qui prévoyait le même nombre d’administrateurs choisis par les travailleurs et les employeurs au sein du conseil d’administration, complété par un certain nombre d’administrateurs nommés par l’État. En Suède, le Plan Meidner présenté en 1975 par la principale confédération syndicale du pays, LO, visait à la socialisation progressive de la propriété des entreprises.

La question de la démocratisation de l’économie se posa également au niveau européen, tant par le biais des syndicats – qui s’organisaient et s’unifiaient alors à l’échelle du continent avec la création en 1973 de la Confédération européenne des syndicats (CES) – que par celui de la social-démocratie européenne, qui connaissait alors d’importants succès électoraux. Ainsi, la Commission européenne élabora une série de propositions – systématiquement écartées ensuite par le Conseil européen – visant à garantir la représentation des travailleurs dans la gestion des entreprises ou à créer des comités d’entreprise transnationaux.

À ces tentatives de renforcer le contrôle des travailleurs dans les entreprises s’ajoutaient celle du mouvement syndical international – reconstruite par Francesco Petrini – d’établir un contrôle démocratique sur les multinationales. Face au phénomène émergent des délocalisations ou des techniques d’évitement fiscal adoptées par les grandes entreprises, le syndicalisme international développa diverses stratégies pour endiguer la perte de pouvoir d’organisation et de négociation qui en résultait pour lui.

Tout d’abord, les syndicats essayèrent de développer des structures syndicales transnationales au niveau de l’entreprise, les Comités d’entreprise mondiaux. Deuxièmement, ils s’activèrent au sein d’organisations internationales telles que les Nations unies et l’Organisation internationale du travail afin d’obtenir un cadre juridique pour réglementer les activités des multinationales. Cette tentative, qui trouvait un allié important dans le mouvement des pays du tiers monde, se heurta à une forte résistance de la part du big business et des gouvernements qui le représentait (États-Unis en tête) et n’aboutit qu’à l’adoption de codes de conduite vagues et non contraignants pour les multinationales.

La troisième stratégie se développa au sein de la Communauté européenne (CE), la seule organisation internationale dotée de pouvoirs législatifs supranationaux. Ici, les tentatives de démocratisation des entreprises et de contrôle des multinationales culminèrent avec la proposition d’une directive européenne sur l’information et la consultation des travailleurs dans les sociétés transnationales. Celle-ci fut présentée en 1980 par le commissaire européen aux affaires sociales, le travailliste néerlandais Henk Vredeling – un des principaux promoteurs des revendications syndicales et socialistes en faveur d’une « Europe sociale » – qui réussit à faire adopter sa proposition par la Commission, malgré les fortes critiques et l’hostilité de la plupart des commissaires.

Bien qu’elle n’eût rien de révolutionnaire – il s’agissait d’information et de consultation, pas de codécision et encore moins d’autogestion – cette proposition était néanmoins considérée comme une menace sérieuse par les multinationales, car elle favorisait la possibilité pour les travailleurs de s’organiser au niveau transnational. Le texte stipulait que les décisions des entreprises multinationales sur toutes les questions « susceptibles d’affecter substantiellement les intérêts des travailleurs » (y compris les investissements, les fermetures ou transferts, les changements organisationnels majeurs, les fusions, etc.) seraient soumises à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs dans les filiales européennes. En outre, les entreprises concernées seraient soumises à des obligations de divulgation (concernant leur situation économique, leur production, leurs investissements, leurs projets de restructuration, l’introduction de nouvelles méthodes de travail et de nouvelles technologies, etc.).

En outre, le projet de directive visait à rendre les sièges des sociétés multinationales responsables devant les travailleurs de leurs filiales. En effet, la clause dite de « by-pass » permettait aux représentants des travailleurs d’entrer en consultation directe avec le siège de la société dans le cas où sa filiale locale ne fournirait pas d’informations satisfaisantes, même quand le siège serait situé en dehors de la Communauté européenne. Dans ce dernier cas, la société mère devrait désigner un « agent » au sein de la Communauté européenne pour informer et consulter les employés ; sinon, cette responsabilité incomberait à la plus grande filiale de la société au sein de la Communauté européenne.

La directive devait s’appliquer à toutes les entreprises multinationales comptant plus de 99 employés et à toutes les entreprises dont le siège social se trouvait en dehors de la Communauté européenne mais qui employaient plus de 99 travailleurs dans une de leurs filiales européennes. En bref, en s’attaquant au secret des affaires, en contournant la gestion locale et en étant applicable aux entreprises hors de la CE, la directive entendait frapper la liberté absolue et l’immunité aux négociations collectives dont jouissaient – et dont jouissent encore aujourd’hui – les entreprises opérant dans plus d’un pays. Enfin, par rapport à d’autres accords internationaux, la « directive Vredeling » aurait été juridiquement contraignante.

L’échec de la gauche européenne

Naturellement, la proposition de directive déclencha une réaction féroce de la part des multinationales et de leurs alliés politiques – et déclencha ce qui fut décrit à l’époque comme la campagne de lobbying la plus coûteuse de l’histoire du Parlement européen. Les milieux d’affaires européens, américains et internationaux déchaînèrent leurs pressions auprès de la Commission européenne, le Conseil et les États membres, mais aussi du Parlement européen et du Comité économique et social, qui n’avaient pourtant qu’un pouvoir consultatif. Les détracteurs décrivaient la directive comme une « véritable révolution ». L’UNICE – l’organisation du patronat européen, aujourd’hui BusinessEurope – rejeta fermement la proposition jugée « inacceptable » ; « inutile » étant donné qu’il existait déjà les codes de conduite (non contraignants) de l’OCDE, des Nations unies et de l’OIT ; préjudiciable à l’autorité des employeurs et à la compétitivité des entreprises au sein de la communauté.

Tout comme l’UNICE, d’innombrables chambres de commerce internationales et nationales, des organisations patronales, des multinationales européennes, américaines et japonaises, des politiciens et des fonctionnaires engagèrent des efforts constants pour s’opposer à la directive, en critiquer chaque détail, et retarder la procédure, dans le but de la faire enterrer. Au Congrès américain, des projets de loi furent même présentés pour protéger les entreprises américaines de la directive, par exemple pour empêcher les entreprises américaines de divulguer des informations en Europe.

Face à une contre-offensive aussi massive, comme pour toutes ses propositions pour une Europe sociale, la gauche européenne aurait dû intensifier ses efforts pour construire un bloc social et politique efficace. Outre la Commission et les États membres, l’un des principaux champs de bataille institutionnels était le Parlement européen qui, bien que n’ayant encore qu’un rôle consultatif, commençait à gagner en légitimité politique, notamment à la suite de sa première élection directe en 1979. Son avis pouvait donc influencer les décisions de Communauté, et les élites économiques en étaient bien conscientes. Malheureusement pour la gauche européenne, les élections de 1979 avaient marqué l’émergence d’une majorité de droite composée de conservateurs, de chrétiens-démocrates, de libéraux et de gaullistes. La gauche du Parlement européen aurait donc dû travailler très dur pour gagner le soutien de membres des autres groupes, notamment les chrétiens-démocrates de gauche, plus proches des syndicats.

La bataille n’était pas perdue d’avance ; au contraire, au cours des premiers mois, le Conseil et le Comité économique et social, ainsi que la commission des affaires sociales du Parlement, donnaient des signes encourageants pour la gauche européenne. Mais lors de la préparation des débats en séance plénière à l’automne 1982, la majorité de droite déposa près de 300 amendements tandis que l’attitude des députés socialistes ressembla à de l’auto-sabotage, entre absentéisme, manque de discipline dans le vote et une faible capacité à rallier des soutiens dans les autres groupes.

La directive fut donc démantelée au moment du vote. Au cours des années suivantes, le lobby industriel continua de faire pression pour enterrer la proposition, recevant pour cela une aide considérable du gouvernement britannique de Margaret Thatcher. La proposition de Vredeling fut donc officieusement abandonnée après des années de discussions peu concluantes. Le syndicalisme européen n’obtint donc presque rien après plus de dix ans de lutte – n’étant parvenu ni à organiser une mobilisation transnationale des travailleurs européens, ni à tenir tête au lobby patronal dans la bataille institutionnelle.

Comme pour d’autres batailles – celle sur la réduction du temps de travail, par exemple – la défaite de la gauche européenne sur la directive Vredeling était à la fois cause et symptôme d’un changement dans l’équilibre du pouvoir au niveau européen. Alors que l’hégémonie sociale-démocrate et l’intensité des luttes des « longues années 1968 » avaient semblé ouvrir une fenêtre d’opportunité pour la construction d’une Europe plus proche des intérêts des travailleurs, dès le début des années 1980 un tournant conservateur était clair, tant au sein de la Communauté européenne que de ses États membres.

Lutter dans une Europe néolibérale

L’Union européenne néolibérale d’aujourd’hui est le résultat de ces défaites, et plus généralement de la défaite subie par les travailleurs dans l’affrontement des longues années 1970, lors de l’essoufflement du « compromis keynésien ». À partir de la signature de l’Acte unique européen en 1986, l’UE n’a cessé d’accélérer la libéralisation des marchés des capitaux, des biens et des services, jusqu’à abandonner totalement l’idée de planification et de réglementation économique et sociale qui avait caractérisé le projet d’« Europe sociale ».

Les élargissements successifs et les accords commerciaux avec le reste du monde ont eux aussi favorisé une concurrence accrue entre les travailleurs en Europe et dans le monde. De plus, le syndicalisme confédéral européen, ainsi que la social-démocratie européenne et certains héritiers de l’eurocommunisme, se sont progressivement alignés sur le compromis néo-libéral, détruisant les chances déjà minces de réaliser une Europe « des travailleurs et des travailleuses ».

Dans l’ensemble, malgré quelques modestes extensions de la « dimension sociale » de l’UE (par exemple dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail), on peut dire que la politique sociale européenne a subi depuis les années 1980 ce que Wolfgang Streeck a appelé une « régression progressive » : elle a été de plus en plus orientée vers les objectifs de compétitivité, de flexibilité et de « restructuration » du marché.

Un exemple de cette régression est le sort de la directive Vredeling : après la défaite de ce projet, le principe d’information et de consultation des travailleurs européens est resté en sommeil pendant plusieurs années. En 1994, grâce à l’extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil, l’UE a finalement adopté une directive sur l’établissement de Comités d’entreprise européens (CEE), qui obligeait les entreprises de plus de 999 employés, dont au moins 150 dans deux pays européens différents, à négocier et à mettre en place un organe transnational de représentants des travailleurs, avec des droits légaux à l’information et à la consultation.

Toutefois, la directive adoptée en 1994 (révisée en 2009) est beaucoup moins ambitieuse que la directive Vredeling. En effet, les CEE ne sont pas obligatoires, mais doivent être négociés après une initiative d’au moins cent employés ; la directive ne fournit que des exigences générales au lieu d’un cadre commun sur les compétences, les procédures, le rôle et la composition du CEE ; elle favorise la flexibilité et encourage la création d’une culture d’entreprise pour faciliter la gestion ; elle ne s’étend pas aux établissements situés en dehors de l’UE ou de l’Espace économique européen ; et surtout, tous les CEE créés avant septembre 1996 (39% des plus de 1000 CEE existant aujourd’hui) sont exclus du cadre juridique contraignant de la directive.

En fait, les études montrent que les droits prévus pour les CEE sont très souvent ignorés et violés : seule une minorité des comités est informée avant que les décisions soient finalisées ou même rendues publiques ; près d’un tiers d’entre eux ne sont pas consultés du tout. C’est le cas de GKN, dont le CEE n’a absolument pas été informé ni consulté au sujet de la fermeture et des licenciements de Campi Bisenzio. Plus généralement, comme l’a récemment souligné l’Institut syndical européen, la démocratie industrielle est en net recul en Europe. Il suffit de constater la faiblesse des revendications de la Confédération européenne des syndicats concernant le débat actuel au sein de la commission des affaires sociales du Parlement européen sur une réforme de la directive CEE pour comprendre que cette tendance n’est pas prête de s’inverser.

Les travailleurs de GKN peuvent le constater par eux-mêmes aujourd’hui : l’Europe actuelle est loin d’être l’Europe « des travailleurs ». Le mois dernier, des membres du collectif des travailleurs de l’usine, ainsi que des militants de Potere al Popolo, ont rencontré des députés européens du groupe The Left. La réunion a confirmé l’absence, dans les traités et instruments européens, de protections qui pourraient venir en aide aux travailleurs de Florence. Le fait que GKN ait reçu des millions de fonds publics, italiens comme européens, et que la société continue à verser des dividendes à ses actionnaires est sans conséquences dans le cadre des règles européennes, comme l’a dénoncé le député européen Marc Botenga dans une question adressée à la Commission européenne.

Aujourd’hui, la bataille des travailleurs de GKN ne peut donc que se situer avant tout au niveau national. Les travailleurs demandent à juste titre au gouvernement italien d’intervenir par un décret d’urgence pour mettre fin aux fermetures et aux licenciements, et de prendre des mesures pour adopter une législation générale visant à lutter contre les délocalisations et le démantèlement du tissu productif, pour garantir la continuité de l’emploi. Ils ont même déposé il y a quelques jours leur propre projet de loi au Parlement italien. Empêcher, au sein de l’Union européenne et au-delà, les entreprises multinationales de profiter des disparités salariales, sociales et fiscales injustes entre les États membres, reste par contre aujourd’hui un objectif lointain.

Par ailleurs, les travailleurs de GKN à Campi, Birmingham et Offenbach continuent leur lutte de manière fragmentaire. En outre il n’existe pas aujourd’hui de mobilisation de masse pour un salaire minimum européen, pour une redistribution du temps de travail au niveau européen, etc. Tant que nous ne serons pas en mesure de commencer à organiser un contre-pouvoir populaire au niveau international qui réussisse là où la social-démocratie a échoué, nous ne serons pas en mesure de nous opposer réellement aux intérêts du capital et de renverser l’ordre européen et mondial hérité surtout des années 1970. Pour y arriver, il nous faudra tirer les leçons de l’histoire.

*

Aurélie Dianara est chercheuse post-doctorante en histoire européenne à l’Université d’Évry Paris Saclay, militante féministe, et membre de Potere al Popolo en Italie.

Illustration  : Michele Lantini.

Source  https://www.contretemps.eu/travailleurs-gkn-europe-neoliberale/

VioMe

En Grèce, l’usine de savons écolos grandit sans patron

En banlieue de Thessalonique, en Grèce, des travailleurs fabriquent et vendent des savons écolos sans patron. Voilà dix ans que la faillite de leur entreprise les a poussés à occuper l’usine et faire le choix, heureux, de l’autogestion.

Thessalonique (Grèce), reportage

« Il y a de la feta, de l’ouzo, du pain… Mangez avec nous ! » Il est 13 h 30 à Thessalonique, dans le nord de la Grèce, et c’est la fin de la journée de travail pour les ouvrières et ouvriers de l’usine VioMe [1]. Comme tous les jours, ils se retrouvent autour d’une grande table devant l’usine, discutent, boivent et mangent avant de rentrer chez eux. Leur histoire est un conte anticapitaliste que les milieux militants grecs aiment à raconter et qui inspire de nombreuses luttes.

En 2011, au plus fort de la crise économique, Filkeram & Johnson — le propriétaire de l’usine et l’un des principaux fabricants de matériaux de construction en Grèce — faisait faillite. Des centaines de personnes risquaient d’être licenciées, de nombreux salaires impayés. Qu’à cela ne tienne, les travailleurs réunis et déterminés décidèrent d’occuper l’usine. Occuper pour garder le matériel de production dans les locaux, occuper pour ne pas se résigner à la loi du marché, et réfléchir à une solution pour sauver les emplois. Sans salaire, ils ont pu compter sur la solidarité de nombreux collectifs de la ville qui ont organisé concerts et festivals de soutien, et de toute la société civile grecque. Les mois furent durs pour les travailleurs en lutte, et certains quittèrent l’usine.

« VioMe n’est pas en vente, l’usine appartient aux travailleurs », lit-on dans l’entrepot où sont stockés les produits finis. © Justin Carrette/Reporterre

Après deux ans d’occupation, ils créèrent la coopérative VioMe et relancèrent la production. Finis, les matériaux de construction, la poussière et les produits chimiques. « Au départ, on a cherché à produire les même matériaux de construction que l’on fabriquait avant. Mais la demande était très faible durant la crise économique, il n’y avait plus de chantiers. On nous a suggéré de trouver des produits qui pourraient être plus utiles à la société », raconte à Reporterre Fotini, jeune chimiste à VioMe, qui a rejoint l’aventure en cours de route. « Après de nombreuses recherches, on s’est tourné vers la fabrication de nettoyants et de produits d’entretiens naturels et biologiques. Ces produits sont très abordables et on les trouvait très peu dans les supermarchés grecs. »

Les moules qui sont utilisés pour mouler le savon. © Justin Carrette/Reporterre

Depuis, l’expérience autonome de VioMe se poursuit. Après la création de la coopérative en 2013 et la relance de la production, collectifs, coopératives, squats et associations se sont rapidement mobilisés pour proposer à la vente les produits de l’entreprise, en Grèce comme ailleurs. [2] Cela a permis de conserver une dizaine d’emplois sur le site, mais les travailleurs doivent toujours faire face à de nombreuses pressions des pouvoirs publics. Ces dernières années, l’électricité a été coupée à plusieurs reprises sans avertissement, pour cause de factures impayées par l’ancien propriétaire, mettant en péril la production. Là aussi, les travailleurs auto-organisés de VioMe ont trouvé la parade. Après une campagne de financement, ils ont pu acquérir un générateur à diesel pour alimenter l’usine et être totalement indépendants. « Ce n’est pas une solution à long terme et cela nous revient beaucoup plus cher vu le prix du pétrole, mais nous n’avons pas d’autre solution pour le moment », dit Fotini en haussant sa voix pour se faire entendre malgré le bruit de la machine.

Fotini à son bureau, avec l’écran permettant de surveiller l’entrée de l’usine. © Justin Carrette/Reporterre

Dimitris, lui, travaille ici depuis longtemps, bien avant la faillite de 2011. Il était là quand il y avait un patron et une hiérarchie. Sa veste sans manches et sur laquelle est brodé « VioMe 2006 » est d’ailleurs un vestige de l’époque. La coopérative est désormais son usine, son matériel, et il aime faire visiter les lieux, déambuler dans les entrepôts pour expliquer l’histoire de ces murs et le processus de fabrication des différents produits. « Ici, on est dans le laboratoire. C’est là que travaille Fotini », dit-il. La jeune chimiste est en effet assise à son bureau. « Les savons sont à base d’huile d’olive biologique, un produit abondant dans notre pays. Quant aux nettoyants naturels, ils sont produits à base de savon, de vinaigre, d’huile de coco ou de ricin etc., et contiennent des matières premières d’origine végétale provenant de sources renouvelables et non de sous-produits du pétrole », détaille Fotini.

Plusieurs variétés de savons sont proposés à la vente à Thessalonique, mais également dans des coopératives françaises et dans le monde. © Justin Carrette/Reporterre

« Nous avons des relations avec beaucoup d’associations et de collectifs écologiques radicaux. Il faut prendre cette lutte de manière holistique, et ce n’est certainement pas compatible de vouloir protéger l’environnement tout en maximisant les profits des grandes entreprises », poursuit Dimitris.

« Ouvrier, chimiste, ingénieur ou livreur, tout le monde a le même salaire »

Après le laboratoire, Dimitris poursuit la visite en présentant l’entrepôt où sont mélangés les composants des différents produits dans des grandes cuves en acier. Des travailleurs terminent leur journée de labeur. « Toutes les personnes que vous voyez dans l’usine — ouvriers, chimistes, ingénieurs ou livreurs — ont le même salaire. Toutes les décisions sont prises en commun et à l’unanimité lors de nos assemblées tenues à 7 h tous les matins. Hier, on a discuté de votre venue par exemple », explique Dimitris. « C’est un petit salaire qu’on touche pour l’instant, mais avec notre production, notre modèle économique est stable, on est même arrivé à recruter deux personnes récemment. »

Euripide revient de livraison sur son scooter. Il est salarié de la coopérative depuis quelques mois. © Justin Carrette/Reporterre

Tout près, un scooter vrombit. Euripide éteint le moteur, une cagette harnachée au véhicule. Il travaille ici depuis quelques mois. « Avant, je livrais des repas et maintenant, des savons. Ici, c’est plus qu’une simple usine, on tisse des liens forts entre nous. On fusionne notre travail et notre lutte politique. »

La visite se poursuit. De nombreuses affiches de festivals, de documentaires et de films retraçant l’histoire de cette expérience sociale hors-normes habillent les murs de l’usine. Le drapeau d’un comité antifasciste allemand décore également la pièce. « L’extrême droite n’est pas la bienvenue ici », résume Dimitris. « Nous sommes en lien avec de nombreux collectifs en lutte. Depuis 2015 et le début de la crise migratoire, on organise des collectes de produits de premières nécessité, des vêtements ou des évènements de solidarité pour les exilés. »

(Voir un diaporama de photos sur le site de reporterre)

Dans la pièce suivante, de grands cartons de tri accueillent le plastique dans l’un, et l’aluminium dans l’autre. Dimitris emprunte un escalier pentu. « Par là, c’est mon endroit préféré. » Après quelques mètres, une échelle mène sur le toit de l’usine. « D’ici, on voit tout. Filkeram & Johnson, la maison mère, possédait tous ces bâtiments. VioMe, sa filiale, était juste là où on se trouve. Mais, regardez, dans cette zone en périphérie de Thessalonique, il y a beaucoup d’entreprises à l’abandon qui ont fait faillite durant la crise. Des personnes se sont retrouvées sans emploi avec des salaires impayés. On dit à ces travailleurs : “Faites comme nous, occupez l’usine, et relancez une petite production. Vous êtes la force de travail, c’est vous qui savez comment produire.” »

Source https://reporterre.net/En-Grece-l-usine-de-savons-ecolos-grandit-sans-patron?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

Le comité Grenoblois organisera une commande groupée ds produits VioMe au 1er trimestre 2022. Les informations pratiques seront données ultérieurement mais vous pouvez d’ores et déjà envoyer votre intention de participer pour recevoir les informations pratiques.

Message de SOS MEDITERRANEE

Mardi 26 octobre, l’Ocean Viking a repris la mer pour une nouvelle mission de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Une mission d’autant plus urgente que 1 224 personnes* y ont déjà perdu la vie en 2021, et que 26 314 personnes ont été ramenées de force en Libye. Une urgence dont témoignent les personnes rescapé.e.s et nos équipes dans cette newsletter.

En dépit de ce sombre constat nous voulons voir des signes d’éclaircie à l’horizon. D’abord, avec le retour en mer d’autres organisations humanitaires qui augmente les capacités de recherche et de sauvetage des personnes en détresse. Une avancée d’autant plus importante que nous commémorons l’arrêt de l’opération de sauvetage de la marine italienne Mare Nostrum le 30 octobre 2014, qui a mené à la création de notre association.

Sur un plan juridique, alors que nous préparions notre retour en mer en réalisant des travaux de maintenance et un contrôle de nos dispositifs de sauvetage au port de Naples, un tribunal de cette ville a condamné le capitaine d’un navire commercial italien pour avoir renvoyé des personnes à Tripoli alors qu’elles tentaient de fuir la Libye. Cette décision confirme ce que SOS MEDITERRANEE rappelle depuis six ans : la Libye n’est pas un lieu sûr de débarquement des personnes rescapées.

Enfin, nous voyons la société civile européenne continuer à se mobiliser à nos côtés, par des défis solidaires ou en participant à nos événements, pour soutenir les actions de sauvetage humanitaire en mer.

Merci pour votre engagement à nos côtés,

L’équipe de SOS MEDITERRANEE

#TogetherForRescue

Lire le dernier journal de bord de Justine,marin-sauveteuse à bord de l’Ocean Viking https://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/carnet-de-sauvetage-justine-1

Soutenir SOS MEDITERRANEE pour sauver des vies https://www.sosmediterranee.fr/

Grèce, entre désastre environnemental et riposte sociale

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.En Grèce, les mesures autoritaires du gouvernement de droite ont déclenché d’importantes luttes sociales. Mais après la période sombre du gouvernement d’Alexis Tsipras, la gauche doit mener une bataille difficile pour surmonter l’héritage de Syriza et montrer qu’une alternative est possible.

« Des eaux cristallines, un soleil immuable, des saveurs locales explosives et des couchers de soleil sublimes » : telle était la promesse de « l’Été grec sans fin », selon l’intitulé de la campagne officielle de promotion du tourisme en Grèce pour 2020. Un an et une catastrophe écologique plus tard, tout le monde se demande où est passé cet été et qui en a réellement profité.

Selon un sondage réalisé pour l’Ιnstitut des Biens de Consommation au Détail (IELKA), seulement un.e Grec.que sur trois a déclaré avoir pris des vacances cette année, la plupart ne pouvant le faire du fait de leur difficultés financières. Ceux et celles qui sont resté.e.s dans les villes ont dû supporter la chaleur, l’atmosphère toxique, le manque d’activités de loisirs de qualité pour les enfants et même les coupures de courant, le réseau s’avérant insuffisant pour faire face à l’utilisation excessive et aux conditions météorologiques extrêmes.

Dans ce contexte, la promesse d’un « été grec sans fin » semble appartenir à une époque révolue. D’un point de vue climatique, elle ressemble aussi à une menace. En effet, cet été, la Grèce a été frappée par des vagues de chaleur récurrentes, les pires que le pays ait connues depuis plus de trois décennies. Les températures ont atteint un niveau record de 47 degrés. Les conditions de chaleur extrême ont favorisé la propagation de méga-feux de forêt qui ont détruit cent vingt mille hectares de terres, soit dix fois plus que la moyenne de la dernière décennie.

C’est aussi un été où la Grèce a ouvert ses portes afin d’accueillir les client.e.s de l’industrie touristique, un soi-disant success story qui a coûté cher en termes de contaminations et d’hospitalisations. Face à une augmentation alarmante des cas de Covid-19 et à des taux de vaccination encore faibles, les Grec.que.s. se demandent si le gouvernement va imposer une nouvelle série de restrictions cet automne.

Depuis deux ans, la Grèce donne ainsi l’impression de passer d’une tenue à l’autre en fonction des saisons. Celle de l’hiver est fait d’un nombre croissant de décès dus au coronavirus, d’hôpitaux débordés, de chômage, de fermetures d’entreprises, de restrictions sévères et d’autoritarisme. Puis, à partir du mois de mai, la Grèce revêt ses habits d’été pour accueillir les hôtes étranger.e.s. Et à partir d’octobre, c’est le retour au réel, le gouvernement rejetant, comme d’habitude, la responsabilité de la crise sur les « citoyen.ne.s irresponsables ».

La pandémie en période d’austérité

Le gouvernement de la Nouvelle Démocratie (droite) de Kyriakos Mitsotakis a géré la pandémie par des confinements successifs et des restrictions de mobilité mais en n’accordant qu’une compensation minimale aux secteurs de l’économie les plus durement touchés. Les mesures visant à renforcer la capacité et l’efficacité des services publics défaillants de la Grèce se sont avérées rares et insuffisantes. Au lieu de cela, le gouvernement a utilisé l’état d’urgence pour promouvoir des lois autoritaires contre les travailleur.se.s et, notamment, l’abolition de la journée de travail de huit heures et la création d’une force de police spéciale sur les campus universitaires.

La crise sanitaire du COVID-19 a exacerbé tous les aspects de l’austérité. Le chômage a dépassé les 15 % en mai 2021, soit 19,1 % pour les femmes et 12,3 % pour les hommes. Une fois de plus, la Grèce détient le record de l’Union Européenne pour le chômage des jeunes avec environ 38,2 % de jeunes sans emploi en mai 2021.

La pandémie a révélé de manière spectaculaire les vulnérabilités d’un système de santé publique déjà durement touché par dix années d’austérité. Les établissements de soins en sous-effectif n’ont tout simplement pas eu les ressources nécessaires pour faire face aux effets sanitaires et sociaux dévastateurs de la pandémie ; depuis 2009, les dépenses de santé ont, en effet, considérablement diminué par rapport aux autres États européens. Aujourd’hui, les dépenses publiques de santé en Grèce représentent 5 % du PIB, soit un tiers de moins que la moyenne européenne.

Ces réductions de dépenses, associées aux changements structurels du système national de santé et à l’introduction de formes d’emploi précaires, ont érodé l’accès à la santé publique. Les besoins non satisfaits en matière de soins de santé parmi la population à faible revenu et les chômeurs ont fortement augmenté, avec un taux de 21,5 % chez les chômeurs.ses et de 34,3 % dans les couches à faible revenu nécessitant un traitement.

La violence fondée sur le genre a également augmenté pendant la pandémie. Selon un rapport du Secrétariat général à la démographie, à la politique familiale et à l’égalité des sexes publié en novembre dernier, les mesures de confinement, de quarantaine et de restriction des déplacements « ont eu pour conséquence que les violences domestiques ont été plus fréquentes et plus graves pour les femmes et leurs enfants. »

Les appels à la ligne d’urgence pour la violence de genre ont augmenté de 230 % au cours du premier confinement. En outre, pendant le premier et le deuxième confinement (novembre 2020 à mai 2021), une série de féminicides brutaux et inquiétants a révélé l’ampleur des abus domestiques et de la violence sexiste dans le pays. Au total, depuis le début de la pandémie, onze femmes ont été assassinées par leur mari ou leur partenaire.

Malgré les retombées sociales évidentes de la crise, le gouvernement a tenu un discours centré sur la responsabilité individuelle. La recommandation diffusée par les autorités « Restez chez vous, restez en sécurité » mettait l’accent sur le choix personnel plutôt que sur la solidarité pour minimiser la propagation de la maladie. Les citoyens étaient considérés comme des individus isolés, voire comme des délinquant.e.s potentiel.le.s.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que beaucoup aient hésité à participer à la campagne de vaccination, d’autant que les autorités publiques n’ont pas réussi à organiser une campagne de communication appropriée et à répondre aux inquiétudes du public en se basant sur l’expertise scientifique. Le ministère de la santé et le comité national des vaccinations ont ouvertement exprimé des doutes quant à l’adéquation du vaccin d’AstraZeneca pour les jeunes femmes et les femmes enceintes de moins de trente-neuf ans, même s’il s’agissait du seul vaccin disponible pour cette tranche d’âge. Compte tenu du manque de crédibilité généralisé des mesures de l’État, les approches irrationnelles et individualistes ont proliféré.

Cependant, blâmer les non-vacciné.e.s n’aide pas à comprendre l’état actuel de la pandémie en Grèce. En septembre, seulement 59,2 % de la population du pays avait été entièrement vaccinée, avec des taux encore plus faibles chez les jeunes de 18 à 24 ans (52 %), les jeunes de 25 à 49 ans (41 %) et les Grecs de 50 ans (30% %). Environ 90 % des patient.e.s intubé.e.s admis.e.s en soins intensifs pour le COVID-19 ne sont pas vacciné.e.s.

En septembre, la Grèce figurait également parmi les trois plus mauvais pays de l’UE pour le nombre de décès par million d’habitant.e.s, aux côtés de la Bulgarie et de la Lituanie. Ces chiffres sont la conséquence du faible taux de vaccination parmi les populations les plus vulnérables. Pourtant, au lieu de déployer des efforts ciblés pour protéger ces groupes, le gouvernement utilise la campagne de vaccination comme un outil pour intensifier l’autoritarisme, les licenciements, le transfert des responsabilités et les attaques contre des services publics déjà débordés. Il en résulte une frustration croissante à l’égard des autorités, sans que la résistance au vaccin fléchisse.

Les feux de forêt, une opportunité pour privatiser

Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a reconnu que les incendies de forêt de cette année étaient un signe de la crise climatique actuelle, mais il a également insisté sur le fait que la question devait être traitée comme « politiquement neutre ». La Grèce a, en effet, une longue histoire d’incendies de forêt. Mais le pays manque cruellement d’un cadre unifiépour prévenir ces incendies et protéger ses forêts.

Le modèle basé sur l’investissement privé, présenté comme l’unique remède aux difficultés économiques de la Grèce, constitue lui-même une menace importante pour l’environnement naturel. L’un des premiers textes de loi adoptés par le gouvernement au début de la pandémie, le tristement célèbre « projet de loi cadre sur l’environnement », a renforcé la déréglementation du secteur de l’énergie et des investissements à grande échelle, menaçant directement les zones protégées et la biodiversité.

Lors de sa première conférence de presse après le pic des incendies de forêt du mois d’août, Mitsotakis a affirmé avec culot qu’il préférait « confier les projets à des entrepreneurs privés », car les investisseurs du secteur privé ne sont pas liés par des procédures bureaucratiques compliquées. Partant de cette hypothèse, le gouvernement prévoit un vaste programme de reboisement en s’appuyant sur le secteur privé et sur des partenariats public-privé. L’État est donc considéré comme un simple régulateur supervisant les transactions commerciales, tout en se retirant progressivement de sa responsabilité de protéger la société et l’environnement.

La seule exception à ce principe de non-intervention est le rôle répressif de l’État qui s’est manifesté lors des confinements. Le recours à la violence policière lors des manifestations politiques, les attaques non provoquées contre les citoyen.ne.s et les centaines d’arrestations injustifiées ont renforcé la méfiance du public envers les institutions de l’État et ont révélé le visage d’une police punitive et vengeresse.

En ce sens, l’incident du 7 mars à Nea Smyrni, une banlieue de classes moyennes d’Athènes, où des policiers ont jeté un jeune citoyen au sol et l’ont tabassé avec des matraques, n’était pas un cas isolé. Pendant les confinements, plusieurs cas de violations des droits humains par les forces de l’ordre ont été signalés, notamment des passages à tabac, des agressions sexuelles et des refus d’assistance médicale. Le Premier ministre et l’ancien ministre de la Protection des citoyens (l’équivalent grec du ministère chargé de la police et des forces de sécurité), Michalis Chrysochoïdis, ont ignoré les appels à rendre des compte et ont affirmé que les violences policières « appartenaient au passé ».

Toutes ces manifestations d’incurie, d’autoritarisme et de complicité avec l’arbitraire policier ont accru le sentiment de méfiance de la population à l’égard des institutions de l’État, une population épuisée, en demande d’une protection qu’elle désespère de trouver auprès de l’État.

Un programme pour défendre la société

Malgré un mécontentement social généralisé et des mobilisations sociales sporadiques, le désaveu de la politique gouvernementale ne s’est pas encore traduit par un niveau élevé de confrontation sociale et politique. Le taux d’approbation du gouvernement est en baisse et Syriza, le principal parti d’opposition, espère transformer cette situation en une future victoire électorale. Néanmoins, après son passage au gouvernement, la transformation continue de Syriza en un parti de « centre-gauche » l’empêche de maintenir un lien avec la classe travailleuse et les racines radicales du parti.

La période récente a vu un essor des luttes contre la répression, l’épanouissement d’un nouveau mouvement féministe, une vague de protestations #MeToo dans le sport et le divertissement et un mouvement étudiant réactivé par le projet de loi créant des forces de police sur les campus. Cependant, les luttes sociales sont fragmentées et souvent isolées les unes des autres. L’héritage radical du mouvement anti-austérité existe toujours, mais il fait actuellement figure de repère controversé dans la mémoire de la gauche grecque et de ses mouvements sociaux.

Malgré la déception générale, la récente victoire de la grève des travailleur.se.s  de la plateforme de livraison de plats cuisinés Efood est un puissant exemple d’une lutte menée par des travailleur.se.s d’une manière vivante et percutante. Leur protestation contre le chantage de l’entreprise a déclenché une vague massive de solidarité et de soutien populaire, des dizaines de milliers de client.e.s ayant désinstallé l’application afin d’exercer une pression sur l’entreprise. Cette combinaison fructueuse d’organisation syndicale classique, de « nouvelles » méthodes de militantisme numérique et de solidarité à la base avec les travailleur.se.s « essentiel.le.s » a réussi à surmonter des obstacles extraordinaires dans la période difficile qui a suivi le confinement et la quarantaine en Grèce.

La question est de savoir si la gauche est prête à tirer les leçons de cette expérience positive après les revers cuisants de la période récente. Il est certain que le bilan de la dernière décennie n’a pas été positif pour les forces radicales. Lorsque le karch financier de 2008 et la crise grecque qui a suivi ont éclaté, de larges secteurs sociaux se sont tournées vers la gauche et le mouvement ouvrier afin de défendre leurs droits ; les idées marxistes ont fourni un point de référence pour comprendre le monde et un idéal pour l’avenir. Aujourd’hui, les choses semblent bien différentes. La société ne semble pas prête à envisager les prochaines étapes, tant que la peur de la pandémie pèse encore sur sa tête.

Dans le même temps, ces circonstances exceptionnelles nécessitent un nouveau programme politique radical. Entre 2010 et 2015, l’appartenance du pays à la zone euro et à l’UE a fait l’objet de discussions dans les mouvements sociaux. Aujourd’hui, à côté des revendications toujours valables d’annulation de la dette et de rupture avec la corset de fer des mémorandums, la crise exige une nouvelle élaboration d’ensemble.

La base évidente d’un tel programme est de soutenir et de protéger les services publics et les biens communs, la santé publique, l’éducation et les soins. La vaccination universelle doit être l’arme principale d’un plan de protection global, mais elle ne doit pas être concédée aux gouvernements et aux entreprises capitalistes ni considérée comme une solution qui se suffirait à elle-même. La lutte pour la santé publique doit également être combinée avec la défense des libertés civiles et le rejet de l’utilisation de la pandémie comme prétexte pour renforcer l’autoritarisme d’État.

Il est urgent de mettre en place une politique sociale en faveur des parties les plus faibles de la société, basée sur la taxation des richesses, la protection du travail, la réduction du temps de travail, un revenu garanti, le droit au logement, etc. Une restructuration plus large de l’économie exige également de rompre avec la dépendance destructrice de la Grèce vis-à-vis du tourisme et l’obsession néolibérale des privatisations et des investissements étrangers. Enfin, la restauration des terres détruites par les feux, le soutien aux personnes touchées par la catastrophe et la protection de l’environnement sont d’une importance vitale.

Ces revendications ont constamment émergé dans les luttes récentes et ont été largement débattues au cours des derniers mois. Mais le débat doit aller plus loin et s’engager dans la perspective d’un avenir radicalement différent, basé sur des principes actualisés socialistes et communistes, mais aussi écologiques et féministes.

Pluralité de gauches, mais pas d’alternative

Reste que même le meilleur programme ne suffit pas à donner l’impulsion nécessaire à une alternative. La condition fondamentale pour cela réside dans les initiatives des forces politiques de gauche et les structures collectives propres aux mouvements.

C’est là que réside la plus grande difficulté, car l’expérience contradictoire de la dernière décennie a produit des effets multiples. Pour certaines personnes de gauche au sein ou autour de Syriza, l’expérience gouvernementale a entraîné un tournant vers des solutions plus « réalistes ». Ce changement s’est poursuivi même après le retour de la droite au pouvoir, avec un Alexis Tsipras soucieux de faire preuve d’une forme d’opposition « institutionnelle ». Pendant ce temps, pour les partis et organisations de la gauche radicale, la défaite a engendré un sentiment d’impuissance à changer le cours des choses, ou même à inspirer et organiser une résistance sociale à grande échelle.

Malgré la mutation de Syriza, et son intention déclarée de se rapprocher d’un centre-gauche social-démocrate, ce parti reste le principal parti d’opposition et une référence pour de nombreuses personnes à gauche. Il tient un discours anti-gouvernemental et formule des revendications sociales, mais il n’est ni capable ni désireux de mener une lutte sociale visant à renverser le cadre des directives européennes et des mesures d’austérité. Pour cette raison, il ne sera à l’évidence pas en mesure de réitérer le rôle qu’il a joué lors des mobilisations anti-austérité de 2010-2015.

Le Parti communiste de Grèce (KKE) reste, selon les normes actuelles, un parti de masse. Comme il n’a pas participé de manière substantielle au mouvement d’occupation des places de 2011, à la bataille du référendum de juillet 2015 et, naturellement, au gouvernement Syriza, il semble moins affecté par les défaites et en position d’accroitre sa crédibilité et sa force organisationnelle. C’est la force politique la plus cohérente du mouvement ouvrier mais son attitude politique reste passive et n’envisage guère la possibilité d’une montée des luttes secouant le paysage politique.

Lors des élections de juin 2019, DiEM25 et son leader Yanis Varoufakis ont obtenu un score légèrement supérieur au seuil de 3 % pour obtenir la représentation parlementaire, comblant en partie le vide à la gauche de Syriza. DiEM25 se réclame de l’héritage radical de 2015 et porte une volonté d’exprimer de nouvelles revendications sociales dans l’économie, les questions environnementales et de genre. Néanmoins, sa structure centrée sur son leader et l’absence de tout lien significatif avec les mouvements sociaux limitent grandement son rôle potentiel dans la reconstruction de la gauche grecque.

Enfin, si les nombreuses organisations d’extrême-gauche continuent d’être présentes à la base, notamment au sein du mouvement de la jeunesse, elles restent globalement dans un état de fragmentation et de stagnation, malgré quelques tentatives récentes de reconstruction de la gauche radicale.

La profusion de forces de gauche à l’intérieur et à l’extérieur du parlement débouche toutefois sur un vide en termes de construction d’une alternative. Au lieu de cela, les couches politisées, dotées d’une expérience de participation à l’action collective, prennent de plus en plus leurs distances avec la gauche organisée, découragées par sa fragmentation et le bilan de l’expérience de Syriza au gouvernement.

En ce sens, le principal problème aujourd’hui n’est pas le manque de voix anti-gouvernementales ou même anticapitalistes, mais le grave affaiblissement des mouvements et des organisations politiques. Leurs dirigeant.e.s abordent rarement la question, car cela impliquerait de débattre de leurs propres erreurs et lacunes. Les militant.e.s participent au mieux à des actions spécifiques et se tournent aussi fréquemment vers la sphère privée.

De telles attitudes ne peuvent combler l’écart entre les discussions théoriques et l’action effective. Seule la recherche collective d’une réponse et d’un nouveau projet radical, basé sur une organisation de base et des interventions pertinentes dans les problèmes de la vie quotidienne, peut apporter des réponses viables.

Pourtant, alors que les forces dominantes cherchent à réaffirmer le dogme du TINA, « There Is No Alternative », la situation n’est pas entièrement sans espoir. Bien qu’affaiblie, la gauche reste une force relativement massive et influente sur le plan électoral. Les mouvements sociaux sont vivants et de nouvelles mobilisations ne cessent d’émerger. En nombre significatif, les nouvelles générations se rapprochent de la gauche et des idées communistes. Mais ce qui fait cruellement défaut, c’est la conviction que les luttes peuvent apporter un réel changement politique.

Les conséquences dévastatrices du « gouvernement de gauche » représenté par Syriza entre 2015 et 2019 se font encore sentir. Cette expérience a généré de la frustration, de la démoralisation et, souvent, des attitudes agressives au sein de la gauche, en particulier parmi les anciennes générations. Mais l’expérience de la décennie précédente est plus complexe que cela. De larges secteurs ont également fait l’expérience que les luttes populaires peuvent bouleverser la scène politique. Si cela s’est produit une fois mais s’est arrêté à mi-chemin, pourquoi cela ne pourrait-il pas se reproduire, d’une manière plus radicale ?

Un nouvel effort cohérent pour reconstruire le mouvement social et la gauche radicale pourrait trouver un terrain fertile, en particulier parmi les jeunes militant.e.s. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un effort unificateur et combatif de ce type. Après un été sans fin, l’hiver ne sera peut-être pas aussi sombre que nous le craignons.

*

Cet article a d’abord été publié en anglais par Jacobin. Il a été traduit pour Contretemps par Christian Dubucq.

Aliki Kosyfologou est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et en sociologie. Elle travaille actuellement en tant que chercheuse en sciences sociale et milite dans le mouvement féministe.

Thanos Andritsos est architecte et urbaniste, engagé dans les luttes urbaines et environnementales en tant que chercheur et militant.

Illustration : Carl Osbourn / https://www.flickr.com/photos/mountainhalo/1129507581 / Wikimedia Commons.

Source https://www.contretemps.eu/grece-desastre-environnemental-riposte-sociale-gauche/

Grève chez Coscos

Un accident tragique qui est survenu dans le port de #Pirée dimanche a mis au clair les conditions de travail très dangereuses dans lesquelles les ouvriers travaillent. Un travailleur a perdu sa vie, quand une grue lui est tombée dessus. Immédiatement les ouvriers se sont réunis en assemblée et ont décidé de faire #grève le lendemain pour demander que les postes ne soient pas plus de 6 heures, que les règles de sécurité soient bien surveillées et respectées et qu’il n’y ait plus de contrat de mi-temps.

 Le #port de Pirée, ainsi que d’autres ports grecs ont été vendus à la compagnie chinoise #Cosco, suite aux mesures mémorandaires qui ont démantelé l’état grec, imposé la vente aux enchères de la propriété publique, et ainsi contribué à la #flexibilisation des conditions de travail et à la #précarisation des contrats.

 La compagnie chinoise a bien sûr imposé des conditions de travail chinoises aussi, étant donné que les zones où elle opère sont exemptées de la loi de travail du pays.

 Les ouvriers en ont bien sûr ras-le-bol et se sont mis à revendiquer ce qui leurs est dû. Déjà une #manifestation massive a eu lieu hier soir dans le port. Nous sommes #solidaires avec eux ! [vidéo ici: https://youtu.be/pKiQMuTV658]

400 réfugiés afghans sur un cargo en détresse pendant 4 jours

La Grèce laisse accoster un bateau rempli de réfugiés afghans après quatre jours en mer

Le navire a été autorisé à débarquer près de 400 personnes dans le port égéen de Kos dans un « cas inhabituel et spécial ».

Helena Smith à Athènes

Après avoir erré en haute mer pendant quatre jours alors que la Grèce et la Turquie marchandaient sur son sort, un cargo rempli de centaines de réfugiés afghans a été autorisé à accoster sur une île de la mer Égée, les passagers débarquant pour demander l’asile.

Dans ce que le ministère grec des migrations a appelé « un cas inhabituel et spécial », le navire battant pavillon turc a été remorqué dans le port de Kos dimanche. Quelque 375 passagers, soit le plus gros afflux de demandeurs d’asile depuis des années, ont été emmenés dans un centre d’accueil sur l’île. Six autres personnes ont été placées en détention pour interrogatoire et une femme a été admise à l’hôpital sur l’île de Karpathos.

Les garde-côtes grecs ont déclaré que les personnes à bord étaient pour la plupart de jeunes hommes afghans. Nombre d’entre eux seraient affamés et déshydratés après une épreuve qui a commencé jeudi lorsque le cargo, initialement destiné à l’Italie, a eu des problèmes de moteur et a lancé un signal de détresse au large de l’île de Crète, peu après avoir quitté la Turquie.

Des jours de négociations entre Athènes et Ankara ont suivi, après que le gouvernement grec a fait appel, par l’intermédiaire de la Commission européenne, à la Turquie pour qu’elle reprenne le navire, conformément à un accord conclu en 2016 avec l’Union européenne et destiné à endiguer les flux de migrants.

Lorsque les autorités turques ont fait savoir qu’elles n’accepteraient pas le navire, les garde-côtes grecs ont lancé ce qu’ils ont appelé l’une des plus grandes opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée orientale.

Le ministre grec des migrations et de l’asile, Notis Mitarachi, a décrit l’incident comme « un nouveau voyage dangereux et illégal depuis la côte turque… facilité par des bandes criminelles ».

Il a déclaré dimanche : « Nous avons informé l’UE que la Turquie a refusé de reprendre son navire. La Grèce a sauvé des centaines de milliers de personnes au cours des sept dernières années. Il est temps pour l’UE d’agir, de faire preuve d’une solidarité efficace et de veiller à ce que la déclaration UE/Turquie de 2016 soit respectée.

« Contrairement à la Turquie et à d’autres pays qui ont ignoré le problème, la Grèce a pris les devants, fournissant une aide humanitaire immédiate aux personnes dans le besoin, comme nous le faisons toujours. Mais la Grèce ne peut pas résoudre la crise migratoire seule. »

Les chiffres ont chuté de façon spectaculaire, mais Athènes et Ankara se sont livrés à une guerre des mots au sujet des arrivées de migrants. Depuis que les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan en août, les États membres de l’UE craignent de voir se reproduire la crise des réfugiés de 2015, lorsque près d’un million de Syriens ont afflué en Europe via Lesbos et d’autres îles de la mer Égée.

La Turquie a accusé à plusieurs reprises la Grèce de renvoyer de force des bateaux remplis de demandeurs d’asile dans les eaux turques en menant une politique de refoulement, et a invité les médias internationaux à assister à ces incidents. Athènes a accusé les autorités turques de faire délibérément monter la tension en encourageant les passeurs à organiser ces voyages illicites.

Selon l’ONG Aegean Boat Report, les autorités grecques ont été informées par les médias locaux que le cargo était en détresse, mais elles n’ont pas confirmé l’incident, ce qui fait craindre qu’un autre refoulement soit en cours. Aucune des personnes à bord ne voulait retourner en Turquie car elles ne la considéraient pas comme un pays sûr, a déclaré l’organisation.
Le rapport complet avec les mises à jour, les photos, les vidéos et les messages vocaux des personnes à bord du bateau dans le lien ci-dessous
https://aegeanboatreport.com/…/pushback-ongoing…/

Source https://www.theguardian.com/world/2021/oct/31/greece-lets-boat-packed-with-afghan-refugees-dock-after-four-days-at-sea

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