Grèce : Trois femmes sous l’austérité

10 octobre par Katja Lihtenvalner , Kostis Ntantami

En Grèce, la vie se conjugue au présent, pas au futur. À Athènes, axelle (www.axellemag.be) a rencontré trois femmes qui nous ont confié leur quotidien. Leurs témoignages permettent d’incarner concrètement les conséquences des mesures d’austérité, prises sous la pression des institutions internationales européennes et financières.

La crise touche sévèrement la Grèce depuis 2010. Le taux de chômage est de 22 % : 26 % chez les femmes et 18 % chez les hommes. Ces chiffres ont certes diminué récemment, mais la réalité sociale demeure inchangée. Les femmes que nous avons rencontrées avaient des rêves ; elles les ont enterrés le long du chemin, à force de perdre leurs illusions, de serrer les dents pour se débrouiller jour après jour. Elles ne pensent plus à demain.

Piereta

Piereta Petani (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Piereta Petani a 21 ans. « Cela fait deux mois que je cherche un travail. Je vais attendre que la saison d’été se termine, et je serai ensuite peut-être plus chanceuse », nous explique-t-elle lorsque nous la rencontrons dans le quartier touristique de Plaka, au cœur d’Athènes.

Après ses études secondaires, Piereta a travaillé dans un café. « J’ai toujours rêvé de devenir photographe. Pour me former, il fallait que je m’inscrive dans une école privée, car les institutions publiques n’ont aucun équipement : j’aurais eu l’impression de perdre mon temps. » Les parents de Piereta ne pouvant pas l’aider, elle a dû travailler pour financer ses études.

En Grèce, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est le plus élevé de l’Union européenne : 44,4 %. « Je n’avais pas d’expérience : être serveuse était l’un des seuls jobs auxquels je pouvais prétendre », se souvient Piereta. Elle a travaillé deux ans dans un café de Cholargos, une banlieue d’Athènes. « Quand j’ai commencé les études, je travaillais d’arrache-pied pour gérer les deux. Dès le matin, pendant huit heures, je servais au café, et puis j’allais à l’école de 17h à 20h. Heureusement, j’ai réussi mes examens », dit-elle fièrement.

On recherche une femme attirante

« Les cafés, les bars et les restaurants sont les seuls endroits où vous pouvez trouver du boulot actuellement. Mais les annonces sont humiliantes », explique Piereta. Parfois, les employeurs/euses indiquent rechercher une employée « jeune et attirante ». « Si une femme n’est ni jeune ni attirante aux yeux de l’employeur, elle aura beaucoup de difficultés à trouver du travail dans ce domaine », déplore-t-elle.

Si une femme n’est ni jeune ni attirante aux yeux de l’employeur, elle aura beaucoup de difficultés à trouver du travail comme serveuse.

Cela fait maintenant trois ans que Piereta travaille comme serveuse : « Il y a un modèle standard que les patron•nes suivent, ici. On nous promet 300 euros par mois pour cinq jours de travail par semaine. Et puis ces cinq jours se transforment rapidement en six. Et puis on commence à parler des difficultés financières de l’établissement et on réduit petit à petit ton salaire. Un jour, tu atteins tes limites et tu t’en vas. Ils trouvent une autre fille. C’est un cercle sans fin. »

Dans tous les bars où Piereta a travaillé, elle était officiellement employée à mi-temps. Ainsi, les employeurs/euses échappaient à l’inspection du travail, dotée de peu de moyens. Et, au fait, pour quel salaire ? « Trois euros de l’heure. C’est standard. On gagne environ 25 euros par jour. Ce n’est pas un salaire : personne ne peut vivre comme un•e adulte indépendant•e avec cette somme. »

Piereta a terminé son école de photographie et, pour l’instant, est sans emploi. « J’ai travaillé régulièrement depuis trois ans, mais officiellement je n’ai travaillé que quelques mois, puisque mes patrons m’ont forcée à signer un engagement soi-disant à mi-temps. En conséquence, je n’ai pas droit aux allocations de chômage », explique-t-elle.

Après 20 ans, toujours étrangère

Une autre difficulté pour Piereta est sa nationalité : ses parents albanais-es se sont installé-es en Grèce au début des années 90. « J’avais deux ans. Vingt ans plus tard, je n’ai toujours pas de papiers grecs », explique-t-elle, décrivant la manière dont la bureaucratie la force à payer sans cesse des frais de traduction et de documentation. Sa nationalité est une source de discrimination dans sa recherche d’emploi : « L’employeur/euse me demande d’où je viens, mais, après ma réponse, il/elle n’est plus intéressé-e. »

Piereta reste persuadée qu’elle réalisera son rêve : « C’est vrai que la vie pour nous est catastrophique en ce moment, mais je crois toujours que je serai photographe », fait-elle, déterminée. Elle collabore à différents médias sociaux, et essaie de promouvoir son travail personnel en ligne.

Irini

Irini Papachrisostomidou (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Irini Papachrisostomido, 38 ans, vient de Naoussa, au nord du pays. « Dans une communauté aussi petite [la population est d’environ 19.000 habitant-es, ndlr], les femmes peuvent uniquement travailler en tant que serveuses », explique-t-elle en nous racontant son histoire dans le petit appartement qu’elle loue à Exarchia, au centre d’Athènes. « À la campagne, si une femme est célibataire, elle vivra très certainement chez ses parents. Si elle a une relation, elle se mariera et vivra une vie de famille. » Mais Irini attendait autre chose de la vie. Après des années de travail comme serveuse dans sa ville natale, elle décide donc en 2015 de déménager à Athènes. « Je ne me faisais pas d’illusions. Je sais très bien qui je suis. Une femme d’une trentaine d’années, sans diplôme universitaire, n’a pas beaucoup d’opportunités », dit-elle.

Déçue par Syriza

Irini raconte que son déménagement a été favorisé par la crise des réfugié-es et la déception vis-à-vis de Syriza, le parti de gauche au pouvoir depuis janvier 2015. « J’ai vu la situation des réfugié-es à la télévision et j’ai décidé de rejoindre des initiatives de solidarité. Je ne pouvais pas regarder tout cela de loin. » Elle pense que le gouvernement n’a offert aucune solution concrète. Et cette déception rejoint celle qu’elle ressent à l’égard de Syriza, qu’elle soutenait depuis des années. « Je ris, maintenant, quand je repense à la façon dont je croyais au système social que Syriza défendait, se souvient-elle. Comment peut-on rêver autant ? Et à quel point peut-on tomber de haut face à la réalité ? »

Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus aucune raison de continuer à croire au rêve que vendait Syriza, j’ai pris mes affaires et je suis partie.

Irini admet que, jusqu’à maintenant, elle n’a toujours pas « fait le deuil » de Syriza. « C’est l’une des raisons qui m’empêche d’être active en ce moment, et je peux très bien comprendre la passivité et l’apathie de beaucoup de gens. Quand j’ai vu qu’il n’y avait plus aucune raison de continuer à croire au rêve que vendait Syriza, j’ai pris mes affaires et je suis partie. »

Pas de vacances

Irini vit désormais dans un petit studio qu’elle partage avec une colocataire et travaille dans un magasin d’art. « Au début, on m’a promis de me faire travailler huit heures par jour et cinq jours par semaine. Les cinq jours sont devenus six et, jusqu’à présent, mon contrat est à mi-temps. Mon salaire me permet de payer mon loyer, mais rien d’autre », raconte-t-elle. Alors que certain-es de ses ami-es lui envoient des messages depuis leurs vacances, Irini, elle, est restée à Athènes cet été. « Je n’ai pas les moyens de partir en vacances. Je travaille quasiment tous les jours. »

« J’aimerais être mère, confie enfin Irini. Mais dans ces conditions, je n’ose pas imaginer à quoi va ressembler mon avenir. Chaque mois, c’est la lutte. Pas pour vivre, mais pour survivre. »

Katerina

Katerina Karneri (Crédits photo Kostis Ntantamis)

Katerina Karneri a 62 ans ; elle est née et a grandi à Athènes. « J’ai enseigné le théâtre toute ma vie », nous explique-t-elle au début de notre entretien, dans son appartement de Kipseli, un quartier central de la capitale. Katerina travaille encore : elle enseigne le théâtre dans une école privée deux fois par semaine, et elle essaie de vendre des bijoux qu’elle fabrique elle-même. « Auparavant, j’avais une vie de qualité. Je travaillais dans trois écoles publiques différentes, pour un salaire décent », sourit-elle en repensant à ce temps passé.

Katerina, son mari Stefanos et leur fils Aris vivaient dans un petit rez-de-chaussée, mais étant donné qu’à la fin des années 2000, leur situation était stable, la famille a décidé d’acheter un appartement. « Je n’oublierai jamais 2010, l’année où ma vie a changé, confie Katerina. Nous avons pris un crédit pour notre appartement et, dans les jours qui ont suivi, mon mari est tombé gravement malade. Quelques mois plus tard, j’ai perdu mon travail dans chacune des trois écoles où j’enseignais. Ma vie s’est effondrée. »

L’austérité détruit tout

En 2010, après avoir demandé l’aide internationale (voir les articles suivants), la Grèce s’est vu imposer de prendre toujours plus de mesures d’austérité afin de rembourser sa dette. Ces mesures – qui se sont encore aggravées depuis – ont particulièrement impacté les citoyen-nes, comme Katerina.

« Les écoles voulaient employer des enseignant-es au rabais et se passer des ateliers théâtre. Je me suis tout à coup retrouvée sans emploi, avec mon mari malade et un emprunt à rembourser. » Katerina pense que sa vie s’est effondrée à cause des mesures d’austérité, qui l’ont laissée totalement sans soutien de la société. « J’étais déprimée, je voulais mourir. Heureusement, mon fils avait un emploi et a pu nous aider », se souvient-elle.

Mais vivre avec l’argent de son fils mettait Katerina mal à l’aise. Dès que son mari s’est rétabli, elle a cherché des solutions. « Sur internet, j’ai découvert la technique du macramé. Je m’y suis mise en me disant que je pouvais le faire toute seule. » Ce travail créatif lui a aussi permis de se remettre moralement sur pied. En vendant ses productions sur des marchés, elle a fait de nouvelles connaissances. « J’ai rencontré une personne qui est maintenant mon patron à l’école de théâtre où je travaille. Je suis payée 300 euros, au moins j’ai un petit salaire », explique Katerina. Elle exerce huit mois par an, mais quand l’école est fermée, elle ne touche rien.

Ne pas penser à la pension

Katerina est une ancienne marathonienne ; elle aime nager. « Je n’ai pas d’argent pour partir en vacances, alors cinq fois par semaine, en transports en commun, je vais à la plage aux alentours d’Athènes », dit-elle. Elle avait toujours pensé qu’à son âge, elle serait plutôt en train de faire du tourisme dans les îles grecques. Cet été, Katerina s’est aussi occupée en créant de nouveaux bijoux, notamment à partir de capsules Nespresso usagées. Le soir, elle s’installe dans une petite rue touristique proche de l’Acropole et elle vend ses réalisations. Même si elle ne gagne pas beaucoup d’argent, elle dit que cela la tient en vie.

J’essaie de ne pas penser à ma pension. Je dois au moins travailler jusqu’à mes 65 ans. Mais avec mon revenu actuel, ma retraite sera limitée.

« J’essaie de ne pas penser à ma pension. Je dois au moins travailler jusqu’à mes 65 ans. Mais avec mon revenu actuel, ma retraite sera limitée », précise-t-elle. La plupart des amies de Katerina, du même âge qu’elle, ont décidé de prendre leur retraite de manière anticipée par crainte d’être coincées par la crise économique. « Elles vivent maintenant avec 300 ou 400 euros de retraite, en devant aussi soutenir des enfants ou des petits-enfants sans emploi. C’est la réalité de l’austérité en Grèce », conclut Katerina en préparant son petit sac de bijoux pour les vendre, ce soir, dans les rues d’Athènes.


Cet article est extrait du dossier « La Grèce sous l’austérité », magazine axelle, n° 202, octobre 2017.

Source Axelle

rédaction

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