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Grèce : L’affaire Novartis, un scandale aux airs de déjà-vu

Marie-Laure Coulmin Koutsaftis CADTM

cc William Hamon pour Flickr, 2008

Les investigations du FBI, suite aux Paradise Papers et aux Panama Papers, à l’encontre de la multinationale pharmaceutique Novartis ont éclaboussé fâcheusement plusieurs personnalités du monde politique grec. La Commission d’enquête du Parlement hellénique a renvoyé vers la justice le dossier concernant les accusations portées contre plusieurs hommes politiques, dont certains sont aussi parlementaires, ce qui devrait entraîner l’ouverture imminente d’une enquête. De nouveaux éléments de preuves concernant des comptes bancaires laissaient espérer des développements d’ici l’été 2018. Indépendamment des remugles soulevés par cette affaire, le gouvernement de Tsipras la met en exergue pour en faire sa vitrine de lutte contre la corruption, une des obligations mémorandaires de l’État grec … et mettre en difficulté ses adversaires politiques impliqués.

Pour ceux qui suivent l’actualité grecque, le parallèle de l’affaire Novartis avec le scandale SIEMENS s’impose. Pour tous les autres, la puanteur caractéristique de la corruption qui en émane évoque des affaires connues dans d’autres pays, au Nord comme au Sud.

Suite aux révélations du FBI, des témoignages sous serment ont été recueillis par la justice grecque contre les anciens Premiers ministres Panayiotis Pikrammenos et Antonis Samaras, ainsi que contre leurs ministres Yiannis Stournaras, Dimitris Avramopoulos, Adonis Yioryiadis, Andreas Lykourentzos et Marios Salmas pour le parti de droite Nouvelle Démocratie, et pour le parti socialiste PASOK, Andreas Loverdos, Evaggelos Venizelos et Yiorgos Koutroumanis. Des directeurs d’hôpitaux publics sont aussi visés par ces accusations, au total une trentaine de personnes.

La Grèce est l’un des pays qui contribue à indexer mondialement le prix courant des médicaments, ce qui a incité Novartis à intervenir directement auprès des officiels grecs concernés, principalement les ministres de la Santé et/ou des Finances, pour que ses produits soient mieux rémunérés que ceux de ses concurrents – il s’agissait notamment de médicaments anti-cancéreux, déjà fort onéreux.

Ainsi on trouve des accusations liées à la commande de vaccins contre la grippe aviaire pour l’ensemble de la population en Grèce, ainsi que pour un appel d’offre publique de 200 millions d’€ pour l’approvisionnement en tests préventifs contre le virus du Sida. Des sommes ont été versées par Novartis en « remerciement » d’un soutien consistant à surestimer le prix des médicaments du groupe ; à entériner la circulation de médicaments onéreux, dans le contexte des memoranda et du démantèlement du système national de santé (ESY) en Grèce. De même le paiement des dettes de l’État grec envers Novartis d’une hauteur de 65 millions d’€ a été facilité dans une période de gel des paiements publics, en échange d’une rétribution de 2 millions en espèce. La société Novartis a été favorisée par la surévaluation du prix de ses médicaments, des autorisations d’exploitation ont été accordés en processus accéléré.

La corruption passive et l’abus de confiance au détriment de l’administration ont porté un préjudice estimé à 3 milliards d’€ en échange de pots de vin distribués entre 2006 et début 2015 pour un total de 50 million € [1].

Une note manuscrite d’un premier ministre avec des numéros de téléphone portable a été remise au vice-président de Novartis Grèce, Frouzis, afin de le mettre en contact direct avec le vice-ministre de l’Économie, responsable des paiements de l’administration grecque à l’époque.

Yiannis Stournaras, l’actuel gouverneur de la Banque Centrale de Grèce et ancien Ministre des Finances de Samaras, a été salarié comme conseiller de Novartis en 2011, six mois [2] avant d’accéder à la fonction de Ministre de l’Économie.

Le vice-président de Novartis, qui était aussi à la tête de l’Union des entreprises pharmaceutiques de Grèce, envoyait régulièrement des missives personnelles à Adonis Yioryiadis alors Ministre de la santé du gouvernement Samaras de juin 2013 à septembre 2014, avec des conseils « législatifs », alors que parallèlement, il faisait état devant ses supérieurs de son influence sur le monde politique grec. Novartis comptait parmi les 14 entreprises du think tank de Samaras [3] qui allait « sortir la Grèce des programmes d’aide » pour la conduire « à la stabilité et au redressement. »

Novartis, un scandale comparable à l’affaire SIEMENS

Au total l’intégrité des hommes politiques au pouvoir au moment de l’affaire semble discutable malgré leurs protestations effarouchées. Ils appartiennent à la mouvance Pasok / Nouvelle Démocratie que l’on pouvait qualifier de « mémorandaire » jusqu’au volte-face de Tsipras en juillet 2015. Outre la conviction néolibérale affichée desdits ministres, l’appât du gain et l’évidente corruption semblent constituer un motif aussi trivial qu’évident. L’enquête sur les responsables politiques cités dans l’affaire est inévitable malgré la loi d’impunité dont bénéficient les ministres grecs : c’est aussi une obligation du troisième mémorandum que de « lutter contre la corruption » et c’est l’occasion pour l’actuel gouvernement de se montrer vertueux par contraste avec ses opposants politiques impliqués.

Comment une multinationale réussit à influencer les décisions politiques d’un gouvernement élu

Au-delà de son utilisation politique, cette affaire révèle au passage comment une fois de plus, une multinationale réussit à influencer les décisions politiques d’un gouvernement élu – après que le président de la filiale grecque de l’entreprise cimentière française Lafarge a dicté au représentant du FMI dans la troïka les mesures de casse du droit du travail en 2011 [4] .

L’affaire Novartis a causé un préjudice dans les caisses de l’État grec estimé par l’actuel gouvernement à 23 milliards de dollars [5] dus à la surévaluation du prix de certains médicaments au bénéfice de Novartis ; c’est-à-dire une somme égale aux mesures d’un mémorandum, tandis que les témoignages recueillis par la justice font état de pots-de-vin pour un total compris entre 50 millions et un milliard d’euros, versés à des responsables politiques. Le journal Ethnos fait remarquer que les dépenses pharmaceutiques en Grèce au cours de la période 2000-2015 ont été trois fois plus élevées que la moyenne européenne – alors même que les médicaments de base, malgré l’usage des génériques, manquaient cruellement dans les hôpitaux. Le Journal des Rédacteurs souligne qu’avec cette somme l’État grec aurait pu payer des salaires et des retraites pendant deux ans.

Encore plus trivialement, cet argent aurait pu servir à maintenir les investissements publics dans les domaines de l’Enfance et de la Famille. En effet, ces dépenses ont subi entre 2009 et 2013 une baisse de 48.7% ; pour la Santé, une baisse de 42.5%. Fin 2013, la diminution des dépenses pour les Services hospitaliers atteignait 41.8%. Parallèlement les dépenses publiques pour les médicaments et les équipements médicaux dans les hôpitaux ont baissé de 49.2% [6].

L’affaire Novartis est un scandale aussi retentissant que l’affaire Siemens – il faut espérer qu’il n’y aura pas de compromis judiciaire avec Novartis comme celui signé en 2013 avec Siemens par l’actuel gouverneur de la Banque de Grèce Yannis Stournaras, alors Ministre des Finances et par la suite l’un des acteurs funestes de l’étouffement bancaire imposé par la BCE au gouvernement de gauche radicale Syriza dans le premier semestre 2015 [7].

Encore une fois, une multinationale lubrifie à coup de pots-de-vin et de cadeaux les cadres politiques et exécutifs d’un gouvernement souverain : ce schéma habituel de la corruption n’est pas une exclusivité grecque. L’exemple actuel du gouvernement Rajoy contraint en juin 2018 à la démission pour corruption aggravée, les traces d’une corruption généralisée du monde politique français avec ses nombreuses collusions entre monde des affaires et monde politique – le va-et-vient entre multinationales et exécutif dans la Commission européenne, via les lobbies, sans que quiconque s’en formalise au final – tous ces cas de détournement du pouvoir au profit d’une oligarchie capitaliste sont les symptômes de la maladie qui entraîne la planète dans une course fatale à sa destruction écologique.

Dans un contexte d’état d’urgence économique, en état de guerre latente au nom du terrorisme et de la « crise de la dette publique », les grands groupes financiers mettent les États à leur service en utilisant tout leur arsenal de « gouvernance » économique et répressive. Il est grand temps de défaire par tous les moyens ces collusions fatales entre monde de la finance et monde politique, qui n’ont d’autre but que de décourager la participation citoyenne à la gestion de la vie en commun. Il est grand temps de nous ressaisir de la gestion de nos propres vies en redonnant la priorité aux droits humains élémentaires, avant les logiques de profit gérés désormais par des logarithmes fous entre les mains d’une oligarchie corrompue. Il est grand temps d’instaurer un contrôle démocratique sur les échanges bancaires et financiers, pour commencer par le commencement : empêcher les transactions obscures entre dirigeants élus et grands groupes financiers.

Le scandale Siemens implique plusieurs hommes politiques et haut-cadres de l’administration grecque, accusés et confondus pour corruption passive et active et blanchiment d’argent dans le cadre de contrats publics concernant des ventes d’équipement militaire mais aussi pendant la préparation des jeux olympiques de 2004 et dans l’installation du réseau téléphonique public OTE (Voir Okeanews). Siemens a distribué (en Grèce comme dans d’autres pays) des milliards en pots de vin pour s’assurer de marchés publics.

L’implantation de Siemens en Grèce et ses rapports incestueux avec l’État grec remontent à l’occupation, quand la compagnie allemande, liée à la Deutsche Bank (qui était elle-même liée à la Banque de Grèce par un accord d’exploitation du lignite, des surfaces agricoles et des ressources hydrauliques), travaillait avec la compagnie privée de téléphonie grecque. (Voir Siemens Scandal, Siemens Hellas, Christopher Pappas et Verdict et noms des accusés).
Les liens étroits entre Siemens et l’État grec se poursuivent sous l’ère du premier ministre PASOK Simitis. Comme l’écrit Éric Toussaint dans son article Pistes pour l’audit de la dette de la Grèce : « Plusieurs contrats ont été passés avec la transnationale allemande Siemens, accusée – tant par la justice allemande que grecque – d’avoir versé des commissions et autres pots de vin au personnel politique, militaire et administratif grec de l’époque pour un montant approchant le milliard d’euros. Le principal dirigeant de la firme Siemens-Hellas [22], qui a reconnu avoir ’financé’ les deux grands partis grecs, s’est enfui en 2010 en Allemagne et la justice allemande a rejeté la demande d’extradition introduite par la Grèce. Ces scandales incluent la vente, par Siemens et ses associés internationaux, du système antimissiles Patriot (1999, 10 millions d’euros en pots de vin), la digitalisation des centres téléphoniques de l’OTE-Organisme Grec des Télécommunications (pots de vin de 100 millions d’euros), le système de sécurité ’C4I’ acheté à l’occasion des JO 2004 et qui n’a jamais fonctionné, la vente de matériel aux chemins de fer grecs (OSE), du système de télécommunications Hermès à l’armée grecque, d’équipements très coûteux vendus aux hôpitaux grecs. Début mars 2015, s’est ouvert à Athènes un procès qui porte sur un des nombreux dossiers de corruption dans lesquels Siemens est impliqué, celui lié à OTE [23]. Parmi les 64 suspects, 13 sont des ressortissants allemands, cadres de la société mère. Selon la décision des juges, Siemens aurait versé environ 70 millions d’euros pour décrocher un contrat et pour numériser le réseau de télécommunications public grec de l’époque, OTE (le contrat date de 1997). Parmi les suspects, l’ancien homme fort de Siemens Hellas, Michalis Christoforakos, qui s’est enfui en Allemagne et que les autorités allemandes refusent toujours d’extrader vers la Grèce. Les accusations font référence à du ’blanchiment d’argent’ et à de la ’corruption active et passive’. Theodoros Tsoukatos, conseiller de l’ancien premier ministre de premier ministre de 1996 à 2004, Kostas Simitis (PASOK) est également sur la liste des suspects. Tsoukatos semble avoir distribué 1 000 000 de Deustche Mark et a maintenu que les fonds se sont retrouvés dans les comptes du PASOK. Les autres suspects sont des cadres supérieurs de la filiale grecque de Siemens, ainsi que des ressortissants allemands qui auraient approuvés les pots de vin et les paiements. Le seul politicien grec ayant jusqu’à maintenant été condamné en relation avec ce scandale est l’ancien ministre des Transports, Tasos Mantelis, qui a écopé de trois ans de prison avec sursis en 2011 après avoir été reconnu coupable d’avoir accepté des paiements de 450 000 deutsche mark (230 000 €) de Siemens entre 1998 et 2000. »

Notes

[1http://www.amna.gr/en/article/228053/Novartis-case-file-points-to-kickbacks-worth-50-mln-euros–sources-say

[2Στενές επαφές φαρμακευτικού τύπου, par Thanos Kamilalis in ThePressProject 19/03/2018

[3http://tvxs.gr/news/ellada/success-story-tis-novartis-me-think-tank-samara

[4Hold-up social : comment le droit du travail a été démantelé en Europe, sans aucun bénéfice sur l’emploi et les gens et Bastamag, Comment le cimentier Lafarge a demandé et obtenu le démantèlement du droit du travail en Grèce
Par ailleurs Lafarge serait aussi impliqué dans des accords avec l’État islamique : Le Figaro, « En Syrie, Lafarge se serait « arrangé » avec l’État islamique » et « Comment Lafarge se serait arrangé avec Daesh pour garder son usine en Syrie »

[5http://www.tovima.gr/politics/article/?aid=942040

[6] Source : Eurostat, General Government expenditure by function (COFOG) (gov_10a_exp)

[7Στενές επαφές φαρμακευτικού τύπου, par Thanos Kamilalis in ThePressProject 19/03/2018

Source http://www.cadtm.org/Grece-L-affaire-Novartis-un-scandale-aux-airs-de-deja-vu

Le documentaire « This is not a coup »

Après  « Debtocracy », « Catastroïka », et « Fascism Inc  le 4eme documentaire du réalisateur Aris Chatzistefanou « This is not a coup  » ( ce n’est pas un coup d’état) sous-titré en français.
Ce documentaire décrit les interventions financières de la BCE en Italie, Portugal, Chypre et Grèce. Ex chefs d’état (D. Christofias), ministres (O. Lafontaine), cadres de l’UE (E. Davignon), économistes et commentateurs éminents (A. Friedman, A. Petifor, O. Jones, etc.) analysent la relation des institutions avec les banques et les grandes entreprises. Il est démontré que la pression des créanciers s’est imposée pour faire plier les gouvernements, voire les renverser..

https://vimeo.com/168905073?ref=fb-share&1 (pour avoir le sous-titrage en français cliquez sur CC) durée 1h20

Relire l’article d’Amélie Poinssot sur Mediapart avant la sortie du documentaire https://blogs.mediapart.fr/amelie-poinssot/blog/090216/not-coup-un-documentaire-grec-soutenir

Grèce trois ans après l’espoir

Oiseaux migrants et fonds vautours : la Grèce trois ans après l’espoir

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Crise(s) : la Grèce à l’été 2015 sera passée en quelques jours de la «crise de la dette» à la «crise des réfugiés» sans que le marchandage auquel ce passage a donné lieu («programme d’aide» contre transformation du pays en camp de rétention ou zone d’attente à ciel ouvert, appui politique et financier apporté dans le même temps au régime dictatorial de Recep Tayyip Erdoğan) ne fasse ciller grand-monde [1].

Pour certains, la «crise des réfugiés» aura été l’occasion de faire oublier la «crise grecque», une crise chassant l’autre. Pour d’autres, le principal point commun entre ces deux événements aura été le gaspillage de fonds communautaires par l’administration hellénique [2].

Dans les deux cas, la réponse apportée par les institutions européennes révèle un usage pour le moins vicié des termes d’aide, de sauvetage, de solidarité. «Programme d’assistance» entraînant le démantèlement d’une économie, la mise en vente des actifs d’un pays, la précarisation massive de sa jeunesse et de ses classes populaires, le placement sous tutelle de son gouvernement ; «fonds d’aide» destinés à des réfugiés par ailleurs condamnés à croupir indéfiniment dans un État en faillite, à mourir en mer ou à être remis entre les mains de régimes tortionnaires ou esclavagistes [3].

Crise grecque, crise des réfugiés comme si, aussi, la partie menaçait le tout, la périphérie le centre et comme si les Grecs et les exilés (les premiers s’étant introduits dans l’Union en maquillant leurs comptes, les seconds y ayant pénétré sans titres) étaient comme tels fauteurs de trouble, porteurs de crise.

Mais de quelle(s) crise(s) parle-t-on? Si crise il y a, ne s’agit-il pas de celle du processus politique de construction européenne? La «crise des réfugiés» n’est-elle pas crise des politiques de migration et d’asile et, à travers elles, d’une certaine conception de l’État de droit? La crise grecque ne s’inscrit-elle pas par ailleurs dans le fil de la crise financière mondiale qui a éclaté en 2008? Mêmes outils et mêmes montages financiers, mêmes incitations à l’endettement des ménages, des entreprises et des États, causes aux effets semblables [4]. Une des études les plus pénétrantes consacrées à la fabrication de la «crise grecque» dans l’opinion pointe la façon dont la presse est passée en quelques semaines «d’une critique des spéculateurs à une critique des citoyens grecs» [5].

Tout se passe comme si les dirigeants européens (gouvernements, Commission, Eurogroupe, Banque centrale) avaient décidé de repousser la crise vers la périphérie géographique de l’Union et de répondre par plus de désunion et de divisions aux fractures existantes. Les expressions de «crise grecque» et de «crise des réfugiés» font apparaître comme un feuilleton périphérique ce qui est plus structurellement crise de l’Europe et crise de la finance : crise d’une Europe dont les institutions, les modes de décision [6] et les objectifs n’ont cessé, depuis le tournant de la rigueur du début des années 80 puis l’abrogation du Glass-Steagall Act et la fusion des banques de dépôt et d’investissement (1993), de se caler sur les institutions, les modes de décision et les intérêts du système financier international ; émergence conjointe d’une gouvernance cynique, tablant sur l’indifférence, la division, le repli, réduisant la politique au management [7] et ne parvenant à maintenir un statu quo fragile que par la force, comme l’atteste de nouveau depuis octobre le traitement policier et carcéral réservé aux élus catalans.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, la réponse politique à la crise financière a pris en Europe un accent étonnamment moral, plaçant au centre du débat les notions de devoir, de faute, de réparation, de responsabilité, de culpabilité ; à une époque de généralisation du recours aux mécanismes d’optimisation fiscale, d’opacité croissante des opérations financières, de multiplication des produits dérivés toxiques [8] et de corruption structurelle des élites, il est remarquable que des notions de cet ordre aient été engagées à propos d’opérations bancaires — comme si le système financier et politique s’efforçait de se refaire une moralité sur le dos des peuples. L’explication de ce phénomène peut également être recherchée dans l’histoire allemande. La position actuelle d’une Grèce à la souveraineté limitée n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, celle de l’Allemagne mise sous tutelle par les gouvernements alliés et soumise à la politique dite de «rééducation». «Par cette expression dépréciative, les citoyens de la République fédérale (…), fondée en 1949 sur les ruines du nazisme, vilipendaient les efforts de dénazification imposés par les Alliés», rappelait un article récent du Monde [9] consacré au philosophe Jürgen Habermas, qui se définissait lui-même comme un «enfant de la rééducation». Les «enfants de la rééducation» que sont Wolfgang Schäuble et Angela Merkel se sont apparemment estimés en droit d’exiger que des mesures de redressement particulièrement cruelles soient prises à l’encontre d’un pays tiers, comme si la rationalité économique était là surdéterminée ou supplantée par une tout autre logique, celle de la punition et de la faute [10].

Le parallèle ne vaut que dans la mesure où il permet d’avancer une explication, psychologique et culturelle, à l’intransigeance de la position allemande [11], qui aura déterminé toutes les autres sur l’échiquier européen. Le parallélisme ne va pas au-delà. Les «fautes» de la Grèce ne sont en rien comparables à celles de l’Allemagne de la Seconde guerre. Ajoutons, comme le rappelait Éric Toussaint dès octobre 2014, qu’il était illusoire, en termes de stratégie politique, de penser qu’une conférence sur la dette grecque pût être organisée sur le modèle de la conférence de 1953 qui entraîna aux premiers temps de la guerre froide la décision d’annuler la dette de l’Allemagne [12].

Reste que l’on sera passé, au nom de la bonne gestion et de l’assainissement des finances publiques, d’une question bancaire à une question morale ; c’est cette dimension (entre «morale de l’épargne» et «éthique du travail») qui a alimenté le racisme particulier de la «crise grecque», lui a aussi donné ses accents d’indignation sincère (à l’épicerie du coin, à table, où chacun se déclarait offensé par la paresse des Grecs, leur «refus de payer leur part» : Nord vertueux et économe contre Sud dépensier, fourmis contre cigales, citoyens européens de plein droit contre «cochons» improductifs de la périphérie, etc.). Le sort de la Grèce s’est joué là : dans l’irrésolution ou la sidération initiales des dirigeants politiques, leur décision de transformer une dette privée en dette publique, dans la facilité avec laquelle les médias dominants ont ensuite relayé une lecture nationale et culturelle de l’événement au détriment d’une analyse systémique.

Ce qui est certain, c’est qu’à partir de 2015 les antagonismes de l’Union éclatent au grand jour ; l’UE apparaît chaque mois davantage comme un champ de rapports de domination et de forces, de coercition, de dépendance et d’humiliation entre pouvoir central et nations ou régions subalternes. Sans doute est-ce sous cet angle, d’abord, qu’il y a crise, dans un sens quasi-lacanien : la crise est ce moment où le semblant (unité de façade de l’Europe, déclarations de principes) ne tient plus et où le réel éclate au grand jour (mise en place par la BCE d’un chantage à l’accès à la liquidité, non-reconnaissance des scrutins, abandon criminel des réfugiés fuyant la guerre, création d’une Europe de 3e zone destinée à faire tampon entre les frontières officielles de l’UE et ses frontières réelles [13]). Le success story du gouvernement Tsipras apparaît aujourd’hui comme une énième tentative de recouvrir ce réel d’un semblant qui ne trompe plus, comme un étrange ballet de patinage artistique sur un lac dont la glace se fendille de part en part.

«Excellentes relations» entretenues entre les institutions européennes et le gouvernement hellénique, «sortie de crise» et «sortie des mémorandums», «retour sur les marchés», «efforts du peuple grec» salués par le secrétaire général de l’OCDE, «amélioration de la situation budgétaire du pays observée à la faveur de la reprise de son économie», «ensemble de réformes ambitieux» [14]… En Grèce, l’actualité est depuis plusieurs mois ponctuée par les annonces optimistes des officiels européens et du gouvernement. Si ces communiqués ont un effet certain sur les opinions publiques européennes, leur impact est bien moindre sur place, dans les quartiers populaires et les camps de réfugiés — sur celles et ceux pour qui ces politiques ne correspondent pas à des chiffres ou des déclarations mais à des données d’expérience et des problèmes d’économie ou de survie quotidiennes. Chacun sait par ailleurs que la ritournelle d’une «sortie des mémorandums» masque le fait que le gouvernement SYRIZA-ANEL a engagé la mise sous tutelle du pays jusqu’en 2060 et que la dette, après l’application de trois plans d’austérité successifs, se monte toujours à près de 180% du PIB national.

Politique-fiction. Il s’agit désormais beaucoup moins de répondre au surendettement abyssal du pays que de profiter des opportunités que ce surendettement génère en termes d’accès à la main-d’œuvre [15] et d’acquisitions à bons prix (infrastructures industrielles ou touristiques, parcs, entreprises [16]). Il s’agit dans le même temps de produire une fiction dont le seul but est d’escamoter le réel.

Les réalités dissimulées sont celles du sacrifice et de l’exploitation des classes populaires, d’une grande partie de la jeunesse, des exilés, et de l’appropriation des actifs grecs par de grands conglomérats ou des fonds vautours [17], à la faveur notamment de la politique de restructuration des banques nationales et de mise sur le marché des créances douteuses. Cette dernière opération fait bien apparaître les aboutissants du marché de la dette ; en entrant en possession de paquets de créances douteuses (les «emprunts rouges»), les dirigeants de ces fonds visent la livre de chair de l’économie réelle derrière l’abstraction et l’opacité apparentes des opérations financières ; l’objectif est de s’approprier des terrains, des immeubles, des maisons, des infrastructures et des routes. Dans le droit fil des privatisations entamées dès la capitulation de 2015 [18], la «crise grecque» et sa gestion continuent d’apparaitre comme une gigantesque opération, à l’échelle d’un pays entier, de transferts de biens, publics d’abord, mais aussi privés (résidences principales). L’intérêt de ces dettes est précisément qu’elles ne peuvent être remboursées et qu’elles devraient permettre à ces fonds vautours de faire main basse sur une partie de la fortune mobilière et immobilière nationale qui, dans ce pays à fort capital touristique, constitue souvent une véritable rente. C’est compter sans la résistance indigène : lutte menée par les collectifs s’opposant aux saisies, à Thessalonique ou Athènes, et dont les créanciers exigent du gouvernement grec la répression sans failles [19] ; combat de longue haleine des habitants de Chalcidique contre l’entreprise d’extraction Eldorado Gold, qui dépend d’un des plus grands fonds d’investissements au monde, la société BlackRock ; apparition de groupes activistes aux actions éminemment symboliques (contre, par exemple, les registres du fonds de privatisation des actifs publics, TAIPED).

Le «non» grec du 7 juillet 2015 apparaît rétrospectivement comme un geste éminemment éthique ; un geste qui, plutôt que de peser et de mesurer précisément le contexte et les risques, s’en affranchit pour affirmer un principe supérieur. Les raisons de ce refus apparaissent même peut-être plus clairement aujourd’hui ; au point où nous en étions arrivés, ce qui était en jeu était rien de moins que la possibilité de changer les choses, de cesser d’aller de concession en concession, chaque concession ouvrant la porte à la suivante et la rendant possible, définissant le terrain ou le rapport de forces sur lequel la concession suivante serait immédiatement engagée, dans un recul sans fin, à tous les niveaux de la vie sociale. Cette situation est précisément décrite à l’échelle d’une entreprise de textile par l’auteur de théâtre Stefano Massini dans la pièce 7 minutes, comité d’usine [20] : arrive un moment où l’on comprend (confusément, intuitivement) que chaque concession n’a pour objet que d’ouvrir le champ à la prochaine, qu’il n’y a pas de négociations ; le glissement conduisant à défaire l’un après l’autre tous les droits (sociaux, économiques, humains) ne connaît pas de terme.

Le jeu ne s’arrête pas à 2015 ni à la «sortie des mémorandums» annoncée aujourd’hui. Le jeu bien sûr ne s’arrête pas non plus à la Grèce. J’avais dans un texte publié il y a deux ans essayé de montrer que la capitulation de juillet 2015 agissait de manière rétroactive, pernicieuse mais malheureusement efficace sur la mémoire même de l’événement qui venait d’avoir lieu. Do not walk outside this area ; le chantage contre la Grèce, la répression contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes [21] ont pour objectif de mettre le possible hors-la-loi ; de démontrer, comme il est écrit sur l’aile des avions, qu’il est interdit de marcher au-delà de cette zone définie par les institutions de marché ; de prouver qu’il n’est pas d’autres institutions possibles que cet assemblage complexe de centres de décision politiques et financiers, européens et internationaux qui, en Grèce, dès la fin de la première phase du gouvernement Tsipras, se sont significativement autoproclamés «les Institutions» comme s’il ne pouvait y en avoir d’autres, comme s’il n’y en avait pas d’autres — ni dans le réel, ni dans le possible.

Le chantage financier auquel le peuple grec a été soumis du mois de janvier au mois de juillet 2015 n’apparaît rétrospectivement comme rien d’autre qu’une attaque massive contre le possible. Cette attaque se poursuit, aujourd’hui, partout où le possible réapparaît, s’affirme, conteste les procédures, les façons de produire, de penser, de faire et de vivre dominantes — au nom de la justice et de l’hospitalité mais aussi, trait d’une époque et d’une civilisation en bout de course, de la préservation de la nature et de l’espèce ; chacun a conscience de vivre désormais dans un monde sapant systématiquement les bases de sa propre reproduction. Comme quelques fictions nous le font entrevoir [22], la fuite en avant adoptée en guise de réponse par les tenants du statu quo n’a pas d’autre horizon que celui d’une société violente et inégalitaire, fragmentée en blocs sociaux étanches et dont les frontières (géographiques et sociales) seront (sont déjà) gardées par la violence des armes. La situation dessinée par la relégation de la Grèce et la violence faite aux migrants et aux voix dissidentes est celle d’une gestion de crise continue où les garanties et le droit peuvent être à tout moment balayés ; paysage morcelé où des formes de vie protégées coexistent (parfois sur le même trottoir, dans la même rue, le même périmètre urbain) avec des situations d’arbitraire et de violence nue. Cette «coexistence» est le trait de notre époque et ce que les intellectuels, outsiders, amateurs et perturbateurs de l’ordre établi [23] doivent s’attacher à formuler et à décrire.

La question de la dissidence est aussi celle de la création artistique, de la production de récits, de fictions et de symboles, l’époque n’étant pas seulement marquée par une confrontation des corps (émeutes, affrontements) et une confrontation d’arguments mais aussi, plus profondément, par une confrontation d’imaginaires. «La culture, énonce un graffiti photographié récemment dans le XVIIIe arrondissement de Paris, est le lieu où le pouvoir trouve toujours des complices.» Cet énoncé recoupe l’assertion de Wilfred Owen rappelée par Edward Saïd dans l’introduction à Des intellectuels et du Pouvoir : «les scribes devant la terre entière récriminent / et face à l’Etat, font allégeance.» [24] Dans la Grèce des mémorandums, les sources de financement du travail artistique sont passées en quelques années de la sphère publique aux fondations privées créés par de grandes entreprises multinationales de marine marchande ou des personnalités emblématiques de l’industrie d’avant-crise [25]. Dans ce contexte, aucune réflexion sur l’art et la pensée critique ne peut faire l’économie d’une analyse des ressources et d’une recherche de modes de financement alternatifs, démocratiques et garants d’indépendance — d’une économie de la société, radicalement distincte du modèle étatique comme de celui de l’économie de marché. Cette recherche passe aussi par une forme de précarité ou d’austérité non pas subie mais assumée et orientée selon nos désirs : une autre précarité, une autre austérité qui, au lieu de nous jeter dans les filets du travail inutile et servile, contribue à enrichir réflexion et imaginaire, à tisser des liens, des façons de vivre, de penser et de faire société éloignées du modèle consumériste. Dans un contexte post-démocratique où la langue du pouvoir est, de plus en plus, celle d’un cynisme cru, la fonction des artistes ne peut être que d’œuvrer parmi d’autres à la construction d’un autre imaginaire — d’un autre imaginaire commun, d’un imaginaire du commun, imaginaire qui n’est peut-être qu’un autre nom du possible — tension vers le futur ayant pourtant déjà une actualité et une effectivité propres.

Dans cette Europe «d’après l’espoir» et à la recherche du possible qu’évoque dans un article récent Christos Giovanopoulos [26], l’espoir est plus que jamais porté par les structures de solidarité, les collectifs locaux en réseaux, les zones à défendre ; un appel récent engageant les cinéastes à se rendre à Notre-Dame-des-Landes et à «filmer et défendre ce territoire qui bat et se bat», ce «lieu réel qui lutte pour construire des imaginaires», est à cet égard éclairant. Le théâtre peut et doit s’inscrire dans ce mouvement parti d’initiatives concrètes (dans les domaines de l’éducation, de l’alimentation, de la santé, de la culture) et d’un refus des formes verticales de délégation politique traditionnelles qui ont en Grèce démontré leur inanité. Il n’est pas certain que l’art ait en l’occurrence, contrairement aux crédos avant-gardistes d’autrefois, la moindre prééminence ; peut-être ses contours apparaissent-ils mieux lorsqu’il se positionne comme une sorte de chambre d’écho ou d’enregistrement de l’intelligence collective à l’œuvre partout où des êtres humains résistent.

Fait-on la démonstration qu’aucun autre réel n’est possible en détruisant systématiquement toutes les alternatives? La violence et la destruction ont-elles valeur de preuve? Face à cette violence et cette gouvernance de non droit, le pessimisme est-il forcément de mise? La conviction qui anime les collectifs de résistance ne peut-elle sortir paradoxalement renforcée du constat que ce système politico-financier gangrené par la corruption se trouve aujourd’hui le dos au mur et n’a plus d’autres alternatives que celles du mensonge et de la force brute?

Il est intéressant de se souvenir aujourd’hui, comme nous y invitait l’intellectuel serbe Vojin Dimitrijević au printemps 1991 [27], du pessimisme qui animait la plupart des critiques du socialisme réel avant l’effondrement du mur. Tous ces textes, écrit l’auteur en substance, étaient imprégnés d’un certain pessimisme, presque de la conviction que le système était éternel et indestructible. «Lorsqu’il y avait dans les utopies littéraires un happy end, c’était toujours pour voir les héros s’enfuir dans une oasis mystérieuse et cachée (…). Mais on n’assistait jamais à la faillite de ce système. Dans les études de politologie, les choses n’en allaient pas autrement. (…) Cette faillite était rarement envisagée comme la conséquence de facteurs intérieurs et surtout pas comme la débâcle d’un système victime de sa propre incapacité, de son inefficacité et de son abandon.»

Dans leur aveuglement et leur arrogance, les tenants du néo-libéralisme ont peut-être tendance à oublier ou à omettre que l’origine de leur pouvoir sans partage vient de l’effondrement, comme un château de cartes, d’un système qui paraissait, quelques mois encore avant son effondrement, aussi éternel et aussi indestructible que le leur. À nous d’imaginer les voies que pourrait prendre l’effondrement de l’édifice néo-libéral à partir de notre expérience, de nos besoins et de nos luttes : le néo-libéralisme est dans les faits battu en brèche et contesté à la racine partout où la société s’organise, partout où des êtres humains s’attachent à préserver le futur et la vie.

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[1] À l’exception notable de Stathis Kouvelakis dont le texte La Grèce, la frontière, l’Europe, un des plus complets et des plus éclairants de la période, relève notamment l’importance du terme de périphérie dans l’articulation entre crise grecque et crise des réfugiés et la nécessité de penser ces deux événements simultanément.

[2] C’est en particulier un des chevaux de bataille du journal Libération.

[3] Lire à ce sujet Comment l’Europe finance et légitime des régimes autoritaires pour barrer la route aux migrants et le rapport Expanding the Fortress : la politique d’externalisation des frontières de l’UE publié le 14 mai 2018.

[4] Crédits à la consommation et prêts immobiliers, création d’une bulle de la construction aux États-Unis, en Espagne comme, sous des modes différents, en Grèce, explosion des créances non-recouvrables, déstabilisation des banques à l’origine de cette politique de généralisation du crédit (auprès des classes moyennes mais aussi, comme dans le cas de la crise des subprimes, des plus pauvres).

[5] La crise grecque : un scandale manqué, par Jeremy Morales, Yves Gendron, Henri Guenin-Paracini.

[6] Opacité des prises de décision au sein de l’Eurogroupe, lobbying des grands groupes multinationaux auprès des membres de la Commission.

[7] La crise grecque : un scandale manqué, ibid., p. 13.

[8] L’exemple de la Deutsche Bank, institution bancaire la plus exposée au monde à ces avoirs potentiellement explosifs, est à cet égard particulièrement frappant.

[9] Article de Nicolas Weill du 23 février 2018.

[10] Avec des résultats proprement aberrants d’un point de vue économique.

[11] En particulier sur le chapitre de la restructuration de la dette grecque.

[12] Lire à ce sujet Pourquoi Alexis Tsipras a enterré la suspension du paiement et l’audit de la dette bien avant les élections de 2015, par Éric Toussaint, Stathis Kouvelakis, Benjamin Lemoine (3 octobre 2016), et l’entretien avec Éric Toussaint réalisé en 2014 par Tassos Tsakiroglou (journaliste au quotidien grec Le Journal des Rédacteurs), reproduit dans cet article.

[13] La Grèce, la frontière, l’Europe.

[14] «La Grèce respire», titrent Les Échos dès le 25 septembre 2017 ; «les finances grecques sont en bien meilleur état», déclare le ministre des Finances estonien, dont le pays assure alors la présidence tournante de l’UE, tandis que Pierre Moscovici, Commissaire européen aux Affaires économiques, évoque avec une émotion feinte «la reconnaissance des terribles efforts et des sacrifices réalisés par les Grecs pour redresser leurs finances publiques». Remarquons que le terme de «réformisme» (efforts réformistes) est dans nombre de ces communiqués synonyme de casse sociale.

[15] Jeunesse formée dans les universités grecques et employée, notamment, dans le Nord de l’Europe, massivement précarisée et employée au rabais en Grèce.

[16] Lire à ce sujet cet article de N. Kadritzke et cet article de M. Orange.

[17] À propos de ces fonds, lire notamment : « Les « fonds vautours » prospèrent sur la misère en spéculant sur l’endettement des particuliers, par Éric Toussaint (11 décembre 2017) ; Appauvris par les memoranda, les Grecs vont perdre tous leurs biens, par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis (30 avril 2018). À propos de l’explosion des créances douteuses dans la Grèce des mémorandums, lire : L’ombre menaçante du FMI sur la Grèce (mai 2018).

[18] Citons parmi d’autres exemples celui des aéroports grecs cédés à l’entreprise allemande Fraport ou le cas d’OTE, premier opérateur national de téléphonie, aujourd’hui géré par Deutsche Telekom.

[19] Par des opérations policières dans l’enceinte des tribunaux mais surtout par la dématérialisation des audiences désormais appelées à se tenir sur Internet.

[20] L’Arche Editeur (2018) pour la traduction française.

[21] Lire à ce sujet : Notre-Dame-des-Landes, place aux utopies concrètes par Luc Gwiazdzinski et Olivier Frérot (Libération, 19 avril 2018).

[22] The Handmaid’s Tale, série inspirée du beau roman dystopique de Margaret Atwood, La Servante écarlate.

[23] Selon les termes d’Edward Saïd dans son recueil d’essais Des intellectuels et du Pouvoir, Seuil, 1996.

[24] Des intellectuels et du Pouvoir, Seuil, 1996, p. 15.

[25] Cf. à ce sujet Fleurs de ruines.

[26] La Grèce après l’espoir : en attendant le possible, réflexions sur le mouvement des solidarités locales, Christos Giovanopoulos, Vacarme, numéro 83.

[27] Lettre Internationale, «C’est l’autre le coupable», printemps 1991.

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Réfugiés : solidarité et luttes contre la menace raciste et fasciste

« La lutte continue pour que les réfugiéEs ne soient pas isolés dans des camps de rétention dans les îles »

NPA : Les articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse, d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent utiles.

Entretien. Alors que 35 migrantEs sont jugés par la justice grecque en raison de leur participation à une manifestation contre leurs conditions de détention sur l’île de Lesbos, nous avons rencontré Petros Constantinou, coordinateur de la Keerfa (Mouvements unis contre le racisme et la menace fasciste), et conseiller municipal Antarsya à Athènes.

Avec la Keerfa, vous dénoncez notamment « l’Europe forteresse ». Concrètement, de quoi s’agit-il ?

Les gouvernements des pays de l’UE appliquent des politiques racistes envers les immigréEs, en fermant les frontières, en abolissant les droits des réfugiéEs et l’asile, transformant l’Europe en une forteresse remplie de barrières et de camps de concentration, et la Méditerranée en tombe pour des milliers qui fuient l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ces politiques ouvrent la voie à une nouvelle montée de l’extrême droite et des partis fascistes en Europe.

Des interventions impérialistes, comme la dernière attaque de l’alliance États-Unis-France-Grande-Bretagne contre la Syrie, déracinent encore plus de personnes de leur pays. Les gouvernements eux-mêmes qui se présentent comme les sauveurs du peuple syrien, ferment leurs frontières aux réfugiéEs et renforcent les discriminations envers eux. Soixante-dix ans après la signature de la Convention de Genève, le droit à l’asile est miné au nom de politiques de loi, d’ordre et de sécurité et des choix ouvertement racistes avec l’islamophobie en tant qu’expression dominante. Les accords UE-Turquie-Libye depuis mars 2016 tentent de bloquer les réfugiés hors de l’UE en finançant des camps sur le territoire de la Turquie et la Libye, où réapparaît le commerce d’esclaves. Ils militarisent la garde des frontières avec Frontex et l’OTAN. En Grèce, ils imposent l’isolement des réfugiés dans les îles.

Ils désorientent les travailleurEs en accusant les immigrés d’être responsables de la pauvreté et du chômage.

Comment se manifeste la solidarité avec les migrantEs en Grèce ?

La résistance en Grèce est massive. En 2015, les réfugiéEs, avec un énorme mouvement de solidarité dans un pays de travailleurEs appauvris par les mémorandums et la troïka, ont réussi à briser les frontières et arriver partout en Europe. En 2016, les gouvernements de l’UE, notamment avec les accords avec la Libye et la Turquie, se sont retournés contre ce mouvement.

Des milliers de travailleurEs et de jeunes, avec leurs syndicats et leurs collectifs, ont soutenu les réfugiéEs. Aucun n’est resté sans nourriture ni sans toit. Ils ont revendiqué et imposé au gouvernement que les enfants des réfugiéEs soient inscrits dans les écoles publiques.

Comment réagit l’extrême droite ? 

Les néonazis d’Aube dorée, derrière le masque du parent indigné, ont essayé d’organiser une réaction à l’inscription des enfants dans les écoles. Ils ont échoué quand les syndicats d’enseignantEs, les associations de parents d’élèves, mais aussi tous les partis de la gauche, le Parti communiste, Antarsya, Unité populaire, ainsi que des gens de Syriza, ont défendu les écoles et fait plier les fascistes.

Le mouvement en Grèce après l’assassinat de Pavlos Fyssas en 2013 par les néonazis d’Aube dorée, avec un soulèvement massif et une grève générale, a imposé le procès d’Aube dorée et l’emprisonnement de plusieurs de ses cadres.

Les fascistes sont isolés et les attaques contre les immigréEs provoquent la colère. Le gouvernement Syriza-Anel fait face à d’importantes critiques en raison de la poursuite des politiques racistes. Le 17 mars des milliers de gens ont manifesté à Athènes avec les réfugiéEs, exigeant l’abolition de l’accord raciste UE-Turquie. Dans les îles de Lesbos, Chios et Samos, des réfugiéEs entament des grèves de la faim et organisent des manifestations pour gagner la liberté de circulation ; la police attaque les mobilisations et des réfugiéEs se retrouvent en procès. La lutte continue pour que les réfugiéEs puissent s’installer dans les villes et non dans des lieux-ghettos hors des villes, et pour qu’ils ne soient pas isolés dans des camps de rétention dans les îles.

Comment s’articulent les luttes de solidarité avec les migrantEs et le reste des mobilisations sociales ?

Le mouvement ouvrier, avec ses luttes et ses revendications, construit le front contre le racisme et contre les fascistes. Les travailleurEs municipaux, les écoles, les hôpitaux revendiquent des fonds et le renforcement des services de santé, d’éducation et de protection sociale, avec plus de personnel afin de pouvoir prendre soin de tous, locaux et immigrés. Ils demandent le droit à l’hébergement pour touTEs, ainsi que le droit au travail sans discriminations.

En mai 2017, des travailleurEs immigrés d’une usine de plastique ont fait grève pendant 19 jours quand le patron a frappé un des ouvriers qui demandait ses droits. Ils ont créé un syndicat et ont eu le soutien de toute la gauche. En bravant les intimidations racistes du patron, ils l’ont obligé à accepter un accord.

Et quand à nouveau les fascistes ont commencé à organiser des pogroms et des attaques contre des travailleurs agricoles à Aspropyrgos, des manifestations massives ont été organisées dans la région, obligeant la police à cesser de couvrir les fascistes qui ont été ensuite envoyés en prison et les attaques ont cessé.

Quel rôle pour la Keerfa ? 

Unis dans l’action commune de toute la gauche et des syndicats, la Keerfa mobilise beaucoup de monde qui peut barrer la route au racisme et aux fascistes. Cela a une importance énorme pour que les fascistes ne puissent pas profiter du mécontentement et gagner des gens à cause des compromis du gouvernement Syriza avec les capitalistes, avec son implication dans les antagonismes militaires dans la région, avec l’accord avec Israël et l’Égypte pour le contrôle de nouveaux gisements d’hydrocarbures. La voie reste ouverte pour que les gens qui se sont battus contre les mémorandums continuent de s’orienter vers la gauche même si cette lutte a été trahie par Syriza.

Propos recueillis par la rédaction

Source https://npa2009.org/idees/international/la-lutte-continue-pour-que-les-refugiees-ne-soient-pas-isoles-dans-des-camps-de

L’homme fardeau La rubrique de Panagiotis Grigouriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

L’homme fardeau

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, les touristes et les badauds s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté les lieux, car la pluie est alors de retour à Athènes, un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Manifestants et touristes. Athènes, le 1er mai 2018

Dans presque cette même vie des symboles, les syndicats, toujours dispersés et pour tout dire pratiquement disparus du champ de l’utilité publique, ont fait défiler les leurs autour de la place de la “Constitution”, tout juste le temps de cette belle matinée muséale du 1er mai pendant que l’agglomération athénienne s’était déjà déplacée coûte que coûte sur les rivages de l’Attique. Sous le pavé, la plage.

Nos touristes, photographiant tout de même les manifestants avec boulimie, drapeaux rouges et visages cependant serrés. Revue des… deux mondes. Le tout, après avoir si certainement croqué à la Grèce éternelle, au nouveau musée de l’Acropole et pour finir, aux mets supposons plus authentiques que jamais.

Et devant le “Parlement”, les cars des unités des MAT, les CRS du pays de Zeus, occupèrent les lieux pour empêcher de la sorte toute velléité populaire à l’encontre… des très chers élus, maintenant que le mystère de la politique semble totalement élucidé, dès l’arrivée au pouvoir en 2015 des Syrizistes et si fières de l’être.

Cependant, ceux et celles qui n’ont guère chômé en ce 1er mai, n’auront fait que traverser les lieux comme les artères de la ville pour se rendre à leur travail, désormais payé en règle rependue et générale près de 500€ par mois pour un temps finalement trop plein. Femmes et hommes alors cheminant la tête surtout baissée, le traditionnel café froid dans la main. Poids encore et surtout du monde.

Manifestants. Athènes, 1er mai 2018
Le traditionnel café froid dans la main. Athènes, le 1er mai 2018
Manifestants. Athènes, le 1er mai 2018

Et pendant que ceux de la… République populaire des Airbnbiens s’adonne aux emballements de la ville d’Athéna… d’ailleurs présentée comme étant “le nouveau Berlin”, Alexis Tsipras, illustre locataire de l’hybris comme de l’absurde, s’est envolé pour l’île de Lesbos, en visite officielle jeudi dernier 3 mai, le tout, après avoir dépêché sur Mytilène, capitale de l’île, plus de dix compagnies de CRS hellènes, l’escrocrise est ainsi un plat… qui mange décidément son chapeau.

Les habitants et les commerçants de l’île avaient aussitôt décrété Mytilène ville-morte, et en effet, pratiquement pas un seul commerce n’a ouvert ses portes pendant la visite du cynique Alexis. Des heurts ont même opposé forces de l’ordre et manifestants, ces derniers exprimant leurs désarroi devant la mutation forcée et violente que leur île connait, sous le double effet de l’austérité comme de celui des flux migratoires incontrôlés.

Cette… autre vie réelle grecque, indique alors que la Tsipoparade gouvernementale ne se déplace plus sans une protection policière importante par les temps qui courent décidément si vite. Et depuis les micros des radios, certains journalistes ont voulu rappeler que parmi les promesses électorales de l’imparable Alexis de 2014, y figurait également la suppression pure et simple des unités de CRS “pour n’agir qu’à travers le cadre d’une police de proximité”, histoires toujours simples, racontées à chaque fois avec force et conviction, aux peuples trompés, et pour tout dire ainsi mourants.

Mytilène, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène ville morte, le 2 mai, Presse grecque
Mytilène, le 2 mai, Presse grecque

Ainsi, à travers une émission touchante sur le Deuxième Programme de la radio publique grecque ERT, dimanche 6 mai, dont l’invité fut le spécialiste du chant Rebétiko et plus amplement de la musique populaire grecque, Panagiótis Kounádis, il a été rappelé que “finalement certains peuples et cultures peuvent parfois disparaitre complètement… du fardeau de ce monde, suite notamment à une attaque généralisée, une guerre alors totale, dont une guerre totale culturelle”.

Le journaliste, un peu gêné, il a aussitôt compris ce que Panagiótis Kounádis voulait alors exprimer, le peuple grec pourrait ainsi ne pas faire exception à cette règle, d’ailleurs, “dans un monde où les mots concurrence et profit ont depuis longtemps remplacé les termes bonté et paix, dans un monde enfin, où seulement six bandes de salopards alors gouvernent au destin des mortels, d’où la généralisation des ‘gouvernants’ marionnettes et de surcroît incultes, contrairement par exemple au temps des dirigeants comme Charles de Gaulle, lequel au moins comprenait le monde, ainsi que ses interlocuteurs”, (Panagiótis Kounádis, le 6 mai, ERT).

Je me souviens, au sujet de mon ami Panagiótis Kounádis, j’écrivais au lointain Printemps 2014: “On commence alors à voir si possible plus loin que notre nez en crise. Mercredi soir, c’est dans une salle de la mairie d’Athènes qu’à l’initiative de Panagiótis Kounádis (musicologue) et de Fondas Ládis (écrivain et poète), que le nouveau SFEM (Association des amis de la musique grecque), reprend enfin le chemin du légendaire SFEM des années 1960, de Míkis Theodorakis, de Mános Hadjidákis et des autres.”

Visiteurs. Cap Sounion, mai 2018
Visiteurs et animal adespote. Athènes, mai 2018
Travailleurs et travailleuses du 1er mai. Athènes, 2018

En 2018, Panagiótis Kounádis rappelle déjà avec nostalgie que les grands noms de la musique grecque ont été essentiellement ceux du premier SFEM, espoirs d’alors que la dictature des Colonels a alors brisés net. “Le régime des Colonels a surtout occasionné des dégâts culturels énormes, finalement plus que politiques dans un sens. Toute l’énormité de la chanson de mauvais goût et de piètre existence actuelle nous parvient alors de cette période. Ce fut la fin de la musique populaire de qualité et en même temps massivement adoptée par les Grecs.”

“Ce n’est plus le cas, c’est la sous-culture, celle que les médias vont sans cesse promouvoir que les Grecs suivent et chantent sans cesse. Pourtant, tout n’est pas perdu. De nombreux jeunes suivent avec sérieux et conviction le cursus que nos lycées musicaux leur proposent encore. Dans la mesure où ils ne sont pas écrasés par les petits boulots payés 20€ par jour, ils peuvent, et ils sauront encore sauvegarder notre culture du chant populaire, sinon…”

Le chant populaire, c’est aussi ces petits orchestres, un bouzouki, une guitare et deux voix qui se reproduisent sur les terrasses des tavernes, et ce n’est pas tout à fait qu’un phénomène touristique. Le gagne-pain a conduit de bien nombreux musiciens à se reproduire dans les bistrots à défaut d’autres possibilités, à part cela… “Athènes, c’est le nouveau Berlin”, pauvres villes !

Musique populaire et taverne. Athènes, mai 2018
Athènes… nouveau Berlin
Animal adespote. Athènes, mai 2018

Dieu merci, la musique populaire est encore vivante, et les pluies des dernières heures ont causé des dégâts à Athènes et en Thessalie. Après-tout, les Grecs ne sont plus de la dernière pluie paraît-il. Les Chinois non plus, et c’est peut-être pour cette raison que le bien officiel “Bureau d’information pour les ressortissants Chinois”, vient d’ouvrir ses portes récemment au centre-ville.

Incroyable poids, paraît-il de ce monde. Sous l’Acropole très exactement, qui en a vu bien d’autres… poids bien entendu, nos touristes et les badauds, Chinois compris, s’attardent un bref moment devant cet homme incarnant étant donné les circonstances de son gagne-pain, l’entière symbolique du fardeau de la Terre qui est surtout le nôtre. Un peu plus loin, dans un quartier périphérique, certains Grecs accrochent sur un mur d’un trottoir étroit sacs et chaussures destinés à être aussitôt récupérés par les encore plus pauvres. Ailleurs, les francophones du… Temple de l’hybris, iront prétendre qu’un certain avenir… alors brûlant leur appartient, poids du monde !

Bureau d’information pour ressortissants Chinois. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Sac… offert. Athènes, mai 2018
Avenir… brûlant. Athènes, mai 2018

Pluies passagères au beau pays des plages et des ruines de toute sorte. D’après une récente étude du de l’universitaire Sávvas Robolis, avec l’introduction des réductions à venir pour 2019-2020 concernant les retraites que SYRIZA a signé entre 2015 et 2016, la pension mensuelle moyenne, qui est actuellement à 722€, tombera à 480€, et si en plus l’abaissement du seuil d’imposition mesure également adoptée, est alors appliquée en 2020, la pension nette moyenne, celle des retraités en Grèce sera de 450 euros.

C’est dans cet esprit, que le professeur Robolis estime qu’il sera alors très difficile de survivre pour cette catégorie de la population, surtout gardant à l’esprit que, selon les données officielles, déjà 48% de la population grecque, soit 5,1 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire, 382 euros par mois. Et sur ce 48%, il y a 1,5 million de personnes qui vivent dans une extrême pauvreté, soit moins de 182 euros par mois, Sávvas Robolis, mars 2018.

L’horizon depuis les plages pour les uns, nos cormorans, nos animaux adespotes qui nous observent derrière nos fils de fer barbelés et autres clôtures civilisationnelles, le poids du monde en réalité pour tous et surtout pour la majorité écrasante et écrasée.

Nos animaux adespotes. Athènes, mai 2018
Nos oiseaux marins. Attique, mai 2018
Nos plages. Attique, mai 2018

Les manifestants de ce 1er mai plus dispersés que jamais sont rentrés chez eux, Entre-temps, l’homme… fardeau, tel Atlas le Titan condamné par Zeus à porter pour l’éternité la voûte céleste sur ses épaules a déserté aussi les lieux de l’Acropole, car la pluie est alors de retour à Athènes.

Un retour “bien bref comme d’habitude”, nous dit-on. Mois de mai !

Animaux adespotes. Athènes, mai 2018
* Photo de couverture: L’homme… fardeau. Athènes, mai 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Patrie flottante La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Patrie flottante

Journées ensoleillées, estivales. Premières baignades de la saison. Décidément, le bonheur ultime aura la mort dure en ce pays. Les touristes, venus disons pour l’Acropole et le soleil, rencontrent parfois ces Grecs qui leur expliquent comment et combien il est urgent que… Jésus de Nazareth puisse alors sauver leur patrie. Qu’en est-il finalement entre le pays visitable et le pays réel ? Symboles déjà du Sud, “là où les doigts de l’homme avec cette maladresse qui ne mentent jamais, osèrent jadis modeler la matière”, comme l’écrivait, mais il y a déjà un moment le poète Odysséas Elytis.

Symboles… du Sud. Athènes, avril 2018

Certains medias rappellent alors en cette journée, le 27 avril 1941, moment précis où l’armée allemande était entrée dans Athènes. “Ce dimanche matin du 27 avril 1941, Athènes s’est réveillé brusquement. Toute la nuit, la ville a été secouée par des explosions de nombreux dépôts de munitions, ils ne devraient pas tomber entre les mains des Allemands. Enfermés chez eux, les Athéniens attendaient avec angoisse et anxiété l’arrivée des envahisseurs. Entre mauvais pressentiment et grande émotion, les fenêtres fermées, les athéniens suivaient la situation en écoutant leur radio encore libre.”

“Dans sa tentative à donner du courage aux Athéniens endeuillées, le speakeur de la station radio avec sa voix nasale bien distinctive, Konstantinos Stavrópoulos, diffusait alors les dernières phrases libres encore perçues depuis son poste: Ici Athènes et sa radio encore libre, pas pour bien longtemps… Grecs ! Les envahisseurs Allemands sont aux extrémités d’Athènes. Frères ! Gardez bien l’esprit du front au plus profond de votre âme. L’envahisseur pénètre dans notre ville désertée, aux fenêtres fermées avec toutes les précautions. Grecs ! Haut les cœurs !”

Pays paisible, adespote du “Parlement”. Athènes, avril 2018

Pays paisible. Devant sa vitrine. Athènes, avril 2018

Mémoire et alors symboles du Sud, lesquels… parfois nous surveillent il faut dire bien d’en haut ou de loin. Du pays paisible au pays pesant il n’y aurait visiblement qu’un bien maigre pas. “La capitale grecque mérite mieux qu’un quart d’heure sur l’Acropole et quelques clichés sur ses embouteillages. Pour qui sait flâner, elle cache des recoins insoupçonnés. Cité rebelle, branchée, balnéaire, nous sommes partis (re)découvrir Athènes…”, écrit le quotidien “Libération” dans un beau texte touristique, et cependant de semi-propagande.

Athènes, la supposée belle du jour, dissimule pourtant mal sa dystopie ambiante façon entre-deux-guerres. D’ailleurs, sans trop deviner de ce que ces nouvelles guerres en cours sont-elles ou seront-elles faites concrètement. En attendant, c’est parfois une certaine mémoire historique qui nous est rappelée, comme par exemple ces derniers jours en plein centre-ville, le génocide du peuple Arménien, perpétué par la Turquie entre 1915 et 1916, ayant débuté très précisément le 24 avril 1915.

Dystopie ambiante. Athènes, avril 2018

Arméniens et mémoire du génocide. Athènes, avril 2018

Arméniens et mémoire du génocide. Athènes, avril 2018

Boycott des produits turcs. Athènes, avril 2018

Les Arméniens de Grèce rappellent alors que ce génocide a fait près 1,5 million de victimes dans la population arménienne de l’empire turc, ainsi que plus de 250 000 dans la minorité assyro-chaldéenne des provinces orientales et 350 000 chez les Pontiques, orthodoxes hellénophones de la province du Pont. Ce n’est pas… rien. Ainsi, la piètre géopolitique actuelle des réelles ou supposées grandes Puissances dans cette même région du monde un siècle après, n’aura presque plus à rougir, comparée aux tristes faits et gestes du passé d’il y a un siècle.

La Turquie d’Erdogan multiplie actes de guerre et provocations envers les peuples et les pays voisins, et depuis Athènes… on baigne très exactement dans cette géopolitique alors… de proximité. Non loin de la place de la Constitution où les comités des Arméniens ont installé leurs stands, c’est sur la place de l’Académie toute proche, que les comités des Kurdes ont installé les leurs, histoire de rappeler toute la gravité de l’invasion de la l’Armée turque à Afrin. Dans Athènes depuis peu, on y découvre également ces autocollants, incitant les Grecs comme les touristes à boycotter les produits turcs. Culture… de guerre ? Sauf que dans la vraie vie, les humains aspirent parfois, et fort heureusement, à la paix… comme autant à leur bout de soleil. Ainsi, les beaux quartiers de la Riviera d’Athènes sont depuis 2016 la destination de choix pour de très nombreux citoyens turcs, modernes, aisés et souvent Stambouliotes. Ils s’y installent avec leurs familles pour être visiblement plus que bien accueillis par les Grecs. La piètre géopolitique n’est sans doute pas la seule issue pour ce monde… de la proximité humaine. Espérons-le en tout cas.

Touriste à Athènes. Avril 2018

Touristes sur l’Acropole. Athènes, avril 2018

Touristes à Athènes. Avril 2018

Sauf que la proximité, voire la promiscuité, n’est pas forcément ni toujours bon signe… Sous la pression de la récente nouvelle augmentation des flux migratoires depuis la Turquie, la situation devient alors insupportable et cela pour tous. Mytilène, capitale de l’île de Lesbos de 27.000 habitants, explose actuellement sous la pression d’une population d’ailleurs autant asphyxiée de 10.000 migrants.

Durant près de cinq jours, certains migrants, Afghans pour l’essentiel, avaient occupé la place centrale sur le port de Mytilène revendiquant entre autres le droit d’asile, tout comme la possibilité de pouvoir circuler librement à travers le pays.

Rajoutant au chaos ambiant, la police, c’est à dire le gouvernement et ses ordres, n’a pas voulu faire évacuer la place et la situation s’est envenimée dans la nuit de dimanche à lundi derniers, lorsque des habitants excédés, et aussi des Aubedoriens, ont littéralement attaqué les occupants de la place. La police alors s’est interposée entre les deux… réalités bien âpres, une police il faut dire plutôt bienveillante vis-à-vis des assaillants.

Nuit du 23 avril à Mytilène (presse grecque)

“C’est une nuit que nous ne devons plus revivre”, rapporte en effet la presse locale, quotidien “Embrós” de Lesbos, le 24 avril 2018. Finalement, les migrants ont été évacués et même interpellés par les forces de l’ordre, et le calme est revenu après pratiquement toute une nuit chaotique, où, ce n’est que par chance que nous n’avons eu à déplorer aucune victime.

La presse autorisée, s’est souvent contentée de rapporter les faits sous le seul angle d’une action initiée par de groupes fascisants, certes provocante et dangereuse. L’épineuse vérité cultivée depuis le terrain grec, c’est que la population grecque ne peut plus supporter la présence accrue et incontrôlée de tant de migrants, livrés il faut dire en partie à eux mêmes avec tout ce qu’une telle évidence peut signifier. C’est alors ainsi que les Aubedoriens peuvent et pourront encore… agir, même si dans leur immense majorité les Grecs ne se sentent pas proches des idées prônées par l’ancien groupuscule mué en parti politiqué parlementaire depuis seulement le moment troïkan de la Grèce.

Cela étant dit, le repli identitaire grec est plus qu’évident, pour la plus grande majorité des Grecs, le sentiment patriotique défensif domine désormais les mentalités, et c’est justifié. Leur pays concret et leur existence se perdent ainsi d’en haut comme d’en bas, leur avis n’est jamais sollicité, les dites réformes, l’austérité, la Troïka initiatrice des lois, le référendum bafoué, la surimposition, la destruction des lois sociales existantes, puis en même temps les flux migratoires incontrôlés, et les biens publics bradés… entre autres, c’est sans doute trop.

Manifestants, Athènes, semaine du 22 avril (presse grecque)

Affiche, Marxisme et 50 ans depuis mai ’68. Athènes, avril 2018

Affiche de gauche. Athènes, avril 2018

Accessoirement, et en dépit des affiches parfois heureuses du centre-ville, la gauche grecque et d’ailleurs sous toutes ses formes, elle est bien morte, ceci bien exactement depuis l’avènement de la “gouvernance” SYRIZA. “Le système est pourri, sauf que nous, nous le sommes bien davantage”, peut-on ainsi lire sur un mur d’Athènes en ce moment.

Dernier acte en date, le démantèlement et la mise en vente de la Compagnie Publique d’Électricité (DEI), déjà certaines unités de production de lignite au nord du pays, les mieux rentables seront prochainement vendues d’après la dernière loi que ceux de SYRIZA/ANEL ont fait adopté cette semaine au sein du “Parlement”.

Les électriciens, tout comme les retraités et ceux du personnel hospitalier ont certes manifesté place de la Constitution le même jour cette semaine, mouvements cependant et alors grèves ne sauvant même plus l’honneur à vrai dire. L’avis très actuel du journaliste et dessinateur de presse Státhis Stavrópoulos (issu d’ailleurs des rangs de la gauche) est sans appel:

“Tsipras n’a pas laissé un seul crime que ses prédécesseurs avaient pu commettre, sans le poursuivre, et même le parfaire. Continuateur dans cette même voie, il massacre les retraites, il disloque le travail, il brade la Grèce, il en rajoute dans la vassalisation du pays, il crucifie la Constitution, il pousse la jeunesse à quitter le pays pour l’étranger.”

“Le système est pourri…” Athènes, avril 2018

Illusions. Athènes, avril 2018

Réalités. “J’achète immobilier cash”. Athènes, avril 2018

“Et nul besoin que d’être fou pour ainsi nous rendre tous malades. Il suffit comme pour Tsipras, que d’être dévergondé, amoraliste, cynique et menteur. Et comme en plus il incarne cette parfaite marionnette des Puissants, la mayonnaise alors elle prend bien, et aujourd’hui il nous dira alors qu’il s’agit du Socialisme plus l’électricité d’où la vente de DEI”.

“Tsipras a ainsi offert aux Puissants, Grecs comme Occidentaux, le meurtre de la Gauche. Même dans leurs rêves les Puissants, ici comme en Occident, ils n’auraient imaginé qu’un simple valet nommé Tsipras leur aurait offert la tête coupée du pays sur un plateau, telle Salomé réclamant la tête de Jean-Baptiste. Le tout, contre des miettes pour le peuple grec et autant, contre trente pièces d’argent pour cette clique qui se prétend alors de gauche.”

“Je ne sais plus quel cerveau doit avoir un type comme Tsipras, lorsqu’il croit qu’il est possible de laver le mensonge par le sang. Et même ceux qui quittent en ce moment le navire Tsipras ne sont guère meilleurs que lui, ils sont même pires. Sans Tsipras, ils seront jetés dans le ravin, mais c’est autant dans ce même ravin qu’ils vont être jetés en restant à ses côtés” Státhis Stavrópoulos, le 26/04/2018. Très beau pays à ses inimitables… animaux adespotes. Nos nombreux touristes, parfois en airbnbistes convaincus ne liront certainement pas Státhis, comme ils ne remarqueront que rarement, cette expression du malheur bien profond qui se lit pourtant sur les visages des travailleurs du pays, vieux d’ailleurs, comme autant chez les plus jeunes. D’après Eurostat de cette semaine, 21% de la population en Grèce n’arrive pas à faire face aux besoins essentiels, et de toute l’Union Européenne, c’est seulement la Bulgarie et son peuple qui sont encore plus paupérisés que les Grecs, presse grecque de la semaine du 22 avril 2018.

Petit et vieux commerçant. Athènes, avril 2018

Travailleurs. Athènes, avril 2018

Touristes. En Attique, avril 2018

Animal adespote. Athènes, avril 2018

C’est déjà le prélude de l’été et ainsi celui des premières baignades. Dans les parcs ceux qui aiment s’occupent des animaux adespotes, non loin de certaines églises où les cultes et les usages anciens ont été récupérés pour les besoins de la seule modernisation chrétienne d’il y a près de mille ans. Coquilles culturelles ainsi vidées en leur temps, autant que de nombreuses idéologies et même théologies héritées des Lumières comme des deux siècles précédents et précurseurs en ce moment.

Plus terre-à-terre, les Grecs savent désormais que le temps des droites et des gauches ne sera plus, en tout cas plus comme avant, les sondages tournent alors à vide, même si le non-avenir par la dystopie promue comme… prometteuse passe et passera encore par le pseudo-système parlementaire. Celui en Grèce que les Syrizistes ont ainsi achevé, avec le dernier espoir via les urnes, referendum compris.

“Patrie flottante”, pays qui navigue, c’est aussi le titre du roman du journaliste Dimitris Papachrístos. Patrie alors flottante qui voyage avec le capitaine Barbagiannis Sitaras, originaire de l’ile de Chios. Un petit café au centre d’Athènes, juste en dessous du Parlement faisant office de passerelle pour son capitaine lequel voyage sans cesse les yeux fermés devant le spectacle du monde entier. Il a vécu la mort de son enfant aux États-Unis, et ensuite à Athènes, le suicide de sa femme. Pour le reste, il vit exclusivement à travers ses propres mots et il observe les faits autour de lui sous une allure bien interminable. Sans se laisser décevoir de tout ce qui arrive, tout comme de tout ce qui n’arrive alors pas.

C’est pour le roman la période de 2012, au moment où une partie de la ville avait été brûlée, alors manifestations, incendies, lacrymogènes, puis ce slogan tant braillé par la foule: “Que ce bordel de Parlement soit brûlé”. À partir de ce temps actuel, la patrie flottante navigue autant à travers l’histoire, ayant comme mât la mémoire, résistant aux vagues et au temps, et aussi devant toute forme de pouvoir. “Un roman qui défend la patrie, pour qu’elle ne s’enfonce pas dans ses propres eux usées, un texte qui défend alors l’homme, pour qu’il ne perde pas son identité en devenant simple numéro”, peut-on lire à travers les nombreuses présentations du livre sur Internet. Temps grecs très actuels.

“Patrie flottante”. Athènes, avril 2018

Prélude de l’été. En Attique, avril 2018

Usages anciens récupérés. Église byzantine à Athènes, avril 2018

Animaux adespotes nourris. Athènes, avril 2018

Journées ensoleillées, on dirait estivales. Premières baignades de la saison, les touristes venus disons pour l’Acropole et le soleil rencontrant parfois ces Grecs qui leur expliquent comment et combien il est urgent que… Jésus de Nazareth puisse peut-être sauver leur flottante patrie !

Les faits politiciens et même l’actualité étant du poison à mithridatiser jusqu’au plus profond de l’humanité restante en nous, nous sommes bien nombreux par exemple à ne plus vouloir accréditer la mascarade des élections futures et de toute sorte. Et il y a comme enfin de l’authentique sérieux, voire grave dans l’air du temps qui est le nôtre. Nos préoccupations s’élèvent ainsi parfois au-dessus de la mêlée, peut-être parce que la bassesse des supposés politiciens est sans précédant, dictature des Colonels comprise, si l’on croit ce que les Grecs pensent de plus en plus haut et fort.

Il fallait en arriver bien là… où nous ne sommes plus, pour qu’enfin, une pièce de théâtre puisse être entièrement consacré à l’œuvre du philosophe Dimitris Liantinis, preuve s’il en fallait, d’une certaine mutation dans les mentalités. Notons que Dimitris Liantinis était ce philosophe grec né en 1942 et disparu volontairement en juin 1998 en se retirant dans une grotte où l’on a retrouvé son squelette en 2005.

L’Académie d’Athènes l’avait couronné pour son livre sur Dionýsios Solomos, le grand poète de l’hymne national grec. Liantinis donc, ce penseur ayant évoqué le rapport dialectique entre les Grecs et Thanatos, la mort, et qui avait également analysé le discours poétique de Georges Séféris, (Prix Nobel de Littérature en 1963).

L’œuvre de Dimitris Liantinis au théâtre. Athènes, avril 2018

Beau pays… flottant et navigable ! Attique, avril 2018

Beau pays… navigable, “là où les doigts de l’homme avec cette maladresse qui ne mentent jamais, osèrent jadis modeler la matière”.

Les touristes, venus disons pour l’Acropole et le soleil, rencontrent parfois ces animaux adespotes, typiquement grecs. Patrie flottante !

Animal adespote. Athènes, avril 2018

* Photo de couverture: Jésus de Nazareth… et la Grèce. Athènes, avril 20

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

La Grèce maintient le confinement des demandeurs d’asile sur les îles

AFP 23/04/2018

Le gouvernement grec va maintenir le confinement sur les îles de la mer Égée des demandeurs d’asile arrivés de Turquie, en contournant une décision de justice qui levait cette mesure, a indiqué lundi le ministère à la politique migratoire.

Ce maintien du confinement est permis par une nouvelle décision du service d’asile, justifiant cette mesure par un autre motif que celui retoqué par la justice mercredi, a précisé le ministère.

« Les demandeurs d’asile arrivant sur les îles se verront remettre une note précisant qu’ils doivent rester sur place pour faciliter le suivi de leur demande », a précisé à l’AFP une source du ministère.

A la suite d’un recours du Conseil grec des réfugiés, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, s’était prononcé mercredi contre les limitations à la libre circulation imposées aux arrivants sur les îles grecques depuis l’entrée en vigueur en mars 2016 du pacte UE-Turquie visant à couper la route migratoire en Égée.

Mais le Conseil s’était prononcé en jugeant infondée la justification alors apportée, soit des « motifs sérieux d’intérêt public ». Sa décision ne porte donc pas sur la nouvelle règle mise en place par le service d’asile, selon le ministère.

Le Conseil grec des réfugiés a dénoncé un « coup porté à l’État de droit », mettant en cause des pressions exercées par la Commission européenne. Le maintien du confinement « va continuer à exposer les réfugiés à des souffrances » et à alimenter les tensions avec les habitants des îles, a-t-il déploré dans un communiqué, se réservant de saisir à nouveau la justice.

La décision du Conseil d’Etat avait été salué par les ONG de défense des droits de l’homme, dont Amnesty international, qui s’alarment depuis des mois des conditions de vie des quelques 15.000 demandeurs d’asile parqués sur les îles.

L’annonce du gouvernement intervient alors que plus d’une dizaine de migrants et réfugiés ont été blessés dans la nuit de dimanche à lundi sur l’île de Lesbos lors d’affrontements avec des militants d’extrême droite. Ces derniers avaient attaqué près de 200 Afghans campant devant la place centrale de Mytilène, chef-lieu de l’île, depuis mardi dernier pour protester contre leur confinement

Le salut du peuple La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Le salut du peuple

Il était une fois, comme bien souvent dans les contes, un Docteur Folamour, sa suffisante doxa et deux autres dirigeants… suiveurs. À cette époque on ne pouvait trouver attitude plus bilieuse sur la terre. Les prétextes, les leurs, ils ont été trouvés, tordus, voire au besoin fabriqués. Leurs missiles, à défaut de véritable mission, ils ont été pour l’essentiel interceptés et détruits avant de toucher le sol. Pauvres gens, piètres dirigeants. Voilà en résumé la vision grecque (non officielle) des événements qui ont frappé la Syrie il y a quelques jours. Et Athènes… c’est en quelque sorte l’Orient !

“Le salut du peuple est la loi suprême”. Athènes, avril 2018

En cette époque où comme bien souvent dans les contes, les… têtes d’âne semblent encore ordonner, on peut lire sur certaines parures de la ville d’Athéna, cette vieille maxime latine “Salus populi suprema lex est(o)”, formule généralement attribuée à Cicéron, et qui peut être traduite par “Le salut du peuple est la loi suprême”, devise également de l’État du Missouri.

Dans les cafés bien grecs, on se moque ainsi largement et volontiers de l’intervention tripartite occidentale contre la Syrie, et même la presse mainstream, en rajoute. “Eh bien voilà; ce n’est pas sans importance que d’autres pays, dont essentiellement l’Italie et l’Allemagne n’ont pas souhaité suivre… l’oncle d’Amérique, à l’exception normale de la Grande Bretagne… et cependant, à l’exception paradoxale de la France. C’est triste…”, fait remarquer Th., mon ami journaliste.

Dans nos chapelles et dans nos églises on célèbre toujours la Résurrection un peu fanée il faut admettre plus d’une semaine après Pâques, façon de parler comme manière de croire si possible, à l’hyperbole bien de notre temps, comme à celle de toujours. Hyperbole en grec, c’est cette une figure de style et autant manière de dire, consistant à exagérer l’expression d’une idée ou d’une réalité. Et pourtant l’espoir y réside toujours on dirait.

On célèbre la Résurrection. Athènes, avril 2018
La… Résurrection. Athènes, avril 2018
L’intervention contre la Syrie. “Quotidien des Rédacteurs”, avril 2018

Il fait beau et chaud en ce moment, et la Grèce est largement couverte de cette fine poussière d’Afrique, c’est aussi de saison. Sous ce soleil maladif, nos habituels badauds scrutent ainsi parfois les journaux, rien que par lassitude, la presse de la semaine a également et largement évoqué la disparition de Yórgos Baltadoros, enfant de la Thessalie montagneuse. Il était le pilote du Mirage 2000-5 de chasse grec qui s’est abîmé en mer Égée près de l’île de Skyros, après avoir participé à une opération d’interception de chasseurs turcs.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, le calendrier crisique grec s’enfonce de plus en plus dans sa géopolitique… finale. Telle avait été, il faut bien dire sa programmation dès le départ, sauf que durant les premières années de la crise, années en somme cruciales… et crucifiées par les charlatans de la Gauche SYRIZA, le peuple croyait que tout aurait pu se résumer en une affaire de luttes sociales. Plus maintenant.

Le pays (se) meurt ainsi dans la beauté, le chaos, la criminalité qui explose, autant qu’à travers cet ultime boom sélectif dans l’immobilier. Les étrangers d’abord, certains Grecs ensuite, ils investissent dans l’hôtellerie de luxe, ou sinon, dans la transformation des quatre murs athéniens… en Grande Muraille airbnb. Est-ce bien la mutation transitoire de la décennie ? Difficile à dire pour l’instant.

Et nos touristes défilent entre les ruines antiques et les ruinés contemporains… en comparant parfois les prix. Et rien que pour attirer l’œil, les images du passé, dont par exemple celles présentant la restauration traditionnelle rapide à la grecque dans toute sa splendeur, sont placées en avant-scène sur les façades des établissements.

On scrute les journaux. Athènes, avril 2018
La disparition de Yórgos Baltadoros. Presse grecque avril 2018
Image de jadis sur une façade. Athènes, avril 2018
Athènes et ses masques. Avril 2018

Le touriste, tout comme le Grec d’ailleurs, admirera ces faits authentiques de jadis, supposés alors générateurs de notre présent, belles images certes, mais seulement belles images. Car rien que les expressions des visages des travailleurs de cet autre temps sur ces posters grandeur nature, trahissent alors toute la distance qui nous sépare à jamais de cette période, lorsque même un certain Alexis Tsipras n’était pas encore né. Bella Grecia !

Il faut alors dire que dans la vrai vie, l’authentique d’aujourd’hui c’est plutôt ce 14% de la population grecque qui ne se soigne plus du tout, ce pourcentage dépasse alors 36%, lorsqu’il s’agit des classes les plus paupérisés (quotidien “Kathimeriní” du 16 avril 2018).

“Le prétendu accès au système de Santé, surtout pour ceux qui n’en bénéficient plus (30% de la population), reste lettre morte du fait de la non-gratuité d’un bon nombre d’actes ou thérapie, note le journal. Les Grecs n’ont pas les moyens, donc ils ne se soignent pas, et pour commencer, ils ne se rendent pas chez leur médecin.” Le salut du peuple… aurait pu être la loi suprême !

Dans le même ordre d’idées, les dépenses dans les supermarchés ne décollent vraiment pas, et seulement 3,8% des Grecs déclarent dépenser plus de 100€ à chaque fois qu’ils y font leurs courses, ils étaient pourtant plus de 6% à dépenser plus de 100€ il y a seulement une année (quotidien “Kathimeriní” du 16 avril 2018).

Le pays ne se relèvera pas que par son seul tourisme, dans les rues d’Athènes les sans-abri dorment dans les espaces verts, on y vend de plus en plus de leurs billets de loterie à la sortie du métro, tandis que les enseignes de type traiteur, inaugurent alors succursale après succursale. Splendides apparences, joyeux contrastes, où il y a certainement aussi… à manger et à boire.

Heureusement que nos animaux adespotes (sans maître), nous observent alors sans trop nous comprendre dans cet inique quotidien qui est le nôtre, cela, entre deux de leurs siestes si bien méritées.

Athènes, avril 2018
Nos animaux adespotes. Athènes, avril 2018
Un sans-abri. Athènes, avril 2018
Nouveaux traiteurs. Athènes, avril 2018
Billets de loterie. Athènes, avril 2018

Le peuple lui par contre, il ne dort pas. Il reste certes anesthésié par la para-normalité qui le gouverne, mais il ne dort pas. Mon ami Th., lequel vient de retrouver du travail dans un media inévitablement électronique pour 500€ par mois et pour un temps plus que plein, estime que par les temps qui courent, notre Occident n’a plus rien à générer de très constructif sur cette planète, ou sinon, que de la mise à mort et de la prédation.

“Notre époque se trouve plongée dans une étrange démence, et c’est cette même démence qui ordonne à la destruction de la Syrie et peut-être aussi, à la présumée préparation de la prochaine grande guerre contre la Russie, puissance il faut dire alors beaucoup plus logique, raisonnée et raisonnable que les méta-politiques qui gouvernent notre Occident en perte complet de sens”

Difficile d’en rajouter. Et à travers cette Grèce fort actuelle, cette perte de sens n’est pas sans rappeler d’autres moments dans l’histoire du pays: “Je suis revenu au centre d’Athènes à pied en compagnie de Theotokas. Nous évoquions en marchant la situation actuelle de la littérature et toutes nos conclusions elles ont été manifestement bien sombres. Tout reste suspendu au point mort, personne n’a la moindre idée de ce qui se passera alors demain. Theotokas, pourtant optimiste de tempérament, commence à douter de tout. J’évoque le problème qui se posera de manière implacable à tout un chacun parmi ceux qui écrivent, comment est-il alors possible que d’avancer au beau milieu de l’ouragan actuel. Il a rajouté: D’ici peu, nous nous demanderons si tout ce que nous avons pu écrire a encore un sens.”

Athènes, avril 2018
Athènes, avril 2018
L’hybris. Athènes, avril 2018

Le narrateur c’est le poète et diplomate Yórgos Séféris, Prix Nobel de littérature en 1963, Yorgos Theotokas, son ami, avait été un romancier issu du cadre du siècle précédant, et ce texte est un extrait du journal de Séféris, daté très exactement du 25 février 1940.

Ainsi, toujours à Athènes, le sacrifice du retraité pharmacien Dimitris Christoúlas lequel s’est suicidé en avril 2012 pour dénoncer le gouvernement Quisling d’alors (et finalement d’aujourd’hui), est toujours commémoré par les meilleurs des anonymes, pendant que dans les quartiers huppés de la Riviera d’Attique, les sans soucis se baigneront à souhait dans les eaux à 23 degrés du lac de Vouliagméni.

Mais tout n’est pas perdu. Fort heureusement, il nous est encore possible de voyager par exemple entre Paris, Constantinople et Bagdad… une promenade inévitablement musicale, voilà ce que l’homme sait encore faire en bien mieux que la guerre et la prédation.

Mémoire de Dimitris Christoúlas. Athènes, avril 2018
Lac de Vouliagméni. Athènes sud, avril 2018
Voyage musical. Athènes, avril 2018

Lors des tirs des missiles tirés contre la Syrie, Mimi et Hermès de Greek Crisis dormaient alors comme à leur habitude. Et quant à nous, ce n’est que par la suite des émissions inhabituellement matinales des radions que nous nous sommes réveillées en plein événementiel. Mais après-tout, les affaires des humains appartiennent définitivement à un certain au-delà, si l’on réfléchie bien.

Nos humains d’Athènes, le plus souvent jeunes aux vidages graves, certains d’être eux en tout cas, ils ont depuis manifesté cette semaine contre cette intervention en Syrie, laquelle espérons-le en tout cas ne préfigurera point le prochain “grand règlement”. Les manifestants, très déterminés il faut dire, ils ont même tenté à déboulonner la statue du Président Truman, sans succès ! Les forces de l’ordre (sous la “gouvernance” SYRIZA), ont aussitôt abordé nos jeunes manifestants issus des rangs du PC grec et de la gauche extrême avec toute la violence… nécessaire.

Mimi et Hermès de Greek Crisis. Athènes, avril 2018
Manifestants à Athènes. Avril 2018 (presse grecque)
Contre… la statue du Président Truman. Athènes, avril 2018 (presse grecque)

Le salut du peuple est la loi suprême, façon de parler ! Il était une fois, comme bien souvent dans les contes, un Docteur Folamour et toute sa funeste doxa, puis, deux autres dirigeants… suiveurs. Haute actualité.

Sinon, comme le remarquait notre poète Yórgos Séféris en son temps: “Toute la simplicité de la vie grecque: Deux rougets, des verdures bouillies, le tout servi sur une petite table entourée de chats”, (“Journal”, vendredi 9 août 1940). Bella Grecia !

Animal adespote. Athènes, avril 2018
* Photo de couverture: Vitrine. Athènes, avril 2018

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Résurrection La rubrique de Panagiotis Grigouriou

Panagiotis  Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif  et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Dans cette rubrique il évoque la surimposition que subissent les grecs avec 37 nouvelles taxes créées ces dernières années, les velléités avortées du gouvernement d’en créer une nouvelle sur les animaux domestiques, les saisies bancaires…  

Résurrection

Pâques en vue. Le pays s’y prépare, le soleil en plus. La météo annonce un bref passage pluvieux tout juste pour ce Vendredi saint, rien de bien dramatique. Cette année, la plus grande fête chez les Orthodoxes elle est fixée une semaine après Pâques des Catholiques, question de calcul et de nouvelle lune. La tradition veut que l’on consomme les œufs rouges, symbole de Pâques par excellence, on en trouve ainsi en ce moment sur les marchés à Athènes comme partout en Grèce. Donc… résurrection alors prochaine !

Arrivée du ferry. Péloponnèse, avril 2018

Fatigués de l’actualité accablante… et qui perdure déjà depuis huit ans, les Grecs quittent ainsi massivement les grandes villes et essentiellement Athènes, pour fêter Pâques au village, “sto chorio”, comme on dit en grec. Le terme, tout comme sa réalité, renvoient encore suffisamment à ces évidence plus paisibles, familiales, et surtout matrices de souvenirs. Et pour tout dire enfin, Pâques au village et en famille, s’avère parfois plus… économique que dans la capitale.

“Chorio” donc, c’est-à-dire à la fois espace, lieu, et autant “petite patrie d’origine” comme le désignent alors souvent et très volontiers les Grecs entre eux. Dans le Péloponnèse proche, ceux originaire des lieux justement, ils arrivent parfois par les ferrys de la ligne du Golfe Saronique. D’autres préféreront la route, puis, il y a tous ceux qui ne se déplacent plus, immobilisme… crisique y oblige. Pays où l’on rêve parfois… avec la Résurrection et non sans s’en méfier, autant au retour à la monnaie historique et nationale, la drachme.

En attendant, nos touristes sont d’ailleurs déjà aussi bien présents en ce Printemps, observant à l’occasion les usages et parfois mésusages du quotidien grec. Ainsi va la vie athénienne touristique, entre les séances photo devant les gardes Evzones place de la Constitution, les bains de soleil, puis, la découverte du café glacé dont les Grecs raffolent, chaque année entre le printemps et le bien lointain hiver prochain. En somme, tout l’éclat de l’épiphénomène grec, et c’est bientôt Pâques !

Retour à la drachme ? Athènes, avril 2018
Touristes, place de la Constitution. Athènes, avril 2018
Vestiges d’un cinéma en plein air. Péloponnèse, avril 2018

Toutefois, nos visiteurs n’auront certainement pas distingué… tous les vestiges de la civilisation grecque, disons la plus récente, entre les cinémas en plein air, les bâtiments jadis prestigieux de l’Armée grecque et lieux de convalescence pour les officiers, sous-officiers et soldats, construits dans les années 1920, le tout désormais destiné à la vente, comme tant de biens grecs en ce moment. Pays et autant commerce alors si énorme !

Passé, futur et rêve… bradés ; “Mais alors jusqu’où ? Où allons-nous enfin ?”, se demandent ainsi les Grecs entre eux. Ceux par exemple du complexe îlien en mer Égée, amis de longue date et travailleurs supposés indépendants… dépendants du tourisme, lesquels nous confient même parfois leurs rêves, ou plutôt cauchemars:

“Ce matin, j’ai commencé ma journée me rendant au Centre des impôts afin d’inscrire mes chambres que je loue à court terme aux touristes au nouveau registre correspondant, et ainsi être en règle vis-à-vis de la nouvelle réglementation en la matière. Je pouvais à peine marcher, ainsi, j’utilisais le cadre métallique d’une vieille table pliante que j’avais récupéré en lieu et place d’un cadre de marche. Je suis donc arrivé très péniblement au Centre des impôts. J’y ai été accueilli par deux femmes. Je me suis approché à l’une des deux, celle au physique visiblement soigné, elle devait avoir à peu près 45 ans, en lui exposant le motif de ma requête.”

Armée grecque: bâtiment à louer. Péloponnèse, avril 2018
Terrain à vendre. Péloponnèse, avril 2018
Vieilleries mises en vente. Athènes, avril 2018

“Elle s’est penchée vers moi pour m’implorer à voix basse: ‘Désirez-vous vraiment inscrire vos biens à notre nouveau registre?’ Pour aussitôt rajouter sur le même ton: ‘Vous vous demanderez, bien sûr, comment est-il possible qu’un agent des impôts puisse vous poser une telle question’. Et je lui ai répliqué, disons avec un brin d’espoir: ‘Que vous voulez faire, j’y suis obligé, je gagne peu en réalité, et si jamais mon chiffre d’affaires dépasse les 12000€ par an, au lieu de 15% c’est 35% que je dois verser en impôt… plus évidemment, les cotisations correspondantes. Et si je ne déclare pas mes biens, et que je me fais rattraper c’est d’emblée 5000€ d’amende que je devrais vous laisser, rien que pour commencer.”

“Voilà le rêve que j’ai fait l’autre jour à l’aube et me suis réveillé dans une telle ‘joie’. Voilà surtout à quel point nous sommes devenus paranoïaques dans ce pays sous la Troïka, et cela aussi à cause de la surimposition sans oublier les changements incessants des règles en matière fiscale. Un vrai cauchemar”.

Sous l’Acropole le calme apparent règne, autant parfois que la psychose et le désespoir. D’après les dernières statistiques, près du 70% de la population grecque ne survit que grâce à… un cadre de marche économique, et c’est vraiment tout juste que ses besoins primaires soient en somme et à la limite satisfaits.

Sous l’Acropole. Athènes, avril 2018
Temps actuel. Athènes, avril 2018
‘Nous avons faim’. Athènes, avril 2018

Ainsi, même le portail d’information économique et financière (largement) néolibéral, capital.gr, reprenant les éléments issus des données officielles et des autres statistiques du moment, dresse alors un portait fort accablant des réalités grecques actuelles.

“D’après les données officielles, en 2017 les saisies sur comptes bancaires ont dépassé 1,7 million (la Grèce compte dix millions d’habitants). Ces mêmes éléments montrent que de toute évidence l’écrasante majorité des débiteurs doit à l’administration fiscale de sommes ne dépassant guère les 500 €. Et nous pouvons sans risque parler d’une faillite grecque bien en profondeur, puisque 500.000 foyers doivent 10 euros à l’État, et qu’ils ne peuvent pas régler cette dette, ou que leur situation financière ne le permet pas, ou peut-être qu’ils restent indifférents face à cette réalité car ils n’ont plus rien à perdre.”

“Et seulement environ 40.000 débiteurs, soit environ 1% du total, ont des dettes de plus de 100.000€ et dans l’ensemble, ces redevables représentent 89,2% de cette dette globale envers l’État. En face, 87,7% des débiteurs de l’administration fiscale, soit plus de 3,5 millions de débiteurs, ont des dettes en souffrance, inférieures à 5.000 euros. En réalité, la moitié de la population économiquement active… se retrouve en situation de ‘captivité fiscale’, et cela, pour moins de cinq mille euros d’impayés.”

“Quelle conclusion alors faudrait-il tirer de tels chiffres ? Une première conclusion nécessaire, c’est que la moitié des Grecs doivent au plus 5.000 euros au fisc, sauf qu’ils ne s’en inquiètent guère, soit parce que leur compte bancaire est vide, soit parce que leurs revenus ne peuvent plus être repérés des radars des autorités fiscales ni de ceux des banques. Autrement dit, ces ménages ont ainsi basculé dans l’économie informelle, pratiquant entre autres la rétribution ‘au noir’.”

Parking privé en travaux. Athènes, avril 2018
Hors de prix. Athènes, avril 2018
Prix de saison. Athènes, avril 2018

“Pourtant, ces dernières années, environ 37 nouvelles taxes et impôts ont été rajoutés, avec un objectif de 12 milliards d’euros supplémentaires pour l’État. En 2016, l’État a ainsi collecté près de 54,1 milliards d’euros, contre 51,3 milliards en 2014 et pourtant 55,3 milliards en 2009 avant les nouvelles taxes (la Troïka est arrivée en Grèce en 2010). Notons aussi que la TVA impayée s’élève à 21,63 milliards d’euros à la fin de l’année dernière, représentant environ 21,8% de l’impôt global non payé.” (Kostas Stoupas, le 5 avril 2018).

Toujours sur le même portail Internet, un autre article revient sur le fait des 650.000 employés du secteur privé en Grèce, lesquels gagnent… 382€/mois pour un travail à temps partiel. Ceci explique peut-être un peu cela, (Dimitris Katsaganis, le 5 avril 2018).

Ce… néoréalisme grec échappera ainsi quasi-entièrement aux visiteurs du pays, d’ailleurs, ils n’y viennent pas pour… répéter l’audit des statistiques grecques. Car sinon, la vitrine helladique est fort belle, et elle est même parfois authentique, comme par exemple lorsque le pope (prêtre) et les siens, boivent leur café devant l’église aussitôt la messe terminée en cette semaine Sainte Orthodoxe. Au même moment, en attendant Dieu sait quoi, les avenues d’Athènes se vident de leur circulation, puisque les Athéniens retrouvent alors massivement leurs “petites patries d’origine”, si ce n’est que pour quelques jours seulement, laissant les clefs de la ville aux plus paupérisés d’entre eux, aux touristes, aux migrants, et naturellement, à nos animaux adespotes (sans maître).

Avenue d’Athènes. Avril 2018
Touriste. Cap Sounion, avril 2018
Animal adespote. Athènes, avril 2018

Notons enfin que la dernière trouvaille en matière de loi mémorandaire de la part du “gouvernement”, avait été ce projet présenté au “Parlement” en matière d’animaux desposés (ayant un maître) et adespotes (sans maître). Ce projet a été finalement retiré, car il a suscité l’indignation générale, et particulièrement celle des associations lesquelles œuvrent en faveur des animaux adespotes. D’ailleurs et abord cette loi instaurait une taxe liée à la possession d’animaux domestiques, ainsi qu’une forme de… TVA animalière, pour chaque produit acheté au sein d’une boutique commercialisant des articles pour animaux, en plus de la TVA… très humaine à hauteur déjà de 24%.

Ensuite, par cette législation, et par ses dispositions explicites, que toute action l’action en faveur du bien-être animal de la part des citoyens et des associations puisse devenir interdite. En particulier, le sauvetage, le fait de nourrir, la stérilisation des animaux adespotes, ainsi que les efforts de la part des citoyens ou des associations fin de trouver un foyer à ces animaux, seraient dorénavant des actes illégaux.

En réalité, c’est même l’essentiel du travail des associations œuvrant pour la protection des animaux qui deviendrait interdit, en limitant considérablement leur champ d’intervention, quitte à les faire disparaître. Ainsi, tout citoyen ou toute association qui enfreindrait la loi en portant secours, hébergeant ou en sauvant un animal adespote, commettrait ainsi un acte passible d’une amende de 5 à 15 mille euros et d’un an d’emprisonnement, comme l’ont souligné les nombreux reportages de la presse ces deux dernières semaines à l’instar du quotidien “Kathimeriní”.

Animal adespote de la gallérie littéraire. Athènes, avril 2018
Animal adespote de la gallérie littéraire. Athènes, avril 2018
Loi sur les animaux et indignation. Athènes, avril 2018

Ce projet de loi a été certes retiré, mais à l’avis de nombreux observateurs des faits et gestes bien grecs, ce n’est qu’une reculade d’urgence “de la part des salopards et autant marionnettes qui sont au gouvernement”, aux dires même de certains journalistes, à l’instar de ceux de la zone matinale sur la radio 90.1 FM en Attique. La presse aura surtout remarqué le caractère lamentablement aberrent d’une telle législation, ainsi que sa spécificité très comptable, rien que par l’instauration d’une taxe de plus, laquelle se rajouterait aux 37 nouvelles taxes rajoutées depuis 2010.

Il y a pire pourtant. Cette loi, à mon humble avis, elle aurait été très probablement rédigée, d’abord au sein d’un “cabinet d’experts internationaux” à l’instar du 95% de la “législation grecque” depuis 2010, laquelle est comme on sait… importée par mail, pour ensuite être traduite à la hâte pour les besoins de la supposée “procédure parlementaire”.

Ce que la presse n’a pas vu, ou qu’elle n’a pas voulu voir, c’est toute la mutation anthropologique violente que cette même loi avait tenté d’imposer, à savoir, et très exactement, la disparition des animaux adespotes, et par la même occasion, la destruction du lien très puissant qu’alors entretiennent avec eux les Grecs, ce qui n’est d’ailleurs pas qu’une spécificité grecque, il y a qu’à observer par exemple le lien analogue qu’entretiennent nos voisins Turcs avec leurs chats, entre autres à Constantinople, et cela jusqu’à en faire un beau film.

Vision du monde. Athènes, avril 2018
Cuirassier ‘Avéroff’, navire musée. Athènes, avril 2018
Devant la nature. Visiteurs du Cap Sounion, avril 2018

En somme, une telle législation a surtout pour vocation que de briser l’un des derniers ressorts culturels, voire existentiels encore subsistant chez les Grecs. Car au-delà du génocide économique et de la dépossession des biens, des symboles et des affects liés à ce que les Grecs considèrent très exactement comme relevant de leur patrie, “notre” tournure de mondialisation techno-féodale, imposerait pour autant, si elle y arrive, un tel méta-monde, où tout “contact” entre humains et également entre humains et animaux, passerait obligatoirement par la “création” numérique.

Nous en rajoutons déjà… en termes de méthode aux guerres de jadis, comme aux cuirassiers d’il y a un siècle, transformés en musées. Ainsi, le métanthropisme, le transhumanisme, leur supposée réalité augmentée, nous réduiraient et nous conduiraient de toute évidence… à “évoluer” finalement dans un monde azootique, aseptisé, desposé, donc déjà mort. En somme, c’est la “vie” dans un univers concentrationnaire quasi-planétaire, donnant ainsi raison à Günter Anders, lequel avait comme on sait considéré et analysé bien tôt, cette… “Obsolescence de l’Homme”.

Comme il est aussi observé ailleurs au sujet de son œuvre, “le titre de ‘L’Obsolescence de l’homme’ indique déjà qu’il y a quelque chose de périmé en l’homme, quelque chose hors sujet, à savoir son humanité. L’homme perd ses caractéristiques qui constituaient en propre son humanité: la liberté, la responsabilité, la capacité d’agir, la capacité à se faire être. En utilisant ces concepts, nous parlons le langage et la réalité d’un autre temps. Tout se passe comme si l’être de l’homme relevait aujourd’hui d’une nature morte.”

Je rajouterai seulement que cette nature morte, ce serait autant celle des animaux, et qu’en Grèce en ce moment, c’est très précisément un “gouvernement” de… gauche sous l’arriviste Alexis Tsipras qui de fait, il agit en faveur de l’avènement de ce monde alors fondamentalement morbide.

Lara Fabian à Athènes. Affiche, avril 2018
Journaux du moment. Athènes, avril 2018
Biscuits traditionnels de Pâques. Péloponnèse, avril 2018

Pâques donc en vue. Le pays s’y prépare, le soleil en plus. Bref passage pluvieux, tout juste pour ce Vendredi saint, rien de bien dramatique. Lara Fabian à Athènes bientôt, le catastrophisme de la presse, le pays réel et ses cadres de marche, nos biscuits traditionnels de Pâques, les Grecs et leur juste vœu du moment: “Bonne Résurrection”.

Retour si possible à l’essentiel, comme d’ailleurs pour Mimi et Hermès, animaux attitrés de ‘Greek Crisis’. Oui, “Bonne Résurrection” !

Mimi et Hermès de ‘Greek Crisis’. Athènes, avril 2018
* Photo de couverture: Les œufs rouges, symbole de Pâques. Athènes, avril 2018

mais aussi pour un voyage éthique, pour voir la Grèce autrement “De l’image à l’imaginaire: La Grèce, au-delà… des idées reçues !”   http://greece-terra-incognita.com/

Le désastre néolibéral de la protection sociale et sanitaire

Grèce 2018 : Le désastre néolibéral de la protection sociale et sanitaire par Emmanuel (Manolis) Kosadinos, Médecin franco-grec, syndicaliste.

La prétendue amélioration de la situation sociale et sanitaire en Grèce est une fiction du gouvernement grec, des institutions européennes et des médias dominants. La poursuite de l’application des recettes néolibérales mène à la faillite de l’État social et à la pérennisation de la précarité. Emmanuel Kosadinos nous dresse un bilan de la situation dans ce laboratoire européen du néolibéralime et incite, l’ensemble des pays européens, à en tirer les leçons.

Rappel historique des dernières années

Les 23 et 24 octobre 2017 s’est tenu à Paris le Colloque « Une protection sociale pour tous les peuples » organisé par la Fondation Gabriel Péri. Dans le contexte français, marqué par le débat sur le financement de la protection sociale et de la Santé, par l’écho déjà lointain des programmes électoraux, mais surtout par le spectre de contraction de la protection sociale solidaire, la présentation de la situation actuelle en Grèce, qualifiée de laboratoire européen du néolibéralisme, acquiert un intérêt particulier.

La protection sociale a été la cible de la Troïka (UE, FMI, BCE) dès l’imposition des mémorandums à la Grèce (2010), pour y appliquer les recettes néolibérales.

Au principe de solidarité sociale, exprimé par l’adage « de chacun-e selon ses moyens à chacun-e selon ses besoins », les néolibéraux opposent ceux d’un système inégalitaire de prestations, attribuées en fonction des cotisations versées par des assurés individuels, « de chacun-e selon sa capacité à cotiser à chacun-e selon sa contribution financière à la caisse d’assurance », garantissant seulement une protection minimale, permettant l’accès des individus au marché concurrentiel, désamorçant la contestation sociale.

Ainsi, les organismes de protection sociale devront présenter des bilans équilibrés, voire excédentaires. Le niveau des prestations (retraites, allocations, couverture santé) devra s’adapter à une loi comptable implacable et devenir fluctuant, aléatoire, tributaire de la situation du marché. La « redistribution » néolibérale se fait entre les assuré-e-s en exonérant les revenus du capital.

Par l’application de ces principes, les retraité-e-s grec-que-s ont perdu, entre 2010 et 2015, près de 30 % de leurs revenus ; l’âge de départ à la retraite est passé de 60 à 67 ans ; les allocations chômage ont baissé de 25 % (avec 90 % de chômeurs non indemnisés). Le restant à charge pour l’achat de médicaments a nettement augmenté ; de nombreux médicaments ont été déremboursés ; près de 30 % des citoyen-ne-s ont perdu leur couverture sanitaire. Les dépenses allouées aux hôpitaux publics ont baissé de 40 %.

En janvier 2015, le parti SYRIZA a gagné la majorité aux élections législatives sur la base d’un programme qui annonçait le renversement de l’austérité et le rétablissement des droits des salarié-e-s et de la protection sociale. Après 6 mois de négociations avec les créanciers et l’UE, et malgré la condamnation des politiques d’austérité par 61,3 % des élect-eur-rice-s grec-que-s lors du référendum de juillet 2015, les dirigeants du gouvernement grec ont signé un 3e mémorandum d’austérité ratifié en procédure accélérée par le Parlement, en août 2015. Ce virage politique des dirigeants de SYRIZA a produit la scission du parti et la démobilisation de la majorité de ses militants.

D’août 2015 à ce jour, de nouvelles mesures d’austérité sont imposées au peuple grec par le gouvernement de SYRIZA-ANEL.

Les retraites ont été davantage abaissées et l’âge de départ relevé. Les salaires minimaux et les allocations chômage gelés. L’imposition des foyers modestes a été intensifiée et le marché du travail dérégulé. Les saisies des résidences principales des foyers surendettés ont démarré malgré une résistance citoyenne large et déterminée.

La nouvelle réforme de la protection sociale a réitéré la baisse des prestations et la hausse des cotisations, par les « lois-guillotines » 4336/2015 et 4387/2016. Mentionnons aussi la privatisation des infrastructures du pays et la vente scandaleuse des banques grecques à un prix dérisoire.

La faible reprise de la croissance et la baisse du chômage, affichées aujourd’hui par le gouvernement comme des réussites, sont à prendre avec des pincettes, car obtenues par la précarisation de 60 % des salarié-e-s et par des artifices de recensement.

La cagnotte percée des organismes grecs d’assurance sociale

La « solvabilité » du système grec d’assurance sociale a toujours été à l’ordre du jour des gouvernements grecs successifs. Depuis 2010, il fait aussi l’objet d’injonctions de la part des « institutions » (UE, BCE, FMI) de la Troïka. Mais, ce qui menace le système des assurances sociales n’est pas la générosité des politiques sociales en Grèce, une fiction de Droite, mais le néolibéralisme et le pillage des réserves des caisses par les gouvernements. Ce pillage, à l’œuvre depuis les années 1950, c’est amplifié à l’époque de la Troïka et des mémorandums.

En allégeant l’imposition et les cotisations du patronat, en réduisant ainsi les recettes sociales, en prélevant sur les réserves des caisses d’assurances (retraites, santé, chômage) pour les allouer aux besoins du gouvernement, notamment au remboursement de la dette publique, les derniers gouvernements grecs néolibéraux, de Droite ou « de Gauche », poussent inexorablement le système d’assurance sociale vers la faillite. Le point culminant du pillage organisé fut le « PSI » (Private Sector Involvment), manœuvre comptable organisée conjointement par le gouvernement grec et la Troïka, en 2012, dans le but de réduire nominalement la dette de l’État grec. Lors de cette opération, les réserves des caisses d’assurance, converties en titres de dette d’État, ont été dévaluées de 50 %, selon la règle appliquée aux titres détenus par les créanciers privés. Avant cela, sous un gouvernement de Droite, l’implication des caisses dans des activités de spéculation financière avait occasionné d’importantes pertes et le soupçon légitime de corruption du monde politique.

Compte tenu de ces antécédents, les projets gouvernementaux pour la constitution d’un Fonds de sécurité des assurances sociales, d’une « tirelire » censée suppléer aux caisses en déficit, suscitent la méfiance et la crainte d’un renforcement du virage austéritaire du gouvernement SYRIZA, d’autant plus que le financement de cette « tirelire » reste sujet flou. Une proposition pour son financement par des recettes issues des privatisations a été sèchement refusée par les créanciers. Ce Fonds, sous l’acronyme AKAGE, mis en place en 2008 par le gouvernement de Droite de Karamanlis, a déjà subi une ponction par la loi 4335/2015 du gouvernement SYRIZA. Ses seules recettes réelles proviendraient de la TVA et elles ne pourraient être supérieures à 3 milliards sur un horizon de plusieurs années, alors que les pertes des caisses résultant du PSI en 2012 sont de 14 à 20 milliards d’euros.

Le projet du gouvernement SYRIZA, repris à ses prédécesseurs, d’indexer l’augmentation des retraites sur la croissance, ne garantit pas la viabilité du système, mais surtout n’apporte aucun soulagement aux retraité-e-s grec-que-s. Leurs revenus ont subi ces dernières années une diminution moyenne de 30 % et il faudrait des décennies pour que cette perte soit compensée par les revalorisations promises.

Les péripéties du système grec d’assurance sociale démontrent que ni le mode de financement ni le mode de gestion des caisses d’assurance ne sont des conditions suffisantes pour garantir la pérennité et le caractère redistributif d’un système de protection sociale.

Il faut que la part de richesses allouées à la protection sociale, notamment celles créées par la cotisation, bénéficie de protections strictes inscrites dans la Constitution. Cette discussion est de grande actualité, notamment en France, où le débat autour du financement de la Sécurité sociale et du PLFSS est au cœur des luttes sociales et politiques.

Budget social au rabais

Le budget social 2018, déposé le 21 octobre 2017 par la majorité SYRIZA au Parlement grec s’inscrit dans le sillage de toutes les précédentes contre-réformes.

Il diminue davantage les retraites et augmente l’âge de départ, réduit à néant l’Allocation de Solidarité aux Retraités (EKAS), diminue les prestations sociales et augmente les cotisations des salarié-e-s et retraité-e-s.

Le financement public alloué aux caisses d’assurance, à l’Organisme national d’Offre de Services de Santé (EOPYY) et aux hôpitaux est encore diminué de 638 millions pour 2018. Les transferts budgétaires de l’État vers les caisses, EOPYY, les hôpitaux et l’Organisme pour l’Emploi (OAED) passent de 17,911 milliards d’euros à 17,273 milliards d’euros (- 3,56 %).

En même temps, le « budget social » affiche un excédent de 1,929 milliards d’euros, contre 1,560 milliards l’année 2017, c’est-à-dire 369 millions supplémentaires à faire payer aux salarié-e-s et retraité-e-s en cotisations et diminutions du remboursement des soins.

Rappelons que déjà dans le budget 2017, la réduction des retraites et autres prestations sociales avait dépassé de 1,076 milliard celle prévue par le mémorandum.

Selon le budget (anti)social 2018, l’Organisme grec pour l’emploi (OAED) devrait afficher des excédents budgétaires de 586 millions. Ceci est choquant compte tenu du fait que seuls 10 % des chômeurs sont indemnisés et que les allocations chômage stagnent depuis 2012, année où elles avaient été bien diminuées.

En revanche, l’austérité du budget social ne touche pas les entreprises qui verront leurs subventions augmentées, 450 millions d’euros contre 350 en 2017, pour inciter à l’embauche selon la vieille recette néolibérale, prouvée inefficace partout, notamment en France.

La Santé des Grecs en danger…

Malgré les déclarations du gouvernement grec d’une amélioration, depuis trois ans, de la situation sanitaire du pays, et malgré l’autorisation légale d’accès aux soins aux personnes non assurées, de sérieux problèmes persistent et risquent de s’aggraver.

De nouvelles coupes du financement de la Santé publique sont inscrites dans le budget de l’État. Le financement d’EOPYY par l’État, déjà réduit en 2017 de 200 millions (- 38 %) par rapport à 2016, sera encore réduit, en 2018, de 214 millions d’euros.

En raison de l’augmentation des cotisations santé imposée aux retraité-e-s, il est prévu qu’EOPYY présente un excédent de 333 millions en 2018. Le financement de cet Organisme par l’État (100 millions seulement) sera utilisé « pour les soins de santé des citoyens non assurés ». Cette dépense indispensable sera donc financée majoritairement par les cotisations des salarié-e-s et retraité-e-s, la subvention de l’État n’étant que subsidiaire. En 2017, les cotisations représentaient 82,3 % du budget d’EOPYY, contre 79,2 % en 2016, une diminution nette de la part de l’État au financement de la Santé. Cette politique, dans la continuité des gouvernements précédents, vise des excédents pour les caisses d’assurance, que l’opposition populaire qualifie d’ensanglantés.

Le budget des hôpitaux publics et du Réseau de Soins primaires (PEDY) diminue encore de 363 millions en 2018. Cette coupe se rajoute à celle de – 22,8 % en 2015, maintenue en 2016, et de 7 millions en 2017.

L’autorisation d’accès aux soins aux personnes non assurées est une avancée importante dans la direction d’une politique humaniste de Santé. Il faudrait cependant rappeler le retard de neuf mois de sa mise en application, contrairement aux mesures du mémorandum mises en place par procédures express. L’accès ne concerne pas l’achat de médicaments en pharmacie ni les personnes sans documents administratifs. Pour que ce droit soit effectif et pérenne, il faudrait qu’EOPYY dispose de crédits en mesure, ce qui n’est pas le cas. Des pénuries se font sentir même dans les hôpitaux universitaires (Attiko, Laïko) lorsqu’il s’agit de traitements pour les pathologies lourdes.

Autre projet phare du gouvernement SYRIZA, la réforme des Soins primaires de santé a bien mal démarré, à cause du caractère non pérenne de son financement et de la précarité des contrats qui sont proposés aux soignants. C’est une précarité qui s’étend d’ailleurs dans toute la fonction publique : près de 20 % dans le système de santé, et de 50 % dans l’éducation. Avec des conséquences évidentes pour la qualité et la continuité des services…

Nous n’avons pas de données officielles sur la répercussion de cette situation pour les trois dernières années : mortalité et morbidité somatique et psychique, taux de suicide, rapport patients/soignants. Mais, selon le Dispensaire Social d’Elliniko, la mortalité des nourrissons serait passée entre 2015 et 2016 de 4 à 4,2/1000.

La situation sanitaire actuelle en Grèce appelle toujours à la solidarité citoyenne, Grecque et internationale, pour alléger les souffrances des plus démunis. Nous sommes loin d’une normalité. Les décès et infirmités des personnes n’ayant pu accéder aux soins dont ils ont eu besoin sont une accusation adressée à ceux qui imposent les politiques néolibérales (l’Union européenne et les instances créancières) et à ceux qui les exécutent (les gouvernements grecs).

vidéo de l’intervention de Manolis Kosadinos http://silogora.org/wp-content/uploads/2018/03/E.Kosadinos.mp4?_=1

 
 
 

 

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