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Le travail des enfants à Thessalonique

Enfants sans enfance: des données choquantes sur le travail des enfants à Thessalonique 12 juin 2019

Les enfants travaillent de 6 à 12 heures par jour dans les champs, dans les chantiers de construction ou dans les stations de lavage de voitures, ils se promènent en vendant de petits objets dans les rues ou ils mendient aux feux tricolores. Ils sont victimes d’exploitation par des gangs du tabac et des drogues illicites, ils conduisent des voitures, risquent leur vie et celle d’autres réfugiés pour les transporter à l’intérieur de la Grèce.

Les données sur le travail des enfants en Grèce publiées par l’ONG «Arsis», une association de soutien social à la jeunesse, sont choquantes.

«Ce sont des enfants qui ne vivent pas comme des enfants, ils doivent travailler pour survivre et ils ne jouent pas, ont prématurément perdu leur enfance ou n’ont jamais acquis leur enfance», a déclaré Arsis dans un communiqué prononcé à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants je 12 juin.

Depuis début 2019 jusqu’en mai, les groupes de travail ARSIS Street – Organisation de soutien à la jeunesse ont été en contact avec environ 550 enfants vivant dans les rues de Thessalonique, dans le nord de la Grèce. Parmi eux, il y avait 450 réfugiés mineurs non accompagnés et 95 de Grèce ou d’autres pays des Balkans, c’est-à-dire de Bulgarie et d’Albanie.

«Ce sont des enfants qui considèrent le travail comme une« normalité »puisqu’ils ont travaillé dans leur propre pays. Pour se rendre en Grèce, ils ont également voyagé en travaillant principalement dans l’industrie textile, la pêche et la tannerie. Le risque est donc de croire que le travail des enfants est autorisé dans notre pays et d’ajouter à l’illégalité et plus tard comme  jeunes adultes de faire face à de lourdes sanctions », a déclaré le chef du service juridique d’Arsis, Thomas Charalambides.

«Ne soutenez pas le travail des enfants»

À l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants, ARSIS appelle les citoyens à lutter contre ce phénomène et organise un événement de sensibilisation le mercredi 12 juin de 18h à 23h aux «parapluies» de Nea Paralia, Thessalonique.

Au cours de l’événement, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation ciblant les enfants des feux de circulation, un groupe de membres du personnel d’ARSIS sera aux feux de circulation principaux. Ils porteront des masques qui indiqueront le nom et l’âge d’un enfant et remettront des tracts  avec des textes du type: «Étais-tu réveillé violemment tôt le matin pour aller au travail quand tu étais enfant? Non Ne soutenez pas le travail des enfants!

Source https://www.keeptalkinggreece.com/2019/06/12/child-labor-greece-children-arsis/

Quand monte le soleil La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque. Il évoque notamment les résultats des élections municipales et régionales.

Quand monte le soleil

 

Le pays a voté. Deuxième tour des élections régionales et municipales, dimanche 2 juin. De l’abstention plutôt victorieuse, elle se situe entre 50% et 60%, voilà pour les premières impressions. Sinon, réussite dite écrasante de la Nouvelle Démocratie, comme on l’a répété depuis à travers les médias. La carte des régions, douze sur treize, elle s’affiche en bleu, couleur du parti de la Nouvelle Démocratie et des Mitsotákis, voilà pour l’écran plat des nouvelles, fumée comprise. La Grèce tourne alors sa page entachée sous SYRIZA, tout en faisant du sur place dans le même chapitre. Seuls nos touristes… admirent-ils peut-être ce qui reste des apparences et des réalités.

Touristes en Golfe Saronique. Juin 2019

Sur le papier peint des illusions et des médias, “ce fut un grand moment de Démocratie”, “une gifle pour SYRIZA autant que l’approbation générale pour ce qui est du programme de la Nouvelle Démocratie”. Cependant et déjà, la récente loi électorale que SYRIZA a imposé au paysage des élections Municipales et Régionales, oblige à la proportionnelle intégrale, ce qui donne un résultat alors inédit. Pour les Maires et pour les Présidents de Région surtout élus au deuxième tour, et qui ne disposent pas de la majorité absolue, il va falloir composer avec les élus des autres listes, ce qui modère un peu le sens absolu de la victoire de la Nouvelle Démocratie.

Et au pays réel on fait finalement ses décomptes, telle la voisine Anna, rencontrée devant l’immeuble. “Cela… va très mal, pas de vacances cet été, et c’est la première fois. Nous nous enfonçons lentement mais sûrement, notre seule préoccupation, la survie, maintenant que la politique est morte voire, elle est même mortifère. Nous ne sommes pas allés voter et nous représentons la moitié du pays. Le résultat d’ailleurs est à la hauteur du non-choix. Les gens auront élu Mitsotákis, une nouvelle catastrophe qui s’ajoutera à tants d’autres.”

“Et c’est ainsi qu’entre voisins nous nous perdons de vue, chacun de nous immergé comme il est dans ses soucis quotidiens. Oui, j’ai vu ces visages des Syrizístes et de Tsípras et de Doúrou -Présidente SYRIZA de la Région Attique, battus – à la télévision. Ils n’ont pas l’air de digérer leur défaite. Ils se sont accrochés au pot de miel et voilà qu’ils sont en train de chuter. Mais sinon et surtout pour nous, rien ne changera.”

Lourde défaite de Tsípras. Presse grecque du 3 juin

 

Tsípras et Doúrou après les résultats. Presse grecque – ‘IN’ du 3 juin

 

Tsípras parle aux siens après les résultats. Presse grecque – ‘IN’, juin 2019

Pour Státhis Stavrópoulos, dessinateur de presse et analyste issu de SYRIZA mais SYRIZA d’il y a plus de dix ans maintenant, il n’y a pas photo. “Chez les Syrizístes ce qui fait vraiment peur, c’est leur arrogance, leur suffisance, tout comme l’absurdité dont ils sont les porteurs à l’instar de Nikos Pappás, ministre et ami personnel de Tsípras, lorsqu’il déclare qu’il n’a pas perçu l’écrasement de SYRIZA, ‘car le parti a perdu tout juste deux régions’. Sauf qu’elles étaient les seules que SYRIZA contrôlait. Ils ont perdu le Nord et le Sud avec dans toute la Grèce, sauf qu’ils ne le comprennent pas pourquoi. Toutes les explications de cette surdité seront-ils alors acceptées !”

“Cette démonstration de stupidité doit avoir une explication, ce n’est pas possible ! Seule la question de notre existence reste plutôt inexplicable. Cependant, notre existence est sujette à de nombreuses explications. Néanmoins, dans le cas de SYRIZA, la science semble éprouver des difficultés pour expliquer son hybridation celle aussi des cadres de ce parti, ce n’est guère possible. Cependant, et pour rester sérieux, les élections législatives sont déjà annoncées. Et de quoi parle-t-on chez les politiques et à travers les médias ? Parlons-nous de la dette ? Parlons-nous de la menace turque en mer Égée, à Chypre et en Thrace ? Quel est le problème dramatique enfin, pour ainsi l’exclure du débat ? Le problème de la démographie ? Celui des migrants ? Quoi d’autre ?”

“Tout ce que les partis politiques comme la Nouvelle Démocratie, SYRIZA et KINAL-PASOK font semblant de discuter, et en réalité ils ne publient que des annonces, c’est de savoir comment gérer les conséquences des mémorandums, autrement-dit, du style de vie et des règles sous l’Occupation. Ces partis tiennent d’ailleurs le même langage néolibéral et pourtant, leurs mesures néolibérales qu’ils ont prises ont échoué, provoquant le malheur du peuple, la destruction de l’économie et faisant peser de graves menaces sur la nation.”

Soirée électorale en berne, candidat SYRIZA aux municipales. Athènes, le 2 juin 2019
Garde Présidentielle Evzone. Athènes, juin 2019
Immobilier… aux mains des investisseurs. Athènes, juin 2019

“Ce sera également le même problème lors de la prochaine législature. La pomme de la dispute est bien pourrie. Et l’on traitera des arrangements dans le cadre des clientélismes, des comités d’initiés comme dans celui des ruses. Les politiques useront et abuseront ainsi d’une rhétorique sur l’insignifiant, bien de niveau provincial disons de l’entre-deux-guerres. Et pendant ce temps, les frontières se déplacent d’un pays à l’autre dans notre région, il y des populations en mouvement, des bouleversements sociaux au vers le pire, puis tant de nuages arrivés depuis l’Occident. D’ailleurs, les dix années d’Occupation sous la Troïka ont transformé les mécanismes de déclin en institutions. Nous sommes habitués de la corde qui nous étouffe, autant que des salopards qui la resserrent”, “To Pontíki” du 5 juin 2019.

Ces derniers jours et pendant que l’Assemblée vient d’arrêter ses travaux ce vendredi 7 juin, elle sera dissoute lundi prochain d’après la presse, SYRIZA se met à faire voter lois, réformes et autres faveurs, alors qu’il admet sa défaite. Du jamais vu même dans le cadre de la démocratie d’opérette habituelle, en Grèce comme ailleurs. C’est une parodie visant le Parlement écrit-elle-même la presse mainstream, et elle a raison, quotidien Kathimeriní. Dans la métastase des régimes méta-démocratiques actuels, SYRIZA a été… nommé on dirait par les Oligarques mondiaux pour finir alors encore plus bas qu’avec les autres marionnettes. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement Tsípras vient d’annoncer dans la foulée, la requête à l’encontre de l’Allemagne au sujet des réparations de guerre, autant celle de 1940 que de 1914, puis, l’embauche de dix mille enseignants dans la fonction publique, c’est sauve qui peut en une semaine, presse de la semaine.

SYRIZA fait donc voter en ce moment lois et amendements en faveur des agents de l’État, tout comme il fait adopter un nouveau Code Pénal, très controversé. Enfin, certains députés Syrizístes s’insurgent même contre leurs ministres lorsque leurs amendements sont jugés excessifs, comme par exemple celui modifiant la hauteur légale des combles aménagés pour l’île de Céphalonie, presse de la semaine. La Présidente Syrizíste de l’Assemblée Tasia Christodoulopoúlou vient de faire muter sa fille de la Poste, au personnel de l’Assemblée. Et elle le reconnait, “avoir bénéficié du pouvoir et des réseaux, et je ne recherche pas d’alibi”, précise-t-elle, presse grecque du 7 juin.

Pendant ce temps, le pays poursuit-il comme il peut, suspendu à la… fin de l’histoire. Anciens ateliers qui se transforment en hôtels, jeunes femmes faisant de leur beauté une supposée carrière, des événements photographiques annoncés comme dignes du temps qui est le nôtre, justement sur la méta-Polis, la Cité, la ville d’après, toute une obsession civilisationnelle sur le monde d’après, rien que le monde d’après.

Transformation en hôtel. Athènes, juin 2019
Un certain… modélisme. Athènes, juin 2019
Méta-Polis. Athènes, juin 2019

Maria, employée municipale du côté du Péloponnèse des bourgades, nous raconte-elle alors sa condition humaine. Fatiguée des élections, elle n’a voté “rien que pour faire partir les affreux Syrizístes”, puis, pour la liste aux municipales où figurait alors le nom de son cousin, “lettré et dynamique” nous dit-elle. “Sinon, tout est cuit, je ne peux pas dire que je suis en train de vivre avec mes 750€ mensuels. Je vois les touristes et les vacanciers arriver, puis repartir. Je ne voyage jamais, je m’occupe également de ma très vieille mère, la famille manque cruellement de moyens, il n’y a pas que moi. Ce n’est plus une vie, c’est… un parking jusqu’à notre mort. Parfois, ces politiciens survolent notre parking… en OVNI, et c’est tout. Leurs salades ne nous intéressent donc plus.”

Péloponnèse mythique aux cafés branchés, à Nauplie ou encore jusqu’à Athènes. Cafés grecs aux fresques parfois inhabituelles, celle par exemple rappelant l’apogée de l’Empire romain d’Orient, dit généralement Byzance. Au pays étendu tel un corps sans tête, déjà politique, on sait tant attendre son heure, ou sinon son siècle. Nos matous quant à eux, ils attendront devant les tavernes et autres établissements à crêpes ou à pizzas cette saison touristique, voire, la suivante.

Quant à la voisine Anna, elle estime que “près de 50% des Grecs ne participent plus au cirque politique, ils ne votent plus et ils attendent peut-être leur heure. C’est comme une casserole en train de chauffer mais lentement. Explosera-t-elle, et alors dans combien de temps ?”.

Byzance sur un mur. Athènes, juin 2019

 

Pays couché. Athènes, juin 2019
En attendant la saison. Athènes, juin 2019

Quittons donc et enfin un peu, les Syrizístes, les Mitsotákis comme tous les autres. Songeons plutôt aux espaces Égéens, aux ouvertures aux quatre vents, comme le faisait souvent notre poète Odysséas Elýtis (1911 – 1996), lequel a reçu le prix Nobel de littérature en 1979.

“Devant la crête de l’île de Sérifos, quand monte le soleil, les canons de toutes les grandes théories du monde échouent dans leur mise à feu. L’intelligence est vaincue par quelques vagues et une poignée de pierres – chose étrange peut-être, et pourtant capable d’amener l’homme à ses véritables dimensions. En effet, qu’est-ce qui, sinon, lui serait plus utile pour vivre ? S’il aime commencer de travers, c’est qu’il ne veut pas entendre. Sans qu’il en prenne conscience, la mer Égée dit et redit sans cesse, depuis des milliers d’années, par la bouche du clapotis de ses vagues, sur l’immense étendue de ses côtes: voilà qui tu es !”

Songeons plutôt au clair soleil, à l’azur profond… aux nouvelles portées de l’année. Nous aussi, admirons-nous parfois ce qui reste des apparences et des réalités. Rien que pour amener l’homme à ses véritables dimensions.

La portée de l’année. Péloponnèse, juin 2019

* Photo de couverture: Garde Présidentielle Evzone. Athènes, juin 2019

Démocraties… représentatives La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Démocraties… représentatives

Élections passées, élections en cours, élections prochaines. Entre le sondage berné grandeur nature des élections dites européennes, les élections municipales et régionales en deux tours, le deuxième ce dimanche 2 juin, et enfin, les élections législatives anticipées annoncées, la… Démocratie on dirait qu’elle déborde. Petits pays, énormes illusions. Oligarchies libérales que nous appelons à tort “démocraties représentatives”, Cornelius Castoriádis avait déjà en son temps le mérite de proposer une réflexion de fond sur ce qu’est une démocratie véritable… sauf qu’il n’est plus. Élections passées, élections prochaines, seule certitude… nos cigognes des campagnes grecques, campagnes non-électorales bien entendu.

Temps des aliénations. Athènes, mai 2019

Tsípras a annoncé des élections anticipées pour le 7 juillet, c’est pour limiter autant que possible les dégâts, et pour que son gouvernement puisse nommer en poste les plus hauts magistrats du pays fin juin, histoire de s’assurer d’une certaine impunité lorsqu’il aura quitté le pseudo-pouvoir, disent-elles les “mauvaises langues”, presse grecque du moment, ici en anglais. Déjà en son temps, Cornelius Castoriádis, plutôt pessimiste vers la fin de sa vie, il considérait “qu’il existe une aliénation plus profonde de la société, toutes classes confondues, à ses propres institutions, quand celle-ci cesse de les remettre en question, quand elle les considère comme naturelles ou nécessaires”, comme il est aussi parfois rappelé devant les apories structurelles de notre méta-monde.

Nous y sommes, et notre analyse sur les faits et gestes apparemment politiques faisant suite aux événements et scrutins récents en Grèce, doit être considérée et comprise, une fois de plus, après avoir retracé l’essentiel, mais c’est hélas ainsi.

En mars dernier, j’écrivais ici que la marionnette Tsípras s’accroche à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme et qu’il sera remplacé par la marionnette Mitsotákis. Les Puissances, à savoir Berlin, Bruxelles, la Goldman Sachs, ainsi que José Manuel Barroso, insistent ouvertement pour que des élections législatives anticipées soient “décidées” entre mars et juin d’après la presse de la semaine. Bonne blague. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel Tsípras aurait été préparé par les “élites” mondialisatrices, au demeurant bien avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes, les élections dites européennes en plus.

Candidat Syrizíste au Conseil municipal. Athènes, mai 2019
Candidat du parti de Velópoulos. Athènes, mai 2019
Tsípras menteur. Athènes, mai 2019

L’inquiétude du “petit peuple” est toujours grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive, mais on s’y habitue coûte que coûte, la rage est avalée à défaut d’être vomie.

Les analyses, disons coutumières, elles se sont d’abord focalisées sur la victoire du parti de la Nouvelle Démocratie et de Mitsotákis en personne (33% des votants), dix points d’avance sur SYRIZA arrivé deuxième avec 23%. C’est autant vrai et c’est d’après les apparences, ce qui visiblement en tout cas, aurait motivé la décision de Tsípras, avancer la date des élections législatives de près de trois mois.

Ce n’est pourtant pas un score historique pour la Nouvelle Démocratie, et ce n’est pas non plus, l’effondrement complet pour SYRIZA. Sauf que les électeurs de SYRIZA de l’année 2015 ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de 2019, la classe moyenne agonisante a largement quitté Tsípras, lorsque les fonctionnaires ont même accordé davantage de voix à Mitsotákis qu’à Tsípras. Les chômeurs quant à eux, ils ont moins sanctionné SYRIZA que les actifs, tandis que la population carcérale, elle a de son côté… plébiscité le parti de la Gauche dite radicale.

Mémoire de Loukánikos. Athènes, mai 2019
Petite mobilisation, employés des banques. Athènes, mai 2019
Tout petit commerce. Athènes, mai 2019

En somme, ces Grecs ayant tant manifesté sur les places et dans les rues durant les années 2010 à 2013, temps aussi de notre regretté Loukánikos, ils ont autant déserté les luttes trahies ou jugées vaines, pour ensuite, quitter SYRIZA, comme aussi l’ensemble la Gauche. Ceci, en dépit du succès très relatif de la liste Varoufákis, nous y reviendrons. Depuis 2015 également les mutations tombent alors du ciel, Airbnb avale Athènes pour la transformer, les touristes arrivent massivement depuis la Chine, et des licenciements très massifs se poursuivent par exemple au sein du secteur des banques.

“Accessoirement”, les banques qui ne sont plus grecques, s’apprêtent à offrir aux spéculateurs et aux autres rapaces internationaux près de 100.000 biens immobiliers (saisis) d’habitations supplémentaires. Le pays concret change de propriétaires, lorsque déjà et d’après la presse financière, une bonne partie du parc Airbnb en Grèce et essentiellement à Athènes, appartient à des investisseurs issus de l’Empire du Milieu, presse du jour. Les Grecs, ils pourront toujours et encore commenter les résultats des scrutins bien entendu…

Au soir du 26 mai et en troisième position, on retrouve le PASOK (ou KINAL) sous Fófi Genimatá (7%), laquelle vient d’exclure de son parti la figure historique et pléthorique d’Evángelos Venizélos, préférant placer en première position éligible d’office sur la liste hors circonscriptions aux prochaines législatives d’après le système électoral grec, Giórgos Kamínis, l’ancien maire d’Athènes, lequel n’a pas réussi d’être l’élu généreusement payé au dit Parlement européen. Mon analyse, c’est que Kamínis, ayant a comme on sait ouvert toutes les portes aux ONG du financier Sóros à Athènes, notamment quant à l’installation et à la prise en charge de migrants récents d’après les plans bien connus de Sóros sur l’avenir de l’Europe, et bien, voilà que des instructions, pour ne pas dire des ordres seraient venus d’ailleurs… pour justement céder cette première place à Kamínis, en plus de la salade interne du parti bien évidemment.

Touristes Chinois sous l’Acropole. Athènes, mai 2019
Airbnbisation courante. Athènes, mai 2019

Airbnbisation galopante. Athènes, mai 2019

Car au-delà de la polémique interne au PASOK du samedi soir tant évoquée à travers la presse, ces salades supposées internes à tous ces partis largement compatibles Sóros (et mondialisateurs réunis) relèvent plutôt de leurs engagements, parfois même… fondateurs par les temps qui courent. Pour mémoire, au premier cercle des partis compatibles Sóros, on retrouve SYRIZA, la Nouvelle Démocratie, le PASOK, “To Potámi” (“La Rivière”) de Stávros Theodorákis, ainsi que le mouvement de Yanis Varoufákis, sans oublier la nébuleuse des anarchistes comme de tant d’autres partis et groupuscules allant de la “gauche” à la “droite” pour ne rien laisser au hasard. Cela fait ainsi bien de monde, y compris lorsqu’il sera question de “gouverner” ensemble si besoin. Venizélos… l’Apostat malgré lui du PASOK, vient de déclarer que son “exclusion est en rapport avec le rôle voulu pour son parti, rien que par sa direction: servir de béquille à SYRIZA si besoin est”, presse grecque du 2 juin.

Bien entendu, “To Potámi” (le parti dit de “La Rivière”) de Stávros Theodorákis a été laminé (1,5%), ainsi son chef se retire comme il le déclare de la vie politique. Il faut dire que son rôle a pris fin pour ce parti inventé par Bruxelles et Berlin pour les nécessités de Bruxelles, de Berlin et des Sóros, et j’ose prédire que le comparse suivant pour incarner exactement le même rôle derrière un langage certes plus polémique en apparence, pourrait-il être le mouvement de Varoufákis, créant la surprise avec presque 3%.

Varoufákis croit-il que cet été grec c’est alors déjà le sien, et au pays réel, on installe plutôt les parasols sur les plages, comme c’est autant le moment des festivals bien de saison. Au théâtre d’Hérode Atticus, construit au pied de l’Acropole d’Athènes en 161 ap. J.-C. par Hérode Atticus en mémoire de sa femme, c’est déjà le grand moment de Norma de Vincenzo Bellini, l’autre monde.

Parasols nouveaux. Grèce, mai 2019
L’été grec. Mai 2019
Norma sous l’Acropole. Athènes, juin 2019

Reste le monde d’en bas, le nôtre, et son supposé phénomène nouveau du parti de la “Solution Grecque” de Kyriákos Velópoulos (4,1%). Son succès est à lier également à l’effondrement de l’Aube Dorée, laquelle a perdu près de la moitié de son électorat (4,8% en mai 2019). L’Aube Dorée a incarné autant le rôle d’épouvantail bien commode à SYRIZA et aux autres partis “gestionnaires”, puis, son chef Michaloliákos aura même sabordé par “mégarde” le candidat de son parti pour la ville de Thessalonique, tout comme il aura exclu peu avant le 26 mai, un autre candidat issu du fief de l’Aube dorée en Laconie, dans le Péloponnèse.

Outre le passé/présent néonazi du clan Michaloliákos, il y a encore ses liens présumés avec le para-État, pour ne pas dire avec certains services secrets, et comme par hasard… ce sont est exactement ces mêmes liens présumés qui sont reprochés au chef et assassin patenté de l’organisation du 17 Novembre, Koufodínas, actuellement en prison, personnage au rôle bien obscur que la nébuleuse anarchisante présente alors comme un héros. Le système fabrique ou contrôle ses pions aux deux extrémités du supposé jeu politique, tandis qu’entre les deux, les partis progressent, stagnent ou disparaissent, d’après les besoins des vrais tenants du pouvoir.

Il n’est donc pas tout à fait fortuite cette apparition du parti de Velópoulos, ancien élu du parti supposé d’extrême-droite de Karatzaféris, ayant pourtant voté en faveur du Mémorandum I, et soutenu le gouvernement Quisling du banquier Papadémos imposé par Merkel et par Bruxelles entre 2011 et 2012. Ensuite, Velópoulos, après avoir soutenu qu’il possédait les originaux… de la correspondance épistolaire de Jésus, il devient un personnage télévisuel, ou entre autres, il vend via la caverne cathodique, livres, produits et autres pommades-miracle contre la calvitie, sauf qu’il est lui-même largement atteint d’alopécie androgénétique.

Velópoulos a fait donc campagne surtout à travers la télévision et d’abord, en multipliant ses apparitions sur les chaînes locales de la Grèce du nord, très exactement de cette Macédoine grecque se sentant trahie par l’accord Macédonien de Tsípras. Ensuite, cette campagne de Velópoulos a été truffée de mensonges, savamment noyés comme il se le devait dans un argumentaire prétendument patriotique et souverainiste. Il s’agirait bien du prochain poulain peut-être, jusqu’au suivant. En tout cas et déjà, certains des cadres de son parti démissionnent, dénonçant “le caractère trompeur de l’affaire, car sous la Solution Grecque il y a autre chose derrière toute une façade”, déclarations du cadre démissionnaire Nikos Mastroyiannis, presse grecque début juin. Bonne blague !

Athènes et… ses valises. Juin 2019
Non aux éoliennes. Thessalie, mai 2019
Restauration. Ville de Tríkala, Thessalie, mai 2019

Enfin, il y a le lent déclin du PC grec, le KKE (5,3%), ainsi que le résultat humiliant de l’Unité Populaire (0,58%), sous la direction de Lafazánis, ancien chef de l’aile gauche de SYRIZA jusqu’à l’été 2015. Rien de très étonnant dans tout cela. Élections passées, élections en cours, comme élections prochaines, la dite gauche, soit elle incorpore le magma écologiste, droit-de-l’hommiste, immigrationniste comme néolibéral, mixtion alors consubstantielle des mondialisateurs globalistes et européistes, comme c’est déjà le cas entre autres pour SYRIZA, soit elle disparaît définitivement du jeu pseudo-politique. Ses illusions auront pourtant bien servi à la transition vers ce siècle qui se dessine sans tête ni queue politique.

Bientôt le travail de masse disparaîtra progressivement, les globalisateurs, lesquels auront déjà manipulé les 18-30 ans des années 2018-2022 au sujet du “péril écologique”, n’auront plus tellement de mal à faire passer la pilule du transhumanisme pour “l’élite”, et autant celle du revenu minimum universel pour près des deux tiers de la société, en passant par la disparition de l’argent liquide. Ces nouveaux assistés en somme définitifs, outre le fait qu’ils seront contrôlés à tout instant, ils se verront même retirer leur droit de vote, ce dernier sera d’abord réservé aux classes supérieures issues notamment des actuels boboïsés, puis plus… rien.

Comme il a été souligné ailleurs au sujet des États-Unis, “la décadence interne est tout aussi inquiétante que le pourrissement visible. Il y a au sein de toutes les classes sociales une perte de confiance dans le gouvernement, une frustration généralisée, un sentiment de marasme et de traquenard, une certaine amertume face aux promesses non tenues et aux espoirs déçus, et une telle fusion entre réalité et fiction que les discours tant publics que politiques ne sont plus ancrés dans la réalité… ‘Une société devient totalitaire lorsque sa structure devient manifestement artificielle’, a écrit George Orwell. ‘Ce qui veut dire quand sa classe dirigeante ne tient plus son rôle, mais ne réussit à s’accrocher au pouvoir que par la force ou la fraude’. Nos élites ont épuisé la fraude. Il ne leur reste que la force”, Chris Hedges, “Le monde qui nous attend”, janvier 2019.

La zombification des esprits aidant, les Grecs ont-ils voté à 58%, et ils ont sanctionné l’amoralisme de la bande à Tsípras, comme ils ont préféré celui du clan Mitsotákis, plus le clientélisme et le survivalisme ambiants. En réalité il n’y a guère de choix sauf sursaut populaire, ce qui n’est jamais exclu à travers l’histoire. Oligarchies ainsi libérales que nous appelons à tort “démocraties représentatives”, Cornelius Castoriádis avait déjà en son temps le mérite de proposer une réflexion de fond sur ce qu’est une démocratie véritable… sauf qu’il n’est plus.

Grèce de jadis. Sous les Météores, Thessalie, années 1960
Grèce d’aujourd’hui. Près des Météores, mai 2019

En Thessalie bien des montagnes, le très vieil homme de la très vieille et alors unique taverne encore ouverte en a vu bien d’autres, politiciens bien entendu. En évidence, sur la terrasse de son établissement il y a cette affichette à l’image retravaillée dénonçant le projet des éoliennes, imposé à la fois par le gouvernement que par l’administration locale et régionale. Le tout, sous un écologisme à quatre sous, surtout pour les constructeurs des éoliennes, vraisemblablement Allemands.

“Qui a demandé mon avis, si je veux ou pas, finir défiguré de la sorte ?” Sans réponse bien entendu. “Les politiciens sont à peine passés, ils ont laissé leurs dépliants, puis, ils sont ou ils seront élus. Ils enjambent notre monde pour le piétiner et pour bien accéder à leur monde, et cela se répète à chaque élection. J’ai vu mon grand-père exécuté par les Allemands en 1944, et voilà qu’ils reviennent ici avec leurs éoliennes. Notre village il s’est vidé, il revivra un peu en août lorsque ses enfants habitant en ville y passeront seulement quelques jours ici… regardez, vous êtes les seuls à déguster ma salade et mes herbes bouillies, ramassées il faut dire à 2.000 mètres d’altitude. C’est cette altitude qui nous sauve encore un peu… et non pas la politique.”

“Après, il y a mon chat, matou vieux de dix ans que la taverne a adopté, nous l’appelons Pángalos, du nom de l’ancien Ministre du PASOK, rien que parce que notre matou était bien ventru à l’époque. Actuellement, il a vieilli et maigri comme nous… et comme la Grèce.”

Élections passées, élections prochaines, seule certitude… nos cigognes des campagnes grecques, campagnes non-électorales bien entendu. Puis Pángalos, comme tous les autres matous.

Pángalos, le matou. Thessalie des montagnes, mai 2019
* Photo de couverture: Nos cigognes. Thessalie, mai 2019

Premières notes sur les élections en Grèce

Premières notes sur les élections en Grèce par Stathis Kouvelakis

Il faut être clair : c’est un désastre encore pire que ce à quoi s’attendaient les plus pessimistes.

D’abord, the big picture: Syriza est sévèrement sanctionné, Tsipras a annoncé des élections anticipées pour la fin juin, pour limiter autant que possible les dégâts. La com’ maniée jusqu’à la nausée par le gouvernement et ses médias et les « mesures sociales » sentant bon les « petits cadeaux » préélectoraux n’y auront donc pas changé grand-chose : l’électorat a sanctionné une équipe qui a appliqué sans faillir pendant près de quatre ans un troisième mémorandum austéritaire.

Les propos tenus ce matin par Nikos Filis, figure de proue de l’actuelle direction de Syriza et ancien ministre de l’éducation, sont, en ce sens, tout à fait éloquents :

« la première raison [de la défaite] est l’application des mémorandums. Peut-être étaient-ils moins douloureux que les précédents, et Syriza a essayé de trouver des pistes en faveurs de nos concitoyens plus faibles, mais il a finalement appliqué les mémorandums dans une direction néolibérale. Le compromis douloureux a entraîné d’autres compromis. Aucun parti n’a pu échapper au sort auquel le condamne [la mise en œuvre] des Mémorandums. La Nouvelle Démocratie s’y est perdue et s’est reconstruite, le PASOK s’est effondré ».

1. Ces élections de juin seront une promenade pour la Nouvelle démocratie (ND, droite), sur le point sans doute d’avoir une majorité absolue. L’écart entre Syriza et ND est plus important qu’attendu (presque 10%, un record pour les normes des scrutins des dernières décennies), il est amplifié par les revers de Syriza dans les municipalités et les régions. Le désaveu de Tsipras et de son gouvernement sont nets.

Par ailleurs, une analyse plus fine montre que l’électorat de Syriza de 2019 a peu de rapports avec celui de 2015. Certes, dépourvu de tout adversaire crédible sur la partie gauche (au sens large) du spectre politique, il ne s’effondre pas- c’est la différence avec le PASOK de 2010. Il continue de faire des scores significatifs tant au niveau national que dans certains quartiers populaires, où il est toutefois talonné, et, le plus souvent, dépassé, par la droite. Mais le profil « qualitatif » de cette base électorale n’est pas le même qu’auparavant. Un coup d’œil sur les choix effectués par les électeurs de Syriza parmi les candidats de la liste pour le parlement européen est instructif à cet égard.

Sur les six sièges d’eurodéputés obtenus par Syriza, sièges répartis en fonction des votes préférentiels (chaque électeur peut cocher jusqu’à quatre noms parmi les candidats d’une liste), la candidate-élue arrivée en 2e position, Elena Kountoura, vient du parti nationalo-souverainiste de Panos Kammenos (partenaire gouvernemental de Syriza jusqu’à la validation de l’accord avec la Macédoine), et porte a un discours clairement nationaliste et xénophobe. Le 5e élu, Alexis Georgoulis, est un comédien connu pour ses rôles de « jeune-premier » dans des séries télévisées qui a d’abord envisagé d’être candidat de la Nouvelle Démocratie. Le 6e élu enfin, Petros Kokkalis, est certes le petit-fils du « docteur Kokkalis », médecin et ministre dans le gouvernement rebelle de l’Armée Démocratique pendant la guerre civile (et par la suite réfugié en Allemagne de l’Est), mais il est surtout le fils et héritier de l’oligarque Sokratis Kokkalis, qui a fait fortune dans les télécommunications dans les années 1980 profitant de ses liens avec Andréas Papandréou.

L’électorat actuel de Syriza ressemble de plus en plus à la clientèle « désidélogisée » d’un parti au pouvoir qu’à celui d’un parti de gauche. Il est par ailleurs évident qu’il hérite en partie du PASOK « social-libéral » des années 2000 : dans les quatre seules circonscriptions dans le pays où Syriza arrive en tête, trois sont les ex-bastions les plus emblématiques du PASOK : deux en Crète et une dans le nord-ouest du Péloponnèse, autour de Patras, berceau de la famille Papandréou.

2. Un nouveau parti d’extrême-droite émerge, la « Solution Grecque », porté par les rassemblements nationalistes sur la Macédoine et l’usure d’Aube Dorée. Il fait d’excellents scores dans le nord de la Grèce (là où ces rassemblements ont été les plus significatifs), et quasiment jeu égal au niveau national avec Aube Dorée (4,1 et 4,8 respectivement). Il est possible que l’extrême-droite grecque ait trouvé un visage plus « présentable » que celui des criminels d’Aube Dorée, et qu’elle soit en mesure de réaliser de nouvelles percées dans l’avenir. Un autre indicateur inquiétant du potentiel de l’extrême-droite se trouve dans le score qu’Aube Dorée aurait réalisé parmi les primo-votant, autour de 13% selon un sondage sortie des urnes.

3. Le KKE se maintient tout juste par rapport aux résultats de 2015 (5,5%) mais perd des voix par rapport au score des européennes de 2014 (6,1%). Ses scores aux scrutins régionaux indiquent également une baisse sensible par rapport au scrutin de 2014, de l’ordre de 20% des suffrages. Le KKE est un parti dont l’influence s’érode lentement mais sûrement.

4. La surprise des élections est le succès inattendu de Varoufakis (3%, sans doute un élu au parlement européen, mais cela reste à confirmer lorsque le décompte des voix sera achevé). Zoé Kostantopoulou sauve également les meubles d’une certaine façon (1,6%), tout en étant loin du seuil exigé pour obtenir des élus (3%). L’examen des résultats de ces deux formations montre un électorat diffus, relativement homogène, avec des scores un peu plus importants que la moyenne dans les grandes villes, sans pointes mais sans « déserts ». En gros, un vote diffus de sympathie, basé sur la présence médiatique et la visibilité des personnalités qui dirigent ces formations, qui reflète l’absence d’implantation en termes d’organisation.

L’élection, si elle se confirme, de Sofia Sakorafa sur la liste Varoufakis, eurodéputée sortante, initialement élue en tant que Syriza, n’est pas une mauvaise nouvelle, son nom reste lié dans la mémoire collective aux mobilisations contre les Mémorandums des années 2010-2012. C’est une belle prise assurément pour Varoufakis, la seule pour l’instant, mais il est probable qu’à partir de maintenant il soit en mesure d’attirer une partie importante des « déçus de Syriza », surtout au niveau de « cadres », de « personnalités » etc. Il semble par ailleurs que sa liste ait fait de bons scores parmi la jeunesse (très certainement la jeunesse diplômée des classes moyennes) : selon un sondage sortie des urnes parmi les primo-votants, son score serait autour de 4,5%, soit davantage que le KKE, donné à 3,7% dans cette tranche d’âge alors qu’il dispose d’une vraie organisation de jeunesse.

5. Le succès de Varoufakis, et le score relativement honorable de Kostantopoulou ne rendent que plus cuisantes les défaites d’Unité Populaire et d’Antarsya, de la première encore davantage que de la seconde, et cela dans un scrutin où la pression du vote utile joue nettement moins que dans les scrutins nationaux. Cette défaite va peser lourd car il s’agit des deux seules forces à disposer de réseaux militants, contrairement à Varoufakis et Kostantopoulou qui n’existent que sur les plateaux médiatiques.

Antarsya fait un score très faible (0,66%) mais comparable en fin de compte à celui des précédents scrutins, européens ou nationaux (tous entre 0,85% et 0,64% entre 2014 et 2015). Son principal échec est aux élections municipales à Athènes, où deux listes se sont présentées, le SEK (section grecque de l’IST dirigée par le SWP britannique) ayant fait bande à part. Les deux ont obtenu des élus mais l’électorat de 2014 (autour de 2%) s’est scindé en deux, et un capital acquis par des années de travail militant a été dilapidé.

6. Unité Populaire (UP) obtient un résultat humiliant (0,58%), surtout si on le compare à celui des législatives de septembre 2015 (2,9%), seul point de comparaison possible pour cette formation. Il y a une dimension de rejet personnel de Lafazanis, mais aussi de la politique menée par son courant, et un échec collectif du projet d’UP en tant que tel.

Plusieurs facteurs ont ici joué, je ne peux que les lister brièvement.

Il y a d’abord un problème de direction, même s’il est toujours réducteur, et en partie injuste, de limiter la question à cela. Il faut dire néanmoins que Lafazanis est perçu comme particulièrement usé et discrédité non seulement à cause de son évident échec à s’opposer efficacement à la capitulation de l’été 2015 mais aussi pour les dérives de la dernière période, illustrées par un flirt appuyé avec le nationalisme (sur la question de la Macédoine en particulier) et une apparition sur une chaîne télé d’extrême-droite (qui a déclenché une tempête interne dans UP). A noter que Zoé Kostantopoulou a été encore plus loin dans cette direction (elle a appelé à participer aux rassemblements nationalistes, ce qu’UP s’est abstenue de faire), mais elle ne s’adresse pas au même électorat. Il est toutefois incontestable que ces prises de position ont considérablement fragilisé UP, endommagé davantage encore sa cohérence interne et son image morale auprès des secteurs de la gauche militante et anticapitaliste.

Par ailleurs, la monopolisation de la présence médiatique et publique d’UP par la personne de Lafazanis passait de plus en plus mal après du public, toutes les tentatives de promouvoir des visages nouveaux s’étant heurté au refus de son courant.

Le courant Lafazanis, majoritaire dans les instances d’UP (suite à un congrès marqué par des manœuvres malsaines), s’est montré peu soucieux de construire UP comme une « maison commune » pour l’ensemble de ses composantes, ce qui s’est révélé d’autant plus dommageable qu’il est composé de cadres vieillissants, issus de la scission de 1991 du KKE et véhiculant une culture marquée par un esprit bureaucratique et peu ouvert aux sensibilités (et aux pratiques) des mouvements sociaux. Il en est résulté une hémorragie militante continue d’UP, en particulier après son congrès fondateur de juin 2016, qui avait mobilisé environ 5000 militants, un effectif considérable dans les conditions de l’après-2015.

UP et ses militants ont certes été présents dans toutes les mobilisations de la dernière période (comme les militants d’Antarsya) mais, il faut bien dire que ces mobilisations ont été de faible ampleur et très fragmentées. De plus, les militants d’UP ont eu tendance à délaisser le travail de terrain et à le remplacer par des actions symboliques, ou des micro-actions d’agit-prop, menées sous leur drapeau, notamment dans le mouvement contre les saisies des logements. Le courant Lafazanis s’est particulièrement illustré dans ce type de pratiques.

7. Enfin, last but not least, tant UP qu’Antarsya ont gravement sous-estimé la nécessité de présenter des propositions alternatives crédibles et travaillées, pensant que la seule dénonciation du gouvernement Syriza et l’appel à la sortie de l’euro et de l’UE pouvaient suffire. Dans une situation de démoralisation, où règne le There Is No Alternative, ce discours paraît comme un exercice de rhétorique et ne convainc personne. L’absence de véritable projet de ce côté a permis plus particulièrement à Varoufakis d’apparaître comme porteur d’un message « innovant » et « sexy », jouant habilement sur la carte d’une opposition modérée et « euro-compatible » à Tsipras et Syriza.

8. Dernier élément qui confirme le double échec des formations de la gauche anticapitaliste : leurs listes aux élections régionales ont réalisé des scores certes faibles (en général entre 1,5% et 2%, avec parfois des pointes à 3% pour UP, ou des listes soutenues par UP) mais sensiblement supérieurs à leurs scores aux européennes, parvenant souvent à obtenir des élus dans les conseils régionaux. Il en est de même pour des listes aux élections municipales, là où elles correspondent à un véritable travail et à une implantation militante au niveau local. Cet écart indique bien l’incapacité (à mon sens irréversible) tant d’Antarsya que, davantage encore d’UP (seule nouvelle force dans la gauche radicale à partir de l’été 2015) de structurer au niveau national une force politique viable.

L’avenir paraît d’autant plus compromis que, sur le plan électoral, Varoufakis semble en mesure de s’imposer dans cet espace « intermédiaire », à gauche de Syriza mais « avec modération », et sans doute ouvert à des rapprochements lorsque Syriza passera dans l’opposition, et que, d’autre part, seul le KKE continue à maintenir une base militante et une crédibilité électorale dans la gauche radicale – mais en s’enferrant dans un sectarisme pathologique qui le condamne un lent (et, à mon sens, là aussi irréversible) processus de déclin.

Le travail de reconstruction se déroulera à l’évidence dans le temps long tout en appelant d’urgence à l’invention de nouvelles voies.

 Paris, le 27 mai 2019.

Source http://www.contretemps.eu/elections-europeennes-2019-grece/

Secteur primaire ! La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Secteur primaire !

Le pays réel, ses légumes et fruits, ses animaux. Sa saison également. Les premiers touristes sont de la fête, celle du Printemps bien entendu, si possible en plein Péloponnèse. Ils ont déjà cette chance des espaces qui ne sont pas encore surinvestis comme en plein été. D’ailleurs, les Grecs se préparent autant pour fêter Pâques, le 28 avril pour les Orthodoxes, que pour la saison touristique officielle à partir du mois de mai. Pour le reste, il y a la prétendue animation politique qui bat tant de records dans les verbiages, activité offshore pour des élections alors… dématérialisées.

Touristes à vélo. Péloponnèse, avril 2019

Le vieux Péloponnèse peu fréquenté est ainsi placide, à l’intérieur les rocades sont vides, les habitants roulent bien moins depuis des années déjà, les villages de l’intérieur surtout, ils ses sont peu à peu vidés. Ceux que l’on voit aussi arriver triomphalement, appartiennent-ils à la tribu des retraités de l’autre monde occidental, ceux de la vieille Europe dont les retraites ne suffisent plus pour demeurer par exemple mais de manière confortable, en France, en Italie, en Belgique, au Royaume Uni, ou en Allemagne.

Pour ceux qui ne vivent pas durant toute l’année en Grèce, c’est le moment où ils entreprennent cette nouvelle transhumance vers le grand Sud des Hellènes. Souvent, ils y arrivent même en voiture car ils ont suffisamment d’objets et articles à porter jusqu’à leurs résidences achetées en Grèce, comme ils ont surtout tout le temps libre devant eux. Sur place ce sont les retrouvailles avec leurs compatriotes, mais aussi avec les Grecs du coin. L’estivage des retraités est alors vécu comme le premier signe avant-coureur de l’été, autant que l’arrivée des premiers touristes sporadiques du Printemps.

Parmi ces retraités, il faut aussi compter les propriétaires de voiliers, car c’est aussi le moment de leur mise à l’eau après les travaux d’entretien et l’hivernage annuel. Bernard, installé en Grèce depuis deux ans avec sa retraite en est heureux. Il est revenu aussi pour la mise à l’eau de son voilier et il attend sa fille, son mari et leurs enfants depuis la Côte d’Azur pour les vacances de Pâques. “Ici c’est formidable. J’ai acheté une maison sur la montagne il y a deux ans lorsque les prix étaient au plus bas avec la crise grecque. J’ai une vue imprenable sur la baie, puis, les Grecs sont accueillants et la vie moins chère qu’en France. Surtout que ma retraite est largement insuffisante pour poursuivre sur la Côte d’Azur, et pour y mouiller le voilier, n’en parlons pas. C’est dix fois le prix grec, travaux d’entretien compris.”

Péloponnèse et ses moutons. Avril 2019
Péloponnèse et ses baies. Avril 2019
Péloponnèse et… sa désertification. Avril 2019

Le Péloponnèse mythique, ses moutons et… ses abandons anciens comme récents. Les médias historiques répètent sans cesse “que le tourisme est l’industrie lourde de la Grèce et alors la seule”, sauf que depuis peu, d’autres… perspectives se profilent, entre la mer Égée, la mer Libyenne au sud de Crète, ainsi que la mer Ionienne. Sur la radio 90.1 FM et en zone du soir, le journaliste Lámbros Kalarrýtis interrogeait par téléphone un spécialiste du secteur pétrolier.

“Les gisements trouvés sont immenses, à la fois en gaz qu’en pétrole, les profondeurs varient certes et les emplois directs et indirects seront de l’ordre de 100.000 personnes. Les géants du secteur sont là, américains, français, italiens notamment, ainsi que quelques compagnies grecques. Plusieurs milliards de dollars sont déjà investis pour prospecter, et, étant donné les caractéristiques techniques, les bénéfices nets pourront être partagés moitié-moitié, entre les sociétés explicatrices et l’État grec. Voilà pour la véritable industrie lourde du pays”, 90.1 FM, le 11 avril 2019.

Nous serons… ainsi sauvés. Mais comme le pays est hypothéqué autant que les revenus et biens actuels et futurs de l’État grec durant 99 ans, on comprendra que le plan Troïka, initié en 2010 mais préparé de longue date, ainsi que tutélisation dans pratiquement tous les domaines et finalement la colonisation ouverte du pays ne sont pas sans rapport avec cette autre réalité des hydrocarbures dont l’existence était suffisamment connue depuis plusieurs années déjà. Et qui dit hydrocarbures, dit également situation géopolitique souvent houleuse, sans oublier que cette réalité est encore synonyme de guerres et de conflits.

Au pays de la carte postale, le petit peuple sera pourtant et à notre sens encore… rétréci, la presse évoque cette semaine le cas qui n’est pas isolé, d’une vielle femme alors âgée de 85 ans, laquelle se retrouve traînée devant les tribunaux pour avoir vendu sans autorisation quatre kilos de légumes et des herbes ramassées au village, presse de la semaine. Et en ville, les livreurs en moto ont bien suivi leur mouvement du 11 avril en défilant sur leurs motos, presse grecque du 11 avril. Pourtant, un des leurs tombait au même moment, mortellement blessé par une voiture alors qu’il livrait cafés et sandwichs dans un cartier de la capital, presse du 11 avril. Pays de la carte postale et désormais du pétrole, à Athènes, les plus paupérisés proposent aux passants de leurs journaux dits de rue… au boulevard de la méta-modernité.

Au pays de la carte postale. Athènes, avril 2019
La vielle femme que l’on traîne devant les tribunaux. Presse grecque, avril 2019
La manifestation des livreurs en moto. Athènes, le 11 avril, presse grecque
En vendant les journaux de rue. Athènes, avril 2019

En attendant le pétrole et le gaz, le Service archéologique a finalement accordé à la société chinoise COSCO que de construire trois hôtels dans le port du Pirée, dont un sous forme de pagode, du bruit donc pour rien il y a une semaine avec les réserves des archéologues tant médiatisées. Ou sinon… un pétard mouillé à quelques semaines seulement des élections dites européennes et aussi régionales et municipales, presse grecque de la semaine. En attendant toujours le pétrole, le gouvernement finance décidément le festival du goût à Athènes comme ailleurs. La vie continuera avec ou même sans goût, des lycéens étrangers visitent alors émerveillés le pays et sa capitale, place Sýntagma leurs enseignants présentent ainsi rapidement les lieux, tandis qu’au pays réel des légumes et des fruits il y a parfois ces belles traces des marchands de primeurs qui ne sont plus depuis un moment déjà.

Cependant, et sans attendre, ni le pétrole, ni les élections, le fils du ministre délégué à la Recherche Kóstas Fotákis, vient d’être le boursier parmi les premiers boursiers par un organisme que son père vient tout juste d’avoir mis sur pied, presse grecque du 12 avril. Le pétrole, le gaz… et le népotisme, industries alors bien lourdes du pays, tourisme bien entendu compris.

Ensuite, il y aura la prétendue activité politique et ses records dans les verbiages en vue des élections… dématérialisées. Les médias en rajoutent sur les affaires des scandales en cours, les Syrizístes insistent sur l’affaire des présumées commissions occultes de Novartis au bénéfice des politiques tels que les anciens ministres de la Santé du PASOK et de la Nouvelle démocratie, affaire pourtant en partie classée sans suite et pour une autre parti, des non-politiques vont être convoquées par la Justice “pour des explications”, d’après les medias. Comme il y a aussi l’affaire dite Petsítis, et ses valises présumées emplies lorsqu’il faisait le présumé “entremetteur entre les oligarques d’Athènes et le bureau politique de Tsípras”, d’après ce qui se dit déjà à Athènes.

Le gouvernement SYRIZA de 2019, finance d’ailleurs dans la foulée le nouveau film de Kóstas Gavrás, tourné en ce moment à Athènes. Son sujet porte sur les six premiers mois du gouvernement SYRIZA de 2015, d’après aussi les récits et autres mémoires du très suffisant Yanis Varoufákis, ministre des Finances d’alors, “un film de propagande Syrizo-compatible” entend-on dire ici ou là, presse grecque de la semaine. Notons que le successeur de Varoufákis, Tsakalótos, il s’est d’ailleurs encore fait huer à Thessalonique cette semaine aux cris de “Traître tu as vendu la Macédoine grecque”, et comme à chaque déplacement des officiels SYRIZA, c’est sous cordon policier compris, presse grecque de la semaine. D’après les médias du 12 avril, Tsakalótos rencontrera enfin Christine Lagarde du FMI dans la journée, mais à New York, c’est sans doute plus calme pour lui qu’à Thessalonique.

Festival du goût. Athènes, avril 2019
Tsakalótos à Thessalonique. Presse grecque, avril 2019
Lycéens étrangers à Sýntagma. Athènes, avril 2019

Le pays, ses légumes, ses touristes… “son” Ambassadeur, notamment celui des États-Unis, Geoffrey Pyatt lequel félicite bien souvent Tsípras pour sa politique Macédonienne. “Malheureusement, l’ambassadeur américain à Athènes, un homme certes intelligent et bienveillant, lequel se comporte-t-il par contre comme un applaudisseur de M. Tsípras, générant ainsi toutes les conditions d’un prochain avenir alors difficile pour les relations gréco-américaines, cette fois, pour les Grecs proches de la droite.”

“Il est difficile d’interpréter ce comportement ambigu de l’ambassadeur, autrement que motivé par une forme de récompense pratique, rien que pour les services que M. Tsípras offre-t-il alors à Geoffrey Pyatt. Et ce n’est pas la première fois que l’ambassadeur agit il faut dire de la sorte. Et il le fait en soutien à Tsípras, à chaque fois que M. Tsípras traverse alors une période difficile en matière de politique étrangère et nationale. Cela interfère bien entendu dans la politique intérieure du pays et c’est en violation flagrante du principe établi et reconnu internationalement depuis des siècles, principalement à partir des traités de Westphalie, à savoir, la non-ingérence aux affaires internes d’un autre pays. Il serait peut-être temps que de muter Monsieur Pyatt ailleurs”, et c’est le directeur du principal quotidien des Gréco-américains, “Ethnikos Kirikas”, qui s’exprime de la sorte. Le texte republié par la presse grecque cette semaine, avec aussi la réponse officielle de l’Ambassade des États-Unis, argumentant en somme “que ce n’est pas de la politique personnelle de l’Ambassadeur mais des États-Unis, et qu’il s’agit de toute manière des intérêts communs des deux pays”, presse grecque du 12 avril.

La veille, voilà un autre quotidien qui s’interroge sur le “silence complet made in USA” des Syrizístes et de leur gouvernement au sujet de l’arrestation du fondateur de WikiLeaks Julian Assange, étant donné que par le passé, pas si lointain, des figures politiques et médiatiques SYRIZA avaient-elles même organisé des journées de soutien à Julian Assange, presse grecque du 11 avril. Étranges coïncidences calendaires et journalistiques en tout cas. “Démocratie” offshore, et personnel politique alors… dématérialisé !

Marchands de primeurs qui ne sont plus. Péloponnèse, avril 2019
Touristes à Athènes. Avril 2019

Le pays réel, ses légumes et fruits, ses tavernes et leurs animaux. Pays réel et pays en… concentré avant l’été où alors tout se dilate.

Comme l’écrivait en bien d’autres temps certes (Homme Londres, 5 juin 1932), le grand poète Yórgos Seféris:

“Il est temps que je parte. Je connais un pin qui se penche sur la mer. À midi, il offre au corps fatigué une ombre mesurée comme notre vie, et le soir, à travers ses aiguilles, le vent entonne un chant étrange comme des âmes qui auraient aboli la mort à l’instant de redevenir peau et lèvres. Une fois, j’ai veillé toute la nuit sous cet arbre. À l’aube, j’étais neuf comme si je venais d’être taillé dans la carrière. Si seulement l’on pouvait vivre ainsi ! Peu importe”.

Le pays réel, ses tavernes et leurs animaux. Péloponnèse, avril 2019

* Photo de couverture: Le pays réel, ses légumes et fruits, ses animaux. Péloponnèse, avril 2019

Chronique des Humbles La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Chronique des Humbles

Pays sous la tempête, bateaux de nouveau arrimés au Pirée, avions qui ne se posent pas en Crète. Tempête donc. Sur terre grecque enclose, tout le métaplasme incarné du monde politique s’agite devant les élections alors multiples et variées cette année, histoire de brasser de l’air pour recracher du néant. Ensuite, ceux d’en bas, les humbles, et déjà “bioconservateurs” d’après certains transhumanistes et misanthropes, survivent comme ils le peuvent. Ainsi femmes et hommes n’étant plus encadrés, soutenus, comme ils l’étaient dans leur petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Parfois, ils ont même tout juste de la chance, comme hier ma cousine Evanthía au village thessalien.

Grèce rurale. Années 2010

Evanthía revenait de son travail en partie de nuit, à la boulangerie du village. Elle y gagne 12€ par jour, travaillant entre 4h et 8h du matin, bien entendu c’est du travail informel. Son mari, Pétros s’occupe des maigres champs appartenant encore à la famille, il bricole de la mécanique pour les gens du voisinage, comme il peut être occupé très occasionnellement dans l’année en tant que chauffeur routier conduisant les camions des chantiers. Ceci, lorsqu’il y a du travail. Le couple garde aussi les deux enfants de leur fille et de son mari, histoire de leur permettre d’aller travailler un peu. La famille ainsi élargie occupe une seule maison, chauffée au bois, et ils n’ont gardé qu’un seul vieux véhicule pour tous, et assuré, plus le scooter.

Evanthía utilise donc le scooter de la famille, pour lequel elle n’a ni permis et encore moins l’assurance. Plus de la moitié des habitants au village roulent ainsi, surtout pour un deuxième véhicule ou scooter, ils ont à peine de quoi mettre un peu d’essence au réservoir et c’est tout. Evanthía n’a pas fait attention hier matin, son scooter a été fauché par la camionnette que le voisin Nikos venait tout juste de démarrer pour se rendre à ses champs. Evanthía, d’abord secourue par le médecin de campagne et le pharmacien du village, elle a été transférée à l’hôpital du chef-lieu, puis opérée d’urgence. Fractures aux pieds, ses jours ne sont pas en danger, la famille est soulagée, Nikos, leur voisin et ami l’est autant.

L’à peu près encore possible dans les campagnes ne demandera par des comptes à Evanthía, Nikos s’arrangera avec la famille, ceux de la Police locale fermeront les yeux devant la paupérisation qui les entoure et qui les concerne même, le système de Santé accepte encore pour l’instant que de soigner Evanthía dans l’urgence, sachant qu’elle n’est plus de la tribu des rescapés patentés de l’Assurance Maladie. Ailleurs, et surtout en milieu urbain, le régime antisocial, celui du génocide alors lent montre pourtant déjà toutes ses dents.

Retraité et vendeur… informel. Athènes, années dites de crise
Retraités et manifestants. Athènes, mars 2019 (presse grecque)
Retraités et manifestants. Athènes, mars 2019 (presse grecque)

Lorsque la criminalité explose un peu partout et que certains candidats des politiciens se vantent même d’avoir été condamnés pour escroquerie (voir ici mon billet du 23 mars au sujet du cas de Myrsíni Loḯzou), voilà que cette semaine, la Police interpelle Suzana Iliádou, femme âgée de 90 ans laquelle vend ses tricots sur le marché hebdomadaire dans son quartier de Thessalonique. Elle a été gardée au Commissariat durant près de 12 heures d’après le reportage, un policier l’a même sommé non sans ironie pour sa main tremblotante durant… la séance de l’empreinte digitale et de l’apposition sur un support de son doigt préalablement encré.

La scène filmée a été néanmoins été diffusée par les médias, et ce fut le scandale en Grèce. Les voisins de la vielle dame, désormais choquée et apeurée s’en chargent pour vendre ses tricots sitôt sur le marché hebdomadaire, tandis que la ridicule Ministre SYRIZA Papakósta (des Apostats, issue de la Nouvelle Démocratie), elle déclare que “l’amende infligée à la vielle dame s’élevant à 200€ est justifiée sauf qu’elle sera gelée”, presse grecque de la semaine. Entre-temps à Athènes, des retraités manifestent devant le Parlement pour la 125ème fois depuis le début de la dite crise en 2010, de la dignité certes mais alors totalement symbolique.

Temps supposés nouveaux, des quartiers d’Athènes se transformant en zones interdites pour les habitants sous l’emprise du dictat Airbnb, paupérisation à peine cachée par les terrasses des bistrots ou sinon à Tríkala, ville de Thessalie, cette image de la camera sur Internet d’un centre-ville plutôt déserté en temps normal dans la journée. D’après les statistiques et les reportages de la semaine, les revenus déclarés des Grecs poursuivent alors une chute continue, ceux des Indépendants atteignent même 26% comparés à ceux de 2015, presse grecque du moment.

Paupérisation. Athènes, années dites de crise
Athènes, quartier placé sous… l’emprise Airbnb. Mars 2019
Centre-ville de Tríkala déserté. Camera Internet, mars 2019

En règle générale la Grèce du pays réel est en train de s’appauvrir, et en même temps, le fait de se maintenir pour de nombreux foyers, ne tient qu’aux quelques revenus de plus, notamment informels. On claque alors les dents jusqu’au bout, d’après une enquête récente, seulement 0,7% de la population grecque adulte ayant entre 35 et 44 ans, a les dents sont en bonne santé, presse grecque, mars 2019. Sauve qui peut… alors canines comprise ! Au même moment, et d’après une enquête de OCDE citée cette semaine par la presse grecque, les Grecs considèrent que leurs impôts ne leur reviennent pas sous forme d’un État aux services dignes de ce nom, et ceci pour plus de 82% d’entre eux. Ils s’illustrent même en tête du tableau des mécontents, devant les Israéliens, les Mexicains et les Chiliens (les Français sont en milieu du classement avec… seulement 57% de mécontents).

Merveilleuse époque brisée… et autant empreinte de l’instinct de la casse. Une boutique à Athènes propose-t-elle à ses clients que de se défouler en cassant tant d’objets divers et variés, vaisselle, téléviseurs, téléphones entre autres. Ailleurs, ce sont les affiches mêmes vieillies qui promettent la lune, vantant tout le mérite des… “Prophètes”, surtout lorsqu’ils sont venus depuis les Antipodes bien entendu.

Antiquité on dirait Tardive. Une bonne partie des pays de la dite Union européenne et de leur état actuel, vus de 2019, apparaissent comme la répétition générale des premières années de la crise grecque. Une des pires ignominies de l’histoire contemporaine de la Grèce aura été certainement l’abominable chantage à la prétendue lutte contre la Troïka, exercé par les Syrizístes et par ceux du parti ANEL, les acquis visiblement de toutes les caisses globalistes. Époque des illusions. On se souviendra des politiciens d’alors et de toujours, on se souviendra même de ces illuminés improvisés et inconnus Place Sýntagma à Athènes, prêcher autant dans le vide. Seul on dirait… notre Hermès de Greek Crisis, dit parfois le Trismégiste n’a pas l’air de s’en inquiéter vraiment maintenant que tout devient alors plus clair.

Payer pour alors casser. Athènes, mars 2019
Nul n’est prophète dans son pays. Affiche de 2017, Athènes, mars 2019
Hermès de Greek Crisis. Athènes, mars 2019

Sur terre enclose, tout ce métaplasme incarné du monde politique s’agite encore devant les élections alors multiples et variées cette année, histoire de brasser de l’air pour recracher du néant. Temps et autant histoire dans un sens parallèle dont il est question chez André-Jean Festugière, comme nous l’avons déjà évoqué à travers ce blog, notamment à travers les pages de son “Épicure et ses dieux”, datant certes de 1946. Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain.

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme? Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées.”

“Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Grecs et leurs Icônes. Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque
Monsieur le Premier ministre… Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque
Monsieur le Premier ministre… Thessalonique, fête nationale du 25 mars, presse grecque

Les peuples n’ont peut-être pas dir leur dernier mot. D’où d’ailleurs toute cette urgence. Durant leur fête nationale du 25 mars, les Grecs ont-ils encore brandi les Icônes de leur Christianisme Orthodoxe ainsi que leur drapeau. Ils ont également brandi certains messages, ces dernies, directement adressés au personnage politique indescriptible et alors maudit, incarné par la marionnette Aléxis Tsípras, acquis comme on sait parmi les acquis visiblement de toutes les caisses globalistes dont de celles de George Soros “lequel financerait SYRIZA et aussi la Nouvelle Démocratie” d’après certains journalistes, radio 90.1 FM, zone matinale du 29 mars 2019.

“Monsieur le Premier ministre. Vous m’avez traité d’ultra de l’extrême-droite, de populiste, de décérébré, d’idiot. Alors je vous renvoie ces qualificatifs dans la gueule.”

La trace digitale de Suzana Iliádou, femme âgée de 90 ans laquelle vendait ses tricots sur le marché hebdomadaire dans son quartier de Thessalonique ayant été visiblement jugée concluante… le pays peut alors “se réformer” davantage. Demain on ouvrira le champagne en compagnie des candidates bimboïdes aux pseudo-élections européennes SYRIZA et des autres partis dits politiques. On ouvrira accessoirement même les urnes pour alors compter l’incommensurable.

Sans la moindre surcharge cognitive… mais néanmoins partiellement alité car fatigué pour cause de pharyngite insistante, l’ethnologue de ce blog autant appauvri… ne manquera pas que de vous tenir informés, depuis ce pays sous la tempête, des bateaux qui ne seront plus arrimés au Pirée ou des avions qui se poseront enfin en Crète.

Chronique des humbles, comme d’ailleurs nouvelles de ma cousine Evanthía du village, elle va mieux ce soir et surtout, elle n’est pas seule, pour ne jamais faire ainsi l’apprentissage de sa solitude. Pharyngite… soutenue, sous le regard du jeune Hermès et de la très respectée Mimi de Greek Crisis.

Mimi de Greek Crisis. Athènes, mars 2019
* Photo de couverture: Illuminé improvisé. Place Sýntagma à Athènes années de crise

Les limites de l’âme La rubrique de Panagiotis Grigoriou

Panagiotis Grigoriou est Ethnologue et historien, chroniqueur, analyste, initiateur d’un concept de tourisme alternatif et solidaire en Grèce. Le regard de l’historien et de l’anthropologue sur l’actualité et le vécu de la crise grecque.

Les limites de l’âme

Printemps enfin. Week-end prolongé pour cause de Carnaval et de Lundi Pur, moment inaugural du carême orthodoxe en ce 11 mars. Il est de tradition en Grèce de déguster les plats de la mer comme on aime les nommer. Surtout, c’est la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes. Les Athéniens quittent la ville par milliers, la classe moyenne ramenée à 30% de la population ne se laissera pas abattre… sans fête. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu parfois aux yeux des Grecs. Ce qui compte cette semaine, c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel de promenoir en promenoir, unique Printemps du peuple.

Printemps. Athènes, mars 2019

Athènes accueille déjà ses touristes de l’avant-saison comme si de rien n’était. Pourtant c’est le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive. L’affaiblissement du pays, son affaissement multiple, moral, social, économique et culturel, conduisant tout droit… vers la menace de sa diminution territoriale par la guerre sournoise et asymétrique, toujours en cours, telle est en tout cas l’idée la plus rependue depuis 2015 et pour cause.

L’inquiétude du “petit peuple” est toujours grande. Sa colère l’est aussi. Encore faut-il sans cesse revisiter le sens et la portée de cette rage, et autant impotence généralisées, devant le déferlement des événements internes comme externes au pays. Nouvelle Antiquité… tardive, mais on s’y habitue coûte que coûte, la rage est avalée à défaut d’être vomie, raison de plus pour si possible pour reprendre goût aux choses

La marionnette Tsípras s’accroche à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, sauf que de nombreux signaux clignotent ici ou là, pour indiquer que son progiciel arriverait bientôt à terme et qu’il sera remplacé par la marionnette Mitsotákis. Les Puissances, à savoir Berlin, Bruxelles, la Goldman Sachs, ainsi que José Manuel Barroso, insistent ouvertement pour que des élections législatives anticipées soient “décidées” entre mars et juin d’après la presse de la semaine. Bonne blague. Le rôle tragique (et obscur) pour lequel Tsípras aurait été préparé par les “élites” mondialisatrices, au demeurant bien avant l’arrivée au pouvoir de SYRIZA, semble ainsi s’accomplir entre 2015 et 2019. Nous y sommes, la période de Carnaval en plus.

Les Athéniens quittent la ville. Gare routière le 8 mars 2019 (presse grecque)
C’est l’heure où il devient possible. Athènes, mars 2019
Prendre toute la mesure… Hermès de Greek Crisis, Athènes, mars 2019

Je dirais au risque de la répétition, qu’il y aurait un parallèle à oser… entre notre “euro-historicité” et une certaine forme revisitée de… l’Antiquité tardive. Une période comme on sait cruciale et qui intéresse au plus haut point les historiens ayant d’abord vu en elle un temps de décadence, mais autant une période charnière entre Antiquité et le dit Moyen Âge. Oui, Moyen Âge techno féodal en vue, et nous rentrerions ainsi dans la nuit sans dieux, ni étoiles.

La marionnette Tsípras s’accroche pourtant à son pseudo-pouvoir et finalement à son gagne-pain quotidien, et voilà que ceux du “gouvernement” se déclarent désormais agacés par ces dessins de presse publiés depuis peu, au sujet précisément du personnage cynique, immoral et perfide d’Aléxis Tsípras. Arkas, caricaturiste célèbre en Grèce, vient d’inaugurer une série de dessins intitulée… “Années d’enfance d’un Premier ministre”, tandis que d’autres dessinateurs de presse vont jusqu’à faire de Tsípras le nouveau Néron. Il faut admettre que les mentalités très actuelles sont nettement de leur côté.

Tsípras, le voilà qui s’entoure des complices habituels, Tsiprettes comprises notamment lors de la journée du 8 mars. Tsípras dont la plupart des ministres et élus se il faut dire font copieusement huer en Macédoine grecque après l’accord Macédonien imposé par Berlin, Bruxelles et l’OTAN, et que les Grecs n’en veulent pas à près de 80%, Tsípras enfin, dont le gouvernement use et abuse des arrestations et interpellations dites “préventives” et en dehors de tout cadre juridique avant toute apparition Syrizíste et officielle, surtout en Grèce du Nord. Du jamais vu depuis le temps des Colonels, sans oublier le nouveau redécoupage des circonscriptions à quelques mois ou semaines des élections législatives, les entorses légalisées ainsi imposées au non-cumul des mandas pour que certains Apostats, élus et ministres issus du parti ANEL (ayant quitté le gouvernement il y a peu) puissent figurer désormais sur les listes SYRIZA, aux élections dites “européennes” comprises.

Antiquité tardive (et alors finale ?) dans un sens. Époque charnière, suffisamment perceptible par exemple depuis Athènes. Où en sommes-nous ?

Tsípras et les.. Tsiprettes. Athènes, le 8 mai (photo Eurokinissi)
Arkas, ‘Années d’enfance d’un Premier ministre’. Athènes, mars 2019
Tsípras en Néron. Quotidien ‘Kathimeriní’, le 5 mars
Arrestations préventives. Quotidien ‘Kathimeriní’ du 5 mars

Dans la vraie vie on discute aux cafés et les sujets dits de société ne manquent pas. Il y a ainsi le cas de Nikos Georgiádis, ancien député Nouvelle Démocratie et conseiller de Mitsotákis il n’y a pas encore si longtemps. Nikos Georgiádis vient d’être condamné (détention avec sursis) pour crime sexuel commis sur mineur, presse grecque du 26 février. Le criminel Georgiádis se rendait ainsi en Moldavie et moyennant 75€ chaque fois, il “achetait la compagnie sexuelle de garçons mineurs de plus de 15 ans, et il n’a pas été interpelé en Moldavie car il y faisait usage de son vrai passeport diplomatique”, d’après le reportage depuis la salle d’audience.

Comme le remarque donc une bonne partie de la presse, il n’a pas été condamné pour pédophilie et il n’a pas été incarcéré non plus. “Le problème n’est pas Georgiádis et sa petite personne. Le problème c’est ce ramassis d’individus qui… de droit divin se croient tout permis, tout comme de pouvoir tout justifier, et lorsque cela leur devient alors injustifiable, de se lancer dans l’attaque et même d’exiger des comptes aux autres.”

“Individus issus de bonnes familles, diplômés d’écoles privées et de collèges onéreux, cadres supérieurs avant même leur service militaire, gens autoproclamés excellents, cosmopolites qui ‘enseignent’ aux mortels ordinaires le besoin d’être pauvres, sauf qu’ils vivent eux, dans l’opulence. Nikos Georgiádis est l’un d’entre eux. Ainsi, la solidarité provocante de la Nouvelle Démocratie et de certains médias proches, envers Nikos Georgiádis s’appuie-t-elle très exactement sur ce même postulat. ‘Ceux de l’élite’ ont bien entendu le droit de faire ce qu’ils veulent et de ne jamais payer la note. Si par malheur ils sont pris la main dans le sac, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les faire passer comme victimes ou à défaut, comme simples témoins”, presse grecque du 3 mars 2019.

Hiver finissant. Athènes, février 2019
Au café. Athènes, années dites de crise 2010-2019
Dystopie littéraire à Paris. Février 2019

Criminels, déviants et malades mentaux, souvent au pouvoir, et aussi secrets de polichinelle, en Grèce comme ailleurs. Il va de soi que l’alcoolisme de Jean-Claude Juncker ou de Nikos Anastasiádis, Président de la République de Chypre, ainsi que “le présumé traitement en psychotropes dont bénéficierait Aléxis Tsípras” (journaliste Trángas, radio 90.1 FM, février et mars 2019), ne seraient que les broutilles visibles de l’iceberg. Oui, pendant que ceux des… “classes dangereuses” fument alors des clopes et roulent au diesel, les “élites” auront complètement et depuis longtemps déjanté, sauf que le presque silence médiatique doit les couvrir, voire même, les défendre contre toute logique et contre toute morale.

Visiblement, et comme l’avait suggéré en bien d’autres circonstances un grand écrivain français en 1945, “quand on s’occupe trop de son peuple, on finit toujours par injurier en lui l’humanité entière, on lui prête tout le mal qu’on pense des hommes”. Nous voilà en 2019, et la déviance au pouvoir rêve de transhumanisme, autant que de la disparition physique des classes laborieuses désormais sans travail, en passant par le post sexualisme et sa recherche de l’élimination volontaire du genre dans l’espèce humaine.

Au Carnaval de Patras cette année, la dite élite est représentée sous une forme teratomorphique, dévorant les sociétés, les droits des citoyens et des travailleurs, l’économie réelle, disloquant par la même occasion nations et patries. Et c’est ce même obscurantisme à la Sóros et à la Tsípras, lequel sur l’île de Lesbos pourtant habitée par une population à 100% grecque et chrétienne, n’autorise plus que d’ériger la Croix sur une plage comme toujours depuis que Lesbos a été libérée du joug ottoman en 1912, officiellement “pour ne pas alors heurter la sensibilité des migrants”, lesquels arrivent comme on sait de manière programmée et organisée et autant tragique par la mer et par la… grâce des dieux des élites, celles qui comme on sait, elles ont détruit un maximum de pays dans un minimum de temps.

Camion dont un pneu a déjanté. Athènes, mars 2019
La Croix à Lesbos. Presse grecque, février 2019
Peuples et droits dévorés. Carnaval de Patras, mars 2019 (presse grecque)

Notons que le Transhumanisme c’est le dernier rejeton des Lumières, après le Capitalisme et le Socialisme, en passant par la bien fausse idée du prétendu Progrès. Nous songeons ainsi à Cornelius Castoriádis, pour qui, “dans l’histoire, nous l’avons vu, la seule constante est un progrès dans les moyens de la puissance – de la production et de la destruction, et la lutte entre ceux qui possèdent cette puissance (…) Et malgré ce que croyait Kant, malgré ce qu’on a cru en Occident entre le XVIIe et le XXe siècle, l’Aufklärung, les Lumières ne sont pas un point de passage obligé pour l’humanité toute entière, nous n’avons pas affaire à une tendance immanente de l’histoire humaine”, Cornelius Castoriádis, “Thucydide, la force et le droit” (enseignements des années 1984-1985).

Cornelius Castoriádis, lui et son esprit si vif ; Cornelius Castoriádis et autant tout le symbole de l’olivier sur sa tombe, et bien entendu Héraclite. “Les limites de l’âme tu ne les découvriras pas, même si tu parcours tout le chemin, tellement son logos est profond.” Cornelius parti en 1997 n’aura pas eu le temps d’apercevoir toute cette accélération bien actuelle dans le faux progrès. Mon ami Lákis qui fut l’ami de Cornelius me disait que Castoriádis aurait été profondément outré de notre époque, et il l’était suffisamment déjà de la sienne.

Finance, crises, austérité, géopolitique, guerre alors totale mais hybride, sont de notre temps. L’expérience grecque ainsi que l’analyse qui est celle de ce pauvre blog depuis ses débuts en 2011, c’est que l’austérité (euphémisme en toute évidence qui cache une réalité bien plus apocalyptique), la prise du contrôle total du pays (et des pays) par la finance et les forces hétéronomes et étrangères, des institutions, des mentalités (mécanique sociale), l’annulation (dans les faits) de la Constitution, la marionnettisation surpassant le ridicule de la classe politique (en réalité apolitique), la fin des droits sociaux, la mise en cause de l’histoire, de la culture et des frontières même du pays par “sa propre” classe politique, ce n’est qu’une palier dans cette guerre asymétrique que les pays, nations et sociétés subissent… au risque de disparaître même complètement… en succombant, à défaut de résister.

La sépulture de Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
Héraclite chez Cornelius Castoriádis. Paris, mars 2019
L’expérience… grecque. Années de crise, 2010-2019

Et lorsque cette mainmise sur les ressources, sur les cultures, sur les populations, sur les mentalités atteint le niveau visé (par certains pays supposés grands et pas la dite élite mondialisatrice pour qui les petits gens ne sont que “de la vermine”, c’est bien connu), eh bien, il ne restera que le chaos provoqué, comme provoquant. Plus évidemment la guerre tout court… faite par d’autres moyens.

Les Grecs l’ont si bien compris qu’ils ne manifesteront plus jamais nous semble-t-il, à l’appel des partis de gauche ou des syndicats. Désormais et en tout cas pour l’instant, ce sont les questions identitaires, celles liées à l’ultime existence ainsi acculée, qui véhiculent, véhiculeront et canaliseront l’immense douleur des années troïkannes, ce que les grands rassemblements motivés par la question Macédonienne ont déjà prouvé, à Thessalonique à Athènes et partout ailleurs en Grèce.

Tout est chamboulé en même temps et tout se mélange dans les réactions. On se souviendra par exemple que sous le règne de Théodose la fiscalité se durcit encore, provoquant des révoltes et que les revenus de la “res privata” furent dévolus aux immenses besoins de l’État. On se souviendra autant de la dégradation du statut du citoyen, allant jusqu’à son abolition de fait et le rapprochement entre le statut d’emploi forcé des ouvriers et la condition d’esclaves, alors qu’ils étaient en théorie des citoyens. En fin de compte, je dirais que le monde de l’Antiquité tardive… expérimenta aussi un autre temps… d’asymétrie, et cela (autant) jusqu’au bout !

Sur Internet enfin, des clichés circulent depuis la Hongrie sous Orban, et on y découvre ces photos en grand, dénonçant la politique subversive de Soros et de Juncker. Europe alors plurielle, et sur les murs d’un bistrot en mer Égée, on préfère y accrocher ces traces encore palpables de la période italienne des îles du Dodécanèse. Les anciens s’en souviennent toujours, et c’était surtout le temps de leur enfance.

De la politique de Soros et de Juncker. Hongrie 2019, Internet grec et européen
Athènes au quotidien. Mars 2019
Mémoire italienne. Dodécanèse, années 2010-2019

Pourtant, la dimension sociale, voire celle de classe elle y est, et alors entière. La directrice locale d’un établissement appartenant à une enseigne grecque de supermarché, a récemment adressé un courrier à “ses” employés, courrier dont le contenu a pu être divulgué aussitôt dans la presse. “Vous devriez sourire aux clients car même ceux qui parmi vous gagnent 300€ par mois, ils doivent se rendre compte des réalités: 300€ c’est 300% de plus… que zéro”, presse grecque du 5 mars 2019. Bien entendu, devant le scandale et l’indignation provoqués depuis, cette directrice… présentée comme étant particulièrement locale, elle a été licenciée en pur marketing alors d’urgence, presse grecque du 8 mars. C’est bien connu, les fusibles ne sont pas eternels, contrairement aux inégalités, aux injustices et aux autres rapports de force.

Temps anciens et temps nouveaux… visiblement entremêlés. La presse s’en occupe à sa manière, lorsqu’elle ne s’attarde pas sur les belles prises des caïques de l’Égée, ou sur les repas de fête chez les moines du Mont-Athos, justement pour ne pas remâcher sur la politique. Temps dont il est question chez André-Jean Festugière, et notamment à travers les pages de son “Épicure et ses dieux”, datant certes de 1946. Il renvoi dans son œuvre à cette (autre) mutation, entre l’époque des cités démocratiques (surtout Athènes) de la période classique, et celle des Empires, Macédonien d’abord, Hellénistiques ensuite et enfin Romain. Un choc… ayant fini par être bien gobé chez le commun des mortels.

“L’homme, avec sa conscience propre et ses besoins spirituels, ne débordait pas le citoyen: il trouvait tout son épanouissement dans ses fonctions de citoyen. Comment ne pas s’apercevoir que, du jour où la cité grecque tombe du rang d’État autonome à celui de simple municipalité dans un État plus vaste (Empire), elle perd son âme? Elle reste un habitat, un cadre matériel: elle n’est plus un idéal. Il ne vaut plus la peine de vivre et de mourir pour elle. L’homme dès lors, n’a plus de support moral et spirituel. Beaucoup, à partir du IIIe siècle, s’expatrient, vont chercher travail et exploits dans les armées des Diadoques ou dans les colonies que ceux-ci ont fondées. Bientôt, à Alexandrie d’Égypte, à Antioche de Syrie, à Séleucie sur le Tigre, à Éphèse, se créent des villes relativement énormes pour l’Antiquité (2 à 300.000 habitants) ; l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie où tout le monde se connaissait de père en fils. Il devient un numéro, comme l’homme moderne, par exemple à Londres ou à Paris. Il est seul, et il fait l’apprentissage de sa solitude. Comme va-t-il réagir ?” (André-Jean Festugière, “Épicure et ses dieux”, 1946).

Caïque et sa belle prise. Presse grecque, mars 2019
Repas de fête au Mont-Athos. Presse grecque, mars 2019

Le pays, désormais simple colonie dans un État plus vaste, l’Empire européiste, perd son âme, jusqu’à la preuve du contraire. Au final, il reste certes un habitat, un cadre matériel, plus Airbnb bien entendu. Ce pays des citoyens n’est plus un idéal et l’homme n’est plus encadré, soutenu, comme il l’était dans sa petite patrie.

Il devient un numéro, comme l’homme moderne… en week-end prolongé pour cause de Carnaval, surtout au moment de la première échappée alors massive pour les habitants des grandes villes en ce Printemps 2019. Enfin, remâcher sur la politique c’est que du temps perdu paraît-il actuellement. Ce qui compte cette semaine c’est reprendre goût aux choses, à certaines choses en tout cas. Le pays réel, de promenoir en promenoir en cet unique et peut-être inique… Printemps du peuple.

Il y a certes de quoi parfois être las de la politique. Comme l’avait suggéré au sujet du politique mais en bien d’autres circonstances un grand écrivain français, “dans cette sphère, ce que nous appelons la sottise humaine éclate avec une satisfaction monstrueuse.”

Pas d’échappée donc cette année pour Greek Crisis en ce week-end prolongé. Frugalité obligatoire, pourtant digne, en ce moment inaugural du carême orthodoxe. Livres et alors relectures. C’est d’ailleurs le moment, c’est l’heure où il devient possible de prendre toute la mesure de notre… Antiquité Tardive, ainsi que dans un sens, toute la mesure des limites de l’âme.

En compagnie bien entendu de Mimi et du jeune Hermès, dit parfois le Trismégiste.

Hermès de Greek Crisis… le Trismégiste. Athènes, mars 2019

Samos: la honte de l’Europe

« Ici à Samos c’est la honte de l’Europe » Thomas Jacobi et Marie Verdier, envoyés spéciaux à Samos ,

Les habitants se sentent abandonnés et réclament la fermeture du hotspot créé dans le sillage de l’accord UE-Turquie et de la fermeture des frontières en mars 2016.

« Is this love, is this love… » La chanson de Bob Marley envahit la taverne Joy. Ses promesses d’amour, et « de vivre ensemble avec un toit juste au-dessus de nos têtes », bercent la baie de l’île grecque de Samos. Le soleil de février s’est enfin gaiement manifesté, après des semaines de pluies diluviennes, et les façades à flanc de montagne se laissent volontiers caresser. La patrie de Pythagore et d’Épicure en mer Égée semble tout entière jouir de ce moment de félicité.

Placardée sur la porte vitrée, une affiche crie pourtant « Stop au crime ». Michalis Mitsos, le patron de la taverne et président de l’union des restaurateurs vient de bonne grâce s’attabler pour raconter combien la vie paisible de Samos a été profondément chamboulée depuis que, dans le sillage de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie, en mars 2016, les milliers d’exilés d’Afrique et du Moyen-Orient se retrouvent piégés sur l’île, transformée en prison à ciel ouvert, à quelques encablures des côtes turques. « Les autorités cachent ce qui se passe. Il faut le dénoncer à toute l’Europe », espère-t-il.

Sur les hauteurs de Samos (1), quelque 4 000 demandeurs d’asile croupissent dans des conditions « abjectes » selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) qui avait pressé les autorités grecques à prendre des mesures d’urgence avant l’hiver. Depuis lors, rien n’a changé. Et les 7 000 habitants se sentent abandonnés de la Grèce et de l’Europe. « Nous ne sommes pas racistes. Nous avons secouru les Syriens quand ils arrivaient par milliers en 2015. Aujourd’hui il faut que les migrants soient mieux logés sur le continent et que les Samiotes soient soulagés », revendique Michalis Mitsos.

« J’ai peur de faire pipi la nuit »

En haut de la jungle de Samos, Amadou est notre première rencontre. Le jeune homme élancé, de Guinée, s’affaire à ramasser des pierres pour tenter de mieux tenir les bâches de son campement. Il faut avoir le pied agile pour ne pas glisser sur la pente boueuse et ne pas déraper sur la mer de détritus. Amadou a, lui, des savates en plastique. « On était mieux traités dans les prisons turques, au moins avait-on un toit, un matelas, du chauffage, à manger. » Après sept tentatives et six passages par la case prison en Turquie, Amadou a fini par s’échouer à Samos le 24 octobre 2018, avant de s’enfoncer dans l’hiver, le corps saisi par le froid et tétanisé par l’effroi dès la tombée du jour. « J’ai peur. J’ai peur de faire pipi la nuit. »

Manos Logothetis, que tout le monde connaît sous le nom de « docteur Manos », l’unique médecin à officier dans le camp, expliquera plus tard que, la nuit, « les hommes font pipi dans des bouteilles », et que « des femmes se mettent des couches » pour ne pas sortir de leurs tentes, à cause du noir, du froid, des bêtes, de la violence, de la drogue. Stratégies de survie pour ces rescapés qui ont bravé l’hiver sous de petites tentes de camping accrochées aux terrains pentus, battues par le vent et la pluie, sans électricité, avec des points d’eau et une vingtaine de toilettes bien trop loin dans le camp.

Cela fait si longtemps que les hangars en tôle et les conteneurs installés pour 640 personnes sur l’ancien camp militaire encerclé de clôtures grillagées ne peuvent plus abriter les nouveaux arrivants… Seules de rares familles sont logées dans les 49 appartements loués sur l’île. Alors, à mesure que la jungle s’étend, « ceux qui arrivent installent leurs tentes sur les endroits qui étaient jusqu’alors les toilettes sauvages dans les bois », précise docteur Manos.

« J’ai tant de soucis dans ma tête, elle va exploser »

Avec Amadou, nous nous réfugions sous une bâche estampillée « UNHCR », petit point de ralliement entre quatre tentes où convergent une douzaine de ses compagnons. À la lueur d’une lampe solaire récemment distribuée par une ONG, nous écoutons les récits, feignant d’ignorer la ronde des rats tout autour.

Ils croyaient avoir laissé derrière eux leurs souffrances. Guinéens, Camerounais, Congolais, etc., tous sont là depuis trois, six, neuf mois. L’attente, le désœuvrement, les lieux avilissants détruisent les esprits les plus aguerris. « J’ai tant de soucis dans ma tête, elle va exploser. Quand la tête ne va pas, le corps ne va pas non plus. » En aparté, Amadou confie être homosexuel et avoir fui pour échapper aux châtiments de son père imam. « Ici c’est une vraie prison, mais je vais trouver la force de m’en sortir », se persuade-t-il.

Le lendemain Hugo, ingénieur de 37 ans, racontera que Sassou-Nguesso, le président du Congo-Brazzaville, l’a contraint à l’exil. « Ses milices ont organisé une chasse à l’homme contre les partisans de Mokoko », l’opposant emprisonné pour vingt ans pour « atteinte à la sécurité de l’État ».

« Ça peut être très nuisible de raconter ce qui s’est passé »

Les femmes confinées dans un maigre espace voisin restent silencieuses. Parole aux hommes. Néné confiera plus tard, comme d’autres, avoir voulu échapper à un mariage forcé. La jeune Guinéenne n’en dira guère plus sur cette « histoire douloureuse ».

« Ça peut être très nuisible de raconter ce qui s’est passé, les personnes revivent ce qu’elles ont vécu par la parole. Or nous sommes totalement démunis pour les soutenir, il n’y a qu’un psychologue dans le camp, l’absence de prise en charge de la santé mentale est un grand souci », déplore Bogdan Andrei, la véritable âme de l’île. Venu de Roumanie début 2016, il a fondé sur place l’ONG Samos volonteers. Les bénévoles aussi, venus de divers pays, « vivent des moments émotionnels difficiles », ajoute-t-il. Alors l’ONG a instauré une règle d’or : « se focaliser à fond sur le présent ».

C’est exactement ce que fait Néné au centre Alpha, le refuge ouvert par Samos volonteers dans la ville en contrebas du camp. Elle est l’une des rares femmes à s’immiscer dans la foule des hommes venus se réchauffer, boire un thé, jouer aux dames ou aux échecs, et recharger leur téléphone. Néné est si assidue aux cours de grec, et si résolue, qu’Annie, l’enseignante française retraitée en Grèce, lui a confié les premiers cours sur l’alphabet grec.

« Sans Alpha, on deviendrait fou »

« On vient se relaxer l’esprit, sans Alpha, il y aurait beaucoup de dégâts, on deviendrait fou ». John, 34 ans, vient de Béni, ce lieu de toutes les tragédies dans le Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. Béni où l’on tue, l’on viole et où sévit le virus Ebola. John est recherché, ses sœurs ont été égorgées, sa femme se cache au pays. « Jusqu’à quand va-t-on nous torturer ? On devient malade de l’intérieur. On veut juste vivre dans la dignité. Ici, à Samos, c’est la honte de l’Europe. » John supplie : « Quand tu ne peux pas aider quelqu’un, donne-lui la liberté pour qu’il puisse se prendre en charge ». Il extirpe de sa poche ses documents, et lit, effaré, la date de sa convocation pour sa demande d’asile : le 22 juillet… 2020, à 15 heures très précisément.

Le centre d’enregistrement et d’identification des demandeurs d’asile ne devait pourtant être qu’un camp de transit pour des séjours de moins d’un mois. Le HCR confirme que les personnes récemment arrivées se voient dorénavant attribuer des dates d’entretien jusqu’en 2021. « Dans tous les pays les procédures d’asile sont longues », souligne-t-on à l’EASO, le bureau européen d’appui en matière d’asile venu en renfort des services grecs. « Mais à Samos, à cause des problèmes de sécurité, nous ne menons plus d’interviews le soir, cela limite le nombre d’entretiens à quatre ou cinq par jour », ajoute notre interlocuteur.

La colère couve

Alors, sous la bâche, dans la jungle, la colère couve. Wadi, Camerounais de 58 ans à la barbe grisonnante, dit « le doyen » ou « papa », tente de jouer son rôle de vieux sage et de dissuader les plus jeunes, déterminés à mettre le feu au camp. « Ici on est comme au Togo, menotté, maltraité, dénonce Souleymane. À cause du froid et des souris, tu ne peux pas dormir. Le matin, le midi, le soir, tu dois faire deux à trois heures de queue, subir les bagarres, pour la distribution de repas que tu ne peux même pas manger tellement c’est mauvais. »

« Le commissaire de police, la directrice du camp avaient promis des améliorations, rien n’a changé ! », rugit son voisin, évoquant les propos tenus au lendemain de deux jours de marche pacifique des exilés brandissant des pancartes « Freedom » dans les rues de Samos, fin janvier. « Si on met le feu c’est pour qu’ils soient obligés de nous transférer sur le continent », veut-il croire. Ce sont finalement les poubelles qui ont flambé, le 7 février au petit jour. Résultat : sept personnes arrêtées et poursuivies pour incendie volontaire, trois maintenues en détention et encore plus de colère et de désespoir.

« Je voudrais avoir le VIH, peut-être qu’alors on s’occuperait de moi… »

Dans le brouhaha d’un attroupement qui s’est formé aux abords du camp, une voix lâche : « Je voudrais avoir le VIH, peut-être qu’alors on s’occuperait de moi… » « Les gens se cherchent des maladies, ils sont prêts à tout pour être vulnérables, rapporte le docteur Manos. De fait, ils le sont tous, à moi d’identifier les plus vulnérables des vulnérables au regard de la loi. » Ce statut conférant en théorie une priorité pour le transfert sur le continent. (2) « Mais il y a des maladies que nous ne pouvons pas diagnostiquer ici, admet le médecin. Et parmi les victimes, il y a aussi des bourreaux qui se cachent, l’exercice est difficile. »

Et où se situe le seuil de gravité ? À l’autre bout du camp, dans le quartier moyen-oriental, Mohammed, le jeune Afghan qui travaillait à l’ambassade des États-Unis à Kaboul se le demande encore après six mois sur l’île. Sa jeune épouse, qui était étudiante en dentaire, est « très, très perturbée mentalement ». « Elle parle toute la journée dans le vide. »

Et Mohammad ? « Je ne peux plus maîtriser mon comportement », avoue le professeur d’anglais et de mathématiques couché sous la tente achetée 100 € à des Syriens partis à Athènes. Ses papiers médicaux mentionnent « troubles psychotiques ». Il cherche désespérément des photos sur son téléphone pour attester de son drame : « J’ai perdu ma famille dans une tuerie à Kameshli, au nord de la Syrie, perpétrée par des milices kurdes. » Mohammad partage sa couche avec Salah et Ahmed. Ahmed entend peu, parle difficilement. Les deux frères ont fui la guerre à Idlib après qu’Ahmed a eu la mâchoire arrachée par un éclat de bombe.

Cela fait deux mois que tous les trois sont prioritaires pour une levée de restriction géographique devant leur permettre de quitter Samos…

La visite dans l’enceinte du camp est minutée

Et toujours les rats, même en plein jour. La tente voisine est désertée. « Ce sont des mineurs qui vivent là », pointe Mohammad. Ils profitent des premiers beaux jours sur l’île. Une centaine d’entre eux vit dans la jungle. Car l’espace « mineurs non accompagnés » dans le camp implose : cent autres sont entassés dans les sept conteneurs délabrés prévus pour 56 personnes.

Et une pièce aux côtés des services de police est réservée aux quatorze adolescentes. On ne voit pas comment, même en se serrant les unes contre les autres, elles peuvent dormir dans ce réduit. Interdit d’y pénétrer. La visite dans l’enceinte du camp est minutée, fermement encadrée. Pas question de jeter un œil au travers d’une vitre cassée, de soulever une couverture qui fait office de porte ou d’admirer la crèche, le tout petit havre réservé à une vingtaine d’enfants, quand tant d’autres jouent dans les flaques et les déchets. « Les mineurs isolés rêvent tous de partir vite, mais dans les faits, ils restent en moyenne trois à six mois sur l’île, parfois même un an », reconnaît Alexandra Katsou, l’assistante sociale qui en a la charge.

« On ne peut pas faire face. Le personnel est insuffisant. Mille personnes ne sont pas encore enregistrées par les services de l’asile », reconnaît la directrice du camp Maria-Dimitra Nioutsikou. La jeune femme au regard d’acier exerce son métier « avec beaucoup de patience et de sang froid ». Elle n’est « pas affectée », et n’a pas à se préoccuper des milliers de tentes « sur des espaces privés à l’extérieur du camp ». C’est « pour calmer le jeu » face aux tensions grandissantes que le bureau chargé de donner des rendez-vous a été fermé pendant deux semaines en février. Et les ONG n’ont pas le droit de pénétrer dans le camp, « parce qu’elles ne sont pas accréditées auprès du ministère des migrations ».

« Il y avait la volonté de ne pas améliorer les conditions de vie indignes »

Peu habituée à cet ostracisme, Médecins sans frontières en garde un souvenir cuisant. Avant de quitter l’île au printemps 2018, l’ONG s’était proposée de réparer les toilettes, les douches, les vitres cassées, le système électrique, etc. « Tout a été refusé », s’indigne encore Clément Perrin, le responsable de mission d’alors. « Nous étions dans une logique d’urgence, mais à cause de l’obsession de l’appel d’air, il y avait clairement la volonté de ne pas améliorer les conditions de vie indignes », se souvient-il.

La seule tolérance accordée à Samos volonteers consiste à venir récupérer du linge sale. Dans la petite laverie de l’ONG, la seule de l’île, les machines tournent en continu. Le duo Emma l’Anglaise et Nima l’Iranien, affectés à la tâche, lèvent à peine le nez : « On fait 55 sacs par jour. À ce rythme il nous faut trois à quatre mois pour faire le tour du camp. » C’est peu, mais ô combien précieux.

Avocats sans frontières France (ASF) a vite compris l’écueil dès son arrivée à Samos, début 2019, pour offrir une assistance juridique aux demandeurs d’asile. « Seule l’avocate grecque qui travaille avec nous est autorisée à collecter, au compte-goutte, des informations sur les dossiers auprès des services de l’asile, déplore la coordinatrice Domitille Nicolet. Pourtant, les besoins sont immenses. » Et ASF craint de devoir quitter cette île oubliée, l’ONG n’ayant obtenu des financements que jusqu’à fin mars.

« Arrivés sur l’île, les Syriens embrassaient le sol »

« Tout est allé de mal en pis depuis l’accord UE-Turquie. Avant il y avait des soutiens locaux, la mairie coordonnait l’action des bénévoles et réceptionnait les dons. » Bogdan Andrei a vu ensuite « les ONG partir, la municipalité se désinvestir et l’argent européen ne pas arriver jusqu’aux bénéficiaires ».

« La mairie n’est pas habilitée pour gérer la crise migratoire. L’État veut tout contrôler. L’hébergement et la nourriture sont du ressort du ministère de la défense qui n’est pas compétent », maugrée le maire, Michalis Angelopoulos, qui veut « une solution viable » et craint que l’activité touristique – 73 % du PIB de l’île – ne soit affectée, même si, pour l’heure, elle a crû de 10 % l’an dernier.

Devenue « hotspot », Samos ne s’en est pas remise. Les retraités Giorgos et Rena Fragkoulis se souviennent avec émotion de cette année 2015, quand ils sortaient leur bateau la nuit pour aller secourir les Syriens échoués sur les plages et les côtes rocheuses, juste en contrebas de leur maison à Kerveli, à l’extrême Est de l’île. « Ils arrivaient terrorisés, tailladaient leur zodiac pour qu’ils ne puissent pas être renvoyés. Ils se couchaient d’épuisement. Ils embrassaient le sol. » À l’époque les habitants avaient tous dans leur voiture de l’eau, des biscuits et des vêtements.

Au cas où. Puis les arrivants poursuivaient leur chemin, ils prenaient le bateau pour Athènes. « Les frontières étaient ouvertes. Il n’y avait pas de hotspot. » Aujourd’hui, Frontex est à la manette. « C’est interdit d’aider les réfugiés. » Rena et Giorgos ont longtemps gardé un sac de voyage récupéré dans la mer avec dedans « des photos, des papiers, des diplômes, le résumé le plus précieux d’une vie » en espérant pouvoir un jour le restituer à son propriétaire. Mais des voisins ont fini par leur faire peur. Et s’ils étaient complices d’un trafiquant ? « On a jeté le sac. »

« L’empathie s’érode, nous n’en pouvons plus »

Maintenant tout a changé. Sur l’île une naissance sur trois est étrangère. Rena et Giorgos ont une liste de récrimination longue comme le bras : « Les réfugiés sont partout. Ils envahissent les terrains de sport. Il y a des queues à la poste, l’hôpital est débordé. Les habitants ont peur. Ils ne laissent plus leurs enfants sortir seuls, ils ferment leurs maisons et n’accrochent plus leur linge dehors. » Philippe Leclerc, représentant du HCR en Grèce en convient : « La population est révoltée, on met de l’huile sur le feu. »

Au bord de la baie, il n’y a plus guère que les réfugiés qui déambulent et font de maigres emplettes avec les 90 € mensuels alloués par tête par le HCR. Il fait si beau en cette journée de février que Samos volonteers a délocalisé son cours d’anglais sur les bancs au bord de l’eau. Mais Ghaïssane (3), 36 ans, onze mois de Samos, a le regard hagard. « Ici nous n’avons qu’une chose : du temps. » Dans un anglais hésitant, il vante son « très beau pays, très cultivé, l’Iran, s’il n’y avait pas son gouvernement », et veut témoigner de « sa terrible vie à Samos » dans un long texte en farsi qu’il nous tend.

Alors pour Rena et Giorgos, il est temps de dire stop au hotspot, stop au projet de deuxième hotspot plus loin dans la montagne. « Les réfugiés et les habitants veulent la même chose, qu’ils poursuivent leur chemin ! » Ils étaient 3 000 réunis sur la grand-place au bord de la baie, le 7 février, plusieurs popes aux premières loges, avant de se disperser dans une ambiance bon enfant. C’était « la plus grande mobilisation qu’ait jamais connue Samos ! », s’exclame Michalis Mitsos, le patron de Joy. Pour le métropolite Eusebios, il est clair que « l’empathie s’érode. Nous n’en pouvons plus. »


75 000 demandeurs d’asile en Grèce

► En Grèce

En 2015, 860 000 migrants sont arrivés, 799 ont péri en mer.

En 2018, ils n’étaient plus que 32 500 et 174 morts. La Grèce est devenue le 3e pays de l’UE en nombre de demande d’asiles.

En 2019, près de 5 000 sont arrivés depuis janvier. 75 000 sont présents sur le sol grec, dont 3 700 mineurs non accompagnés.

Le HCR gère 27 000 places en appartement et distribue des cartes de cash (90 € par tête, 50 € de plus par membre d’une famille) à 65 000 bénéficiaires. Il prévoit de transférer ses compétences à l’État grec d’ici à 2020 et de se retirer du pays.

► À Samos

L’île compte 33 000 habitants, la ville de Samos 7 000 habitants et 4 000 demandeurs d’asile.

25 % sont Afghans, 18 % Congolais de RDC, 13 % Irakiens, 10 % Syriens et 10 % Camerounais.

53 % d’hommes, 22 % de femmes et 25 % d’enfants, les trois quarts ayant moins de 12 ans.

Depuis janvier, 479 ont été transférés sur le continent en Grèce, et 834 sont arrivés de Turquie.


Enquêtes sur l’usage des fonds européens

Sur la période 2014-2020, l’Union européenne a accordé 1,4 milliard d’euros à la Grèce en dotations de base et financements d’urgence pour l’accueil des migrants, les procédures d’asile et la sécurité des frontières. 579 millions d’euros ont déjà été versés, 70 % au titre des fonds d’urgence. Sans compter l’aide en matériel et le renfort de 700 agents Frontex et de 200 experts de l’asile.

Or dès mars 2017, l’ONG Solidarity now s’est inquiétée du fait que l’argent versé n’ait pas permis d’améliorer les conditions de vie désastreuses des demandeurs d’asile. Dans une pétition adressée au parlement européen, elle demandait qu’une enquête soit menée sur la mauvaise gestion et d’éventuels détournements de ces fonds par l’État grec, notamment les ministères des migrations et de la défense.

En décembre 2017, l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) a ouvert une enquête. En octobre 2018, c’était au tour de la Cour suprême grecque d’ordonner une enquête sur d’éventuels abus dans la gestion des fonds européens.


L’accord UE-Turquie de mars 2016

Il prévoyait des mesures pour tarir les flux migratoires :

– surveillance des frontières maritimes et terrestres par la Turquie

– renvoi vers la Turquie des migrants en situation irrégulière arrivés sur les îles grecques ne demandant pas l’asile ou déboutés de leur demande

– réinstallation d’un Syrien de Turquie vers l’UE pour chaque Syrien renvoyé en Turquie

– accélération du versement des 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie pour la gestion des réfugiés, + 3 autres milliards si les engagements sont respectés.

D’avril 2016 à janvier 2019, 1 825 migrants ont été renvoyés vers la Turquie.

En 2018, 16 042 personnes ont été réinstallées depuis la Turquie, près de la moitié en Allemagne et aux États-Unis.

La relocalisation

22 000 ont été relocalisés depuis la Grèce dans un autre État de l’UE jusqu’à l’arrêt du dispositif d’urgence de relocalisation en novembre 2017.

Procédure Dublin

En 2018, les États européens ont durci leurs positions. Ils ont réclamé le renvoi en Grèce de 8 190 demandeurs d’asile. La Grèce en a accepté 307.

Thomas Jacobi et Marie Verdier, envoyés spéciaux à Samos

(1) Samos est à la fois le nom de l’île et de sa capitale

(2) L’agence sanitaire Keelpno promet à nouveau pour le printemps le renfort de quatre médecins. Pour avoir des candidats, les salaires mensuels ont été portés de 1 100 € à 3 000 €.

(3) Prénom changé.

 

 

 

Annulation dette allemande de 1953 et celle de la Grèce ?

Pourquoi l’annulation de la dette allemande de 1953 n’est pas reproductible pour la Grèce et les Pays en développement 26 février par Eric Toussaint

L’Allemagne a bénéficié à partir du 27 février 1953 d’une annulation de la plus grande partie de sa dette. Depuis cette annulation, qui a permis à l’économie de ce pays de reconquérir la place de principale puissance économique du continent européen, aucun autre pays n’a bénéficié d’un traitement aussi favorable. Il est très important de connaître le pourquoi et le comment de cette annulation de dette. Résumé de manière très concise : les grandes puissances créancières de l’Allemagne occidentale voulaient que l’économie de celle-ci soit réellement relancée et qu’elle constitue un élément stable et central dans la lutte entre le bloc atlantique et le bloc de l’Est.

Une comparaison entre le traitement accordé à l’Allemagne occidentale d’après-guerre et celui imposé aux Pays en développement ou à la Grèce d’aujourd’hui est révélateur de la politique du deux poids deux mesures pratiquée systématiquement par les grandes puissances.

L’allègement radical de la dette de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et sa reconstruction rapide après la seconde guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique des puissances créancières occidentales qui avaient remporté la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire les États-Unis et leurs principaux alliés occidentaux, la Grande-Bretagne et la France. En octobre 1950, ces trois puissances alliées élaborent un projet dans lequel le gouvernement fédéral allemand reconnaît l’existence des dettes des périodes précédant et suivant la guerre. Les alliés y joignent une déclaration dans laquelle ils énoncent : « les trois pays sont d’accord que le plan prévoit un règlement adéquat des exigences avec l’Allemagne dont l’effet final ne doit pas déséquilibrer la situation financière de l’économie allemande via des répercussions indésirables ni affecter excessivement les réserves potentielles de devises. Les trois pays sont convaincus que le gouvernement fédéral allemand partage leur position et que la restauration de la solvabilité allemande est assortie d’un règlement adéquat de la dette allemande qui assure à tous les participants une négociation juste en prenant en compte les problèmes économiques de l’Allemagne » [1].

Il faut savoir que l’Allemagne nazie a suspendu le paiement de sa dette extérieure à partir de 1933 et n’a jamais repris les paiements, ce qui ne l’a pas empêché de recevoir un soutien financier et de faire des affaires avec de grandes entreprises privées des États-Unis – comme Ford, qui a financé le lancement de la Volkswagen (la voiture du peuple imaginée par le régime hitlérien), General Motors qui possédait la firme Opel, General Electric associée à AEG et IBM qui est accusée d’avoir « fourni la technologie » ayant aidé « à la persécution, à la souffrance et au génocide », avant et pendant la Seconde Guerre mondiale [2].

La dette réclamée à l’Allemagne concernant la période d’avant-guerre s’élevait à 22,6 milliards de marks, si on comptabilise les intérêts.

Une importante réduction des dettes contractées avant et après la guerre par l’Allemagne à des conditions exceptionnelles

La dette contractée dans l’après-guerre (1945-1952) était estimée à 16,2 milliards. Lors d’un accord conclu à Londres le 27 février 1953 [3], ces montants ont été ramenés à 7,5 milliards de marks pour la première et à 7 milliards de marks pour la seconde [4]. En pourcentage, cela représente une réduction de 62,6 %.

Les montants cités plus haut ne prennent pas en compte les dettes liées à la politique d’agression et de destruction menée par l’Allemagne nazie durant la deuxième guerre mondiale, ni les réparations que les pays victimes de cette agression sont en droit de réclamer. Ces dettes de guerre ont été mises de côté, ce qui a constitué un énorme cadeau supplémentaire pour l’Allemagne de l’Ouest.

De surcroît, l’accord établissait la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions au cas où surviendrait un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources [5].

Les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes

Pour s’assurer de la bonne relance de l’économie de l’Allemagne occidentale et que ce pays constituera un élément stable et central dans le bloc atlantique face au bloc de l’Est, les Alliés créanciers vont faire des concessions très importantes aux autorités et aux entreprises allemandes endettées qui vont bien au-delà d’une réduction de dette. Les grosses entreprises industrielles allemandes comme AEG, Siemens, IG Farben (AGFA, BASF, Bayer et Hoechst), Krupp, Volkswagen, BMW, Opel, Mercedes Benz et également des sociétés financières de tout premier plan comme Deutsche Bank, Commerzbank, la société d’assurance Allianz ont été protégées et renforcées, bien qu’elles aient joué un rôle de premier plan dans le soutien au régime nazi et qu’elles aient été les complices du génocide des peuples juif et tsigane. Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des gouvernements des grandes puissances occidentales.

Le pouvoir du grand capital allemand est sorti intact de la seconde guerre mondiale grâce au soutien des grandes puissances occidentales.

En ce qui concerne le problème de la dette qui pouvait être réclamée à l’Allemagne, les alliés partent du principe que l’économie du pays doit être en capacité de rembourser, tout en maintenant un niveau de croissance élevé et une amélioration des conditions de vie de la population. Pour que l’Allemagne puisse rembourser sans s’appauvrir, il faut qu’elle bénéficie d’une très forte annulation de dette. Mais cela ne suffit pas. Comme l’histoire l’a montré, il faut que le pays retrouve une véritable marge de manœuvre et d’autonomie. Pour cela, les créanciers acceptent primo que l’Allemagne rembourse dans sa monnaie nationale, le deutsche mark, une partie importante de la dette qui lui est réclamée. Á la marge, elle rembourse en devises fortes (dollar, franc suisse, livre sterling…).

Secundo, alors qu’au début des années 1950, le pays a encore une balance commerciale négative (la valeur des importations dépassant celle des exportations), les puissances créancières acceptent que l’Allemagne réduise ses importations : elle peut produire elle-même des biens qu’elle faisait auparavant venir de l’étranger. En permettant à l’Allemagne de substituer à ses importations des biens de sa propre production, les créanciers acceptent donc de réduire leurs exportations vers ce pays. Or, 41 % des importations allemandes venaient de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour la période 1950-51. Si on ajoute à ce chiffre la part des importations en provenance des autres pays créanciers participant à la conférence (Belgique, Hollande, Suède et Suisse), le chiffre total s’élève même à 66 %.

En cas de litige avec les créanciers, les tribunaux allemands sont compétents

Tertio, les créanciers autorisent l’Allemagne à vendre ses produits à l’étranger, ils stimulent même ses exportations afin de dégager une balance commerciale positive. Ces différents éléments sont consignés dans la déclaration mentionnée plus haut : « La capacité de l’Allemagne à payer ses débiteurs privés et publics ne signifie pas uniquement la capacité de réaliser régulièrement les paiements en marks allemands sans conséquences inflationnistes, mais aussi que l’économie du pays puisse couvrir ses dettes en tenant compte de son actuelle balance des paiements. L’établissement de la capacité de paiement de l’Allemagne demande de faire face à certains problèmes qui sont : 1. la future capacité productive de l’Allemagne avec une considération particulière pour la capacité productive de biens exportables et la capacité de substitution d’importations ; 2. la possibilité de la vente des marchandises allemandes à l’étranger ; 3. les conditions de commerce futures probables ; 4. les mesures fiscales et économiques internes qui seraient nécessaires pour assurer un superavit pour les exportations. » [6]

En outre, en cas de litige avec les créanciers, en général, les tribunaux allemands sont compétents. Il est dit explicitement que, dans certains cas, « les tribunaux allemands pourront refuser d’exécuter […] la décision d’un tribunal étranger ou d’une instance arbitrale. » C’est le cas, lorsque « l’exécution de la décision serait contraire à l’ordre public » (p. 12 de l’Accord de Londres).

Le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande

Autre élément très important : le service de la dette est fixé en fonction de la capacité de paiement de l’économie allemande, en tenant compte de l’avancée de la reconstruction du pays et de ses revenus d’exportation. Ainsi, la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne doit pas dépasser 5 %. Cela veut dire que l’Allemagne occidentale ne doit pas consacrer plus d’un vingtième de ses revenus d’exportation au paiement de sa dette. Dans la pratique, l’Allemagne ne consacrera jamais plus de 4,2 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette (ce montant est atteint en 1959). De toute façon, dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie, en d’autres mots : monétiser la dette.

Une mesure exceptionnelle est également décidée : on applique une réduction drastique des taux d’intérêts, qui oscillent entre 0 et 5 %.

L’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre

Une faveur d’une valeur économique énorme est offerte par les puissances occidentales à l’Allemagne de l’Ouest : l’article 5 de l’accord conclu à Londres renvoie à plus tard le règlement des réparations et des dettes de guerre (tant celles de la première que de la deuxième guerre mondiale) que pourraient réclamer à la RFA les pays occupés, annexés ou agressés.

Enfin, il faut prendre en compte les dons en dollars des États-Unis à l’Allemagne occidentale : 1,17 milliard de dollars dans le cadre du Plan Marshall entre le 3 avril 1948 au 30 juin 1952 (soit environ 12,5 milliards de dollars de 2019) auxquels s’ajoutent au moins 200 millions de dollars (environ de 2 milliards de dollars de 2019) entre 1954 et 1961 principalement via l’agence internationale de développement des États-Unis (USAID).

Grâce à ces conditions exceptionnelles, l’Allemagne occidentale se redresse économiquement très rapidement et finit par absorber l’Allemagne de l’Est au début des années 1990. Elle est aujourd’hui de loin l’économie la plus forte d’Europe.

Quelques éléments de comparaison

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette

Le résultat d’une première comparaison entre l’Allemagne occidentale d’après-guerre et les Pays en développement est éclairant. L’Allemagne, bien que meurtrie par la guerre, était économiquement plus forte que la plupart des PED actuels. Pourtant, on lui a concédé en 1953 ce qu’on refuse aux PED.

Part des revenus d’exportation consacrés au remboursement de la dette

L’Allemagne est autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette.

En 2017, les PED ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette

En 2017, les pays en développement ont dû consacrer en moyenne 14 % de leurs revenus d’exportation au paiement de la dette [7]. Pour les pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, ce chiffre a atteint 23,5 % en 2017. Quelques exemples de pays incluant des PED et des économies européennes périphériques : en 2017, ce chiffre atteignait 13 % pour l’Angola, 36 % pour le Brésil, 15 % pour la Bosnie, 21 % pour la Bulgarie, 41,6 % pour la Colombie, 17 % pour la Côte d’Ivoire, 21 % pour l’Ethiopie, 28,6 % pour le Guatemala, 34 % pour l’Indonésie, 70 % pour le Liban, 14 % pour le Mexique, 20 % pour le Nicaragua, 22,8 % pour le Pakistan, 21 % pour le Pérou, 22 % pour la Roumanie et la Serbie, 17 % pour la Tunisie, 40 % pour la Turquie.

Taux d’intérêt sur la dette extérieure

Dans le cas de l’accord de 1953 concernant l’Allemagne, le taux d’intérêt oscille entre 0 et 5 %.

En revanche, dans le cas des PED, les taux d’intérêt ont été beaucoup plus élevés. Une grande majorité des contrats prévoient des taux variables à la hausse.

Pour les PED, une grande majorité des contrats prévoient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés et variables à la hausse

Entre 1980 et 2000, pour l’ensemble des PED, le taux d’intérêt moyen a oscillé entre 4,8 et 9,1 % (entre 5,7 et 11,4 % dans le cas de l’Amérique latine et de la Caraïbe et même entre 6,6 et 11,9 % dans le cas du Brésil, entre 1980 et 2004). Ensuite, le taux d’intérêt a été historiquement bas pendant la période 2004 à 2015. Mais la situation a commencé à se dégrader depuis 2016-2017 car le taux d’intérêt croissant fixé par la FED (le taux directeur de la FED est passé de 0,25 % en 2015 à 2,25 % en novembre 2018) et les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises étatsuniennes par Donald Trump entraînent un rapatriement de capitaux vers les États-Unis. Par ailleurs, les prix des matières premières ont eu une tendance à baisser ce qui diminue les revenus des pays en développement exportateurs de biens primaires et rend plus difficile le remboursement de la dette car celui-ci s’effectue principalement en dollars ou en d’autres monnaies fortes. En 2018, une nouvelle crise de la dette a touché directement des pays comme l’Argentine, le Venezuela, la Turquie, l’Indonésie, le Nigéria, le Mozambique, … De plus en plus de pays en développement doivent accepter des taux d’intérêt supérieurs à 7 %, voire à 10 %, pour pouvoir emprunter en 2019.

Monnaie dans laquelle la dette extérieure est remboursée

L’Allemagne était autorisée à rembourser une partie de sa dette avec sa monnaie nationale.

Aucun pays en développement n’est autorisé à faire de même sauf exception et pour des montants dérisoires. Tous les grands pays endettés doivent réaliser la totalité de leurs remboursements en devises fortes (dollar, euro, yens, franc suisse, livre sterling).

Clause de révision du contrat

Les créanciers ont le droit de réclamer des PED le paiement anticipé des sommes dues dans le futur

Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources.

Dans le cas des contrats de prêts avec les PED, les créanciers imposent qu’il n’y ait pas de clause de ce type. Pire, en cas de difficulté des PED, les créanciers ont le droit de réclamer le paiement anticipé des sommes dues dans le futur.

Politique de substitution d’importation

Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant.

Par contre, la Banque mondiale, le FMI et les grandes puissances imposent aux PED de renoncer à produire sur place ce qu’ils pourraient importer.

Dons en devises (en cash)

L’Allemagne, pourtant à l’origine de la deuxième guerre mondiale, a bénéficié de dons importants en devises dans le cadre du Plan Marshall et près celui-ci.

Les PED dans leur ensemble, à qui les pays riches ont promis assistance et coopération, reçoivent une aumône sous forme de dons en devises. Alors que collectivement, ils remboursent plus de 500 milliards de dollars par an, ils reçoivent en cash nettement moins que 100 milliards de dollars.

Les créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal

Incontestablement, le refus d’accorder aux PED endettés le même type de concessions qu’à l’Allemagne indique que les créanciers n’ont pas pour objectif le désendettement de ces pays. Bien au contraire, ces créanciers s’attachent à maintenir les PED dans un endettement structurel de manière à en tirer un revenu permanent maximal à travers le paiement des intérêts de leur dette, à leur imposer des politiques conformes aux intérêts des prêteurs et à s’assurer de la loyauté de ces pays au sein des institutions internationales.

Allemagne 1953 / Grèce 2010-2019

Si nous risquons une comparaison entre le traitement auquel la Grèce est soumise et celui qui a été réservé à l’Allemagne après la seconde guerre mondiale, les différences et l’injustice sont frappantes. En voici une liste non-exhaustive en 11 points :

1.- Entre 2010 et 2019, la dette en pourcentage du PIB grec n’a cessé d’augmenter, elle est passée d’environ 110 % à 180 %

La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers

2.- Les conditions sociales et économiques qui sont assorties à l’intervention de la Troïka depuis 2010 ne favorisent en rien la relance de l’économie grecque alors que l’Allemagne a bénéficié de mesures qui ont contribué largement à relancer son économie. Le produit intérieur brut de la Grèce a chuté d’environ 30 % entre 2010 et 2016 en conséquence des mémorandums qui lui ont été imposés. En comparaison la croissance du PIB de l’Allemagne occidentale a été phénoménale entre 1953 et 1960.

3.- La Grèce se voit imposer des privatisations au bénéfice des investisseurs étrangers principalement alors qu’à l’inverse l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance et de grandes entreprises privées qui restaient sous le contrôle stratégique du capital allemand.

4.- Les dettes bilatérales de la Grèce (vis-à-vis des pays qui ont participé au plan imposé par la Troïka) n’ont pas été réduites alors que les dettes bilatérales de l’Allemagne (à commencer par celles contractées à l’égard des pays que le Troisième Reich avait agressés, envahis voire annexés) étaient réduites de 60 % ou plus.

5. – La Grèce doit rembourser en euros alors qu’elle est en déficit commercial (donc en manque d’euros) avec ses partenaires européens (notamment l’Allemagne et la France), alors que l’Allemagne remboursait l’essentiel de ses dettes en deutsche marks fortement dévalués.

Le fait de rembourser une partie importante de sa dette en deutsche marks permettait à l’Allemagne de vendre plus facilement ses marchandises à l’étranger. Prenons l’exemple des importantes dettes de l’Allemagne à l’égard de la Belgique et de la France après la seconde guerre mondiale : l’Allemagne était autorisée à les rembourser en deutsche marks. Or que pouvait faire la Belgique et la France avec ces deutsche marks sinon les dépenser en achetant des produits fabriqués en Allemagne, ce qui a contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.

6. – La banque centrale grecque ne peut pas prêter de l’argent au gouvernement grec alors que la Banque centrale allemande (Bundesbank) prêtait aux autorités de l’Allemagne occidentale et faisait fonctionner (certes modérément) la planche à billets.

7. – L’Allemagne était autorisée à ne pas consacrer plus de 5 % de ses revenus d’exportation au paiement de la dette alors qu’aucune limite n’est fixée dans le cas actuel de la Grèce.

Les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni sont compétentes pour les titres de la dette grecque

8. – Les nouveaux titres de la dette grecque qui remplacent depuis 2012 les anciens dus aux banques ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, ce sont les juridictions du Luxembourg et du Royaume-Uni qui sont compétentes (et on sait combien celles-ci sont favorables aux créanciers privés) alors que les tribunaux de l’Allemagne (cette ancienne puissance agressive et envahissante) étaient compétents.

9. – En matière de remboursement de la dette extérieure, les tribunaux allemands pouvaient refuser d’exécuter des sentences des tribunaux étrangers ou des tribunaux arbitraux au cas où leur application menaçait l’ordre public. En Grèce, la Troïka refuse que des tribunaux puissent invoquer l’ordre public pour suspendre le remboursement de la dette. Or, les énormes protestations sociales et la montée des forces néo-nazies sont directement la conséquence des mesures dictées par la Troïka et par le remboursement de la dette. Pourtant, malgré les protestations de Bruxelles, du FMI et des « marchés financiers » que cela provoquerait, les autorités grecques pourraient parfaitement invoquer l’état de nécessité et l’ordre public pour suspendre le paiement de la dette et abroger les mesures antisociales imposées par la Troïka.

10.- Dans le cas de l’Allemagne, l’accord établit la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survient un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Rien de tel n’est prévu pour la Grèce.

L’Allemagne a reçu des dons considérables dans le cadre du Plan Marshall.

11. – Dans l’accord sur la dette allemande, il est explicitement prévu que le pays puisse produire sur place ce qu’il importait auparavant afin d’atteindre un superavit commercial et de renforcer ses producteurs locaux. Or la philosophie des accords imposés à la Grèce et les règles de l’Union européenne interdisent aux autorités grecques d’aider, de subventionner et de protéger ses producteurs locaux, que ce soit dans l’agriculture, l’industrie ou les services, face à leurs concurrents des autres pays de l’UE (qui sont les principaux partenaires commerciaux de la Grèce).

On pourrait ajouter que l’Allemagne, après la seconde guerre mondiale, a reçu des dons dans une proportion considérable, notamment, comme on l’a vu plus haut, dans le cadre du Plan Marshall.

Les mensonges concernant l’aide à la Grèce

Hans-Werner Sinn [8], un des économistes influents en Allemagne, conseiller du gouvernement d’Angela Merkel, n’hésitait pas en 2012 à mentir en affirmant : « La Grèce a bénéficié d’une aide extérieure de 460 milliards d’euros au travers de diverses dispositions. L’aide apportée jusqu’ici à la Grèce représente donc l’équivalent de 214 % de son PIB, soit environ dix fois plus que ce dont l’Allemagne a bénéficié grâce au plan Marshall. Berlin a apporté environ un quart de l’aide fournie à la Grèce, soit 115 milliards d’euros, ce qui représente au moins dix plans Marshall ou deux fois et demi un Accord de Londres. » [9]

Tout ce calcul est faux. La Grèce n’a pas du tout reçu un tel montant de financement et ce qu’elle a reçu ne peut pas être sérieusement considéré comme de l’aide, au contraire.

L’Allemagne n’a payé à la Grèce que le soixantième de ce qu’elle lui doit en réparation pour les dévastations de l’occupation

Hans-Werner Sinn met de manière scandaleuse sur le même pied l’Allemagne au sortir de la seconde guerre mondiale que les dirigeants nazis avaient provoquée et la Grèce des années 2000. En outre, il fait l’impasse sur les sommes réclamées à juste titre par la Grèce à l’Allemagne suite aux dommages subis pendant l’occupation nazie [10] ainsi que l’emprunt forcé que l’Allemagne nazie a imposé à la Grèce. Selon la commission du parlement grec qui a travaillé sur ces questions en 2015, la dette de l’Allemagne à l’égard de la Grèce s’élève à plus de 270 milliards d’euros [11]. Comme l’écrit le site A l’encontre sur la base des travaux de Karl Heinz Roth, historien du pillage de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie [12] : « L’Allemagne n’a payé à la Grèce que la soixantième partie (soit 1,67 %) de ce qu’elle lui doit comme réparation des dévastations de l’occupation entre 1941 et 1944. ». [13]

1. Les plans d’« aide » à la Grèce ont servi les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec

Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro, principalement les grandes banques allemandes et françaises, qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes.

2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !

Les prêts accordés à la Grèce sous la houlette de la Troïka rapportent des intérêts conséquents aux prêteurs. Les différents pays qui participent à ces prêts ont gagné de l’argent sur le dos du peuple grec. Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France [14], a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5 % alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.

La situation était tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce devait être réduit [15].

Les bénéfices tirés par la France du sauvetage de la Grèce représentent une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !Sous les protestations du gouvernement grec et face au profond mécontentement populaire qui s’est exprimé par de fortes mobilisations sociales en Grèce, les pays prêteurs ont fini par décider de ristourner à la Grèce une partie des revenus qu’ils tirent des crédits octroyés à Athènes [16]. Mais il faut préciser que les revenus sont ristournés au compte-gouttes et une partie importante d’entre eux ne seront jamais rendus. Pascal Franchet et Anouk Renaud, du CADTM, ont calculé les bénéfices tirés par la France du soi-disant Sauvetage de la Grèce. Ils considèrent qu’il s’agit d’une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !

De mon côté, j’ai dénoncé les profits odieux que fait la BCE sur le dos du peuple grec.

3. La crise de la zone euro a fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro, due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs, entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.

Le 1er janvier 2010, avant que n’éclatent la crise grecque et celle de la zone euro, l’Allemagne devait garantir un taux d’intérêt de 3,4 % pour émettre des bons à 10 ans alors que le 23 mai 2012, le taux à 10 ans était passé à 1,4 %. Cela correspond à une diminution de 60 % du coût du financement [17]. Selon le quotidien financier français Les Échos, « un calcul approximatif montre que les économies générées grâce à la baisse des taux du coût de financement depuis 3 ans s’élèvent à 63 milliards d’euros » [18]. Somme à comparer aux 15 milliards (sur 110 répartis entre les différents créanciers) effectivement prêtés (avec intérêt – voir plus haut) par l’Allemagne entre mai 2010 et décembre 2011 à la Grèce dans le cadre de sa contribution au premier plan d’« aide » de la Troïka.

La Grèce permet à l’Allemagne et aux pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables

Nous avons évoqué les taux à 10 ans et à 6 ans payés par l’Allemagne pour emprunter. Si on prend le taux à 2 ans, l’Allemagne a émis des titres de cette maturité le 23 mai 2012 à un taux d’intérêt nul [19]. Début 2012, l’Allemagne a emprunté à 6 mois la somme de 3,9 milliards d’euros à un taux d’intérêt négatif. A ce propos, Le Soir écrivait le 23 mai 2012 : « les investisseurs vont recevoir au terme de ces six mois un tout petit peu moins (0,0112 %) que ce qu’ils ont prêté » [20].

S’il y avait une once de vérité de vérité dans le flot de mensonges à propos de la Grèce (du Portugal, de l’Espagne…), on pourrait lire que la Grèce permet à l’Allemagne et aux autres pays forts de la zone euro d’épargner des sommes considérables. La liste des avantages tirés par l’Allemagne et les autres pays du Centre doit être complétée par les éléments suivants.

4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre

Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations [21] dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, tirent profit car les biens publics sont vendus à des prix bradés.

5. Les sacrifices imposés aux travailleurs permettent de contenir une poussée revendicative dans les pays du Centre

Les reculs sociaux infligés aux travailleurs grecs (mais aussi portugais, irlandais, espagnols…) mettent sur la défensive les travailleurs d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Autriche, de France, de Belgique… Leurs directions syndicales craignent de monter au combat. Elles se demandent comment revendiquer des augmentations salariales si dans un pays comme la Grèce, membre de la zone euro, on diminue le salaire minimum légal de 20 % ou plus. Du côté des directions syndicales des pays nordiques (Finlande notamment), on constate même avec consternation qu’elles considèrent qu’il y a du bon dans le TSCG et les politiques d’austérité car ils sont censés renforcer la saine gestion du budget des États.

Un accord du type de celui de Londres de 1953 ne pourra être obtenu que suite à des batailles

En octobre 2014, j’ai été interviewé par un important quotidien grec Le Journal des Rédacteurs concernant l’accord de Londres de 1953. Le journaliste m’a posé la question suivante : « Alexis Tsipras appelle à une conférence internationale pour l’annulation de la dette des pays du Sud de l’Europe touchés par la crise, similaire à celle qui a eu lieu pour l’Allemagne en 1953 et par laquelle 22 pays, dont la Grèce, ont annulé une grande partie de la dette allemande. Est-ce que cette perspective est réaliste aujourd’hui ?  »

Il faut désobéir aux créanciers qui réclament une dette illégitime et imposent des politiques violant les droits humains fondamentaux

Je lui ai donné cette réponse : « C’est une proposition légitime. Il est clair que la Grèce n’a provoqué aucun conflit en Europe, à la différence de l’Allemagne nazie. Les citoyens de Grèce ont un argument très fort pour dire qu’une grande partie de la dette grecque est illégale ou illégitime et doit être supprimée, comme la dette allemande a été annulée en 1953. Je ne pense toutefois pas que SYRIZA et d’autres forces politiques en Europe parviendront à convaincre les institutions de l’UE et les gouvernements des pays les plus puissants à s’asseoir à une table afin de reproduire ce qui a été fait avec la dette allemande en 1953. Il s’agit donc d’une demande légitime (…) mais vous ne pourrez pas convaincre les gouvernements des principales économies européennes et les institutions de l’UE de le faire. Mon conseil est le suivant : la dernière décennie nous a montré qu’on peut arriver à des solutions équitables en appliquant des actes souverains unilatéraux. Il faut désobéir aux créanciers qui réclament le paiement d’une dette illégitime et imposent des politiques qui violent les droits humains fondamentaux, lesquels incluent les droits économiques et sociaux des populations. Je pense que la Grèce a de solides arguments pour agir et pour former un gouvernement qui serait soutenu par les citoyens et qui explorerait les possibilités dans ce sens. Un tel gouvernement populaire et de gauche pourrait organiser un comité d’audit de la dette avec une large participation citoyenne, qui permettrait de déterminer quelle partie de la dette est illégale et odieuse, suspendrait unilatéralement les paiements et répudierait ensuite la dette identifiée comme illégitime, odieuse et/ou illégale. »

Comme on le sait, Alexis Tsipras a choisi de mettre en pratique une autre orientation qui a abouti au désastre.

Conclusion :

Ne nous berçons pas d’illusions, les raisons qui ont poussé les puissances occidentales à traiter l’Allemagne de l’Ouest comme elles l’ont fait après la seconde guerre mondiale ne sont pas de mise dans le cas de la Grèce ou d’autres pays endettés.

La réalisation de processus citoyens d’audit de la dette jouera un rôle décisif dans cette bataille contre la dette et l’austérité

Pour maintenir leur pouvoir de domination à l’égard des pays endettés, ou tout au moins la capacité de leur imposer des politiques conformes aux intérêts des créanciers, les grandes puissances et les institutions financières internationales ne sont pas du tout disposées à annuler leurs dettes et à permettre un véritable développement économique.

Pour obtenir une véritable solution au drame de la dette et de l’austérité, il faudra encore de puissantes mobilisations sociales dans les pays endettés afin que des gouvernements aient le courage d’affronter les créanciers en leur imposant des annulations unilatérales de dettes. La réalisation de processus citoyen d’audit de la dette jouera un rôle positif décisif dans cette bataille.

Notes

[1Deutsche Auslandsschulden, 1951, p. 7 et suivantes, in Philipp Hersel, « El acuerdo de Londres de 1953 (III) », https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[3Texte intégral en français de l’Accord de Londres du 27 février 1953 en bas de cette page. Ont signé l’accord le 27 février 1953 : La République fédérale d’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, la Belgique, le Canada, Ceylan, le Danemark, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Grèce, l’Irlande, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, le Pakistan, la Suède, la Suisse, l’Union d’Afrique du Sud et la Yougoslavie.

[41 US dollar valait à l’époque 4,2 marks. La dette de l’Allemagne occidentale après réduction (soit 14,5 milliards de marks) équivalait donc à 3,45 milliards de dollars.

[5Les créanciers refusent toujours d’inscrire ce type de clause dans les contrats à l’égard des pays en développement ou des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Europe centrale et orientale…

[6Auslandsschulden, 1951, p. 64 et suivantes in Philip Hersel, El acuerdo de Londres (IV), 8 de enero de 2003, https://www.lainsignia.org/2003/enero/econ_005.htm consulté le 24 février 2019

[8Une biographie utile est publiée par wikipedia en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Hans-Werner_Sinn

[12Voir note biographique en français : https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth et en allemand : http://de.wikipedia.org/wiki/Karl_Heinz_Roth

[13Voir également l’interview que j’ai donnée à l’hebdomadaire Marianne : http://www.cadtm.org/Le-27-fevrier-1953-les-allies

[14Christine Lagarde est devenue directrice générale du FMI en juillet 2011.

[15Voir Council of the European Union, Statement by the Heads of State or Government of the Euro area and EU Institutions, Bruxelles, 21 Juillet 2011, point 3, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=DOC/11/5&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=de.

[16Voir European Commission, Directorate General Economic and Financial Affairs, “The Second Economic Adjustment Programme for Greece”, Mars 2012, table 18, p. 45, “Interest rates and interest payments charged to Greece” by the euro area Member States”, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2012/op94_en.htm

[17Financial Times, “Investors rush for the safety of German Bunds”, 24 Mai 2012, p. 29

[18Les Échos, Isabelle Couet, « L’aide à la Grèce ne coûte rien à l’Allemagne », 21 juin 2012. La journaliste précise : « Les taux à 6 ans –ceux qui correspondent à la maturité moyenne de la dette allemande- sont en effet passés de 2,6 % en 2009 à 0,95 % en 2012. »

[19Le Soir, Dominique Berns et Pierre Henri Thomas, « L’Allemagne se finance à 0 % », 23 mai 2012, p. 21

[20Idem.

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