Y.Varoufalis interviewé par un média suisse.

Symbole de l’insoumission face au diktat de Bruxelles, l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis n’a pas rangé sa veste de contestataire au vestiaire. Avec son mouvement Diem 25, l’économiste aux airs de rock star milite pour une Europe démocratique et rêve d’un printemps européen.

Diem 25, c’est votre réponse à l’Europe en crise. Pourquoi avoir créé ce mouvement?

Le mouvement que nous avons fondé en février dernier à Berlin a un objectif très simple: stopper la désintégration de l’Union européenne et les forces centrifuges qui nous divisent. Nous avons assisté à une démolition de la démocratie l’été dernier en Grèce via le secteur bancaire. Il y a donc de sérieuses fissures dans le processus démocratique en Europe et elles sont le résultat d’une crise économique causée par l’effondrement de l’architecture de la zone euro, une architecture qui n’a d’ailleurs jamais été capable de soutenir une crise économique. Cette désintégration ne peut que produire une crise comparable à celle des années trente et ainsi créer de la déflation, du racisme, de la xénophobie et faire éclore une génération perdue. L’Europe ne sera pas seule à souffrir, le monde entier sera aspiré dans ce tourbillon. Notre mouvement a un seul but: arrêter cette désintégration.

Comment l’Europe en est-elle arrivée là?

La grande question à laquelle j’essaie de répondre dans mon livre est: «Qu’est-ce qui a changé?» Pourquoi sommes-nous face à une situation où des pays qui se sont intégrés en dépit d’une histoire, d’une culture et d’une monnaie différentes ont fini par être divisés par une monnaie commune? C’est un paradoxe, non? Aux Etats-Unis, qui sont loin d’être un pays parfait, à chaque fois qu’il y a une crise, les Américains se réunissent, créent des institutions qui stabilisent l’union. En Europe, nous faisons l’inverse. En fait, et ça a été mon expérience lorsque j’ai été ministre des Finances, les nations sont fières et se tournent le dos. Et les pays faibles sont traités comme des colonies, pour être sacrifiés sur l’autel d’un jeu déplaisant et dépassé entre anciennes puissances européennes. Je dis bien «anciennes», car lorsqu’elles se laissent entraîner dans ce jeu, par exemple la France et l’Allemagne, elles perdent aussi leur propre pouvoir.

Imaginez-vous pouvoir lancer un printemps européen avec votre mouvement?

C’est tout à fait possible. Cela se voit partout où nous allons. Nous l’avons constaté lors du lancement à Berlin, mais aussi à Madrid, Barcelone, Rome. Je n’ai aucun doute que nous verrons surgir un printemps européen.

Quelle sorte d’Europe voulez-vous pour demain?

Une Europe démocratique! J’aimerais une fédération, un Parlement européen qui ne soit pas une plaisanterie comme c’est le cas actuellement, qui pourrait initier une législation, dissoudre le Conseil européen et l’Eurogroupe comme aux Etats-Unis où le Congrès a le pouvoir de dissoudre le gouvernement ou dans votre pays. Ça, ce serait bien. Alors, allons-y, créons une Fédération européenne démocratique!

Vous sentez-vous Grec ou Européen? Est-il possible d’être les deux aujourd’hui?

Bien sûr que je suis les deux. Je me sens aussi un citoyen du monde: quand je suis en Palestine, je me sens Palestinien, quand je suis en Israël, je me sens Juif, et quand je suis en Afrique, je me sens Africain. Notre identité est multiple et il est important de combiner le patriotisme – l’amour pour son pays – avec celui des autres.

Lorsque vous étiez étudiant en Angleterre, Margaret Thatcher était au pouvoir. Vous l’avez combattue mais lui reconnaissez d’avoir prédit l’échec de l’euro. Au fond, vous l’admirez?

C’est vrai, je l’ai combattue toute ma vie et durant mes dix années passées en Angleterre, j’ai participé à toutes les manifestations contre elle, mais sur ce point, elle a été visionnaire. Car le fait est que la monnaie est et restera toujours politique. Si vous tentez de la dépolitiser en confiant son administration à des banques centrales hors de ce circuit et sans Etat derrière pour les contrôler, cela ne fait que créer des politiques économiques ratées. Margaret Thatcher avait totalement raison et, en tant qu’intellectuel ouvert d’esprit, il faut savoir reconnaître la prescience chez ses adversaires lorsqu’elle est là.

La Grande-Bretagne, justement, se prononcera le 23 juin sur une sortie de l’Europe. Vous qui critiquez Bruxelles et les institutions êtes pourtant contre un «Brexit». Pourquoi?

Parce que la Grande-Bretagne ne peut tout simplement pas sortir de l’Europe, même si elle vote pour. Qu’elle le veuille ou non, son économie est intimement liée au marché européen et ce dernier n’est pas seulement un marché libre: il requiert des standards communautaires, des règles communes pour le marché du travail, des politiques environnementales communes… Donc, même une fois sortie de l’Union, Bruxelles dictera toujours les règles du jeu. La deuxième raison, et c’est une énorme erreur que l’on retrouve dans les arguments des pour et des contre, réside dans le fait que son appartenance à l’Union européenne relève de celle d’un club. Mais l’Union européenne n’est pas un club. Un «Brexit» ne fera qu’accélérer la désintégration de l’Union qui, si mon analyse macro-économique est juste, créera une déflation à laquelle la Grande-Bretagne n’échappera pas, même si elle en sort. Pour terminer, je citerai la fin d’Hotel California, cette chanson des Eagles que vous connaissez sans doute: «Vous pouvez régler la note quand vous voulez, mais vous ne pourrez jamais partir!»

La Suisse est aujourd’hui une petite île au milieu de l’Union européenne. Que pensez-vous de sa position? A-t-elle raison de rester en dehors?

Absolument! Vous, les Suisses, avez totalement raison de rester en dehors de cette Union, car elle est, comme je l’ai dit, si profondément anti-démocratique qu’elle consumerait votre Constitution et votre démocratie. Cela ne signifie pas pour autant que le pays doit demeurer pour toujours en dehors, mais l’Union européenne doit d’abord prendre exemple sur la Suisse en termes de combinaison de démocratie directe et indirecte de sa propre fédération. Pour le dire différemment: ne laissez pas votre Constitution se perdre dans le désordre des traités européens. Quand l’Union européenne se sera dotée d’une Constitution à l’image de celle de votre pays, alors la Suisse pourra entrer dans l’UE.

Le 5 juin prochain, les Suisses voteront sur le revenu de base inconditionnel. Vous avez déclaré que notre pays serait l’endroit idéal où l’introduire. Pourquoi?

Parce que vous êtes suffisamment riches! Un pays comme la Grèce ne pourrait pas l’introduire, car l’Etat grec ne peut même pas payer le papier de toilette dans les hôpitaux. Mais si vous n’êtes pas en faillite et si vous avez la capacité de mobiliser les ressources intérieures, comme c’est le cas en Suisse, alors vous pouvez introduire le revenu de base universel. Il permettrait de stabiliser une société aux inégalités salariales croissantes.

C’est donc un privilège de pays riches?

Il ne s’agit en effet pas de pauvreté, car le revenu de base n’a pas pour unique but de la réduire. Si vous voulez l’atténuer, vous devez faire autre chose, comme aux Etats-Unis où le programme d’aide supplémentaire à la nutrition fait un très bon travail en sortant des millions d’Américains du besoin. Non, le revenu de base, c’est beaucoup plus que cela: il s’agit de stabiliser la société en créant davantage de sécurité et par conséquent de rendre les gens libres.

Et pourtant, une majorité de Suisses devraient voter «non» le 5 juin prochain…

Le résultat n’a pas d’importance! Ce qui compte, c’est de pouvoir en débattre, de fertiliser les esprits autour de cette idée. Par le simple fait de débattre de cette question, nous créons déjà une nouvelle réalité.

Texte © Migros Magazine – Viviane Menétrey

rédaction

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